14 le Bulletin scientique de l’arapi - numéro 14 - 2004-2
dossier langage et communication
1. Illustration
chez la personne atteinte
du Syndrome d’Asperger
Les troubles du langage verbal et non-verbal dans
leur dimension pragmatique constituent un symp-
tôme central de l’autisme. Le versant pragmatique
concerne les aspects sociaux du langage. Il s’agit de la
capacité du sujet à adapter son discours à la situation,
à son interlocuteur, aux connaissances de son interlo-
cuteur sur le sujet du
discours (cf. actes de
langage dénis par
Austin, 1970 puis
par Searle, 1972, cf.
Bernicot, 1992, de
Weck, 1996, 2003).
Elle demande une
acquisition au même
titre que les autres
dimensions linguisti-
ques, et cela débute
dès les premiers mois,
sans qu’il n’existe
apparemment aucun
enseignement consciemment appliqué par l’entourage.
Il est sufsant de participer de l’intérieur à un certain
nombre d’interactions sociales naturelles.
Les personnes atteintes du Syndrome d’Asperger2 ne pré-
sentent pas de retard d’apparition du langage. Le langage
se développe dans les normes, voire même précocement.
Cependant, ce critère ne doit pas, semble-t-il, être consi-
Les troubles
sémantiques-pragmatiques du langage
Nathalie Courtois1
1 orthophoniste Centre Ressources Autisme, CAMSP, CHU Tours.
2 Selon la classication américaine (DSM-IV), il existe 5 catégories de troubles envahissants du développement : - Trouble autis-
tique, - Syndrome de Rett, - Trouble désintégratif de l’enfance, - Syndrome d’Asperger, -Trouble envahissant du développement
non spécié. Les caractéristiques essentielles du Syndrome d’Asperger sont une altération sévère et prolongée de l’interaction
sociale et le développement de modes de comportements, d’activités et d’intérêts restreints, répétitifs et stéréotypés. La pertur-
bation doit entraîner une altération cliniquement signicative dans le fonctionnement social, professionnel, ou d’autres domaines
importants. A la différence du trouble autistique, il n’existe pas de retard signicatif du langage. De plus, au cours de l’enfance,
il n’y a pas eu de retard signicatif sur le plan clinique dans le développement cognitif, ni dans le développement, en fonction de
l’âge, des capacités d’autonomie, du comportement adaptatif (sauf dans le domaine de l’interaction sociale) et de la curiosité pour
l’environnement.
déré en clinique comme exclusif car certaines situations
(enfant adopté, gémellité,…) peuvent impliquer un retard
d’apparition du langage. Un développement rapide et
facile du langage formel (phonologie, syntaxe, vocabu-
laire) doit être retenu, contrastant avec le développement
des habiletés motrices ou grapho-motrices particulière-
ment perturbées. Malgré l’absence de difcultés langa-
gières formelles, ces personnes conservent des difcultés
sévères pour communiquer. Elles ont des difcultés pour
initier ou maintenir une conversation. Elles utilisent le
langage dans un but concret mais pas dans un but social.
Ces personnes autistes, même de haut niveau, sont très
maladroites pour entretenir une conversation. Baltaxe et
coll. (1977, 1995) ont montré qu’elles avaient du mal à
gérer les tours de rôles : soit elles les monopolisent avec
leur thème favori (chevauchements de parole, interrup-
tions répétées), soit elles ne prennent jamais la parole.
Elles peuvent aborder un inconnu en le questionnant
sur l’installation de sa salle de bains, suivi d’un mono-
logue démontrant des connaissances encyclopédiques
sur l’outillage des sanitaires. Elle veulent prouver leurs
connaissances et leur aisance verbale et en apprendre da-
vantage sur leur sujet favori (dinosaures, outillages, as-
tronomie, géologie, résultats sportifs, météo, véhicules,
trajets de transports en commun …) (Attwood, 2003).
