l`acquisition de la spatialite en français chez les etudiants chinois

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Ecole doctorale 139
Connaissance, langage, modélisation
Thèse en vue de l’obtention du grade de
Docteur en Sciences du langage
de l’Université Paris Ouest Nanterre La Défense
Présentée et soutenue publiquement par
TAN Jia
le 8 décembre 2011
L’ACQUISITION DE LA SPATIALITE EN
FRANÇAIS CHEZ LES ETUDIANTS
CHINOIS
ETUDE LONGITUDINALE
sous la direction de
Colette NOYAU (Professeur – Université Paris Ouest Nanterre La Défense)
devant un jury composé de :
Maya HICKMANN (Directeur de recherche CNRS, Université Paris 8), rapporteur
Henriëtte HENDRIKS (Directeur de recherche, Cambridge University), rapporteur
Christophe PARISSE (chercheur HDR
Nanterre La Défense), examinateur
INSERM, MoDyCo – Université Paris Ouest
Colette NOYAU (Professeur émérite – Université Paris Ouest Nanterre La Défense),
directrice de la thèse
Résumé
Mots clés : référence spatiale, acquisition des langues étrangères, français langue
étrangère, production orale, analyses de corpus, enseignement des langues étrangères
Cette thèse, qui s’inscrit dans le domaine de l’acquisition des langues étrangères, a
pour objectif de comprendre comment les étudiants chinois, au cours de l’acquisition
du français, expriment la référence spatiale (la localisation et le déplacement dans
l’espace) lorsqu’ils s’acquittent d’une tâche verbale complexe. Nous avons effectué
une étude longitudinale de trois ans, en recueillant des productions orales narratives à
trois reprises, auprès de 22 apprenants de la même classe, avec des supports en
images : Le Chat et Le Cheval respectivement aux deux premiers cycles, et Frog,
where are you ? à chaque cycle. Cette procédure permet non seulement d’observer
l’acquisition de la spatialité en français de tous les apprenants à un moment donné,
mais aussi de mettre en lumière la progression acquisitionnelle de chaque apprenant
dans le temps. Basée sur des analyses aux niveaux phrastique, conceptuel et discursif,
nous essaierons de trouver les facteurs qui influencent l’expression de la spatialité en
français, et de proposer des solutions pédagogiques en fonction des difficultés
identifiées chez les apprenants, en vue d’améliorer l’acquisition de la spatialité dans
le contexte de l’enseignement du français en Chine.
Abstract
Key words : spatial relations, foreign language acquisition, French as a foreign
language, oral expression, corpus analysis, foreign language teaching
This thesis intervenes in foreign language acquisition, and has an objective to
understand how Chinese students in university learn French space expression. I have
thus conducted a three-year research and carried out three corpus collections with 22
Chinese learners from the same class, respectively in the first three years in French
learning. The Chinese learners are required to tell a story according to the pictures. In
every collection, all learners are assigned to tell the Frog story; in the first two
collections the additional Cat and Horse stories are respectively required. From the
collected corpus, each learner are fully studied, including the space expressions at
specific stages and the progress in three-year period. The analysis based on the data
has been carried out in the three levels: the sentence level, the conceptual level and
the discursive level. It is aimed to find the factors which influence the space
expression in French. Moreover, the thesis provides teaching solutions according to
the learning difficulties identified in the corpus.
2
Remerciements
La rédaction d’une thèse est une entreprise de longue haleine. Au terme de ma
recherche doctorale, je voudrais adresser mes remerciements à tous ceux qui m’ont
aidée à mener à bien cette étude.
La première personne à qui je souhaite exprimer ma profonde gratitude, c’est ma
directrice de recherche, Madame le Professeur Colette NOYAU, qui, ayant dirigé mon
mémoire de DEA, m’a accompagnée tout au long de ces six années de recherche
doctorale. Elle m’a tant appris et s’est toujours montrée convaincue de la pertinence
de mes travaux. La confiance et la compréhension qu’elle a témoignées à mon égard
m’ont été des plus précieuses, et ses encouragements m’ont toujours donné chaud au
coeur.
Je remercie sincèrement les rapporteurs et membres du jury d’avoir accepté d’évaluer
ce travail et d’y avoir porté de l’intérêt.
Je voudrais aussi témoigner ma reconnaissance envers Madame HENDRIKS, qui a eu
la patience de répondre à toutes mes questions, de me donner des conseils pertinents,
et de m’envoyer les documents dont j’avais besoin.
Je tiens à remercier également Cristina De LORENZO ROSSELLÓ et Arnaud
ARSLANGUL, qui m’ont permis d’utiliser leurs corpus de productions orales en
français L1 et en chinois L1.
Mes remerciements sincères vont aussi à Monsieur FU Rong, directeur du
département de l’Université des Langues étrangères de Pékin, pour son soutien
constant tout au long de ce travail, et à mes collègues, DAI Dongmei, CHE Lin et
TIAN Nina, pour leurs encouragements et leurs suggestions.
Je dois un grand merci à mon père, qui a eu la gentillesse de réaliser tous les dessins
dans la thèse, et à ma mère, pour la patience qu’elle a consentie devant mes
changements d’humeur occasionnés par ce travail.
3
Table des matières
Résumé...........................................................................................................................2
Remerciements...............................................................................................................3
Table des matières..........................................................................................................4
Liste des abréviations.....................................................................................................7
INTRODUCTION____________________________________________________8
PREMIERE PARTIE CADRE THEORIQUE ET METHODOLOGIE______13
Chapitre I
Acquisition des langues..................................................................14
I.1.
Définitions......................................................................................................14
I.2.
Recherches de l’acquisition des langues étrangères : état des lieux...............18
I.2.1
Analyse contrastive..........................................................................18
I.2.2
Analyse des erreurs..........................................................................20
I.2.3
Interlangue........................................................................................21
Chapitre II
Conceptualisation de la spatialité.................................................24
II. 1.
La référence spatiale.......................................................................................24
II.1.1 Les relations spatiales.......................................................................26
II.1.2 La localisation..................................................................................28
II.1.3 Le déplacement................................................................................30
II. 2.
La langue et la pensée....................................................................................35
Chapitre III
Contexte de l’étude.........................................................................39
III. 1. L’état de l’enseignement du français en Chine...............................................39
III. 2. L’enseignement du français dans le supérieur en Chine.................................41
III.2.1 Evolution de l’enseignement du français.........................................41
III.2.2 Le déroulement des études spécialisées...........................................43
III. 3. L’acquisition de la spatialité en français........................................................47
III.3.1 Le français, langue difficile pour les Chinois..................................47
III.3.2 L’enseignement de l’expression spatiale en français......................49
III.3.3 De l’enseignement à l’acquisition...................................................50
Chapitre IV
Recueil de données.........................................................................53
IV. 1. Construction du corpus...................................................................................53
IV.1.1 Apprenants chinois...........................................................................53
IV.1.2 Collectes des données.......................................................................54
IV.1.3 Productions des témoins...................................................................59
IV.2.
Transcription des données..............................................................................60
IV.2.1 Segmentation....................................................................................61
IV.2.2 Présentation des données..................................................................67
IV.2.3 Glose morphémique de la production chinoise................................69
4
DEUXIEME PARTIE ANALYSES DE RECITS_________________________78
Chapitre V
V.1.
V.2.
V.3.
V.4.
V.5.
V.6.
Le Chat............................................................................................79
Les événements spatiaux................................................................................80
Relations spatiales impliquées dans l’introduction........................................81
V.2.1 Localisation statique........................................................................81
V.2.2 Déplacements...................................................................................85
Relations spatiales impliquées dans le développement..................................93
V.3.1 Déplacement du chat........................................................................93
V.3.2 Apparition du chien..........................................................................96
V.3.3 Intervention du chien........................................................................98
Relations spatiales impliquées dans le dénouement.....................................105
V.4.1 Déplacement des intrus..................................................................105
V.4.2 Déplacement de l’oiseau................................................................109
L’organisation de l’information spatiale.......................................................111
V.5.1 Parcours de l’oiseau........................................................................112
V.5.2 Parcours des intrus..........................................................................115
Constatations................................................................................................122
V.6.1 Les événements spatiaux................................................................122
V.6.2 La sélection de l’information spatiale............................................126
Chapitre VI
Le Cheval.......................................................................................128
VI.1
L’entrée en scène du cheval..........................................................................129
VI.1.1 Le cadre spatial...............................................................................129
VI.1.2 La désignation de la « barrière »....................................................133
VI.1.3 La relation cheval - barrière - vache..............................................136
VI.2. Le parcours du cheval...................................................................................143
VI.2.1 Le franchissement..........................................................................143
VI.2.2 La chute..........................................................................................149
VI.3. Les secours des animaux................................................................................150
VI.3.1 L’intervention unilatérale de la vache............................................151
VI.3.2 Les secours conjoints des deux animaux.......................................151
VI.3.3 L’action respective des deux animaux............................................152
VI.3.4 Cas particulier de Delphine............................................................154
VI.4. Constatations................................................................................................154
VI.4.1 Le développement des moyens linguistiques.................................155
VI.4.2 L’organisation de l’information spatiale........................................157
VI.4.3 Résultats........................................................................................161
Chapitre VII
VII.1.
Synthèse et hypothèses : Le Chat vs Le Cheval.........................163
L’élaboration du cadre spatial......................................................................164
VII.1.1 Le choix du cadre...........................................................................165
VII.1.2 Le marquage de la nouvelle information dans le cadre spatial......169
5
VII.2.
VII.1.3 Résumé et hypothèse à tester avec les récits La Grenouille...........172
Les événements spatiaux..............................................................................173
VII.2.1 L’organisation des événements.......................................................173
VII.2.2 L’empaquetage de l’information spatiale dans les déplacements...175
VII.2.3 Les prépositions spatiales...............................................................179
Chapitre VIII
Frog, where are you ?...................................................................187
VIII.1. Les événements spatiaux impliqués.............................................................188
VIII.2. Localisation – trame....................................................................................190
VIII.2.1 Localisation dynamique : recherche dans la maison.....................190
VIII.2.2 Localisation statique.....................................................................195
VIII.3. Déplacements – trame................................................................................213
VIII.3.1 Trajectoire avec franchissement de bornes...................................213
VIII.3.2 Trajectoire directionnelle..............................................................229
VIII.3.3 Trajets entre deux lieux de référence............................................245
VIII.4. Evénements événements secondaires.........................................................256
VIII.4.1 Localisation..................................................................................256
VIII.4.2 Déplacements...............................................................................259
VIII.4.3 Placement.............................................../.....................................262
VIII.5. L’organisation des événements..................................................................266
VIII.5.1 La différenciation des représentations des événements...............266
VIII.5.2 Les événements spatiaux secondaires..........................................273
VIII.6. Constatations de la comparaison longitudinale.........................................278
TROISIEME PARTIE APPLICATIONS DANS L’ENSEIGNEMENT______282
Chapitre IX
Enseignement/acquisition de la spatialité en français.............282
IX.1. L’enseignement de la spatialité...................................................................284
IX.1.1 Matériaux langagiers......................................................................284
IX.1.2 Approche pédagogique..................................................................290
IX.2. De l’acquisition à l’enseignement de la référence spatiale.........................293
IX.2.1 L’acquisition de la spatialité en français........................................295
IX.2.2 Vers un enseignement « visualisé » de la référence spatiale..........299
IX.3. Evaluation....................................................................................................321
IX.3.1 Aperçu sur l’évaluation du français en milieu institutionnel.........321
IX.3.2 Vers un nouveau système d’évaluation basé sur Le Cadre............322
IX.3.3 L’évaluation de l’acquisition de la spatialité.................................325
CONCLUSION____________________________________________________331
BIBLIOGRAPHIE_________________________________________________342
LISTE DE TABLEAUX/SCHEMAS/FIGURES_________________________355
ANNEXES : SUPPORTS EN IMAGES________________________________358
6
LISTE DES ABREVIATIONS
Abréviations utilisées dans le corps du texte
Beiwai
Université des Langues étrangères de Pékin
CAU
verbe de cause
CVS
construction verbale sérielle
DES
verbe de destination
DX
verbe de deixis
Fd
fond
Fg
figure
FLE
français langue étrangère
Gaokao
Concours national d’entrée à l’université
L1
langue première
L2/LE
langue étrangère
le Cadre
Cadre européen de référence pour les langues
Lg-S
langue à codage sur le satellite (satellite - framed languages)
Lg-V
langue à cadrage verbal (verb - framed languages)
LM
langue maternelle
LS
langue cible
LS
langue source
MAN
verbe de manière
occ.
occurrence
TRA
verbe de trajectoire
7
Introduction
La présente étude, ayant pour objet l’acquisition de la spatialité en français chez les
apprenants chinois, vise à observer le parcours de l’appropriation de la référence
spatiale en français chez les étudiants chinois, et à cerner les facteurs qui affectent le
processus d’acquisition dans le domaine référentiel de l’espace.
Mon expérience personnelle est à l’origine de cette étude. Ayant commencé mes
études de français dans le département de français à l’Université des Langues
étrangères de Pékin en 1996, j’y ai entamé l’enseignement du français à partir de
2002. Durant le travail, j’ai remarqué que malgré les efforts des enseignants sur le
plan pédagogique, les étudiants chinois, même à un niveau avancé, avaient toujours
des difficultés à s’exprimer en français lors qu’ils s’acquittaient d’une tâche, et que
certains problèmes restent récurrents dans les comportements langagiers des
apprenants. Comment expliquer ces phénomènes ? Si l’on ne réussit pas à trouver
une réponse sous l’angle pédagogique, il est nécessaire de changer d’optique,
autrement dit, de s’intéresser aux apprenants, qui occupent en effet la place centrale
dans le déroulement de l’apprentissage. Ainsi je me suis initiée à la
psycholinguistique de l’acquisition des langues durant mes études en France, en tant
qu’étudiante en Sciences du langage à l’Université Paris Ouest Nanterre La Défense.
Le français est une langue difficile à acquérir pour les Chinois, la difficulté réside
non seulement dans le système linguistique, qui s’avère très différent de celui du
chinois, mais aussi et surtout dans la vision du monde incarnée par la langue. « La
construction du système sémiotique de la langue 2 ne peut se voir comme un simple
passage entre langue 1 et langue 2, mais implique une reconstruction à partir de la
conceptualisation du monde. » (Noyau, 2003) Si les apprenants veulent continuer à
progresser dans l’acquisition du français, il faut qu’ils apprennent à voir les choses
autrement et adopter le système conceptuel du français, c’est-à-dire penser
autrement.
J’ai choisi la spatialité, domaine particulièrement intéressant comme « angle
8
d’attaque ». L’espace est, d’après Piaget, « l’ensemble des rapports établis entre les
corps que nous percevons ou concevons, ou pour mieux dire, l’ensemble des
relations dont nous nous servons pour structurer ces corps, donc pour les percevoir et
les concevoir. » (1981 : 1) Toute communauté linguistique a développé un riche
répertoire de moyens pour exprimer la référence spatiale. Comme la temporalité, la
spatialité constitue une catégorie fondamentale de la cognition humaine. Il s’agit
aussi d’un des domaines phares dans l’étude de l’acquisition du langage, beaucoup de
recherches (projet E.S.F., dont les résultats sont réunis dans Adult Language
Acquisition : Cross-linguistic perspectives1 , où un chapitre, signé par Becker &
Carroll, traite de la spatialité) et de travaux y ont été consacrés (Klein, Slobin,
Hickmann, Hendriks, Watorek), abordant l’acquisition de la langue maternelle et de
la langue étrangère, à travers des études transversales et longitudinales. Pourtant, en
Chine, les enseignants s’intéressent avant tout à l’expression de la temporalité, sentie
comme centrale durant l’acquisition du français, car elle touche à la morphologie
verbale, et la spatialité, négligée par les supports pédagogiques et dans le
déroulement de l’enseignement du français, a été peu explorée.
Une première étude sur l’acquisition de la spatialité a été effectuée en 2005 auprès de
5 apprenants chinois à niveau avancé, et a fait l’objet de notre mémoire de DEA
(TAN, 2005). La confrontation des narrations basées sur la séquence d’images Frog,
where are you ? , avec celles de témoins adultes dans leur L1 (chinois et français) a
permis de dévoiler, d’un côté, la distance entre l’expression spatiale des apprenants et
celle des natifs, et de l’autre, l’impact de la langue maternelle sur l’appropriation du
français langue étrangère. Cette étude a confirmé en partie les hypothèses de
l’influence conceptuelle que la langue maternelle peut exercer sur le développement
acquisitionnel du français, et a soulevé aussi des questions et des pistes de réflexions
qui m’ont poussée à approfondir la recherche dans le même domaine. J’ai donc
décidé de poursuivre l’étude transversale par une étude longitudinale, qui a consisté à
suivre le parcours du développement de la référence spatiale en français des
apprenants chinois universitaires, du stade initial au stade avancé sur 3 ans, car une
1
Perdue (1993).
9
étude longitudinale qui décrit un processus évolutif, a pour avantage de contribuer à
mettre en évidence des éléments qui échappent à l’observation ponctuelle.
Le choix de la démarche est déterminé par l’objectif de la recherche. Cette étude
visant à observer la compétence linguistique des apprenants pour s’acquitter d’une
tâche en français, j’ai donc privilégié les productions orales qui s’avèrent le moyen le
plus pertinent de refléter fidèlement la conceptualisation en temps réel du locuteur,
par rapport à l’écrit, qui laisse le temps au locuteur de réfléchir sur l’organisation de
l’information et de soigner la formulation de l’expression au fur et à mesure.
Trois séquences d’images (Le Chat, Le Cheval et Frog, where are you?) ont été
utilisées dans la présente étude, dont les scénarios impliquent des déplacements des
personnages, propices à recueillir nombre de prédicats référant à l’espace, et chaque
histoire montre également des référents inanimés qui constituent des points de
référence pour l’ancrage spatial. Ce sont des supports qui ont servi dans beaucoup
d’études inter-langues sur l’acquisition, L1 comme L2 (cf. Slobin : 1991, 1996, 2004 ;
Hendriks : 1998, 2004 ; Hickmann : 2003, 2008 ; De Lorenzo : 2002 ; Arslangul :
2007), notamment concernant le chinois L1 et L2, ce qui a permis de disposer d’une
base de départ sûre et d’un point de comparaison utile.
J’ai effectué 3 collectes (à des intervalles de 14 mois) de productions orales auprès de
22 apprenants de la même classe à différentes phases de leur apprentissage du français,
avec comme supports Le Chat et Le Cheval aux stades initial et intermédiaire, et le
récit Frog, where are you ? à chaque stade. Cette procédure pour construire les corpus
permet non seulement d’observer l’acquisition de tous les apprenants à un moment
donné, mais aussi de mettre en lumière la progression acquisitionnelle de chaque
apprenant au long de son apprentissage du français. Les productions orales ainsi
recueillies sont aptes à déclencher des analyses à la fois synchronique et diachronique.
Les récits enregistrés sur audiocassettes sont transcrits intégralement, tels qu’ils ont
été produits. Les données sont ensuite segmentées en épisodes, en énoncés et en
propositions, pour mettre au clair l’expression de la spatialité et faciliter les analyses
comparatives.
10
Nos analyses cherchent à fournir des réponses aux questions suivantes :
–
à chaque stade, quels sont les moyens linguistiques que les apprenants mobilisent
pour référer à l’espace au niveau phrastique ?
–
Comment les apprenants organisent-ils les événements spatiaux au niveau
discursif avec les moyens linguistiques disponibles ?
–
Comment l’information spatiale est-elle empaquetée, dans la lexicalisation du
procès en français chez les apprenants ?
–
Où se situent les divergences dans la formulation de la spatialité, entre les
apprenants chinois et les francophones ?
–
Dans quelle mesure la conceptualisation de l’espace en chinois influe-t-elle sur
l’expression de la spatialité en français langue étrangère ?
