L`aide au développement : un paravent pour un hégémonisme

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L’aide au développement :
un paravent pour un hégémonisme économique ?
Par Franck Boulot (AU82-85)
Un Monsieur Jourdain cher à Molière pourrait sans hésiter dire que,
conformément au diagramme de Pareto, 20% de la population mondiale consommeraient
80% des richesses. Par delà cette « règle » de répartition caractérisant de nombreux
phénomènes observés, nous ne pouvons que constater les déséquilibres Nord-Sud. Que ce
soit en termes de nourriture, d’approvisionnement en eau, d’éducation, ou encore de
revenus.
Les flux migratoires, légaux et illégaux, mettent en exergue ces distorsions. Ils
traduisent le souhait de tout un chacun d’atteindre le haut de la pyramide de Maslow1 afin
d’être plus touché par la dépression psychologique liée au fait de ne savoir quel véhicule de
luxe choisir plutôt que par celui de ne pas savoir si, d’ici le soir, il aura trouvé un peu d’eau,
même non potable selon les normes occidentales.
Cependant, il faut savoir sortir de l’approche « basique ». En 2007, par exemple,
plusieurs médias firent leur Une sur l’émigration de Français vers la Belgique. Belgique terre
d’accueil ? Certes, mais de quelles catégories de Français et en quelle quantité ? En
épluchant un peu plus, le lecteur peut s’apercevoir que deux catégories de Français étaient
concernées. Premièrement, les étudiants français qui souhaitent contourner le numerus
clausus des formations médicales en France. Deuxièmement, à l’instar d’un célèbre
chanteur, les personnes relativement fortunées qui voient dans ce pays une terre
d’optimisation fiscale de l’impôt sur le revenu. Bref, quelques milliers de personnes au grand
maximum.
Un Zadig, cher à Voltaire, s’interrogerait quant à lui sur l’apparente contradiction
de ces terres d’accueil que sont la Suisse, Andorre, Monaco… pays réputés pour leur
pouvoir d’achat. Par delà les réputations il faut, là aussi, savoir lire entre les lignes.
D’un point de vue purement économique, la Suisse, avec un PIB par habitant de
28 170 € (données de 2005) ou encore la Belgique avec 28 402 €, ne semblent pas
beaucoup mieux loties que la France avec 27 272 €. Pourtant ces deux pays attirent. De
même Monaco, avec un taux de chômage de 0,4% pour 2004, apparaît comme un eldorado
pour ceux qui recherchent un emploi.
Même en Occident, la richesse a tendance à rester accumulée aux mains de
quelques-uns. Toujours est-il que l’idée de base est de dire qu’une personne riche sera
moins belliqueuse qu’une personne pauvre. Le riche, en cas de conflit, fût-il interpersonnel,
aurait plus à perdre que le pauvre. À toute règle exception confirme, quelques personnes ou
entreprises pouvant avoir à gagner dans les conflits (entreprises d’armements, investisseurs,
etc.). D’où l’idée de porter le « bonheur » à ceux qui en sont démunis.
De la tentation hégémonique
Depuis plusieurs siècles, les États ont tout fait pour agrandir leur « espace vital »
en annexant leurs cibles purement et simplement. C’est ainsi que Nice est devenue
française. Ou encore, en les plaçant tout simplement sous tutelle, telles les colonies. Ce qui
leur permettait de les « civiliser ». C’est-à-dire transformer les colonisés en leur inculquant
les valeurs du conquérant (éducation, religion, mode de vie…)2.
Tout comme le souligne Hervé Burdin, maître de conférence à l’IAE d’Orléans, il
faut néanmoins distinguer entre impérialisme et colonialisme. L’impérialisme fédère sous une
autorité qui fut longtemps uniquement politique et qui aujourd’hui a aussi une dimension
philosophique et économique, alors qu’avant ce n’était que la conséquence. Le colonialisme,
lui, s’il nécessite aussi une croissance géographique et une puissance militaire à son origine,
ne fédère pas de la même manière, il unifie les processus (alors que l’impérialisme tolère
des processus différents), il standardise les comportements et se veut être une référence de
principe et non uniquement de gouvernance. En revanche il est vecteur de différenciation
dans un premier temps, l’empire récompense qui le sert, le colonialisme crée de fait une
hiérarchie dans les serviteurs. Ce n’est que quand les processus sont entièrement unifiés
qu’il constate le phénomène et recrée une cité d’une autre dimension (cf. par exemple, l’édit
de Caracalla3).
