une partie de leurs réserves de devises à la
BCCI. Aujourd'hui, leurs dépôts ont disparu
dans le gouffre creusé par les responsables de
la banque, avec les fonds d'une cinquantaine
de municipalités britanniques et de plusieurs
centaines de milliers de clients modestes —
dont près de 100 000 pour le seul Royaume-
Uni.
La banque ripou fermée, de Londres à Tokyo,
ses registres livrés aux enquêteurs, ses turpi-
tudes étalées dans la presse : cela ne suffit pas
à décourager les gros bras du réseau noir. Au
contraire. L'inquiétude les pousse aujourd'hui
à passer à l'offensive, avec les mêmes techni-
ques, pour tenter de dissuader les investiga-
teurs et les témoins. «
Nos équipes sont surveil-
lées et filées, nous pensons même que certaines
de nos lignes sont sur écoute »,
dit un enquê-
teur de New York.
Comment expliquer qu'une machinerie cri-
minelle de cette dimension ait pu naître et se
développer, pendant presque vingt ans, instal-
ler 400 succursales dans près de 70 pays, sans
attirer l'attention des principaux services de
police et de renseignement de la planète, en
principe plus vigilants lorsqu'il s'agit de trafic
de drogue, de vente d'armes, de terrorisme, de
transferts massifs de fonds et d'évasion fis-
cale ? La réponse est surprenante mais simple :
certains savaient, depuis plus d'un an, mais ils
n'ont rien dit, parce qu'ils espéraient, comme
les responsables de la Banque d'Angleterre,
que le cheik d'Abou Dhabi, Zayed ben Sultan
el—Nahayan, propriétaire de l'affaire depuis
l'année dernière, boucherait le trou en injec-
tant de l'argent frais et permettrait d'éviter le
krach et le scandale.
D'autres savaient depuis plus longtemps
encore, mais ils ont fermé les yeux et les
oreilles parce que la BCCI leur était utile.
William von Raab, ancien patron du service des
Douanes américain, raconte aujourd'hui qu'en
1988, après avoir identifié 84 personnes liées à
un réseau de blanchiment de narcodollars im-
pliquant une filiale de la BCCI en Floride, il
avait demandé au numéro deux de la CIA,.
Robert Gates — choisi en mai par George Bush
pour diriger l'Agence — de lui fournir des in-
formations sur la banque. «
Tout ce que j'ai
reçu,
dit—il,
c'était du baratin bien écrit. Tout
au long de notre enquête, nous nous sommes
heurtés à un manque d'enthousiasme caracté-
La CIA connaissait
depuis longtemps la vraie
nature ripou de la BCCI
risé du département de la Justice et de celui du
Trésor. »
Pourtant la CIA, c'est-à-dire, en principe,
l'exécutif, connaissait depuis longtemps la
vraie nature ripou de la BCCI. William von
Raab se souvient qu'en octobre 1988, au cours
d'une conversation téléphonique, Robert Gates
lui avait décrit la BCCI comme la «
Bank of
Crooks and Ciiminals International »
(banque
internationale des escrocs et des crimineÉ). A
New York, Robert Morgenthau, le juge du dis-
trict, chargé d'enquêter sur l'achat de la First
American Bankshares, principale banque de
Washington, par un homme de paille de la
BCCI, le Saoudien Ghaith Pharaon, s'est heurté
au même mur de silence. Jusqu'à ces dernières
semaines le procureur général des Etats-Unis
n'avait affecté qu'une poignée d'agents du FBI
à cette enquête. Et celle sur la BCCI elle-même
avait été confiée à un procureur adjoint de
Tampa, déjà chargé d'un autre dossier. Résul-
tat : au bout de seize mois de recherches, le
magistrat n'a encore procédé à aucune incul-
pation. En fait, il a fallu attendre l'explosion
du scandale à Londres pour que le départe-
ment de la Justice désigne dix magistrats
chargés de faire la lumière sur les activités de
la BCCI à Miami, Atlanta, Washington et
Tampa.
Quant au sénateur du Massachusetts John
Kerry, président de la sous—commission sur le
terrorisme, la drogue et les opérations interna-
tionales, il
.
révèle aujourd'hui que le départe-
ment de la Justice a refusé de lui fournir des
documents décisifs et interdit la comparution
d'un témoin clé. Selon Jack Blum, chef des
enquêteurs de la commission Kerry en
1988-1989, « ilny
a aucun doute • il existe une
stratégie concertée, au sein du gouvernement
fédéral pour limiter nos recherches. La seule
question est de savoir si c'est le fruit d'une
corruption à très haut niveau, ou s'il s'agit de
dissimuler des activités illégales du gouverne-
ment».
Une chose est sûre : la CIA a utilisé, depuis
au moins une dizaine d'années, les services de
deux agences londoniennes de la BCCI, celles
de Cromwell Road et d'Edgware Road, pour
payer 500 « honorables correspondants » recru-
tés, en Grande-Bretagne, dans les milieux du
AGHA HASSAN ABEDI
LE FONDATEUR
Fils d'un notable musulman de Lucknow, émi-
gré au Paldstan après la partition de l'Inde, il
a commencé sa carrière de banquier derrière
un guichet de la Habib Bank, à Karachi, avant
de gravir les échelons hiérarchiques, puis de
fonder en 1972, la BCCI, dont il voulait faire la
première banque du tiers-monde, rivale des
grandes institutions internationales. Victime,
en 1988, d'une attaque cardiaque qui l'a laissé
partiellement paralysé, il a abandonné l'année
dernière ses fonctions de président de la BCCI
et vit aujourd'hui à Karachi.
CHEIK ZAYED BEN SULTAN EL
NAHAYAN
LE PROPRIÉTAIRE
Emir d'Abou Dhabi et président de la Fédéra-
tion des Emirats arabes unis. Actionnaire
minoritaire de la BCCI lors de sa création, au
début des années 70, il est devenu le véritable
propriétaire de la banque, avec 70 % des parts,
après avoir investi l'année dernière 1 milliard
de dollars pour tenter d'assainir une trésorerie
qui paraissait déjà très délabrée. .
GHAITH PHARAON:
L'HOMME DE PAILLE
Milliardiaire saoudien. Il fut le « paravent »
utilisé par la BCCI pour acheter deux banques
américaines : la National Bank of Georgia et
l'Independence Bank of Encino (Californie), Il
a bénéficié en vingt ans de 500 millions de
dollars de « prêts » de la, BCCI.
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56 /L'OBS
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