Une once de prévention Prescription pour un système de santé en

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Une once de prévention
Prescription pour un système de santé en difficulté
Stephen J. Genuis
MD FRCSC DABOG
Mieux vaut prévenir que guérir.
Desiderius Erasmus (1466-1536)
D
ans les pays industrialisés où règne l’abondance,
tout comme dans les pays en développement qui
luttent pour progresser, la création et le maintien
de services de santé acceptables comptent parmi les priorités des autorités publiques, des travailleurs médicaux
et des citoyens. Quand les tendances épidémiologiques,
notamment l’escalade des taux de maladies chroniques1,2,
les populations rapidement vieillissantes et l’utilisation
plus grande que jamais des services de santé se juxtaposent à un financement et à des ressources limités, la
viabilité des systèmes de santé publics
devient une préoccupation. Les effectifs
médicaux en nombre insuffisant pour soigner des nombres à la hausse de patients
ont donné lieu à l’avènement de «consultations-minutes», dans lesquelles la
prestation des soins vise parfois plus à
régler les signes et les symptômes plutôt
qu’à découvrir et à prendre en charge les
causes de l’affection. Compte tenu des
coûts grandissants des services de santé,
du désarroi relatif de certains systèmes de santé publics et des recherches qui délimitent sans équivoque les
déterminants spécifiques des afflictions contemporaines,
il est temps que le milieu médical réexamine le concept
de la pratique clinique actuelle, dans lequel il y aurait lieu
d’inclure la médecine préventive.
soulagement rapide des symptômes, ce qui contente
le patient et donne une rétroaction positive aux médecins. Les ordonnances sont rapides et faciles à rédiger
et n’exigent pas d’investigations prolongées des causes
de l’affection. Par contre, une étude des données épidémiologiques récentes fait ressortir des renseignements
plutôt inquiétants.
Autant chez les adultes que chez les enfants, les taux
à la hausse des maladies iatrogènes deviennent de plus
en plus évidents 3,4; des taux alarmants de morbidité
et de mortalité 5,6 sont actuellement attribuables aux
erreurs médicales et aux réactions médicamenteuses
indésirables. L’impression des gens que certains traitements médicaux contribuent au fardeau
de la maladie a donné lieu à une recrudescence sans précédent de l’attention
portée aux thérapies complémentaires et alternatives. L’escalade vertigi­
neuse de la consommation de produits
homéopathiques, d’herbes médicinales,
de naturothérapies et d’autres traitements non pharmaceutiques témoigne
de l’insatisfaction grandissante à propos du résultat de certaines interventions médicales.
Les données épidémiologiques confirment aussi que la
médecine de soulagement des symptômes pourrait faciliter les réponses camouflages. Le mot symptôme peut
être défini comme un «signe d’avertissement». En soulageant rapidement les symptômes avec des thérapies
puissantes, les origines sous-jacentes peuvent demeurer
ignorées, permettant aux processus pathologiques de
persister insidieusement, entraînant des résultats potentiellement désastreux à long terme. Les séquelles latentes
de l’omission de trouver l’étiologie de divers problèmes
de santé deviennent de plus en plus évidentes.
La médecine contemporaine est témoin de la juxtaposition d’une espérance de vie accrue, d’une baisse
de la mortalité due à des maladies aiguës et, simultanément, de taux galopants de maladies dégénératives chroniques et d’incapacité, tant chez les jeunes
que chez les plus âgés1,2. L’Organisation mondiale de
la santé (OMS) a publié un important document intitulé
Prévention des maladies chroniques: un investissement
vital,1 qui porte sur la pandémie globale d’affections
chroniques. Selon les estimations, on attribue présentement aux maladies chroniques 72% du fardeau mondial
Beaucoup…
pensent que la
santé s’achète
en bouteille de
médicaments.
