Résumé. L’arabe, vecteur de la révélation coranique, s’est imposé et demeure la langue canonique
de l’islam, en Afrique orientale. Pendant des siècles, il est resté l’apanage des arabophones
acteurs des réseaux commerciaux océaniques et détenteurs du pouvoir politique dans les cités-
comptoirs. Alors que le kiswahili s’est constitué, comme langue locale, dans une dynamique
d’échanges commerciaux et sociaux avant d’aborder les marges de l’islam, l’arabe est resté très
longtemps un marqueur des catégories sociales supérieures. Ce n’est que tardivement qu’une
littérature swahili émergera. Les bouleversements intervenus à la fin du XIX
e
siècle, avec
le partage colonial et l’action des missions chrétiennes, puis l’intervention de musulmans
du sous-continent indien, conduiront à des remises en cause de la prééminence arabe,
notamment sur le plan religieux. Paradoxalement, dans une perspective réformiste, l’usage
du kiswahili deviendra indispensable, sans pour autant remettre en cause la sacralité de la langue
arabe. Enfin il est fait allusion à l’accélération des moyens de communication et aux évolutions
politiques récentes quant à leurs effets sur les dynamiques sociolinguistiques.
Le constat est commun et pourtant implacable, la révélation du Coran aux
humains dans le cadre de la prophétie mohammadienne a fondé la sacralité
de l’arabe dans l’ensemble des mondes musulmans répartis sur la planète. La
transcription du texte lui confère en même temps qu’à la langue, dont il est un
support, une intangibilité concrète où il manque cependant une correspondance
sacrée de la voix, des modulations de celle-ci, de ses injonctions tonales, de ses
poses et de ses emphases. Ceci s’impose malgré les tentatives, postérieures à
la transcription et historiquement renouvelées, destinées à instituer une récitation
dogmatique tentant d’échapper au langage commun, à la parole ordinaire, en
jouant des sonorités et même des mélodies de l’incantation, sans pour autant y
inscrire une musique considérée comme une déviation, comme une désacralisation,
réductrice du message divin, au profit d’une plastique humaine, temporelle,
interprétée par certains conservateurs comme une innovation détournant
l’expression du sacré. Le Coran exprime d’abord le concept divin d’Unicité.
À ce titre il contient, de façon implicite, sa propre esthétique. L’arabe la véhicule et,
d’un point de vue dogmatique, ne peut alors s’égarer dans des formes considérées
comme illusoires, comme trompeuses, quand bien même celles-ci jouent sur les
registres de l’esthétique et du beau. Ainsi, par extension, la langue arabe approche
de l’intangible. Elle figure l’expansion de l’islam. Elle accompagne la conquête,
la soumission, les transactions et les conversions. L’arabe s’impose sans limites
géographiques, humaines et temporelles
À l’opposé, il est tout aussi commun de constater que l’expansion de l’islam
s’est faite sur des modes variés, contraints par les systèmes sociaux, religieux et
culturels préexistants, mis en présence et historiquement marqués. L’imitation,
la violence, la contrainte, le discours missionnaire ou les dialogues mystiques et
rituels ont, selon les temps et les contextes, favorisé l’installation de l’islam et
entraîné la diffusion nécessairement induite de l’arabe coranique, quand bien
même seule la sacralité de cette langue pût être reçue par le plus grand nombre
sans compréhension intellectuelle de l’idiome, ni même de l’essentiel de son