Physiopathologie de la dénutrition en réanimation 427
devraient bénéficier d’un support nutritionnel précoce [19].
La difficulté à nourrir ces patients réside entre autre
dans l’intolérance digestive. Cela devrait être évité par
l’association d’apports entéraux et parentéraux [40]. Des
études prospectives randomisées restent nécessaires pour
valider ce type de prise en charge. Ce concept de déficit
énergétique cumulé mis en avant depuis quelques années
montre l’importance de l’adéquation entre les apports et la
dépense énergétique et l’intérêt probable de mesurer cette
dernière dans le cadre d’une réanimation nutritionnelle.
Maladies chroniques
Dans les pays industrialisés, les maladies chroniques
d’organes et particulièrement les bronchopneumopathies
chroniques obstructives sont en passe de devenir, à
l’échéance 2020, la troisième cause de mortalité [41].
Les services de réanimation sont de plus en plus sollici-
tés pour prendre en charge ces patients qui présentent un
risque nutritionnel accru. Cette tendance va probablement
s’accentuer dans les prochaines années puisque les éven-
tuelles décompensations aiguës d’insuffisance d’organes
chroniques seront du ressort des services de réanimation. Il
s’agit principalement des insuffisants respiratoires, rénaux,
hépatiques et cardiaques. D’autres maladies chroniques
sont pourvoyeuses de dénutrition : infections chroniques,
pathologies cancéreuses. Dans l’étude de Doig et al., un
patient sur cinq admis en réanimation avait soit une insuffi-
sance d’organe chronique soit un état d’immunosuppression
[42]. Ces patients présentent un phénotype commun
associant l’inflammation chronique, une anorexie, une
augmentation de la dépense énergétique de repos, un
état d’insulinorésistance, une augmentation du turnover
protéique et souvent une hypoandrogénie. Quelle que
soit l’insuffisance d’organe chronique, la prévalence de
la dénutrition augmente avec la gravité de la maladie
[43]. D’autres pathologies, cancer et infections chroniques
sont associées à une dénutrition liée à une augmenta-
tion de la dépense énergétique et à une dégradation
protéique accrue. Dans ce contexte, un stress ou une acu-
tisation de la maladie chronique déséquilibre rapidement
l’état nutritionnel. Parmi les méthodes de suppléance des
défaillances d’organe, l’épuration extrarénale peut être
responsable d’une déperdition de nutriments, d’une dimi-
nution de la synthèse protéique et d’une augmentation
du catabolisme et constituer une cause additionnelle de
dénutrition.
Muscle et réanimation
La dénutrition protéino-énergétique observée en réani-
mation est caractérisée par une perte de poids et une
modification de la composition corporelle au dépend de
la masse non grasse et particulièrement de la masse
musculaire. Cette dénutrition à prédominance protéique
a un impact direct sur le devenir des patients [1,44].La
«dysfonction »musculaire est complexe. Elle est la résul-
tante de la perte quantitative de masse musculaire souvent
associée à une atteinte qualitative : anomalies de la struc-
ture et de la capacité oxydative des fibres musculaires.
L’atteinte fonctionnelle se manifeste par une diminution
de la force musculaire qui peut être évaluée par une
mesure de la force de contraction de la main grâce à un
dynamomètre (handgrip). L’importance de ces anomalies
musculaires est liée au nombre de dysfonctions d’organe et
à la corticothérapie. Elles concernent la fonction musculaire
périphérique mais aussi diaphragmatique [45]. Ces données
ont été étudiées chez l’animal mais aussi chez l’homme dans
les situations de sepsis expérimentales ou cliniques [46].
Évaluation quantitative et diagnostic
Le métabolisme protéique au cours des états d’agression est
sous la dépendance des cytokines pro-inflammatoires et du
déséquilibre entre hormones cataboliques et anaboliques.
La diminution de la synthèse protéique et l’augmentation
de la dégradation protéique résultent en une balance pro-
téique nette négative à l’origine de la fonte musculaire.
Lors des états agressions, notamment septiques, il existe
une protéolyse musculaire mettant en jeu des voies intra-
cellulaires protéolytiques lysosomales, calcium dépendante
et ubiquitine-protéasome dépendante qui sont stimulées par
les cytokines pro-inflammatoires [47]. Pour évaluer cette
atrophie musculaire, plusieurs techniques ont été propo-
sées. L’imagerie (IRM, DEXA) permet une mesure précise
de la masse musculaire totale mais nécessite souvent un
transport du patient et limite donc son utilisation en pra-
tique courante. L’échographie permet de mesurer certaines
masses musculaires des membres mais n’est pas toujours
réalisable. La bioimpédancemétrie et les mesures anthro-
pométriques ne peuvent donner d’informations fiables
du fait de l’hyperhydratation. L’excrétion urinaire de la
3-méthylhistidine, rapportée à la créatininurie, est utili-
sée pour évaluer le catabolisme musculaire. En l’absence
d’insuffisance rénale, elle est un reflet de la protéo-
lyse musculaire puisqu’elle est le produit de dégradation
de l’actine et de la myosine. L’excrétion urinaire de la
3-méthylhistidine ne donne pas d’indication du niveau de
synthèse protéique. Celle-ci est diminuée le plus souvent
du fait d’une inhibition des facteurs d’initiation de la tra-
duction protéique [48].
Atteintes structurelles et fonctionnelles
La fonte musculaire observée en réanimation est asso-
ciée à des modifications structurales des fibres musculaires
[49]. Tout d’abord, la composition des fibres se réorganise
avec une augmentation des fibres de type II et une dimi-
nution des fibres de type I. En microscopie électronique,
les fibres musculaires présentent des anomalies ultra-
structurales comprenant des désorganisations partielles ou
complètes des disques Z, des pertes de filaments épais de
myosine dans la bande A et une perte d’alignement des
sarcomères. Ces changements morphologiques des fibres
peuvent associer trois types de lésions : une atrophie sélec-
tive des fibres de type 2, une myopathie nécrosante et
vacuolaire d’intensité variable et une perte des filaments
épais de myosine [50]. Cette désorganisation cellulaire
contribue à une altération de la transmission neuromuscu-
laire qui accentue le phénomène d’inactivité musculaire. En
effet, l’altération de la contraction musculaire fait interve-
nir plusieurs mécanismes, en particulier une diminution de