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Chimiothérapie : Principes pratiques
Stéphane OUDARD
Département de Cancérologie Médicale, Hôpital Européen Georges Pompidou - Paris
Le cancer de la prostate est le cancer le plus fréquent
chez l’homme. C’est la deuxième cause de décès par
cancer chez l’homme, soit 9 000 décès par an en
France. Le traitement du cancer de la prostate méta-
statique repose sur la suppression de la sécrétion
androgénique. Ce blocage androgénique s’accom-
pagne souvent dune diminution de la symptomatolo-
gie douloureuse, dune diminution de volume des
masses tumorales des tissus mous et dune baisse du
PSA. Malheureusement ce traitement nest que pal-
liatif et la durée de réponse aux antiandrogènes nest
que de 12 à 18 mois. La survie des patients hormono-
indépendants est approximativement de 12 mois.
Peu d’options thérapeutiques sont possibles en phase
d’hormono-indépendance. Deux analyses de la litté-
rature ont permis d’estimer les taux de réponses
objectives à 6,5% et 8,7% sans avantage en terme de
survie [1, 2]. Depuis les cinq dernières années, de
nouvelles molécules de chimiothérapie ont permis
une meilleure prise en charge des patients métasta-
tiques hormono-indépendants.
1. CARACTÉRISTIQUES GÉNÉRALES
Le but de la chimiothérapie du cancer de la prostate
s’adresse le plus souvent aux patients hormono-indé-
pendants après généralement deux lignes d’hormo-
nothérapie. Malheureusement ces patients à ce stade
de la maladie sont souvent de mauvais candidats à la
chimiothérapie pour plusieurs raisons :
Il s’agit de sujets âgés présentant de nombreuses
tares viscérales pour lesquels il est difficile de
mettre en route une chimiothérapie lourde et
toxique,
Il s’agit d’une tumeur de type adénocarcinome
souvent peu sensible à la chimiothérapie,
Il s’agit d’une maladie principalement osseuse
pour laquelle l’évaluation thérapeutique par scin-
tigraphie osseuse est difficile,
Il s’agit d’un traitement palliatif, dont le but est
d’améliorer l’état général du patient et sa qualité
de vie,
Cependant de nouveaux agents anticancéreux
ont complètement bouleversé la prise en charge
des patients atteints d’un cancer de la prostate
métastatique.
2. BASE DE LA CHIMIOTHÉRAPIE
Pour bien comprendre les indications de la chimio-
thérapie, il faut garder à l’esprit un certain nombre
de notions :
Il s’agit d’un traitement général, par opposition
aux traitements loco-régionaux, donc particulière-
ment indiqué dans les maladies disséminées ou à
haut risque de dissémination,
Le maniement des agents anticancéreux est sou -
vent difficile en raison de leurs toxicités parfois
létales. Les indications thérapeutiques doivent
toujours tenir compte du rapport entre la toxicité
et le bénéfice attendu pour un patient,
La sensibilité à la chimiothérapie est d’une extrê-
me variabilité en fonction du type histologique
(chimiosensible pour les formes neuro-endocrines
de cancer de prostate, moins chimiosensible pour
les adénocarcinomes de cancer de prostate),
II. LA CHIMIOTHÉRAPIE DANS LE
CANCER DE LA PROSTATE
I. INTRODUCTION
Pour Correspondance : Stéphane Oudard, Hôpital Européen
Georges Pompidou, Département de Cancérologie Médicale,
20 rue Leblanc Paris 75015, France.
Tel : 01 56 09 34 71 - Fax: 01 56 09 24 31
20
Si certaines indications sont clairement établies
(autorisation de mise sur le marché pour la
mitoxantrone dans le traitement palliatif du cancer
de la prostate hormono-indépendant) d’autres sont
du domaine de la recherche clinique (taxanes,
inhibiteurs de Bcl-2, anticorps monoclonaux).
3. BILAN SYSTÉMATIQUE AVANT TOUTE PRES-
CRIPTION DE CHIMIOTHÉRAPIE
Certaines règles sont incontournables pour éviter des
toxicités liées à la chimiothérapie donnée.
