Monsieur le Recteur, Monsieur le Premier Ministre, Mesdames, Mesdemoiselles, Messieurs, En vos titres et qualités, Chers Collègues, Chers Etudiants, Bienvenue à cette leçon inaugurale. Avant tout, je voudrais remercier Monsieur le Recteur de donner l'occasion de parler de l'enseignement et de la recherche en Biologie moléculaire qui se déroule notamment dans notre Université. Mais tout ce dont que je vais vous parler ici ne se fait pas dans notre Université. Il y a énormément de chercheurs brillants dans le monde et je vais vous expliquer de nouvelles approches qu'ils proposent pour soigner différentes maladies. Avant d'embarquer dans la Biologie moléculaire proprement dite, je voudrais vous faire un rappel des notions de base qui vont vous aider à suivre mon exposé, sous la forme d'un petit dessin animé qui a été réalisé pour le musée du PASS à Frameries et dont nous avons l'exclusivité spécialement pour cette rentrée. Il dure 4 minutes 20 secondes. « Avant de venir ici, vous avez peut-être fait un tour au jardin des plantes, regardé les animaux de la ménagerie et les arbres. Avez-vous remarqué que vous avez un air de famille avec eux? Ça ne saute pas aux yeux et pourtant, vous êtes comme les animaux et les végétaux, fabriqués avec des unités de base identiques: les cellules. Des cellules, il y en a dans tout ce qui vit sur terre. Elles n'ont pas toutes la même mission mais elles sont toutes constituées des mêmes matériaux élémentaires et fonctionnent selon les mêmes grands principes. Une cellule est composée de cytoplasme entouré d'une membrane et contient un noyau. C'est dans ce minuscule noyau que se trouve toute l'information qui fait que vous êtes vous et non pas une girafe, ni un chêne, ni même votre voisin. Le noyau contient les chromosomes qui sont le support de l'information génétique. Le nombre de chromosomes varie selon l'espèce mais ce n'est pas parce que l'on a beaucoup de chromosomes que l'on est forcément plus évolué. L'homme en compte 46, le mouton 54 et le maïs 22. Les chromosomes sont de longues fibres d'ADN repliées et tirebouchonnées sur elles-mêmes. Cette molécule d'ADN est faite de 2 brins complémentaires en forme de double hélice. C'est un peu comme une très longue phrase qui serait la formule de vos caractéristiques personnelles. Les mots qui la composent, ce sont les gènes. Ce sont eux qui font que vous avez 2 bras, 2 jambes et tout le reste. Et d'infimes différences dans les gènes déterminent votre taille, la couleur de vos yeux, de vos cheveux et tout ce qui vous est propre. Tous les gènes sont composés à partir d'un alphabet de 4 lettres qui est le même pour l'ensemble du monde vivant. Un gène peut contenir jusqu'à plusieurs centaines de lettres. Comme il existe des milliers de gènes, 35 000 au total, dans chacune de nos cellules, cela donne une énorme quantité d'informations génétiques. Environ 3 milliards de lettres pour l'homme, l'équivalent de 1000 livres de 1000 pages et tout ça dans un tout petit noyau. Et que fait-on avec tous ces gros livres? Comment l'organisme va-t-il mettre à exécution les informations contenues dans les gènes en fabriquant ses propres outils: les protéines? Et voici comment… L'ADN envoie dans le cytoplasme un messager qui porte les mêmes secrets de fabrication. Là, il est décodé par une tête de lecture qui traduit les instructions sous forme de protéines comme un magnétophone qui lit une bande magnétique et produit de la musique. Et ce sont les protéines qui vont agir, elles savent couper, coller, copier ou déformer les molécules. Elles peuvent aussi servir de matériaux de construction. Par exemple, certaines protéines vont participer à la constitution des tissus comme la peau et les muscles. D'autres vont vous permettre de digérer comme les enzymes. Ce système de décodage ADN-protéines est le même pour toutes les cellules vivantes. Depuis le moment de la fécondation, lorsque vous n'étiez qu'une cellule, vous avez beaucoup grandi et beaucoup changé grâce à la multiplication et la différenciation cellulaire. Comment se fait-il que l'information génétique reste toujours la même