L’histoire est riche de peuples colonisateurs : Perses, Mongols, Chinois,
Aztèques, Incas, Ottomans […] et plus près de nous, naturellement la France qui a contrôlé
l’Algérie pendant 130 ans, les Portugais qui sont restés maîtres de l’Angola pendant 400
ans… Sans oublier les Arabes, qui ont colonisé l’Espagne pendant quelque 700 ans… Ce
qui explique sans doute d’ailleurs qu’une des revendications d’Al Qaeda est de récupérer
«Al-Andalus », territoire mythique de la péninsule ibérique.
L’universitaire Bernard Lugan, qui intervient notamment à l’IHEDN, au CHEM et
au CID, dans Pour en finir avec la colonisation (Éditions du Rocher 2006), démontre que,
paradoxalement, eu égard aux discours tenus ces dernières décennies, la colonisation fut
une des grandes idées de gauche. Ainsi Jules Ferry, grand défenseur des Droits de
l’Homme, s’exprimant à la tribune de l’Assemblée, en juillet 1885 : « Je répète qu’il y a pour
les races supérieures un droit, parce qu’il y a un devoir pour elles. Elles ont le devoir de
civiliser les races inférieures ». La colonisation reposait sur les idéaux universalistes de
1789. La France aurait donc mis la main sur plusieurs pays en déficit démocratique pour
faire partager ses idéaux. Ce qui n’est pas sans rappeler les croisades lors desquelles les
dirigeants catholiques voulurent (r) amener dans le droit chemin ceux qui n’y étaient pas ou
plus (Cathares…). Certes, mais pas seulement. Nous y reviendrons un peu plus loin.
Il faut néanmoins noter que le « colonisateur » a, peu à peu, bémolisé sa position.
Ainsi, par exemple, le plan Constantine, lancé en octobre 1958 par le général de Gaulle, était
un vaste plan permettant un développement massif de l’Algérie alors française. La métropole
devant investir en quelques années 668 milliards de francs de l’époque (soit, en francs
constants, plus de 62 milliards de francs ou encore 6,5 milliards d’euros).
Mais, comme je le répète au risque de lasser, comment nous Occidentaux, qui ne
représentons que quelques centaines de millions de personnes sur une population mondiale
de plusieurs milliards, pouvons-nous avoir l’outrecuidance d’avoir la Vérité ?
La colonisation : des motivations économiques ?
« Tout ce qu’on a dit ou écrit […] est vrai ou l’a été, localement,
fugitivement. Les généralisations sont fausses sans exception ». Pierre Messmer,
ancien ministre du général de Gaulle, à propos de la colonisation.
Nous noterons que le débat d’historiens a été relancé suite à la sortie du film
Indigènes. Ainsi, Daniel Lefeuvre, professeur d’histoire à l’université Paris VIII, auteur de
Pour en finir avec la repentance coloniale (Éditions Flammarion, 2006), explique que le
colonialisme français n’a pas forcément enrichi notre pays en raison des investissements
massifs que nous y avons réalisés (routes, écoles, hôpitaux…) et des tombereaux d’argent
que nous y avons déversés.
Que ce soit le philosophe Pascal Bruckner, dans La tyrannie de la pénitence :
Essai sur le masochisme en Occident (Éditions Grasset 2006), Gérard Chaliand, Yves
Lacoste… ou l’économiste Daniel Cohen, nombreux sont les experts qui, mettant à bas le
politiquement correct, s’attachent aux faits pour démontrer que les puissances coloniales se
sont développées moins vite que les puissances non coloniales.
Mais ce constat d’investissement à perte a été fait bien des années après la fin de
la colonisation. Et les hommes politiques de l’époque n’avaient pas conscience de ces
réalités économiques, préférant un résultat immédiat en termes d’accès aux matières
premières et d’emplacements stratégiques.
Plus concrètement, dans la grande majorité des cas, il s’agissait surtout de faire
main basse sur les ressources du pays cible (minerais, produits agricoles, pétrole…) et
d’étendre ses zones d’influence.
La conférence de Berlin de 1885 est fréquemment décrite comme la source du
partage de l’Afrique entre les puissances coloniales. Une autre analyse est toutefois possible
: en garantissant la libre circulation des hommes et des denrées en Afrique, au sud du
Sahara et en soumettant toute implantation territoriale à des conditions strictes, ne visait-elle
pas la neutralisation des conflits potentiels ?
Et, surtout, parce que si toutes les civilisations (perse, mongole, chinoise,
aztèque, inca, ottomane…) ont été colonisatrices, seul l’Occident s’est amendé.
