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Ethique : ethos (en grec) Morale : mores (en latin)
L’un et l’autre terme signifient : « manière de se comporter ».
Points de vue divers
Jean Marie Miramon (consultant en travail social)
L’éthique d’un intervenant éducatif ou élu politique pourrait se résumer à trois principes :
L’exemplarité : politesse vis-à-vis de chacun, loyauté envers les institutions, la fidélité, la
solidarité avec les équipes de travail comme exigences = on ne peut exiger des autres ce que l’on
ne peut vivre soi-même.
L’écoute : regarder, comprendre la réalité plutôt que la juger, l’idéaliser ou la cautionner.
Ecoute de soi-même dans l’analyse de son propre positionnement et de son rapport au pouvoir. La
compréhension est une pensée complexe qui fait obstacle à l’indifférence, au repli sur soi
(personnel ou institutionnel).
L’engagement : car si les conceptions de l’homme relèvent de la morale commune qui
s’éprouve dans la conformité à des normes collectives, l’engagement éthique, lui, relève du
caractère singulier et personnel de chacun, renvoyant à des valeurs qui lui sont propres.
Paul Ricœur (Philosophe)
Ethique = le but, le sens de la vie
Répond à la question « Pour quoi ? En vue de quoi ? » ... visée, pensée à long terme.
Morale = le chemin qui me permet de réaliser ce but
Répond à la question « Comment ? » ... mise en œuvre, réalisation à court terme
“L’éthique est une visée de la vie bonne avec et pour autrui, dans des institutions justes ».
Le terme éthique est utilisé “pour la visée d’une vie accomplie et le terme morale pour l’articulation
de cette visée dans des normes caractérisées à la fois par la prétention à l’universalité et par un
effet de contrainte”.
Daniel Sibony (Mathématicien, psychanalyste)
Dans « la jouissance du dire », Sibony affirme que « l’éthique est recherche d’un lieu la parole
met en acte ses points de renouvellement alors que tout est supposé acquis, déjà là, à commencer
par la langue où l’on baigne, héritage qu’il n’y aurait plus qu’à faire tourner ... en rond ». Plus loin, il
précise que « la morale est, faute d’éthique, ce que l’on s’impose lorsqu’on pense n’avoir pas les
moyens d’une éthique, et que les interdits en place, les limites, font l’affaire ».
Jacques Lacan (psychiatre psychanalyste)
Il insiste sur deux points : « l’éthique est l’art du bien dire. Pas de dire le bien, mais de dire au plus
près de ce qui nous habite comme sujet. L’éthique passe donc par un processus d’inscription du
désir dans la parole ou l’écriture ». Le second point vient comme corrélat de cette première
assertion : « une fois énoncée la vérité du sujet, se pose une autre question = ai-je agi
conformément à mon désir ? La seule faute morale, celle qui se traduit par la tristesse qui affecte le
sujet, est de céder sur son désir. Mais le désir n’est pas envie, passade ou fantasme. Le désir
relève d’un engagement subjectif dans la parole. Les paroles énoncées engagent le sujet à soutenir
ses actes ».
Dans un autre texte, Lacan précise que ne pas céder sur son désir consiste à faire son devoir. Dire
ce que l’on fait et faire ce que l’on dit seraient un bon résumé d’une position éthique éducative.
« L’éthique consiste essentiellement en un jugement sur notre action (...) c’est la mesure de notre
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action ». (cité par J Rouzel)
Alain Badiou (Philosophe)
Dans « L’éthique. Essai sur la conscience du mal » en 1993 ; Badiou, contre une éthique des
grands principes (morale d’ambiance) que nul ne conteste, prône une éthique des vérités
concrètes, vérités incarnées dans la politique, la science, l’art ou l’amour.
Mais qu’est ce que la vérité ? La vérité renvoie au sujet. « On appelle vérité, le processus réel d’une
fidélité à un événement ... On appelle sujet le support d’une fidélité ». Qu’est ce qu’être fidèle à un
événement si ce n’est être en accord avec ce qu’il fait résonner (voire raisonner) en nous ? Il s’agit
alors de penser l’événement, ce qui se passe, comme entièrement nouveau.
Comme Lacan, Badiou renvoie chacun à soi-même et à ce qu’il soutient dans son rapport au
monde et aux autres. « Il n’y a pas d’éthique en général. Il n’y a éventuellement qu’éthique de
processus par lesquels on traite les possibles d’une situation ». Il y va d’une mise en acte de la
vérité qui constitue chaque sujet ; je juge en mon âme et conscience.