alors que de nouvelles cellules naissent sans arrêt? Avant que la cellule ne se divise, les 2 brins de l'hélice d'ADN se séparent et engendrent chacun un nouveau brin complémentaire. La molécule d'ADN s'est ainsi reproduite à l'identique et l'information reste rigoureusement la même. Mais parfois, il y a de petits couacs dans la duplication de l'ADN. Ces variations de la formule génétique peuvent produire des différences visibles chez une personne. Et ce sont ces différences qui contribuent à l'évolution des espèces. » Voici ce délicieux petit dessin animé terminé. Avez-vous remarqué dans la dernière séquence illustrant l’évolution depuis le singe vers l’homme, que le dernier personnage dessiné est … une femme ! Mais contrairement à ce que l'on pourrait en conclure, je voudrais rassurer les individus de sexe masculin qui se trouvent dans cet auditoire: l'étape ultime de votre évolution n'est pas nécessairement de devenir une femme … Ma première diapositive présente une photo aérienne du musée de vulgarisation scientifique du PASS à Frameries qui a été construit sur l'ancien site du charbonnage du Crachet. Deux jeunes chercheurs de mon laboratoire et moi-même contribuons actuellement à rénover leur exposition sur l'hérédité et l'ADN, qui date d'une douzaine d'années. En remerciement, nous avons eu l’autorisation de vous montrer ce merveilleux petit dessin animé « La cellule en clair » réalisé sous la direction de Joris Clerte et Philippe Briday (Gédéon et Compagnie). Le titre de mon exposé est "De nouvelles stratégies pour traiter les maladies causées par des gènes". Nous allons le décortiquer mot par mot pour bien le comprendre. Tout d’abord le mot « gènes ». Des gènes, vous venez d'en entendre parler dans ce petit film. Laissez-moi vous rappeler brièvement que notre corps est constitué d'un très grand nombre de cellules (100 000 milliards de cellules) et qu’à l'intérieur de chacune de ces cellules, le noyau renferme les chromosomes sur lesquels se trouvent nos gènes. Nos chromosomes et nos gènes sont constitués d'ADN, cette superbe structure en double hélice qui a été découverte en 1953 par James Watson et Francis Crick, ce qui leur a d’ailleurs valu le prix Nobel. Un agrandissement de cette structure, montre que les 2 brins de la double hélice sont constitués chacun de l'enchaînement de maillons, des substances chimiques qui sont abréviées par des lettres: A, T, G, C. Et comme dans la langue française, c'est l'ordre (la séquence) dans lequel ces lettres s'enchainent qui détermine l'information portée par ces brins d'ADN. Observons une particularité de cette double hélice: chaque brin est dit complémentaire de l'autre. Cela signifie qu’en face d’un A sur un brin, se trouve un T sur l’autre brin. De même, en face d'un G sur un brin, il y a toujours un C sur l'autre brin. Avec cette simple règle, A devant T et G devant C, s'il arrive un accident à l’un des brins de votre ADN, votre cellule peut reconstituer le brin manquant en se basant sur l'information sur le brin qui a survécu à l'accident. C'est un peu comme dans un ordinateur où vous avez un disque dur et un disque supplémentaire pour les copies de sauvegarde (back-up). Un gène porte dans cette langue à 4 lettres la recette pour fabriquer une protéine, comme une recette pour faire un gâteau ! Nos cellules produisent une grande variété de protéines et celles-ci font quasiment tout dans nos cellules et notre corps, dont elles constituent aussi la structure. Quand la cellule doit fabriquer une protéine, elle copie la recette de l’ADN sous la forme d'une autre chaîne, plus courte, que l'on appelle un ARN messager. Donc une enzyme vient se coller à l’un des brins de l'ADN et le copier. En face d’un G sur le brin d'ADN, l’enzyme enchaînera un C dans l'ARN; en face d’un T sur l'ADN, elle mettra un A dans l’ARN. C’est la même règle simple de complémentarité que pour les brins d’ADN. Il y a juste une petite différence entre ADN et ARN: il n'existe pas de T sur l'ARN, il est remplacé par un U. Pour expliquer à quoi sert l’ARN messager, reprenons la structure de la cellule. A l'intérieur du