ANC / FOCALE / 2016-2017 L’engagement de l'Église catholique dans le dialogue interreligieux LE CONCILE VATICAN II Titre Histoire des textes du concile concernant l’œcuménisme et le dialogue interreligieux Il faut immédiatement noter que l’histoire du décret sur l’œcuménisme (Unitatis redintegratio) est intimement liée à celle de la déclaration sur les relations de l’Église avec les religions non chrétiennes (Nostra aetate), et à celle sur la liberté religieuse, préparés par le même Secrétariat pour l’unité des chrétiens. Rappelons quelques mots de cette histoire. Travail préparatoire En 1947, juste après la 2ème guerre mondiale et l’horreur nazie, la conférence de Seelisberg en Suisse réunit 60 participants catholiques, protestants et juifs, pour lutter contre de fausses interprétations de l’Évangile qui pourraient encourager l’antisémitisme. Ce texte propose dix points pour aider prédicateurs et catéchistes dans leur enseignement. Jean XXIII a été tourmenté par les horreurs de la Shoah, il a eu la volonté de faire écrire au concile un décret sur les juifs pour condamner l’antisémitisme, il avait chargé le cardinal Bea d’étudier cette question. Le 5 janvier 1960 a été créé un Secrétariat pour l’unité des chrétiens, chargé de nouer des relations avec les chrétiens non catholiques et les inviter comme observateurs au Concile. Ce Secrétariat dès 1961 pose la question de la nécessité de sa permanence. Le premier président en fut justement le cardinal Bea. Dans la phase préparatoire, le Secrétariat pour l’unité n’est pas très sûr de sa mission et pose la question suivante : « La Commission théologique prépare dans la Constitution “De Ecclesia” un paragraphe “De oecumenismo”. La commission orientale de son côté prépare un schéma “De Unitate Ecclesiae”. Le problème est de savoir s’il faut préparer un décret et faire une étude dogmatique : le décret pour la commission centrale et l’étude dogmatique pour la commission théologique. Il faudrait que la commission théologique et le Secrétariat soient d’accord en substance… 1», c’est ce que Congar a dénoncé comme l’impréparation du Concile ! Yves Congar écrit effectivement quelques mois après le début du Concile, le 23 novembre 1962 : « Plus je vais, plus je trouve que la préparation du concile a été faite n’importe comment, ou plutôt très mal, et ceci dans des matières ou sous des aspects qu’il était aisé de prévoir. Comment n’a-t-on pas fait avant le concile ce qu’on va être obligé de faire maintenant ?2 » Le Secrétariat se pose également la question de ce qu’il faut écrire au sujet des juifs : condamner l’antisémitisme, certes, mais il faudrait aller plus loin sur la tolérance en général, la dignité de la personne humaine, sur les relations spéciales entre juifs et chrétiens : « ce peuple demeure, de lui est né notre salut Mais qu’en est-il de lui ? Quelle est l’attitude de l’Église catholique à ce sujet ?3 » Et toujours la même interrogation : un décret propre sur les Juifs, une insertion dans le schéma sur l’Église ou encore dans la question de la liberté religieuse ? Dans tout le travail préparatoire et par la suite, le secrétariat pour l’unité des chrétiens a relevé et fait parvenir aux autres commissions des réflexions sur les enjeux œcuméniques des thèmes abordés. Des schémas préparatoires sont adressés aux pères pendant l’été 1962. 1 Rapport du 8 mars 1962. Archives Unité Chrétienne. Yves Congar, mon journal du Concile, tome 1, p. 256. 3 Mgr De Smedt, 28 novembre 1961. Archives Unité Chrétienne. 2 L’engagement de l'Église catholique dans le dialogue interreligieux Première session 11 octobre – 8 décembre 1962 Le concile s’ouvre le 11 octobre 1962 de manière solennelle par une grande célébration liturgique. Le travail commence le 13 octobre par l’élection des commissions conciliaires chargées de l’élaboration des textes qui seront soumis aux votes. Les commissions préparatoires auraient dû devenir commissions conciliaires, mais les évêques demandent d’élire leurs propres listes après avoir fait connaissance, c’est le premier “coup de théâtre” du concile, lors de la première séance de travail. Quelques jours après, le 22 octobre, le pape Jean XXIII accorde au Secrétariat pour l’Unité des chrétiens le rang de commission conciliaire, ce qui le rendra apte à introduire au concile ses propres textes pour les soumettre aux débats. C’est une décision d’une portée considérable. Le premier schéma sur la Révélation, avec sa théorie des « deux sources » de la révélation est contesté par beaucoup, il sera finalement retiré de la discussion par le pape pour être refondu, cette refonte est confiée à une commission mixte issue de la commission doctrinale et du secrétariat pour l’unité. Première intersession (20) Jean XXIII meurt le 3 juin 1963 et Paul VI est élu le 21 juin. Pendant l’intersession, la commission orientale se concentre sur les questions de discipline des Églises orientales catholiques et le secrétariat pour l’unité des chrétiens élabore la première rédaction de ce qui allait devenir un décret sur l’œcuménisme. 2ème session : 29 septembre – 4 décembre 1963. Points d’ancrage Lors de l’ouverture de cette deuxième session, Paul VI exprime quelques points d’ancrage pour le concile : - le Christ principe de tout, le “point focal” de toute l’histoire… - la notion d’Église : que dit-elle d’elle-même ? - la rénovation de l’Église - la réintégration de tous les chrétiens dans l’unité. - le dialogue avec le monde. Les Pères examinent en premier lieu le schéma sur l’Église, un débat a lieu autour de la collégialité épiscopale (suite de la question de la primauté du pape affirmée à Vatican I), et de la place du texte relatif à la Vierge Marie. Finalement, à une courte majorité l’assemblée décide d’intégrer ce dernier texte dans la constitution sur l’Église, encore une décision qui a un enjeu œcuménique important, au moins en Occident. Quant au texte sur l’œcuménisme, le premier schéma commencé à examiner le 18 novembre 19634 comporte 3 chapitres portant directement sur l’œcuménisme : - Sur les principes de l’œcuménisme catholique - Sur la réalisation pratique de l’œcuménisme - Sur les chrétiens séparés de l’Église catholique. C’est la structure du décret définitif qui sera adopté. 4 Congar commente dans son journal : « Jour historique. On va commencer le De oecumenismo. Je sens très fortement le moment de grâce… » p. 538. 