La culture hors-sol de l’Anthurium en Nouvelle-Calédonie
Gildas GATEBLÉ *
Patrick DALY **
Jacqueline OUNÉMOA ***
Situation actuelle
L’horticulture ornementale néo-calédonienne est actuellement en pleine mutation dans le secteur
des fleurs coupées. Très peu développée il y a quelques années, elle connaît actuellement un essor
important à en juger par l’installation de nouveaux producteurs et la création d’une unité
d’expérimentation à la Station de Recherche Maraîchère et Horticole (S.R.M.H.) dépendante de
l’Institut Agronomique néo-Calédonien (I.A.C.).
Cependant, la balance commerciale de la filière fleurs coupées est toujours largement déficitaire
surtout en ce qui concerne les fleurs coupées d’origine tempérée (rose, muflier, chrysanthème…).
Par ailleurs, la production de fleurs coupées tropicales (Anthurium, Heliconia, Alpinia…) est très
faible.
Ceci s’explique en partie, par un manque de références locales permettant d’assurer une production
de qualité en quantité suffisante et régulière. De plus, de part sa position géographique centrale dans
le Pacifique, la Nouvelle-Calédonie serait en mesure d’approvisionner ses voisins en fleurs
tropicales, notamment le gros consommateur qu’est le Japon.
C’est dans cet esprit que la S.R.M.H. a lancé un essai variétal sur des Anthurium hybrides
néerlandais en août 1999.
Adapter un système de culture
La mise en place d’un dispositif expérimental hors-sol était nécessaire pour initier une démarche à
trois niveaux ; qualité, quantité et régularité.
La technique du hors-sol simple (figure 1) a donc été retenue dans un premier temps pour démontrer
son efficacité et sa relative simplicité.
La culture est surélevée (parpaings + fer à béton) par rapport au sol et isolée (scories + bâche) de
celui-ci afin d’éviter les contaminations par les agents pathogènes telluriques (maladies fongiques,
nématodes, bactéries…) et de favoriser l’aération et le drainage.
L’abri utilisé ici est composé d’une structure simple comportant un cadre métallique sur lequel est
tendu une toile à ombrer de 72%. Un abri de ce type représente un bon compromis technique et
financier entre une structure coûteuse modulable en fonction de l’intensité lumineuse, des
précipitations et de la température et un système traditionnel sous ombrage naturel.
Toujours dans un souci de répondre aux contraintes économiques des horticulteurs, le choix du
substrat s’est porté sur un mélange simple composé de produits disponibles en grande quantité et de
faible coût. Ainsi, le substrat retenu présente 2 volumes de fibre de coco pour 3 de gravier 6/10ème
chimiquement inerte.
La ferti-irrigation est apportée au goutte à goutte tandis qu’un arrosage d’appoint par aspersion
(bassinage) est prévu si l’hygrométrie relative chute anormalement (forte chaleur combinée au vent
des Alizés).
La composition de la solution nutritive est calculée en fonction des besoins réels de l’Anthurium et
de l’analyse chimique de l’eau d’arrosage. La solution fille ainsi distribuée par les doseurs
proportionnels présente un pH d’environ 6 et une conductivité voisine de 1.1 mS.
Observer le comportement des plantes et définir une méthode de production
L’itinéraire technique développé lors de cet essai est voisin de ceux adoptés par la majorité des
producteurs d’Anthurium pour la fleur coupée dans le monde.
Optimiser le rendement
Une notion importante à prendre en compte est l’équilibre entre la masse foliaire et le nombre de
fleurs. En effet, de cette proportionnalité découle la quantité et la qualité des fleurs produites ; une
masse foliaire trop importante « conforte » l’Anthurium dans son développement végétatif, au
détriment de sa floraison. Inversement, un faible nombre de feuilles freine le bon développement
des fleurs initiées.
Pour mettre en évidence cet équilibre, nous avons établi ce ratio : nombre de fleurs en formation /
nombre de feuilles formées
Durant la première partie de l’expérimentation, nous avons déterminé qu’un ratio moyen compris
entre 0.2 et 0.3 était optimum. En pratique, cela signifie qu’il faut de 3 à 5 fois plus de feuilles que
de fleurs en formation, selon les variétés. En dehors de cette fourchette, le rendement se trouve
significativement altéré.
