Les troubles sémantiques-pragmatiques du langage

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dossier langage et communication
Les troubles
sémantiques-pragmatiques du langage 
Nathalie Courtois1
L
1. Illustration
chez la personne atteinte
du Syndrome d’Asperger
es troubles du langage verbal et non-verbal dans
leur dimension pragmatique constituent un symptôme central de l’autisme. Le versant pragmatique
concerne les aspects sociaux du langage. Il s’agit de la
capacité du sujet à adapter son discours à la situation,
à son interlocuteur, aux connaissances de son interlocuteur sur le sujet du
…nous introduisons toutes
discours (cf. actes de
langage définis par
sortes de jugements dans
Austin, 1970 puis
nos énoncés et nous révélons
par Searle, 1972, cf.
ou dissimulons toutes sortes
Bernicot, 1992, de
d’états mentaux. De plus,
Weck, 1996, 2003).
lorsque nous conversons, nous Elle demande une
prêtons constamment
acquisition au même
titre que les autres
attention à des aspects des
dimensions linguistiénoncés qui n’ont rien à voir
ques, et cela débute
avec leur contenu mais plutôt
dès les premiers mois,
avec l’intention du locuteur.
sans qu’il n’existe
apparemment aucun
enseignement consciemment appliqué par l’entourage.
Il est suffisant de participer de l’intérieur à un certain
nombre d’interactions sociales naturelles.
Les personnes atteintes du Syndrome d’Asperger2 ne présentent pas de retard d’apparition du langage. Le langage
se développe dans les normes, voire même précocement.
Cependant, ce critère ne doit pas, semble-t-il, être consi-
déré en clinique comme exclusif car certaines situations
(enfant adopté, gémellité,…) peuvent impliquer un retard
d’apparition du langage. Un développement rapide et
facile du langage formel (phonologie, syntaxe, vocabulaire) doit être retenu, contrastant avec le développement
des habiletés motrices ou grapho-motrices particulièrement perturbées. Malgré l’absence de difficultés langagières formelles, ces personnes conservent des difficultés
sévères pour communiquer. Elles ont des difficultés pour
initier ou maintenir une conversation. Elles utilisent le
langage dans un but concret mais pas dans un but social.
Ces personnes autistes, même de haut niveau, sont très
maladroites pour entretenir une conversation. Baltaxe et
coll. (1977, 1995) ont montré qu’elles avaient du mal à
gérer les tours de rôles : soit elles les monopolisent avec
leur thème favori (chevauchements de parole, interruptions répétées), soit elles ne prennent jamais la parole.
Elles peuvent aborder un inconnu en le questionnant
sur l’installation de sa salle de bains, suivi d’un monologue démontrant des connaissances encyclopédiques
sur l’outillage des sanitaires. Elle veulent prouver leurs
connaissances et leur aisance verbale et en apprendre davantage sur leur sujet favori (dinosaures, outillages, astronomie, géologie, résultats sportifs, météo, véhicules,
trajets de transports en commun …) (Attwood, 2003).
Elles ne repèrent pas les tournants de la conversation et
ne peuvent les respecter. Elles peuvent également faire
des commentaires incongrus, sans lien avec les propos
échangés et/ou avec la situation d’interlocution (associations d’idées, bribes de conversations antérieures). Elles
tolèrent mal les abstractions et le manque de précision de
leur interlocuteur ( ex : « il ne s’agit pas d’un film mais
d’une série télévisée »). La conversation peut être possible mais fréquemment naïve, limitée, répétitive avec peu
1
orthophoniste Centre Ressources Autisme, CAMSP, CHU Tours.