Soulagement des symptômes
Avec la prolifération des cliniques sans rendez-vous et
le recours accru aux départements d’urgence pour des
problèmes non urgents, beaucoup s’attendent à consommer les services médicaux comme ils consomment
les repas-minutes: service rapide, brèves rencontres,
bonne valeur et satisfaction immédiate. En cette époque
de publicité pharmaceutique directe aux consommateurs, beaucoup de patients pensent à la gratification
instantanée et au soulagement immédiat plutôt qu’à la
santé et au bien-être à long terme. Ils sont très satisfaits
d’aller voir le médecin et de ressortir du cabinet avec un
morceau de papier, de prendre un médicament et de se
sentir mieux. Les médicaments efficaces procurent un
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Vol 53: april • avril 2007 Canadian Family Physician • Le Médecin de famille canadien 605
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de la maladie chez les adultes de 30 ans et plus7. De
récentes statistiques américaines font valoir que, dans
le domaine pédiatrique, environ 3% des enfants sont
nés avec des anomalies congénitales 8, environ 17%
des enfants ont eu des problèmes de développement9,
l’incidence du cancer durant l’enfance s’est accrue de
27,1% entre 1975 et 2002 10 et un chiffre record de 1
enfant sur 12 vit avec une incapacité intellectuelle ou
physique11. Chez les adultes, les maladies chroniques,
dont les maladies cardiovasculaires, le diabète, les problèmes d’arthrite et de santé mentale, ainsi que les taux
rapidement croissants de cancer 12, dominent la pratique médicale. Compte tenu de l’escalade des coûts,
du nombre à la hausse de personnes malades, de la
pandémie de maladies reliées aux ordonnances13 et des
ressources limitées, il faudrait envisager l’intégration
de programmes de santé préventifs.
Médecine préventive
L’éducation médicale et la pratique clinique contemporaines accordent une attention constante au soulagement de la souffrance, aux soins continus à la personne
handicapée, au maintien des fonctions vitales et à la
réponse aux besoins de la personne en fin de vie. Les
professions de la santé se préparent à la maladie avec
ressources, diligence et créativité. La prévention de la
maladie et le maintien de la santé, par ailleurs, ne sont
souvent pas des priorités de premier plan.
De nombreuses maladies sont causées par des modes
de vie qu’il est possible de modifier; la façon dont les
personnes choisissent de vivre détermine souvent la
façon dont elles mourront, leur santé et leur bien-être
durant leur vie. L’escalade du cancer chez l’enfant et des
maladies neurologiques dues à l’exposition prénatale à
des substances toxiques14,15, les omniprésentes maladies
cardiovasculaires et respiratoires reliées aux habitudes
choisies16, l’explosion des taux de diabète attribuable
aux modes de vie sédentaires et à la mauvaise alimentation et les graves anomalies congénitales subséquentes
à des carences alimentaires maternelles17 et à des expositions néfastes18 démontrent que la santé est souvent
une question de décisions et non pas le fait du hasard
ou d’un destin génomique prédéterminé. Compte tenu
des forts taux de maladies possibles à prévenir, de nombreux promoteurs de la santé exigent des interventions
axées sur la prévention et la promotion de la santé dans
des domaines comme le mode de vie, l’environnement
et l’alimentation, de sorte que, face à la maladie, les
médecins devront acquérir des compétences pour favoriser une santé optimale. Par ailleurs, une insistance
accrue sur des soins de santé préventifs pose des défis
de taille, parce qu’il n’est pas certain que dans notre culture contemporaine, les personnes puissent être influencées à adopter des modes de vie sains.
Si les patients qui souffrent sont peut-être motivés à
agir pour se sentir mieux, les personnes qui ne souffrent
606 pas ne le seront peut-être pas. Beaucoup croient que la
santé et la maladie sont complètement indépendantes
du comportement et, sans égard aux habitudes malsaines, ils pensent que la santé s’achète en bouteille de
médicaments. Les bienfaits à long terme de l’éducation
en santé ne sont habituellement pas une priorité dans
une culture où les recommandations sur l’alimentation
et le mode de vie sont considérées comme des thérapies primitives et où la réussite est célébrée par un nonévénement. Même aux patients affligés, la promotion
de la santé par des interventions liées au mode de vie
peut être difficile à vendre. Parce que les récompenses
des bonnes habitudes sont souvent intangibles à court
terme et parce que les effets d’un comportement nui­
sible pour la santé ne se font pas sentir dans l’immédiat,
il n’y a habituellement pas de soulagement instantané.
Il peut sembler étrange aux médecins de remettre en
question des personnes apparemment en bonne santé
avec des intrusions non souhaitées dans leur vie, surtout si on ne leur a pas demandé d’aide. Les patients
ne sont généralement pas enclins à révolutionner leur
mode de vie s’ils n’en voient pas la nécessité. Les dispensateurs de soins de santé sont frustrés parce que
les patients ne se conforment pas aux interventions
reliées au mode de vie. De plus, l’éducation en profondeur demande du travail et du temps et les patients qui
s’attendent à des pilules magiques remettent en question la compétence des médecins qui prescrivent avec
prudence les produits pharmaceutiques. L’action thérapeutique sous ordonnance procure l’espoir d’un règlement rapide du problème et elle est récompensée par
de la gratitude; l’absence d’intercession pharmaceutique
peut être accueillie avec déception et insatisfaction à
l’endroit du dispensateur de soins.
