Le recours à la fécondation in vitro en léger recul en Suisse

74 MÉDECINE LeMatinDimanche I27 AVRIL 2014
En collaboration avec: www.planetesante.ch
Contrôle qualité
Deux bébés sur cent sont issus de la procréation assistée
Le recours à la fécondation in
vitro en léger recul en Suisse
Marie-Christine Petit-Pierre
En Italie, une femme vient de décou-
vrir que les jumeaux qu’elle porte
grâce au recours à la procréation mé-
dicalement assistée, sont les enfants
biologiques d’un couple inconnu, qui
a lui-même eu recours à la médecine
pour tenter de surmonter sa stérilité.
L’échange involontaire ne s’est pas
fait à la naissance, comme cela arrive
parfois,maisbienavant,justeaprèsla
conception des embryons en éprou-
vette, au moment du transfert dans le
corps maternel.
Ce drame n’est malheureusement
pas une première. Il rappelle à quel
point la fécondation in vitro (FIV, voir
infographie)faitdésormaispartiedela
médecine courante et est entrée dans
les mœurs. Depuis 1978 en effet, plus
de cinq millions d’enfants sont arrivés
au monde grâce à cette technique. En
Suisse, cela représente chaque année
plusde 1600enfants,soitprèsdedeux
naissances sur cent. Un chiffre qui
s’est toutefois stabilisé et a même très
légèrement baissé, après des années
d’augmentation spectaculaire.
Les risques cardiovasculaires
A quoi attribuer cette baisse, alors
que la stérilité des couples ne diminue
pas? Elle pourrait être liée aux récen-
tesinterrogationsportantsurl’avenir
de la santé cardiovasculaire des en-
fants issus d’une FIV. En effet en
2012, une étude menée par le profes-
seur Urs Scherrer de l’Hôpital de l’Ile
à Berne en collaboration avec le Cen-
tre Hospitalier Universitaire Vaudois
(CHUV), a fait grand bruit. Elle a
montré que ces enfants avaient un
risquecardiovasculaire plus élevéque
ceux nés de façon naturelle. Ils pré-
sentent aussi un risque accru de dé-
velopper un diabète. Ce serait le mi-
lieu de culture dans lequel sont placés
les embryons qui causerait des ano-
malies dans le développement des
vaisseaux.
«Il s’agit toutefois d’une étude pré-
liminaire portant sur très peu d’en-
fants.Cessultatsdoiventencoreêtre
confirmés, d’autant qu’il y a de nom-
breux milieux de culture différents sur
le marché. Mais cela montre que l’on
doit rester prudent et ne recourir à la
fécondation in vitro que lorsque c’est
strictement nécessaire», commente
Dorothea Wunder, médecin-cheffe de
l’unité de reproduction et endocrino-
logie gynécologique du CHUV.
Mais, pour la spécialiste, cette
étude n’est pas la principale raison
qui explique la stagnation. «Celle-ci
est surtout due à l’assouplissement
des lois dans certains pays, dont les
ressortissants venaient suivre leur
traitement chez nous. Les considéra-
tions économiques entrent aussi en
ligne de compte. Un cycle de FIV
coûte 5000 à 9000 francs, des mon-
tants élevés et qui ne sont pas rem-
boursés par les assurances. Et il faut
parfois compter plusieurs cycles pour
obtenir une grossesse!»
Peur d’une grossesse multiple
Mais il est aussi possible que la baisse
du nombre de FIV soit liée à la crainte
des couples de devoir faire face à une
grossesse multiple. Les chiffres de
l’Office fédéral de la statistique mon-
trent en effet que la FIV multiplie par
dix ce risque. Or, ces grossesses sont
sujettesàcomplicationetaboutissent
souventà des accouchements préma-
turés. Les enfants nés trop tôt néces-
sitent un suivi médical important et
gardent parfois des séquelles. Un
coût humain mais aussi financier im-
portant pour la société.
Toute FIV augmente donc le taux
de grossesses multiples. Mais la
Suisse a de loin le taux le plus élevé
parmi les pays développés. La raison
n’arien à voiravec la qualité des équi-
pes médicales, mais avec le fait que
les chances de réussite de la grossesse
augmentent lorsque plusieurs em-
bryons sont transférés dans l’utérus.
En Suisse, on en implante en général
deux, sauf contre-indication absolue
à une grossesse gémellaire. Il est
pourtant possible d’obtenir le même
taux de succès, voire un meilleur, en
implantant un seul embryon, mais en
le choisissant.