Elles ne repèrent pas les tournants de la conversation et
ne peuvent les respecter. Elles peuvent également faire
des commentaires incongrus, sans lien avec les propos
échangés et/ou avec la situation d’interlocution (associa-
tions d’idées, bribes de conversations antérieures). Elles
tolèrent mal les abstractions et le manque de précision de
leur interlocuteur ( ex : « il ne s’agit pas d’un lm mais
d’une série télévisée »). La conversation peut être possi-
ble mais fréquemment naïve, limitée, répétitive avec peu
…nous introduisons toutes
sortes de jugements dans
nos énoncés et nous révélons
ou dissimulons toutes sortes
d’états mentaux. De plus,
lorsque nous conversons, nous
prêtons constamment
attention à des aspects des
énoncés qui n’ont rien à voir
avec leur contenu mais plutôt
avec l’intention du locuteur.
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de contenu émotionnel. Elles n’évaluent pas bien non
plus le subtil équilibre entre les informations anciennes
et les informations nouvelles à donner en fonction des
connaissances de leur interlocuteur. Elles sont souvent
confuses dans l’utilisation du tutoiement ou du vouvoie-
ment car elles négligent les rôles sociaux de leurs inter-
locuteurs. Elles n’ont pas accès aux contenus implicites
de nos conversations (pré-supposés, sous-entendus…).
En effet, comme le rappelle Frith (1989), nous introdui-
sons toutes sortes de jugements dans nos énoncés et nous
révélons ou dissimulons toutes sortes d’états mentaux.
De plus, lorsque nous conversons, nous prêtons constam-
ment attention à des aspects des énoncés qui n’ont rien
à voir avec leur contenu mais plutôt avec l’intention du
locuteur. C’est cette communication authentique et inten-
tionnelle qui est déciente chez la personne autiste. Les
implicites ou pré-supposés sont souvent véhiculés par
l’intonation et/ou la communication non-verbale du lo-
cuteur (gestes, mimiques ou expressions faciales, regard,
posture, distance interpersonnelle).
Pour pouvoir mettre en évidence ces troubles pragma-
tiques, il s’agit de prêter attention aux aspects conver-
sationnels du langage : tours de paroles, alternance,
relation de dépendance sémantique, non-chevauchement
de la parole qui contribuent à l’établissement de la cohé-
rence du discours co-construit par les 2 interlocuteurs.
Il s’agit aussi d’évaluer les initiations de tours de parole
(introduction de nouveaux thèmes) sans qu’elles pren-
nent la forme de questions à propos d’informations dont
la personne dispose déjà. Essaie-t-elle de « réparer les
pannes conversationnelles », causées généralement par
des chevauchements d’au moins 2 tours de parole ou
par mauvaise compréhension de l’interlocuteur. Est-ce
qu’elle peut formuler une demande de clarication (« tu
peux répéter, je n’ai pas compris, parle plus fort, com-
ment ?… ») ou répondre aux demandes de clarication
de son interlocuteur.
Comme le rappellent de Weck et Rosat (2003), l’enjeu
du couple question/réponse a un fort degré de contrainte
conversationnelle. La question implique toujours une
réponse, et la réponse doit au moins reéter le fait que
l’interlocuteur a saisi qu’on lui avait posé une question
même s’il ne désire pas y répondre. De plus, pour être
compris de son interlocuteur lors de récits d’expériences
personnelles, l’ancrage énonciatif doit se caractériser
par une prise de distance spatio-temporelle. On parle du
« ailleurs, à un autre moment » et non du « ici et mainte-
nant ». Le locuteur doit avoir un usage « non déictique »3
des unités linguistiques et expliquer à son interlocuteur
qui ne connaît pas en principe les événements racontés.
Il peut utiliser des pronoms, des possessifs, des démons-
tratifs mais en ayant pris soin de « présenter » antérieure-
ment leur référent.
1.1 La communication non-verbale
Attwood (2004) observe que, si en temps normal le visa-
ge de l’enfant avec Asperger a son expression habituelle,
il devient presque inexpressif quand il joue ou quand il
suit une conversation. Il ne montre pas la variété et l’in-
tensité habituelle des expressions auxquelles on s’attend.