Le maintien de ce rapport se fait d’une part, par la cueillette des fleurs et d’autre part, par un
effeuillage mensuel.
Réguler la production
Située dans la zone intertropicale de l’hémisphère sud, la Nouvelle-Calédonie est soumise à deux
saisons majeures :
-Une saison chaude et humide allant de novembre à mars très favorable à la production de fleurs
tropicales.
-Une saison plus fraîche et plus sèche plus favorable à la production de fleurs d’origine tempérée.
Cette saisonnalité entraîne une nette variation du rendement au cours de l’année. La figure 2 illustre
bien la fluctuation du nombre de fleurs produites en fonction de la température moyenne et du
rayonnement global. En effet, chez l’Anthurium les deux principaux facteurs limitant l’initiation
florale sont la température et la lumière.
Bien que cette fluctuation ne puisse être complètement gommée, il est cependant possible
d’améliorer la régulation de la production. Par exemple, en choisissant des cultivars moins sensibles
aux abaissements de température et de lumière, en adoptant une solution nutritive différente en
saison fraîche…
Améliorer la qualité
A l’heure actuelle, le problème majeur de la production horticole néo-calédonienne est la qualité.
L’instauration d’une normalisation des produits horticoles est donc nécessaire afin de faciliter et de
valoriser leur commercialisation. Elle sera également primordiale pour envisager une démarche
export vers des marchés comme le Japon, très exigeants du point de vue de la qualité.
En cela, l’utilisation combinée des nouveaux hybrides et de la technique hors-sol permet déjà un net
progrès. Les principaux critères de qualité améliorés par ces changements sont ceux du pédoncule
(longueur et rigidité) et du spathe (grosseur et forme).
L’utilisation d’une structure d’ombrage simple présente quant à elle ses limites ; la qualité des
fleurs à couper s’en ressent (taches, salissures…)
Un ombrage à 72%, normalement satisfaisant, peut se révéler insuffisant pour certaines variétés en
période de forte intensité lumineuse, se traduisant par une décoloration voire une brûlure du spathe.
D’autre part, le manque d’effet brise-vent de la toile à ombrer entraîne des frottements entre les
feuilles et les fleurs provoquant des taches brunes sur les cultivars à couleurs claires.
La détermination d’un stade de récolte optimal suivant la variété et la saison va quant à lui
conditionner la tenue en vase et par conséquent la qualité post-récolte.
Identifier les problèmes phytosanitaires et y remédier
En milieu tropical, la pression parasitaire est très forte et il faut rester vigilant afin de juguler les
problèmes dès leur apparition.
Cependant, l’isolement géographique de l’île et le contrôle phytosanitaire strict à ses frontières ont
pour l’instant permis de la tenir à l’écart d’un certain nombre de maladies horticoles.
Les maladies cryptogamiques
L’Anthurium, lorsqu’il est cultivé en conditions saines (culture hors sol sur substrat inerte) pose
peu de problèmes de contrôle des maladies fongiques.
Ainsi, seulement quelques plants ont présenté une très légère attaque de Phyllostica colocasiophylla
dont les symptômes sont l’apparition de taches concentriques grises diffuses sur la feuille.
En revanche, le Fusarium oxysporum qui se manifeste par une pourriture des racines et du collet des
plantes a posé plus de problèmes. Deux traitements successifs au Benlate et une amélioration des
conditions météorologiques ont vite endigué cette maladie vasculaire. Une fois de plus, la pratique
de la culture hors sol limitera énormément l’apparition de ce champignon du sol.
Les ravageurs
Les ravageurs ont occasionné plus de dégâts.
A commencer par les chenilles qui dévorent les feuilles et parfois même les fleurs.
Deux espèces (Spodoptera litura et Plutella xylostella) ont plus particulièrement occasionné des
dégâts. Ce type de ravageur est cependant facilement maîtrisable.
