novembre 2012-janvier 2013
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Stantari #31
Natura La duperie chez les Aracées
en cherchant à obtenir la ressource “annoncée” et son activité
dans la fleur permet de la polliniser. La duperie existe du
fait même que les insectes pollinisateurs sont incapables
de distinguer une fleur avec ressource d’une fleur-leurre
tant qu’ils ne l’ont pas visitée. S’ils en étaient capables, les
insectes éviteraient les fleurs sans ressources… et les plantes
les portant, ne pouvant donc plus se reproduire, auraient
disparu depuis des millénaires. Il s’agit donc d’une vraie
“course aux armements” entre la faculté de reconnaissance
du signal d’une ressource par les pollinisateurs et la capacité
des fleurs à imiter finement le signal de ladite ressource. Les
plantes ont développé différents types de duperie en fonction
de la ressource imitée (nutritive ou reproductrice) (voir
encadré p.42).
La duperie est surtout connue chez les Orchidées, une
famille de plantes particulièrement riche en espèces leurrant
leurs pollinisateurs par des mécanismes parfois complexes
(Stantari n° 28). On estime qu’environ 6 500 espèces
d’orchidées dupent leurs pollinisateurs en imitant la présence
d’une ressource nutritive, et 400 autres espèces proposent un
leurre sexuel. Même si les orchidées constituent la famille la
plus “riche” en termes d’espèces ayant sélectionné la duperie
comme stratégie de pollinisation, ce n’est pas la seule chez qui
cette adaptation florale est importante. Dans le classement
des familles végétales possédant des espèces à pollinisation
par duperie, la famille des Aracées occupe la deuxième place,
avec des stratégies tout aussi étonnantes. En effet, dans cette
famille, quelque 13 genres et pas moins de 500 espèces ont
sélectionné des leurres floraux olfactifs, sexuels, mais aussi
thermiques… et les espèces corses ne font pas exception !
Les Aracées en Corse
Les Aracées sont principalement présentes dans les régions
tropicales et équatoriales du globe et constituent une famille
horticole très appréciée dans nos appartements. Il existe
toutefois quelques espèces tempérées, notamment des
tubercules herbacés. En France métropolitaine, la famille
des Aracées est représentée par cinq espèces sauvages (Arum
italicum, A. cylindraceum, A. maculatum, Calla palustris et
Arisarum vulgare). La flore des Aracées est bien représentée
en Corse et compte huit espèces dont six à l’état natif*,
parmi lesquelles deux espèces sont endémiques et deux sont
protégées. Trois gouets différents ont été décrits sur l’île. Si
l’icaru, le gouet d’Italie (Arum italicum Mill.), est commun en
Corse et sur le continent et recouvre les champs au printemps
de ses spathes vertes, le gouet cylindrique (Arum cylindraceum
Gasp.) se fait rare et peuple surtout les anfractuosités des
falaises. Le gouet peint (Arum pictum L.f.) est endémique de
Corse, de Sardaigne, des Baléares et de Monte-Cristo. Il est
rare sur l’île, où il se développe le long du littoral. L’arecchia di
porcu, l’arum mange-mouches (Helicodiceros muscivorus (L.f.)
Engl.), est une espèce endémique des grandes îles du bassin
ouest-méditerranéen (Corse, Sardaigne et Baléares) et est
protégée en Corse, où elle se fait peu fréquente. L’ambrosinie
de Bassi (Ambrosina bassii L.) est une petite herbacée menacée
La pollinisation par duperie existe dans 34 familles de plantes à fleurs, soit environ 8 000 espèces végétales. Elle est principalement
représentée chez les orchidées où l’on estime que près de 7 000 espèces leurrent leurs pollinisateurs. En dehors des orchidées, ce
mode de pollinisation existe chez 68 genres et environ 1 000 espèces. Ainsi la pollinisation par duperie a-t-elle évolué de manière
indépendante dans ces différentes familles de plantes. Il peut s’agir de familles basales ou de familles plus dérivées de plantes
eudicotylédones (Nymphaeacées et Bégoniacées) et monocotylédones (Aracées et Orchidacées).
Voici la liste par ordre alphabétique des familles contenant au moins une espèce pollinisée par duperie :
Annonacées, Apocynacées, Aracées, Arécacées (Palmiers), Aristolochiacées, Asclépiadacées, Astéracées, Bégoniacées,
Berberidacées, Bignoniacées, Burmanniacées, Buxacées, Caricacées, Clusiacées, Cucurbitacées, Euphorbiacées, Fabacées,
Fagacées, Hyacinthacées, Hydnoracées, Iridacées, Malpighiacées, Malvacées, Moracées, Myristicacées, Nymphaeacées, Orchidacées,
Rafflesiacées, Santalacées, Scrophulariacées, Siparunacées, Solanacées, Sterculiacées et Taccacées.
Les noms des familles en gras présentent une forme de duperie particulière. Il s’agit en fait d’une duperie intraspécifique entre les
sexes d’une espèce dioïque (voir Stantari n° 30). En général, les plants femelles dupent les pollinisateurs alors que les plants mâles
leur “offrent” du pollen. Des travaux récents ont montré qu’une duperie similaire existe aussi chez les végétaux sans fleurs tels que
les “mousses-bouses” (Splachnacées) ou certains champignons (Phallacées) qui dupent des insectes (principalement des diptères)
afin de disperser leurs spores vers des sites de germination favorables.
La duperie chez les plantes à fleurs