La présente thèse se compose de trois parties :
La première partie est consacrée à poser le cadre théorique et la méthodologie de
notre recherche. A partir d’un état de lieux sur l’acquisition des langues (chapitre I),
nous présenterons l’expression de la spatialité dans les langues naturelles, en nous
appuyant sur le modèle de Talmy, qui nous servira de cadre d’analyse pour décrire les
modalités par lesquelles s’expriment les relations spatiales au cours de l’acquisition
du français. Partie de la dichotomie talmienne, et en fonction de la théorie de Slobin
« thinking for speaking », nous lancerons des hypothèses à tester à travers cette étude
« sur le terrain » (chapitre II). Ensuite, nous aborderons la situation actuelle de
l’enseignement du français en Chine (chapitre III), qui constitue, en quelque sorte, la
genèse de cette recherche dans une perspective d’acquisition et qui détermine aussi la
méthode à adopter dans la construction des corpus oraux (chapitre IV).
La deuxième partie, centrale de notre recherche, consiste en analyses des données,
Nous commencerons par deux analyses portant respectivement sur Le Chat (chapitre
V) et Le Cheval (Chapitre VI), lesquelles décrivent la compétence linguistique des
apprenants aux stades initial et intermédiaire. Ensuite, nous réunirons les résultats
pour en tirer des constatations et construire des hypothèses (chapitre VII) qui seront
11
testées dans l’analyse détaillée autour des productions du récit La Grenouille (chapitre
VIII), que nous avons collectées à chaque stade, afin de mettre au clair le processus
d’acquisition de la spatialité tout au long de l’apprentissage du français, et de cerner
les facteurs qui pèsent sur la formulation en français.
Et dans la dernière partie, basée sur les constatations issues des analyses fines
effectuées, nous essaierons de trouver l’origine des difficultés identifiées chez les
apprenants, et de proposer des solutions pédagogiques en vue de favoriser
l’acquisition de la spatialité en français dans le contexte de l’enseignement du français
en Chine (chapitre IX). Ainsi, partie de l’enseignement du français, nous avons
effectué une étude dans la perspective acquistionnelle, qui conduit à des applications
didactiques, la boucle est bien bouclée.
12
PREMIERE PARTIE
CADRE THEORIQUE ET METHODOLOGIE
Chapitre I
I.1.
I.2.
Définitions
Recherches de l’acquisition des langues étrangères : état des lieux
I.2.1
Analyse contrastive
I.2.2
Analyse des erreurs
I.2.3
Interlangue
Chapitre II
II. 1.
II. 2.
III. 3.
Conceptualisation de la spatialité
La référence spatiale
II.1.1 Les relations spatiales
II.1.2 La localisation
II.1.3 Le déplacement
La langue et la pensée
Chapitre III
III. 1.
III. 2.
Acquisition des langues
Contexte de l’étude
L’état de l’enseignement du français en Chine
L’enseignement du français dans le supérieur en Chine
III.2.1 Evolution de l’enseignement du français
III.2.2 Le déroulement des études spécialisées
L’acquisition de la spatialité en français
III.3.1 Le français, langue difficile pour les Chinois
III.3.2 L’enseignement de l’expression spatiale en français
III.3.3 De l’enseignement à l’acquisition
Chapitre IV Recueil de données
IV. 1.
IV.2.
Construction du corpus
IV.1.1 Apprenants chinois
IV.1.2 Collectes des données
IV.1.3 Productions des témoins
Transcription des données
IV.2.1 Segmentation
IV.2.2 Présentation des données
IV.2.3 Glose morphémique de la production chinoise
13
Chapitre I
I. 1.
Acquisition des langues
Définitions
Avant d’aborder notre étude portant sur l’acquisition du français langue étrangère
chez les apprenants chinois, il est nécessaire de distinguer des paires de concepts :
langue maternelle/langue étrangère, langue première/langue seconde, acquisition
guidée/acquisition non guidée, acquisition/enseignement.
Langue maternelle (désormais LM): c’est en général la langue qu’un enfant a
apprise et s’est appropriée après la naissance au contact de son quotidien. Aucune
langue n’ayant été acquise auparavant, la langue maternelle est aussi la première
langue (L1). Selon Klein, « cette acquisition de la première langue, soit acquisition
initiale, est doublement première, c’est la première dans le temps, et c’est une
acquisition fondamentale.» (1989 : 14). Il s’agit d’un déroulement à la fois cognitif,
linguistique et social : au cours de l’acquisition de la parole et de l’intelligence, un
enfant devient un être social. Une distinction plus fine peut être établie entre
l’acquisition monolingue et l’acquisition bilingue du langage selon que l’enfant
effectue sa socialisation initiale en une seule langue ou en deux.
Langue étrangère (désormais LE): c’est une langue autre que maternelle (L22),
acquise soit en milieu scolaire, soit à travers des interactions quotidiennes avec les
locuteurs natifs dans un environnement linguistique. Le premier cas renvoie à
l’acquisition guidée, assurée par un enseignement systématique, et le second, à
l’acquisition non-guidée. A titre d’exemple, les travailleurs immigrés, dès l’arrivée
dans les pays d’accueil, doivent apprendre la langue cible de façon spontanée, par
l’intermédiaire de la communication quotidienne.
Pourtant, il n’existe pas une frontière nette entre ces deux modes d’acquisition, car il
2
Par ailleurs, on dit « L2 » par convention, même si l’apprenant a déjà appris une autre LE, pour la langue en
cours d’acquisition et sur laquelle porte l’étude et l’entraînement chez l’apprenant.
14
arrive aux apprenants en milieu scolaire d’avoir des contacts avec des locuteurs de la
langue cible, et inversement, les apprenants non-guidés peuvent bénéficier d’
enseignements momentanés, des corrections données par les natifs, par exemple.
Klein a d’ailleurs opposé l’acquisition précoce d’une langue étrangère qui s’engage de
3-4 ans à la puberté, à l’acquisition de langue étrangère par adulte, démarrée après la
puberté.
Les différentes formes d’acquisition abordées ci-dessus pourraient se résumer par la
figure suivante, adaptée selon le tableau de Klein (1989 : 28)
Schéma I-1 (Acquisition des langues)
La LE, en tant que langue que l’on souhaite apprendre, donc, l’objectif de
l’acquisition, est aussi nommée langue cible. La langue source « fait référence à la
langue déjà parlée par l’apprenant au moment où commence l’acquisition de la langue
nouvelle » (Giacobbe, 1992 : 15).
Notre étude a pour objet les étudiants chinois qui apprennent le français à partir des
études universitaires, il s’agit donc d’une acquisition guidée du français LE (L2) par
les adultes, avec le chinois en tant que LM (L1).
Une autre distinction mérite d’être signalée : la « langue seconde », à la différence de
la LE, se caractérise par ses fonctions sociales dans le pays et/ou région en question.
Etant la plus importante après la langue maternelle, la langue seconde est « acquise en
général dans un environnement social où on la parle » (Klein, ibid.), et sert
notamment de support d’éducation, c’est le statut du français dans beaucoup de pays
africains francophones, ou celui de l’anglais pour les habitants d’Inde où le hindi et
l’anglais sont les langues officielles.
Acquisition vs enseignement
15
L’acquisition de la LM renvoie à un processus naturel d’appropriation d’une
construction langagière de manière progressive et inconsciente à travers la
communication pratique et quotidienne. Selon Chomsky, il s’agit d’un mécanisme
linguistique spécifique à l’espèce humain et à l’apprentissage linguistique, et qui
préstructure fortement les propriétés de la grammaire (Klein, 1989 : 18).
Alors que l’acquisition d’une LE par l’adulte commence après celle de la LM,
autrement dit, le développement cognitif et social global de l’apprenant est en
principe achevé, ce qui l’a doté de multiples connaissances sur le monde, autres que
linguistiques. En outre, il a des connaissances générales, conscientes ou inconscientes
sur la(les) langue(s) acquise(s) antérieurement.
Dans le processus d’acquisition non guidé, la communication et l’acquisition sont
étroitement liées l’une à l’autre: l’apprenant est amené à mobiliser ses connaissances
linguistiques disponibles, souvent très restreintes et réduites parfois à des moyens non
verbaux, pour se faire comprendre ; en même temps, les échanges communicatifs lui
permettent de commencer à apprendre et à adapter progressivement son répertoire à la
langue cible, en fonction des comportements linguistiques de l’entourage social.
Dans l’acquisition guidée, l’enseignement joue un rôle primordial : l’apprenant est en
contact avec des données linguistiques sélectionnées, ordonnées sous forme fortement
métalinguistique, préparées et présentées par l’enseignant, et l’utilisation du répertoire
linguistique est transformée en activités formelles, comme les exercices structuraux,
les dictées, qui réservent une place centrale à la grammaire. Même dans les exercices
oraux de communication, les situations sont conçues ou construites de façon planifiée
pour simuler des scènes quotidiennes, mais l’enseignant s’intéresse avant tout à
l’exactitude formelle de la langue, et non au succès de la communication,
contrairement à ce qui se passe dans l’acquisition spontanée en milieu social.
La distinction entre l’enseignement (enseigner) et l’acquisition (acquérir) réside dans
le fait que le deuxième terme adopte la perspective de l’apprenant, et non celle de
ceux qui l’aident dans cette tâche, enseignant ou entourage social. Les termes
16
« apprendre » et « apprentissage » sont aussi utilisés dans notre étude en tant que
synonymes de « acquérir » ou de « processus d’acquisition ».
Nous nous focalisons sur l’acquisition et non l’enseignement d’une L2, car au cours
de l’apprentissage d’une langue, si l’enseignant est capable de déterminer les
matériaux linguistiques, donc, la nature et le débit des connaissances linguistiques à
transmettre et les activités d’apprentissage, c’est de l’apprenant que dépend la saisie
de ce qui entre.
Ellis a proposé « a computational model of L2 acquisition » pour illustrer le
processus acquisitionnel d’une L2 (1997 : 35).
Schéma I-23 (A computational model of L2 acquisition)
Parmi les données linguistiques auxquelles est exposé l’apprenant (entrée), certaines
sont saisies, c’est-à-dire transférées en mémoire à court terme, dont une partie est
ensuite gardée et stockée dans la mémoire à long terme, en tant que connaissances
linguistiques de la langue cible. Le processus acquisitionnel se compose ainsi des
saisies des données linguistiques et la construction en connaissances en L2, et ce sont
ces connaissances que l’apprenant mobilise lors de productions écrites ou orales
(sortie).
Dans une perspective psycholinguistique, l’acquisition des langues s’avère soumise à
des lois précises, déterminée dans son développement, son rythme et son état final
par divers facteurs, qui s’interagissent à l’intérieur de la « boîte noire » du processus
acquisitionnel. Ce n’est pas un processus que l’enseignant arrive à contrôler ou
domestiquer, mais les recherches sur les facteurs éventuels amènent à mieux
connaître ce processus naturel, susceptible d’être optimisé avec l’enseignement en
tant que tentative d’intervention.
3
Notre adaptation sur la base du tableau d’Ellis, dont les correspondances de termes sont : entrée – input ; intake –
saisie ; L2 knowledge – connaissances en L2 ; sortie – output.
17
I. 2.
Recherches de l’acquisition des langues étrangères : état des lieux
La recherche de l’acquisition des langues étrangères « se propose de décrire,
interpréter et expliquer les manifestations observables de la construction d’une
compétence linguistique » (Py, 2000 : 395). Cette étude systématique portant sur la
façon dont les apprenants acquièrent une LE est un phénomène relativement récent,
qui s’est développé depuis le milieu du 20e siècle.
I. 2.1
Analyse contrastive (les années 1950-60)
Les années 1950-60 sont marquées par l’analyse contrastive, basée sur le
structuralisme taxonomique et la théorie psychologique de behaviorisme qui décrit la
langue comme « une structure d’habitudes
4
» ou « un filet de connexions
associatives » (Chomsky, 1968 : 45). Apprendre une L2, c’est alors développer toute
un nouveau système d’habitudes comportementales relatif à la situation externe.
« L’acquisition d’une seconde langue est déterminée par les structures de la langue
que l’on possède déjà » (Klein, 1989 : 40). Ainsi, la L1 joue un rôle primoridal qui
conditionne le processus acquisitionnel.
Contrastive analysis is a way of comparing languages in order to determine potential
errors for the ultimate purpose of isolating what needs to be learned and what does not
need to be learned in a second language learning situation.
(Gass & Selinker, 2001 : 59)
Selon cette hypothèse, les difficultés acquisitionnelles et les erreurs résident dans la
divergence entre la langue de départ et la langue cible, d’où le « transfert négatif » ou
« interférence » de la L1 sur la L2, et « le transfert positif » provient de la coïncidence
de structure entre les deux langues.
Nous recourons à la description de Gass & Selinker (2001 : 60) pour
résumer l’anlayse contrastive:
–
4
Contrastive analysis is based on a theory of language that claims that language is
Notion of language as habit.
18
habit and that language learning involves the establishment of a new set of habits.
–
The major source of error in the production and/or reception of a second language
is the native language.
–
One can account for errors by considering differences between the L1 and the L2.
–
A corollary to 3 is that the greater the differences, the more errors that will occur.
–
What one has to do in learning a second language is learn the differences.
Similarities can be safely ignored as non new learning is involved. In others words,
what is dissimilar between two languages is what must be learned.
–
Difficulty and ease in learning are determined respectively by differences and
similarities between the two languages in contrast.
L’analyse contrastive, étroitement liée à l’enseignement des langues étrangères, sert
de base théorique surtout pour la préparation de matériaux linguistiques. D’après Fries,
pionnier de la discipline, « The most effective materials are those that based upon a
scientific description of the language to be learned, carefully compared with a parallel
description of the native language of the learner » (1945 : 9). La comparaison ne se
limite pas qu’à la grammaire, mais touche différents domaines des deux langues :
systèmes de son, structures grammaticales, systèmes de vocabulaire, systèmes
d’écriture et cultures5 (Lado, 1945).
Si la théorie contrastive manifeste des intérêts purement linguistiques dans la
planification de l’enseignement en s’appuyant sur une confrontation systématique de
structure des deux langues en question, les interférences génératrices de difficultés
ainsi pronostiquées ne correspondent pourtant pas aux comportements linguistiques
des apprenants, observés dans la réalité de l’apprentissage. A cela une double raison,
d’un côté, « les similarités et différences entre deux systèmes linguistiques et le
traitement des moyens linguistiques dans la production et la compréhension réelles
sont deux choses très différentes » (Klein, 1989 : 41) ; de l’autre, la théorie semble
5
Notre traduction, dont les termes d’origine sont respectivement « sound systems », « grammatical structures »,
« vocabulary systems », « writing systems » and « cultures ».
19
prendre l’acquisition pour un processus statique en ignorant totalement l’apprenant,
acteur dynamique qui appréhende et intériorise les données linguistiques pour les
mobiliser dans la compréhension et la production.
I. 2.2
Analyse des erreurs (les années 1960-1970)
L’analyse contrastive ne permet pas de prévoir toutes les erreurs des apprenants en L2,
lesquelles méritent d’être analysées une fois produites. L’approche de l’analyse des
erreurs s’est développée dans les années 60 « en s’inscrivant d’emblée dans le sillage
de la linguistique appliquée » (Vogel, 1995 : 27). Les linguistes se tournent vers la
théorie mentaliste ou nativiste pour savoir « how the innate properties of the human
mind shape learning » (Ellis, 1997 : 32).
L’approche de l’analyse des erreurs, centrée sur les écarts visibles par rapport à la
norme usuelle de la langue cible, recèle bien des limites : les erreurs, prises de façon
isolée, ne fournissent aucune indication sur ce que l’apprenant a appris en L2 ni sur la
façon dont il mobilise et organise les moyens linguistiques, en d’auters termes, « les
formes de non-utilisation, sur-utilisation ou sous-utilisation de règles et de structures
de la langue cible ne sont pas prises en considération », de plus, « les études
effectuées s’appuient principalement sur des données écrites et concernent des
apprenants plutôt avancés » (Vogel, ibid.).
Une relativisation s’avère nécessaire pour interpréter les erreurs dans un contexte
linguistique naturel au lieu de les identifier seulement en fonction des normes et
structures de la langue cible. Car, formellement fausses du point de vue grammatical,
les erreurs peuvent « renseigner sur le trajet déjà parcouru par l’apprenant et celui qui
lui reste à accomplir vers la langue cible » (Berthoud & Py, 1993 : 58). Elles se
doivent ainsi d’être appréhendées en tant qu’« indices d’une construction
psycholinguistique, c’est-à-dire une activité opératoire du sujet-apprenant » (ibid.),
une manifesation même de l’activité d’appropriation. Comme disait Vogel, lorsque
l’erreur manifeste un progrès dans la constuction de la langue : « l’erreur est alors
positive » (1995 : 26).
20
I. 2.3
Interlangue (après 1970)
L’identification d’erreurs isolées ne peut pas permettre de détecter la spécificité de la
langue d’un apprenant. A partir des années 1970, le centrage de la recherche est placé
sur l’apprenant avec l’élaboration d’un concept d’interlangue, par lequel nous
entendons « la langue qui se forme chez un apprenant d’une langue étrangère à
mesure qu’il est confronté à des éléments de la langue cible, sans pour autant qu’elle
coïncide totalement avec cette langue cible » (Vogel, 19). Pour renvoyer à la langue
de l’apprenant, plusieurs appellations ont été proposées : « compétence transitoire » et
« dialecte idiosyncrasique » (Corder, 1967, 1971), « système approximatif » (Nemser,
1971), « compromise system » (Filipovic, 1971), « interlangue » (Selinker, 1972),
« système intermédiaire » (Porquier, 1974), « système approché » (Noyau, 1976), ou
plus récemment « lecte de l’apprenant » (Klein, 1989).
La langue de l’apprenant, répondant à des caractéristiques définissables et prévisibles,
s’avère à la fois variable et instable car elle progresse de façon continue vers une
langue cible. Selinker s’est servi des termes psycholinguistiques pour encadrer
l’interlangue : «Il existe une structure psychologique latente … qui est activée quand
l’adulte cherche à produire, dans une L2 qu’il apprend, les significations dont il peut
disposer » (1972 : 229). Cette « psychostructure latente » détermine génétiquement la
langue de l’apprenant dans sa forme et sa substance, et se caractérise par cinq
processus psycholinguistiques6 :
-
transfer de langue (language transfer)
-
transfert d’apprentissage (transfer of training)
-
stratégies d’apprentissage de L2 (strategies of second language learning)
-
stratégies
de
communication
en
L2
(strategies
of
second
language
communication)
6
surgénéralisation d’éléments linguistiques de L2 (overgeneralization of target
Pour la traduction en français, cf. Noyau, 1980 : 45.
21
language material)
La psycholinguistique « ne considère pas la langue comme une système autonome7
mais englobe l’utilisateur comme composante du système » (Vogel, 93-94). Dans
cette perspective, l’investigation de l’interlangue ne porte plus exclusivement sur la
compétence linguistique, mais sur l’ensemble du processus de l’apprentissage,
considéré comme une suite de transitions, une avancée graduelle de la L1 vers la L2,
qu’affectent diverses variables : selon les apprenants, dans le temps, par rapport aux
situations de production, mais qui recèle une certaine systématicité.
L’apprentissage des L2 est considéré comme un processus variable, non prédéterminé,
qui se différencie qualitativement de l’acquisiton de la L1 et que l’on peut observer en
contexte d’apprentissage guidé ou autonome. La recherche sur l’interlangue qui étudie
aussi bien le développement d’une compétence linguistique que le comportement
communicationnel dans la langue cible, implique la participation de plusieurs
sciences : linguistique, psycholinguistique, psychologie de l’apprentissage, didactique,
sciences de la communication.
« La psycholinguistique ainsi que la recherche sur l’acquisition des langues, qui en est
une branche, s’appuient sur des bases empiriques : leur champ ne se constitue que par
le relevé et l’analyse de données empiriques » (Vogel : 95). Les recherches axées sur
ce concept doivent analyser la langue de l’apprenant dans des contextes de discours
ou de communication interactive et collecter des données à toutes les étapes de
l’acquisition, dans une perspective synchronique et diachronique afin de saisir les
conditions et les modalités de l’évolution de l’interlangue.
