En attendant le SMUR Prise en charge d’un noyé S. Collet1, E. Lacotte2, E. Querellou2, M. Vergne2, M. Jaffrelot2 1 Hôpital de la Cavale Blanche, Accueil des urgences médicochirurgicales, 29609 Brest Cedex <[email protected]> 2 SAMU 29, Hôpital de la Cavale Blanche, 29609 Brest Cedex Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 25/05/2017. Mots clés : noyade, médecin généraliste, soins d’urgence Circonstances – Épidémiologie En France, les noyades accidentelles sont responsables de plus de 500 décès chaque année. L’Institut de veille sanitaire (InVS) et la Direction de la défense et de la sécurité civile du ministère de l’Intérieur et des Libertés locales ont mis en place les enquêtes Noyades depuis 2001 pour assurer une meilleure connaissance épidémiologique des noyades, et aider à la mise en place de stratégies de prévention adaptées. En 2004, 1 163 noyades accidentelles ont été recensées en France. Les enfants de moins de 6 ans ont représenté 13 % des noyades alors qu’ils ne sont que 7 % dans la population. Les moins de 13 ans ont été les premiers noyés en piscine publique, privée ou payante (47 %). C’est en mer que les noyades sont les plus nombreuses, neuf fois sur dix à moins de 300 mètres de la plage [1]. doi: 10.1684/met.2006.0044 Physiopathologie mt Tirés à part : S. Collet La définition de cet état d’asphyxie aigu lié au contact de l’eau a suscité de nombreuses discussions concernant le terme à utiliser. Le seul terme anglo-saxon désormais recommandé est drowning, qui correspond à la suffocation chez une personne victime de submersion ou immersion dans un liquide [2]. La différenciation entre les causes circonstancielles (eau douce ou salée) ou physiopathologiques mt, vol. 12, n° 5-6, septembre-décembre 2006 (laryngospasme ou inhalation primitive) de la noyade n’influence pas la prise en charge immédiate de ces victimes. Ces concepts sont par ailleurs remis en question quant à leur intérêt en termes de décision thérapeutique en réanimation hospitalière. Le noyé est d’abord un patient en détresse respiratoire et doit être traité comme tel [3-5]. Cependant, les phénomènes observés de malaise, suffocation, hyperventilation et inhalation sont expliqués par des mécanismes de quatre ordres : – Le contact direct de l’eau avec la paroi postérieure du larynx (lors d’un mouvement de panique) a été rendu responsable de laryngospasme. – La diminution de la sensibilité à l’hypoxie de chémorécepteurs après hyperventilation volontaire lors de jeux en apnée est responsable de nombreux accidents en piscines. – L’immersion brutale dans une eau froide (à température inférieure à 25 °C) conduit à des mouvements de panique et parfois une syncope thermodifférentielle. – Enfin, le réflexe dit « de plongée » : la stimulation par l’eau froide de récepteurs sur le territoire du nerf trijumeau déclenche un mécanisme vagal puissant qui conduit au malaise. Ces mécanismes sont parfois liés à d’autres causes de malaise : origine cardiaque, neurologique, allergique ou toxique (en particulier l’alcool) qu’il faudra évidemment rechercher par l’interrogatoire (entourage). 367 En attendant le SMUR Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 25/05/2017. Les gestes élémentaires de survie 368 Le médecin, témoin direct ou sollicité pour un accident de submersion, se retrouve en situation de leader malgré lui, n’ayant pourtant aucun matériel à disposition auquel se raccrocher... Il ne pourra refuser sa position de référent face aux témoins et aux secouristes, qui arriveront le plus souvent avant une équipe du SMUR. Les règles de base du secourisme sont les plus utiles dans ces circonstances déstabilisantes. Il faut se rappeler que la durée de l’hypoxie est le facteur pronostique le plus important. L’oxygénation et la perfusion doivent être restaurées le plus précocement possible [6, 7]. L’ordre de prise en charge des détresses vitales est bien codifié : A-B-C-D. A) Air way : un patient en détresse respiratoire respire mieux en position demi-assise. La majorité des noyés inhalent