Les expressions faciales sont réduites ou exagérées, peu
dirigées vers l’interlocuteur ou peu appropriées au con-
texte socio-communicatif (les signaux kinétiques comme
l’acquiescement sont rares). Le contact oculaire peut
être rare, fugitif, parasité par des regards périphériques.
L’enfant avec Asperger échoue souvent pour utiliser le
contact visuel qui ponctue notamment les parties im-
portantes de la con-
versation (ex : pour
débuter une phrase,
pour répondre à un
compliment ou à l’in-
térêt qu’on lui porte,
ou également pour
signier la n de son
discours). Il n’éta-
blira pas non plus le
contact visuel pour
demander des éclair-
cissements. D’autres
auteurs, notamment,
Baron-Cohen (1995),
observe que le con-
tact est plus fuyant
quand leur interlocuteur parle. Ces personnes utilisent
peu de gestes expressifs qui expriment des sentiments et
renseignent sur les états mentaux (gestes amicaux, bien-
veillants ou menaçants exprimant la colère, la frustration,
l’embarras, la consolation ou la erté). Elles ne savent
pas exprimer leurs émotions par le langage du corps.
Elles échouent également pour reconnaître les change-
ments d’expression non-verbale de leur interlocuteur,
pour les interpréter et donc s’y adapter.
1.2 La prosodie4
Dans une conversation, le ton, le rythme et le volume
de la voix changent pour souligner les mots importants
ou traduire l’émotion qui s’y rattache. Les enfants avec
Asperger présentent des difcultés à traiter et à utiliser
les caractéristiques prosodiques du langage. Ils peinent
à saisir les changements de ton, d’inexion ou d’ac-
centuation de la voix mis par leur interlo-
cuteur sur certains mots. Or, ces indices
sont importants pour appréhender les
différentes signications d’une même
phrase (Matthews, 1990).
dossier langage et communication
Ces personnes utilisent
peu de gestes expressifs qui
expriment des sentiments
et renseignent sur les états
mentaux (gestes amicaux,
bienveillants ou menaçants
exprimant la colère,
la frustration, l’embarras,
la consolation ou la erté).
Elles ne savent pas
exprimer leurs émotions
par le langage du corps.
3 La déixis, mot emprunté au grec ancien, où il signie l’action de montrer. C est l’une des façons de conférer son référent
à une séquence linguistique, notamment par le fonctionnement des démonstratifs. Cf. Anaphore et embrayage.
4 Pour rappel, le développement normal de l’intonation débute entre 12 et 18 mois (ordre – déclaration question) et se
poursuit après 4 ans, avec la mise en place des diverses modalités discursives.
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Les descriptions des troubles prosodiques chez des sujets
Asperger sont semblables aux patterns d’intonation et à
la qualité de la voix décrits chez les sujets autistes ver-
baux. On retrouve des troubles de :
La hauteur de la voix (variations subites d’une voix
grave à une voix aiguë / tonalités atypiques et niveaux
de fréquences fondamentales élevées).
L’intensité (un chuchotement se transforme en cri /
excès ou défaut du volume de la voix).
La voix (comme enrouée ou hypernasale).
La uidité, du débit (trop rapide ou trop lent) et de l’em-
phase mise sur un mot.
L’intonation : une élocution monotone pourrait relever
de difcultés dans l’expression des émotions (Lord et
Rutter, 1994) ou discordante avec la situation d’inter-
locution. D’autres ont une façon de parler plus chan-
tante et plus mélodieuse (Fay et Schuler, 1980) mais
dépourvue d’émotion et d’intention communicative.
Ils présentent rarement l’accent régional de leur lieu
d’habitation.