De vastes enquêtes ont été ainsi réalisées dans l’acquisition des L2 par les adultes,
surtout en milieu « naturel », dont l’enquête européenne de l’E.S.F. 8 , projet de
recherche interlingue intitulé « Second Language Acquisition by Adult immigrant9 ».
7
8
9
La description de la langue comme système autonome est issue du courant structuraliste.
European Science Foundation (Fondation Européenne de la Science), qui a financé la recherche.
Second Language Acquisition by Adult immigrant. Ce projet a pour un tripe objectif : « cerner le procès et le
rythme d’acquisition d’une langue étrangère, décrire des variétés d’apprenants et dégager les facteurs qui
déterminent le procès d’acquisition en milieu non guidé » (Véronique, 1992 : 8 ).
22
La recherche a réuni de 1982 à 1992, soixante chercheurs de 5 pays européens, pour
réaliser une étude longitudinale d’environs de 30 mois sur l’acquisition d’une langue
étrangère en milieu exolingue par des apprenants adultes dans les 5 pays d’accueil10,
en étudiant de façon coordonnée 40 apprenants de 6 L1 différentes acquérant l’anglais,
l’allemand, le néerlandais, le français et le suédois.
L’acquisition de L2 constitue aujourd’hui un champ de recherche qui contribue à une
meilleure compréhension du langage et de l’activité cognitive humaine.
Pourtant, en Chine, cette discipline n’a pas encore mérité autant d’attention, et les
recherches ne s’arrêtent que dans le domaine de l’acquisition du chinois, en tant que
L1 ou L2, ce qui est tout à fait normal dans un pays monolingue où l’apprentissage
d’une L2 n’est qu’un phénomène récent. Les apprenants ayant peu d’occasion
d’apprendre une langue autre que le chinois en milieu naturel, l’enseignement, qui
constitue ainsi le seul moyen donnant accès à une L2, s’appuie encore sur l’analyse
contrastive ou l’analyse des erreurs. Au fur et à mesure du développement
économique et social du pays, le besoin de généraliser l’apprentissage des L2 se fait
de plus en plus sentir. Ainsi, l’investigation de l’acquisition a une portée significative,
car d’un côté, le changement d’optique amènera à observer de façon dynamique la
construction des connaissances linguistiques chez l’apprenant, processus naturel que
l’enseignement ne peut pas domestiquer, et de l’autre, les recherches sur les règles
sous-jacentes du processus acquisitionnel permettront d’apporter des outils théoriques
qui contribuent à l’enseignement pour mieux concervoir l’intervention sur
l’acquisition.
10
Les cinq pays concernés sont : Grande-Bretagne, Pays-Bas, Allemagne, France et Suède.
23
Chapitre II
Conceptualisation de la spatialité
Spatial conceptualization is also an interesting domain through which to
explore issues of cultural relativity, as it is clearly highly constrained by
the nature of the physical world as well as by the nature of human
psycho-biology.
(Levinson, 1996 : 179)
D’après Piaget, l’espace est « l’ensemble des rapports établis entre les corps que nous
percevons ou concevons, ou pour mieux dire, l’ensemble des relations dont nous nous
servons pour structurer ces corps, donc pour les percevoir et les concevoir » (1981: 1).
L’intérêt d’une étude portant sur les moyens linguistiques employés pour exprimer la
spatialité s’explique par le fait que la spatialité est une catégorie cognitive universelle
et fondamentale dans tout processus de développement psycholinguistique. C’est un
système que tout apprenant est appelé à intégrer et à utiliser.
II. 1.
La référence spatiale
La référence spatiale constitue dans le langage une catégorie fondamentale de la
référence déictique et non-déictique mettant en jeu la syntaxe, la sémantique et le
lexique, selon un système de représentation, de catégorisation et de valeurs associées
à des formes linguistiques.
L’expression de la référence spatiale, constamment présente dans le discours, aborde
les relations locatives que les entités concrètes de notre monde physique entretiennent
entre elles, sur le plan statique ou dans une perspective spatio-temporelle de
changement de lieu.
Selon Talmy, « One main characteristic of language’s spatial system is that it imposes
a fixed forme of structure on virtually every spatial scene » (2000a : 181).
Bien que les langues varient quant à la façon dont elles expriment le mouvement et la
24
localisation, la référence spatiale se compose de trois éléments principaux dans toutes
les langues, ce qui pourrait être présenté comme suit:
Schéma II-1 (Référence spatiale)
Référence spatiale
Figure
Figure (désormais Fg):
relation
Fond
« a moving or conceptually movable entity whose site, path,
or orientation is conceived as a variable the particular value of which is the relevant
issue ».
Fond (désormais Fd): « a reference entity, one that has a stationary setting relative to a
reference frame, with respect to which the Figure’s site, path, or orientation is
characterized » (Talmy, 184).
Relation : prédicat statique ou dynamique qui marque les relations spatiales
(localisation et/ou mouvement). Ici, le prédicat fait référence à la totalité du syntagme
verbal.
Le tableau ci-dessous englobe les propriétés de la Fg et du Fd, traduites de celles
proposées par Talmy.
Tableau II-1 (Propriétés de la figure et du fond)
25
II. 1.1
Les relations spatiales
Dans le schéma de la référence spatiale, la Fg, « a moving or conceputally movable
object whose path or site is at issue », incarnée très souvent par un objet ou un
personnage, se manifeste comme une entité dynamique, et le Fd, « a reference frame,
or a reference object stationary within a reference frame » (Talmy, 2000b : 26),
constitue en général une entité statique sous forme d’appartenant à un paysage ou
arrière-plan du procès. Sur le plan grammatical, la Fg et le Fd sont très souvent
incarnés par une entité nominale (nom ou expression nominale).
Dans le schéma, la Fg et le Fd étant deux composants relativement stables, les
relations entre ces deux composants, exprimées au moyen de différents types de
prédicats, s’avèrent dynamiques et variables. Les relations constituent ainsi le noyau
de la référence spatiale.
Il existe 3 types de relations spatiales entre la Fg et le Fd : la localisation statique (a),
la localisation dynamique (b) et déplacement avec franchissement de bornes (c). Nous
allons illustrer ces trois relations à travers des exemples en français et en chinois11,
deux langues impliquées dans notre étude.
a) Localisation statique→prédicat statique
(1). Le chat est devant/dans la maison.
(1’). 猫
在
屋子
里/前。
māo
zài
wūzī
lǐ/qián
chat – (être) à – maison – dans/devant
« Le chat est dans/devant la maison. »
Le chat, localisé par rapport à la maison, reste fixe dans l’espace. Le rapport spatial
entre le chat et la maison est représenté par la préposition (devant/dans) en français, et
par la structure locative, composée de préposition 在-zài (à) et de locatif 里-lǐ (dans)
/前-qián (devant) en chinois.
En français :
11
Les exemples en chinois sont codifiés par « ‘».
26
[Le chat (Fg) + être devant, dans + la maison (Fd)]
En chinois :
[ māo (Fg) + zài (à) + wūzī (Fd) + lǐ/qián (locatif)]
b) Localisation dynamique12→prédicat dynamique
(2). Le chat s’amuse devant/dans la maison.
(2’). 猫
在
屋子
里/前
玩耍。
māo
zài
wūzī
lǐ/qián
wánshuǎ
Chat – (être) à– maison – dans/devant – s’amuser.
« Le chat s’amuse dans/devant la maison. »
Quand le chat s’amuse, il peut se déplacer un peu partout, tout en restant à l’intérieur
des bornes définies par la maison. Le rapport entre la Fg et le Fd est indiqué par la
préposition (devant/dans) en français, et par la structure locative (在-zài…+里-lǐ /前
qián) en chinois.
En français :
[Le chat (Fg) + s’amuse devant, dans + la maison (Fd)]
En chinois :
[māo (Fg) + zài (à) – fángzī (Fd) – lǐ/qián (locatif) + wánshuǎ]
c)
Déplacement
avec
changement
de
lieu→prédicat
dynamique
avec
franchissement de frontière
(3). Le chat est sorti de la maison en courant.
(3’). 猫
跑
出
屋子。
māo
pǎo
chū
wūzī
chat – courir – sortir – maison.
« Le chat est sorti de la maison en courant. »
Le chat a effectué cette fois un déplacement en changeant de lieu. Le Fd servant de
lieu source (de la maison vers l’extérieur), la trajectoire du déplacement est incarnée
par le verbe de mouvement sortir, et le gérondif est considéré comme une structure
12
Ou déplacement sans changement de lieu.
27
subordonnée à « le chat est sorti de la maison », mettant en relief la manière du
déplacement courir.
En chinois, 跑-pǎo, verbe insistant sur la manière du mouvement, précède le verbe de
déplacement sortir. Il s’agit d’une construction verbale sérielle (CVS), « une
construction syntaxique dans laquelle plusieurs verbes sont accolés en séquence mais
se comportent comme une seule unité verbale, et du point de vue sémantique, elles
renvoient à un événement unique » (Frawley13).
En français
[Le chat (Fg) + est sorti de + la maison (Fd)] + [en courant]
En chinois :
[mao1(Fg) + pǎo (courir) + chū (sortir) + wūzī (Fd)]
II. 1.2 La localisation
Comme nous pouvons constater, les relations de localisation (statique ou dynamique)
sont incarnées en français par des prépositions spatiales, et en chinois, par des locatifs.
II. 1.2.1
Les prépositions de lieu en français
Les relations de localisation s’expriment essentiellement à travers des verbes et des
prépositions de lieu.
Dans la localisation statique, le prédicat se construit soit avec un verbe statif dont le
prototype est le verbe être, soit avec le présentatif il y a. Les verbes locatifs statiques
peuvent être : se trouver, se situer, être placé, etc., ou des verbes comportant des traits
dimensionnels et orientationnels relatifs au sujet, tels que s’étendre, se dresser,
s’étaler, se tenir, etc. (Borillo, 1998 : 15) .
Dans la localisation dynamique, le déplacement se réalise tout en restant dans un
même lieu établi, même si la figure a changé d’emplacement, le lieu de référence reste
le même. Dans ce type de relation, les prédicats les plus fréquents sont : parcourir,
13
cité par Noyau & Takassi (2005).
28
arpenter, escalader, nager (dans), flotter sur, glisser sur, marcher/courir (dans/le
long de), etc.
Les prépositions de lieu incarnent deux types de relations, nous revenons à
l’exemple (1) Le chat est dans/devant la maison.
-
Relations topologiques : la Fg est « donnée comme partageant avec le fond, en
totalité ou en partie, une même place dans un rapport de porteur/porté ou une
même zone dans un rapport d’inclusion, partielle ou totale » (Borillo : 32). C’est
le cas de « le chat dans la maison ».
Les prépositions topologiques sont : à, sur, dans, avec en et chez comme deux
variantes de dans.
-
Relations projectives : la Fg « mise en relation avec le fond se situe dans une
portion d’espace extérieure à lui, mais localisable à partir de lui, de sa ‘place’, des
ses traits de dimension, de forme et d’orientation » (Borillo, ibid.), c’est le cas de
« le chat devant la maison ».
Les prépositions projectives ne forment pas une catégorie homogène et s’avèrent
diversifiées sous angle de propriétés incarnées :
Orientation : devant, derrière, à côté de, sous, au-dessous de, au-dessus de, à
droite de, à gauche de, au sud de, au nord de, etc.
Dimension : à l’extérieur de, autour de.
Distance : près de, loin de.
II. 1.2.2
Les locatifs en chinois
La structure locative du chinois est généralement composée d’une préposition de
lieu (dans les exemples 1’et 2’, 在-zài ‘à’), d’un nom qui sert de Fd, et d’un locatif14
qui exprime la position relative des choses. Le locatif suit toujours le Fd
(Peyraube, 2004).
14
Locatif en chinois, 方位词 : fāngwèi - cí ‘localisation – mot’
29
[(préposition de lieu)15 + Fd + locatif] structure locative
Il existe une dizaine de locatifs monosyllabiques en chinois qui sont les plus
fréquents16. Ils peuvent devenir bissyllabiques en ajoutant un suffixe (边-biān ou 面miàn représentant le côté ou la surface) ou un préfixe (以-yǐ ou 之-zhī, employés avec
un mot indiquant la direction17), comme ce qu’illustre le tableau suivant:
Tableau II-2 (Locatifs chinois)
Formes
Formes composées
Equivalent français
simples
…+边 biān
…+面 miàn
之 zhī+…
以 yǐ+…
上 shàng
上边 shàngbiān
上面 shàngmiàn
之上 zhīshàng
以上 yǐshàng
下 xià
下边 xiàbiān
下面 xiàmiàn
之下 zhīxià
以下 yǐxià
里 lǐ
里边 lǐbiān
里面 lǐmiàn
Ø
Ø
内 nèi
Ø
Ø
之内 zhīnèi
以内 yǐnèi
外 wài
外边 wàibiān
外面 wàimiàn
之外 zhīwài
以外 yǐwài
A l’extérieur, hors de
前 qián
前边 qiánbiān
前面 qiánmiàn
之前 zhīqián
以后 yǐhoù
Devant
后 hoù
后边 hoùbiān
后面 hoùmiàn
之后 zhīhoù
以后 yǐhoù
Derrière
左 zuǒ
左边 zuǒbiān
左面 zuǒmiàn
Ø
以左 yǐzuǒ
A gauche
右 yoù
右边 yoùbiān
右面 yoùmiàn
Ø
以右 yǐyoù
A droite
东 dōng
东边 dōngbiān
东面 dōngmiàn
Ø
以东 yǐdōng
A l’est
南 nán
南边 nánbiān
南面 nánmiàn
Ø
以南 yǐnán
Au sud
西 xī
西边 xībiān
西面 xīmiàn
Ø
以西 yǐxī
A l’ouest
北 běi
北边 běibiān
北面 běimiàn
Ø
以北 yǐběi
Au nord
之中 zhīzhōng
Ø
之间 zhījiān
Ø
Ø
Ø
中 zhōng
间 jiān
旁 páng
中间 zhōngjiān
旁边 pángbiān
Ø
Sur, dessus, au-dessus
Sous, dessous,
au-dessous
Dedans, à l’intérieur
Au milieu, entre, parmi
A côté de
II. 1.3 Le déplacement
Les langues se différencient par la façon dont elles distribuent différents types
d’informations dans l’énoncé. Tel est le cas entre le français et le chinois dans
l’expression du déplacement, surtout quant à la manière du mouvement, dans
l’exemple en français (3), la manière, indiquée par un gérondif en courant, se
15
Les prépositions de lieu les plus fréquentes sont 在-zài ‘à’ (comme dans les exemples), et 从-cóng ‘(à partir)
de’. La préposition de lieu n’est pas un élément indispensable dans la localisation en chinois, surtout dans les
constructions existentielles.
16
Indiqués dans la colonne surlignée.
17
Les suffixes et les préfixes sont mis en gras dans le tableau.
30
subordonne à la structure principale, alors que dans l’exemple en chinois (3’), la
manière courir précède le verbe du déplacement, constitue une partie intégrante de la
construction verbale sérielle.
Les langues diffèrent les unes des autres quant à l’expression du mouvement. Talmy a
proposé, en fonction des schèmes de lexicalisation des procès, de catégoriser les
langues en 2 types : Verbe-Framed languages et Satellite-Framed languages (1975,
2000). La dichotomie talmienne basée sur le « basic motion event » , se focalise sur
l’expression de la trajectoire dans le procès du mouvement.
II. 1.3.1
Langues à cadrage verbal (verb - framed languages)
Langues à cadrage verbal (désormais Lg-V) : les langues « centrées sur » la racine
verbale, autrement dit, dans l’expression du mouvement, les Lg-V encodent la
trajectoire et le mouvement dans la racine verbale, la manière du mouvement est
indiquée par une structure périphérique, attachée au noyau verbal.
Les langues romanes sont des langues centrées sur le verbe, dont le français.
Dans les Lg-V, les expressions périphériques, incarnées souvent par le gérondif ou des
locutions adverbiales, servent à spécifier ou à souligner la manière du mouvement.
Dans l’expression du mouvement, les constructions périphériques constituent un
élément facultatif.
(4). Il a traversé la rivière à la nage.
[Il (Fg) + traverser (trajectoire) + la rivière (Fd)] + [à la nage]
(5). Elle est rentrée à pied.
[Elle (Fg) + rentrer (trajectoire) + Ø (Fd)] + [à pied]
(6). Il s’approche en boitant.
[Il (Fg) + s’approcher (trajectoire) + Ø (Fd)] + [en boitant]
Dans (4)-(6), les expressions sur la manière (en gras) se subordonnent à la structure
principale de mouvement traverser, rentrer, s’approcher. Il est à noter que dans
31
(5)-(6), le Fd est absent. Dans un énoncé donné dont le Fd s’avère explicite aux
locuteurs, ce dernier pourrait être supprimé et négligé. Il s’agit surtout des verbes
intransitifs dans ces cas.
II. 1.3.2
Langues à codage sur le satellite (satellite - framed languages)
Langues à codage sur le satellite (désormais Lg-S) sont les langues centrées sur les
satellites verbaux, plus précisément, celles où dans la lexicalisation du procès, la
racine verbale exprime la manière du mouvement, tandis que les autres informations
spatiales telles que trajectoire, deixis, direction sont indiquées dans des satellites du
verbe. L’anglais est une Lg-S par excellence, les satellites en anglais sont incarnés par
des particules verbales tels que away, up, out, etc.
Le chinois est considéré par Talmy comme « a strongly satellite-framed language »
(2000c : 272).
Grâce à la construction verbale sérielle (CVS), le chinois pourrait amalgamer, dans
une même proposition relative au mouvement, plusieurs verbes véhiculant différentes
informations telles que trajectoire, manière, cause, etc. Les satellites en chinois sont
incarnés par des verbes directionnels.
En chinois, il existe 24 verbes directionnels qui pourraient se décomposer en 3
groupes (Ma, 1994) :
¾ L’emplacement du locuteur sert de repère pour l’indication de la direction.
来-lái ‘venir’
去-qù ‘aller’
¾ L’endroit où se trouvait la personne ou l’objet avant son déplacement sert de
repère pour l’indication de la direction.
上-shàng ‘monter’18
回-huí ‘rentrer’
下-xià ‘descendre’
过-guò ‘passer, traverser’
18
Il est à noter que 上-shàng pourrait être locatif ou verbe directionnel suivant les cas. Quand 上-shàng précède
le fond, il s’agit d’un verbe directionnel dans le sens de monter, quand il se situe après le fond, il s’agit d’un locatif.
Il en va de même pour 下-xià.
32
进-jìn ‘entrer’
起-qǐ ‘lever’
出-chù ‘sortir’
开-kāi ‘ouvrir, conduire’
¾ Qualifiés de verbes directionnels composés, les verbes sont tous issus de la
combinaison des verbes simples des deux groupes ci-dessus. La direction qu’ils
expriment est en rapport à la fois avec la position de l’énonciateur et avec
l’orientation du déplacement effectué.
Tableau II-3 (Verbes directionnels composés en chinois)
来 lái ‘venir’
去 qù ‘aller’
上 shàng ‘monter’
上来 shànglái ‘monter’
上去 shàngqù ‘monter’
下 xià ‘descendre’
下来 xiàlái ‘descendre’
下去 xiàqù ‘descendre’
进 jìn ‘entrer’
进来 jìnlái ‘entrer’
进去 jìnqù ‘entrer’
出 chù ‘sortir’
出来 chūlái ‘sortir’
出去 chūqù ‘sortir’
回 huí ‘rentrer’
回来 huílái ‘revenir’
回去 huíqù ‘retourner’
过 guò ‘passer, traverser’
过来 guòlái ‘s’approcher’
过去 guòqù ‘s’éloigner’
起 qǐ ‘lever’
起来 qǐlái ‘se lever’
-
开 kāi ‘ouvrir, conduire’
开来 kāilái ‘arriver’
-
Les mouvements en s’approchant du
locuteur
Les mouvements en s’éloignant du locuteur
Dans les exemples chinois correspondant à (4)-(6), nous avons surligné en gris
l’expression de manière et mis en gras la trajectoire.
(4’).