peu d’eau (qui sera rapidement absorbée par la circulation centrale) ; aucune manœuvre d’évacuation n’est donc recommandée. B) Breathing : reconnaître un arrêt respiratoire et le ventiler au bouche-à-bouche. En cas d’absence de respiration spontanée, il est recommandé de ventiler le patient pendant 1 minute avant d’entreprendre le massage cardiaque. Si le patient ne peut être ramené en moins de 5 minutes au bord, il faudra ventiler la victime 1 minute de plus. Une fréquence respiratoire supérieure à 30 mouvements par minute est un signe de gravité. C) Cardio : l’absence de réponse à la stimulation et l’absence de réaction à l’insufflation suffisent pour débuter un massage cardiaque (victime installée sur un plan dur). D) Drogues : dès que possible, d’une voie veineuse sera posée suivie d’une injection de 1 mg d’adrénaline en cas d’arrêt cardiorespiratoire, à renouveler toutes les 3 minutes en cas d’absence de récupération d’un pouls. Chez l’enfant, les doses sont de 30 lg/kg puis 10 lg/kg toutes les 5 minutes (il est plus facile de l’injecter après une dilution au 1/10 dans une seringue). À propos du massage cardiaque : il est moins préjudiciable de faire un massage cardiaque à un noyé inconscient qui ne respire pas ou qui gaspe que de perdre du temps à rechercher la présence d’un pouls qui n’affirmera pas l’efficacité et la pérennité d’une circulation. Les dernières publications internationales proposent une alternance de 30 compressions pour 2 insufflations en toute situation. La réanimation doit être prolongée jusqu’à l’arrivée de l’équipe médicale, en particulier en cas de noyade en eau froide. Il est aussi recommandé de se relayer toutes les 3 minutes. Les manipulations doivent être très prudentes en cas de circonstances à risque de lésion du rachis cervical (vagues, plongeon, rochers...). Réchauffer la victime est un geste primordial. Il faut donc déshabiller la victime, la sécher et la recouvrir avec des vêtements et une couverture, le tout enveloppé dans une couverture de survie (côté argenté vers la victime). Des boissons chaudes peuvent être administrées en l’absence de détresse respiratoire ou neurologique. Stratégie de la régulation médicale L’appel est classé prioritaire au centre 15. En cas d’indisponibilité du médecin régulateur, la notion de « noyade avec difficulté respiratoire » peut déclencher une procédure réflexe d’envoi d’équipe médicale. Dès que possible, le médecin régulateur sera informé et pourra rappeler si besoin le témoin. Le médecin généraliste, premier intervenant médical Les transporteurs sanitaires sont équipés de masque à haute concentration et d’oxygène. Ils ont reçu une formation pour ventiler les patients au ballon autoremplisseur. Néanmoins, le seul signe d’efficacité d’une ventilation au bouche-à-bouche ou au ballon reste la présence d’une élévation de la poitrine à l’insufflation. Il est souhaitable qu’ils possèdent aussi une minerve afin de stabiliser le rachis cervical. Ils peuvent être habilités à mettre en œuvre un défibrillateur semi-automatique (DSA). La procédure d’utilisation est très simple et indiquée par la machine. Pendant que les secouristes installent le DSA, il ne faut pas arrêter les gestes de réanimation. Lorsque l’appareil donne ses consignes, il faut l’écouter. Aucune défibrillation par excès lorsqu’une situation de « choc conseillé » est formulée par l’appareil. Il est prudent d’avoir séché le patient et l’avoir éloigné de l’eau avant la pose du DSA. Ce que fera le SMUR L’oxygénation est poursuivie par l’équipe médicale. Soit par masque à haute concentration, soit après intubation en cas d’arrêt cardiaque ou de détresse respiratoire majeure. L’intérêt de la mise en place de ventilation non invasive n’est pas démontré actuellement. L’intérêt de la mise en place d’une sonde gastrique est démontré. La victime aura été perfusée et un remplissage prudent et lent débuté. En cas d’hypotension, le recours aux amines vasoactives est précoce. La décision d’arrêt de réanimation n’est pas aisée chez le noyé. Plusieurs