2 L’engagement de l'Église catholique dans le dialogue interreligieux Le rapporteur explique l’intention du schéma : « La question de l’œcuménisme est entièrement nouvelle. Aucun des précédents conciles ne l’a jamais traitée. Même en théologie, il n’en est question qu’à une époque récente. (…) La nécessité d’en traiter résulte de la nouvelle situation spirituelle de notre époque. (Celle-ci) est due au fait qu’une séparation depuis des siècles a effectivement aujourd’hui, aussi bien pour les chrétiens que pour les non-chrétiens, une valeur de scandale. Car la séparation est en opposition à la volonté formelle du Christ, elle barre le chemin comme un obstacle, et elle paralyse également l’évangélisation du monde et l’extension du royaume de Dieu.5 » Le même rapporteur explicite chaque chapitre. Pour le troisième, il explique « ce qui est maintenant le plus nécessaire, c’est la recherche d’une base commune, d’où pourra partir une nouvelle perspective, dans une disposition d’esprit plus favorable. C’est pour cette raison que le schéma mentionne si discrètement les divergences de doctrine ». Le patriarche Maximos IV intervient dans l’aula : « C’est le premier schéma soumis aux Pères conciliaires qui unisse l’exactitude doctrinale et le sens pastoral. Nous sommes enfin sortis des polémiques ! C’est le signe que nous nous sommes décidés à quitter les impasses du prosélytisme pour entrer dans la voie de l’émulation spirituelle. Surtout joie en voyant enfin la première entrée d’une vraie théologie de l’Église comme mystère de communion.6 » Pendant cette 2ème session, le Secrétariat pour l’unité continue à travailler, il répond aux questions des Pères et consulte les observateurs. Une des questions soulevées est celle de l’appellation “Églises” ou “communautés ecclésiales” pour les “communautés disjointes”. Une sous-commission conclut : « La souscommission s’en tient au vocabulaire du schéma, avec les précisions suivantes : usage de “communautés ecclésiales” pour tous les chrétiens non catholiques, mais particulièrement pour les protestants ; usage du mot “Églises” (au pluriel) pour les Orientaux.7 Les deux derniers chapitres Mais ce texte comportait à l’origine deux autres chapitres, beaucoup plus délicats et controversés : - Le chapitre IV était un texte sur le judaïsme (cette première version rejette explicitement l’accusation de “déicide” du peuple juif) avec possibilité de l’élargir à d’autres religions. Le schéma parlait des juifs du point de vue religieux uniquement (par exemple le lien commun à l’Écriture). - Le chapitre V portait sur la liberté religieuse. Objections avancées concernant ces deux derniers chapitres8, en particulier par les évêques du Moyen-Orient : On n’est plus sur le terrain de l’œcuménisme. On ne peut pas parler d’une religion non chrétienne (le judaïsme) sans parler de toutes les autres. Le texte ne sera pas compris et pourra porter préjudice aux chrétiens vivants dans une situation minoritaire dans des pays arabes et musulmans, pouvant être considéré comme une reconnaissance politique de l’État d’Israël par le Saint-Siège. Les Pères (95,8% de l’assemblée) acceptent les trois premiers chapitres comme base de délibération du décret sur l’œcuménisme. Les chapitres IV et V en sont soustraits, faute de temps d’une réelle discussion. 5 Ibid. p. 21. Notes prises par Congar dans son journal, p. 542. 7 Archives Unité Chrétienne. 29 novembre 1963. 8 Vatican II, Les relations de l’Église avec les religions non chrétiennes, Cerf, Unam Sanctam 61, 1966, p. 46. 6 3 L’engagement de l'Église catholique dans le dialogue interreligieux Deuxième intersession (22) Pendant l’intersession, le Secrétariat pour l’Unité des chrétiens tint sa réunion plénière du 27 février au 7 mars 1964. Dans une deuxième version du futur décret sur l’œcuménisme, le texte sur le judaïsme pourrait être proposé comme un appendice, en vertu des liens particuliers qui unissent l’Église au peuple juif. Dans le même temps, le secrétariat s’efforce de dissiper les malentendus politiques. De nouveaux experts sont invités à travailler à la rédaction d’un texte élargi dans lequel prendra place la déclaration sur les Juifs. Il est demandé d’éviter toute référence au “déicide”, de parler des autres peuples non chrétiens comme de fils de Dieu et d’affirmer le principe de fraternité. Faut-il parler explicitement des Musulmans ? Yves Congar propose les idées suivantes : partir de Dieu Père de tous ; tous ceux qui le louent ont un lien nouveau ; aucun homme n’est étranger au Christ ; Dieu a toujours lié le vrai rapport avec lui avec le vrai rapport avec les hommes…9 Trois actes de Paul VI vont permettre le “tournant” voire même le “virage” définitif du concile en matière d’œcuménisme et de dialogue interreligieux : - D’abord le voyage du pape en Terre Sainte annoncé lors de la clôture de la seconde session du concile. À Jérusalem en janvier 1964, Paul VI rencontre pour la 1ère fois le patriarche Athénagoras de Constantinople, cette rencontre est un événement symbolique considérable puisqu’il n’y avait plus de lien entre le patriarcat de Constantinople et le siège romain depuis les essais de réconciliation infructueux du concile de Florence en 1439. Mais Paul VI a eu l’occasion de rencontrer des non-chrétiens aussi et même de s’adresser à eux, en particulier à « ceux qui professent le monothéisme ». De retour à Rome, le pape évoque à plusieurs reprises ce voyage. « Paul VI a reçu Mgr Willebrands et lui a dit : dites franchement ce que vous avez à me dire. Mgr Willebrands a dit : ne pas parler de “retour”. Paul VI a répondu : oui. 10» écrit Congar. Le même Congar s’interroge : le pape a-t-il la théologie de ses gestes ? « J’insiste pour dire que les gestes du Pape créateurs d’une nouvelle situation au point de vue œcuménique n’ont pas la base ecclésiologique qu’ils demanderaient. Il faudrait une ecclésiologie de l’Église comme communion d’Églises. Or même le mouvement liturgique n’a pas d’ouverture, mais nous opérons avec une ecclésiologie fort médiévale et Contre Réforme, absolument inadéquate.11 » - Institution d’un secrétariat pour les religions non chrétiennes, annoncé le jour de Pentecôte 1964 dans l’homélie de Paul VI à St Pierre : « Nous voulons vous annoncer quelque chose qui a une claire signification de Pentecôte. Nous allons instituer le “Secrétariat pour les non-chrétiens”, organe qui aura des fonctions bien différentes de celles du Secrétariat pour les chrétiens séparés, mais une structure analogue ». - L’encyclique Ecclesiam Suam : le même Paul VI promulgue le 6 août 1964 sa première encyclique Ecclesiam Suam, c’est donc une encyclique-programme. L’intuition du pape est la suivante : le dialogue interreligieux n’est qu’un cas particulier du dialogue avec le monde. Personnellement, je trouve cette question très pertinente, c’est notre rapport au monde qui est décisif, notre rapport aux autres religions est du même ordre que notre rapport au monde. On y lit des phrases restées célèbres, en particulier : « L’Église doit entrer en dialogue avec le monde dans lequel elle vit. L’Église se fait parole ; l’Église se fait message ; l’Église se fait conversation. » Paul VI donne le fondement théologique du dialogue : la Révélation est comme un dialogue dans lequel le Verbe de Dieu s’exprime par l’Incarnation, et ensuite par l’Évangile. Il affirme que l’Église doit 9 Cf. Congar, 25 avril 1964, p. 71. Yves Congar, Mon journal du Concile, tome 2, p. 18. 11 Ibid, 4 juin 1964, p. 99. 10 4 L’engagement de l'Église catholique dans le dialogue interreligieux s’engager dans ce dialogue avec l’humanité sans attendre la bonne disposition des autres. Il s’agit d’un dialogue de salut. 