Il faut obtenir du patient les caractéristiques sui -
vantes :
Son âge réel et apprécier son âge physiologique,
Son poids et sa taille [(la chimiothérapie se pres-
crit le plus souvent en surface corporelle (m2)),
Ses constantes cliniques et biologiques (notam-
ment la créatininémie et le bilan hépatique),
Il faut noter le statut, selon l’OMS (Tableau 1) du
patient,
Il faut noter la taille des lésions mesurables tumo-
rales pour apprécier la réponse future à la chimio-
thérapie,
Il faut prévoir :
La pose d’une chambre implantable (port à cath)
pour préserver le capital veineux du patient,
Une hydratation suffisante en cas de chimiothé-
rapie néphrotoxique,
Des a n t i é m é t i q u e s (Setrons : Zophren® ou
Kytril® en association avec des corticoïdes, 15
minutes avant le traitement anticancéreux) en cas
de chimiothérapie émétisante,
Un casque de glace de façon à éviter une alopécie
Et éventuellement, des facteurs de croissance
h é m a t o p o ï é t i q u e si la chimiothérapie est très
aplasiante,
Il faut prévenir les toxicités attendues par des soins
adaptés (Figure 1) :
Effectuer régulièrement des prélèvements san -
guins pour évaluer l’aplasie (baisse des trois
lignées sanguines). En cas d’aplasie avec fièvre,
traiter le patient avec des antibiotiques sans tarder,
voire l’hospitaliser pour débuter une antibiothéra-
pie par voie intraveineuse si la fièvre est mal sup-
portée ou présente des critères de gravité.
Administrer des facteurs de croissance en cas
d’aplasie sévère pour le cycle suivant en cas de
réponse à la chimiothérapie,
Faire un ECG et une échographie cardiaque de
départ et contrôler régulièrement celle ci tous les
trois cycles en cas d’agents cardiotoxiques. Il fau-
dra arrêter celle ci en cas de chute de la fraction
d’éjection du ventricule gauche (< 50%), Il faut
connaître les doses cumulatives toxiques en
mg/m2pour les anthracyclines (adriamycine, far-
morubicine) et les anthracènediones (mitoxantro-
ne),
Contler au mieux toute atteinte cardiaque
a s s o c i é e ( H TA, coronaropathie, …).
Actuellement des molécules sont disponibles pour
prévenir les complications des anthracyclines
(cardioxane®),
Evaluer les constantes d’élimination de l’agent
anticancéreux (fonction rénale, hépatique, …) de
façon à ne pas majorer une toxicité,
Examiner régulièrement le patient de façon à
dépister très tôt une toxicité neurologique péri-
phérique (hyporéflexie ostéotendineuse ou trouble
de sensibilité profonde et superficielle). En cas de
toxicité débutante et invalidante, l’arrêt de l’agent
anticancéreux doit s’imposer,
Donner des bains de bouche au patient en cas
d’agent anticancéreux toxique pour les muqueuses
digestives.
4. DESCRIPTION DU PROTOCOLE DE CHIMIOTHÉ-
RAPIE
Le protocole de chimiothérapie doit être décrit avec
précision pour que l’infirmière n’ait aucun doute. La
responsabilité du médecin est engagée et non celle
de l’infirmière. Cette prescription ne pourra se faire
qu’avec une certitude histologique (document écrit).
Il faut replacer la prescription de chimiothérapie
dans une stratégie thérapeutique :
S’agit-il d’un traitement palliatif ?
Faudra-t-il y associer une radiothérapie en traite-
ment de clôture ?
Quelles sont les limites de ce protocole (efficaci-
té/toxicité) ?
Il faut décrire les médicaments utilisés et infor-
mer le patient des toxicités éventuelles à prévoir
(la remise d’un carnet explicatif sur sa maladie et
21
Figure 1 : Effets secon -
daires de la chimiothérapie
Les chimiothérapies anti -
cancereuses sont à l’origi -
ne de multiples effets indé -
sirables. Certains sont fré -
quents, comme l’alopécie et
la neutropénie. Certains
sont rares, c’est le cas de la
cardiotoxicité. Les eff e t s
secondaires sont générale -
ment la conséquence des
e ffets cytotoxiques de la
chimiothérapie sur les cel -
lules normales.