他
游
过
河。
tā yoú
guò
hé
il – nager – traverser – rivière.
« Il a traversé la rivière à la nage .»
[Tā (Fg) + yoú (manière) guò (trajectoire) + hé (Fd)]
(5’). 她
tā
走
回去。
zǒu
huíqù
elle – marcher à pied – rentrer
« Elle est rentrée à pied. »
[Tā (Fg) + zǒu (manière) huíqù (trajectoire) + Ø (Fd)]
(6’). 他 跛
着
过来。
33
tā
bǒ
zhe
guòlái
il – boiter – (dur.19) – s’approcher
« Il s’approche en boitant. »
[Tā (Fg) + bǒzhe (manière) guòlái (trajectoire) + Ø (Fd)]
II. 1.3.3 Le déplacement en français et en chinois : Lg-V vs Lg-S
Si nous comparons les exemples (3)-(6) avec (3’)-(6’), nous pouvons constater que les
différences quant à la désignation du procès en chinois et en français sont les
suivantes :
-
En français, le mouvement et la trajectoire sont indiqués conjointement par un
verbe, alors qu’en chinois, le mouvement et la trajectoire sont incarnés par la
construction verbale sérielle, composée d’un verbe de manière et d’un verbe
directionnel.
-
En français, la manière du mouvement, sous forme d’une construction
périphérique, se situe à une place secondaire et est optionnelle, alors qu’en chinois,
la manière, incarnée par un verbe indépendant, est placée toujours avant le verbe
directionnel marquant la trajectoire. Entre le verbe de manière et le verbe
directionnel, « on ne peut pas identifier un verbe principal de la série et des verbes
qui lui seraient subordonnés » (Noyau & Takassi, 2005), car dans une CVS, les
verbes de la série sont co-prédiqués, donc d’égale importance dans le message.
Les schèmes de lexicalisation du procès dans ces deux langues pourraient se résumer
comme suit :
En français : [Fg + Verbetrajectoire + Fd] + [manière]
En chinois : [Fg + Verbemanière + Verbetrajectoire + Fd]
19
Marque aspectuelle du duratif et du progressif. Nous y reviendrons dans IV.2.3, p.70.
34
II. 2.
La langue et la pensée
The world does not present « events » and « situations » to be encoded in language.
Rather, experiences are filtered through language into verbalized events. (…) the
expression of experience in linguistic terms constitutes thinking for speaking – a
special form of thought that is mobilized for communication. (…) « Thinking for
speaking » involves picking those characteristics of objects and events that (a) fit
some conceptualization of the event, and (b) are readily encodable in the language.
(Slobin, 1996a : 76)
Pour Humboldt, « la langue est l’organe qui produit-forme-génère la pensée20». La
langue est perçue comme un élément constitutif de la pensée. La fonction primordiale
du langage, le sens du langage, c’est la « formation de la pensée », la cognition, et non
pas la communication (Meschonnic, 1995 : 55).
C’est le sens du langage qui
effectue l’union entre la perception du monde extérieur et l’entendent, le monde
intérieur de l’homme.
Le langage étant « miroir de l’esprit » (Chomsky, 1977 : 12), chaque communauté
linguistique incarne une vision du monde bien distincte. « Sous l’angle de cognition,
la diversité des langues, en tant que multiplicité de visions du monde, est une richesse
» (Meschonnic : 56).
Every language is a vast pattern-system, different from others, in which are
culturally ordained the forms and categories by which the personality not only
communicates, but also analyzes nature, notices or neglects types of
relationship and phenomena, channels his reasoning and builds the house of his
consciousness.
(Whorf, 1956 : 252)
« Toute action exercée par la parole est toujours un produit commun de l’esprit et de
la langue » (Humboldt, 1969 : 17). La conceptualisation est véhiculée par la langue à
20
« Die Sprache ist das bildende Organ des Gedanken », traduction de Chambrolle-Cerretini, dans La vision du
monde de Wilhelm Von Humboldt (2007).
35
travers son mode d’expression. « La perception même que l’homme a du monde
environnant est programmée par la langue qu’il parle. L’esprit de l’homme enregistre
et structure la réalité externe en accord strict avec le programme, deux langues
différentes étant souvent susceptibles de programmer le même groupe de faits de
manière tout à fait différente » (Whorf, cité par Hall, 1971).
Le chinois, langue isolante à la morphologie très pauvre qui n’a « à parler
grammaticalement, point de verbe fléchi » (Humboldt, 1969 : 74), s’avère très éloigné
du français. La différence entre ces deux langues réside non seulement dans le
système linguistique21, mais aussi dans la conceptualisation traduite par les modes
d’expression pour renvoyer à un même référent : quand les Français « gardent les
moutons », les Chinois « libèrent les moutons » (放羊 : fàng-yáng ‘libérer-mouton’) ,
les deux peuples n’interprètent pas la même action sous même angle ; tandis que les
Français emploient la défense pour désigner la dent saillante de certains mammifères
tels que sanglier, éléphant, les Chinois l’appellent 长牙 (cháng-yá ‘long – dent’) ,
ainsi, les Français se focalisent sur la fonction, alors que les Chinois s’intéressent à la
forme.
La langue étant un produit socio-historique, la perception est souvent liée à la
civilisation. Les apprenants chinois ont toujours du mal à retenir le mot soutien-gorge,
à cela une double explication, d’un côté, ils ne savent pas qu’ici la gorge renvoie en
effet aux seins des femmes, de l’autre, c’est parce que le soutien-gorge pour les
Chinois, comme son nom l’indique, 胸罩(xiōng-zhào ‘poitrine – couvrir’), sert avant
tout à ne pas faire voir (couvrir) les seins aux autres au lieu de soutenir la poitrine,
car à l’époque, il était humiliant pour les Chinoises de montrer les seins. Pourtant, au
fur et à mesure du développement social, les pensées subissent aussi des changements,
les Chinois se servent maintenant d’un autre terme pour indiquer le soutien-gorge :
文胸-wénxiōng, dont le premier caractère 文-wén est susceptible d’être interprété en
tant que verbe (décorer) ou comme nom (renvoyant à la civilisation). L’évolution de
la désignation reflète ainsi un changement de l’esprit des Chinois.
21
Nous l’aborderons dans III.3.1, p.48.
36
Il en va de même pour l’espace que les Français et les Chinois ne visualisent pas
toujours de la même façon. Prenons l’exemple de l’image suivante :
Pour situer le passant, les Chinois disent 在街上(zài-jiē-shàng ‘(être) à - rue - sur’)
« sur la rue », alors que les Français, « dans la rue ». La différence réside dans la
perception du Fd (la rue) : si les Chinois utilisent le locatif 上-shàng ‘sur’ pour
incarner la relation spatiale entre le passant et la rue, c’est parce qu’ils se focalisent
sur la surface du Fd (deux dimensions), alors que les Français prenant la rue et ses
constructions environnantes pour le Fd (ainsi trois dimensions), localisent le passant
« dans » cet espace.
La conceptualisation différente constituerait un obstacle dans l’acquisition des
prépositions spatiales en français : les apprenants chinois ont l’habitude de dire en
français « aller dans la ville », au lieu de « aller en ville », malgré la réitération des
enseignants. Finalement, ces derniers ont trouvé la réponse dans la désignation en
chinois du procès aller en ville, laquelle, aux yeux des Chinois, reflète l’image
suivante :
Le procès s’exprime en chinois : 进城 : jìn - chéng ‘entrer - ville’.
37
Ici 城-chéng ‘ville’ ne renvoie pas à n’importe quelle ville, mais à la cité fortifiée,
parce qu’autrefois, toutes les grandes villes chinoises étaient fortifiées de murailles,
进城 (jìn-chéng ‘entrer – ville’) désignait un déplacement pour pénétrer « dans »
l’enceinte de la cité, c’est pour cela qu’en chinois, le mouvement est incarné par le
prédicat 进-jìn ‘entrer’. Au fil du temps, les murailles qui avaient entouré les cités ont
été détruites successivement, mais l’image mentale correspondante persiste dans la
conceptualisation des Chinois, et elle amène les apprenants chinois à utiliser « dans »
en tant que préposition dans la désignation de ce procès.
« Languages differ from one another not only in the presence or absence of a
grammatical category, but also in the ways in which they allocate grammatical
resources to common semantic domains » (Slobin, 1996a : 83). Sur le plan de
l’expression du mouvement, le français diffère aussi du chinois. Selon la dichotomie
typologique de Talmy, lors de la désignation d’un procès de déplacement, le français
(Lg-V) exprime la trajectoire dans la racine verbale, alors que le chinois (Lg-S), pour
renvoyer au même procès, indique la trajectoire dans les verbes directionnels attachés
au verbe de manière22.
Selon Slobin, « each native language has trained its speakers to pay different kinds of
attention to events and experiences when talking about them » (1996a : 89). Acquérir
une L2 consiste non seulement à apprendre à utiliser de nouveaux moyens
linguistiques, mais aussi à adopter une nouvelle façon de ‘penser pour parler’
(thinking for speaking), une façon différente de celle que nous avons acquise et
expérimentée lors de l’acquisition initiale du langage, celle de la L1. « La
construction du système sémiotique de la langue 2 ne peut se voir comme un simple
passage entre langue 1 et langue 2, mais implique une reconstruction à partir de la
conceptualisation du monde » (Noyau, 2003).
22
Que nous venons de traiter dans II.1.3, p.30.
38
Chapitre III
Contexte de l’étude
III. 1. L’état de l’enseignement du français en Chine
Dans l’enseignement des langues étrangères en Chine, l’anglais occupe une place
dominante. Si la langue étrangère est une matière obligatoire dès le primaire,
l’anglais constitue le seul choix dans la quasi-totalité des établissements scolaires, et
il fait partie des épreuves obligatoires au concours national d’entrée à l’université
(Gaokao).
A part l’anglais, en termes de nombre d’apprenants, le russe et le japonais sont en tête
des langues étrangères enseignés en Chine qui voisine avec les deux pays, suivis
d’assez loin par le français et l’allemand. Dans la région Nord-Est, le russe et le
japonais ont même été intégrés dans les épreuves optionnelles de Gaokao vu le
nombre d’apprenants.
En Chine, l’enseignement du français est assuré par différents établissements.
-
Le secondaire
Etant donné le statut de l’anglais, seul une vingtaine d’écoles secondaires
spécialisées en langues étrangères sont autorisées à enseigner le russe, le japonais, le
français et l’allemand, à un nombre très restreint d’élèves. Lors du choix des études
supérieures, les candidats qui maîtrisent une autre langue que l’anglais s’orientent en
général vers une discipline correspondant à leur parcours linguistique dans le
secondaire, donc très souvent dans les départements de langues aux universités.
-
Le supérieur
C’est dans le supérieur que commence en général l’enseignement du français. Ceci
dit, l’acquisition/apprentissage du français ne débute qu’à l’âge de 18 ans23. Le
23
Après Gaokao. En Chine, les cycles d’enseignement primaire et secondaire durent chacun 6 ans et le primaire
commence en général à l’âge de 6 ans.
39
français, considéré comme « la plus belle langue du monde » par la plupart des
étudiants qui l’ont choisi, est enseigné dans les universités sous deux formes : comme
spécialité d’études ou en tant que deuxième langue étrangère après l’anglais. Le
premier cas ne concerne qu’un certain nombre d’universités en regroupant les
apprenants dits spécialisés en français, alors que le second recouvre la majorité des
universités chinoises.
Spécialité d’études
Les étudiants choisissent le français comme spécialité de leurs études supérieures, et
ils s’initient au français dès la 1ère année, en vue d’un diplôme de licence « en langue
et littérature françaises » à la fin de 4 ans d’études intensives. C’est cette forme
d’apprentissage du français qui fera l’objet de notre recherche.
Deuxième langue étrangère
Les étudiants apprennent le français en tant que deuxième langue étrangère en
suivant en principe 4 heures de français par semaine pendant 2 ans. Rarement intégré
dans le cursus d’autres spécialités, le français constitue très souvent un cours à option
pour les étudiants majoritairement anglicistes.
-
Autres établissements où est enseigné le français
Avec les échanges qui ne cessent de se multiplient entre la Chine et la France dans
tous les domaines, et le nombre croissant des élèves qui veulent poursuivre leurs
études en France et dans d’autres pays francophones (la Belgique et le Canada), les
cours de français sont de plus en plus demandés en dehors de l’enseignement
secondaire et supérieur, on assiste ainsi à un développement rapide des centres de
formation de français ces dernières années.
Alliances françaises
En Chine, la première Alliance Française n’a été ouverte qu’en 1989, et on en compte
actuellement 15 en Chine continentale, dont « pas moins de dix ont été créées au
40
cours des ces dix dernières années, un rythme unique au monde24». Toutes ces
antennes fournissent un éventail de programmes, de petits modules de 50 heures, au
cursus complet comportant 500 heures en tout, tout cela en vue de répondre aux
différents besoins.
Centres de formation
Si l’Alliance française attire beaucoup de jeunes, qui visent à continuer leurs études
en France ou dans d’autres pays francophones, et qui apprécient ainsi l’enseignement
du français assuré en grande partie par des professeurs français, restent nombreux les
adultes qui veulent aussi apprendre cette langue pour diverses raisons, dont le besoin
professionnel dans la plupart des cas. Comme les cours de français se déroulent en
général en semaine où ces adultes travaillent, ces derniers se tournent vers les centres
de formation privés ou semi-publics dépendant des universités qui assurent
l’enseignement du français avec plus de souplesse, surtout grâce à des modules en
week-end.
III. 2
L’enseignement du français dans le supérieur en Chine
Notre étude portant sur l’acquisition du français chez les étudiants chinois se focalise
sur les apprenants qui se spécialisent en français dans le supérieur. Par rapport aux
étudiants apprenant le français en tant que deuxième langue étrangère, les étudiants
qui font l’objet de notre recherche, moins nombreux sans doute, se montrent plus
performants du point de vue linguistique, ce qui constitue d’ailleurs leur principal
atout sur le marché du travail.
III. 2.1
Evolution de l’enseignement du français
Actuellement, on enregistre dans les établissements supérieurs relevant du Ministère
de l’éducation nationale ou des commissions d’éducation à l’échelle provinciale ou
municipale, 78 départements spécialisés en français, lesquels regroupent quelques
700 enseignants. Pour chaque promotion, on compte au total de l’ordre 1000
24
« L’Alliance française en Chine ou l’art de communiquer » in La Chine au présent 48° (2010). Les 15 Alliances
sont réparties respectivement à Hongkong, Macao, Pékin, Dalian, Shanghai, Wuhan, Chengdu, Chongqing,
Hangzhou et Guangzhou (Canton). Il y en a aussi 2 à Taiwan.
41
étudiants, 80 chercheurs en maîtrise et 7 doctorants.
Parmi les 78 établissements, c’est l’Université de Pékin qui a commencé en premier
son enseignement du français en tant que discipline à part entière en 1898, alors que
pour le reste, il faut attendre la fondation de la République populaire de Chine. De
1949 jusqu’à nos jours, nous pouvons distinguer 4 étapes de développement de
l’enseignement du français dans le supérieur.
A. 1949-1966
Pendant cette période, 13 établissements supérieurs ont créé le département de
français, dont 3 sont des universités dites multidisciplinaires, pour le reste, il s’agit
des instituts spécialisés soit en langues étrangères, soit en relations internationales. Du
point de vue géographique, ces établissements répartis essentiellement sur la côte
littorale de Chine, se trouvent dans les grandes villes : Pékin (5), Shanghai (2), Canton
(2), Nankin (1), Xi’an (1), Luoyang (1) et Chongqing (1).
B. 1966-1978
L’année 1966 marque le commencement de la révolution culturelle en Chine, laquelle
a bouleversé tout le pays, paralysant l’éducation à tout niveau. Il faut attendre jusqu’à
l’année 1972 pour que 10 nouveaux départements de français soient créés au sein des
établissements supérieurs. Ce qui caractérise cette période, c’est que les départements
s’étendent sur les universités et les écoles normales, et non plus exclusivement dans
les instituts spécialisés en langues.
C. 1978-1999
Grâce à la réforme et l’ouverture à partir de l’année 1978, la Chine, bénéficiant d’une
diversification des échanges internationaux, a connu un essor économique sans
précédent, et aussi une demande croissante des talents compétents en langues
étrangères. L’enseignement du français n’a pas eu d’épanouissement, contrairement à
ce que l’on s’attendait. Pendant cette période, on ne compte que 7 nouveaux
départements de français, dont 6 ouverts dans les années 90, avec toujours un nombre
42
restreint d’étudiants.
D. Après 1999
L’enseignement du français connaît un vrai essor, qui s’explique notamment par le
fait qu’à partir de 1999, les établissements supérieurs sont autorisés à recruter autant
d’étudiants qu’ils veulent, un droit réservé jusqu’alors au Ministère de l’éducation
nationale. Depuis, le nombre des disciplines et des étudiants ne cesse de croître en
milieu institutionnel, ce qui a aussi contribué au développement de l’enseignement
du français : 10 nouveaux départements de français en 6 ans, nombreux sont ceux
figurés sur la liste d’attente.
De plus en plus d’étudiants ont choisi de s’initier au français durant les 4 ans
d’études universitaires. Prenons comme exemple le département de français de
l’Université des Langues étrangères (désormais Beiwai) : en 1996, l’année où
l’auteur de la présente thèse a commencé ses études de français, on ne comptait que
36 étudiants dans chaque promotion alors qu’en 2002, l’année où l’auteur y a
commencé son travail en tant qu’enseignante, chaque promotion comptait 72
étudiants. Le nombre des étudiants a ainsi doublé en 6 ans. Les chiffres sont parlants.
III. 2.2
Le déroulement des études spécialisées
Les études spécialisées en français se déroulent en 4 ans dans le supérieur. Les 78
départements recensés se diffèrent l’un de l’autre quant à la façon d’enseigner la
langue, ce n’est pas dans le but de la présente thèse de les distinguer.
Beiwai est qualifiée d’université « d’excellence » dans le domaine d’enseignement
des langues étrangères au niveau national. Son département de français, créé en 1950,
sert depuis de longue date de modèle dans l’enseignement du français grâce à ses
expériences et sa méthode25. Un aperçu de l’organisation du cursus et le déroulement
des études à Beiwai permet de connaître l’état actuel de l’enseignement du français
dans le pays.
25
Le français conçu par Beiwai (publié en 1991 et renouvelé en 2008) sert de méthode pour la plupart des
départements de français en Chine.
43
-
Cursus universitaire
Les 4 années universitaires se composent de 2 phases : la première en vue de
transmettre les connaissances élémentaires du français, alors que la seconde vise à
enrichir les connaissances générales sur le français et la France chez les étudiants.
La 1ère phase (2 ans) : en 1ère année, les étudiants suivent 16 heures de français par
semaine, et en 2e année, les heures de cours diminuent : s’ajoutent à 8 heures de cours
élémentaire, 2 heures de « lecture en français » et 2 heures de « travail au laboratoire audition ».
La 2e phase (2 ans) : à partir de la 3e année, les études se diversifient dans différents
domaines. Avec toujours le français comme support, les étudiants suivent des cours
obligatoires : lecture analytique (4h 26 ), traduction (2h), cours audiovisuel (2h),
littérature française (2h), presse française (2h) et ils peuvent aussi choisir entre
civilisation française (2h) et commerce en français (2h). Les différentes matières sont
destinées à approfondir les connaissances déjà acquises et à généraliser la culture
française. Les étudiants de 3e année ont en moyenne 14 heures de cours en français.
La dernière année consacrée essentiellement au stage et à la recherche de travail
comprend moins de cours de français : politique internationale (2h), écriture en
français (2h), interprétation (2h), traduction (2h). Les cours se terminent en principe
en mars et les étudiants, censés disposer d’une bonne maîtrise du français sur le plan
oral et écrit, préparent un petit mémoire de 20-30 pages, et ils obtiennent un diplôme
de licence de la langue française après la soutenance qui a lieu fin mai.
-
Méthodes
En 2001, l’Association de l’enseignement du français en Chine a effectué une enquête
sur les méthodes utilisées parmi 26 départements de français, les résultats montrent
que les deux tiers ont choisi la méthode Le français. Rares sont ceux (2 sur 26) qui ont
recours à une méthode étrangère.