noyau se trouvent les recettes pour fabriquer les protéines, ces recettes sont dans nos gènes, qui font partie des chromosomes. Nous pouvons comparer nos chromosomes à des livres dans une bibliothèque centrale, le noyau, dont ils ne peuvent jamais sortir. Quand il faudra fabriquer une protéine dans la cellule, comme le gène ne peut voyager, il faudra copier sa recette sous forme d'ARN messager: celui-ci pourra sortir du noyau pour aller dans le cytoplasme rencontrer la machinerie qui fabriquera la protéine dont il porte la recette. Très rarement, les enzymes de réparation de notre ADN laissent passer une erreur, comme une faute de frappe dans un texte. S'il y a une erreur sur un gène, ce qu’on appelle une mutation, quand l'ARN messager sera produit par copie du gène, il va également porter cette mutation. L’ARN messager portant la recette erronée va sortir du noyau, et va diriger la fabrication d'une protéine qui ellemême sera erronée. Par exemple la protéine sera tronquée à la moitié de sa taille normale si la mutation vient interrompre la recette en son milieu. Revenons au titre de mon exposé, j’y mentionne de nouvelles stratégies pour guérir les maladies. Mais quelles étaient les anciennes stratégies en fait? Mon collègue Jean-Marie Colet, professeur de Toxicologie, m’a signalé que tous les médicaments actuellement sur le marché, ciblent uniquement des protéines: les antibiotiques, les antidépresseurs, les antidouleurs, les anti-cholestérol, la pilule anti-conceptionelle etc… Pris tous ensemble, les médicaments actuels ciblent exactement 483 protéines. La méthode du futur, ça sera plutôt d'essayer de corriger l'erreur, la mutation sur le gène, ce que l'on appelle la thérapie génique. Mais ça, c'est encore en grande partie du rêve… A l'heure actuelle, ce n’est pas encore tout à fait au point, même si, et c’est extraordinaire, quelques patients ont déjà été guéris. Mais rassurez-vous, d'ici une dizaine d'années c'est sûr que ça va marcher pour plusieurs maladies. Alors, en attendant que reste-t-il à faire? Entre les gènes et les protéines, c'est de cibler les ARN messagers, ces copies des recettes qui sortent du noyau pour faire fabriquer la protéine. Voici la première stratégie qui cible les ARN messagers, c'est ce que l'on appelle l'interférence par ARN. La découverte de ces méthodes a valu à ses auteurs Andrew Fire et Craig Mello de recevoir le Prix Nobel de Physiologie et Médecine en 2006. Quel en est le principe? Un micro ARN, c’est-à-dire un tout petit ARN double brin synthétique est injecté dans la cellule, il va s’associer avec plusieurs protéines, et perdre l’un de ses brins. Le brin associé aux protéines va se coller à l'ARN messager dont un bout de séquence lui est complémentaire et va causer la destruction de cet ARN messager. Voyons l’impact de la méthode d'interférence par ARN au niveau de la cellule complète. Nous partons toujours d’un gène, qui est la recette, vers l'ARN messager, qui en est la copie, et la protéine qui est en quelque sorte le gâteau fabriqué à partir de cette recette. L'interférence ARN va détruire l'ARN messager et, par conséquent, la cellule ne saura plus comment fabriquer la protéine. Donc, si une protéine cause une maladie, on ne va pas cibler son gène avec ces nouvelles stratégies thérapeutiques. On va simplement détruire l'ARN messager pour l’empêcher de porter la recette de la protéine à l’endroit de sa fabrication ! Revenons au titre de mon exposé, j’y mentionne des maladies causées par des gènes. Qu’avons-nous comme exemples de maladies qui pourraient être soignées de cette manière ? Le cas le plus avancé au niveau développement thérapeutique est la dégénérescence maculaire liée à l'âge. Cette pathologie est la cause principale de cécité dans les pays occidentaux. A quoi ressemble la vision d'une personne qui développe cette maladie? Vous pouvez voir à gauche cette image nette de deux enfants et d’un ballon. Mais une personne atteinte de la pathologie verra une espèce de trou gris au milieu de l'image, avec un halo flou. Quelle est la cause de ce problème? Voici une représentation d'une coupe