3ème session : 14 septembre – 21 novembre 1964. Troisième session du concile ouverte par Paul VI le 14 septembre 1964. Sont discutés les schémas sur l’Église et sur la Révélation. La Révélation divine Le schéma sur la Révélation est fortement révisé pour dépasser la problématique des deux sources de la Révélation que seraient l’Écriture et la Tradition. Cette idée heurtait de front le protestantisme fondé sur la “sola scriptura”, l’Écriture seule comme norme de la foi et de la vie. Le schéma remanié est globalement bien accueilli par les pères conciliaires, mais provoque quand même beaucoup de demandes de modifications, son adoption sera repoussé à la 4ème session. Les observateurs protestants se réjouissent de ce grand pas en avant vers la réconciliation. Dans le schéma sur l’Église, qui deviendra Lumen Gentium, deux points sont à souligner pour notre propos. Le peuple de Dieu Les travaux sur l’Église, en particulier la base de la future constitution Lumen Gentium avancent. Est écrit en particulier ce qui deviendra le n° 16 du chapitre sur le peuple de Dieu : 16 - Les non-chrétiens Enfin, quant à ceux qui n'ont pas encore reçu l'Évangile, sous des formes diverses, eux aussi sont ordonnés au peuple de Dieu et, en premier lieu, ce peuple qui reçut les alliances et les promesses, et dont le Christ est issu selon la chair (cf. Rom. 9, 4-5), peuple très aimé du point de vue de l'élection, à cause des pères, car Dieu ne regrette rien de ses dons ni de son appel (cf. Rom. 11, 28-29). […] Mais le dessein de salut enveloppe également ceux qui reconnaissent le Créateur, en tout premier lieu les musulmans qui professent avoir la foi d'Abraham, adorent avec nous le Dieu unique, miséricordieux, futur juge des hommes au dernier jour. Et même des autres, qui cherchent encore dans les ombres et sous des images un Dieu qu'ils ignorent […] En effet, tout ce qui, chez eux, peut se trouver de bon et de vrai, l'Église le considère comme une préparation évangélique et comme un don de Celui qui illumine tout homme pour que, finalement, il ait la vie. Ce passage sera le soubassement doctrinal de Nostra Aetate. Le décret sur l’oecuménisme (28) Détaillons un peu les intentions et les modifications de ce décret sur l’œcuménisme : Ce décret se veut l’application pratique des affirmations dogmatiques de la constitution LG. C’est l’ecclésiologie de l’Église comme peuple de Dieu en marche qui permet les ouvertures œcuméniques et interreligieuses. Le glissement du mot “catholique” dans le titre, de « principes d’un œcuménisme catholique » à « principes catholiques de l’œcuménisme » n’est pas sans signification ! L’Église catholique entre dans le mouvement œcuménique, mouvement né en dehors d’elle, elle y entre avec ses propres principes, ecclésiologiques en particulier. La formule de base du COE y est reprise textuellement. Une sous-commission du Secrétariat pour l’unité des chrétiens avait préparé l’explication suivante : « Il semble nécessaire de souligner que le souci œcuménique de l’Église catholique n’est pas un opportunisme à l’égard des non-catholiques. C’est pourquoi il n’y a qu’un œcuménisme que nous acceptons 5 L’engagement de l'Église catholique dans le dialogue interreligieux loyalement ; mais par loyauté nous le vivons selon les principes catholiques. C’est pourquoi il convient de parler des “principes catholiques de l’œcuménisme”.12 » Une autre sous-commission affirmait : « La question semble devoir se poser de la façon suivante : quelle est la place des catholiques dans ce vaste ensemble d’efforts vers l’unité des chrétiens, quel est leur programme, sur quels principes devront-ils baser leur action ?13 » Il semble que certains Pères conciliaires aient eu quelques difficultés à comprendre réellement ce qu’était l’œcuménisme. Congar note dans son Journal : » je mesure le nombre de ceux pour lesquels l’œcuménisme est simplement un mode gentil d’amener les autres à se soumettre au pape ! Misérable ecclésiologie ultramontaine…14 » Nous reviendrons sur le contenu dans la partie suivante. Les deux annexes deviennent des déclarations indépendantes En parallèle, il y a aussi le texte sur la liberté religieuse qui est réfléchi et discuté. Les deux derniers chapitres, devenus deux annexes du décret sur l’œcuménisme, l’une au sujet des juifs et des non-chrétiens, l’autre au sujet de la liberté religieuse, seront détachés de l’œcuménisme et de toute autre constitution pour devenir des déclarations indépendantes. Des oraisons de la fameuse prière du vendredi saint sont retouchées, en particulier l’oraison « pour la conversion des juifs » devenue « pour les juifs », et celle « pour la conversion des infidèles » devenue « pour ceux qui ne croient pas encore au Christ ». Ces modifications ne sont pas sans conséquence sur la réflexion concernant les relations avec le judaïsme et avec les religions non chrétiennes15. Les essais de déclaration concernant les juifs sont toujours accueillis de manière très mitigée dans le monde arabe. Le Secrétariat retravaille à la future déclaration sur les relations de l’Église avec les religions non chrétiennes. Il adopte un ordre d’exposition des thèmes : Une introduction « L’unité de l’espèce humaine à quoi on accrocherait quelque chose sur les grandes religions sous l’aspect où elles apportent une réponse aux grandes questions des hommes Les musulmans Les juifs. J’insiste pour qu’il y ait une phrase brève, mais dense, disant que la réponse que cherchent les hommes est donnée en plénitude dans le Christ, mais en évitant toute allusion missionnaire. » écrit Congar dans son journal.16 Le débat sur la liberté religieuse est repoussé à la 4ème session, car trop nouveau. Les pères n’avaient pas le temps d’étudier posément le schéma proposé. On sait qu’un certain Mgr Lefebvre allait manifester son opposition à ce texte ne donnant pas assez de place aux droits de « la vraie religion » ! Il condamne cette “nouvelle doctrine” contraire à la doctrine traditionnelle comme “ambiguë” et “dangereuse”. « La déclaration sur la liberté religieuse, qui fait actuellement partie du schéma sur l’œcuménisme, a été rédigée par le Secrétariat pour l’Unité. La raison en est simple : la position doctrinale que nos frères séparés, notamment protestants, prête à l’Église catholique sur ce point – plus précisément sur la négation de cette liberté – est considérée par eux comme un obstacle majeur à tout effort sérieux vers l’unité.17 » Les pères commencent aussi le travail concernant l’Église dans le monde de ce temps. 12 Archives Unité Chrétienne. Novembre 1963. Archives Unité Chrétienne. Novembre 1963. 14 5 février 1964, tom 2, p. 24. 15 Vatican II, Relations de l’Église avec les religions non chrétiennes, op.cit., p. 70. 16 21 octobre 1964, tome 2, p. 216. 17 10 octobre 1964. Archives Unité Chrétienne. 13 6 L’engagement de l'Église catholique dans le dialogue interreligieux Troisième intersession Le COE propose dès le début de l’année 1965 la création d’un groupe mixte de travail entre celuici et l’Église catholique, le pape y répond positivement. Ce groupe commencera à se réunir dès le mois mai 1965. Des émissaires orthodoxes expriment également leur souhait de dialogue officiel. Paul VI voyage et prend la parole en public. On connait en particulier son discours à l’ONU le 4 octobre 1965 : « nous sommes porteurs d’un message pour toute l’humanité. […] C’est comme “expert en humanité” que nous apportons à cette Organisation …18 »On peut sans doute discuter sur l’expression de Paul VI, mais ce discours officiel marque la position de l’Église catholique romaine comme autorité morale ayant sa place dans le concert des nations. Quatrième session : 14 septembre – 8 décembre 1965. Derniers votes Une opposition au texte sur la liberté religieuse en particulier a commencé à s’organiser sous le nom de Coetus internationalis Patrum (assemblée internationale des pères). Celle-ci donne des consignes de vote aux pères conciliaires, sans rassembler réellement un grand nombre de voix. La critique se cristallise sur les textes d’ouverture : celui sur la liberté religieuse et celui sur les relations de l’Église avec les religions non chrétiennes, mais aussi l’Église dans le monde de ce temps, Gaudium et spes, et l’œcuménisme (déjà voté). Mgr Lefebvre en conclut le 4 août 1976 : « Nous croyons pouvoir affirmer, en nous en tenant à la