8 PIERRE GIRARD, CHRISTIAN LEDUC ET MITIA RIOUX-BEAULNE
Si l’on suit une telle manière de procéder, on peut avoir le sentiment
que la métaphysique, discipline des fondements et des vérités premières,
cesse d’exister au esiècle. Les questions sont alors nouvelles et ne
sont plus posées avec l’exigence initiale d’une autorité ou d’un fondement
vertical vers lesquels se tourner, mais dans la perspective horizontale
et critique du monde des hommes, de cette humanité redécouverte et
qu’il faut connaître pour elle-même, qu’il faut éduquer, comprendre,
et gouverner. Il s’agit là d’une perspective d’autant plus séduisante
qu’elle semble exprimer de manière très suggestive la modification du
sens du regard. Les vérités premières, les fondements, ne sont plus à
chercher en dehors de nous, au-dessus de nous, dans une extériorité qui
leur donnerait leur valeur, mais doivent être appréhendés au sein des
caractéristiques propres à l’humanité en train de se connaître elle-même.
Délivrée de toute autorité et de toute antériorité, l’humanité porterait
enfin le regard sur elle-même et s’abstiendrait de chercher toute forme de
vérité en dehors de celle dont elle est capable et qui lui donne sens. En
témoigne, à titre d’exemple, ce fait qu’un Traité de Métaphysique comme
celui de Voltaire, rédigé à l’aube des Lumières, en 1738, intitule son
introduction, par une sorte de pied-de-nez à la tradition scolastique:
« Doutes sur l’homme ».
Ce tournant anthropologique n’est du reste pas forcément contestable
si l’on est attentif aux grandes problématiques qui caractérisent les
Lumières. Ce n’est plus l’autorité divine, ni celle d’Aristote et de la
tradition ou celle du Roi d’origine divine qui sont sollicitées. Le regard
qui interroge le ciel ne découvre qu’un monde vide de sens, muet, désen-
chanté, à disposition de l’homme. L’évolution des sciences aux e et
esiècle, et ce de manière particulièrement marquée en physique et
en médecine, a porté en apparence des coups irréversibles aux grandes
pensées métaphysiques. Désormais, l’homme des Lumières issu de la
« crise de la conscience européenne », pour reprendre l’heureuse formule
de Paul Hazard, a conscience de la désuétude du questionnement méta
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physique, est finalement à même de poser les vraies questions qu’exige
l’humanité, et de trouver les réponses en son sein, sans jamais succomber
aux sirènes de principes extérieurs à l’expérience humaine.
À nouveau, cette manière de caractériser les Lumières n’est pas fausse
et l’investigation de l’humanité, de ses caractéristiques, de ses limites,
de ses aspirations est bel et bien une marque éclatante de la production
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