d'un œil avec le cristallin, à travers lequel la lumière va entrer. En rouge, voici la rétine où se trouvent les récepteurs qui peuvent détecter les variations de lumière et de couleurs. Dans cette rétine que l'on a représentée ici étalée, la macula est la zone de plus grande sensibilité à la lumière, qui va donner la vision la plus précise. Cette rétine doit être alimentée par de l'oxygène, par des nutriments apportés par les fins vaisseaux sanguins qui viennent l'irriguer. La dégénérescence maculaire est causée par la production en trop grande quantité d'une protéine, le VEGF (vascular endothelial growth factor). C'est un facteur de croissance qui permet de fabriquer des vaisseaux sanguins, et s’il est trop abondant, il induira la croissance d’un excès de vaisseaux sanguins dans la rétine. Ces vaisseaux sanguins seront en partie de mauvaise qualité, ce qui va causer des saignements. Et tout cela viendra occulter cette zone tellement sensible à la lumière qui va donc donner cette mauvaise vue. Quelle est cette stratégie thérapeutique tout à fait innovante? Le médecin mettra dans l'œil de la patiente des gouttes contenant l'ARN interférent, ce petit ARN qui viendra causer la destruction de l'ARN messager du VEGF. Par conséquent, la protéine VEGF ne sera plus fabriquée et ne causera plus cette prolifération anormale de vaisseaux sanguins à l'intérieur de la rétine. Ce nouveau médicament a passé avec succès les étapes des essais cliniques de phase 1 et 2, et on peut s’attendre à le trouver sur le marché dans les toutes prochaines années. Selon un inventaire qui date de la fin 2011, cette stratégie d'interférence ARN est testée sur 20 ARN messagers différents. Je voudrais tout de suite rassurer Valéry Saint-Ghislain qui est le grand gestionnaire de cette séance académique: je ne vais pas parler des 20 autres exemples ! Je vous les cite en vrac… Il y a en test des micro ARN pour cibler des virus et permettre de lutter contre des infections virales. C'est notamment une stratégie très prometteuse dans le cas de l'infection par le virus du SIDA. Certains cancers sont causés par des mutations, des erreurs dans des gènes, et des chercheurs ont conçu des micro ARN pour cibler les ARN messagers de ces gènes mutés. Ils espèrent empêcher ces ARN de produire la protéine qui favorise le développement du cancer. Une autre cible concerne des cas d'hypercholestérolémie Vous savez que l'excès de cholestérol augmente fortement le risque de développer des maladies cardio-vasculaires. Des chercheurs ont développé un micro ARN pour empêcher la production d'une protéine qui aggrave ce problème. Avant de passer à la 2ème et dernière grande famille de ces molécules de stratégie thérapeutique nouvelle, il faut que je vous signale un petit point de nomenclature lié à la structure chimique de chaque chaîne d’ADN: dans la double hélice, où les 2 brins sont complémentaires, on dit que l'un des brins est dans l'orientation « sens » et l'autre « anti-sens ». Cette nomenclature sens/anti-sens est utilisée quand 2 brins d'ADN ou 2 brins d'ARN vont se coller l'un à l'autre. Maintenant que vous savez ce que signifie « anti-sens », je peux vous parler de la seconde stratégie thérapeutique qui est le « saut d'exon ». Les chercheurs utilisent des oligonucléotides anti-sens, c’est-à-dire des petits morceaux d'ADN ou d'ARN simple brin qui pourront se coller sur une partie d’un d'ARN messager de séquence complémentaire. Cette liaison obligera l'ARN messager à former une boucle bien précise qui sera coupée par des enzymes de la cellule. Comme l'ARN messager perdra un morceau, la recette qu'il porte sera amputée et la protéine fabriquée sera plus courte. En général, elle aura perdu un morceau quelque part dans le milieu. Pour comprendre l'intérêt de cette stratégie, il faut aller jusqu’à la dernière étape de l'expression d'un gène, quand l’ARN messager porte la recette depuis le noyau jusqu'à l'usine qui va fabriquer la protéine. Cette usine s'appelle le ribosome et est représentée par ces 2 structures joufflues. C’est dans le ribosome que la recette est lue pour fabriquer la