1.3 La compréhension verbale
On décrit également chez les personnes autistes avec
Asperger une compréhension littérale des messages avec
une difculté d’accès à l’humour, au langage métaphori-
que (expressions courantes, gures de style, expressions
idiomatiques…). Le sens des mots ne change pas, même
dans un contexte ironique ou imagé. Pour comprendre
l’humour, on utilise ses acquis cognitifs et socio-culturels
pour opérer ensuite un recodage mental. Il faut ensuite se
détacher des indices concrets de leur signication isolée
pour les mettre en relation an de concevoir la situation
suggérée et accepter
ce nouveau recodage
comme fantaisiste.
On peut comprendre
l’humour mais ne
pas l’apprécier. Les
personnes autistes
comprennent et ap-
précient difcilement
l’humour sauf lors-
qu’on a pu leur en
expliciter les règles.
Apprécier l’humour,
c’est aussi reconnaî-
tre sa fonction sociale
(Le Rezio, 2003).
Elles essaient alors
d’en dégager des règles et de générer sur ce principe de
nouvelles plaisanteries sans prêter attention aux ressentis
de leur interlocuteur et du moment choisi. Les personnes
autistes même dites de haut niveau témoignent dans leurs
écrits autobiographiques de leur difculté à comprendre
les phrases longues, complexes ou inhabituelles, (D.
Williams, 1992, T. Grandin, 1997, etc.). Elles béné-
cient pleinement d’une séquentialisation des consignes
verbales.
1.4 Les particularités
langagières formelles
Cette petite proportion de personnes autistes développent
un langage expressif apparemment correct. L’acquisition
de la phonologie et de la syntaxe paraissent semblables
à celles des autres enfants sans retard signicatif, voire
même parfois avec une certaine précocité. Mais on peut
se demander si ces personnes ne présentent pas des
altérations subtiles dans l’acquisition de constructions
syntaxiques plus complexes ou des problèmes morpho-
syntaxiques ns notamment dans leur fonction discursive
(choix de connecteurs de phrases, embrayeurs…) (Tager-
Flusberg, 1999).
Les aspects sémantico-pragmatiques du langage sont,
nous l’avons vu ci-dessus, particulièrement touchés
mais les aspects formels sont également bien singuliers.
Leur langage est fréquemment adultomorphe et hyper-
conformiste tant au niveau du lexique que des tournures
syntaxiques. Le choix des phrases et du style est appris
des adultes qui peuvent avoir une inuence plus impor-
tante que les autres enfants sur le développement du
style de langage (Attwood, 2003). Les formulations sont
pédantes, empruntant un vocabulaire technique alors que
le vocabulaire des états mentaux ou émotionnels et les
expressions enfantines ou adolescentes leur font défaut.
On peut relever des bizarreries de langage tant au niveau
du contenu que de la forme (ex : « Je reprendrai bien un
peu d’Alexandre Le Grand ! »5, pour demander de la ma-
cédoine, ou des cheveux «virageux» pour des cheveux
bouclés, ou encore de la «moussone» pour nommer le
bruit du crépitement du sucre au contact du chocolat au
lait).
2. Autres troubles
sémantiques-pragmatiques
2.1 La dysphasie
sémantico-pragmatique
ou trouble sémantique-pragmatique
Il s’agit d’un cas particulier de dysphasies6 (Rapin,
1996 ; Rapin et Allen, 1983, 1988 ; de Weck, 1996,
2003 ; Montfort 2001, 2005 ; Gérard et Brun, 2003) puis-
que l’enfant présente un retard moindre d’apparition du
langage et une forme externe de ses énoncés relativement
préservée. Il peut prononcer correctement et être capable
dossier langage et communication
On décrit également chez
les personnes autistes avec
Asperger une compréhension
littérale des messages avec une
difculté d’accès à l’humour,
au langage métaphorique
(expressions courantes,
gures de style, expressions
idiomatiques…). Le sens des
mots ne change pas, même
dans un contexte ironique ou
imagé.
5 Pour rappel, Alexandre le Grand (356-323 av. J.C.), roi de Macédoine.
6 Il s’agit de troubles plus importants que le retard de langage, se caractérisant par un retard dans les acquisitions langagières mais
également par des déviances, qui sont par ailleurs durables.