2
Selon la classification américaine (DSM-IV), il existe 5 catégories de troubles envahissants du développement : - Trouble autistique, - Syndrome de Rett, - Trouble désintégratif de l’enfance, - Syndrome d’Asperger, -Trouble envahissant du développement
non spécifié. Les caractéristiques essentielles du Syndrome d’Asperger sont une altération sévère et prolongée de l’interaction
sociale et le développement de modes de comportements, d’activités et d’intérêts restreints, répétitifs et stéréotypés. La perturbation doit entraîner une altération cliniquement significative dans le fonctionnement social, professionnel, ou d’autres domaines
importants. A la différence du trouble autistique, il n’existe pas de retard significatif du langage. De plus, au cours de l’enfance,
il n’y a pas eu de retard significatif sur le plan clinique dans le développement cognitif, ni dans le développement, en fonction de
l’âge, des capacités d’autonomie, du comportement adaptatif (sauf dans le domaine de l’interaction sociale) et de la curiosité pour
l’environnement.
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de contenu émotionnel. Elles n’évaluent pas bien non
plus le subtil équilibre entre les informations anciennes
et les informations nouvelles à donner en fonction des
connaissances de leur interlocuteur. Elles sont souvent
confuses dans l’utilisation du tutoiement ou du vouvoiement car elles négligent les rôles sociaux de leurs interlocuteurs. Elles n’ont pas accès aux contenus implicites
de nos conversations (pré-supposés, sous-entendus…).
En effet, comme le rappelle Frith (1989), nous introduisons toutes sortes de jugements dans nos énoncés et nous
révélons ou dissimulons toutes sortes d’états mentaux.
De plus, lorsque nous conversons, nous prêtons constamment attention à des aspects des énoncés qui n’ont rien
à voir avec leur contenu mais plutôt avec l’intention du
locuteur. C’est cette communication authentique et intentionnelle qui est déficiente chez la personne autiste. Les
implicites ou pré-supposés sont souvent véhiculés par
l’intonation et/ou la communication non-verbale du locuteur (gestes, mimiques ou expressions faciales, regard,
posture, distance interpersonnelle).
Pour pouvoir mettre en évidence ces troubles pragmatiques, il s’agit de prêter attention aux aspects conversationnels du langage : tours de paroles, alternance,
relation de dépendance sémantique, non-chevauchement
de la parole qui contribuent à l’établissement de la cohérence du discours co-construit par les 2 interlocuteurs.
Il s’agit aussi d’évaluer les initiations de tours de parole
(introduction de nouveaux thèmes) sans qu’elles prennent la forme de questions à propos d’informations dont
la personne dispose déjà. Essaie-t-elle de « réparer les
pannes conversationnelles », causées généralement par
des chevauchements d’au moins 2 tours de parole ou
par mauvaise compréhension de l’interlocuteur. Est-ce
qu’elle peut formuler une demande de clarification (« tu
peux répéter, je n’ai pas compris, parle plus fort, comment ?… ») ou répondre aux demandes de clarification
de son interlocuteur.
Comme le rappellent de Weck et Rosat (2003), l’enjeu
du couple question/réponse a un fort degré de contrainte
conversationnelle. La question implique toujours une
réponse, et la réponse doit au moins refléter le fait que
l’interlocuteur a saisi qu’on lui avait posé une question
même s’il ne désire pas y répondre. De plus, pour être
compris de son interlocuteur lors de récits d’expériences
personnelles, l’ancrage énonciatif doit se caractériser
par une prise de distance spatio-temporelle. On parle du
« ailleurs, à un autre moment » et non du « ici et maintenant ». Le locuteur doit avoir un usage « non déictique »3
des unités linguistiques et expliquer à son interlocuteur
qui ne connaît pas en principe les événements racontés.
Il peut utiliser des pronoms, des possessifs, des démonstratifs mais en ayant pris soin de « présenter » antérieurement leur référent.
1.1 La communication non-verbale
Attwood (2004) observe que, si en temps normal le visage de l’enfant avec Asperger a son expression habituelle,
il devient presque inexpressif quand il joue ou quand il
suit une conversation. Il ne montre pas la variété et l’intensité habituelle des expressions auxquelles on s’attend.