paramètres paracliniques pourront aider à la décision d’arrêt de soins. Lors de l’intubation, un taux de CO2 expiré bas mesuré peut aider à la décision d’arrêt de soin. Par ailleurs, les signes cliniques de mort (mydriase, raideur) peuvent être directement liés à l’hypothermie ; dans ce cas, la kaliémie est un paramètre défavorable lorsqu’elle est supérieure à 10 mmol/L. C’est mt, vol. 12, n° 5-6, septembre-décembre 2006 Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 25/05/2017. pourquoi, selon les circonstances (chronologie, contexte de survenue, température de l’environnement), des patients noyés et en cours de réanimation cardiorespiratoire seront transportés à l’hôpital. En effet, plusieurs cas cliniques de patients noyés en eau froide ayant récupéré sans séquelles neurologiques ont été publiés. Le médecin témoin d’une noyade trouve sa place de soignant dans l’application des recommandations des gestes de premiers secours. La réalisation rapide est primordiale pour le pronostic de ces patients. La présence d’une difficulté respiratoire ou d’une toux persistante [8] nécessite l’avis du médecin régulateur du centre 15 pour les modalités de transport vers un service d’urgences. Dans la trousse d’urgence Matériel Médicaments Masque à haute concentration Matériel de voie veineuse BAVU (ballon autoremplisseur à valve Adrénaline injectable unidirectionnelle) N’ont pas prouvé leur efficacité en phase préhospitalière ou sont délétères une toux et quelques râles à l’auscultation. La saturation en oxygène est normale sous oxygénothérapie au masque. Elle ne présente pas de trouble hémodynamique. Grand hypoxique : La victime a inhalé une quantité de liquide responsable de trouble de la conscience pouvant aller jusqu’au coma. Elle présente des signes de détresse respiratoire. Anoxique : La victime est en arrêt cardiorespiratoire. Références 1. Surveillance épidémiologique des noyades – Enquête Noyades 2004 – Institut de veille sanitaire. Département des maladies chroniques et traumatismes. 2. Idris AH, Berg RA, Bierens J, et al. Recommended guidelines for uniform reporting of data from drowning : the “Ustein style”. Resuscitation 2003 ; 59 : 45-57. 3. Laura M, Ibsen LM, Koch T. Submersion and asphyxial injury. Crit Care Med 2002 ; 30 : 402-8. 4. Advanced Challenges in Resuscitation. Section 3 : special challenge in ECC. 3B : submersion or near-drowning. Resuscitation 2000 ; 46 : 273-7. 5. Salomez F, Vincent JL. Drowning : a review of epidemiology, pathophysiology, treatment and prevention. Resuscitation 2004 ; 63 : 261-8. Diurétiques Corticoïdes [9] Méthode de Heimlich [10] Vomissements provoqués 6. In : European Resuscitation Council Guidelines for Resuscitation. 2005 : S141. 7. Collectif. 2005. American Heart Association Guidelines for cardiopulmonary Resuscitation and Emergency Cardiovascular Care. Part 10.3 : Drowning. Circulation 2005 ; 112(4) : 133-5. En étude : Ventilation non invasive Surfactant [11] Classification clinique retenue par l’InVS 8. Szpilman D. Near-drowning and Drowning classification : a proposal to stratify mortality based on the analysis of 1,831 cases. Chest 1997 ; 112 : 660-5. Aquastress : La victime n’a pas inhalé de liquide. Elle ne présente pas de trouble de la vigilance. Il n’existe pas de trouble respiratoire. Le patient peut être angoissé et légèrement hypotherme. Petit hypoxique : La victime a inhalé une faible quantité de liquide. Elle ne présente pas de trouble de la vigilance. Elle présente 9. Foex BA, Boyd R. Towards evidence based emergency medicine : best BETs from the Manchester Royal Infirmary. Corticosteroids in the management of near-drowning. Emerg Med J 2001 ; 18 : 465-6. 10. Rosen P, Stoto M, Harley J. The use of the Heimlichmaneuvre in near-drowning : Institute of Medicine report. J Emerg Med 1995 ; 13 : 397-405. 11. Onarheim H, Vik V. Porcine surfactant (Curosurf) for acute respiratory failure after near-drowning in 12 years old. Acta Anaesthesiol Scand 2004 ; 48(6) : 778-81. mt, vol. 12, n° 5-6, septembre-décembre 2006 369