26
4h : 4 heures de cours ; 2h : 2 heures de cours.
44
1ère phase : Le français, composé de 4 tomes, réserve une place primordiale à la
grammaire : chaque leçon présente les règles grammaticales d’une façon explicite, et
le texte est conçu en vue de les mettre en pratique. Les éléments grammaticaux sont
introduits durant la lère phase selon l’ordre suivant :
Tableau III-1 (Eléments grammaticaux de la méthode Le français)
1ère année universitaire (Le français)
1 semestre
2e semestre
(tome 1 : 18 leçons)
(tome 2 : 18 leçons)s
er
Phonétique
Présent de l’indicatif
Passé composé
Imparfait de l’indicatif
Futur simple
Plus-que-parfait
Voix passive
Conditionnel présent
Futur dans le passé
2e année universitaire (Le français)
1 semestre
2e semestre
(tome 3 : 16 leçons)
(tome 4 : 16 leçons)
er
Passé simple
Futur antérieur
Passé surcomposé
Passé antérieur
Subjonctif présent
Conditionnel passé
Imparfait du subjonctif
plus-que-parfait du
subjonctif
Concordance des temps
Dans Le français, chaque leçon est constituée de dialogues ou de textes, conçus de
façon à mettre en valeur les connaissances grammaticales, d’un vocabulaire avec sa
traduction en chinois à côté, ainsi de nombreux exercices de structure. Il s’agit d’une
méthode qui a une grande influence dans le milieu de l’enseignement du français en
Chine, utilisée « dans la plupart des départements des écoles supérieures chinoises
ayant comme spécialité le français, puisqu’elle a été recommandée à l’échelle
nationale par le Ministère de l’Education et que le concours national de français de
chaque année peut se référer au contenu de ce manuel » (Pu, Lu & Xu, 2005 : 78).
Les méthodes étrangères ne sont point exclues complètement. Les étudiants de 2e
année suivent 2 heures de Reflets par semaine, cours assuré en général par un lecteur
qui insiste sur l’aspect culturel, en s’appuyant sur des exercices audio-visuels. Bien
que très apprécié par les étudiants, Reflets reste une méthode complémentaire, vu
l’horaire qui y est consacré.
2e phase : les matières se diversifient et il n’existe plus de méthode proprement dite.
Très souvent, les enseignants introduisent en français les connaissances à maîtriser à
travers des articles choisis à ce but.
-
Evaluation
45
Pour évaluer la compétence linguistique, les contrôles s’avèrent un moyen efficace et
direct, auxquels recourent le plus souvent les enseignants du français en Chine. Il
s’agit, dans la plupart des cas, d’examens écrits, qui se focalisent sur la grammaire
afin de vérifier si les étudiants ont bien maîtrisé les connaissances introduites en
classe.
Contrôles et examens
C’est pendant la 1ère phase que les étudiants sont confrontés fréquemment aux
examens écrits. Les débutants passent chaque vendredi un contrôle composé d’une
dictée et d’exercices écrits sur différents points grammaticaux, ce qui entre d’ailleurs
dans la tradition de Beiwai. De plus, les enseignants imposent chaque semaine en
classe, une ou deux dictées, exercice considéré comme la meilleure combinaison de
compréhension, d’écriture et de grammaire. La deuxième année semble allégée du
point de vue d’évaluation, les étudiants n’ont plus de contrôle hebdomadaire, mais la
dictée reste incontournable.
Durant tout le cursus, chaque semestre se termine par un examen formel organisé sous
forme écrite ou orale pour tout cours relatif au français, dont les notes sont
enregistrées.
Test national de niveau 4
Chaque année, les étudiants spécialisés en français de 2e année sont confrontés à un
test de français qui a eu lieu un même jour en avril dans tout le pays. Il s’agit du
fameux test national de niveau 4, basé sur les connaissances linguistiques impliquées
dans la méthode Le français, à l’issue duquel s’est fait le classement de tous les
départements de français du pays. Comme c’est un test dont les résultats impliquent la
réputation du département, les enseignants ainsi que les étudiants y prêtent une
attention particulière, et la préparation débute très souvent dès le début du 2e semestre
de la 2e année universitaire.
-
Devenir des diplômés
46
Traditionnellement, une fois diplômés, les étudiants s’engagent dans une profession
liée directement à la langue française : certains travaillent dans les ministères ayant
contact avec la France et des pays francophones, dans des agences de presse ou des
sociétés étrangères, d’autres continuent les études afin de devenir à leur tour,
enseignants de français.
Ces dernières années, nous témoignons d’une autre tendance marquée: au lieu
d’entrer sur le marché du travail, de plus en plus d’étudiants choisissent de
poursuivre leurs études en France, cela, grâce surtout aux coopérations
interuniversitaires permettant aux étudiants chinois de passer leur 3e année d’études
de langue en France, en Belgique ou au Canada. Fascinés par la découverte culturelle,
les étudiants décident de s’enrichir à l’étranger dans une spécialité autre que le
français après les études en Chine.
III. 3.
L’acquisition de la spatialité en français
To learn a foreign language should therefore be to acquire a new standpoint in the
world-view hither to possessed, and in fact to a certain extent this is so, since every
language contains the whole conceptual fabric and mode of presentation of a portion
of mankind. But because we always carry over, more or less, our own world-view,
and even our own language-view, this outcome is not purely and completely
experienced.
(Humboldt, 1988 : 6027)
III. 3.1
Le français, langue difficile pour les Chinois
Les difficultés dans l’apprentissage d’une L2 proviennent souvent de la distance
entre le système linguistique de la L1 et celui de la L2 à acquérir.
Le français et le chinois28 sont deux langues typologiquement très éloignées.
-
27
28
Système d’écriture
Cité par Slobin, 1996a.
Quand nous parlons du chinois, c’est au mandarin que nous faisons référence.
47
Il existe deux systèmes d’écriture en chinois, celui des signes (ou caractères), et celui
du pinyin29, système de transcription basé sur les 26 lettres de l’alphabet anglais. Le
pinyin constitue en effet un système intermédiaire mis en application principalement
durant l’apprentissage de la LM, dans la vie courante, les Chinois se servent plutôt du
système idéographique. Dans notre étude, les deux systèmes seront adoptés comme
base de transcription morphémique30.
-
Morphologie
Le chinois est une langue de morphologie extrêmement pauvre. A la différence du
français, le verbe en chinois ne connaît pas de conjugaison et le nom, pas d’accords
de genre ni de nombre.
Prenons l’exemple apprendre le français au présent :
Tableau III-2 ( Morphologie : le français vs le chinois)
Apprendre le français (au présent)
En français
sujet
Verbe + objet
sujet
Je (J’)
apprends le français
我 wǒ
Tu
Il/elle
Nous
Vous
Ils/ elles
apprends le français
apprend le français
apprenons le français
apprenez le français
apprennent le français
En chinois
你 nǐ
他/她 tā
我们 wǒmén
你们 nǐmén
他们/她们 tāmén
Verbe + objet
学习
法语
xuéxí
fǎyǔ
apprendre - le français
Comme ce que nous pouvons constater, en français le verbe apprendre se conjugue
en fonction du sujet alors qu’en chinois, apprendre le français, incarné par 学习 –
法 语 : xuéxí - fǎyǔ ‘apprendre - le français’, ne connaît pas de changement
morphologique quel que soit le sujet.
-
Système aspecto-temporel
Très souvent, le chinois est considéré comme une langue qui n’a pas de temps ni
d’aspect, ce qui n’est pas vrai. Il faut dire que le chinois, en l’absence de
morphologie verbale fonctionnelle porteuse de valeurs sémantiques de temps et
d’aspect, recourt à des moyens autres que la flexion verbale pour indiquer la
29
Le pinyin a été décrété par le gouvernement chinois le 11 février 1958, dans le but de faciliter l’apprentissage du
chinois sur le plan phonétique.
30
Les critères de la transcription morphémique serons explicités dans IV.2.3, p.70.
48
temporalité.
a. le temps
Les Chinois se servent si nécessaire d’adverbes ou d’expressions temporelles pour
indiquer le temps (le présent, le futur, le passé), qui n’est pas obligatoire au niveau
phrastique. Ce qui pourrait se résumer par le schéma comme suit :
Schéma III - 1 (Expressions temporelles en chinois)
b. l’aspect
En chinois, l’aspect est grammaticalisé par 3 particules aspectuelles qui suivent
immédiatement le verbe.
-着 zhe : indique la continuation d’une action.
-了 le : marque l’accomplissement d’une action.
-过 guò : exprime une expérience vécue.
En effet, l’absence de propriétés linguistiques morphologisées obligatoires en chinois
pourrait entraver le rythme de l’apprentissage de telles catégories en français. Vu la
« distance linguistique » entre le français et le chinois, le français s’avère une langue
difficile à apprendre aux yeux des Chinois.
III. 3.2
L’enseignement de l’expression spatiale en français
Etant donné l’absence d’un système aspecto-temporel en chinois, la temporalité qui
s’avère une difficulté permanente dans l’acquisition du français chez les apprenants
chinois, a attiré et attire toujours l’attention des enseignants en français langue
étrangère (FLE) et des travaux linguistiques y ont été consacrés, en chinois comme en
49
français (SUN jili, 2003).
La méthode Le français dont se servent de nombreux établissements, accorde aussi
une place primordiale à la temporalité, qui constitue les principaux éléments
grammaticaux à transmettre 31 . La conjugaison, porteuse de traits temporels, fait
l’objet d’explications détaillées des enseignants, et d’exercices principaux en classe
ou dans les contrôles.
Parallèlement, la spatialité n’a pas fait couler autant d’encre : les prépositions de lieu,
les prédicats (statique et dynamique) sont parus dans le manuel associés à une
traduction en chinois sans aucun approfondissement 32 , d’où l’intérêt de notre
recherche. La différence de traitement réside dans le fait que la spatialité est
considérée comme un domaine cognitif que partagent les peuples français et chinois.
Les enseignants ne se soucient guère d’explorer la différence de la lexicalisation d’un
même événement spatial entre le français et le chinois, et l’enseignement de
l’expression de la spatialité se réduit ainsi à une simple transformation sémiotique.
Les Chinois et les Français partagent-ils les mêmes modèles perceptifs dans la
localisation et le déplacement ? Certes, les similitudes conceptuelles rendraient plus
facile l’assimilation de l’expression spatiale, mais les différences entraveraient
l’appropriation de la spatialité en français, car « une fois acquis, ces modèles
perceptifs semblent fixés pour toute la vie » (Hall, 1971 : 65).
III. 3.3
De l’enseignement à l’acquisition
In acquiring another language, adult learners can use their available knowledge of how
space is structured and how spatial relations are typically established between entities.
However, language vary not only in the way in which spatial concepts are encoded
grammatically (case-marker, prepositions, verbs, adverbials), but also in the use made of
specific spatial concepts. Since spatial descriptions are typically organized at an abstract
level, the options chosen in particular contexts in a specific language are often a matter of
convention. This means that a learner of a second language not only has to uncover the
31
32
Cf. Tableau III-1, p.46.
Cf. Chapitre IX.1.1.
50
linguistic means used to express a specific concept, but also the constellations of entities
to which a particular concept is applied.
(Carroll & Becker, 1993)
En Chine où l’apprentissage des langues étrangères n’est qu’un phénomène récent,
l’enseignement du français se caractérise par une double priorité, accordée à la
grammaire et à l’enseignant, censé pouvoir « domestiquer » le processus
acquisitionnel de l’apprenant.
Pendant longtemps, les enseignants chinois croyaient que c’étaient eux qui
contrôlaient le transfert du système linguistique dans l’apprentissage du français.
Pourtant, peu à peu, ils se rendent compte que, s’ils sont capables de contrôler la
nature des matériaux linguistiques à transmettre, c’est l’apprenant qui intériorise en
effet ce qui entre. Cette opération est déterminée par les caractéristiques du dispositif
acquisitionnel langagier de l’apprenant, et non pas par celles du programme
pédagogique des enseignants.
A titre d’exemple, les enseignants constatent que les étudiants chinois, même à un
niveau avancé (en 3e ou 4e année), se limitent à employer les formes les plus simples
(présent, futur proche et passé composé) pour exprimer la temporalité dans leur
production langagière. Quand il s’agit d’une relation temporelle compliquée, ils
recourent le plus souvent aux adverbes temporels ou à l’organisation discursive,
rarement aux formes composées, moyens linguistiques dont ils disposent déjà. Cela
montre que d’une part l’influence de la LM reste profonde et permanente dans
l’acquisition de la temporalité en français, d’autre part, l’appropriation des
connaissances linguistiques transmises au cours de l’enseignement est un processus
autonome propre aux apprenants, que les enseignants ne sont pas capables de
contrôler.
Alors quels sont les facteurs qui influencent l’acquisition du français chez les
apprenants, qu’est-ce qui se passe en effet au niveau cognitif quand les apprenants
s’expriment en français ? Nous essayerons de le mettre en lumière à travers une étude
51
longitudinale sur l’acquisition de la spatialité, domaine cognitif qui a échappé à
l’attention des enseignants chinois.
Partie de la dichotomie talmienne, et en fonction de la théorie de Slobin thinking for
speaking, nous allons solliciter des productions narratives chez les étudiants chinois à
différents stades d’apprentissage, afin d’examiner l’expression de la localisation et
celle du déplacement en français.
Nous pourrions avancer les hypothèses initiales suivantes :
1) A chaque stade, les apprenants chinois manifestent une capacité particulière pour
référer à la spatialité, et cela est conditionné par différents facteurs.
2) Dans l’expression de la localisation, les locuteurs de français et de chinois ne
partagent pas toujours la même conceptualisation sur l’espace.
3) Dans l’expression du déplacement, les étudiants chinois tendent à insister sur la
manière dans l’expression des procès en français, comme dans la désignation en
LM.
4) Les difficultés dans l’acquisition des relations spatiales en français résident
principalement dans l’impact de la conceptualisation de la LM.
52
Chapitre IV Recueil de données
IV. 1.
Construction du corpus
L’idée est de suivre l’acquisition de la référence spatiale chez les apprenants chinois
pendant les trois premières années des études universitaires, période où ils apprennent
de façon guidée les connaissances linguistiques de la langue française, de la phase
initiale à la phase avancée. Dans ce but, nous avons recueilli 3 fois des productions
narratives en français L2 à partir des supports en images, auprès des 22 étudiants de la
même classe. Une fois enregistrées en audiocassettes, les données orales ont été
transcrites et segmentées de façon à faciliter les analyses comparatives.
IV. 1.1
Apprenants chinois
Nous avons choisi d’effectuer cette étude « sur le terrain » avec la même classe dans
sa totalité. A la différence d’une recherche menée auprès d’un certain nombre
d’apprenants, sélectionnés de façon « aléatoire », suivant quand même certains
critères, notre étude ciblant la même classe sans écarter un seul cas, permettra de
mieux observer chaque étape durant tout le processus d’acquisition, d’où des
constatations susceptibles d’être généralisées.
La classe B promotion 2006, qui fait l’objet de notre étude, comprend 18 filles et de 4
garçons de l’âge de 18-19 ans. Du point de vue du profil d’apprenant, c’est une classe
homogène : ayant tous un très bon niveau d’anglais 33 , ils n’avaient aucune
connaissance linguistique sur le français avant d’entrer à l’université, nos sujets
étaient ainsi au même point de départ.
Nous avons choisi cette classe aussi pour une raison pratique. Parler en français avec
quelqu’un que l’on connaît s’avère moins stressant pour les apprenants chinois qui
n’ont pas l’habitude de s’exprimer devant un inconnu qui les observe tout au long de
33
Ce qui constitue d’ailleurs un critère nécessaire pour entrer à Beiwai. En fait, tous les candidats à Beiwai
doivent être confrontés à un examen oral en anglais en plus de l’épreuve de l’anglais de Gaokao.
53
leur narration avec un microphone et un magnétophone. L’enquêtrice, en l’occurrence
l’auteur de l’étude, ayant partagé une année entière avec ces apprenants au début de
leur apprentissage du français, connaît ainsi chaque apprenant tant au niveau du
parcours d’études qu’au niveau individuel 34 . Cette familiarisation facilite non
seulement la collecte des données, mais aussi l’interprétation des phénomènes
particuliers rencontrés éventuellement dans les analyses.
IV. 1.2
Collectes des données
Production orale en temps réel
Les recherches empiriques relevant de l’acquisition des langues recourent très souvent
à deux grands types de corpus de données : l’oral et l’écrit, dont le choix est
déterminé par l’objectif de la recherche. Dans la présente étude, nous n’avons pas
envie d’imposer des tâches formelles écrites, car les étudiants chinois, depuis le début
de l’apprentissage du français, se familiarisent avec les exercices écrits sous toutes les
formes (examens, devoirs, dictées). Dans la production écrite, les apprenants, ayant
plus de temps pour réfléchir sur l’organisation de l’information, sont capables de
soigner la formulation de l’expression au fur et à mesure. Il en résulte que la
production écrite n’arrive pas à refléter fidèlement la conceptualisation en temps réel
du locuteur, par rapport à une production verbalisée.
La narration est une technique verbale utilisée par un locuteur pour rapporter un
événement ou une série d’événements expérimentés par un personnage (réel ou fictif,
identique ou différent du locuteur), dans un cadre temporel et spatial, à l’adresse d’un
auditeur en utilisant un code spécifique (langue particulière). « Raconter est une
forme si courante, si quotidienne » (Adam, 1984 : 9), c’est une opération langagière
fondamentale qu’un enfant, très tôt, puisse réaliser en évoquant « un événement qui
vient d’arriver et de le relater » (Fayol, 1985 : 77).
Les locuteurs sont invités à construire oralement une histoire fictive à partir des
supports en images. Si nous avons choisi des bandes dessinées sans texte, c’est que du
34
La provenance de l’apprenant pourrait constituer un paramètre non négligeable qui influe sur la production
orale.
54
point de vue production, les images, censées imposer un cadre conceptuel global,
réservent tout une liberté d’interprétation aux locuteurs (macrostructure et
microstructure), et que dans la perspective d’analyses, elles permettent à tout moment
de connaître le stimulus visuel qui est à l’origine de l’expression verbalisée de chaque
locuteur, ce qui faciliterait la comparaison du procès renvoyant à une même image ou
à une série d’images.
Le modèle de l’acquisition de Klein (1989) considère que l’acquisition d’une langue
(dans notre cas, le français langue étrangère) est fonction de la capacité linguistique,
capacité à produire des énoncés, à les comprendre, à apprendre à produire et
comprendre des énoncés.
Le discours oral produit en temps réel à partir des images selon des consignes données
constitue une tâche calibrée, susceptible de mettre en évidence cette capacité : le
locuteur, en suivant les consignes en français, s’investit dans un discours destiné à être
entendu et compris, dans une situation communicative « locuteur-interlocuteur », dans
notre
cas,
enquêtrice-informateur,
d’ailleurs,
le
dernier
est
prévenu
que
l’enregistrement, destiné à une recherche translinguistique, sera écouté par un natif,
donc un interlocuteur virtuel. Ainsi, pour communiquer ce qu’il conceptualise, le
locuteur met en oeuvre ses connaissances linguistiques (le choix lexical, les structures
syntaxiques, la conjugaison) au moment où il produit un récit complet d’une façon
cohérente. En même temps, un corpus de production orale spontanée permet
d’observer les phénomènes caractéristiques de la construction du message verbal en
temps réel, tels que des hésitations, des auto-interruptions, des reprises de phrase, etc.,
indices des obstacles ou difficultés dans la production.
Le support en images constitue une contrainte pour le locuteur, délimitant la trame du
récit, composée de maillons indispensables. Ainsi, lors des analyses basées sur les
récits produits oralement, il faut tenir compte de l’intégralité de la production telle
qu’elle est conceptualisée et énoncée, en mettant en relation ce qui est produit en
amont et en aval.