critique interne et externe de Vatican II, c’est-à-dire en analysant les textes et en étudiant les avenants et aboutissants de ce Concile, que celui-ci, tournant le dos à la Tradition et rompant avec l’Église du passé, est un Concile schismatique. » Les dernières déclarations seront votées, puis promulguées lors de cette dernière session du concile, en particulier La déclaration sur les relations de l’Église avec les religions non chrétiennes, Nostra Aetate, votée le 15 octobre (avec une opposition de 250 voix) et promulguée le 28 octobre. La constitution dogmatique sur la Révélation divine, Dei Verbum, votée le 29 octobre. Suite à un débat important autour de la question de la vérité et de la liberté religieuse avec une opposition irréductible, le texte de la déclaration sur la liberté religieuse Dignitatis humanae est adopté à une large majorité (1 997 pour, 224 contre). Les derniers textes votés seront promulgués par Paul VI le 7 décembre 1965. Le concile est clôt par une séance solennelle le 8 décembre. Des actes symboliques importants Pendant le temps de cette dernière session, deux actes œcuméniques symboliques, voire même spectaculaire pour le deuxième, ont eu lieu : - le 4 décembre une célébration œcuménique à St Paul hors les murs pour « implorer l’unité des chrétiens », concrètement pour prendre congé des observateurs non catholiques au concile. - le 7 décembre la levée des anathèmes de 1054 entre Rome et Constantinople, réconciliation scellée par le baiser de paix échangé entre le pape Paul VI et le métropolite Méliton, représentant le patriarche Athénagoras. Une même déclaration commune est lue au cours de la session publique conciliaire 18 Documentation catholique, n° 1457, 17 octobre 1965, col. 1731-1736. 7 L’engagement de l'Église catholique dans le dialogue interreligieux et au Phanar en présence du patriarche Athénagoras et du représentant de Paul VI. On y trouve ces mots, après un rappel des événements de 1054 : « Le pape Paul VI et patriarche Athénagoras 1er, en son synode, déclarent d’un commun accord : a) regretter les paroles offensantes, les reproches sans fondement et les gestes condamnables qui, de part et d’autre, ont marqué ou accompagné les tristes événements de cette époque ; b) Regretter également et enlever de la mémoire et du milieu de l’Église les sentences d’excommunication qui les ont suivis, et dont le souvenir opère jusqu’à nos jours comme un obstacle au rapprochement dans la charité, et les vouer à l’oubli ; c) Déplorer, enfin, les fâcheux précédents et les événements ultérieurs qui, sous l’influence de divers facteurs, parmi lesquels l’incompréhension et la méfiance mutuelles, ont finalement conduit à la rupture effective de la communion ecclésiastique. » Congar jubile : « Quand je considère ce qu’est aujourd’hui, au sommet, l’œcuménisme catholique, je suis confondu. C’est fantastique ! On a fait le pas !19 » « Je trouve presque naturelle cette cérémonie. Et pourtant, qui eût pensé, il y a cinq ans, qu’elle fût possible ? […] Roux craint l’optimisme et qu’on croie la chose faite. Il dresse toutes les exigences d’un dialogue dur. Il n’a pas tort. Mais je plaindrais celui qui n’aurait pas senti ce que la grâce de Dieu a opéré de nouveau ! Jean XXIII a annoncé le concile à St Paul, au terme de la Semaine d’universelle prière pour l’unité. Le concile finit au même lieu. Jean XXIII doit être satisfait.20 » 19 20 11 mai 1965, p. 378. 4 décembre 1965, p. 502-503. 8 L’engagement de l'Église catholique dans le dialogue interreligieux La déclaration sur les relations de l’Église avec les religions non chrétiennes (Nostra aetate) Extraits de la version de 1963, chapitre IV du futur décret sur l’œcuménisme : « Après avoir traité des principes de l’œcuménisme catholique, nous ne voulons pas passer sous silence le fait que ces mêmes principes, compte-tenu de la diversité de condition, doivent être appliqués, lorsqu’il s’agit de la manière de dialoguer et de coopérer avec les hommes non-chrétiens, qui cependant honorent Dieu, ou du moins, animés de bonne volonté, s’appliquent à observer, selon leur conscience, la loi morale inscrite dans la nature de l’homme. Or cela vaut avant tout quand il s’agit des juifs, car ils sont liés à l’Église du Christ par un lien spécial. » (traduction J.-M. Aveline). Suivait le rejet explicite de “nation déicide”. La structure de la déclaration - un préambule (n° 1) - les diverses religions non chrétiennes (n° 2), partie qui donne en fait le principe fondamental du dialogue. - la religion musulmane (n° 3), deux courts paragraphes. - la religion juive (n° 4), on a vu les péripéties de ce texte - la fraternité universelle excluant toute discrimination (n°5), en fait une brève conclusion élargissant la question. Les principes du dialogue interreligieux Le fondement théologique : l’unité du genre humain dans la Création et la Rédemption. « Tous les peuples forment, en effet, une seule communauté ; ils ont une seule origine, puisque Dieu a fait habiter tout le genre humain sur toute la face de la terre ; ils ont aussi une seule fin dernière, Dieu, dont la providence, les témoignages de bonté et les desseins de salut s’étendent à tous… » (n° 1). Quel est le but d’une religion ? « Les hommes attendent des diverses religions la réponse aux énigmes cachées de la condition humaine, qui, hier comme aujourd’hui, agitent profondément le cœur humain : Qu’est-ce que l’homme ? Quel est le sens et le but de la vie ? Qu’est-ce que le bien et qu’est-ce que le péché ? Quels sont l’origine et le but de la souffrance ? Quelle est la voie pour parvenir au vrai bonheur ? Qu’est-ce que la mort, le jugement et la rétribution après la mort ? Qu’est-ce enfin que le mystère dernier et ineffable qui embrasse notre existence, d’où nous tirons notre origine et vers lequel nous tendons ? » (n° 1) Le principe fondamental du dialogue : l’Église ne rejette rien de ce qui est vrai et saint dans les autres religions. « L’Église catholique ne rejette rien de ce qui est vrai et saint dans ces religions. Elle considère avec un respect sincère ces manières d’agir et de vivre, ces règles et ces doctrines qui, quoiqu’elles diffèrent sous bien des rapports de ce qu’elle-même tient et propose, cependant reflètent souvent un rayon de la vérité qui illumine tous les hommes. Toutefois, elle annonce, et elle est tenue d’annoncer sans cesse, le Christ qui est “la voie, la vérité et la vie” (Jn 14, 6), dans lequel les hommes doivent trouver la plénitude de la vie religieuse et dans lequel Dieu s’est réconcilié toutes choses. Elle exhorte donc ses fils pour que, avec prudence et charité, par le dialogue et par la collaboration avec les adeptes d’autres religions, et tout en témoignant de la foi et de la vie chrétiennes, ils reconnaissent, préservent et fassent progresser les valeurs spirituelles, morales et socio-culturelles qui se trouvent en eux. » (n° 2). Le concile reprend dans cette déclaration et dans d’autres documents les principes issus de la relecture des Pères de l’Église : un rayon de la Vérité qu’est le Christ illumine tous les hommes, des semences du Verbe se trouvent dans toutes les cultures et les religions… on peut donc relier ces cultures et ces religions 9 L’engagement de l'Église catholique dans le dialogue interreligieux au Christ, ce que LG 16 exprime en termes d’“ordination21 au peuple de Dieu”. Donc « l’Église ne rejette rien de ce qui est vrai et saint dans ces religions ». Une note du texte de LG 16 