Dimension culturelle et processus de résilience: quel lien?

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Dimension culturelle et processus de résilience: quel lien?
Exemple de cas victime d'une catastrophe naturelle au sud algérien
(ville de Ghardaïa)
Auteur : Ghania Boufermel/Azieze Université, sétif2 Algérie
Mots clés : Résilience, dimension culturelle, inondations de Ghardaïa, culture mozabite.
Résumé de la communication :
Ralph Linton a souligné que l’une des acquisitions scientifiques les plus importantes des
temps modernes est la reconnaissance du fait de la culture …En tant que lieu des
représentations individuelles et collectives ; la culture sert d’étayage au psychique et présente
un facteur de protection essentiel, elle aide la personne à gérer ses expériences terrifiantes et
lui permet ainsi de surmonter les traumatismes.
Etre exposé à un traumatisme est une chose commune chez tous les individus, mais la
différence se manifeste dans les types de réactions liés à un contexte de causalité les
interprétations sont recherchées et le sens- lien est suscité. La pertinence de cette double
perspective ne s’avère importante que si on réalise que les expériences traumatiques résultent
d’une complémentarité au niveau individuel, mais aussi au niveau socioculturel.
Cette contribution veut interroger le caractère d'intégralité de certaines dynamiques du
processus résilient dans ses liens avec les éléments culturels composites d'une même société,
car la spécificité qui caractérise la population mozabite (Azzaba) pousse à penser le rapport
entre cette culture mozabite et ses facultés à souffler sur les braises de la résilience et procurer
ainsi « le sens « et « le lien » (Cyrulnik, 2003) chez les victimes des inondations de la ville
de Ghardaïa 2008.
Nous présenterons ici, les résultats d’une étude psychosociologique qui a été faite sur un
groupe de 50 cas victimes de ces inondations et nous tenterons à démontrer comment les
dimensions de la culture mozabite contribuent à l’enclenchement du processus de résilience,
ainsi que la manière dont ce processus a été exprimé à travers des codes culturels locaux y
compris sa manifestation la plus symbolique.
Introduction :
La vie humaine ne cesse d’être affronter à un ensemble de menaces orientées vers
l’environnement de vie de l’individu qui le rend exposé à ce que la psychologie désigne par
névrose traumatique. Une névrose qui résulte de l’exposition d’un individu à une expérience
traumatisante caractérisée par un événement qui fait circonstance d’une façon inattendue,
souvent intense dans sa gravité, hors du commun, dépassant le domaine des expériences
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habituelles et qui prend le sens d’une rencontre avec la mort. Par ailleurs, cet événement peut
surprendre le sujet de façon isolée, mais il peut également surprendre plusieurs personnes ou
voir une communauté entière telle que les catastrophes naturelles.
Ces événements dévastateurs poussent les sujets et les populations victimes à développer des
stratégies pour faire face dans l’immédiat. Ils s’émergent dans un processus de résilience qui
se met en place.
L’étude des réactions des sujets confrontés à l’adversité montre la diversité des réponses
adaptatives et indique que cette question ne peut rester circonscrite à une approche centrée sur
la vulnérabilité et l’inadaptation. La singularité comportementale des sujets et la variété de
leur développement psychique, comme de leur devenir social, attestent de cette complexité.
Cette variabilité interindividuelle, invite à sortir d’un modèle de compréhension centré sur les
efforts psychopathologiques pour prendre en compte également les ressources et les facteurs
de protection des sujets et de leurs environnement : il s’agit du modèle de résilience lié à la
façon par laquelle l'individu représente l'expérience traumatisante qui se fait à travers les
processus cognitifs et affectifs acquis et construis à partir des connaissances, des croyances et
des traditions que le contexte culturel lui a offert en tant " que développement accumulatif et
patrimoine vivant dans la mémoire"(Ziada.M , 1998).
Le développement des recherches actuelles met en considération la contribution positive de la
culture en tant que canalisateur de résilience dans les thérapies des traumas et les secteurs de
prévention des catastrophes naturelles, tout en soulignant la pertinence par rapport aux
questions du développement durable et l'adaptation au changement climatique. (UNESCO,
mars 2015).
L'événement traumatique pousse le sujet victime à communiquer avec un autre monde non
apparent, le monde culturel favorisé (Nathan .T, 2006). A l'instar de cette réalité, les
symptômes post- traumatiques peuvent -être surmontés, car le sujet donne une dimension
culturelle à son trauma. Une dimension qui aura un sens au sein d'un environnement qui lui
procure les sentiments d’acceptation, de sécurité et de protection. (Jacques. P, 2001).
La composante psychologique de l’individu est certes tributaire des propriétés culturelles
que le sujet tient de son milieu d’appartenance (ou de référence) et des contacts noués avec les
autres, mais son impact apparaît sur le plan psychologique, émotionnel et comportemental et
plus particulièrement sur ce que lui offre son entourage
Dans cette optique, la culture ne se résume pas en un facteur de protection seulement, elle sert
d'étayage pour plusieurs paramètres impliquant les dimensions individuelles et sociales qui
tissent une constellation d'interactions à partir des codes culturels locaux. (Hawkins.J, 2006).
