Stage ATEN Initiation à la systématique naturaliste, Mai 2015 Historique et bases de la classification des êtres-vivants Pourquoi nommer et classifier ? Besoin inhérent à l'espèce humaine : Reconnaître et identifier pour différents usages : conditions de la survie (Se nourrir, se soigner, cultiver ...) Fonction intellectuelle : pour penser la relation des humains aux autres êtres-vivants révèle la perception du monde d'une société donnée « les espèces animales et végétales ne sont pas connues pour autant qu'elles sont utiles. Elles sont décrétées utiles ou intéressantes parce qu'elles sont d'abord connues » Levy Strauss, la pensée sauvage Pourquoi nommer et classifier ? Une herbe folle en fleurs entendant son nom je la vis d'autre manière Teiji Les mots pour le dire : la classification Systématique : du Grec Systema = ensemble étudier et comprendre la diversité des organismes et leur histoire évolutive Classification de la diversité biologique : grouper les individus ayant en commun des caractères plus ou moins nombreux Taxonomie : du latin Taxis = classement , mise en ordre décrire les organismes vivants et les regrouper en entités appelées taxons afin de pouvoir les identifier puis les nommer, et enfin les classer Systématique = méthode / taxonomie = résultat Différentes classifications Classifications populaires Classification scientifique liées à un aire géographique limitée Une systématique qui se veut Pas de projet de transmission de connaissances en dehors de la communauté, universelle et exhaustive au niveau mondial : Classifications populaires des espèces Dans les sociétés à tradition orale : grande richesse linguistique témoignant d'un rapport subtil avec le milieu naturel ... Francisco Hernandez, conquête espagnole au Mexique : ce médecin espagnol avait collecté 1200 noms de plantes médicinales auprès des indiens Mayr en Nouvelle Guinée en 1920 : l'ornithologue constate que les autochtones distinguent 136 des 137 espèces d'oiseaux répertoriés. Brien Meilleur en Haute Tarentaise dans les années 80 : 300 dénominations différentes pour nommer la flore sauvage Alain Renaud dans le PNC, années 90 : 66 dénominations différentes pour nommer la flore sauvage Classifications populaires des espèces Les classifications populaires sont des procédés mnémotechniques associés à des besoins ou des activités différentes Plusieurs types de classification coexistent et sont employés simultanément Morue ou cabillaud ou stockfish ou haddock ? Une même espèce peut être placée dans plusieurs catégories en même temps TROUVEE DEHORS La nourriture Jeunes pousses, fleurs et autres fruits d’arbres et d’arbustes Les bruyères Le(s) gland(s) Ce qui est brouté Le(s) refus L’herbe des parcours baouca L’herbe sèche sur pied / du foin L’herbe des prairies semées pour être pâturées Un grain La(les) châtaigne(s) Regains Un poison Repousses L’herbe Foin/ fourrage Ce qui est fauché/ coupé Foin de Crau Foin de prairie artificielle Luzerne Trèfle Foin de prairie naturelle Le grain / la(les) céréales Avoine verte/Avoine tournée L’avoine L’orge Le blé Le triticale Le seigle L’avoine Les tourteaux Les granulés L’aliment/ Le(s) complément(s) DONNEE DEDANS Système de classification des ressources alimentaires pour le bétail dans le Parc National des Cévennes. (Dumez , 2005) Classifications populaires des espèces Les noms vernaculaires Noms souvent liés à une utilisation, ou à une caractéristique remarquable de l’espèce ex : Saponaire = herbe à savon, savonnière... Florilège de noms : pulmonaire, langue de femme, herbe à la femme battue, herbe aux hémorroïdes, patte d'oie, herbe aux 7 chemises et aux 7 vertus … Classifications populaires des espèces Les noms vernaculaires Limites : le même nom peut désigner des espèces différentes Classifications populaires des espèces Les noms vernaculaires Et à l'inverse un grand nombre de noms différents peuvent désigner la même espèce difficultés pour échanger d'une région à l'autre Classifications populaires des espèces Les noms vernaculaires « Il nous reste à rendre compte de nos travaux par rapport à la nomenclature françoise : cette partie avoit besoin d'être traitée méthodiquement, pour répondre à l'ordre qui règne aujourd'hui dans l'histoire