dossier langage et communication Les troubles sémantiques-pragmatiques du langage Nathalie Courtois1 L 1. Illustration chez la personne atteinte du Syndrome d’Asperger es troubles du langage verbal et non-verbal dans leur dimension pragmatique constituent un symptôme central de l’autisme. Le versant pragmatique concerne les aspects sociaux du langage. Il s’agit de la capacité du sujet à adapter son discours à la situation, à son interlocuteur, aux connaissances de son interlocuteur sur le sujet du …nous introduisons toutes discours (cf. actes de langage définis par sortes de jugements dans Austin, 1970 puis nos énoncés et nous révélons par Searle, 1972, cf. ou dissimulons toutes sortes Bernicot, 1992, de d’états mentaux. De plus, Weck, 1996, 2003). lorsque nous conversons, nous Elle demande une prêtons constamment acquisition au même titre que les autres attention à des aspects des dimensions linguistiénoncés qui n’ont rien à voir ques, et cela débute avec leur contenu mais plutôt dès les premiers mois, avec l’intention du locuteur. sans qu’il n’existe apparemment aucun enseignement consciemment appliqué par l’entourage. Il est suffisant de participer de l’intérieur à un certain nombre d’interactions sociales naturelles. Les personnes atteintes du Syndrome d’Asperger2 ne présentent pas de retard d’apparition du langage. Le langage se développe dans les normes, voire même précocement. Cependant, ce critère ne doit pas, semble-t-il, être consi- déré en clinique comme exclusif car certaines situations (enfant adopté, gémellité,…) peuvent impliquer un retard d’apparition du langage. Un développement rapide et facile du langage formel (phonologie, syntaxe, vocabulaire) doit être retenu, contrastant avec le développement des habiletés motrices ou grapho-motrices particulièrement perturbées. Malgré l’absence de difficultés langagières formelles, ces personnes conservent des difficultés sévères pour communiquer. Elles ont des difficultés pour initier ou maintenir une conversation. Elles utilisent le langage dans un but concret mais pas dans un but social. Ces personnes autistes, même de haut niveau, sont très maladroites pour entretenir une conversation. Baltaxe et coll. (1977, 1995) ont montré qu’elles avaient du mal à gérer les tours de rôles : soit elles les monopolisent avec leur thème favori (chevauchements de parole, interruptions répétées), soit elles ne prennent jamais la parole. Elles peuvent aborder un inconnu en le questionnant sur l’installation de sa salle de bains, suivi d’un monologue démontrant des connaissances encyclopédiques sur l’outillage des sanitaires. Elle veulent prouver leurs connaissances et leur aisance verbale et en apprendre davantage sur leur sujet favori (dinosaures, outillages, astronomie, géologie, résultats sportifs, météo, véhicules, trajets de transports en commun …) (Attwood, 2003). Elles ne repèrent pas les tournants de la conversation et ne peuvent les respecter. Elles peuvent également faire des commentaires incongrus, sans lien avec les propos échangés et/ou avec la situation d’interlocution (associations d’idées, bribes de conversations antérieures). Elles tolèrent mal les abstractions et le manque de précision de leur interlocuteur ( ex : « il ne s’agit pas d’un film mais d’une série télévisée »). La conversation peut être possible mais fréquemment naïve, limitée, répétitive avec peu 1 orthophoniste Centre Ressources Autisme, CAMSP, CHU Tours. 2 Selon la classification américaine (DSM-IV), il existe 5 catégories de troubles envahissants du développement : - Trouble autistique, - Syndrome de Rett, - Trouble désintégratif de l’enfance, - Syndrome d’Asperger, -Trouble envahissant du développement non spécifié. Les caractéristiques essentielles du Syndrome d’Asperger sont une altération sévère et prolongée de l’interaction sociale et le développement de modes de comportements, d’activités et d’intérêts restreints, répétitifs et stéréotypés. La perturbation doit entraîner une altération cliniquement significative dans le fonctionnement social, professionnel, ou d’autres domaines importants. A la différence du trouble autistique, il n’existe pas de retard significatif du langage. De plus, au cours de l’enfance, il n’y a pas eu de retard significatif sur le plan clinique dans le développement cognitif, ni dans le développement, en fonction de l’âge, des capacités d’autonomie, du comportement adaptatif (sauf dans le domaine de l’interaction sociale) et de la curiosité pour l’environnement. 