La résilience décrite et popularisée par Boris Cyrulnik, serait un phénomène psychologique
consistant pour un individu affecté d'un traumatisme à apprendre acte .Elle peut-être définie
comme la capacité d'une personne ou d'un groupe à bien se développer, à continuer à se
projeter dans l'avenir en présence d'événements déstabilisants. Ces compétences
comportementales de l'individu qui sont attribuées notamment dans ce contexte à des
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aptitudes sociales appropriées seront favorisées et animées par la culture si elle en a la
capacité. De ce fait, les capacités individuelles latentes ne peuvent apparaître et se développer
qu'en fonction des modèles du soutien social et des liens qui se tissent entre individu
/environnement.
La place de la culture dans les études sur le psycho- trauma a pris une importance croissante
aux cous de ces dernières années notamment la relation entre ces deux entités - résilience et
culture. Nous tenterons à travers cette étude à démonter le caractère d'intégralité de certaines
dynamiques du processus résilient dans ses liens avec les éléments culturels composites d'une
même société.
Les approches théorico-cliniques (Ting Toomy, 1999) qui permettent de penser le modèle de
la résilience- culture mettent à contribution des analyses du processus impliquant les couches
internes et profondes afin de détecter les composantes de ce bagage culturel (croyances,
valeurs, normes, représentations ...). Ces éléments flottent à l'extérieur en présence de
conditions difficiles et d'événements sévères et terrifiants.
La spécificité qui caractérise la population mozabite (l’Azzaba) et le contexte social de la
ville de Ghardaïa poussent à penser le rapport entre cette culture mozabite et ses facultés à
souffler sur les braises de la résilience et procurer ainsi « le sens « et « le lien » (Cyrulnik
,2003) chez les victimes des inondations de 2008, qui ont provoqué un sinistre d'une ampleur
sans précédent au sud , plus de 47 morts et 89 blessés et des dégâts matériels très étendus .
Cette situation de catastrophe avait un impact sur les capacités adaptatives, individuelles et
sociales. La catastrophe marquait profondément le site dans sa configuration physique : rues
ensablés, complètement envahies par des tonnes de gravats, véhicules totalement désarticulés,
etc. Cette effraction massive à la fois de l’environnement et des personnes " si elle est source
de stress, elle offre aussi, potentiellement du moins, des occasions de repenser nos vies, plus
précisément, l'ordre de nos valeurs." (Denis.H, 2002).
C'est dans cette perspective que s'inscrit notre recherche qui tente à démontrer la contribution
positive de la culture mozabite à l’enclenchement du processus de résilience chez les
victimes des inondations de la ville de Ghardaïa, ainsi que la manière dont ce processus a été
exprimé à travers des codes culturels locaux y compris sa manifestation la plus symbolique.
En s'appuyant sur trois dimensions qui s'avèrent trés pertinentes dans la structuration de toute
culture soit, la religion, soutien social, moyeux et traditions sociales (Martin & al , 2005),
nous nous sommes intéressés dans notre problématique à savoir l'impact de cette culture
mozabite sur le processus de résilience chez les sujets victimes d'une telle catastrophe
naturelle aussi traumatisante. Dans ces formes d'adversité lesquelles, les affects et les
interactions personnels laissent beaucoup de place à l'expression des savoir- faire et des
savoir-être. Comment cette résilience s'opert-elle ? Comment agissent ces dimensions
culturelles sur la dynamique résiliente chez ces individus? Quelles sont les usages sociaux
possibles de ces éléments préventifs ? Nous cherchons à répondre à ces questions en nous
servant des outils de " la clinique psycho traumatique ", du concept de résilience et des
dimensions culturelles. Pour cela, nous présenterons d'abord un descriptif de la population
mozabite (ville de Ghardaïa) afin de permettre la compréhension du contexte dans lequel nous
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analysons la place des caractéristiques culturelles dans le processus de résilience. Dans un
deuxième temps, nous exposerons et nous discuterons à la lumière des résultats obtenus de
notre étude, l'influence qu'exercent les dimensions culturelles sur l'enclenchement du
processus de la résilience chez les victimes des inondations du 7 octobre 2008 à Ghardaïa au
sud algérien.
1. La résilience face au psycho traumatisme
Le champ d'exploration des événements de vie traumatiques nous a montré combien ces
derniers pèsent sur le devenir de chacun, et souvent en provoquant des pathologies
dépressives, traumatiques et des conduites inadaptées. Mais les spécialistes de la résilience
souhaitent attirer notre attention sur les personnes qui, malgré ces vécus lourds, ont appris à
faire face à ces adversités avec d'autres réponses que les manifestations pathologiques (Rutter,
1998; Cyrulnik, 2003). La résilience entre mythe et réalité , se trouverait chez Fischer (1994)
dans le fait, que le traumatisme qui aura un devenir tragique et catastrophique, peut devenir un
nouveau début pour l'individu s'il sera bien orienté... une ouverture vers soi, et plus
particulièrement vers une partie de soi que la personne n'a pas connue et que le trauma fait
naître subitement .