55
Supports
Nous avons employé trois supports en images qui avaient déjà servi à de nombreuses
recherches acquisitionnelles (cf. Berman & Slobin : 1994 ; Slobin : 1996, 2004 ;
Hickmann, Hendriks & Roland, 1998 ; Hendriks : 1998, 2004 ; Hickmann, 2003,
2008; De Lorenzo: 2002 ; Strömqvist & Verhoeven, 2004 ; Arslangul : 2007).
Le récit Le Chat
Il s’agit d’une bande dessinée de 6 images : un chat grimpe sur l’arbre en vue de
manger les oisillons en l’absence du grand oiseau, un brave chien chasse le chat et
sauve les oisillons. Cette histoire très simple est susceptible de solliciter des
expressions de localisation et de déplacement entre les référents inanimés (arbre, nid
d’oiseau) et référents animés (oiseau, oisillons, chat et chien).
Le récit Le Cheval
Cette histoire composée de 5 images présente un cheval qui tombe en enjambant la
barrière qui le sépare de la vache et de l’oiseau. Malgré le nombre restreint de
référents inanimés (pré, barrière) et de référents animés (cheval, vache et oiseau), il
s’avère non moins difficile que le récit Le Chat : des activités de mouvement (courir,
enjamber, tomber) et de localisation sont impliquées.
Les récits Le Chat et Le Cheval35 sont deux supports conçus par Hickmann pour des
recherches acquisitionnelles translinguistiques36 dont la synthèse est publiée dans
Children’s discourse : person, space & time across languages (2003).
Le récit Frog, where are you (Désormais La Grenouille)
La bande dessinée pour enfant de Mercer Mayer Frog, where are you ? sélectionnée
par Slobin pour des recherches translinguistiques37, relate, à travers en tout 24 images,
l’aventure d’un garçon qui est parti dans la forêt chercher sa grenouille. Ce support a
35
Les deux séquences d’images seront présentées dans le corpus.
Dans la recherche portant sur la spatialité, les langues concernées sont : le français, l’allemand, l’anglais et le
chinois.
37
Dont la synthèse est publiée dans Relating events in narrative, a crosslinguistic developmental study (Berman
& Slobin, 1994).
36
56
été choisi pour plusieurs raisons : d’abord, dans le récit, des épisodes se succèdent38
où sont introduites de nouvelles entités à localiser (trou, arbre, précipice, etc.), ce qui
permet de mener des comparaisons sous l’angle de la localisation statique ; ensuite, la
trame de la narration (chercher la grenouille), implique des déplacements engendrés
par le changement de lieu, propices à recueillir de nombreux prédicats dynamiques,
qui incorporent différentes informations telles que la manière, la causalité, la direction,
etc. ; enfin, le récit La Grenouille a déjà été utilisé dans des recherches sur
l’acquisition de diverses langues dans le domaine référentiel (la temporalité ou la
spatialité), dont le chinois, ce qui nous a permis de disposer d’une base de départ sûre
et d’un point de comparaison utile.
Tâche
Notre étude longitudinale consiste à confronter les productions narratives de différents
stades. Il est nécessaire de concevoir une tâche permettant non seulement d’observer
l’acquisition de tous les apprenants à un moment donné, mais aussi de mettre en
lumière la progression acquisitionnelle de chaque apprenant pendant les 3 ans en
question.
Les récits Le Chat et Le Cheval servent de support respectivement aux deux premières
collectes, pour refléter les caractéristiques de la représentation spatiale aux stades
initial et avancé.
Le récit La Grenouille s’avère beaucoup plus complexe, sa narration demande à
mobiliser beaucoup plus de moyens linguistiques disponibles. Proposé à chaque
collecte, ce récit remplit une double fonction : la confrontation des productions orales
collectées à différents stades à partir du même support permet de cerner le
développement acquisitionnel à travers la comparaison des différents traitements du
même événement spatial ; le dernier recueil de données sert en même temps à dégager
les caractéristiques de l’organisation spatiale au stade avancé.
Déroulement de la collecte
38
La segmentation en épisode sera traitée dans IV.2.1.1, p.62.
57
Les collectes de données ont eu lieu pendant les trois premières années
d’apprentissage. Si nous avons décidé de ne pas intervenir la 4e année, c’est que cette
dernière année universitaire ne comprend que 4 mois d’études, n’implique donc pas
davantage d’enrichissement de connaissances linguistiques, d’autant plus qu’il est
plus difficile de réunir les apprenants, tous préoccupés par le stage et la recherche du
travail.
Tableau IV-1 (Organisation des collectes de données)
1ère collecte ( 6e mois) – stade initial
Fin mars 2007
Récit Le Chat
Récit La Grenouille
2e collecte ( 20e mois) – stade intermédiaire
Début mai 2008
Récit Le Cheval
Récit La Grenouille
3e collecte ( 34e mois) – stade avancé
Fin juin 2009
Récit La Grenouille
Nous considérons que les trois années correspondent à trois paliers de l’apprentissage :
initial, intermédiaire et avancé. Les apprenants sont confrontés à une double tâche aux
deux premières collectes, et le récit La Grenouille reste la tâche invariable durant les
trois stades. Les 110 productions 39 orales ainsi recueillies sont susceptibles de
déclencher des analyses à la fois synchronique et diachronique.
Les trois collectes se sont étalées sur des intervalles de 14 mois, en vue d’une part
d’obtenir des productions orales suffisamment différenciées, surtout pour le récit La
Grenouille, d’autre part de recouvrir la quasi-totalité du parcours d’acquisition des
apprenants.
Lors des deux premiers recueils, nous avons toujours présenté le support le moins
complexe en premier (Le Chat au stade initial, et Le Cheval au stade intermédiaire),
en vue d’éviter la sensation de frustration chez les apprenants, prévisible s’ils avaient
tout de suite été confrontés au récit La Grenouille, qui dépasse manifestement la
compétence linguistique de l’époque, surtout au stade initial.
Les données ont été recueillies dans des conditions identiques à chaque cycle : les
interviews ont toutes lieu un samedi, jour où les étudiants sont tous disponibles, dans
39
22 (Le Chat) + 22 (Le Cheval) + 22 X 3 (La Grenouille) = 110 productions orales
58
une même salle de classe de Beiwai en face de la même enquêtrice40 avec les mêmes
consignes pour chaque support.
Nous avons décidé d’imposer le temps de lecture pour chaque support41, car la plupart
des apprenants chinois sont perfectionnistes. Si l’on leur laissait préparer le récit
jusqu’à ce qu’ils se sentent prêts, la durée risquerait d’être très longue. Dans d’autres
recherches, les informateurs sont invités à préparer l’histoire en prenant autant de
lecture qu’ils désirent, c’est parce que les profils des locuteurs sont diversifiés, alors
que dans notre étude, le parcours linguistique des apprenants étant identique, les
apprenants sont confrontés à la même tâche pendant le même temps de préparation.
Toute la procédure est effectuée oralement. L’apprenant est invité à parcourir le
support pendant un temps précisé. Durant la préparation, l’enquêtrice s’est limitée à
indiquer, pour le récit La Grenouille, les noms inconnus des référents animés qui
pourraient gêner la narration (hibou, cerf, guêpes), lesquels ont été marqués
préalablement sur un papier. Après, l’apprenant déclenche la narration à l’aide des
images. A la première collecte, l’apprenant est prévenu que le récit, destiné à une
étude translinguistique, s’adresse à un adulte français qui ne connaît pas l’histoire et
qui n’a pas le support devant les yeux42.
Durant la collection, l’enquêtrice reste présente sans intervenir. Les productions orales
sont enregistrées au magnétophone. L’apprenant ayant fini la tâche est prié de ne pas
mettre au courant le thème de l’interview au prochain informateur.
IV. 1.3 Productions des témoins
Dans les analyses comparatives autour du récit La Grenouille, nous nous appuierons
sur des productions des natifs français pour mettre au clair l’écart dans l’expression de
l’espace par des apprenants chinois à différents stades d’apprentissage. Pour des
phénomènes récurrents dans les productions en français L2, nous aurons besoin de
recourir aux productions en chinois pour illustrer les éventuels impacts de L1 sur la
41
3 minutes pour les récits Le Chat et Le Cheval composés de moins d’images, et 6 minutes pour le récit La
grenouille.
42
Cette explication ne semble plus nécessaire pour les deux collectes suivantes car les apprenants peuvent déjà
deviner ou prévoir la procédure de la production après la première expérience.
59
désignation de l’événement spatial en français L2. Ainsi, un corpus de productions des
natifs chinois s’avère aussi nécessaire pour les analyses à partir du récit La
Grenouille.
Afin d’avoir un nombre suffisant de productions des témoins, nous nous sommes
servie des données que nous avions recueillies dans notre recherche antérieure de
DEA, laquelle, portant aussi sur la spatialité, comprend 5 productions orales en
chinois L1 ; et nous avons aussi recouru aux productions provenant respectivement
des thèses de doctorat de Cristina De Lorenzo Rosselló (2002) et d’Arnaud Arslangul
(2007). Tous les deux, ayant utilisé la même technique de collecte en tête-à-tête pour
recueillir des productions orales autour du récit La Grenouille dans leur recherche, ont
eu la gentillesse de nous permettre d’utiliser leurs données43. nous avons ainsi retenu
11 productions respectivement en français L1 et en chinois L1, soit la moitié du
nombre du groupe d’apprenants chinois. Afin de respecter le contenu des productions,
nous avons décidé de présenter les données « empruntées » dans leur version
d’origine, sans aucune modification, alors que pour les productions orales que nous
avons recueillies nous-même, nous avons procédé à une transcription comme suit.
IV. 2.
Transcription des données
Transcrire de la langue parlée tient un peu du paradoxe : garder dans une
représentation écrite certaines caractéristiques de l’oralité ; faire le « rendu » de
la chose orale tout en restant dans des habitudes de lecture établies depuis
longtemps pour la chose écrite... On va se trouver tiraillé entre deux exigences :
la fidélité à la chose parlée et la lisibilité de son rendu par écrit.
(Blanche Benveniste & Jeanjean, 1987 : 107)
Les analyses basées sur la production spontanée en temps réel, les données brutes de
notre corpus sont transcrites intégralement, telles qu’elles ont été produites. La
transcription a pour objectif de rendre lisible la production orale et en même temps de
43
De Lorenzo nous a permis d’utiliser son corpus de français L1 dans sa totalité, et nous avons décidé d’en
utiliser les 11 productions les plus longues. Quant au corpus de chinois L1, ayant déjà 5 productions disponibles
sous la main, nous avons demandé l’emploi de 6 productions auprès d’Arslangul, qui nous a fourni les données
nécessaires.
60
fournir un texte susceptible d’être comparé aux autres. Les analyses portent
particulièrement sur les énoncés et les propositions, les besoins d’analyses justifient
alors le choix de segmenter le discours en unités d’analyse.
IV. 2.1
Segmentation
Notre étude ayant pour objectif de mettre au clair l’organisation de l’information
spatiale, nous sommes amenée à mettre en place un outil d’analyse à la fois efficace et
maniable, qui permette de comparer les productions au sein des apprenants à travers le
temps. En fonction de la macrostructure et de la microstructure des récits,
les
productions sont segmentées en épisodes, en énoncés et en propositions.
IV. 2.1.1
Episode
Nous nous focalisons d’abord sur l’organisation de la macrostructure du récit, laquelle
se compose d’épisodes.
Suivant la proposition de Bamberg & Marchmann (1991)44, nous allons procéder à un
premier découpage du récit en trois composants fondamentaux :
Introduction : un événement déclencheur, constituant « la causalité narrative d’une
mise en intrigue, avec une logique narrative faisant en sorte que ce qui se produit
apparaît comme ayant été causé par ce qui précède » (Adam, 1984).
Développement : intrigue thématique à la suite de l’épisode-introduction, consistant
en une succession d’événements.
Dénouement : situation finale, susceptible de déboucher sur « une évaluation finale
(explicite ou implicite) » (ibid.)
Comparée aux récits Le Chat et Le Cheval45, l’organisation macrostructurale du récit
La Grenouille s’avère beaucoup plus complexe et nécessite une subdivision plus
détaillée : les 3 premières pages introduisent les protagonistes principaux (petit garçon,
chien), la fuite de la grenouille constituant l’événement qui déclenche l’intrigue qui se
44
45
Cité par De Lorenzo (2002).
Dont le découpage sera abordé de façon plus détaillée dans l’analyse des récits (V.1, p.81, et VI. p.130).
61
déroule entre les pages 4 et 21, avant d’aboutir aux retrouvailles avec la grenouille qui
dénoue le récit.
Le développement se compose d’une suite d’événements, nous sommes ainsi amenée
à procéder à un découpage d’un second niveau, au sein du développement même.
« Toute intrigue se fonde sur le changement » (Ducrot & Todorov, 1972), le
changement pourrait intervenir à différents niveaux, les entités en scène, le lieu du
déroulement, les variations d’activités, etc. Quant au récit La Grenouille dont la trame
est la recherche de la grenouille, en nous référant au « Répertoire des épisodes
recensés » de Lorenzo (2002 : 141), nous pouvons résumer les changements de
différents composants (parties surlignées en gris) à travers le tableau suivant :
Tableau IV-2 (Episode-développement du récit La Grenouille)
Entités
Lieu
Chambre (4-7)
Forêt
(8-17)
Animé
Inanimé
Garçon chien
Bottes, fenêtre, bocal,
8-10
Garçon-taupe
11-12
Garçon-hibou
13-18
Mare (18-21)
Procès-clés
Tomber, casser, chercher
Trou, nid de guêpes
Crier, secouer, aboyer
Arbre, trou
Grimper, tomber de l’arbre, sortir
Garçon-cerf, chien
Bois, précipice, roche
Courir, jeter, tomber dans l’eau
Garçon, chien
Mare, arbre mort
Se lever, écouter, escalader
Chiens-abeilles
Nous subdivisons d’abord le développement selon le changement de lieu, en 3
épisodes qui se déploient respectivement dans la chambre, dans la forêt et dans la
mare. Dans la séquence relative à la forêt, nous pouvons distinguer encore des
sous-épisodes en fonction de l’introduction de nouvelles entités. Il est à noter que
dans cet épisode, s’imbriquent deux aventures parallèles : celle du petit garçon qui
rencontre successivement une taupe, un hibou et un cerf; et celle du chien qui s’amuse
avec les guêpes. Comme la recherche constitue le développement du récit, il convient
de se focaliser sur l’activité du petit garçon.
Le récit La Grenouille se décompose ainsi en une suite d’épisodes comme suit:
Episode-introduction
Episode-recherche
46
47
R46-chambre
R-forêt : Rf47-taupe, Rf-hibou, Rf-cerf
R-mare
R: recherche, cette abréviation est employée dans la transcription.
« f » , abréviation de « forêt », renvoie à l’épisode relatif à la recherche qui a lieu dans la forêt.
62
Episode-dénouement
Le découpage en épisodes a été effectué non seulement en fonction des 24 images qui
constituent le support de la narration, mais aussi selon les productions recueillies
auprès des apprenants chinois et des témoins natifs.
Parmi les 88 productions 48 relatives à La Grenouille, malgré des nuances
d’interprétation sur certains épisodes, surtout dans les épisodes Rf-taupe (le petit
garçon a été effrayé, ou piqué par la taupe, ou encore il s’agit d’un putois qui sent
mauvais) et Rf-cerf (le cerf a été irrité par le garçon ou il l’a amené à l’endroit où se
trouve la grenouille), tous les informateurs ont relaté les épisodes que nous avons
distingués49.
IV. 2.1.2
Enoncé
Après la segmentation en épisodes, nous nous trouvons confrontée à une tâche
beaucoup plus difficile : découper la structuration du discours oral en unités
énonciatives. Blanche-Benveniste disait : « Il doit avoir une idée du but de la
transcription, et doit pouvoir centrer son attention sur les aspects qu’on voudra plus
particulièrement étudier » (1987 : 98).
Travaillant sur un corpus oral, nous ne pouvons plus retenir le concept de phrase. « Le
concept de phrase est singulièrement difficile à accepter lorsqu’on a pris l’habitude de
travailler sur l’oral » (ibid., 21), car la phrase étant une unité virtuelle de description
de la syntaxe, est marquée par une construction grammaticale donnée, et elle renvoie
plutôt au texte écrit. Lorsque nous parlons, nous segmentons notre discours en
énoncés, lesquels constituent des unités de communication. L’énoncé, étant le produit
de l’acte d’énonciation, est en général syntaxiquement complet comme la phrase,
mais aussi doué de sens. Les mots-phrases « Oui ! », « Comment ?! », même si
dépourvus de prédicat, constituent bel et bien un énoncé. Dans le discours oral, les
unités d’énonciation successives peuvent être elliptiques. C’est pour cela que « pas de
48
49
66 (22X3) récits en français L2 + 11 récits en français L1 +11 récits en chinois L1= 88 récits La Grenouille.
D’ailleurs, certains apprenants ont ajouté un épisode de morale à la fin de la narration.
63
chance » (cf. la production du témoin français HEN50), est segmenté aussi en un
énoncé. Dans un discours oral produit, il n’est pas facile d’identifier l’unité
énonciative (l’énoncé), d’une part, elle n’est guère ponctuée ou signalée par le
locuteur, de l’autre, le terme ‘énoncé’ étant lui-même polysémique qui inclut plusieurs
phénomènes51, il n’existe pas de critère univoque quant au découpage. Selon Dewaele,
« il est difficile d’avancer un critère unique pour découper les énoncés dans la chaîne
parlée. Le découpage se fait en utilisant simultanément et subjectivement des critères
syntaxiques, sémantiques et prosodiques. L’énoncé est par conséquent une variable
linguistique à valeur relative » (2000 : 29). Le découpage du discours oral en énoncés
constitue ainsi une opération délicate, c’est pour cela que Dewaele l’a qualifié
d’entreprise saisir l’insaisissable.
Ainsi il nous revient de délimiter les énoncés en nous référant simultanément à
plusieurs critères tels que la sémantique, la construction syntaxique, l’intonation, la
pause et le débit, etc.
L’extrait de la production de l’étudiante Océane lors de la 2e collecte illustre l’esprit
de la segmentation que nous maintenons pour toutes les productions orales que
nous-même avons recueillies.
Océane (Récit La Grenouille : 2e collecte)
(1)
Pascal trouve une trou dans la terre et il appelle sa euh grenouille dans le trou
(2)
mais c’est le euh du trou euh vient un rat de champs qui a beaucoup surpris Pascal
(3)
et + à ce moment-là son chien euh s’en donne beaucoup euh en jouant avec les [grεp]-guêpes
(4)
le chien euh ébrandit-ébranle l’arbre où où le nid de [grεp]-guêpes où est le nid de [grεp]-guêpes et le nid est
[tõ] le nid tombe par terre
(5)
alors les [grεp]-guêpes s’en sortent et ils se mettent à poursuivre le chien
(6)
et + à ce moment-là euh Pascal euh il trouve un autre trou dans un arbre voisin et euh il appelle sa grenouille
dans ce trou
(7)
mais de ce trou encore euh ne vient pas sa grenouille mais un hibou qui a euh qui a aussi beaucoup surpris
Pascal
(8)
euh il tombe par terre et tandis que son chien euh il court à fond de train pour échapper les [grεp]-guêpes
50
28.*HEN: [c’est] pas de chance #
51
Chaque énoncé pourrait comprendre les propriétés suivantes : renvoyer à l'acte même d'énonciation
(franchement) ; thématiser (elle cueille des fleurs, Charlotte) ; référer (le tableau de Jean) ; action, acte de langage
ou force illocutoire (promesse, question,...) ; exprimer une modalité (il se peut que) ; argumenter (donc, certes,
puisque) ; montrer l'intention de communication de façon non explicite par des sous-entendus (Maingueneau, 1981).