14 le Bulletin scientifique de l’arapi - numéro 14 - 2004-2 Licence Creative Commons Attribution - Pas d'Utilisation Commerciale - Pas de Modification v.4.0 Internationale (cc-BY-NC-ND4.0) dossier langage et communication de contenu émotionnel. Elles n’évaluent pas bien non plus le subtil équilibre entre les informations anciennes et les informations nouvelles à donner en fonction des connaissances de leur interlocuteur. Elles sont souvent confuses dans l’utilisation du tutoiement ou du vouvoiement car elles négligent les rôles sociaux de leurs interlocuteurs. Elles n’ont pas accès aux contenus implicites de nos conversations (pré-supposés, sous-entendus…). En effet, comme le rappelle Frith (1989), nous introduisons toutes sortes de jugements dans nos énoncés et nous révélons ou dissimulons toutes sortes d’états mentaux. De plus, lorsque nous conversons, nous prêtons constamment attention à des aspects des énoncés qui n’ont rien à voir avec leur contenu mais plutôt avec l’intention du locuteur. C’est cette communication authentique et intentionnelle qui est déficiente chez la personne autiste. Les implicites ou pré-supposés sont souvent véhiculés par l’intonation et/ou la communication non-verbale du locuteur (gestes, mimiques ou expressions faciales, regard, posture, distance interpersonnelle). Pour pouvoir mettre en évidence ces troubles pragmatiques, il s’agit de prêter attention aux aspects conversationnels du langage : tours de paroles, alternance, relation de dépendance sémantique, non-chevauchement de la parole qui contribuent à l’établissement de la cohérence du discours co-construit par les 2 interlocuteurs. Il s’agit aussi d’évaluer les initiations de tours de parole (introduction de nouveaux thèmes) sans qu’elles prennent la forme de questions à propos d’informations dont la personne dispose déjà. Essaie-t-elle de « réparer les pannes conversationnelles », causées généralement par des chevauchements d’au moins 2 tours de parole ou par mauvaise compréhension de l’interlocuteur. Est-ce qu’elle peut formuler une demande de clarification (« tu peux répéter, je n’ai pas compris, parle plus fort, comment ?… ») ou répondre aux demandes de clarification de son interlocuteur. Comme le rappellent de Weck et Rosat (2003), l’enjeu du couple question/réponse a un fort degré de contrainte conversationnelle. La question implique toujours une réponse, et la réponse doit au moins refléter le fait que l’interlocuteur a saisi qu’on lui avait posé une question même s’il ne désire pas y répondre. De plus, pour être compris de son interlocuteur lors de récits d’expériences personnelles, l’ancrage énonciatif doit se caractériser par une prise de distance spatio-temporelle. On parle du « ailleurs, à un autre moment » et non du « ici et maintenant ». Le locuteur doit avoir un usage « non déictique »3 des unités linguistiques et expliquer à son interlocuteur qui ne connaît pas en principe les événements racontés. Il peut utiliser des pronoms, des possessifs, des démonstratifs mais en ayant pris soin de « présenter » antérieurement leur référent. 