L’esclavage?
L’Occident n’a fait que prendre le relais des Arabes et des Africains, mais
l’Occident est le seul à avoir engendré l’abolitionnisme et à y avoir mis fin. Le 16 pluviôse An
II (4 février 1794), la Convention vote en effet l’abolition de l’esclavage dans les colonies
françaises (ou ce qu’il en reste) même si, dans les faits, l’esclavage ne sera aboli
définitivement qu’en 1848.
La Mauritanie aurait aboli l’esclavage en 1980. Il y a seulement 27 ans… Et, dans
certains pays d’Afrique et du Moyen-Proche Orient, une certaine forme de servage
perdurerait ici et là. Plus près de nous, les exemples d’un tel altruisme ne manquent pas.
Pragmatisme chinois ?
En novembre 2006, la Chine signait pour plus de deux milliards de dollars
de contrats avec plusieurs États africains.
Lorsque l’on regarde le positionnement économique actuel (mais aussi
diplomatique et militaire) de la Chine à l’égard de l’Afrique nous ne pouvons qu’être
émerveillés par les nobles sentiments qui animent le gouvernement de Pékin. Depuis
quelques années, la Chine offre, sur tout le continent africain, des hôpitaux, des routes, des
écoles… dans le cadre de contrats économiques...
Ce besoin d’aider les autres est tellement fort qu’il s’affranchit des contingences
éthiques que nous autres, Occidentaux, pouvons avoir.
Petit aparté, sur l’éthique. Nous pouvons nous interroger sur cette « mode »
venue des États-Unis, qui est persuadée que l’éthique améliore le climat interne de
l’entreprise, donc la qualité et la productivité et, de facto, les marges de l’entreprise.
Rejoignant la pensée du philosophe André Comte Sponville, nous pouvons tout à fait penser
que « l’éthique » peut être un facteur marketing discriminant pour certains marchés, à l’instar
de ce que le bio est à la production agricole intensive, mais que ce n’est pas le souci majeur
de l’entreprise. Fin de l’aparté.
Accessoirement, donc, les firmes occidentales limitent leurs contrats avec ces
États peu scrupuleux, de crainte de l’opprobre bien pensante. Ce qui laisse le champ libre
aux négociateurs chinois.
La Chine refuse de lier son aide et ses investissements sur le continent africain
aux droits de l’Homme ou à la démocratie. « L’assistance chinoise à l’Afrique est sincère,
désintéressée et sans conditions », a déclaré le Premier ministre Wen Jiabao.
Le lecteur aura compris le second degré, tout étant question de référentiel.
L’Occident, dont la France, houspille vertement les petites nations non « vertueuses » qui ne
représentent rien en terme de puissance, dont financière, mais fait mine d’oublier lorsqu’il
signe des contrats de vente qui de locomotives, qui de réacteurs nucléaires, que l’empire du
milieu, bien qu’en voie de démocratisation, prononce toujours des peines de mort. Et fait
exécuter ses condamnés. Notons toutefois que ce pays, notamment grâce à l’impulsion de
Deng Xiaoping, a développé rapidement un corpus juridique.
Cependant, cet ensemble juridique se tourne essentiellement vers une
codification des règles de marchés et des investissements étrangers, supposés comme étant
une des solutions majeures au développement économique du pays ; les problématiques
éthiques de droits de l’Homme et de justice étant au second plan.
Un géographe s’apercevra de plusieurs choses. La Chine est un vaste territoire,
fortement mais inégalement peuplé. Elle dispose de ressources naturelles, mais qui risquent
de s’épuiser rapidement compte tenu de l’importante demande actuelle. Consciente de ses
limites, et anticipant, en utilisant ses énormes réserves de devises, elle s’est mise à acquérir
des mines de par le monde, et à passer des contrats partout sur la planète afin de subvenir à
ses besoins, sans trop toucher à ses réserves.
Pour l’anecdote, la pression chinoise sur les marchés internationaux, dont celui
du cuivre, se traduit par une nouvelle forme de délinquance en France : l’attaque de
ferrailleurs, le détournement de camions transportant des matériaux ou encore le vol de
câbles électriques sur les lignes de la SNCF.
En corollaire, nous notons un développement très important de la marine
chinoise, notamment en termes de chalands de débarquement. Pourquoi, peut-on se
demander ? Si nous relions cet événement à celui de l’aide africaine et à la forte demande
en matières premières, nous comprenons tout de suite l’intérêt pour la République Populaire
de Chine de protéger les navires assurant ses approvisionnements. L’art de gouverner étant
la prévoyance, il est possible qu’un jour les Américains, voire d’autres nations, veuillent faire
pression sur elle. Bloquer ses approvisionnements serait relativement aisé avec une marine
chinoise faible.