Les expressions faciales sont réduites ou exagérées, peu
dirigées vers l’interlocuteur ou peu appropriées au contexte socio-communicatif (les signaux kinétiques comme
l’acquiescement sont rares). Le contact oculaire peut
être rare, fugitif, parasité par des regards périphériques.
L’enfant avec Asperger échoue souvent pour utiliser le
contact visuel qui ponctue notamment les parties importantes de la conversation (ex : pour
Ces personnes utilisent
débuter une phrase,
peu de gestes expressifs qui
pour répondre à un
expriment des sentiments
compliment ou à l’intérêt qu’on lui porte,
et renseignent sur les états
ou également pour
mentaux (gestes amicaux,
signifier la fin de son
bienveillants ou menaçants
discours). Il n’étaexprimant la colère,
blira pas non plus le
la frustration, l’embarras,
contact visuel pour
demander des éclairla consolation ou la fierté).
cissements. D’autres
Elles ne savent pas
auteurs, notamment,
exprimer leurs émotions
Baron-Cohen (1995),
par le langage du corps.
observe que le contact est plus fuyant
quand leur interlocuteur parle. Ces personnes utilisent
peu de gestes expressifs qui expriment des sentiments et
renseignent sur les états mentaux (gestes amicaux, bienveillants ou menaçants exprimant la colère, la frustration,
l’embarras, la consolation ou la fierté). Elles ne savent
pas exprimer leurs émotions par le langage du corps.
Elles échouent également pour reconnaître les changements d’expression non-verbale de leur interlocuteur,
pour les interpréter et donc s’y adapter.
1.2 La prosodie4
Dans une conversation, le ton, le rythme et le volume
de la voix changent pour souligner les mots importants
ou traduire l’émotion qui s’y rattache. Les enfants avec
Asperger présentent des difficultés à traiter et à utiliser
les caractéristiques prosodiques du langage. Ils peinent
à saisir les changements de ton, d’inflexion ou d’accentuation de la voix mis par leur interlocuteur sur certains mots. Or, ces indices
sont importants pour appréhender les
différentes significations d’une même
phrase (Matthews, 1990).
3
La déixis, mot emprunté au grec ancien, où il signifie l’action de montrer. C est l’une des façons de conférer son référent
à une séquence linguistique, notamment par le fonctionnement des démonstratifs. Cf. Anaphore et embrayage.
4
Pour rappel, le développement normal de l’intonation débute entre 12 et 18 mois (ordre – déclaration – question) et se
poursuit après 4 ans, avec la mise en place des diverses modalités discursives.
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Les descriptions des troubles prosodiques chez des sujets
Asperger sont semblables aux patterns d’intonation et à
la qualité de la voix décrits chez les sujets autistes verbaux. On retrouve des troubles de :
• La hauteur de la voix (variations subites d’une voix
grave à une voix aiguë / tonalités atypiques et niveaux
de fréquences fondamentales élevées).
• L’intensité (un chuchotement se transforme en cri /
excès ou défaut du volume de la voix).
• La voix (comme enrouée ou hypernasale).
• La fluidité, du débit (trop rapide ou trop lent) et de l’emphase mise sur un mot.
• L’intonation : une élocution monotone pourrait relever
de difficultés dans l’expression des émotions (Lord et
Rutter, 1994) ou discordante avec la situation d’interlocution. D’autres ont une façon de parler plus chantante et plus mélodieuse (Fay et Schuler, 1980) mais
dépourvue d’émotion et d’intention communicative.
Ils présentent rarement l’accent régional de leur lieu
d’habitation.