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d’imiter des phrases complètes qu’il entend autour de
lui. Par contre, il a de sévères difcultés de communi-
cation. Sa communication verbale manque énormément
d’adéquation pragmatique : il respecte très peu le tour de
parole, ne tient pas compte du contexte, applique littéra-
lement le sens des mots et des expressions, ne maintient
pas le l de la conversation, n’apporte qu’un langage très
peu informatif malgré son abondance. Il peut présenter
un jargon, de l’écholalie et des persévérations.
Ce trouble soulève actuellement beaucoup de discus-
sions. Certains auteurs se demandent s’il est possible
de présenter ces troubles du langage sans présenter en
même temps des troubles du comportement relationnel.
Ce tableau est parfois difcilement distinct des difcul-
tés pragmatiques d’enfants ayant des troubles autistiques
dits de haut niveau. C’est pourquoi ce diagnostic est
rarement porté.
Traditionnellement, dans les troubles envahissants du
développement, le continuum pathologique est déni
par une seule dimension : celle des relations sociales, qui
constitue le noyau des troubles autistiques et permet alors
de dénir des degrés divers d’autisme. Mais Bishop,
1989 estime que cela n’est sufsant. Elle propose d’ajou-
ter une deuxième dimension : celle de la communication
verbale constituée des capacités à traiter le sens et à uti-
liser le langage. En tenant compte de ces 2 dimensions,
elle parvient à distinguer les enfants autistes des enfants
présentant des troubles pragmatiques, les capacités des
premiers étant perturbées sur les deux dimensions et cel-
les des seconds uniquement dans le domaine de la com-
munication verbale. Quant au syndrome d’Asperger, il se
caractériserait par des troubles des relations sociales et
des troubles de la communication verbale moins pronon-
cés. C’est ainsi que Bishop suggère de réserver l’expres-
sion trouble sémantique-pragmatique spécique pour les
enfants non autistes, ayant un retard dans l’apparition
du langage et des difcultés de compréhension, mais
apprenant à parler clairement et à produire des énoncés
complexes. Leurs difcultés sémantiques-pragmatiques
deviennent de plus en plus claires au fur et à mesure que
leurs capacités verbales augmentent.
Comme l’évoque Montfort (2003), nous nous situons
sans doute à la charnière entre deux types de troubles,
l’un plus linguistique et l’autre plus mentaliste (cf.
Théorie de l’esprit). Il est probable que plus qu’une
frontière, ce soit une zone de continuité qui sépare deux
pathologies qui présentent à leur tout un continuum avec
des degrés divers d’altération.
On peut retenir le diagnostic de dysphasie sémantico-
pragmatique lorsqu’on retrouve des troubles pragmati-
ques en dehors de l’existence d’un trouble social primaire
d’après l’anamnèse, la normalité des comportements non-
verbaux et l’absence de signes de la série autistique. Pour
les distinguer, Montfort évoque chez le sujet avec trouble
sémantique-pragmatique un comportement relationnel
plus adapté, plus d’initiatives pour aller vers autrui,
plus d’empathie avec différenciation des personnes. Les
conduites motrices stéréotypées et les rituels sont moins
nombreux et le besoin d’immuabilité des situations est
moins fort. La communication intentionnelle et pré-in-
tentionnelle non-verbale est plus développée. Avec des
soins adaptés, la communication progresse plus vite que
les habiletés verbales. Pour Attwood, 2003, le trouble
sémantique-pragmatique reproduit de façon atténuée de
nombreuses caractéris-
tiques du langage du
Syndrome d’Asperger.
Il rappelle qu’il faut
également considérer
l’évolution des trou-
bles. L’apparence ini-
tiale peut être celle du
syndrome d’Asperger
mais avec le dévelop-
pement de l’enfant, le
trouble sémantique-
pragmatique serait un
diagnostic plus adapté. Ces enfants peuvent bénécier
d’orthophonie et de certains outils utilisés pour les en-
fants avec Asperger.