renvoie à un article de la Somme théologique de Thomas d’Aquin intitulé : « le Christ est-il la tête de tous les hommes ? ». St Thomas y étudie d’abord les objections : la tête n’a de rapport qu’avec les membres, donc pas avec tous les hommes. En sens contraire, St Paul affirme que Dieu veut que tous les hommes soient sauvés (1 Tm 2,4 / 1 Tm 22 4,10 ) et que Christ a donné sa vie pour tous les hommes. La réponse de Thomas consiste alors à affirmer : « il y a cette différence entre le corps naturel de l’homme et le corps mystique de l’Église, que les membres du corps naturel existent tous en même temps, mais non les membres du corps mystique. […] Le Christ est la tête de tous les hommes mais à divers degrés. » Il étudie les solutions suivant les cas : « Les infidèles, bien qu’ils ne soient pas en acte membres de l’Église, lui appartiennent cependant en puissance. Cette puissance a deux fondements : d’abord, et comme principe, la vertu du Christ qui suffit au salut de tout le genre humain, ensuite le libre arbitre. L’Église est la fin ultime à laquelle nous sommes conduits par la passion du Christ. Elle ne se réalisera donc que dans la patrie céleste, et non en cette vie où “nous nous trompons nous-mêmes si nous prétendons être sans péché” (1 Jn 1,8). […] Les anciens Pères, en observant les sacrements de l’ancienne loi, étaient portés vers le Christ par la même foi et le même amour qui nous portent nous-mêmes vers lui. Ils appartenaient donc bien, comme nous, au corps de l’Église. »23 Le texte conclut sur la fraternité universelle : « Nous ne pouvons invoquer Dieu, Père de tous les hommes, si nous refusons de nous conduire fraternellement envers certains des hommes créés à l’image de Dieu. […] L’Église réprouve toute discrimination ou vexation dont sont victimes des hommes en raison de leur race, de leur couleur, de leur condition ou de leur religion. » » On trouve en filigrane la condamnation de tout antisémitisme en particulier. Conclusion Avec le Concile Vatican II, l’Église catholique romaine s’est engagée de manière définitive dans le dialogue œcuménique et dans le dialogue interreligieux. JEAN-PAUL II ET LA RENCONTRE D’ASSISE EN 1986 Je me propose de lire avec vous quelques passages clés du discours de Jean-Paul II à la curie romaine et aux cardinaux le 22 décembre 1986, discours dans lequel le pape fait une relecture théologique de l’événement d’Assise. La rencontre mondiale de prière pour la paix tenue à Assise le 27 octobre 1986, réunissant des représentants des grandes religions du monde, a surpris bien des personnes, y compris dans l’Église catholique. En effet, l’invitation de Jean-Paul II, si elle est dans la ligne de l’engagement du concile Vatican II pour le dialogue interreligieux, a eu un retentissement considérable, par les nombreuses réponses positives des responsables religieux, et par la couverture médiatique mondiale de l’événement. Certains milieux romains s’en sont émus, craignant que le geste du pape ne favorise le syncrétisme et le relativisme. Le Saint 21 Verbe latin ordino : mettre en ordre, arranger, organiser. Ordo : ordre, succession. « Dieu est le Sauveur de tous les hommes, surtout des croyants ». 23 Thomas d’Aquin, Somme théologique III, q. 8, a. 3. 22 10 L’engagement de l'Église catholique dans le dialogue interreligieux Père s’en explique donc lors de la traditionnelle rencontre au moment des vœux de Noël aux cardinaux et à la curie romaine. Il nous laisse un texte remarquable, développant clairement et simplement sa conception de l’unité du genre humain et de tous les croyants : « En cette Journée, en effet, et dans la prière qui en était le motif et l’unique contenu, semblait s’exprimer pour un instant, même de manière visible, l’unité cachée mais radicale que le Verbe divin, “dans lequel tout a été créé et dans lequel tout subsiste” (Col 1, 16; Jn 1, 3), a établie entre les hommes et les femmes de ce monde, ceux qui maintenant partagent ensemble les angoisses et les joies de cette fin du XXe siècle, mais aussi ceux qui nous ont précédés et ceux qui prendront notre place “jusqu’à ce que vienne le Seigneur” (cf. 1 Co 11, 26). Le fait d’être réunis à Assise pour prier, jeûner et cheminer en silence, et cela pour la paix toujours fragile et toujours menacée, peutêtre aujourd’hui plus que jamais, a été comme un signe clair de l’unité profonde de ceux qui cherchent dans la religion des valeurs spirituelles et transcendantes en réponse aux grandes interrogations du cœur humain, malgré les divisions concrètes (cf. Nostra ætate, 1).24 » Le pape affirme l’unité du genre humain créé par Dieu, sauvé par le Christ et habité par l’Esprit Saint, et développe la mission de l’Église comme “sacrement universel de salut” en étant “signe et instrument de l’union intime avec Dieu et de l’unité du genre humain”, avec les termes du concile Vatican II. Le pape relit alors la déclaration conciliaire sur les religions non chrétiennes, et y trouve un fondement théologique sûr pour cet événement que fut la rencontre mondiale de prière d’Assise. Il termine, avant l’expression de ces vœux, par une réflexion sur la valeur de la prière pour la paix. L’unité du genre humain Une unité déjà existante Jean-Paul II qualifie l’unité du genre humain de “radicale” et de “profonde”, inscrite dans la création et le salut. Toute la famille humaine a la même origine, divine, et la même vocation, divine également ; c’est déjà l’affirmation constante du concile, en particulier dans le fameux paragraphe de Gaudium et Spes n° 2225, et dans le préambule de la déclaration Nostra Aetate26. Lumen Gentium affirme l’“ordination” de tous les humains au peuple de Dieu27. Le concile utilise pour cela la théologie patristique des “semences du Verbe” présentes dans les cultures et les religions, celle de la “préparation évangélique” que constituent les religions païennes et les philosophies, ou celle du “rayon de la Vérité qui illumine tout homme”. Il se situe dans la ligne de la pensée de Justin de Rome : « tout ce qu’ils ont dit de bon nous appartient, à nous chrétiens28 », une logique qu’on pourrait qualifier d’“intégratrice”. L’unité du genre humain, et à l’intérieur, celle des croyants, est plus radicale et fondamentale que les différences visibles. C’est ce que redit Jean-Paul II aux cardinaux et à la curie romaine : « Les différences sont un élément moins important par rapport à l’unité qui, au contraire, est radicale, fondamentale et déterminante. 29 » L’ordre de l’unité est “divin” et « ces différences et ces divergences, même religieuses, remontent plutôt à un “fait humain” et doivent être dépassées dans le progrès vers la réalisation du grandiose dessein d’unité qui préside à la création.30 » 24 Ibid. p. 164. « En effet, puisque le Christ est mort pour tous et que la vocation dernière de l'homme est réellement unique, à savoir divine, nous devons tenir que l'Esprit-Saint offre à tous, d'une façon que Dieu connaît, la possibilité d'être associé au mystère pascal. » 26 « Tous les peuples forment une seule communauté ; ils ont une seule origine, puisque Dieu a fait habiter toute la race humaine sur la face de la terre ; ils ont aussi une seule fin dernière, Dieu, dont la providence, les témoignages de bonté et les desseins de salut s’étendent à tous… » 27 Lumen Gentium n° 16. 28 Justin de Rome, Deuxième apologie, XIII, 4-6. 29 « Discours à la curie romaine », op.cit. p. 165. 30 Ibid. p. 166. 