protéine. La protéine est aussi une longue chaîne, mais elle est fabriquée avec 20 unités différentes possibles que l'on appelle les acides aminés. L'ordre dans lequel s'enchainent les acides aminés lors de la fabrication de la protéine est déterminé par l'ordre dans lequel s'enchainent les 4 lettres dans la recette portée par l'ARN messager. Comment la cellule peut-elle convertir cette langue à 4 lettres de l'ARN messager en la langue à 20 lettres de la protéine ? C'est comme pour traduire de l’anglais en français, il faut un dictionnaire. Dans la cellule l'ARN est lu par groupes de 3 lettres, et chaque « mot » de 3 lettres définit l’un des 20 acides aminés dans la protéine. Si la recette portée par l'ARN messager a perdu une lettre, ça va être la catastrophe parce qu'elle aura perdu ce que l'on appelle sa phase de lecture, c'est-à-dire l'ordre dans lequel ces mots de 3 lettres sont lus. Il faut qu'ils s'enchainent régulièrement : si on décale d’une ou deux lettres, les mots seront différents sur l’ARN messager et les acides aminés différents dans la protéine, ce qui va changer sa fonction. L'application la plus spectaculaire de ces stratégies du « saut d'exon » est actuellement en cours d’essais thérapeutiques dans la dystrophie musculaire de Duchenne. Cette diapositive présente un petit garçon en fauteuil roulant : il est atteint de cette maladie génétique. Pourquoi un garçon? Parce qu'un garçon sur 3.500 à la naissance, est atteint de cette maladie gravissime. L'espérance de vite à l'heure actuelle ne dépasse pas 25 à 30 ans. Que se passe-til dans cette maladie? Un gros plan sur une cellule de muscle montre à l'intérieur du cytoplasme des espèces de gros tuyaux, c'est en réalité la machinerie responsable de la contraction musculaire. Elle est constituée de protéines qui coulissent les unes sur les autres pour que le muscle se contracte. Par la suite, le coulissement des protéines s’inversera pour relâcher le muscle. Cette contraction développe une telle force mécanique qu’elle doit se faire en position parallèle avec la membrane. Si elle prend une autre orientation, elle va déchirer la membrane. Pour éviter ce problème, une très grande protéine nommée dystrophine se lie d’un côté à des protéines attachées à la membrane, et de l’autre à des protéines attachées à l'appareil contractile. Cette protéine géante oriente la contraction pour éviter ces déchirures musculaires. Les enfants atteints de la dystrophie de Duchenne ont perdu un morceau du gène de la dystrophine, et par conséquent soit la protéine qui est fabriquée est non fonctionnelle, soit elle n’est pas produite du tout, selon la mutation. Je vous ai caché quelque chose jusqu’ici et c'est la dernière chose compliquée que je vais vous présenter. En réalité, les recettes des protéines, qui sont portées par les gènes, ne sont pas écrites d'une traite. Elles sont interrompues. C'est un peu comme si vous preniez une recette dans un magazine et que vous voyiez votre recette interrompue par des placards publicitaires. Ceux-ci sont appelés les introns et la recette est portée par des segments qu'on appelle des exons. Le gène est donc fait de l'alternance entre exons et introns. Lorsque cette recette morcelée est utilisée, elle est copiée sous la forme d'un précurseur de l’ARN messager qui doit subir une étape de maturation qu'on appelle épissage. L'épissage consiste à enlever ces petits bouts de publicité qui ne servent à rien par rapport à la recette. Chaque intron forme une boucle qui sera clivée à sa base des 2 côtés. Les enzymes qui coupent les introns recollent aussi les morceaux d'exons voisins les uns aux autres pour former un ARN messager qui porte la recette d'une traite, sans interruption, pour pouvoir fabriquer la protéine. Le gène de la dystrophine est le plus long gène humain, avec 79 exons, et son immense copie sous forme d’ARN messager doit subir toutes ces étapes d'épissage. Sur ces diapositives, on vous montre une petite région du messager telle qu'elle a été copiée du gène, des exons n°48 à 52. Sur l’ARN messager, l'épissage enlève tous ces introns pour recoller les