naturelle. On n'avoit eu jusqu'à présent aucun égard aux genres des plantes en leur donnant des noms françois : on appelloit Lentille-d'eau , une plante de la famille du Gouet, dont les feuilles ressemblent aux graines de la Lentille, qui est une Légumineuse ; dans la famille de la Garance, on nommoit Muguet des bois, une plante qui n'a de commun que l'odeur avec la Liliacée qu'on nomme Muguet. II en est ainsi de quantité d'autres , qu'on découvrira facilement dans la table des synonymes D'ailleurs, il n'y a personne qui ne soit frappé du ridicule de noms composés tels que ceux-ci : l'Herbe-sans-couture, l'Herbe au charpentier , l'Herbe à robert, l'Herbe Saint Jean, la Rosée du soleil, la Salade de chanoine, le Mors du diable , le Pain de coucou, le Sceau notre dame , le Sceau de Salomon , la Bourse à judas, etc. Les noms d'animaux on de parties d'animaux donnés abusivement aux plantes sont encore bien plus mauvais : la Corneille, la Bardane , le Barbeau , la Poule-grasse , le Grasde mouton , le Pet d'âne, la Vesse de loup , la Queue de cheval, le Pied de chat, le Pied d'alouette, lePied de -veau , la Langue-de-cerf, la Langue de serpent, le Palais de-lièvre, le Bec-de grue , l'Oeil-de-bœuf , l'Oreille-d'âne, l'Oreille d'homme, la Corne de cerf, quelle confusion ! on est à chaque instant dans le doute ; on ne sait dans quel règne on se trouve. » Manuel de botanique, Antoine-Nicolas Duchesne , 1764 Classification scientifique des espèces Discipline qui a préoccupé pendant de nombreux siècles d'abord les botanistes : Nécessité de mémoriser et connaître les plantes à usages, en particulier les espèces médicinales Depuis l'antiquité jusqu'au XVIIe/XVIIIe : la longue recherche d'une classification logique et universelle se conclut par le « Systema naturae » de Linné qui va faire consensus jusque vers 1950 Classification scientifique des espèces Quels critères de classement adopter ? Alphabétique (herboristes : apprentissage par cœur) ? Utilitaire (vertus des plantes) Écologique (habitats) Morphologique (taille, formes, couleurs ...) Les défricheurs de la classification scientifique La Grèce puis l'Empire Romain : grands carrefours d'échanges, tentent des ouvrages d'ensemble sur les plantes Connaissances utilitaires liées à la médecine et à l'agriculture Théophraste (-372 à -288) « Historia Plantarum » philosophe grec, père de la botanique, étudie et classe 500 plantes, classement par tailles (arbres, arbrisseaux, sous-arbrisseaux, herbes) Les défricheurs de la classification scientifique Virgile (-70 à -19) « Les Géorgiques » poète et écrivain latin, produit une œuvre à la fois agronomique et poétique, traité sur l'agriculture, pour redonner aux Romains le goût du travail de la terre Les défricheurs de la classification scientifique Pline l'ancien (23 à 79 ap JC) « Naturalis Historiae » Philosophe naturaliste romain Compile en 37 volumes les connaissances de l'époque sur les plantes, les animaux et les roches Classe les plantes par usages : plantes médicinales Plantes cultivées Plantes ornementales ... Les défricheurs de la classification scientifique Dioscoride (40 à 90 ap JC) « De Materia Medica » Médecin et botaniste grec récapitule la connaissance sur les plantes médicinales, « Dioscoride de Vienne » (vers 512) : 3383illustrations Ouvrage de référence jusqu'au XVIe Les défricheurs de la classification scientifique La Renaissance : La découverte du Nouveau Monde accélère l'entreprise de description et de classement du monde vivant Premiers Jardins Botaniques : Italie, Salerne, en 1577 France, Montpellier en 1597 Les classifications évoluent : regroupent en unités les plantes qui ont entre elles plus de caractères communs qu'elles n'en ont avec toutes les autres plantes Les défricheurs de la classification scientifique Scientifique italien considéré Césalpin (1519-1603) comme le premier botaniste « De Plantis Libri XVI » moderne : Étudie les plantes pour elles mêmes (et non pour leurs vertus) Discute pour la première fois de méthode de classification Crée la notion de familles (composées, herbes, ombellifères…) Les défricheurs de la classification Quelques défricheurs scientifique Jean Bauhin (1541-1613) et Caspar Bauhin (15601624) prolongent la réflexion