Le recours à la fécondation in vitro en léger recul en Suisse

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MÉDECINE
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LeMatinDimanche I 27 AVRIL 2014
En collaboration avec: www.planetesante.ch
Deux bébés sur cent sont issus de la procréation assistée
Le recours à la fécondation in
vitro en léger recul en Suisse
DEQUOI
ONPARLE
LA FÉCONDATION IN VITRO (FIV)
c En 2012, quelque 1626 bébés sont nés en
Suisse grâce à la procréation médicalement
assistée, selon l’Office fédéral de la statistique. Un chiffre qui ne prend toutefois pas
en compte les enfants nés à la suite d’une
simple stimulation ovarienne ou d’un transfert de sperme dans l’utérus maternel.
Après une augmentation constante de
ces naissances entre 2002 et 2010, le
recours à ces techniques tend à se stabiliser.
1 Stimulation ovarienne
par injection chez la mère.
2 Prélèvement
des ovocytes (ovules
n’ayant pas encore
terminé leur maturation).
Marie-Christine Petit-Pierre
En Italie, une femme vient de découvrir que les jumeaux qu’elle porte
grâce au recours à la procréation médicalement assistée, sont les enfants
biologiques d’un couple inconnu, qui
a lui-même eu recours à la médecine
pour tenter de surmonter sa stérilité.
L’échange involontaire ne s’est pas
fait à la naissance, comme cela arrive
parfois, mais bien avant, juste après la
conception des embryons en éprouvette, au moment du transfert dans le
corps maternel.
Ce drame n’est malheureusement
pas une première. Il rappelle à quel
point la fécondation in vitro (FIV, voir
infographie) fait désormais partie de la
médecine courante et est entrée dans
3 Prélèvement
de spermatozoïdes
chez le père.
Choisir le bon embryon
4 Fécondation en
éprouvette des ovules
matures par des spermatozoïdes pour obtenir
des embryons.
«
1626
On doit rester
prudent et ne
recourir à la
fécondation in vitro
que lorsque
c’est strictement
nécessaire»
BÉBÉS NÉS EN SUISSE PAR FIV
EN 2012
5 Plusieurs embryons
sont implantés dans
l’utérus de la mère pour
augmenter les chances
de grossesse.
DOROTHEA WUNDER
Médecin-cheffe de l’unité de reproduction
et endocrinologie gynécologique du CHUV
21%
DE TAUX DE SUCCÈS EN SUISSE
PAR TENTATIVE
(EN MOYENNE, CAR PLUSIEURS
TENTATIVES SONT POSSIBLES)
SOURCE: LMD
les mœurs. Depuis 1978 en effet, plus
de cinq millions d’enfants sont arrivés
au monde grâce à cette technique. En
Suisse, cela représente chaque année
plus de 1600 enfants, soit près de deux
naissances sur cent. Un chiffre qui
s’est toutefois stabilisé et a même très
légèrement baissé, après des années
d’augmentation spectaculaire.
Les risques cardiovasculaires
A quoi attribuer cette baisse, alors
que la stérilité des couples ne diminue
pas? Elle pourrait être liée aux récentes interrogations portant sur l’avenir
de la santé cardiovasculaire des enfants issus d’une FIV. En effet en
2012, une étude menée par le professeur Urs Scherrer de l’Hôpital de l’Ile
à Berne en collaboration avec le Centre Hospitalier Universitaire Vaudois
(CHUV), a fait grand bruit. Elle a
montré que ces enfants avaient un
risque cardiovasculaire plus élevé que
ceux nés de façon naturelle. Ils présentent aussi un risque accru de développer un diabète. Ce serait le milieu de culture dans lequel sont placés
les embryons qui causerait des anomalies dans le développement des
vaisseaux.
Contrôle qualité
souvent à des accouchements prématurés. Les enfants nés trop tôt nécessitent un suivi médical important et
gardent parfois des séquelles. Un
coût humain mais aussi financier important pour la société.
Toute FIV augmente donc le taux
de grossesses multiples. Mais la
Suisse a de loin le taux le plus élevé
parmi les pays développés. La raison
n’a rien à voir avec la qualité des équipes médicales, mais avec le fait que
les chances de réussite de la grossesse
augmentent lorsque plusieurs embryons sont transférés dans l’utérus.
En Suisse, on en implante en général
deux, sauf contre-indication absolue
à une grossesse gémellaire. Il est
pourtant possible d’obtenir le même
taux de succès, voire un meilleur, en
implantant un seul embryon, mais en
le choisissant.