Choisir le bon embryon
Cette technique, pratiquée par la ma-
jorité des pays, est appelée «transfert
électif d’un seul embryon». On ob-
serve d’abord le développement de
l’ensemble des embryons pendant
trois jours au microscope. Puis on
choisit celui qui évolue le plus favora-
blement pour l’implanter. «En Suède
et en Belgique, où la loi permet ce
procédé, le taux de grossesses multi-
ples est tombé à environ 5%, alors
qu’il est de 15 à 20% chez nous où la
méthode n’est pas autorisée par la
loi», explique Dorothea Wunder. Les
avantages sont évidents: ces pays ont
moins d’accouchements prématurés
etdecomplicationsliésàlaFIV.Ano-
ter que la Commission nationale
d’éthique vient de plaider pour un
changement de la loi, afin que soit
autorisé chez nous aussi ce transfert
électif d’un embryon.
Ce recul des naissances après une
FIV montre que la Suisse est encore
loin de suivre la vague du «social
freezing» ou «autoconservation
d’ovules» qui touche de nombreux
pays. Malgré cela, chez nous aussi,
des entreprises incitent, à grand ren-
fort de publicités, les femmes à con-
geler leurs ovocytes, le temps de faire
carrière. L’esprit libéré du tic-tac de
l’horloge biologique, ces dernières
pourraient ainsi mettre entre paren-
thèses leur fertilité, et la faire redé-
marrer plus tard. En réalité, selon une
enquête récente du Centre de méde-
cine reproductive de l’UZ Brussel en
Belgique, les femmes qui recourent à
cet artifice le font en majorité pour se
donner le temps de trouver l’âme
sœur… Pour Dorthea Wunder, «le
«socialfreezing»n’estentoutcaspas
la solution aux problèmes de travail.
Cequ’ilfaudraitavanttout,selonelle,
c’est créer des conditions sociétales
permettant à la femme de conciliervie
professionnelle et vie de famille. La
congélation d’ovocytes, conclut la
spécialiste,devraitsurtoutêtreréser-
vée à des jeunes femmes dont la fé-
condité est menacée par une maladie,
en particulier par certains cancers.
Car aussi bien la congélation que la
FIVnesontpasdesprocéduresanodi-
nes et, comme le montre l’étude du
professeur Scherrer, il vaut mieux ne
les mettre en œuvre qu’en l’absence
d’autres choix.» x
LA FÉCONDATION IN VITRO (FIV)
SOURCE: LMD
1626
BÉBÉS NÉS EN SUISSE PAR FIV
EN 2012
Plusieurs embryons
sont implantés dans
l’utérus de la mère pour
augmenter les chances
de grossesse.
5
Prélèvement
de spermatozoïdes
chez le père.
3
21%
DE TAUX DE SUCCÈS EN SUISSE
PAR TENTATIVE
(EN MOYENNE, CAR PLUSIEURS
TENTATIVES SONT POSSIBLES)
Prélèvement
des ovocytes (ovules
n’ayant pas encore
terminé leur maturation).
2
Stimulation ovarienne
par injection chez la mère.
1
Fécondation en
éprouvette des ovules
matures par des sperma-
tozoïdes pour obtenir
des embryons.
4
UNE TECHNIQUE QUI SE PERFECTIONNE
HISTOIRE On parle de
procréation artificielle dès
le moment où la médecine
doit aider la nature pour la
conception d’un enfant.
La première insémination
avec sperme de donneur a
eu lieu en 1884, aux Etats-
Unis. En 1959, le premier
animal issu d’une féconda-
tion in vitro (FIV) – un lapin
– est né en France. En 1978,
en Grande-Bretagne, Louise
Brown, premier «bébé-
éprouvett, donc issu
d’une FIV, a vu le jour.
Depuis 1992, il est possible
de sélectionner un sperma-
tozoïde et de l’injecter di-
rectement dans un ovocyte.
On parle alors d’injection
intracytoplasmique (ICSI).
DEQUOI
ONPARLE
cEn 2012, quelque 1626 bébés sont nés en
Suisse grâce à la procréation médicalement
assistée, selon l’Office fédéral de la statisti-
que. Un chiffre qui ne prend toutefois pas
en compte les enfants nés à la suite d’une
simple stimulation ovarienne ou d’un trans-
fert de sperme dans l’utérus maternel.
Après une augmentation constante de
ces naissances entre 2002 et 2010, le
recours à ces techniques tend à se stabiliser.
«On doit rester
prudent et ne
recourir à la
fécondation in vitro
que lorsque
c’est strictement
nécessaire»
DOROTHEA WUNDER
Médecin-cheffe de l’unité de reproduction
et endocrinologie gynécologique du CHUV
Kacper Pempel/Reuters
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