1.1 La communication non-verbale Attwood (2004) observe que, si en temps normal le visage de l’enfant avec Asperger a son expression habituelle, il devient presque inexpressif quand il joue ou quand il suit une conversation. Il ne montre pas la variété et l’intensité habituelle des expressions auxquelles on s’attend. Les expressions faciales sont réduites ou exagérées, peu dirigées vers l’interlocuteur ou peu appropriées au contexte socio-communicatif (les signaux kinétiques comme l’acquiescement sont rares). Le contact oculaire peut être rare, fugitif, parasité par des regards périphériques. L’enfant avec Asperger échoue souvent pour utiliser le contact visuel qui ponctue notamment les parties importantes de la conversation (ex : pour Ces personnes utilisent débuter une phrase, peu de gestes expressifs qui pour répondre à un expriment des sentiments compliment ou à l’intérêt qu’on lui porte, et renseignent sur les états ou également pour mentaux (gestes amicaux, signifier la fin de son bienveillants ou menaçants discours). Il n’étaexprimant la colère, blira pas non plus le la frustration, l’embarras, contact visuel pour demander des éclairla consolation ou la fierté). cissements. D’autres Elles ne savent pas auteurs, notamment, exprimer leurs émotions Baron-Cohen (1995), par le langage du corps. observe que le contact est plus fuyant quand leur interlocuteur parle. Ces personnes utilisent peu de gestes expressifs qui expriment des sentiments et renseignent sur les états mentaux (gestes amicaux, bienveillants ou menaçants exprimant la colère, la frustration, l’embarras, la consolation ou la fierté). Elles ne savent pas exprimer leurs émotions par le langage du corps. Elles échouent également pour reconnaître les changements d’expression non-verbale de leur interlocuteur, pour les interpréter et donc s’y adapter. 1.2 La prosodie4 Dans une conversation, le ton, le rythme et le volume de la voix changent pour souligner les mots importants ou traduire l’émotion qui s’y rattache. Les enfants avec Asperger présentent des difficultés à traiter et à utiliser les caractéristiques prosodiques du langage. Ils peinent à saisir les changements de ton, d’inflexion ou d’accentuation de la voix mis par leur interlocuteur sur certains mots. Or, ces indices sont importants pour appréhender les différentes significations d’une même phrase (Matthews, 1990). 3 La déixis, mot emprunté au grec ancien, où il signifie l’action de montrer. C est l’une des façons de conférer son référent à une séquence linguistique, notamment par le fonctionnement des démonstratifs. Cf. Anaphore et embrayage. 4 Pour rappel, le développement normal de l’intonation débute entre 12 et 18 mois (ordre – déclaration – question) et se poursuit après 4 ans, avec la mise en place des diverses modalités discursives. le Bulletin scientifique de l’arapi - numéro 14 - 2004-2 15 Licence Creative Commons Attribution - Pas d'Utilisation Commerciale - Pas de Modification v.4.0 Internationale (cc-BY-NC-ND4.0) dossier langage et communication Les descriptions des troubles prosodiques chez des sujets Asperger sont semblables aux patterns d’intonation et à la qualité de la voix décrits chez les sujets autistes verbaux. On retrouve des troubles de : • La hauteur de la voix (variations subites d’une voix grave à une voix aiguë / tonalités atypiques et niveaux de fréquences fondamentales élevées). • L’intensité (un chuchotement se transforme en cri / excès ou défaut du volume de la voix). • La voix (comme enrouée ou hypernasale). • La fluidité, du débit (trop rapide ou trop lent) et de l’emphase mise sur un mot. • L’intonation : une élocution monotone pourrait relever de difficultés dans l’expression des émotions (Lord et Rutter, 1994) ou discordante avec la situation d’interlocution. D’autres ont une façon de parler plus chantante et plus mélodieuse (Fay et Schuler, 1980) mais dépourvue d’émotion et d’intention communicative. Ils présentent rarement l’accent régional de leur lieu d’habitation. 1.3 La compréhension verbale On décrit également chez les personnes autistes avec Asperger une compréhension littérale des messages avec une difficulté d’accès à l’humour, au langage métaphorique (expressions courantes, figures de style, expressions idiomatiques…). Le sens des mots ne change pas, même dans un contexte ironique ou imagé. Pour comprendre l’humour, on utilise ses acquis cognitifs et socio-culturels pour opérer ensuite un recodage mental. Il faut ensuite se détacher des indices concrets de leur signification isolée pour les mettre en relation afin de concevoir la situation suggérée et accepter ce nouveau recodage On décrit également chez comme fantaisiste. les personnes autistes avec