Tableau 1 : Evaluation de l’état général en fonction de la classification de karnofsky et de l’échelle oms
Echelle de Echelle
Karnofsky OMS
Normal, pas de plaintes 100 0
Activité normale. Signes ou symptômes mineurs de la maladie. 90 1
Activité normale avec efforts. 80
Capable de se prendre en charge, mais incapable d'avoir une
activité normale ou de travailler.70 2
Nécessite occasionnellement de l'aide, mais capable de subvenir
à la plupart de ses besoins 60
Nécessite aide et soins médicaux fréquents. 50 3
Nécessite soins médicaux et aide importante. 40
Sévèrement limité, grabataire. Indication d'hospitalisation,
quoique la mort ne soit pas imminente. 30 4
Gravement atteint. Hospitalisation nécessaire. Traitement symptomatique
nécessaire. Nécessite soins médicaux et aide importante. 20
22
son traitement est particulièrement apprécié des
patients à l’HEGP)
Il faut rapporter la dose totale pour chaque médi-
cament en fonction de la surface corporelle,
Il faut déterminer le jour et l’ordre de passage des
médicaments (incompatibilité éventuelle),
Il faut définir le mode de dilution en tenant comp-
te des tares du patient (diabète : ex pas de glucosé
5%) et la voie d’administration,
Les thérapeutiques adjuvantes (bains de bouche,
neuro-protecteurs, casque de glace, crème pour
une éventuelle toxicité unguéale)
Définir la dose totale limitante (toxicité cumulati-
ve en mg/m2)
Il faut décrire les cycles de traitements :
• L’intervalle entre les cycles de traitement
Le nombre de cycles programmés
Les règles générales d’adaptation des posologies
Les agents anticancéreux se caractérisent par leurs
propriétés cytotoxiques. Ils provoquent la mort des
cellules engagées dans le cycle cellulaire, par inter-
action avec l’ADN ou avec le fuseau mitotique. Ces
agents anticancéreux sont classés suivant leur méca-
nisme d’action (Tableau 2 a) (Figures 2, 3, 4).
1. LES INTERCALANTS
Ces molécules sintercalent entre 2 paires de bases et
perturbent la structure hélicoïdale de l’ADN, empê-
chant ainsi sa réplication et sa transcription (Figure 5).
a) Les anthracyclines
La Doxorubicine,en est le “chef de file”. Il existe
également lEpirubicine et L’ I d a r u b i c i n e. E n
terme d’efficacité (tableau 2 b), sur 220 patients trai-
tés, le taux de réponse objective est de 21% (9-38%)
et la médiane de survie de 8,2 (5-12,5 mois) [3-9].
En association (tableau 3), si l’on observe une amé-
lioration modérée de l’efficacité, il n’existe pas de
différence de survie [10-12]. Sur le plan de la tolé -
rance, ils sont tous les trois hématotoxiques, alopé-
ciants et émétisants. Il existe un risque local cutané
en cas d’extravasation hors de la veine, et sera donc
utilisée de préférence dans une voie veineuse centra-
le. C’est sa toxicité cardiaque qui est limitante :
toxicité aiguë sous forme de troubles du rythme,
mais surtout toxicité cumulative, conduisant à l’in-
suffisance cardiaque. Ceci impose une évaluation de
la fonction cardiaque avant traitement et une sur-
veillance en cours de chimiothérapie, par échogra-
phie et/ou mesure isotopique de la fraction d’éjection
du ventricule gauche. Le risque d’insuffisance car-
diaque est majeur au-delà d’une dose cumulée de
550 mg/m2qu’il convient de ne pas dépasser pour la
doxorubicine et de 1 000 mg/m2pour la farmorubi-
cine.