Le positionnement éthique ne remet pas en cause les éléments de responsabilité juridique, de
déontologie, ou de morale, il les relativise, en réintroduisant, par la fenêtre, ce que notre société
scientiste ne cesse de refouler par la porte : le sujet. (cité par J Rouzel).
Joseph Rouzel (Educateur spécialisé, psychologue, psychanalyste)
Faire des choix, c’est s’assumer en tant que sujet responsable. Il s’agit de retrouver l’éthique.
L’éthique n’est pas la morale, mais ce qui sert de socle au sujet pour affirmer et assumer son désir.
Patrick Pelège (sociologue)
Dans le dictionnaire philosophique de M. Lalande, l’éthique est « la science qui a pour objet le
jugement d’appréciation en tant qu’il s’applique à la distinction du bien et du mal ».
Autrement dit, l’éthique serait le chemin entre l’éthologie (ce qui est observé) et le jugement (ce qui
donne valeur).
Rencontrer l’autre suppose que l’autre soit autre, et non pas de l’ordre du même : il est plus que ce
que je connais de lui (pas encore de lui ou autre chose de lui). La position de l’altérité s’énonce ou
se produit dans l’expérience de ce qui échappe, est ailleurs ou autrement.
La rencontre d’autrui fait peur et nous n’avons pas nécessairement envie d’aller dans ce qui nous
échappe, car y aller suppose de s’exposer et/ou de se protéger : il peut y avoir envie et retenue.
Autrement dit, l’éthique est ce qui vient dans notre vie ouvrir une perspective.
« L’éthique est une optique » dans laquelle je suis amené en interaction avec l’autre dans le face à
face qui est entretenu avec lui ... dans le lieu je me noue à la vulnérabilité de l’autre, sans céder
à la mienne ou sans en avoir peur.
C’est de l’autre et par l’autre que je deviens moi-même, nous sommes requis et « otages » d’autrui,
comme l’enseigne Levinas ... toujours du côté de l’infini, « plus je réponds et plus je suis
responsable, et plus j’approche du prochain dont j’ai la charge et plus je suis loin ».
La mise en question de soi par l’autre me rend solidaire d’autrui d’une façon incomparable et
unique. L’unicité du moi, c’est le fait que personne ne puisse répondre à ma place.
L’éthique précède ma libre initiative de sujet : je n’ai pas choisi les autres au même titre que je ne
choisis pas ma lignée d’origine : je me trouve au sein des autres, à côté de cette différence et je me
constitue comme « sujet dans la non-indifférence ; ou pour le dire autrement, dans la responsabilité.
Je suis moi dans la mesure où je suis responsable ».
Emanuel Levinas (philosophe)
La responsabilité éthique « est l’inquiétude de l’autre, semée dans le même ».
L’éthique, c’est ce qui ne laisse pas en repos, dans la mesure nous sommes incessamment
interpellés par le visage de l’autre, surtout quand il est monstrueux ou difforme : l’éthique, c’est le
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lieu d’un appel.
Etre en relation avec autrui face à face, c’est ne pas pouvoir le tuer. La véritable rencontre d’autrui
se tient dans le fait que je ne le possède pas.
En général, on comprend l’autre à partir de son histoire, de son milieu social, de ses habitudes. Or
pour Levinas, il importe moins de comprendre que de le reconnaître dans sa radicale singularité.
La rencontre du visage revoie à l’idée de conscience morale. Car cette rencontre est d’emblée
éthique. Le visage, derrière la sorte d’apparence, l’espèce de contenance qu’il se donne, se pose,
en même temps, comme l’expression du sans défense, de la nudité et de la misère d’autrui. Il s’agit
plutôt de rencontrer le visage, au sens fort du terme. Bien sûr, nous pouvons regarder le visage en
le dévisageant, comme n’importe quelle autre réalité, mais alors il n’y a pas vraiment rencontre.
Rencontrer le visage suppose le passage du dévisagement à l’envisagement. Le visage se pense
comme étant « la contestation perpétuelle du regard que je pose sur autrui.
Max Weber (sociologue)
Ethique de conviction, marquée par un engagement militant fort qui veille sur la flamme de la pure
doctrine et éthique de responsabilité, basée sur un savoir-faire et une qualification, donc sur ce qui
est du domaine du réalisable, du possible dans une conjoncture historique donnée.
Cornelius Castoriadis (philosophe)
L’éthique apparaît chaque fois que la politique s’affaiblit : « L’épiphanie de l’éthique serait donc en
ce sens la manifestation de l’éviction de la politique ».