On peut comprendre Asperger une compréhension l’humour mais ne littérale des messages avec une pas l’apprécier. Les personnes autistes difficulté d’accès à l’humour, comprennent et apau langage métaphorique précient difficilement (expressions courantes, l’humour sauf lorsfigures de style, expressions qu’on a pu leur en idiomatiques…). Le sens des expliciter les règles. Apprécier l’humour, mots ne change pas, même c’est aussi reconnaîdans un contexte ironique ou tre sa fonction sociale imagé. (Le Rezio, 2003). Elles essaient alors d’en dégager des règles et de générer sur ce principe de nouvelles plaisanteries sans prêter attention aux ressentis de leur interlocuteur et du moment choisi. Les personnes autistes même dites de haut niveau témoignent dans leurs écrits autobiographiques de leur difficulté à comprendre les phrases longues, complexes ou inhabituelles, (D. Williams, 1992, T. Grandin, 1997, etc.). Elles bénéficient pleinement d’une séquentialisation des consignes verbales. 1.4 Les particularités langagières formelles Cette petite proportion de personnes autistes développent un langage expressif apparemment correct. L’acquisition de la phonologie et de la syntaxe paraissent semblables à celles des autres enfants sans retard significatif, voire même parfois avec une certaine précocité. Mais on peut se demander si ces personnes ne présentent pas des altérations subtiles dans l’acquisition de constructions syntaxiques plus complexes ou des problèmes morphosyntaxiques fins notamment dans leur fonction discursive (choix de connecteurs de phrases, embrayeurs…) (TagerFlusberg, 1999). Les aspects sémantico-pragmatiques du langage sont, nous l’avons vu ci-dessus, particulièrement touchés mais les aspects formels sont également bien singuliers. Leur langage est fréquemment adultomorphe et hyperconformiste tant au niveau du lexique que des tournures syntaxiques. Le choix des phrases et du style est appris des adultes qui peuvent avoir une influence plus importante que les autres enfants sur le développement du style de langage (Attwood, 2003). Les formulations sont pédantes, empruntant un vocabulaire technique alors que le vocabulaire des états mentaux ou émotionnels et les expressions enfantines ou adolescentes leur font défaut. On peut relever des bizarreries de langage tant au niveau du contenu que de la forme (ex : « Je reprendrai bien un peu d’Alexandre Le Grand ! »5, pour demander de la macédoine, ou des cheveux «virageux» pour des cheveux bouclés, ou encore de la «moussone» pour nommer le bruit du crépitement du sucre au contact du chocolat au lait). 2. Autres troubles sémantiques-pragmatiques 2.1 La dysphasie sémantico-pragmatique ou trouble sémantique-pragmatique Il s’agit d’un cas particulier de dysphasies6 (Rapin, 1996 ; Rapin et Allen, 1983, 1988 ; de Weck, 1996, 2003 ; Montfort 2001, 2005 ; Gérard et Brun, 2003) puisque l’enfant présente un retard moindre d’apparition du langage et une forme externe de ses énoncés relativement préservée. Il peut prononcer correctement et être capable 5 Pour rappel, Alexandre le Grand (356-323 av. J.C.), roi de Macédoine. 6 Il s’agit de troubles plus importants que le retard de langage, se caractérisant par un retard dans les acquisitions langagières mais également par des déviances, qui sont par ailleurs durables. 16 le Bulletin scientifique de l’arapi - numéro 14 - 2004-2 Licence Creative Commons Attribution - Pas d'Utilisation Commerciale - Pas de Modification v.4.0 Internationale (cc-BY-NC-ND4.0) dossier langage et communication d’imiter des phrases complètes qu’il entend autour de lui. Par contre, il a de sévères difficultés de communication. Sa communication verbale manque énormément d’adéquation pragmatique : il respecte très peu le tour de parole, ne tient pas compte du contexte, applique littéralement le sens des mots et des expressions, ne maintient pas le fil de la conversation, n’apporte qu’un langage très peu informatif malgré son abondance. Il peut présenter un jargon, de l’écholalie et des persévérations. Ce trouble soulève actuellement beaucoup de discussions. Certains