Les modalités de l’aide au développement sont-elles pertinentes ?
« Quand un homme a faim, mieux vaut lui apprendre à pêcher que de lui
donner un poisson.» Confucius.
Dans un autre registre, certains experts s’interrogent sur la pertinence des
modalités de l’aide au développement4 & 5, Revue d’économie du développement, 2003, n°4,
pp. 11-42. Voir aussi les débats provoqués par les travaux de Burnside-Collier-Dollar.
Selon un courant de pensée, que l’on retrouva notamment au sein de la Banque
Mondiale et du Fonds Monétaire International pendant quelques décennies, il suffirait
d’abreuver un pays en capitaux pour en faire, au bout d’un certain temps, une puissance
économique. Cette hypothèse ravit les dirigeants des États tant pauvres que riches. Les
pauvres ne souhaitant pas que les riches mettent le nez dans leurs affaires et les riches
voulant rester libres de leurs actions diplomatiques, sans les contraindre dans un carcan,
imposant à un pays tiers des exigences démocratiques.
Par ailleurs, nous pouvons aussi nous demander si cette aide ne serait pas un
habillage politique de bonne conscience. Les discours pouvant être différents de la réalité6 :
en 1970, la plupart des gouvernements des pays riches avaient pris l’engagement, devant
les Nations Unies, de consacrer à l’aide publique au développement 0,7 % de leur revenu
national brut (le RNB étant la somme du Produit Intérieur Brut et des revenus « reçus du
reste du monde »). En 2004, nous étions à 0,25%…
Voire encore moins puisque, comme l’écrivait Alfred Sauvy, « Les chiffres sont
des innocents qui avouent facilement sous la torture ». Ainsi, il existe des analyses
divergentes sur les éléments à prendre en ligne de compte. Par exemple, les prêts et dons
aux ex-pays de l’Est ne seraient pas comptabilisés officiellement. Ou encore, en 2003, 12%
du montant comptabilisé auraient, en fait, été des annulations de dettes, donc ne
correspondant pas à un apport d’argent frais…
Enfin, entre autres, le 9 mai 2005, la Banque Mondiale publiait un rapport sur la
“gouvernance mondiale”, étudiant 209 pays en fonction de 352 critères fournis par la Banque
et par 30 autres organisations comme l’université de Columbia, la fondation Freedom House
ou le cabinet d’audit PriceWaterhouseCoopers. Selon le directeur du projet, Daniel
Kaufmann : « L’amélioration des conditions de vie est le résultat d’une meilleure
gouvernance, et non l’inverse ». À l’exception de contre-exemples, comme celui de la Chine,
que d’aucuns prédisent toutefois comme vouée à l’implosion : la démocratie primerait donc
l’économie.
Franck Boulot7 (Au 82-85)
1) Ndlr : voir article suivant.
2) Tout est question de référentiel. Cf. « l’affaire » de la mention du «rôle positif» de la colonisation à l’article 4, alinéa 2 de
la loi du 23 février 2005, qui
fut abrogé par décret présidentiel en mars 2006.
3) Ndlr : Une des lois les plus connues de l’Empire romain. Il accorde en 212 la citoyenneté romaine à tous les hommes
libres de l’Empire qui ne l’avaient pas
encore. Il témoigne de l’unité morale de l’Empire romain. (Encyclopédia Universalis). 4) Sur la dette en elle-même, lire
notamment Berthelemy Jean-Claude,
L’endettement du tiers monde, Éditions PUF, 1990, 128 p.
5) Berg Elliot, « Augmenter l’efficacité de l’aide : une critique de quelques points de vue actuels (Increasing the effectiveness
of aid : A critique of some current views) »
6) Blaise Séverine, Efficacité de l’Aide et Développement : le cas de l’Asie de l’Est, Centre d’Économie et de Finance
Internationale, Université d’AixMarseille II, thèse soutenue le 17 décembre 2004.
7) Franck Boulot, 132e session de l’IHEDN, docteur en économie internationale et doctorant en droit public, ancien membre
du rapport Martre sur l’intelligence économique au sein du Commissariat Général au Plan, est aussi chargé de cours en
Intelligence Économique à l’université.
[email protected]
Article paru dans la rubrique Informations du Journal des AET N° 237 de septembre 2008
Mise en page : 26 septembre 2008 par J. P.
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