Spinoza (Philosophe)
« On part du constat que les hommes ne sont pas bons. Ils ne sont généralement pas conduits par
la raison, mais d’abord par leur affect, par la peur ou la haine, le désir de gloire et de puissance, de
séduction, de richesse.
Dès lors, on ne saurait attendre l’arrivée de nouveaux dirigeants vertueux pour que s’améliorent les
dirigeants ou les régimes politiques. Au contraire, il appartient aux institutions de contraindre les
hommes à la vertu. Si elles en sont incapables, elles sont mauvaises ».
Grand Larousse universel
C’est l’ensemble des principes moraux qui sont à la base de la conduite de quelqu’un.
Dictionnaire critique de l’action sociale
C’est un mouvement de liberté en tant qu’elle vise, à travers les actes posés par l’homme, une vie
bonne avec et pour autrui, dans des institutions justes, la recherche du préférable, l’interrogation
sur le meilleur, l’optimal, l’excellence.
Chantal Cornier
L’éthique se conçoit dans le rapport à l’autre, l’autre comme sujet, capable, différent, responsable,
digne. Il n’y a pas de questionnement sur l’éthique sans questionnement sur les finalités, le sens du
faire, en se référant « aux droits de l’homme, à la citoyenneté, au respect de l’identité, à la prise en
compte et au respect du droit à la différence, à la responsabilité ».
LA CONTRIBUTION QUI SUIT EST PRECIEUSE DU POINT DE VUE DE LA COMPREHENSION
DE LA MORALE. D’AUTANT QU’ELLE S’INSCRIT DANS UN CONTEXTE QUI ECLAIRE DE
FACON TOUTE SINGULIERE CETTE QUESTION. C’EST LA RAISON POUR LAQUELLE JE
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N’AI PAS VOULU REDUIRE LE TEXTE.
André Comte-Sponville (Philosophe)
(in Le capitalisme est-il moral ? Albin Michel 2004)
« Autour de la mode de l’éthique d’entreprise ... à force de mettre la morale et l’éthique à toutes les
sauces, à force de vouloir qu’elles soient présentes absolument partout (et en plus qu’elles soient
rentables !), on finira par les diluer et par les instrumentaliser tellement qu’elles ne seront plus
présentes en vérité (dans leur austère et désintéressée vérité) nulle part.
J’aime mieux distinguer un certain nombre de domaines différents, ... d’ordres différents, et marquer
entre eux, le plus clairement possible, certaines limites ... car se poser la question de savoir ce qui
n’est pas permis, c’est se poser le problème des limites ».
Résumé
Nous avons besoin de ces quatre ordres à la fois, dans leur indépendance au moins relative
(chacun a sa logique propre) et leur interaction (aucun ne peut fonctionner sans les autres).
Les quatre sont nécessaires : aucun n’est suffisant.
1. l’ordre technoscientifique (ou économico-techno-scientifique), structuré intérieurement
par l’opposition du possible et de l’impossible, mais incapable de se limiter lui-même ; limité donc
de l’extérieur par un deuxième ordre ...
2. l’ordre juridico-politique, structuré intérieurement par l’opposition du légal et de l’illégal.
Mais comme il n’y a pas de limites interne à l’ordre juridico-politique, ou dit autrement, comme il n’y
a pas de limites démocratiques à la démocratie (comment la loi pourrait-elle limiter ce qui fait la loi
?), de même qu’il n’y a pas de limites biologiques à la biologie, limites économiques à l’économie ...
etc. nous sommes contraints de limiter cet ordre juridico-politique de l’extérieur par un troisième
ordre
3. l’ordre de la morale, structuré intérieurement par l’opposition du bien et du mal, par le
devoir, l’interdit ...
Si nous n’avons pas le droit, individuellement, d’être des salauds légalistes, et si le peuple,
collectivement, n’a pas tous les droits, ce n’est pas pour des raisons juridiques ou politiques ; c’est
pour des raisons morales.
Trois points viennent, même en démocratie, limiter la souveraineté du peuple :
Le peuple reste soumis aux lois de la nature et de la raison. -dessus Hobbes, Spinoza et
Rousseau s’accordent et se complètent. La souveraineté n’a pas de limites, elle a des « bornes ».
L’expression est de Rousseau (Contrat social, II, 4 « Des bornes du pouvoir souverain »). Ces
bornes sont celles du bien commun et de la raison. Le sujet n’aliène que la partie de sa liberté «
dont l’usage importe à la communauté » ; toutefois, précise Rousseau, « le souverain seul est juge
de cette importance », ce qui interdit aux « bornes » en question de valoir comme limites.