64
Cet extrait, décrivant les images 9-12, correspond aux 2 épisodes du récit : Rf-taupe
et Rf-hibou. Nous avons segmenté cet extrait en 8 énoncés. La séparation des énoncés
(1) et (2) se base sur les images auxquelles ils renvoient, l’énoncé (1) décrit l’image 9,
et l’énoncé (2), l’image 10. L’énoncé (3), marqué par à ce moment-là, est consacré à
l’état inchangé du chien, présenté dans les deux images (9-10). Les énoncés (4-5)
expliquent la cause de la poursuite du chien par les guêpes (images 11-12). La
description revient ensuite sur le garçon, introduite par à ce moment-là (énoncé 6),
marquant un autre événement qui se passe simultanément. Si nous avons séparé les
énoncés (7) et (8), c’est que l’énoncé (8) renvoie à la même image 12, d’autant plus
que le recours à la locution conjonctif tandis que, marque un mouvement qui est
placé dans le même intervalle temporel ; par ailleurs, Océane a marqué une pause
nette entre ces deux énoncés. Ainsi, les images, critères syntaxiques et sémantiques,
ainsi que des critères prosodiques (intonation, pause, etc.) constituent des facteurs
que nous avons pris en considération lors de l’identification de l’énoncé.
IV. 2.1.3
Proposition
Pour étudier la référence dans le discours, ici, le discours oral spontané, la proposition
constitue le cadre le plus adéquat, notamment pour les analyses des procès relatifs au
déplacement.
La proposition est une unité psychologique et syntaxique (réduite parfois à un seul
mot) qui constitue à elle seule une phrase ou qui entre comme élément dans la
formation d’un énoncé complexe.
Dans les recherches de Berman & Slobin (1994) sur le discours oral spontané produit
à partir du récit La Grenouille, aussi principal support de notre corpus, ils définissent
la proposition (clause) comme un prédicat simple (unified predicate) qui exprime une
situation singulière (single situation) : activité, événement, état.
Nous segmentons ainsi les énoncés en propositions suivant la définition proposée par
Berman & Slobin. Pourtant, dans la production orale spontanée, nous constatons des
structures qui ne correspondent pas à ce schéma : ellipse du verbe, les constructions
complexes mettant en jeu deux verbes, etc.
65
Nous allons illustrer ces constructions d’exemples des natifs français, extraits du
corpus.
A. Ellipse du verbe52
1) Verbe non répété
6a.*NIC: ils cherchent partout,
6b.*NIC: [ils cherchent] dans les bottes
6c.*NIC: [ils cherchent] sous le lit
6d.*NIC: [ils cherchent] partout
2) Procès nominalisé
22e.*SAM: il est poursuivi par une meute
22f.*SAM: enfin [c’est] un essaim d’abeilles
3) Onomatopée
35a.*NAT: et [ça fait] plouf dans l’eau
Dans les exemples ci-dessus, le prédicat ne contient pas toujours un verbe. La
définition de ce dernier n’exige pas la présence formelle d’un lexème verbal : le
procès peut être exprimé elliptiquement, et il est reconstructible en fonction des règles
grammaticales de l’ellipse (1, 2). Il en va de même pour l’onomatopée, dans notre
exemple, « plouf » en imitant le bruit (35a), renvoie en effet au procès «le garçon est
tombé dans l’eau», il constitue ainsi une proposition.
B. constructions mettant en jeu deux verbes (V1+V2)
1) V1 marquant le début d’une action
7.*MIC : ils commencent à chercher partout
Commencer à, se mettre à, entreprendre de, sont des verbes qui marquent la phase
initiale d’un procès (V2) en cours de réalisation. Les verbes de phase font partie des
verbes non prédicatifs (François, 1990). Ils n’ont qu’une fonction, c’est de localiser le
V2 par rapport au moment de sa réalisation, ils n’ont donc pas de valeur prédicative.
Ainsi, ils commencent à chercher partout constitue une proposition à deux verbes.
2) V2 en gérondif indiquant la manière du mouvement
35.*NIC: le cerf s’en va en courant
Ici, s’en aller et courir renvoient tous les deux au même mouvement qu’est le départ
52
La partie elliptique est mise en crochets.
66
du cerf. Le premier insiste sur la deixis du déplacement et le dernier, sur la manière.
Nous considérons que la structure [V1mouvement + V2 manière ] constitue une seule
prédication, donc une seule proposition.
3) V1 - verbe de perception
12a.*NIC: le petit garçon le voit
12b.*NIC: tomber
Les verbes de perception tels que voir, regarder, entendre, écouter sont susceptibles
d’établir une relation de simultanéité entre deux procès qui mettent en jeu 2 actants
différents, dans notre exemple, V1 voir exprimant le point de vue du sujet le petit
garçon, et V2 est relatif au chien qui est tombé, incarné par ‘le’. Ce procès de
mouvement observé associé à 2 actants différents est composé ainsi de 2 propositions.
Quant à la segmentation en propositions des corpus chinois, vu la construction verbale
sérielle, nous allons procéder à une segmentation différente. Nous la verrons plus loin
dans la section IV.2.3.
IV. 2.2 Présentation des données
La transcription des données produites en temps réel a été faite directement à partir
des enregistrements sur cassette.
Chaque production est marquée au début par DEBUT, et à la fin par ►FIN. Dans la
partie en-tête, figurent les renseignements suivants : l’enquêtrice, l’informateur53, le
groupe d’informateurs, la langue de production, le récit en question, ainsi que la date,
le lieu et la durée de la production.
Par exemple, pour la production d’Alix, apprenante chinoise, et celle de Qi, témoin
chinois, l’en-tête de la transcription est présenté comme suit :
Tableau IV-3 (Présentation des données)
►DEBUT
►DEBUT
Participantes : Jia, enquêtrice, Alix, informatrice
Participantes :
Groupe :
apprenants chinois
Groupe :
témoins chinois
Langue :
français L2
Langue :
chinois LM
Date :
31/03/07
Date :
02/06/05
Lieu :
salle de classe 133 (Beiwai)
Lieu :
salle de classe 210 (Beiwai)
53
Jia, enquêtrice, Qi, informatrice
L’identification des apprenants chinois est marquée par leur prénom français.
67
Récit :
La Grenouille (1ère)
Récit :
Durée :
8’30
Durée :
Transcription
Transcription
…
...
►FIN
►FIN
La Grenouille
7’53
Dans la transcription, chaque épisode est marqué par l’icône ♣, suivie d’une étiquette
qui incarne la séquence en question. Par exemple, dans La Grenouille, l’épisode
recherche dans la chambre est indiqué par ♣R-chambre, et celui relatif à la taupe est
marqué par ♣Rf-taupe, renvoyant à la rencontre de la taupe durant la recherche dans
la forêt. Autrement dit, nous essayons d’indiquer par le biais de l’étiquette, l’élément
déclencheur du changement dans chaque épisode.
Dans la transcription, chaque énoncé est précédé de l’icône * et du numéro d’ordre, et
chaque proposition, du numéro de l’énoncé auquel elle appartient avec une lettre qui
la situe au sein de l’énoncé, comme dans l’extrait (épisode relatif à la recherche dans
la chambre) de la production de l’apprenante Cécile lors de la 1ère collecte :
♣ R – chambre
*5a.
Fili cherche la maison
5b.
[Ø il cherche sous] euh le lit
5c.
[Ø il cherche dans] et les bottes
5d.
[Ø il cherche dans] et la bouteille
5e.
mais la grenouille n’est plus là
*6a.
euh +++ et quand il cherche la grenouille
6b.
euh le chien euh le chien euh est tombé de la fenêtre avec la bouteille sur la
lit euh sur la tête
*7a.
euh Fili est très euh très surpris
7b.
mais enfin le chien est en sécurité
Dans les productions, il existe des propositions sans verbe exprimé explicitement, tel
est le cas pour l’ellipse du verbe, le prédicat implicite est indiqué entre crochets,
précédé de l’icône Ø, comme dans 5b-5d.
La production orale se caractérise par des constructions de nature communicative,
visant à solliciter l’intérêt de l’interlocuteur réel ou virtuel («donc, que se passe~t~il
maintenant? ») chez notre témoin français YVE54, ou encore des phrases enchâssées,
54
56.*YVE: donc, que se passe~t~il maintenant? 57. *YVE: notre ami, le petit garçon et le chien, se retrouvent
tous les deux assis dans la mare, en train de se demander ce qu’il leur est arrivé
68
telles que des commentaires pour soi-même de l’apprenant chinois (« comment ça se
dit »), ce genre de constructions que nous appellerons ‘parenthèses’ est marqué entre
guillemets (« »).
IV. 2.3
Glose morphémique de la production chinoise
Afin de rendre lisibles les données en chinois, nous allons recourir à une glose
morphémique interlinéaire, inspirée au système interlinear morphemic translation
(IMT), proposé par Christian Lehmann (1980), en employant en même temps comme
base de la transcription le pinyin, système phonétique mis en pratique depuis 1958,
dont nous avons parlé dans le chapitre abordant l’enseignement du français en Chine.
La présentation de la glose
Si le système proposé par Christian Lehmann est qualifié de interlinear morphemic
translation, « a) because it should be arranged, typographically, beneath the line of
text which it translates, and b) because it is normally used in addition to and before a
normal translation» (Lehmann, 1980 : 4). Avec en première ligne la transcription en
caractères, la glose morphémique pour la production en chinois est placée entre la
représentation phonétique du texte (2 e ligne) et la traduction globale en français (4e
ligne):
1) la 1ère ligne : transcription en caractères
2) la 2e ligne en italique représentant la transcription phonétique en pinyin.
3) la 3e ligne, traduction de chaque morphème ou description censée mot à mot,
constitue la glose morphémique et les mots traduits en français sont séparés par un
trait d’union en eux.
4) la 4e ligne, la traduction globale en français, présentée entre parenthèses, pour
donner une meilleure idée du sens cité.
Les quatre tons dans la transcription phonétique
Il existe 4 tons dans la langue chinoise qui est prosodique. Nous avons choisi
d’indiquer dans notre glose les 4 tons avec les icônes correspondantes.
69
Tableau IV-4 (Les quatre tons en chinois)
Les tons en chinois
Caractéristiques
Icône en pinyin
Exemple
1ère ton
Ton plat
¯
mā
2e ton
Ton montant
΄
má
3e ton
Ton qui monte puis descend
ˇ
mă
4e ton
Ton descendant
̀
mà
*Ton zéro
Ton léger
ma
*Comme son nom l’indique, le ton zéro fait référence à un ton qui se prononce très
court et tout léger, il s’agit en général des particules interrogatives ou aspectuelles.
Comme les mots à ton zéro sont relativement peu nombreux en chinois, nous parlons
plutôt des 4 tons en pinyin, sans compter le ton zéro.
La traduction morphémique
En chinois, étant donné l’absence de marques flexionnelles, le nombre des noms et la
personne des verbes ne se dégagent que dans le contexte. Dans la glose morphémique
de la production en chinois, nous rendons les noms au singulier, et les verbes à
l’infinitif.
Voici 2 exemples :
a) 他
叫
小明
tā jiào
Xiǎomíng
il – s’appeler – Xiaoming (prénom chinois)
« il s’appelle Xiaoming »
b) 我 去 北京
wǒ qù Běijīng
je – aller – Pékin
« je vais à Pékin »
Abréviations dans la glose morphémique
Vu les différences entre le français et le chinois sur le plan grammatical, nous nous
sommes inspirée des étiquettes employées dans la Petite grammaire pratique du
chinois (Ma, 1994) et dans l’Initiation à la syntaxe chinoise (Xu, 1996), et nous avons
choisi de recourir à des abréviations dans la glose morphémique, lesquelles renvoient
aux fonctions relatives aux éléments grammaticaux particuliers au chinois. Dans la
70
partie qui suit, nous explicitons, les abréviations et les fonctions correspondantes,
avec des exemples issus de notre corpus, à titre d’illustration.
Tableau IV - 5 (Les abréviations dans la glose morphémique)
Eléments grammaticaux
Abréviations dans
en chinois
la glose
1) Classificateurs
2)
Caractéristiques
Exemples
(cla.)
Classificateur nominal
Ex 1, 2
(cla.v.)
Classificateur verbal
Ex 3, 4
A) Particules
(q)
Marque du qualifiant
Ex 5, 6
auxiliaires
(c)
Marque du circonstanciel
Ex 7
structurales
(part.compl.)
Particule servant à introduire le complément
Ex 8
B) Marques
(acc.)
Marque aspectuelle d’accompli
Ex 9, 10
aspectuelles
(dur.)
Marque aspectuelle du duratif et du progressif
Ex 11
(exp.)
Marque aspectuelle indiquant une expérience vécue
Ex 12
(D)
Complément directionnel
Ex 13, 14
(D.ext.)
Complément directionnel avec sens extensif
Ex 15, 16
4)Complément résultatif
(R)
Particule indiquant le résultat d’une action
Ex 17, 18, 19
5) Négation
(nég)
Négation de l’inaccompli ou de la possession
Ex 20
(nég.acc)
Négation de l’accompli
Ex 21
6) Marque de patient
(m.pati.)
Particule qui précède le patient
Ex 22
7) Marque de passif
(m.pass.)
Particule qui marque la voix passive
Ex 23
Interjection
(interj.)
Particule interjective
Interrogation
(interrog.)
Particule interrogative
Ordinal
(ord. )
Marque d’ordinal, correspondant à –ème en français
Pluriel
(pl.)
Particule indiquant le pluriel
3) Verbes directionnels
1) Les classificateurs – (cla.)
Les classificateurs constituent des unités de mesure qui portent sur des choses, des
actions ou comportements, ou des repères temporels. La fonction essentielle des
classificateurs, selon Marie-Claude Paris, « malgré cette étiquette quelque peu
impropre, n’est pas de classer les noms, mais de les quantifier » (2003 : 23).
En général, les classificateurs ne s’utilisent pas seuls, mais en combinaison avec un
numéral ou un déictique (celui-ci / celui-là). Dans notre corpus, nous distinguons des
classificateurs nominaux et des classificateurs verbaux :
A) classificateurs nominaux – (cla.) dans la glose morphémique
个-gè, classificateur le plus fréquent en chinois, s’emploie pour toutes sortes
d’objets.
Ex1: 这 个
zhè gè
瓶子
píngzì
71
ce – (cla.) – bocal
« ce bocal »
只-zhi1, classificateur employé pour quantifier les animaux.
Ex2 : 八
只
小
青蛙
bā
zhī
xiǎo qīngwā
huit – (cla.) – petit – grenouille
« 8 petites grenouilles »
B) classificateurs verbaux – (cla.v) dans la glose morphémique
Les classificateurs verbaux, suivant un numéral, décrivent la densité ou la
fréquence de l’action.
Ex355 : 打
一 下
dǎ
yí xià
frapper – un- coup (cla.v)
« frapper un coup »
Ex4 : 吓
一 跳
xià
yí tiào
effrayer – un-saut (cla.v)
« être effrayé»
2)
Les particules auxiliaires
A)
Les particules auxiliaires structurales : a)的 de,
b)地 de,
c)得 de,
a)
的-de , qui suit le déterminant qualifiant, marqué par (q) dans la glose.
Ex5 : 他们 醒来
的 时候
tāmén xǐnglái de shíhòu
ils – se réveiller – (q) – moment
« au moment où ils se sont réveillés »
*的-de , qui suit un pronom personnel, marque la possession, explicité entre
crochets.
Ex6 : 舔
他的
脸
tiǎn
tā de
liǎn
lécher – il (q)[son] – visage
« lécher son visage »
b)
地-de, qui suit le déterminant circonstanciel, est indiqué par (c).
Ex7 : 大
声
地 喊
dà
shēng de hǎn
haute – voix – (c) – crier
« crier à haute voix »
c)
55
得-de , employé entre une expression verbale et son complément, est marqué
Cet exemple n’est pas issu de notre corpus.
72
dans la glose par (part.compl.).
Ex8 : 玩
得
很
起劲
wán
de
hěn qǐjìn56
jouer – (part.compl.) – très – avec entrain
« jouer avec entrain »
B)
Les marques aspectuelles
Nous avons esquissé, dans III.3.1 portant sur l’enseignement de français en Chine, les
moyens linguistiques en chinois pour exprimer le temps et l’aspect. En l’absence de
formes morphologiques fonctionnelles en chinois, nous recourons à des expressions
adverbiales pour indiquer le temps, et les marques a) 了-le, b) 着-zhe, c) 过-guò,
pour l’aspect.
a)
了-le, exprimant l’accomplissement d’une action, est marqué par (acc.)
Ex9 : 小
青蛙
到
了
新
的 环境
xiǎo
qīngwā
dào
le
xīn
de huánjìng
petit – grenouille – arriver – (acc.) – nouveau – (q) – endroit
« la petite grenouille est arrivée dans un nouvel endroit ».
了-le, pourrait aussi servir de marque aspecto-modale exprimant un changement
d’état.
Ex10 : 瓶子 已经 空
了
píngzì yǐjīng kōng
le
bocal – déjà – vide – (acc.)
« le bocal est déjà vide »
b)
着 -zhe, susceptible d’exprimer à la fois la continuation d’une action
(progression) ou la continuation d’un état (durée), est désigné par (dur.) dans la glose.
Ex11 : 跟
着
小
蜜蜂
gēn
zhe
xiǎo mìfēng
suivre – (dur.) – petit – abeille
« en suivant les petites abeilles »
c)
过-guò, renvoie à une expérience déjà vécue, indiqué par (exp.) dans la glose.
Ex12 : 见
过
这个
东西
jiàn
guò
zhègè dōngxī
voir – (exp.) – ce (cla.) – chose
« avoir déjà vu cette chose »
3)
Les verbes directionnels – (D)
Dans la section (II.1.3.2) portant sur langues à codage sur le satellite (Satellite 56
起劲-qǐjìn, un seul mot en chinois, renvoie à l’expression avec entrain en français.
73
Framed languages)57, nous avons déjà traité du complément directionnel consistant
en 24 verbes directionnels en chinois, langue considérée par Talmy comme centrée sur
les satellites.
Les verbes directionnels ont soit un sens propre, soit un sens figuré (sens extensif et
abstrait). Au sens propre, ils expriment l’orientation effective d’une action, au sens
figuré, les verbes directionnels sont susceptibles de déboucher sur un sens abstrait
sans rapport direct avec la direction.
A)
les verbes directionnels au sens propre sont indiqués dans la glose par (D)
Ex13 : 自己
也
掉
了
进去
zìjǐ
yě
diào
le
jìnqù
lui-même – aussi – tomber – (acc.) – entrer (D)
« il est tombé lui aussi là-dedans »
Ex14 : 突然
冒
出
一只
猫头鹰
tūrán
mào
chū
yìzhī māotóuyīng
soudain – surgir – sortir(D) – un (cla.) – hibou
« soudain un hibou en est sorti »
B)
les verbes directionnels au sens figuré sont marqués par (D.ext.) dans la glose, le
sens varie en fonction du contexte.
-
le commencement d’une action
Ex15 :
-
跑
了
起来
pǎo
le
qǐlái
courir – (acc.) – se lever (D.ext.)
« (il) s’est mis à courir »
l’accomplissement d’une action
Ex16 : 然后
鹿
猛
地
停
了
下来
ránhòu lù měng
de
tíng
le
xiàlái
et puis – cerf – soudain – (c) – arrêter – (acc.) – descendre (D.ext)
« le cerf s’est arrêté tout d’un coup »
5) Le complément résultatif – (R)
Comme son nom l’indique, le complément résultatif vise à expliciter le résultat d’une
action, incarné soit par un adjectif qui renvoie à l’état consécutif à l’action, soit par un
verbe dont le sens serait avoir réussi à ou jusqu’à.
Ex17 : 摔
shuāi
57
破
pò
了
le
瓶子
píngzī
Cf. II.1.3.2, p.32.
74
tomber – cassé(R) – (acc.) – bocal
« le bocal s’est cassé »
到- dào ‘arriver’ est un verbe résultatif très fréquent en chinois.
Ex18 : 跑
到
了
它们 的
蜂窝 附近
pǎo
dào
le
tāmén de
fēngwō fǔjìn
courir – arriver(R) – (acc.) – ils (q) [leur] – nid – environs
« il les (abeilles) a suivies jusqu’à leur nid »
Ex19 : 看
到
地
上
有
一个
大
洞
kàn
dào
dì shàng yǒu
yígè
dà dòng
regarder – arriver(R) – terre – sur – avoir– un (cla.) – grand – trou
« (il a) vu un grand trou dans la terre »
6)
La négation – (nég.)