La résilience ne peut donc se mesurer qu'en réponse à ces situations perçues comme " à
risque «. Patterson & al (1994) décrivent la résilience comme " l'habileté de fonctionner de
façon adaptée et de devenir compétent lorsque des événements de vie stressants se présentent
". Cela signifie que le processus de résilience se met en place lors de la confrontation à une
situation adverse et à cette condition.
D'autres définitions insistent sur la nécessité de prendre en compte trois dimensions pour qu'il
y'ait résilience (Cyrulnik, 1999). Ainsi, la résilience individuelle correspondrait à la fois à la "
capacité d'une personne à pouvoir faire face " à une situation délétère, alliée à a " capacité de
continuer à se développer " et également " à augmenter ses compétences " à partir de la
situation adverse. Dans cette définition, l'aspect comportemental est apparent et donc elle se
fonde essentiellement sur les compétences comportementales.
Rutter (1985a, 1996b), considère que la résilience réside plus dans l'appartenance d'une
personne à un contexte social et relationnel sur lequel elle prend appui, plutôt que dans ses
caractéristiques individuelles en tant que telles. Le processus de résilience fait référence aux
facteurs de protection qui mettent en valeur les capacités du sujet résilient de trouver ses
ressources internes et des potentiels externes comprenant les liens intersubjectifs et le
contexte social et culturel.
Parmi les modèles mis à jour par les chercheurs facilitant la résilience, nous trouvons deux
dimensions :
- Dimension horizontale représentée par le modèle de la Casita, qui s'intéresse aux besoins
fondamentaux du corps et se prolonge vers l'émotionnel et le spirituel.
- Dimension verticale qui met en valeur l'apport de l'environnement : il s'agit de prendre en
compte l'impact relationnel et structurel de la famille dans le développement de la résilience
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individuelle qui sera soutenue par une résilience dite communautaire ou collective ; une sorte
de membranes protectrices, superposées l'une contre l’autre. (Delage, 2003).
2. Approche de la résilience par le concept de culture
Ralph Linton a souligné que l’une des acquisitions scientifiques les plus importantes des
temps modernes est la reconnaissance du fait de la culture …En tant que lieu des
représentations individuelles et collectives ; la culture sert d’étayage au psychique et présente
un facteur de protection essentiel, elle aide la personne à gérer ses expériences terrifiantes et
lui permet ainsi de surmonter les traumatismes.
Un certain nombre de recherches s'intéressent à décrire les facteurs de protection que la
culture favorise à l’individu. Parmi les facteurs culturels corrélés à la résilience, Martin et al
(2005), ont retenu quatres éléments qui seraient présents, à des degrés divers, dans le
fonctionnement résilient. Ce sont : la religion et le partage des mêmes valeurs, les rituels
familiaux et sociaux, le soutien social et les traditions.
1. La religion, issu du latin ré-ligare, qui signifie refaire le lien ... est la plus forte composante
de la résilience : elle joue le rôle d'une force fondamentale pour dépasser le deuil. Le sens
religieux donné aux événements, les mots et les expressions qui servent d'étayage dynamisent
la résilience et contribuent à la sortie de cet état de confusion et de dysfonctionnement qui
entourent le sujet traumatisé. (Manciaux, 2003)
2. Le soutien social, protège l’individu, il élimine les premières sources de la situation
stressante en renforçant chez lui, l'auto-estime et le sentiment de sa propre efficacité.
Cyrulnik (1999). La qualité de l'entourage et du soutien était un facteur de protection face aux
facteurs de risques que sont les événements traumatiques.
3. Les traditions sociales, le partage des rites et des traditions, encourage et favorise le
développent de la résilience. Les manifestations culturelles au sein du groupe poussent à
changer les premières sources de stress.
3. Ghardaïa : vallée du M'Zab
Les Mozabites, en berbère (Ait Mzab) ou (Tumzabin), en arabe algérien : Bni -Mzab, " Fils
du Mzab ", sont un groupe ethnique vivant principalement dans la région du Mzab en Algérie
et les grandes villes algériennes, la plupart suivent le rite ibadite et parlent une variante
mozabite du tamazight et l’arabe. Les Mozabites habitent cinq villes, dont Ghardaïa située
dans la vallée du M'zab, au nord du Sahara, où ils se sont réfugiés après la terrible destruction
de Tahert la Rustumide.
Pendant le XVIIIe siècle, le rôle de la région comme carrefour commercial caravanier de
l'Afrique saharienne s'est affirmé. La présence de Mozabites installés dans les villes du Nord
du Maghreb telles que Tunis et Alger confirme leurs capacités commerciales.
Ghardaïa présente la forme d'une ellipse : un point culminant la mosquée. La mosquée,
apparaît bien comme le centre autour duquel s'est engendrée la cité. Les villes du M'zab,
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