exons les uns aux autres : 48-49-50-5152. Ça, c'est ce qui se passe quand le gène n'est pas muté. Que se passe-t-il chez les enfants atteints de la maladie de Duchenne ? Une partie de ces enfants ont perdu un morceau du gène incluant l'exon n°50. Leur gène passe directement de l’exon 49 à l’exon 51. Sur l'ARN messager qui est copié à partir de ce gène muté, l'épissage va enlever les introns et recoller les exons les uns aux autres. Mais malheureusement la fin de l'exon 49 n'est pas dans la même phase de lecture que le début de l'exon 51. Donc, le raccord à cet endroit-là fait sauter cette phase de lecture par mots de 3 lettres sur l’ARN messager, et la protéine ne pourra pas être fabriquée. Ces enfants n'auront pas de dystrophine et quand ils contracteront leurs muscles, ils vont les détruire Imaginez-vous bien la réflexion des chercheurs à ce moment… Pendant une dizaine d'années, ils se sont dit "Ces enfants sont malades parce qu'il leur manque un morceau du gène"… "Comment pourrait-on leur remettre le morceau qui manque?" C’est alors que Steve Wilton en Australie et Judith Van Deutekom aux Pays-Bas se sont fait indépendamment cette réflexion : " Si, au contraire, on agrandissait le trou, en enlevant encore un exon de plus, on pourrait raccorder l'exon 49 à un exon plus éloigné mais qui viendrait se recoller dans la bonne phase de lecture ". Et voilà cette stratégie du saut d'exon: les chercheurs ont fabriqué des petits morceaux d'ADN ou d'ARN synthétique qui peuvent se coller chacun d’un des côtés de l'exon 51 sur l’ARN messager de façon à le bloquer. Les enzymes qui enlèvent les introns vont couper l’ARN d’un côté à la fin de l’exon 49 et seront obligées d'enlever tout un grand morceau comprenant l’exon 51 et l’intron suivant puisqu’elles ne pourront couper de l’autre côté qu’au début de l’exon 52. Après cet épissage le raccord obtenu entre les exons 49 et 52 tombe pile dans la bonne phase de lecture. Donc, la cellule pourra fabriquer une dystrophine : elle sera plus courte car il lui manquera un morceau au milieu. Mais ce n'est pas grave puisque le rôle de la dystrophine est de faire un lien entre la membrane et l'appareil contractile. Ce lien se fera, il sera juste un peu plus court. Les résultats expérimentaux ont été impressionnants et voilà 2 publications de 2011 dans des journaux prestigieux de médecine (The Lancet, The New England Journal of Medicine) rapportant les essais cliniques chez des enfants. Il y a donc des espoirs extraordinaires pour ces jeunes patients Ces essais cliniques sont financés en partie par les industries pharmaceutiques (Avi BioPharma pour l’essai australo-anglais, et Prosensa pour l’essai néeérlando-belge) qui produisent ces oligonucléotides anti-sens. L'industrie Prosensa (Pays-Bas) est entrée en relation exclusive avec la multinationale Glaxo Smith Kline Biologicals pour le développement de ces nouveaux médicaments. Je vais terminer par quelques diapositives sur la maladie que nous étudions au laboratoire, et au nom totalement imprononçable. Ce nom reflète la façon dont la maladie progresse. C'est une maladie de dégénérescence des muscles qui s'appelle la dystrophie facio (parce qu'elle commence au niveau de la face)-scapulo (parce qu'elle atteint ensuite les épaules)-humérale (parce qu'elle va ensuite atteindre les membres). Plus simplement FSHD. Cette pathologie se caractérise par une atrophie musculaire, c’est-à-dire que les fibres qui constituent les muscles « fondent ». Il y a de plus un gros problème de stress oxydants, d’inflammation et fréquemment une asymétrie dans la progression de la maladie. Nous avons eu la chance, dans mon équipe, d'identifier le gène qui cause cette maladie. Voici la représentation de la fin du chromosome 4, avec son extrémité qu'on appelle le télomère, et quelques gènes. Il y a là un morceau d'ADN de 3300 lettres qui est répété comme une espèce de bégaiement. Et pendant des années ces répétitions ont été considérées par les chercheurs comme ne servant à rien et ont été surnommées "ADN poubelle". Mon équipe a trouvé que chaque unité répétée contient cependant un gène que