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Un raid Gauloises endeuillé
CHRONIQUE
La Française Dominique Robert, 46
ans, membre de l’équipe
Endurance-AGF, a perdu la vie
quand le canoë à bord duquel elle
se trouvait s’est coincé sous des
branches d’arbres à la suite d’une forte
montée des eaux.
Malgré l’intervention immédiate des
secours, elle n’a jamais pu être
ranimée. Dix-sept équipes étaient déjà
passées à l’endroit du drame quand
une rupture d’un barrage naturel situé
en amont, ou sur un des affluents, s’est
produite. La montée subite des eaux a
accéléré le rythme de progression sur
cette portion de la rivière. Dominique
et son coéquipier ont alors emprunté
un mauvais bras, à droite du parcours
indiqué, et se sont fait coincer sous les
branches d’un arbre. Le tronçonnage
de l’arbre a permis de dégager le corps
de Dominique, mais il était trop tard.
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La douzième édition du raid
Gauloises, le raid des raids, l’ultime
épreuve des épreuves ultimes, tenue
cette année au Kirghizistan, restera
longtemps gravée dans la mémoire des
quatre membres de l’équipe
québécoise (Coppertone/
EnduranceAventure.com), formée de
Daniel Poirier, Marie-Ève Bergeron,
Charles-Olivier Dupuy et Martin
Ladouceur.
D’abord, cette mort qui est venue
ombrager cette grande finale des
épreuves d’aventures-extrêmes et puis
la malchance, voire la maladie, a
obligé l’équipe du Québec, seule
équipe nord-américaine à y participer
avec une autre de la Californie, à
abandonner ce raid de dix jours après
seulement neuf heures de course, elle
qui n’avait eu que trois semaines pour
rassembler tout le matériel nécessaire à
un si éprouvant périple.
« Neuf heures de course, un seul
poste de contrôle de complété après
plus de 42 heures de voyage, c’est un
peu difficile à prendre, mais ça fait
partie de la game », m’écrit Daniel
Poirier dans un long courriel émis
depuis Bichkek, la capitale de
Kirghizistan.
Couchant en altitude avant de
prendre le départ en matinée, Poirier a
commencé à être très malade. Diarrhée,
forte fièvre, Poirier et les siens se
mettent quand même en marche à la
levée du jour. Première étape: 52 km à
pieds avec un sommet à atteindre situé
à 3900 mètres d’altitude. Les équipes
ne pouvant faire le trajet en moins de
12 heures sont disqualifiées. Poirier
est tellement malade qu’il semble à
l’agonie. « Moi, tout ce que je voulais,
c’était franchir les trois premiers postes
de contrôles afin de pouvoir me
reposer et refaire le plein d’énergies.
Martin et Marie-Ève m’ont tiré. Ils ont
porté mon sac et nous avons dû
prendre plusieurs petits repos.
Physiquement, je crois que cette
journée a été la plus éprouvante de ma
vie. »
Après 8 h 45 de course et rendus à
plus de 3475 mètres d’altitude, cette
fois ce fut au tour de Charles-Olivier
d’être malade. En défaillance totale
aussitôt les 2800 mètres franchis (le
mal de l’altitude), Charles avait peine
à avancer. Les médecins campés à 3900
mètres sont alors venus nous voir et ils
ont décidé d’évacuer toute l’équipe en
hélicoptère.
« Ce fut un tour incroyable au-
dessus des hauts sommets enneigés,
écrit Poirier. Entre-temps, comme par
magie, j’ai retrouvé tous mes sens,
mais Charles a dû être mis sur
intraveineuses. Deux heures plus tard,
nous étions là quand les médecins et
les dirigeants de la course ont reçu
l’ordre de partir sur la rivière avec
l’hélico et une scie à chaîne. Un peu
plus tard, nous apprenions la mort de
celle avec qui nous causions quelques
heures plus tôt. »
C’est la première fois qu’un
participant perd la vie dans un raid
Aventure-Extrême.
Après avoir été réunies au sommet,
les équipes françaises ont décidé
d’abandonner la compétition, mais de
finir le parcours ensemble, comme
dans une longue marche funèbre. Les
équipes de tête, elles, ont continué
leur périple. « Nous aurions bien aimé
les accompagner, mais nous étions
encore trop faibles. Moi, je n’avais rien
mangé depuis 36 heures et Charles
était encore bien loin d’être remis.
Dites aux gens de chez nous de ne pas
s’inquiéter et que nous sommes
présentement tous en bonne santé. »
Ouf !
Si vendredi, vers 18 h, vous n’avez
rien à faire, à Dorval, sur Air France,
arriveront quatre Québécois qui en
auront long à raconter.
À suivre.
LA PRESSE MONTRÉAL MERCREDI 18 JUIN 2003 S5
PHOTO RAID GAULOISES
Le raid Gauloises, le raid des raids, l’ultime épreuve des épreuves ultimes...
Pierre Bourgault le tribun
LE COLLÈGUE Yves Boisvert racontait
dans sa chronique d’hier sa grande
surprise de voir un bon jour Pierre
Bourgault s’amener dans la classe qu’il
fréquentait à la faculté de droit de
l’Université de Montréal.
Et à quel point il avait été sidéré par
les talents de tribun de l’ami décédé,
lundi, en début d’après-midi.
En lisant Boisvert, je me suis
immédiatement souvenu que
Bourgault était aussi descendu au
Collège Sainte-Croix alors que nous
étions de jeunes étudiants en philo et
qu’à l’amphithéâtre du collège, le
temps d’un midi, il nous avait tous
subjugués, enflammés dois-je dire, au
point de nous convaincre de poser sur-
le-champ, s’il nous l’avait demandé,
les gestes les plus radicaux afin de
faire avancer « la cause ».
Et c’est à ce moment que j’ai
compris à quel point un orateur de la
sorte, par la magie du verbe et la clarté
de ses propos, pouvait éveiller et
soulever en quelques minutes les plus
grandes passions. Bourgault a maintes
fois avoué qu’il s’effrayait lui-même
tant il était conscient du pouvoir qu’il
exerçait sur une foule.
La magie du verbe.
L’art de la persuasion.
La faculté de convaincre des gens
qu’ils peuvent réussir des choses,
toutes les choses, pourvu qu’ils se
donnent seulement la peine d’y croire.
Pierre Bourgault m’excusera
l’entourloupette, lui qui par surcroît
n’était pas un grand connaisseur de
sport, mais si un jour un entraîneur du
Canadien s’amène avec la moitié du
talent de tribun qu’il possédait, sûr
que les Coupes Stanley vont s’entasser
les unes après les autres sur l’autel du
Centre Bell.
Cet homme-là avait le don de
convaincre et ses envolées oratoires
étaient telles qu’elles parvenaient à
décupler les forces de chacun.
Bon repos, Pierre Bourgault.
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