auteurs se demandent s’il est possible de présenter ces troubles du langage sans présenter en même temps des troubles du comportement relationnel. Ce tableau est parfois difficilement distinct des difficultés pragmatiques d’enfants ayant des troubles autistiques dits de haut niveau. C’est pourquoi ce diagnostic est rarement porté. Traditionnellement, dans les troubles envahissants du développement, le continuum pathologique est défini par une seule dimension : celle des relations sociales, qui constitue le noyau des troubles autistiques et permet alors de définir des degrés divers d’autisme. Mais Bishop, 1989 estime que cela n’est suffisant. Elle propose d’ajouter une deuxième dimension : celle de la communication verbale constituée des capacités à traiter le sens et à utiliser le langage. En tenant compte de ces 2 dimensions, elle parvient à distinguer les enfants autistes des enfants présentant des troubles pragmatiques, les capacités des premiers étant perturbées sur les deux dimensions et celles des seconds uniquement dans le domaine de la communication verbale. Quant au syndrome d’Asperger, il se caractériserait par des troubles des relations sociales et des troubles de la communication verbale moins prononcés. C’est ainsi que Bishop suggère de réserver l’expression trouble sémantique-pragmatique spécifique pour les enfants non autistes, ayant un retard dans l’apparition du langage et des difficultés de compréhension, mais apprenant à parler clairement et à produire des énoncés complexes. Leurs difficultés sémantiques-pragmatiques deviennent de plus en plus claires au fur et à mesure que leurs capacités verbales augmentent. Comme l’évoque Montfort (2003), nous nous situons sans doute à la charnière entre deux types de troubles, l’un plus linguistique et l’autre plus mentaliste (cf. Théorie de l’esprit). Il est probable que plus qu’une frontière, ce soit une zone de continuité qui sépare deux pathologies qui présentent à leur tout un continuum avec des degrés divers d’altération. On peut retenir le diagnostic de dysphasie sémanticopragmatique lorsqu’on retrouve des troubles pragmatiques en dehors de l’existence d’un trouble social primaire d’après l’anamnèse, la normalité des comportements nonverbaux et l’absence de signes de la série autistique. Pour les distinguer, Montfort évoque chez le sujet avec trouble sémantique-pragmatique un comportement relationnel plus adapté, plus d’initiatives pour aller vers autrui, plus d’empathie avec différenciation des personnes. Les conduites motrices stéréotypées et les rituels sont moins nombreux et le besoin d’immuabilité des situations est moins fort. La communication intentionnelle et pré-intentionnelle non-verbale est plus développée. Avec des soins adaptés, la communication progresse plus vite que les habiletés verbales. Pour Attwood, 2003, le trouble sémantique-pragmatique reproduit de façon atténuée de nombreuses caractéristiques du langage du Ce trouble soulève Syndrome d’Asperger. actuellement beaucoup Il rappelle qu’il faut de discussions. Certains également considérer auteurs se demandent s’il est l’évolution des troupossible de présenter bles. L’apparence initiale peut être celle du ces troubles du langage sans syndrome d’Asperger présenter en même temps mais avec le dévelopdes troubles du comportement pement de l’enfant, le relationnel. trouble sémantiquepragmatique serait un diagnostic plus adapté. Ces enfants peuvent bénéficier d’orthophonie et de certains outils utilisés pour les enfants avec Asperger. 