méthodologique : Méthode de la « division logique » dichotomique et descendante Un herbier de 6000 plantes (Césalpin : 400) : un bond dans la diversité prise en compte Concepts de Genre et Espèce : « nom phrase » où l'espèce est qualifiée par une description plus ou moins longue Ex : Pyrola floribus racemosis dispersis, staminis pistillisque rectis (= Pyrole à fleurs en grappe, à étamines et pistil droits) Les défricheurs de la classification scientifique Joseph Pitton de Tournefort (1656-1708) Le premier « système » de classification complet La corolle comme critère unique D’où dérivent les noms de familles qu’il reprend de Césalpin en les enrichissant : Composées, Labiées, Rosacées, Papilionacées Le fondateur de la classification scientifique : Karl Von Linné (1707-1778) 1735 : « Systema naturae » fonde le système de la classification du vivant encore à l'oeuvre de nos jours Sa classification des végétaux repose sur le nombre et la disposition des organes sexuels Jusque là, la nomenclature standardisée ne concernait que les végétaux, la classification animale était à la traîne Linné englobe les animaux dans son système (inclut l'homme dans le règne animal) qui devient universel La nomenclature binomiale Le nom scientifique d’une espèce est en latin Il est composé de deux éléments (binôme) : Genre et espèce (nom + adjectif) Il est complété d'une information sur l'auteur • Acer campestre L. • Quercus robur L. , syn. Q. pedunculata Ehrh. • Sorbus aria (L.) Crantz, La nomenclature binomiale Nom de l’auteur : plante décrite par Linné Nom de genre • Acer campestre L., • Quercus robur L. , syn. Q. pedunculata Nom d’espèce Ehrh. • Sorbus aria (L.) Crantz La nomenclature binomiale Synonyme : cette espèce a été décrite deux fois • Acer campestre L., Acéracées « érable » par deux botanistes différents, Linné puis Ehrhardt - c’est la première description qui prévaut • Quercus robur L. , syn. Q. pedunculata Ehrh. • Sorbus aria (L.) Crantz La nomenclature binomiale • Acer campestre L., Acéracées « érable » • Quercus robur L. , syn. Q. pedunculata Linné (1707-1778) avait décrit une espèce aria Ehrh., Fagacées, « en chêne pédonculé mais Crantz ( 1722-1797) a changé le genre » • Sorbus aria (L.) Crantz, Rosacées, « alisier blanc » La nomenclature binomiale Pourquoi des noms latins ? Quercus robur L. • • • • • • • • • • Chêne pédonculé Chêne blanc Chêne femelle Gravelin Châgne Common oak Acorn tree Stieleiche Raseneiche Roble Une référence universelle commune à tous : l' « esperanto » des naturalistes ! La validation d'un nom d'espèce Point de départ de la nomenclature : 01 mai 1753 (première édition du « Species Plantarum » de Linné. Les noms plus anciens, dits "pré-linéens" ne sont pas valides. doit avoir fait l'objet d'une publication valide, le taxon est accompagné du nom de l'auteur et d'une description, ou diagnose, en latin. doit faire référence à un échantillon type ou holotype, conservé au sein d'une collection officielle, dans un Muséum qui a la responsabilité de l'entretien des collections. Règles pour la dénomination Le nom de Genre : • Pas de noms « barbares » ! Ethnocentrisme critiqué par certains botanistes (Akate, naturaliste créole 1737-1799) • Noms en l'honneur de botanistes Fuschia, Magnolia … • Allusions mythologiques ou poétiques : Narcisse, Daphné, Vénus … • Référence à un caractère essentiel : morphologie (ex : Orchis), Propriétés (ex : Polygala) ... Un système de classification emboîté Règne Embranchement Classe Ordre Famille Genre Espèce Un cadre universel et exhaustif où chaque espèce n’est placée qu’à un seul endroit Un système de classification emboîté Un système de classification emboîté Monocotylédones Embryon à 1 seule partie Fleurs : type 3 Feuilles : nervures parallèles sousembranchement Dicotylédones Embryon à 2 parties Fleurs : type 4 ou 5 Feuilles : nervures ramifiées Tige : croît en épaisseur embranchement classe famille Un système de classification emboîté Famille Fleurs de structures Identiques Certains caractères secondaires sont constants Nom de genre + acées Ex : Lamiacées Fleur à pétales soudés en tube, le plus souvent en deux lèvres. Étamines : 4, parfois 2, attachées à l'intérieur du tube de la corolle Style : 1, terminé