25 11 L’engagement de l'Église catholique dans le dialogue interreligieux Le dialogue interreligieux La communion entre les croyants des religions est caractérisée par l’adjectif “incomplète”. L’unité visible et réelle entre tous les croyants n’a jamais existé, elle n’est pas à rétablir, elle n’est pas de notre ressort (ce serait la construction d’une religion syncrétique). La différence de religions est un fait historique indéniable. Le dialogue interreligieux a une dimension de gratuité. Certes, il participe à la recherche de la paix entre les hommes, et oblige chaque tradition a un mouvement de conversion intérieure pour retrouver le cœur de sa foi propre - c’est sans doute ce qu’ont en commun œcuménisme et dialogue interreligieux -, mais il n’a pas d’objectif concret et assigné à l’avance à atteindre. Christian de Chergé s’interrogeait sur le dessein de Dieu dans cette différence des religions, qui est une réalité, tout autant que la volonté divine d’unité. Cette différence était pour lui une “lancinante curiosité” comme il l’écrit dans son testament. Il est peut-être bon que la question reste ouverte, car c’est le manque qui crée le désir. Cette unité, déjà existante, mais de manière imparfaite ou incomplète, l’Église a pour mission de la rendre visible, de la signifier. Une unité à rendre visible Dans sa relecture de l’événement d’Assise, Jean-Paul II utilise avec insistance l’ecclésiologie du concile Vatican II. « Plus d’une fois, le Concile a mis en relation l’identité même et la mission de l’Église avec l’unité du genre humain, spécialement lorsqu’il a voulu définir l’Église “comme sacrement, c’est-à-dire comme signe et instrument de l’union intime avec Dieu et de l’unité de tout le genre humain”31 ». On le voit : « L’événement d’Assise peut ainsi être considéré comme une illustration visible… », « … exprimer pour un instant, même de manière visible, l’unité cachée mais radicale que le Verbe divin a établie entre les hommes et les femmes de ce monde … un signe clair de l’unité profonde de ceux qui cherchent dans la religion des valeurs spirituelles et transcendantes… » La rencontre mondiale de prière d’Assise a donc rendu visible, pour un moment, cette unité des croyants cachée en Dieu, elle était bien dans la mission de l’Église. La prière Une prière authentiquement chrétienne Paul, dans l’épître aux Romains, affirme que nous prions le Père par l’Esprit qui habite en nos cœurs32. Ainsi, « toute prière authentique est suscitée par l’Esprit Saint qui est mystérieusement présent dans le cœur de tout homme33 » en déduit Jean-Paul II. C’est le même Esprit qui est à l’origine de toute invocation du Dieu Unique. « Tous nos “oui” sont de Lui » disait Christian de Chergé en prêchant une retraite aux petites sœurs de Jésus au Maroc en 199034. Donc si tous nos “oui” sont pris dans le oui du Fils au Père, alors tout croyant, tout priant, est ainsi mystérieusement associé au Verbe de Dieu. « Le croyant – je pense au musulman – qui se tourne ainsi vers Dieu de tout son élan, et qui ne veut plus que ce que Dieu veut, d'un cœur soumis et libre à la fois, ce croyant est conduit par l'Esprit du Fils à la place du Fils, même s'il l'ignore. 35 » Tout priant est ainsi uni au Christ intercédant pour l’humanité. 31 « Discours à la curie romaine » op.cit. p. 165. Romains 8, 15. 33 Jean-Paul II, « Discours aux cardinaux et à la curie romaine », op.cit., p. 171. Le pape développe cette même idée dans son encyclique « Redemptoris Missio », n° 28, Chemins de Dialogue, n° 20, p. 86. 34 Christian de Chergé, Retraite prêchée aux Petites Sœurs de Jésus à Mohammedia, au Maroc du 18 au 25 novembre 1990. Texte inédit. 35 Christian de Chergé, chapitre du 6 juin 1992 (veille de Pentecôte), op.cit., p. 307. 32 12 L’engagement de l'Église catholique dans le dialogue interreligieux Même isolé dans ma chambre, priant le Père dans le secret, « j'ai vocation à m'unir au Christ à travers qui monte toute prière et qui offre au Père, mystérieusement, cette prière de l'islam comme celle de tout cœur droit. 36 » La prière nous permet d’incarner, à notre place et à notre mesure, cette unité des croyants en Christ : « il n’y a plus Grec et Juif, circoncis et incirconcis, barbare, scythe, esclave ou homme libre », il n’y a plus chrétien ou musulman…, « mais Christ : il est tout et en tous »37. Ensemble pour prier ou prier ensemble ? Lors de la rencontre d’Assise, la règle énoncée était d’être “ensemble pour prier” et non de “prier ensemble”, car toutes les religions du monde y étaient présentes. Pourquoi une rencontre autour de la prière ? Écoutons la réponse de Jean-Paul II : « Là on a découvert, de manière extraordinaire, la valeur unique qu’a la prière pour la paix et même que l’on ne peut obtenir la paix sans la prière, et la prière de tous, chacun dans sa propre identité et dans la recherche de la vérité. C’est en cela qu’il faut voir, à la suite de ce que nous venons de dire, une autre manifestation admirable de cette unité qui nous lie au-delà des différences et des divisions de toutes sortes. Toute prière authentique se trouve sous l’influence de l’Esprit “qui intercède avec insistance pour nous car nous ne savons que demander pour prier comme il faut”, mais Lui prie en nous “avec des gémissements inexprimables et Celui qui scrute les cœurs sait quels sont les désirs de l’Esprit” (Rm 8,26-27). Nous pouvons en effet retenir que toute prière authentique est suscitée par l’Esprit Saint qui est mystérieusement présent dans le cœur de tout homme. C’est ce que l’on a également vu à Assise : l’unité qui provient du fait que tout homme et toute femme sont capables de prier, c'est-à-dire de se soumettre totalement à Dieu et de se reconnaître pauvre devant lui. La prière est un des moyens pour réaliser le dessein de Dieu parmi les hommes (cf. Ad Gentes, 3).38 » Souvenir du cardinal Poupard de ce discours de Jean-Paul II à la curie romaine : « Nous nous sommes réunis à Assise ensemble pour prier mais non pour prier ensemble ». Le cardinal explicite : « En tout cas, l’expérience nous enseigne que le désir de prier en réunions interreligieuses ne doit jamais donner prétexte à un message flou et confus, centré sur la fausse idée que “toute religion en vaut bien une autre” ou que “les religions qui sont fondamentalement différentes peuvent être réduites à une seule”. Si cela devait arriver, ce serait la fin, non seulement du dialogue interreligieux, mais surtout de la religion elle-même. Bien que les croyants aient un unique but et une intention partagée, à savoir la paix, il faut toutefois avoir un soin extrême, lorsque les croyants se réunissent pour prier, à respecter les traditions religieuses des uns et des autres.39 » La curie romaine craint deux dérives : “toutes les religions se valent”, ce qu’on appelle le relativisme. En effet, si tout se vaut, rien ne vaut ! L’autre dérive est le syncrétisme, vouloir fondre les religions en une seule, ce qui serait la mort de toute religion, affirme Poupard. 36 Christian de Chergé, chapitre du 28 novembre 1989, op.cit., p. 212. Colossiens 3,10-11. 38 Jean-Paul II, « Discours aux cardinaux et à la curie romaine », op.cit., p. 171. 39 Cardinal Paul Poupard, « La journée mondiale de prière de 1986, l’inspiration et les acteurs », Chemins de dialogue, n° 28, p. 39. 