Par ailleurs, la reconnaissance de la nécessité
urgente de la promotion de la santé et de la médecine
préventive comme éléments essentiels à la viabilité du
système de santé ne représente pas une épiphanie; de
telles admonitions ont déjà été exprimées auparavant.
Si le bon sens et des recherches exhaustives enjoignent
l’établissement médical et les gouvernements à promouvoir les interventions et les politiques en santé conçues pour substituer des circonstances injurieuses par
de saines pratiques, les politiques actuelles sur le plan
de l’éducation et de l’économie ne créent pas le milieu
propice à l’implantation de telles initiatives. La majorité
de la recherche clinique (principalement financée par
l’industrie) se concentre sur des thérapies de maintien
lucratives plutôt que sur la prévention et la guérison19.
L’éducation médicale est surtout centrée sur la maladie
plutôt que sur la santé et la plupart des revues médicales publient des articles sur la prise en charge de la
maladie plutôt que sur des stratégies pour promouvoir la
santé et le bien-être20. La plupart des systèmes de santé
financés par les fonds publics remboursent les médecins
pour traiter les maladies et non pas pour les prévenir.
Canadian Family Physician • Le Médecin de famille canadien Vol 53: april • avril 2007
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En réalité, bon nombre de régimes de rémunération ne
considèrent pas la médecine préventive comme étant
nécessaire sur le plan médical et, par conséquent, en
excluent tout financement, pénalisant ainsi les médecins
qui prennent le temps et déploient l’effort voulu pour
éduquer les patients au sujet de stratégies visant à éviter
la maladie.
concertés en promotion de la santé sont nécessaires
de toute urgence. Pour sortir la médecine préventive
du discours purement académique et l'intégrer à la pratique médicale systématique, il faudra cependant des
efforts soutenus en matière d'éducation médicale, de
rémunération des médecins et de politiques publiques. Dr Genuis est professeur agrégé à l’University of Alberta,
à Edmonton.
Soins de première ligne et
prévention de la maladie: quo vadis?
En réponse à l’incapacité de l’approche de consultation-minute, divers organismes nationaux et internationaux revendiquent des programmes d’éducation
et des interventions stratégiques visant la promotion
de la santé et la prévention de la maladie21. Le programme international sur l’alimentation et le mode
de vie récemment approuvé par l’OMS22 et la myriade
de campagnes portant sur la prévention des blessures
sont des pas dans cette direction. Plusieurs autres initiatives sont susceptibles d’aider les praticiens à intégrer la prévention dans la prestation des soins de santé
individuels et publics.
L’examen médical annuel donne la possibi­lité
d’éduquer les parents à propos des questions de
santé propres aux enfants. Certains praticiens font de
l’éducation proactive en rédigeant des articles sur le
maintien de la santé pour des publications communautaires, tandis que d’autres donnent des cours dans
des écoles, lors de conférences ou sur des tribunes
pu­bliques. Un programme novateur, intitulé en anglais
«Do Bugs Need Drugs?» a été instauré par une province
canadienne pour prévenir l’usage abusif des antibiotiques. Après avoir renseigné des enfants du niveau primaire, la consommation d’antibiotiques a fléchi presque
immédiatement. Certains médecins se servent d’outils
d’évaluation de l’exposition aux substances toxiques
du Collège des médecins de famille de l’Ontario23 ou
de modules sur la santé environnementale de l’OMS
pour diminuer les risques posés aux patients par les
substances toxiques pathogènes. Les soins avant la
conception peuvent prévenir les problèmes congénitaux et de nombreux médecins ont commencé à avoir
recours à d’autres professionnels de la santé, comme
des nutritionnistes, pour éduquer les patientes à propos
de diverses préoccupations à cet égard. Il a été éprouvé
qu’en assurant un apport suffisant de substances nutritives de base, comme la vitamine D et les acides gras
oméga-3, on peut prévenir une multitude de problèmes
de santé. Les politiques publiques peuvent aussi contribuer à éviter les maladies, en atténuant des facteurs
de risque et en favorisant des conditions propices à la
santé par l'adoption de lois comme le port obligatoire
de la ceinture de sécurité, les restrictions imposées à
l'amiante ou l'élimination des gras trans.
Dans les nombreuses facettes de la prestation des
soins de santé et de l'éducation publique, des efforts
Correspondance à: Dr Stephen Genuis, 2935—66 St,
Edmonton, AB T6K 4C1; téléphone 780 450-3504; télécopieur 780 490-1803; courriel [email protected]
Les opinions exprimées dans les commentaires
sont celles des auteurs. Leur publication ne signifie pas
qu’elles sont sanctionnées par le Collège des médecins
de famille du Canada.
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