b) Les anthracènediones
La Novantrone® (Mitoxantrone) en raison de son
caractère moins cardiotoxique par rapport aux
authracyclines a été étudiée dans les cancers de la
prostate. Sa toxicité est principalement hématolo-
gique. Cette molécule a fait l’objet de plusieurs
phases II [13-17] a eu l’autorisation de mise sur le
marché en janvier 2000 en France et sera plus déve-
loppée par le Pr Stéphane Culine dans le prochain
chapitre. Il existe un bénéfice clinique significatif
sur la douleur à partir de 403 patients par rapport à
un traitement par corticothérapie seule (tableau 4)
[16, 17].
2. LES ALKYLANTS
Les alkylants agissent en formant des ponts chi-
miques entre 2 sites d’un même brin d’ADN ou de 2
brins d’ADN voisins (Figure 6). Ces ponts vont
gêner la réplication de l’ADN. Ils comprennent plu-
sieurs groupes les oxazophorines et les sels de pla-
tines (tableau 5). En terme de taux de réponse, ils
sont peu attractifs et surtout toxiques chez les sujets
âgés [18-20]:
les Oxazophorines qui comprennent l’Endoxan ®
( C y c l o p h o s p h a m i d e ) e t l ’ H o l o x a n ®
(Ifosfamide).Ce sont des médicaments hémato-
toxiques, alopéciants et émétisants. Ils ont de plus
une toxicité particulière, du fait de l’élimination
urinaire d’un métabolite toxique, l’acroléïne, res-
ponsable de cystites hémorragiques. La préven -
tion est possible par l’utilisation de Mesna ®
(Uromitexan), systématique avec l’Holoxan® et
les fortes doses d’Endoxan®. L’Holoxan® a éga-
lement une toxicité neurologique centrale (encé-
phalopathie).
III. PRINCIPAUX AGENTS
ANTICANCÉREUX UTILISÉS DANS
LE CANCER DE LA PROSTATE
23
Tableau 2 a : Classification des agents anticancéreux. Vingt agents anticancéreux représentent plus de 95 % de l’ensemble des pres -
criptions de chimiothérapie. Ils sont répartis en 5 grandes classes.
Figure 2 : Les stades de la mitose.
La mitose (ou division cellulaire) se divise en stades bien définis :
-la prophase (les chromosomes deviennent visibles et le fuseau com -
mence à se former),
-la métaphase (le fuseau est terminé, les chromosomes commencent à
se séparer),
-l’anaphase (la cellule commence à se diviser en deux),
-la télophase (étape finale de la mitose)
Figure 3 : Cibles de l’action des agents anticancéreux / au niveau du
cycle cellulaire.
Le point d’impact sur le cycle cellulaire est important, car des produits
chimiques qui présentent des modes d’action différents peuvent être
associés rationnellement pour accroître les effets antitumoraux.
Figure 4 : Mécanisme d’action des
Anthracyclines et des Anthracèdiones. A :
Intercalation dans l’ADN et stabilisation de
l’enzyme “Topoisome II”
Agents alkylants
Busulfan
Carmustine
Chlorambucil
Cisplatine
Cyclophos-phamide
Fosfamide
Melphalan
Anti-métabolites
Cytosine
Arabinoside
Floxuridine
Fluoro-uracil
Mercaptopuri-ne
Methotrexate
Antibiotiques
Bleomycine
Dactinomyci-ne
Daunorubicine
Doxorubicine
Mitomycine-C
Autres
L-asparaginase
Hydroxyuree
Procarbazine
Intercalants
Anthracyclines
- Adriamycine
- Epirubicine
- Daumorubicine
- Idarubucine
Anthracénediones
- Novantrone®
Inhibiteurs de la mitose
Etoposide
Teniposide
Vinblastine
Vincristine
Vindesine
Taxoides
ADN
ADN
ADN
Blocage de l’ADN et mort cellulaire
Anthracyclines
Intercalies
Intercalation (A)
Anthracyclines (B) Topo II (stabilisation et cassure double brin)
Topo II (permet la relaxation de l’ADN)
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