1.3 La compréhension verbale
On décrit également chez les personnes autistes avec
Asperger une compréhension littérale des messages avec
une difficulté d’accès à l’humour, au langage métaphorique (expressions courantes, figures de style, expressions
idiomatiques…). Le sens des mots ne change pas, même
dans un contexte ironique ou imagé. Pour comprendre
l’humour, on utilise ses acquis cognitifs et socio-culturels
pour opérer ensuite un recodage mental. Il faut ensuite se
détacher des indices concrets de leur signification isolée
pour les mettre en relation afin de concevoir la situation
suggérée et accepter
ce nouveau recodage
On décrit également chez
comme fantaisiste.
les personnes autistes avec
On peut comprendre
Asperger une compréhension
l’humour mais ne
littérale des messages avec une pas l’apprécier. Les
personnes
autistes
difficulté d’accès à l’humour,
comprennent
et apau langage métaphorique
précient difficilement
(expressions courantes,
l’humour sauf lorsfigures de style, expressions
qu’on a pu leur en
idiomatiques…). Le sens des
expliciter les règles.
Apprécier l’humour,
mots ne change pas, même
c’est aussi reconnaîdans un contexte ironique ou
tre sa fonction sociale
imagé.
(Le Rezio, 2003).
Elles essaient alors
d’en dégager des règles et de générer sur ce principe de
nouvelles plaisanteries sans prêter attention aux ressentis
de leur interlocuteur et du moment choisi. Les personnes
autistes même dites de haut niveau témoignent dans leurs
écrits autobiographiques de leur difficulté à comprendre
les phrases longues, complexes ou inhabituelles, (D.
Williams, 1992, T. Grandin, 1997, etc.). Elles bénéficient pleinement d’une séquentialisation des consignes
verbales.
1.4 Les particularités
langagières formelles
Cette petite proportion de personnes autistes développent
un langage expressif apparemment correct. L’acquisition
de la phonologie et de la syntaxe paraissent semblables
à celles des autres enfants sans retard significatif, voire
même parfois avec une certaine précocité. Mais on peut
se demander si ces personnes ne présentent pas des
altérations subtiles dans l’acquisition de constructions
syntaxiques plus complexes ou des problèmes morphosyntaxiques fins notamment dans leur fonction discursive
(choix de connecteurs de phrases, embrayeurs…) (TagerFlusberg, 1999).
Les aspects sémantico-pragmatiques du langage sont,
nous l’avons vu ci-dessus, particulièrement touchés
mais les aspects formels sont également bien singuliers.
Leur langage est fréquemment adultomorphe et hyperconformiste tant au niveau du lexique que des tournures
syntaxiques. Le choix des phrases et du style est appris
des adultes qui peuvent avoir une influence plus importante que les autres enfants sur le développement du
style de langage (Attwood, 2003). Les formulations sont
pédantes, empruntant un vocabulaire technique alors que
le vocabulaire des états mentaux ou émotionnels et les
expressions enfantines ou adolescentes leur font défaut.
On peut relever des bizarreries de langage tant au niveau
du contenu que de la forme (ex : « Je reprendrai bien un
peu d’Alexandre Le Grand ! »5, pour demander de la macédoine, ou des cheveux  «virageux» pour des cheveux
bouclés, ou encore de la «moussone» pour nommer le
bruit du crépitement du sucre au contact du chocolat au
lait).
2. Autres troubles
sémantiques-pragmatiques
2.1 La dysphasie
sémantico-pragmatique
ou trouble sémantique-pragmatique
Il s’agit d’un cas particulier de dysphasies6 (Rapin,
1996 ; Rapin et Allen, 1983, 1988 ; de Weck, 1996,
2003 ; Montfort 2001, 2005 ; Gérard et Brun, 2003) puisque l’enfant présente un retard moindre d’apparition du
langage et une forme externe de ses énoncés relativement
préservée. Il peut prononcer correctement et être capable
5
Pour rappel, Alexandre le Grand (356-323 av. J.C.), roi de Macédoine.
6
Il s’agit de troubles plus importants que le retard de langage, se caractérisant par un retard dans les acquisitions langagières mais
également par des déviances, qui sont par ailleurs durables.
