L’habit fait le moine, la loque le mendiant
En changeant de vêtements, j'étais passé sans transition d'un monde dans un autre. Tous les
comportements étaient soudain bouleversés. J'aidai ainsi un marchand ambulant à relever sa
baladeuse renversée. « Merci, mon pote! », me dit-il avec un grand sourire. Jusqu'ici, personne ne
m'avait jamais appelé mon pote : c'était un effet direct de ma métamorphose vestimentaire. Je
découvris aussi à quel point l'attitude des femmes varie selon ce qu'on a sur le dos. Croisant un
homme mal habillé, une femme réagit par une sorte de frisson traduisant une répulsion
comparable à celle que pourrait lui inspirer la vue d'un chat crevé. Tel est le pouvoir du vêtement.
Habillé en clochard, il est très difficile, tout au moins au début, de ne pas éprouver le sentiment
d'une déchéance. C'est le même genre de honte, irrationnelle mais très réelle, qui vous prend, je
suppose, quand vous passez votre première nuit en prison.
George Orwell (1903-1950)
Dans la dèche à Paris et à Londres
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Le plus bel objet de consommation : le corps
Dans la panoplie de la consommation, il est un objet plus beau, plus précieux, plus éclatant que
tous [...] c'est le corps. Sa « redécouverte », après une ère millénaire de puritanisme, sous le signe
de la libération physique et sexuelle, sa toute-prèsence [...] dans la publicité, la mode, la culture de
masse - le culte hygiénique, diététique, thérapeutique dont on l'entoure, l'obsession de jeunesse,
d'élégance, de virilité/féminité, les soins, les régimes, les pratiques sacrificielles qui s'y rattachent,
le Mythe du Plaisir qui l'enveloppe - tout témoigne aujourd'hui que le corps est devenu objet de
salut. Il s'est littéralement substitué à l'âme dans cette fonction morale et idéologique.
Jean Baudrillard
La Société de consommation
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Au nom du poids : nouveaux évangiles, nouvelle liturgie
Nos étagères croulent sous l’avalanche d’ouvrages sur l’alimentation et ses désordres, sur le corps
et ses multiples destins.
Nos télécommandes zappent frénétiquement d’une émission aux autres, toutes consacrées aux
aléas de la beauté et de l’esthétique, aux mises en scène par les cuisiniers les plus prestigieux des
tentations sucrées-salées, tandis que reviennent en boucle publicitaire obsessionnelle les
silhouettes fluides des mannequins sylphides qui nous susurrent que : « elles le valent bien ! » ou
que : « elles le veulent bien ». On ne sait pas très bien de « valoir » ou de « vouloir », ce que
délivre le message.
Si c’est de « valoir » qu’il s’agit, de quel mérite s’agit-il ? Quels sont ces codes de valeur qui ne
sauraient s’affirmer qu’à travers un objet-corps modelé et aseptisé.
Si c’est de « vouloir » qu’il s’agit, d’où vient cette apologie du contrôle et de la maîtrise qui
seraient seuls capables de nous assurer l’accès à la société des élus, cette nouvelle « jet-set »
répandue dans toutes les classes sociales : la société des conformes à l’esthétisme en vogue.
Pas de place apparemment pour l’obèse dans cette société des minces, si ce n’est qu’il pointe et
s’impose de plus en plus dans les sondages épidémiologiques…
Pas de place apparemment pour l’obèse sinon celle de faire-valoir, de rejet, de bouc émissaire.
Mais l’évidence s’impose aussitôt : cette place de rebut remplit également, et peut-être avant
tout, une fonction sociale : celle du miroir… sans tain ! Derrière le miroir qui réfléchit et
Association Aldéran - 29, rue de la Digue, 31300 Toulouse
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