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LE NATURALISTE CANADIEN, VOL. 125 No 3 AUTOMNE 2001
LA DIVERSITÉ GÉNÉTIQUE
Jean Beaulieu, Ph. D., et Gaëtan Daoust, Ph. D., sont
ingénieurs forestiers au Service canadien des forêts ;
André Rainville est ingénieur forestier au ministère des
Ressources naturelles du Québec ;
Jean Bousquet, Ph. D., ing. forestier est professeur à la Faculté
de foresterie et de géomatique de l’Université Laval.
La diversité génétique est omniprésente dans la
nature et les arbres forestiers, espèces ligneuses longévives,
sont parmi les espèces qui en possèdent les plus hauts
niveaux. En fait, la diversité génétique des arbres forestiers est
en moyenne 38 % plus élevée que celle des espèces annuelles
et entre 50 % et 80 % supérieure à celle de toute autre forme
de vie (Hamrick et al., 1992). Les arbres constituent aussi
la pierre angulaire de la conservation de la biodiversité en
milieu forestier. Ils définissent le caractère forestier de l’éco-
système et leur présence y crée une variété de microenvi-
ronnements, dont bénéficient une foule d’autres espèces
(animales ou végétales). En fin de compte, la stabilité des
écosystèmes forestiers et la conservation de la biodiversité
dépendent de la conservation des populations d’arbres
(MRNQ, 1996).
En forêt, les arbres d’une même espèce sont tous dif-
férents sur le plan de leur taille, de leur architecture ou de
leurs processus physiologiques. Des caractères comme la
hauteur ou le diamètre varient de manière continue dans
une population. Ils sont gouvernés par de nombreux gènes.
D’autres caractères ont une variation moins continue ou
peuvent même présenter une variabilité de type présence/
absence, comme la sensibilité à certaines maladies. Ces carac-
tères peuvent dépendre d’un très petit nombre de gènes ou
même d’un seul. On sait toutefois, lorsque l’on s’intéresse à
la diversité génétique et à l’expression des caractères, qu’une
partie seulement des différences observées est sous contrôle
génétique. Le reste, en des proportions variables, s’explique
par les effets de l’environnement. Donc, deux arbres ayant le
même génotype, ou bagage génétique, peuvent avoir des phé-
notypes (apparences) différents si l’effet du milieu varie.
Les espèces vivantes possèdent des caractéristiques
biologiques distinctives qu’elles ont acquises au cours de leur
évolution et qui les rendent aptes à occuper des milieux ou
des environnements aux conditions écologiques distinctes
et à se faire concurrence. Cette diversité écologique est le
résultat de l’interaction de diverses forces évolutives sur les
espèces : mutations, dérive génétique, sélection naturelle,
migration, mode de reproduction. La détection de la diver-
sité génétique peut s’effectuer de deux façons. D’une part, des
marqueurs génétiques peuvent être utilisés. Ils sont analo-
gues aux groupes sanguins chez les humains et permettent de
caractériser des individus et des populations et d’en mesurer
les différences génétiques (Bousquet et al., 1995). L’avantage
de ces marqueurs s’explique par des estimations de diver-
sité génétique, lesquelles peuvent être obtenues sans avoir à
passer par l’établissement de dispositifs expérimentaux. Ils
sont cependant peu indicatifs de la variation liée à l’adapta-
tion (Jamarillo-Correa et al., 2001). D’autre part, il est aussi
possible, par des plantations comparatives appelées tests
génécologiques, d’évaluer la diversité en se basant sur les
différences entre individus et entre populations en ce qui a
trait aux caractères d’adaptation, tels que la croissance ou la
rusticité, afin de départager la part de variation causée par
la génétique de la part de variation résultant de l’environne-
ment.
Portrait de la diversité génétique
en forêt boréale
Les premières études visant à mesurer la diversité
génétique chez les essences forestières ont porté sur les modè-
les de variation génétique d’origine géographique pour des
caractères morphologiques. Elles ont montré, pour la très
grande majorité des essences forestières, que les niveaux de
variation étaient très élevés, que cette variation était liée
à l’origine géographique du matériel et que pour la plus
grande partie elle s’expliquait par des différences entre les
individus d’une même population (Morgenstern, 1996). Les
études réalisées sur les essences poussant en forêt boréale au
Québec confirment aussi cette tendance (tableau 1).
Avec l’avènement des marqueurs moléculaires, cer-
taines généralisations liées aux caractéristiques écologiques
et biologiques des espèces ont pu en être tirées (voir Hamrick
et al., 1992 ; Hamrick et Godt, 1996). On a pu noter que la
diversité génétique était plus élevée chez les plantes ligneuses
que chez les autres espèces. Cette même observation s’appli-
que également à nos essences boréales (tableau 2) par rap-
port à celles poussant dans des biomes plus chauds.
La diversité génétique des espèces arborescentes
de la forêt boréale
Jean Beaulieu, André Rainville, Gaëtan Daoust et Jean Bousquet