2.2 Le syndrome de Williams-Beuren Le syndrome de Williams-Beuren décrit dès 1961, est une anomalie du développement, associant une malformation cardiaque, une déficience intellectuelle et des traits faciaux caractéristiques. Il résulte de l’absence d’un fragment de petite taille (microdélétion) dans l’un des 2 chromosomes 7. Ce syndrome atteste 2 dissociations : la première, entre les capacités intellectuelles très déficitaires (retard sévère) et les capacités verbales, et la seconde, entre le versant pragmatique, particulièrement touché, et l’aspect formel du langage, relativement préservé. Malgré une apparition parfois tardive du langage (entre 3 et 5 ans), ces enfants sont décrits bavards avec des propos empruntés aux adultes, stéréotypés et classiquement peu informatifs. Les phrases sont banales, peu adéquates par rapport au contexte, (Dalla Piazza et Dan, 2001). Ils lassent leur interlocuteur par des questions ou des sujets répétitifs. Leur compréhension est inférieure à ce que pourrait laisser croire ce « verbalisme », d’où la nécessité d’utiliser des consignes simples. Le vocabulaire utilisé est parfois inhabituel et surprenant avec de bonnes capacités de définition. La longueur des phrases est relativement correcte sauf pour les phrases subordonnées. C’est un enfant décrit comme gai, plutôt facile à vivre. Le contact avec l’adulte est aisé et emprunt de soumission. Ce tableau clinique dû à une anomalie génétique semble bien présenter des troubles sémantico-pragmatiques sans troubles patents des relations sociales. le Bulletin scientifique de l’arapi - numéro 14 - 2004-2 17 Licence Creative Commons Attribution - Pas d'Utilisation Commerciale - Pas de Modification v.4.0 Internationale (cc-BY-NC-ND4.0) dossier langage et communication 3. Conclusion Syndrome d’Asperger, autisme de haut niveau, dysphasie sémantico-pragmatique : ces catégorisations peuvent parfois avoir l’apparence de constructions théoriques dont la représentativité en clinique n’est pas toujours assurée, mais elles peuvent aussi être utiles pour différencier des troubles avec des degrés divers d’altération. Il s’agit ainsi d’affiner nos diagnostics pour proposer des soins encore plus ajustés aux difficultés et aux singularités des personnes à la communication perturbée. Ces diagnostics, parfois plus tardifs, peuvent les aider dans le choix d’une orientation scolaire ou professionnelle à des phases cruciales de leur trajectoire. Qu’en est-il des soins, notamment orthophoniques, éducatifs, ou psycho-pédagogiques ? Pouvons-nous enseigner quelque chose qui se développe de façon naturelle et qui dépend d’un penchant inné des êtres humains pour communiquer, pour partager des émotions ? Baron-Cohen nous rappelle que la relation entre langage et « lecture mentale »7 repose sur l’idée que le langage fonctionne comme une impression des contenus de l’esprit. On se parle pour échanger des idées, des pensées et des expériences et non pour échanger du langage. Cependant, notre expérience clinique, appuyée par quelques études, montre que ces personnes bénéficient pleinement de « soins conversationnels ». Un effet pédagogique peut pallier partiellement et compenser leur dyscapacité primaire. On peut expliciter à ces personnes « l’art de la conversation » avec des supports visuels concrets, stimuler l’expression linguistique des états mentaux internes avec images et explication verbale, et encore les aider à décoder, à comprendre les rôles ou les habitudes sociales d’autrui. Les soins psychothérapeutiques peuvent bien évidemment y participer ou y être associés car ces enfants ont parfois une conscience aiguë de leur trouble. Il doit s’agir de soins coordonnés et concertés avec les familles, afin de généraliser ces apprentissages aux situations de la vie quotidienne et d’améliorer le bien-être de ces personnes et de leur famille. Références bibliographiques Austin, J.L. (1970) Quand dire, c’est faire. Paris : Seuil. Attwood, T. (2003) Le Syndrome d’Asperger et l’autisme de haut niveau. Paris : Dunod. Asperger, H. (1998). Les psychopathes autistiques pendant l’enfance. traduit de l’allemand par Wagner E., Rivollier N., L’Hôpital D. Le Plessis-Robinson : Institut Synthélabo. Baltaxe, C. A. M. (1977) Pragmatic deficits in the language of autistic adolescents. Journal of Pediatric Psychology, 2, 176-180. Baron-Cohen S. (1998) La cécité mentale. Un essai sur l’autisme et la théorie de l’esprit. Grenoble : Presses Universitaires. Bernicot, J. (1992) Les actes de langage chez l’enfant. Paris : Puf. Bishop, D.V.M. (1989) Autisme, Asperger’s syndrome and semantic-pragmatic disorder: where are the boundaries? British Journal of Disorders