Des traitements avec des insecticides chimiques [(Lannate (méthomyl), Décis (deltaméthrine),
Baytroïd (cyfluthrine)] et biologiques (Bactospéine) parviennent à limiter leur action. La
contamination s'effectuant par les cultures et les mauvaises herbes environnantes, une bonne
prophylaxie (nettoyage et désherbage des alentours, traitements des cultures avoisinantes
infectées…) est donc importante.
Un essai de piégeage de Heliothis armigera à l’aide de phéromones a démontré que ce ravageur ne
s'est pas présenté sur la culture
Les acariens et les thrips ont aussi affecté la culture mais dans de moindres proportions que les
chenilles. Au cours de l’année, seulement deux traitements acaricides [(Péropal (azocyclotin) et
Vertimec (abamectin)] ont permis d’endiguer la prolifération des acariens.
Les bactérioses
Au bout d’un an et demi de culture un nouveau symptôme est apparu sur un cultivar. Il se traduit
par un jaunissement global des feuilles et l’apparition de taches huileuses à la face inférieure qui
évoluent en taches brunes. La détermination de laboratoire n’a révélé que la présence d’une souche
bactérienne non pathogène
Le virus de la mosaïque du taro (DsMV)
Courant janvier 2000, un nouveau type de symptôme, malformation des nouvelles feuilles se frisant
ou bien restant très étroites, s'est manifesté sur trois cultivars à faible croissance ('Magic Red',
'Tequila' et 'Passion').
La cause de ces déformations a été étudiée en Nouvelle-Zélande et les trois cultivars ont réagi
positivement au test du virus de la mosaïque du taro (Dasheen Mosaïc Virus ou DsMV).
Voici quelques exemples d’extériorisation possible du virus :
Feuille en forme de cuillère
chez ‘Magic Red’
Fleur double chez ‘Tequila’ Feuille frisée chez ‘Tequila’
L’origine de l’infestation est encore inconnue. Ce virus était déjà présent en Nouvelle-Calédonie en
particulier sur Colocasia esculenta (plante connue sous le nom vernaculaire de taro et faisant l’objet
d’une culture vivrière importante en Nouvelle-calédonie) et Dieffenbachia picta entre autres
Aracées.
La contamination a pu se faire par l’intermédiaire de pucerons vecteurs de ce virus à partir de
plants virosés de taro ou de Dieffenbachia. La transmission sur le mode non persistant peut
expliquer la dissémination par de rares pucerons non détectés sur la culture.
La transmission par les outils de taille paraît difficilement admissible car une désinfection de tous
les instruments de taille ou de cueillette a été pratiquée dès le début de la culture, entre chaque
variété.
Un test ELISA a été pratiqué sur l’ensemble des variétés en culture à la S.R.M.H. plus des variétés
prélevées chez des horticulteurs. Les résultats de ce test ont été négatifs mais cela n’exclut pas la
présence de ce virus difficilement détectable. Il faudra des analyses complémentaires pour
déterminer l’origine de cette virose.
Autres problèmes
D’autres problèmes sont également apparus :
*Un cas de chimère sur le cultivar ‘Amigo’
*Des problèmes d’origine diverse non encore identifiés (mycoplasme, virus, variant génétique,
maladie physiologique…) ?
Spadice sans spathe
chez ‘Amigo’
Déformation du spathe
chez ‘Arizona’
Apparition du spadice sur
le pédoncule chez ‘Amigo’
Conclusion
Les résultats obtenus durant la première partie de cet essai ainsi que l’engouement populaire suscité
par celui-ci laissent présager un essor important et rapide de la production d’Anthurium en
Nouvelle-Calédonie. Il faudra cependant maîtriser les coûts de production car l’approvisionnement
en matières premières et la main d’œuvre constituent l’essentiel du prix de revient. Côté sanitaire, il
va être nécessaire d’identifier clairement les problèmes au plus tôt afin de définir une stratégie
globale de lutte.
De manière plus générale, l’Anthurium peut dynamiser le secteur horticole néo-calédonien dans
son ensemble, et ainsi de marquer la naissance d’une filière horticole organisée.
* responsable de l’opération horticulture ornementale à l’I.A.C.
** chef du programme cultures maraîchères et horticoles C.I.R.A.D./I.A.C.
*** ouvrière professionnelle I.A.C.
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