une partie de leurs réserves de devises à la BCCI. Aujourd'hui, leurs dépôts ont disparu dans le gouffre creusé par les responsables de la banque, avec les fonds d'une cinquantaine de municipalités britanniques et de plusieurs centaines de milliers de clients modestes — dont près de 100 000 pour le seul RoyaumeUni. La banque ripou fermée, de Londres à Tokyo, ses registres livrés aux enquêteurs, ses turpitudes étalées dans la presse : cela ne suffit pas à décourager les gros bras du réseau noir. Au contraire. L'inquiétude les pousse aujourd'hui à passer à l'offensive, avec les mêmes techniques, pour tenter de dissuader les investigateurs et les témoins. « Nos équipes sont surveil- lées et filées, nous pensons même que certaines de nos lignes sont sur écoute », dit un enquêteur de New York. Comment expliquer qu'une machinerie criminelle de cette dimension ait pu naître et se développer, pendant presque vingt ans, installer 400 succursales dans près de 70 pays, sans attirer l'attention des principaux services de police et de renseignement de la planète, en principe plus vigilants lorsqu'il s'agit de trafic de drogue, de vente d'armes, de terrorisme, de transferts massifs de fonds et d'évasion fiscale ? La réponse est surprenante mais simple : certains savaient, depuis plus d'un an, mais ils n'ont rien dit, parce qu'ils espéraient, comme les responsables de la Banque d'Angleterre, que le cheik d'Abou Dhabi, Zayed ben Sultan el—Nahayan, propriétaire de l'affaire depuis l'année dernière, boucherait le trou en injectant de l'argent frais et permettrait d'éviter le krach et le scandale. AGHA HASSAN ABEDI •• LE FONDATEUR Fils d'un notable musulman de Lucknow, émigré au Paldstan après la partition de l'Inde, il a commencé sa carrière de banquier derrière un guichet de la Habib Bank, à Karachi, avant de gravir les échelons hiérarchiques, puis de fonder en 1972, la BCCI, dont il voulait faire la première banque du tiers-monde, rivale des grandes institutions internationales. Victime, en 1988, d'une attaque cardiaque qui l'a laissé partiellement paralysé, il a abandonné l'année dernière ses fonctions de président de la BCCI et vit aujourd'hui à Karachi. 56 /L'OBS ÈCONOMIC - D'autres savaient depuis plus longtemps encore, mais ils ont fermé les yeux et les oreilles parce que la BCCI leur était utile. William von Raab, ancien patron du service des Douanes américain, raconte aujourd'hui qu'en 1988, après avoir identifié 84 personnes liées à un réseau de blanchiment de narcodollars impliquant une filiale de la BCCI en Floride, il avait demandé au numéro deux de la CIA,. Robert Gates — choisi en mai par George Bush pour diriger l'Agence — de lui fournir des informations sur la banque. « Tout ce que j'ai reçu, dit—il, c'était du baratin bien écrit. Tout au long de notre enquête, nous nous sommes heurtés à un manque d'enthousiasme caracté- La CIA connaissait depuis longtemps la vraie nature ripou de la BCCI risé du département de la Justice et de celui du Trésor. » Pourtant la CIA, c'est-à-dire, en principe, l'exécutif, connaissait depuis longtemps la vraie nature ripou de la BCCI. William von Raab se souvient qu'en octobre 1988, au cours d'une conversation téléphonique, Robert Gates lui avait décrit la BCCI comme la « Bank of Crooks and Ciiminals International » (banque internationale des escrocs et des crimineÉ). A New York, Robert Morgenthau, le juge du district, chargé d'enquêter sur l'achat de la First American Bankshares, principale banque de CHEIK ZAYED BEN SULTAN EL NAHAYAN LE PROPRIÉTAIRE Emir d'Abou Dhabi et président de la Fédération des Emirats arabes unis. Actionnaire minoritaire de la BCCI lors de sa création, au début des années 70, il est devenu le véritable propriétaire de la banque, avec 70 % des parts, après avoir investi l'année dernière 1 milliard de dollars pour tenter d'assainir une trésorerie qui paraissait déjà très délabrée. . Washington, par un homme de paille de la BCCI, le Saoudien Ghaith Pharaon, s'est heurté au même mur de silence. Jusqu'à ces dernières semaines le procureur général des Etats-Unis n'avait affecté qu'une poignée d'agents du FBI à cette enquête. Et celle sur la BCCI elle-même avait été confiée à un procureur adjoint de Tampa, déjà chargé d'un autre dossier. Résultat : au bout de seize mois de recherches, le magistrat n'a encore procédé à aucune inculpation. En fait, il a fallu attendre l'explosion du scandale à Londres pour que le département de la Justice désigne dix magistrats chargés de faire la lumière sur les activités de la BCCI à Miami, Atlanta, Washington et Tampa. Quant au sénateur du Massachusetts John Kerry, président de la sous—commission sur le terrorisme, la drogue et les opérations internationales, il révèle aujourd'hui que le département de la Justice a refusé de lui fournir des documents décisifs et interdit la comparution d'un témoin clé. Selon Jack Blum, chef des enquêteurs de la commission Kerry en 1988-1989, « ilny a aucun doute • il existe une . stratégie concertée, au sein du gouvernement fédéral pour limiter nos recherches. La seule question est de savoir si c'est le fruit d'une corruption à très haut niveau, ou s'il s'agit de dissimuler des activités illégales du gouvernement». Une chose est sûre : la CIA a utilisé, depuis au moins une dizaine d'années, les services de deux agences londoniennes de la BCCI, celles de Cromwell Road et d'Edgware Road, pour payer 500 « honorables correspondants » recrutés, en Grande-Bretagne, dans les milieux du GHAITH PHARAON: L'HOMME DE PAILLE Milliardiaire saoudien. Il fut le « paravent » utilisé par la BCCI pour acheter deux banques américaines : la National Bank of Georgia et l'Independence Bank of Encino (Californie), Il a bénéficié en vingt ans de 500 millions de dollars de « prêts » de la, BCCI.