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d’imiter des phrases complètes qu’il entend autour de
lui. Par contre, il a de sévères difficultés de communication. Sa communication verbale manque énormément
d’adéquation pragmatique : il respecte très peu le tour de
parole, ne tient pas compte du contexte, applique littéralement le sens des mots et des expressions, ne maintient
pas le fil de la conversation, n’apporte qu’un langage très
peu informatif malgré son abondance. Il peut présenter
un jargon, de l’écholalie et des persévérations.
Ce trouble soulève actuellement beaucoup de discussions. Certains auteurs se demandent s’il est possible
de présenter ces troubles du langage sans présenter en
même temps des troubles du comportement relationnel.
Ce tableau est parfois difficilement distinct des difficultés pragmatiques d’enfants ayant des troubles autistiques
dits de haut niveau. C’est pourquoi ce diagnostic est
rarement porté.
Traditionnellement, dans les troubles envahissants du
développement, le continuum pathologique est défini
par une seule dimension : celle des relations sociales, qui
constitue le noyau des troubles autistiques et permet alors
de définir des degrés divers d’autisme. Mais Bishop,
1989 estime que cela n’est suffisant. Elle propose d’ajouter une deuxième dimension : celle de la communication
verbale constituée des capacités à traiter le sens et à utiliser le langage. En tenant compte de ces 2 dimensions,
elle parvient à distinguer les enfants autistes des enfants
présentant des troubles pragmatiques, les capacités des
premiers étant perturbées sur les deux dimensions et celles des seconds uniquement dans le domaine de la communication verbale. Quant au syndrome d’Asperger, il se
caractériserait par des troubles des relations sociales et
des troubles de la communication verbale moins prononcés. C’est ainsi que Bishop suggère de réserver l’expression trouble sémantique-pragmatique spécifique pour les
enfants non autistes, ayant un retard dans l’apparition
du langage et des difficultés de compréhension, mais
apprenant à parler clairement et à produire des énoncés
complexes. Leurs difficultés sémantiques-pragmatiques
deviennent de plus en plus claires au fur et à mesure que
leurs capacités verbales augmentent.
Comme l’évoque Montfort (2003), nous nous situons
sans doute à la charnière entre deux types de troubles,
l’un plus linguistique et l’autre plus mentaliste (cf.
Théorie de l’esprit). Il est probable que plus qu’une
frontière, ce soit une zone de continuité qui sépare deux
pathologies qui présentent à leur tout un continuum avec
des degrés divers d’altération.
On peut retenir le diagnostic de dysphasie sémanticopragmatique lorsqu’on retrouve des troubles pragmatiques en dehors de l’existence d’un trouble social primaire
d’après l’anamnèse, la normalité des comportements nonverbaux et l’absence de signes de la série autistique. Pour
les distinguer, Montfort évoque chez le sujet avec trouble
sémantique-pragmatique un comportement relationnel
plus adapté, plus d’initiatives pour aller vers autrui,
plus d’empathie avec différenciation des personnes. Les
conduites motrices stéréotypées et les rituels sont moins
nombreux et le besoin d’immuabilité des situations est
moins fort. La communication intentionnelle et pré-intentionnelle non-verbale est plus développée. Avec des
soins adaptés, la communication progresse plus vite que
les habiletés verbales. Pour Attwood, 2003, le trouble
sémantique-pragmatique reproduit de façon atténuée de
nombreuses caractéristiques du langage du
Ce trouble soulève
Syndrome d’Asperger.
actuellement beaucoup
Il rappelle qu’il faut
de discussions. Certains
également considérer
auteurs se demandent s’il est
l’évolution des troupossible de présenter
bles. L’apparence initiale peut être celle du
ces troubles du langage sans
syndrome d’Asperger
présenter en même temps
mais avec le dévelopdes troubles du comportement
pement de l’enfant, le
relationnel.
trouble sémantiquepragmatique serait un
diagnostic plus adapté. Ces enfants peuvent bénéficier
d’orthophonie et de certains outils utilisés pour les enfants avec Asperger.