Etre souverain, ce n’est pas être tout puissant : il ne peut violer les lois de la nature (personne ne le
peut) ni les règles de la raison (car alors il disparaîtrait : une démocratie folle ne saurait durer).
Le deuxième point, interne à l’ordre n°2, c’est que la politique excède le droit. La « puissance
de la multitude » comme dit Spinoza, ne se réduit pas aux formes institutionnelles de sa
représentation (le Parlement, le Gouvernement..) : elle les fonde, certes, c’est ce qu’on appelle la
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souveraineté, mais aussi elle les limite, par tout un jeu de résistances, de contre-pouvoir et de
rapports de forces. Le peuple, même en démocratie, reste extérieur à l’appareil d’Etat. L’Etat ne
gouverne la multitude que « dans la mesure où, par la puissance, il l’emporte sur elle », comme dit
Spinoza, et cette mesure n’est jamais totale ni absolue. On peut résister au pouvoir, fût-il
démocratique, et même il le faut.
C’est ce qui interdit, déjà dans l’ordre n°2, que le « pouvoir souverain » ait absolument tous les
droits : ce n’est vrai que juridiquement, non politiquement ; en droit, non en fait. La multitude,
comme dit Spinoza, les masses, comme dit Marx, ou les citoyens, comme dit Alain, s’y opposent, et
doivent s’y opposer.
Le troisième point, c’est que la morale existe aussi, autrement dit que le droit n’est pas tout,
que la politique n’est pas tout, que le peuple, même, n’est pas tout.
L’ordre juridico-politique n’est qu’un ordre parmi d’autres, certes autonome et cohérent (c’est ce que
signifie l’idée même de souveraineté), mais également limité, non pas intérieurement (on peut
toujours ajouter une loi à une loi, une force à une force), mais de l’extérieur : parce que le peuple
souverain est tout aussi incapable de modifier une exigence morale (dans l’ordre n°3) qu’une vérité
scientifique ou technique (ordre n°1). Quand bien même le peuple français déciderait «
souverainement » (c'est-à-dire ici, ridiculement) que le Soleil tourne autour de la Terre ou que les
hommes sont inégaux en droit et en dignité, cela ne changerait rien à la vérité (dans le premier cas)
ou à la justesse (dans le second) du contraire.
Distinction des ordres : on ne vote pas sur le vrai et le faux, ni sur le bien et le mal. C’est pourquoi
la démocratie ne tient lieu ni de conscience, ni de compétence. Et réciproquement : Conscience
morale (ordre n°3) et compétence (ordre n°1) ne sauraient tenir lieu de démocratie (ordre n°2). La
vérité ne commande pas ni n’obéit. La conscience n’obéit qu’à soi, et ne commande qu’à soi. C’est
sa façon, dirait Rousseau, d’être libre.
Cette limitation de l’ordre n°2 par l’ordre n°3 vaut d’abord pour les individus.
Il y a des choses que la loi autorise et que nous devons pourtant nous interdire, d’autres que la loi
n’impose pas, que nous devons pourtant nous imposer. La morale du point de vue des individus
s’ajoute à la loi. C’est comme une limite positive : la conscience d’un honnête homme est plus
exigeante que le législateur : l’individu a plus de devoir que le citoyen.
Cette limitation vaut aussi pour les peuples.
Un projet de loi raciste, quand bien même la Constitution le rendrait possible, il est moralement
impératif de le refuser. La morale du point de vue du peuple opère donc plutôt une soustraction ;
l’ensemble de ce qui est moralement acceptable (le légitime) est plus restreint que ce qui est
juridiquement envisageable (le légal, y compris potentiel). C’est comme une limite négative : le
peuple a moins de droits (du fait de la morale) que le droit même ne lui en accorde.
Qu’est ce que la morale ?
Pour faire bref, je répondrai avec Kant : La morale est l’ensemble de nos devoirs -
l’ensemble, pour le dire autrement, des obligations ou des interdits que nous nous imposons à
nous-mêmes, pas forcément a priori, mais indépendamment de toute récompense ou sanction
attendues, et même de toute espérance.
C’est l’ensemble de ce qui vaut ou s’impose, pour une conscience donnée,
inconditionnellement.
C’est l’ensemble des normes que l’humanité s’est données (de façon à la fois différente et
convergente dans toutes les civilisations du globe) pour résister à la sauvagerie dont elle est issue
et à la barbarie qui, de l’intérieur, ne cesse de la menacer. Mais elle n’en fonctionne pas moins,
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