2.2 Le syndrome de Williams-Beuren
Le syndrome de Williams-Beuren décrit dès 1961, est
une anomalie du développement, associant une malfor-
mation cardiaque, une décience intellectuelle et des
traits faciaux caractéristiques. Il résulte de l’absence d’un
fragment de petite taille (microdélétion) dans l’un des 2
chromosomes 7. Ce syndrome atteste 2 dissociations : la
première, entre les capacités intellectuelles très décitai-
res (retard sévère) et les capacités verbales, et la seconde,
entre le versant pragmatique, particulièrement touché, et
l’aspect formel du langage, relativement préservé.
Malgré une apparition parfois tardive du langage (entre
3 et 5 ans), ces enfants sont décrits bavards avec des pro-
pos empruntés aux adultes, stéréotypés et classiquement
peu informatifs. Les phrases sont banales, peu adéquates
par rapport au contexte, (Dalla Piazza et Dan, 2001). Ils
lassent leur interlocuteur par des questions ou des sujets
répétitifs. Leur compréhension est inférieure à ce que
pourrait laisser croire ce « verbalisme », d’où la néces-
sité d’utiliser des consignes simples. Le vocabulaire
utilisé est parfois inhabituel et surprenant avec de bonnes
capacités de dénition. La longueur des phrases est re-
lativement correcte sauf pour les phrases subordonnées.
C’est un enfant décrit comme gai, plutôt facile à vivre. Le
contact avec l’adulte est aisé et emprunt de soumission.
Ce tableau clinique dû à une anomalie génétique semble
bien présenter des troubles sémantico-pragmatiques sans
troubles patents des relations sociales.
Ce trouble soulève
actuellement beaucoup
de discussions. Certains
auteurs se demandent s’il est
possible de présenter
ces troubles du langage sans
présenter en même temps
des troubles du comportement
relationnel.
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18 le Bulletin scientique de l’arapi - numéro 14 - 2004-2
3. Conclusion
Syndrome d’Asperger, autisme de haut niveau, dyspha-
sie sémantico-pragmatique : ces catégorisations peuvent
parfois avoir l’apparence de constructions théoriques
dont la représentativité en clinique n’est pas toujours
assurée, mais elles peuvent aussi être utiles pour diffé-
rencier des troubles avec des degrés divers d’altération.
Il s’agit ainsi d’afner nos diagnostics pour proposer des
soins encore plus ajustés aux difcultés et aux singula-
rités des personnes à la communication perturbée. Ces
diagnostics, parfois plus tardifs, peuvent les aider dans le
choix d’une orientation scolaire ou professionnelle à des
phases cruciales de leur trajectoire.
Qu’en est-il des soins, notamment orthophoniques, éduca-
tifs, ou psycho-pédagogiques ? Pouvons-nous enseigner
quelque chose qui se développe de façon naturelle et qui
dépend d’un penchant inné des êtres humains pour com-
muniquer, pour partager des émotions ? Baron-Cohen
nous rappelle que la relation entre langage et « lecture
mentale »7 repose sur l’idée que le langage fonctionne
comme une impression des contenus de l’esprit. On se
parle pour échanger des idées, des pensées et des ex-
périences et non pour échanger du langage. Cependant,
notre expérience clinique, appuyée par quelques études,
montre que ces personnes bénécient pleinement de
« soins conversationnels ». Un effet pédagogique peut
pallier partiellement et compenser leur dyscapacité pri-
maire. On peut expliciter à ces personnes « l’art de la
conversation » avec des supports visuels concrets, stimu-
ler l’expression linguistique des états mentaux internes
avec images et explication verbale, et encore les aider
à décoder, à comprendre les rôles ou les habitudes so-
ciales d’autrui. Les soins psychothérapeutiques peuvent
bien évidemment y participer ou y être associés car ces
enfants ont parfois une conscience aiguë de leur trouble.
Il doit s’agir de soins coordonnés et concertés avec les
familles, an de généraliser ces apprentissages aux situa-
tions de la vie quotidienne et d’amélio-
rer le bien-être de ces personnes et de
leur famille.
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7 cf La Théorie de l’esprit.
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