of Communication, 24, 107-121. Bishop, D.V.M., Adams, C. (1989) Conversational characteristics of children with semantic-pragmatic disorder. What features lead to a judgement of inappropriacy? British Journal of Disorders of Communication, 24, 241-263. Dalla Piazza S., Dan, B. (2001) Handicaps et déficiences de l’enfant. Bruxelles : De Boeck Université. Fay, W. et Schuler, L. (1980) Emerging language in autistic children. Baltimore: University Park Press. Fernandes, M-J. (2004) Données du bilan orthophonique concernant les aspects pragmatiques du langage et de la communication. In Aussilloux, C., Baghdadli, A., Brun, V. Autisme et communication, 50-62. Paris : Masson. Frith, U. (1989) Autism: explaining the enigma. Oxford : Basil Blackwell. Traduction française (1996). L’énigme de l’autisme. Paris : Odile Jacob. Gérard, C., Brun, V. (2003) Les dysphasies. Paris : Masson. Grandin, T. (1997) Penser en images. Paris : Odile Jacob. Happe, F. (1994) An advanced test of theory of mind: Understanding of story characters’ thoughts and feelings by able autistic, mentally handicapped and normal children and adults. Journal of Autism and Developmental Disorders, 24, 129-154. Hupet, M. (1996) Troubles de la compétence pragmatique : troubles spécifiques ou dérivés ? In G. de Weck (Ed), Troubles du développement du langage. Perspectives pragmatiques et discursives, 89-112 Lausanne : Delachaux et Niestlé. Lenoir, P., Bodier, C., (2000). L’autisme de l’enfant. Nouvelles approches pédopsychiatriques. Congrès de psychiatrie et de neurologie de langue française. Lenoir, P., Malvy, J., Bodier-Rethoré, C., (2004) L’autisme et les troubles du développement psychologiques. Paris : Masson. Le Rézio E., (2002) Humour et pensée logique chez les 8-10 ans . Quelles mises en relation possibles ? Mémoire d’orthophonie. Tours. Lord, C., Rutter, M., (1994) Autism and persuasive developmental disorders, in M. Rutter, L. Herson et E. Taylor (eds). Child and Adolescent Psychiatry : Modern Approaches (pp 569-593), Oxford, England : Blackwell. Montfort, M. et Juarez Sanchez, A. (1999) L’intervention dans les troubles graves de l’acquisition du langage et les dysphasies développementales. Une proposition de modèle interactif. Ortho editions. 7 cf La Théorie de l’esprit. 18 Montfort, M. (2001) L’esprit des autres. Madrid : Entha. le Bulletin scientifique de l’arapi - numéro 14 - 2004-2 Licence Creative Commons Attribution - Pas d'Utilisation Commerciale - Pas de Modification v.4.0 Internationale (cc-BY-NC-ND4.0) dossier langage et communication Montfort, M. (2005) Dysphasie et surdité. A paraître. Rapin, I., Allen, D.A. (1983) Developmental language disorders. In U. Kirk (Ed), Neuropschology of language, reading and spelling, 155-184. New-York : Academic Press. Rapin, I., Allen, D.A. (1988) Syndromes in developmental dysphasia and adult aphasia. In F. Plum (Ed), Language communication and the brain, 57-75. New York: Raven Press. Rapin, I., Allen, D.A. (1992) Developmental language disorders. In S.J. Segalowitz et I. Rapin (Vol Eds), Handbook of neuropsychology, vol 7 (child neuropsychology), 111-137. Amsterdam, New York : Elsevier Science publishers B.V. Rapin, I. (1996) Troubles de la communication dans l’autisme infantile. In Chevrie-Muller, C. Narbona, J. Le langage de l’enfant – Aspects normaux et pathologiques, (pp. 358-372). Paris : Masson. Searle, J.R. (1972) Les actes de langage. Paris: Hermann. Tager-Flusberg, H. (1999) Autisme infantile. In: J. A. Rondal et X. Séron (Eds), Troubles du langage, (pp. 641-657). Liège : Mardaga. Tardif, C., Gepner, B. (2003) L’autisme. Paris : Nathan Université. de Weck, G. (1996) Troubles du développement du langage. Perspectives pragmatiques et discursives. Lausanne : Delachaux et Niestlé. de Weck, G., Rosat, M-C (2003) Troubles dysphasiques. Paris : Masson. Williams, D. (1992) Si on me touche, je n’existe plus. Paris : Robert Laffont. le Bulletin scientifique de l’arapi - numéro 14 - 2004-2 19 Licence Creative Commons Attribution - Pas d'Utilisation Commerciale - Pas de Modification v.4.0 Internationale (cc-BY-NC-ND4.0)