nous avons appelé DUX4, et qui cause la maladie. Ce gène produit une protéine qui est une sorte de chef d'orchestre : elle va donner l'ordre à toute une série de gènes d'être actifs, de produire leur ARN messager pour fabriquer la protéine correspondante, et à toute une série d'autres gènes d'arrêter de fonctionner. Ce gène n'a normalement pas d'activité dans le muscle. Le fait d'avoir un chef d'orchestre fou dans la cellule musculaire, chef d'orchestre qui peut activer lui-même d'autres gènes qui produisent d'autres chefs d'orchestre, qui perturbent encore d'autres gènes, va faire qu'avec l'activation d'un seul gène au départ, la production de la seule protéine DUX4, une cacophonie complètement folle se développe qui va toucher des centaines de gènes dans le muscle des patients et provoquer l'atrophie musculaire, l'inflammation, le stress oxydant et des problèmes de différenciation. Voilà une représentation du modèle biologique que nous utilisons au laboratoire: nous recevons des biopsies de muscles de volontaires sains ou de patients. A partir de ce muscle, nous obtenons des cellules que nous pouvons cultiver dans des boîtes en plastique au laboratoire. Ces cellules vont à un moment donné en culture fusionner pour faire des sortes de tubes que l'on appelle myotubes et qui sont les précurseurs des fibres musculaires . Dans le corps, ce sont ces fibres qui s'associent pour constituer chaque muscle. Nous avons utilisé un petit truc pour peindre en vert les protéines qui se trouvent dans ces myotubes. Voilà à quoi ressemblent les myotubes de cellules normales avec en bleu les noyaux qui sont tous ces petits points de toutes les cellules qui ont fusionné pour donner ces fibres. Si nous faisons la même manipulation avec des cellules de patients, les fibres musculaires sont extrêmement fines, elles sont atrophiques, elles ont donc maigri très fortement. C’est ce qui nous arrive à tous si nous nous cassons un bras et que nous devons porter un plâtre, les fibres musculaires inactives endessous du plâtre vont « fondre ». Voici l'expérience que nous avons faite: nous prenons des cellules normales, nous y mettons un gène DUX4 activé, elles vont fusionner pour donner des myotubes trop minces, preuve que la simple production de cette protéine « chef d'orchestre fou » va rendre les fibres atrophiques. Inversement, nous pouvons prendre des cellules de patients, supprimer la production de la protéine DUX4 par une des stratégies dont je vous ai parlées, soit interférence par ARN, soit des oligonucléotides anti-sens, et elles vont fusionner pour donner des myotubes grassouillets qui ressemblent à ceux des cellules normales. Nous espérons beaucoup par cette stratégie avoir développé un précurseur d'un médicament : nos oligonucléotides anti-sens sont actuellement en test dans des souris chez lesquelles on a pu produire ce type de pathologie. Je termine en vous présentant l'équipe de mon laboratoire sans laquelle rien ne serait possible: Frédérique COPPEE qui est chef de travaux depuis une semaine, Eugénie ANSSEAU et Alexandra TASSIN qui sont toutes les 2 docteurs en Sciences Biomédicales , ont bénéficié de 4 ans de mandat de chargés de recherche du FNRS, et pour lesquelles je commence à avoir de fameuses insomnies quant à leur avenir. Ensuite, il y a les thésards: Sébastien CHARRON et Laurence DE LA KETHULLE DE RYHOVE qui travaillent sur ce projet. Ludovic DHONT qui est le satellite isolé dans mon laboratoire, le seul qui travaille sur notre projet cancer que je n’ai pas évoqué ici. Nous avons également dans le laboratoire Céline VANDERPLANCK qui a fait la majeure partie de ce travail, et si cela vous intéresse, elle va défendre sa thèse début décembre sur ces stratégies anti-sens pour la FSHD. Enfin Carole RUELLE et Thomas ZWAKHALS sont les techniciens du laboratoire. Nous appartenons à la Faculté de Médecine et de Pharmacie et, regardez: 1ère utilisation du logo tout frais de l'Institut de Recherches en Sciences et Technologies de la Santé de l'UMONS (son petit nom, c'est Santé) auquel appartient notre laboratoire. Je vous remercie de votre attention.