37 13 L’engagement de l'Église catholique dans le dialogue interreligieux AUTRES TEXTES Redemptoris Missio L’encyclique Redemptoris Missio de Jean-Paul II en 1990. Travail sur des extraits de Redemptoris Missio Quel est le pas franchi avec ce texte par rapport au concile ? Dialogue et mission Le secrétariat pour les non-chrétiens publie son premier document officiel en 1984, il s’agit de Dialogue et mission, attitude de l’Église catholique devant les croyants des autres religions. Ce texte rappelle les diverses formes de la mission : La simple présence et le témoignage efficace de la vie chrétienne, L’engagement effectif au service des hommes, La vie liturgique, la prière et la contemplation, Le dialogue avec les croyants des autres traditions religieuses, L’annonce et la catéchèse. Il va en déduire les diverses formes du dialogue : la vie, les œuvres, les spécialistes et l’expérience religieuse. Dialogue et annonce En 1988 le secrétariat pour les non-chrétiens (appellation négative !) est devenu Conseil pontifical pour le dialogue interreligieux. La finalité de ce conseil est décrite en ses termes : « le conseil favorise et règle les rapports avec les membres et les groupes des religions non chrétiennes et aussi avec ceux qui, d’une manière ou d’une autre, sont dotés d’un sens religieux. » Ce conseil et la congrégation pour l’évangélisation des peuples ont publié un texte commun, résultat de cinq années de travail, texte intitulé Dialogue et annonce du 19 mai 1991. Travail sur des extraits de Dialogue et annonce - La commission théologique internationale fait le point sur le dialogue interreligieux et la théologie des religions (comment l’Église comprend les autres religions par rapport au christianisme, c’est une question théologique sous-jacente au dialogue interreligieux) dans un document intitulé Le christianisme et les religions en 1996, document de travail pour des « spécialistes ». En France, d’autres documents ont été plus récemment publiés, voir la bibliographie. 14 L’engagement de l'Église catholique dans le dialogue interreligieux TROIS POSITIONS THÉOLOGIQUES À partir de quelques expressions, formules, petites phrases ou slogans… essayons de dire comment se situe le christianisme par rapport aux autres traditions religieuses. 1ère affirmation : toutes les religions se valent « Toutes les religions se valent », c’est la formulation courante d’une position théologique dite du pluralisme des religions. En effet, affirmer, avec les textes du magistère que Dieu est présent à toute religion et offre le salut aux hommes (qui, à l’intérieur de ces religions et au moyen des symboles qu’elles mettent à leur disposition, expriment leur expérience de sa proximité d’après la formulation de Dennis Gira), peut donner l’impression que toutes les religions se valent. Pour quelques théologiens contemporains, il faudrait abandonner la position centrale de l’Église, même celle du Christ, et passer à un théocentrisme (le christianisme serait l’une des religions qui tournent toutes autour de Dieu). Cette position relativise le christianisme comme les autres religions, elle est prête à remettre en cause les dogmes traditionnels pour se rapprocher des autres traditions religieuses (par exemple on détache le Jésus de l’histoire du Christ de la foi). Dans une théologie chrétienne, cette position n’est pas tenable. En fait, ce qui est au cœur de cette question, c’est le problème de la vérité. Affirmer que toutes les religions sont vraies équivaut à déclarer que toutes sont fausses ! Cette affirmation ne prend pas au sérieux la prétention à la vérité de chaque tradition religieuse, la sienne, comme celle des autres. On est dans l’indifférentisme. Pourquoi choisir ? Pourquoi s’engager ? Or tout dialogue vit de la prétention de vérité de ceux qui y participent. Sinon, on est dans un débat d’idées où personne n’est réellement concerné et impliqué ! Alors si toutes les religions ne se valent pas, y en-a-t-il une supérieure ou une nécessaire au salut ? Faudrait-il revenir à de bonnes vieilles formules ? 2ème affirmation : hors de l’Église point de salut L’affirmation « hors de l’Église point de salut » met l’Église au centre, c’est de l’ecclésiocentrisme, et elle exclut un bon nombre d’êtres humains, croyants ou incroyants, c’est de l’exclusivisme. Comment comprendre cette formule ? L’histoire de la formule La formule est née dans un contexte de schismes ou d’hérésies, elle s’adressait à ceux qui rompaient avec l’Église : en particulier les donatistes, les arianistes, les vaudois, les albigeois et cathares, etc. Elle ne s’adressait pas à l’origine à d’autres religions dont on ignorait pratiquement l’existence ! Après 1492, on ne pourra plus ignorer les autres religions. L’idée sera reprise dans un contexte polémique, quand l’Église se sentira comme une citadelle assiégée au XIXème siècle en particulier dans la condamnation de l’indifférentisme. L’Église catholique romaine avait besoin d’assurer ses frontières, pour ne pas dire ses remparts ! Les frontières de l’Église ? « Hors de » : une question de frontières spatio-temporelles Or le concile Vatican II empêche de mettre des frontières spatio-temporelles trop précises à cette Église. Je pense au texte de LG 8 : « la société organisée d’une part, et le corps mystique d’autre part, l’assemblée discernable aux yeux et la communauté spirituelle, l’Église terrestre et l’Église enrichie des biens 15 L’engagement de l'Église catholique dans le dialogue interreligieux célestes constituent une même réalité complexe faite d’un double élément humain et divin ». Qui peut être dit hors du corps mystique du Christ ? Il y a un élément qui échappe au contrôle de l’Église visible. Lien Christ - Esprit - Église Cette affirmation lie fortement le Christ et l’Église, on utilise le thème paulinien de l’Église corps du Christ, Augustin à sa suite parlera du « Christ total ». Dès Irénée, l’Église va être garante de la vérité, de la continuité historique avec Jésus de Nazareth et les apôtres, c’est son apostolicité. « Car là où est l’Église, là est aussi l’Esprit de Dieu ; et là où est l’Esprit de Dieu, là est l’Église et toute grâce. Et l’Esprit est Vérité. »40 La première partie de la phrase est vraie, mais il faut nuancer la seconde pour ne pas enfermer l’Esprit dans l’Église. Jean-Noël Bezançon a une belle formule : « L’Église, témoin du Christ, est la seule visibilité de l’Esprit. Elle seule, connaissant le Christ, comme l’épouse connaît l’époux, peut reconnaître sa voix, et repérer, discerner l’œuvre de son Esprit. »41 Les non-chrétiens associés au mystère pascal du Christ sont aussi associés d’une certaine façon à son corps qu’est l’Église, l’Église étant définie comme en LG 8 comme corps mystique du Christ dépassant toute frontière spatio-temporelle. Ce qui ne signifie pas que ces non-chrétiens appartiennent à l’Église ! La nécessité de l’Église pour le salut - Il est intéressant de noter que la formule « hors de l’Église, point de grâce » (avec la condamnation du baïanisme42 et du jansénisme43) a été condamnée, ce qui montre qu’il y a une différence entre la grâce et le salut. Donc on peut en déduire qu’il a toujours été admis l’universalité de la grâce du Christ ou du don de l’Esprit. La question portera alors sur les moyens de salut, ces moyens sont procurés par l’Église (catholique romaine bien sûr !). - Le versant positif de la formule est la nécessité de l’existence de l’Église pour le salut du monde. D’ailleurs nous proclamons que nous célébrons l’Eucharistie « pour la gloire de Dieu et le salut du monde », pas seulement pour le salut des catholiques. De Lubac dans « Catholicisme » dès 1938 commente la célèbre formule et la traduit : « non pas : « hors de l’Église vous êtes damné » mais : « c’est par l’Église, par l’Église seule que vous serez sauvé ». Car c’est par l’Église que le salut viendra, qu’il commence à venir pour l’humanité »44 Il conclut le chapitre VII : « ceux qui, en recevant le Christ, ont tout reçu, sont établis pour le salut de ceux qui n’ont pu le connaître. Leur privilège est une mission. »45 Le concile Vatican II présente l’Église comme sacrement du salut : « L'Église étant, dans le Christ, en quelque sorte le sacrement, c'est-à-dire à la fois le signe et le moyen de l'union intime avec Dieu et de l'unité de tout le genre humain … »46 Ce texte donne une mission à l’Église : être signe et moyen de l’union intime avec Dieu, et aussi de l’unité de l’humanité. Cette mission s’exprime par les trois fonctions prophétique, sacerdotale et royale, ou le témoignage, la liturgie et le service (la marturia, la leiturgia et la diakonia). Le centre de gravité de l’Église n’est pas en elle-même mais dans la relation entre Dieu et le monde. L’Église est au service de la promesse de Dieu pour les hommes, et celle-ci concerne tous les hommes. L’Église peut retrouver ici le sens de sa mission. Si nous ne pouvons garder la formule « hors de l’Église, point de salut », il faut tenir la nécessité de l’existence de l’Église pour le salut. Mais quel est le rôle du Christ ? 40 Irénée de Lyon, AH III,24,1. Jean-Noël BEZANÇON, Dieu n’est pas bizarre, Bayard-Centurion, p. 112. 42 Michel de Bay (Baïus) 1543-1580, condamnation de Pie V en 1567 43 Innocent X condamne 5 propositions de Cornelius Jansen (1585-1638), même condamnation par un décret du St Office en 1690, puis condamnation de Pasquier Quesnel par Clément XI en 1713. 44 Henri de Lubac, Catholicisme, Cerf, 1938, p. 179. 45 Ibid. page 181. 46 LG 1 41 16 L’engagement de l'Église catholique dans le dialogue interreligieux 3ème affirmation : Dieu veut que tous les hommes soient sauvés, et il y a un seul médiateur entre Dieu et les hommes, le Christ-Jésus. Une affirmation biblique 3 Voilà ce qui est beau et agréable aux yeux de Dieu notre Sauveur, 4 qui veut que tous les hommes soient sauvés et parviennent à la connaissance de la vérité. 5 Car il n’y a qu’un seul Dieu, un seul médiateur aussi entre Dieu et les hommes, un homme : Christ Jésus, 6 qui s’est donné en rançon pour tous. (1 T 2,4-6) - 1ère affirmation : Dieu veut le salut de tous les hommes, on dit aujourd’hui le bonheur de tous les hommes. Son dessein est bienveillant, et il est pour tous, pas seulement pour les chrétiens, et la preuve de cet amour : Jésus Christ a donné sa vie pour tous, corps livré et sang versé pour la multitude. - 2ème affirmation : Dieu est unique. Cette affirmation est commune à toutes les religions monothéistes, juifs, chrétiens et musulmans le confessent. Jusque-là, nous sommes tous d’accord. - C’est la 3ème affirmation qui pose problème : il y a un seul médiateur en Dieu et les hommes, le Christ-Jésus. Si nous tenons cette affirmation, comment la comprendre ? On comprend bien le rôle de médiateur de Jésus pour les chrétiens qui le confessent vrai Dieu et vrai homme, les sacrements de l’Église sont là pour nous faire vivre de cette médiation. Mais pour les non-chrétiens, comment comprendre cette médiation ? Le Christ est-il médiateur seulement dans l’Église, ou aussi par les autres religions ? Autre façon de poser la question : les autres religions ont-elles une place dans le cœur et le dessein de Dieu ? Ou ne viennent-elles que des hommes ? Si ces religions ont un sens, quel est le lien du Christ avec ces religions ? On peut pointer plusieurs questions : - le dessein de Dieu sur l’humanité, - la place du Christ par rapport aux religions, - le rôle de l’Église dans ce dessein de Dieu : faut-il convertir toute l’humanité ? Qu’est-ce que la mission ? L’apport des Pères de l’Église C’est chez les Pères de l’Église qu’on trouve des expressions comme les « semences du Verbe » (Justin de Rome, vers 150), « préparation évangélique » et « les rayons de la vérité » (Clément d’Alexandrie) utilisées par le concile Vatican II. - Les semences du Verbe « Tout ce qu’ils ont dit de bon nous appartient, à nous chrétiens. Car après Dieu nous adorons et nous aimons le Verbe né du Dieu non engendré et ineffable, puisqu’il s’est fait homme pour nous, afin de nous guérir de nos maux, en y prenant part. Les écrivains ont pu voir obscurément grâce à la semence du Verbe qui a été déposée en eux. Mais autre chose est de posséder une semence et une ressemblance proportionnées à ses facultés, autre chose la réalité même, dont la participation et l’imitation procèdent de la grâce qui vient de lui. » (2ème Apologie, XIII, 4-6). Ces théologiens ont cherché à comprendre la même chose que nous finalement : si le Christ est l’unique médiateur, comment le Christ peut-il sauver ceux qui ne l’ont pas connu, ceux qui ont vécu avec une autre foi ou selon une autre sagesse ? Pourquoi le Christ est-il venu si tard, à une époque précise ? 17 L’engagement de l'Église catholique dans le dialogue interreligieux C’est l’Incarnation du Verbe qui est au centre de cette dynamique. « Les Pères savent que mêmes les révélations antérieures se trouvent périmées en même temps qu’accomplies dans le Christ »47. La Loi n’est plus nécessaire au salut, le salut vient par le Christ. C’est une vision qu’on appelle aujourd’hui inclusiviste, on inclut tout dans le Christ, voire dans le christianisme. Le concile Vatican II Le concile va répondre sur plusieurs points : - en définissant l’Église autrement : Église sacrement du salut et de l’unité du genre humain, ce qui est une façon de se positionner par rapport au dessein bienveillant de Dieu sur l’humanité. - en affirmant le salut possible des non-chrétiens (ce qui n’est pas nouveau !) par la médiation du mystère pascal, cf. GS 22, §5. Mais, associé au mystère pascal, devenant conforme au Christ dans la mort, fortifié par l'espérance, il (le chrétien) va au-devant de la résurrection. Et cela ne vaut pas seulement pour ceux qui croient au Christ, mais bien pour tous les hommes de bonne volonté, dans le cœur desquels, invisiblement, agit la grâce. En effet, puisque le Christ est mort pour tous et que la vocation dernière de l'homme est réellement unique, à savoir divine, nous devons tenir que l'Esprit Saint offre à tous, d'une façon que Dieu connaît, la possibilité d'être associé au mystère pascal. (GS 22, §5). Le concile reprend l’enseignement traditionnel de l’Église. En effet, la question n’est pas nouvelle, dès l’apparition du christianisme s’est posée cette question de l’évangélisation, du salut des autres, juifs ou grecs à l’époque… La solution théologique catholique habituelle est un christocentrisme inclusiviste : « Le christocentrisme accepte que le salut puisse se produire dans les religions, mais il leur refuse une autonomie salvifique, à cause de l’unicité et de l’universalité du salut en Jésus-Christ.48 » « Le salut pour tous les hommes est unique et le même : c’est la pleine configuration avec Jésus et la communion avec lui dans la participation à sa filiation divine. Il ne peut y avoir de chemins pour aller à Dieu qui ne convergent dans l’unique chemin qu’est le Christ (cf. Jn 14, 6).49 » 47 Henri DE LUBAC, Paradoxe et mystère de l'Église, Aubier-Montaigne, 1967, p. 132. Commission théologique internationale, « Le Christianisme et les religions », Documentation catholique, n° 2157, 6 avril 1997, p. 313. 49 Ibid. p. 320. 48 18