par 2 stigmates Ovaire : à 4 parties Feuilles opposées, Tiges à section carrée Genre Même ensemble de caractères floraux Ex : Salvia Inflorescence en épi ou grappe, Corolle à 2 lèvres, lèvre inférieure trilobée, 2 étamines, plantes aromatiques Espèce Tous les individus très ressemblants ayant en commun un ensemble de caractères secondaires : couleur et dimension des fleurs, forme des feuilles, particularités biologiques et écologiques etc ... Ex : Salvia pratensis Feuilles rugueuses à bord doublement denté, corolle bleuviolacé de 15-25 mm à lèvre supérieure velue glanduleuse, calice pubescent-glanduleux. Habitat : prés, chemins L'espèce, taxon de base de la systématique Une espèce est formée par un ensemble d'êtres vivants se ressemblant morphologiquement et génétiquement. Ils sont capables de se reproduire entre eux dans des conditions naturelles. Leur descendance est indéfiniment féconde en conditions naturelles. Définition se prête assez bien au règne animal, il est moins évident dans le règne végétal, où se produisent fréquemment des hybridations parfois fécondes Salix fragilis Salix alba Salix X rubens L'espèce, taxon de base de la systématique Apport de l'écologie : une espèce possède trois caractéristiques fondamentales en lien avec son environnement naturel * son aire de répartition géographique, * sa niche écologique, * son habitat. L'espèce, taxon de base de la systématique Espèces décrites sur le globe : A la mort de Linné, 11800 espèces de plantes étaient décrites En 2005 : 312 655 plantes (25 000 algues, 15 000 mousses, 13 025 fougères, 980 gymnospermes, 199 350 dicotylédones, 59 300 monocotylédones) 74 000 champignons 1 500 000 animaux (30 000 Protozoaires,1 440 000 invertébrés, 60 516 vertébrés) Une nouvelle révolution : La systématique phylogénétique Systématique linnéenne : repose sur critères de similarité On regroupe les taxons qui ont entre eux plus de caractères communs qu'ils n'en ont avec tous les autres taxons Reposait sur l'idée que toutes les espèces sont apparues en même temps et qu'elles n'évoluent pas Systématique moderne phylogénétique (fin années 60) : (Etym : de phylon = tribu, race) classement en fonction de relations de parenté, notion d'ascendance commune. Repose sur les principes d'évolution et de sélection naturelle. Basé sur ce que les êtres-vivants « ont » (caractère morphologique, séquençage ADN), et non sur ce que les êtresvivants « n'ont pas » (invertébrés) ou « font » (vivipares) Systématique phylogénétique Nouvelle classification qui permet de mieux visualiser les embranchements du vivant, constitués par différenciations successives au fil du temps. Systématique phylogénétique 3 types de rapports au sein de groupes d'êtres vivants : La monophylie incluant un ancêtre et tous ses descendants (ex : les sauropsides = reptiles et oiseaux). La paraphylie (ex : les reptiles n'incluant pas tous les descendants du même ancêtre) La polyphylie (ex : mammifères et oiseaux sont réunis sous le caractère de l'homéothermie, mais ils n'ont pas développé ce caractère à partir du même ancêtre commun) Systématique phylogénétique Quelques exemples de changements par rapport à la classification traditionnelle : * Les oiseaux sont des dinosaures, car tous les ancêtres des dinosaures sont aussi des ancêtres des oiseaux. * Les concepts de « reptile » et de « poissons » sont abandonnés en tant que taxons valides, car paraphylétiques. * Les plus proches parents des cétacés seraient les hippopotames. Systématique phylogénétique Quelques exemples de changements par rapport à la classification traditionnelle : * L'ancien groupe des « algues » explose en tous sens, certaines étant groupées avec les plantes vertes, d'autres avec les bactéries * Les dicotylédones sont séparées en dicotylédones archaïques (Magnolias, lauriers ...) et eudicotylédones primitives (renonculacées, papaveracées …) et évoluées (Asteracées , Apiacées ...) * Les Liliacées sont maintenant éclatées en une dizaine de familles (Alliacées, Asparagacées ...) Une partie des Chénopodiacées est intégrée aux Amarantacées, Une partie des Scrofulariacées est reprise dans les Plantaginacées, Les Valérianacées sont intégrées dans les Caprifoliacées Etc …. Systématique phylogénétique