2.2 Le syndrome de Williams-Beuren
Le syndrome de Williams-Beuren décrit dès 1961, est
une anomalie du développement, associant une malformation cardiaque, une déficience intellectuelle et des
traits faciaux caractéristiques. Il résulte de l’absence d’un
fragment de petite taille (microdélétion) dans l’un des 2
chromosomes 7. Ce syndrome atteste 2 dissociations : la
première, entre les capacités intellectuelles très déficitaires (retard sévère) et les capacités verbales, et la seconde,
entre le versant pragmatique, particulièrement touché, et
l’aspect formel du langage, relativement préservé.
Malgré une apparition parfois tardive du langage (entre
3 et 5 ans), ces enfants sont décrits bavards avec des propos empruntés aux adultes, stéréotypés et classiquement
peu informatifs. Les phrases sont banales, peu adéquates
par rapport au contexte, (Dalla Piazza et Dan, 2001). Ils
lassent leur interlocuteur par des questions ou des sujets
répétitifs. Leur compréhension est inférieure à ce que
pourrait laisser croire ce « verbalisme », d’où la nécessité d’utiliser des consignes simples. Le vocabulaire
utilisé est parfois inhabituel et surprenant avec de bonnes
capacités de définition. La longueur des phrases est relativement correcte sauf pour les phrases subordonnées.
C’est un enfant décrit comme gai, plutôt facile à vivre. Le
contact avec l’adulte est aisé et emprunt de soumission.
Ce tableau clinique dû à une anomalie génétique semble
bien présenter des troubles sémantico-pragmatiques sans
troubles patents des relations sociales.
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3. Conclusion
Syndrome d’Asperger, autisme de haut niveau, dysphasie sémantico-pragmatique : ces catégorisations peuvent
parfois avoir l’apparence de constructions théoriques
dont la représentativité en clinique n’est pas toujours
assurée, mais elles peuvent aussi être utiles pour différencier des troubles avec des degrés divers d’altération.
Il s’agit ainsi d’affiner nos diagnostics pour proposer des
soins encore plus ajustés aux difficultés et aux singularités des personnes à la communication perturbée. Ces
diagnostics, parfois plus tardifs, peuvent les aider dans le
choix d’une orientation scolaire ou professionnelle à des
phases cruciales de leur trajectoire.
Qu’en est-il des soins, notamment orthophoniques, éducatifs, ou psycho-pédagogiques ? Pouvons-nous enseigner
quelque chose qui se développe de façon naturelle et qui
dépend d’un penchant inné des êtres humains pour communiquer, pour partager des émotions ? Baron-Cohen
nous rappelle que la relation entre langage et « lecture
mentale »7 repose sur l’idée que le langage fonctionne
comme une impression des contenus de l’esprit. On se
parle pour échanger des idées, des pensées et des expériences et non pour échanger du langage. Cependant,
notre expérience clinique, appuyée par quelques études,
montre que ces personnes bénéficient pleinement de
« soins conversationnels ». Un effet pédagogique peut
pallier partiellement et compenser leur dyscapacité primaire. On peut expliciter à ces personnes « l’art de la
conversation » avec des supports visuels concrets, stimuler l’expression linguistique des états mentaux internes
avec images et explication verbale, et encore les aider
à décoder, à comprendre les rôles ou les habitudes sociales d’autrui. Les soins psychothérapeutiques peuvent
bien évidemment y participer ou y être associés car ces
enfants ont parfois une conscience aiguë de leur trouble.
Il doit s’agir de soins coordonnés et concertés avec les
familles, afin de généraliser ces apprentissages aux situations de la vie quotidienne et d’améliorer le bien-être de ces personnes et de
leur famille.
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