«Il s’agit toutefois d’une étude préliminaire portant sur très peu d’enfants. Ces résultats doivent encore être
confirmés, d’autant qu’il y a de nombreux milieux de culture différents sur
le marché. Mais cela montre que l’on
doit rester prudent et ne recourir à la
fécondation in vitro que lorsque c’est
strictement nécessaire», commente
Dorothea Wunder, médecin-cheffe de
l’unité de reproduction et endocrinologie gynécologique du CHUV.
Mais, pour la spécialiste, cette
étude n’est pas la principale raison
qui explique la stagnation. «Celle-ci
est surtout due à l’assouplissement
des lois dans certains pays, dont les
ressortissants venaient suivre leur
traitement chez nous. Les considérations économiques entrent aussi en
ligne de compte. Un cycle de FIV
coûte 5000 à 9000 francs, des montants élevés et qui ne sont pas remboursés par les assurances. Et il faut
parfois compter plusieurs cycles pour
obtenir une grossesse!»
Peur d’une grossesse multiple
Mais il est aussi possible que la baisse
du nombre de FIV soit liée à la crainte
des couples de devoir faire face à une
grossesse multiple. Les chiffres de
l’Office fédéral de la statistique montrent en effet que la FIV multiplie par
dix ce risque. Or, ces grossesses sont
sujettes à complication et aboutissent
UNE TECHNIQUE QUI SE PERFECTIONNE
HISTOIRE On parle de
procréation artificielle dès
le moment où la médecine
doit aider la nature pour la
conception d’un enfant.
La première insémination
avec sperme de donneur a
eu lieu en 1884, aux EtatsUnis. En 1959, le premier
animal issu d’une fécondation in vitro (FIV) – un lapin
Kacper Pempel/Reuters
– est né en France. En 1978,
en Grande-Bretagne, Louise
Brown, premier «bébééprouvette», donc issu
d’une FIV, a vu le jour.
Depuis 1992, il est possible
de sélectionner un spermatozoïde et de l’injecter directement dans un ovocyte.
On parle alors d’injection
intracytoplasmique (ICSI).
Cette technique, pratiquée par la majorité des pays, est appelée «transfert
électif d’un seul embryon». On observe d’abord le développement de
l’ensemble des embryons pendant
trois jours au microscope. Puis on
choisit celui qui évolue le plus favorablement pour l’implanter. «En Suède
et en Belgique, où la loi permet ce
procédé, le taux de grossesses multiples est tombé à environ 5%, alors
qu’il est de 15 à 20% chez nous où la
méthode n’est pas autorisée par la
loi», explique Dorothea Wunder. Les
avantages sont évidents: ces pays ont
moins d’accouchements prématurés
et de complications liés à la FIV. A noter que la Commission nationale
d’éthique vient de plaider pour un
changement de la loi, afin que soit
autorisé chez nous aussi ce transfert
électif d’un embryon.
Ce recul des naissances après une
FIV montre que la Suisse est encore
loin de suivre la vague du «social
freezing» ou «autoconservation
d’ovules» qui touche de nombreux
pays. Malgré cela, chez nous aussi,
des entreprises incitent, à grand renfort de publicités, les femmes à congeler leurs ovocytes, le temps de faire
carrière. L’esprit libéré du tic-tac de
l’horloge biologique, ces dernières
pourraient ainsi mettre entre parenthèses leur fertilité, et la faire redémarrer plus tard. En réalité, selon une
enquête récente du Centre de médecine reproductive de l’UZ Brussel en
Belgique, les femmes qui recourent à
cet artifice le font en majorité pour se
donner le temps de trouver l’âme
sœur… Pour Dorthea Wunder, «le
«social freezing» n’est en tout cas pas
la solution aux problèmes de travail.
Ce qu’il faudrait avant tout, selon elle,
c’est créer des conditions sociétales
permettant à la femme de concilier vie
professionnelle et vie de famille. La
congélation d’ovocytes, conclut la
spécialiste, devrait surtout être réservée à des jeunes femmes dont la fécondité est menacée par une maladie,
en particulier par certains cancers.
Car aussi bien la congélation que la
FIV ne sont pas des procédures anodines et, comme le montre l’étude du
professeur Scherrer, il vaut mieux ne
les mettre en œuvre qu’en l’absence
d’autres choix.» x
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