A)
négation de l’inaccompli
不- bù équivaut à ne...pas
Ex20 :
小明
很
不
爽
Xiǎomíng hěn
bù
shuǎng
Xiaoming – très – (nég.) – content
« Xiaoming n’est pas très content ».
B)
négation de l’accompli (nég.acc.)
没- méi, suivi ou non du verbe 有 yǒu ‘avoir’
Ex21 : 它
没
见
过
这个
东西
tā
méi
jiàn guò
zhègè
dōngxī
il – (nég.acc.) – voir – (exp.) – ce (cla.) – chose
« il n’a jamais vu ce genre de chose »
7)
La marque de patient – (m.pati.)
把- bǎ, suivi d’un objet qui subit une action.
Ex 22: 他们
把
窗户
打开
tāmén bǎ
chuānghù dǎkāi
ils – (m.pati.) – fenêtre – ouvrir(R)
« ils ont ouvert la fenêtre »
Dans cette phrase, c’est « la fenêtre » (窗户- chuānghù) qui a été ouverte, action
réalisée par « ils » (他们- tāmén). Il s’agit d’une structure qui insiste sur l’objet
soumis à l’action, tout en abordant le résultat (ouvert).
Un autre exemple :
妞妞
还
把
脑袋
伸
进
了
瓶子
里
Niūniū
hái
bǎ
nǎodài shēn
jìn
le
píngzī lǐ
Niuniu – même – (m.pati.) – tête – tendre – entrer (D) – (acc.) – bocal – dans
75
Donc, c’est la tête (脑袋 – nǎodài ) qui a été mise dans le bocal par le chien (妞妞Niūniū).
8)
La marque de passif – (m.pass.)
被-bèi, suivi de l’actant comme patient, se trouve dans une phrase à la voix
passive.
Ex23 : 被
一
大
群
蜜蜂
追
bèi
yí dà
qún
mìfēng zhuī
(m.pass.) – un – grand – foule (cla.) – abeille – poursuivre
« (il a été) poursuivi par de nombreuses abeilles »
Segmentation en propositions des productions en chinois
En français, nous avons procédé à la segmentation en propositions en fonction du
prédicat, il n’en va pas de même en chinois à cause de la construction verbale sérielle,
dont nous avons parlé dans II.1.3.2. Il s’agit d’une structure très courante en chinois,
qui permet à plusieurs verbes d’être accolés en séquence, lesquels se comportent
comme une seule unité verbale, en renvoyant à un événement unique du point de vue
sémantique.
Dans la construction verbale sérielle, il existe plusieurs verbes co-prédiqués, qui
constitue une seule prédication, renvoyant très souvent à un seul prédicat en français.
Par exemple : (chez Qi)
带
了
一只
很
可爱
的
小
青蛙
回
家
dài
le
yìzhī
hěn
kě’ài4 de xiǎo
qīngwā
huí
jiā
porter – (acc.) – un (cla.) – très – mignon – (q) – petit– grenouille – rentrer – maison
« emmener à la maison une petite grenouille très mignonne »
[Porter – rentrer → emmener], une construction verbale sérielle où 2 verbes
co-prédiqués équivalent ensemble à un verbe du français.
Ainsi, pour la production en chinois, quant aux constructions verbales sérielles, nous
nous focalisons sur la prédication à laquelle renvoient les verbes co-prédiqués, au lieu
de les segmenter en propositions en fonction du prédicat, comme pour le corpus en
français.
Prenons comme exemple un extrait de la production de Qi:
76
*2a
因为
他 觉得
yīnwéi
tā juédé
parce que – il – trouver
2b.
家
里
只
有
一只
宠物
jiā
lǐ
zhǐ
yǒu
yì zhī
chǒngwù
famille – dans – seulement – avoir – un (cla.) – animal domestique
2c.
比较
孤单
bǐjiǎo gūdān
un peu – solitaire
2d.
然后
就
拿
来
给
小明
作
伴
ránhòu jiù
ná
lái
gěi
Xiǎomíng zuò
bàn
et puis – alors – prendre – venir (D) – donner – Xiaoming – tenir – compagnie
« Parce qu’il trouve que la famille est un peu triste avec seulement un animal
domestique, ainsi, il a apporté la grenouille pour tenir compagnie à xiaoming »
Il s’agit du deuxième énoncé de la production en chinois de notre informatrice Qi.
Nous avons segmenté cet énoncé en 4 propositions, 2a) est indiqué par le prédicat
cognitif 觉得 juédé ‘trouver’, 2b), par le prédicat attributif 有 yǒu ‘avoir’, 2c) est une
proposition avec un qualitatif à valeur prédicative 孤单 gūdān ‘solitaire’, et 2d est
une construction verbale sérielle qui renvoie à deux prédicats en français (apporter –
tenir compagnie).
A part les critères de segmentation en propositions, il n’existe pas de différence dans
la présentation des données (les icônes et les étiquettes pour l’épisode / l’énoncé / la
proposition), quelle que soit la langue de production.
77
DEUXIEME PARTIE
ANALYSES DE RECITS
Chapitre V
Le Chat
Chapitre VI
Le Cheval
Chapitre VII
Synthèse et hypothèses : Le Chat vs Le Cheval
Chapitre VIII
Frog, where are you ?
78
Chapitre V Le Chat
V.1.
Les événements spatiaux
V.2.
Relations spatiales impliquées dans l’introduction
V.3.
V.4.
V.5.
V.6.
V.2.1
Localisation statique
V.2.2
Déplacements
Relations spatiales impliquées dans le développement
V.3.1
Déplacement du chat
V.3.2
Apparition du chien
V.3.3
Intervention du chien
Relations spatiales impliquées dans le dénouement
V.4.1
Déplacement des intrus
V.4.2
Déplacement de l’oiseau
L’organisation de l’information spatiale
V.5.1
Parcours de l’oiseau
V.5.2
Parcours des intrus
Constatations
V.6.1
Les événements spatiaux
V.6.2
La sélection de l’information spatiale
79
Dans le présent chapitre, nous allons analyser, sous l’angle de la spatialité, les
productions en français L2 du récit Le Chat des apprenants chinois. Dans un premier
temps, nous allons expliciter les événements spatiaux impliqués dans les images,
avant de décrire les différentes solutions des apprenants pour y faire référence.
Ensuite, nous allons examiner les parcours des référents animés à travers
l’organisation de l’information spatiale, pour enfin aboutir à des constatations visant à
révéler les facteurs qui influencent la production orale des apprenants à un stade
initial.
V.1.
Les événements spatiaux
L’introduction du récit comprend les
3 premières images, qui présentent
l’arrière-plan du récit, en localisant
les oisillons et/ou l’oiseau par rapport
à l’arbre ou éventuellement, au nid, et deux événements déclencheurs de la trame: le
départ de l’oiseau (oiseau →) et l’apparition du chat ( chat ←).
La trame narrative se développe dans les images 4,
et 5, avec au moins 2 événements spatiaux: le
déplacement du chat sur l’arbre et l’apparition du
chien (chat ↑, chien ←). L’image 5 illustre un autre
événement : l’intervention du chien qui pourrait impliquer une relation spatiale. Nous
avons ainsi décidé de le traiter dans la section V.1.2.3 Intervention du chien du
présent chapitre.
Le récit se termine avec l’image 6 qui illustre la poursuite du chat
par le chien et le retour de l’oiseau ( chien→ chat →, oiseau ↔ ). Il
est à noter que le retour de l’oiseau est partiellement présenté dans
l’image 5, mais nous avons décidé de le traiter dans le dénouement
du récit en insistant sur l’état final de l’oiseau.
Les événements spatiaux impliqués dans le récit Le Chat pourraient ainsi se résumer
au tableau suivant :
80
Tableau V-1 (Evénements spatiaux impliqués dans le récit Le Chat)
Localisation
Introduction (images 1-3)
oisillons/oiseau – nid – arbre
Déplacements
oiseau →
chat ←
chien ← chat↕chien
Développement (images 4-5)
-
chat ↑
Dénouement (image 6)
-
oiseau↔
chien→ chat →
Nous avons choisi de présenter les déplacements en question par flèches, cela pour
une double raison. D’une part, cette icône simple et claire permet de révéler la
direction du mouvement à première vue, d’autre part, si les prédicats concrets avaient
été utilisés pour faire référence aux déplacements, certaines interprétations des
apprenants n’auraient pas été dévoilées, car un même événement spatial ne se borne
pas à une seule solution. Prenons l’exemple du départ de l’oiseau, si le procès était
présenté par le verbe partir, on risquerait d’écarter d’autres possibilités, telles que
« quitter la maison », « sortir du nid », ou tout simplement une localisation statique
avec un adverbe locatif « le grand oiseau n’est pas là », ce sont des expressions
relevées dans les productions orales des étudiants, lesquelles ne sont point
inappropriées. Notre étude a pour objectif de décrire et de décrypter les stratégies de
l’organisation d’information spatiale chez les étudiants à différents stades
d’acquisition du français, non pas de les juger selon ce qui est ou pas correct.
V.2.
Relations spatiales impliquées dans l’introduction
En plus d’une localisation statique, l’introduction comprend deux déplacements, ceux
de l’oiseau et du chat. Ce sont des événements spatiaux importants, car la localisation
permet d’établir l’arrière-plan du récit, tandis que le départ de l’oiseau et l’apparition
du chat déclenchent le développement de la trame.
V.2.1
Localisation statique
Les propositions renvoyant à la description de l’arrière-plan révèlent deux tendances :
16 étudiants ont choisi de localiser les oisillons/l’oiseau par rapport à un fond, et 6
étudiants se contentent d’introduire ces derniers avec la structure existentielle il y a,
sans point de référence.
Tableau V-2 (Localisation statique : introduction)
1
Absence de relation spatiale :
(6/22)
81
2
Relation spatiale simple
(13/22)
a
Oiseaux/grand oiseau – arbre: dans/à/sur (10)
b
Maison des oiseaux – arbre : dans (2)
c
Oiseau – bois : dans (1)
a
3
Relation spatiale composée
b
(3/22)
Oiseaux – arbre : dans
Oiseaux/ oiseau maman – maison : dans
Nid – arbre : dans
Oiseaux/grand oiseau – nid : dans
Arbre – bois : dans
c
Nid – branche d’arbre : sur
Oiseaux / grand oiseau – nid : dans
V.2.1.1 Absence de relation spatiale
6 étudiants ont choisi de démarrer le récit en introduisant le référent animé (oiseau
et/ou enfants oiseaux) à travers la structure existentielle il y a, sans évoquer
l’arrière-plan. Le mot oisillon n’étant pas disponible, ils ont choisi petits oiseaux ou
enfants pour le remplacer58. Alix, David et Sylvie ont précisé le nombre d’oiseaux, qui
est bien vague chez Eva (beaucoup) et Sophie (une famille), alors que Cécile ne s’est
focalisée que sur le grand oiseau. David a fourni plus de détails dans l’introduction,
pourtant il n’a indiqué aucun fond dans la localisation, comme les 5 autres locutrices.
(Alix)
*1.
(Cécile)
*1.
(Eva)
*1a.
1b.
(Sophie)
*1.
(Sylvie)
*1.
euh il y a un [zwa] euh il y a un + oiseau + papa et trois petits oiseaux
un jour il y a euh un oiseau euh
et + il y a un oiseau
qui a beaucoup d’enfants
euh il y a une famille euh d’oiseaux
il y a des oiseaux euh il y a un grand il y a un grand [zwazo] et et trois petits
oiseaux
(David)
*1a.
auparavant il y a un oiseau
1b.
+++ l’oiseau a trois enfants
1c.
il l’aime beaucoup
V.2.1.2
Relation spatiale simple
Par « relation spatiale simple », nous entendons une seule information spatiale
58
Les autres étudiants ont recouru à oiseaux, grand oiseau pour distinguer les deux référents animés.
82
incarnée par la préposition entre la figure et le fond, 13 étudiants ont choisi cette
formulation pour construire l’arrière-plan de leur histoire. Nous constatons 3 types de
relation simple dans les productions.
¾ a : oiseaux / grand oiseau – arbre
10 étudiants se sont focalisés sur la relation entre les oisillons/l’oiseau et l’arbre, c’est
un choix naturel, car ces deux référents constituent les entités les plus importantes du
déroulement de l’intrigue.
i)
[Oiseaux/grand oiseau (Fg) + il y a dans/à/sur (situation) + arbre (Fd) ]
(7/10)
ii)
[famille d’oiseaux (Fg) + habiter dans (situation) + arbre (Fd) ]
(2/10)
iii) [je (Fg) + être dans (arbre) + arbre (Fd) ]
(1/10)
La plupart des étudiants préfèrent la structure existentielle il y a (i), car il s’agit d’une
construction peu coûteuse et efficace. Peu coûteux parce que c’est une structure
introduite très tôt en tant qu’expression figée, ainsi pas de changement
morphologique ; efficace parce qu’il suffit d’ajouter le fond et la figure avec une
préposition pour expliciter la situation entre les oiseaux et l’arbre. Pourtant, une
divergence a été observée quant au choix des prépositions : nous avons relevé 4
« dans », 2 « sur » et 1 « à »59.
Dans le cas (ii), la formulation identique des deux étudiants pourrait s’expliquer par le
lien intrinsèque entre la famille des oiseaux et habiter. Il s’agit d’une construction
familière aux étudiants, introduite très tôt dans le manuel60, et les enseignants ont fait
répéter aux étudiants « ma famille habite dans la province du ... » pour se présenter.
Il reste encore un cas exceptionnel : notre locutrice Violette a choisi de raconter
l’histoire en première personne, dans la perspective d’un oisillon, ainsi la figure est
nécessairement je dans la relation spatiale (iii).
(Violette)
*1a.
je suis un petit euh oiseau euh euh dans dans un grand arbre
1b.
et euh je [rεs] euh je vis euh je vis avec euh mes deux deux frères et ma mère
¾ b : maison des oiseaux – arbre
59
Nous aborderons plus loin les phénomènes liés aux prépositions dans les chapitres VII.2.3, p.180, et VIII.2.2.1,
p.200.
60
« - Où habite ta famille ? – Elle habite dans la province du Hebei. » , cette structure est introduite dans la leçon
11 du tome I, soit à 2 mois d’apprentissage du français.
83
Nous avons marqué une distinction entre cas b et la formulation (ii) de la relation
précédente, parce qu’il convient de nuancer les deux figures en question : la maison
des oiseaux renvoie au « lieu où habitent les oiseaux », donc le nid, alors que la
famille des oiseaux fait référence à « l’ensemble de personnes formé par le père, la
mère et les enfants », donc les oisillons et l’oiseau.
(Claire)
*2a.
2b.
2c.
(Océane)
*1.
dans un arbre il y a une maison
c’est la maison des oiseaux ++ c’est la maison des oiseaux
++ la mère et trois enfants [vi] euh vivent très heureux
dans un arbre il y a une maison des oiseaux
Claire et Océane préfèrent le recours à la maison, car c’est une figure économe : elle
permet de combler la lacune de vocabulaire, car le nid n’était pas disponible aux
apprenants à l’époque. Et en même temps, cette figure implique les habitants, soit les
oiseaux, référent animé formant la figure réelle. Il s’agit ainsi d’un choix qui fait
d’une pierre deux coups.
¾ c : oiseau – bois
(Théa)
*1a.
1b.
1c.
euh dans une bois euh il y a un [waz] il y a un oiseau
euh il a euh il a trois enfants
euh ce sont les oiseaux euh ce sont les trois euh petites oiseaux euh ce sont les
oiseaux très [ani] très + [ε] [ε] euh aimables
Théa a aussi utilisé la structure il y a, mais pour introduire l’oiseau et le bois. Le fond
paraît bizarre dans cette relation, car tout au long de la séquence d’images sur laquelle
se sont appuyés les locuteurs, il n’y a qu’un arbre, mais pas un « espace couvert
d’arbres », il s’agit donc d’un fond un peu trop élargi par l’imagination de la locutrice,
qui n’est pas la seule à le mentionner61. La maison des oiseaux et l’arbre, en tant que
référents inanimés, ne sont d’ailleurs pas absents de la narration de Théa, mais ils ne
surviennent qu’un peu plus tard.
V.2.1.3 Relation spatiale composée
Dans l’introduction de l’arrière-plan, 3 étudiantes ont établi une relation composée,
avec plus d’informations spatiales.
61
Que nous voyons un peu plus loin, dans le cas c de la page suivante.
84
¾ a : oiseaux – arbre / maison
Notre locutrice Adèle a choisi de situer deux fois les oiseaux par rapport aux
différents fonds.
(Adèle)
*1a.
il y a beaucoup de euh ++ il y a beaucoup de d’oiseaux et + et dans dans un dans un
arbre
1b.
et euh ++ et et et des oiseaux et son et et + ses ses et et sa sa maman et et vit
ensemble euh dans euh son petite maison
Dans la proposition 1b, l’adjectif petite précédant maison explicite la référence au nid,
sans lequel ce fond pourrait être considéré comme un remplacement de l’arbre afin
d’éviter la répétition.
¾ b et c : enchaînement de localisation
(Marie)
*1a.
euh [i] il y a il y a euh il y a un arbre très grand
1b.
et dans [narbre] l’arbre il y a un nid un nid
1c.
euh un un un oiseau et son et ses trois enfants habitent dans dans un dans dans le
[li]- (nid)62
(Louise)
*1a.
dans le dans les bois euh il y a un grand arbre un grand arbre
1b.
et sur une branche euh sur sur la la branche de cet arbre euh il y a un petit nid
1c.
euh dans le nid euh il habite ils ils habitent dans le nid euh il y a euh 4 euh 4
oiseaux
1d.
euh c’est euh c’est la ce sont euh la mère [zwa] oiseaux et trois petits [zwa] oiseaux
Il existe au moins deux relations spatiales dans ces deux cas : le fond de la première
relation spatiale sert de figure dans la suivante, ceci dit, les deux locutrices ont précisé
leur champ visuel à travers une structure d’enchaînement. Marie et Louise sont les
seules étudiantes à connaître le mot nid, mais Louise dispose visiblement d’un
vocabulaire plus étendu, ce qui lui a permis d’ajouter le détail de branche.
V.2.2
Déplacements
Le départ de l’oiseau et l’apparition du chat constituent deux événements spatiaux
déclencheurs du développement de la trame narrative.
V.2.2.1
Déplacement de l’oiseau ( oiseau → )
C’est le seul événement spatial qu’ont évoqué tous les étudiants. La désignation de ce
62
Il s’agit d’un lapsus de Marie qui a du mal à distinguer la consonne n de l, un problème que rencontrent souvent
les étudiants du Sud, la proposition 1b le révèle aussi.
85
procès manifeste 3 types de formulation : 15 étudiants ont recouru à un verbe de
trajectoire renvoyant au mouvement de l’oiseau à partir du nid, 5 étudiants ont choisi
le verbe déictique aller, et 2 se sont contentés d’une localisation statique pour
indiquer l’absence de l’oiseau.
Tableau V-3 (Déplacement de l’oiseau : introduction)
oiseau →
Trajectoire : sortir (7), partir (4), quitter(4)
1
Départ de l’oiseau (20/22)
Déictique : aller (5)
2
Absence de l’oiseau (2/22)
¾ Départ de l’oiseau
a)
Trajectoire
15 étudiants ont indiqué le départ de l’oiseau à travers 3 verbes : sortir, partir, quitter.
i) sortir (7 occurrences), indiquant « le mouvement du dedans au dehors », implique
donc un point de départ qui est le nid. Avec le verbe sortir, le fond est souvent laissé
implicite, c’est pour cela que le fond est absent chez 5 étudiants.
Pourtant, Violette et Marie ont choisi de préciser le fond. Comme le mot nid n’était
pas disponible à Violette, elle a pris la maison pour le point de départ.
(Violette)
*2a. euh un jour euh comme ma mère est [sor] sortie de la maison
(Marie)
2b. euh [i] euh il il sort il sort de il sort du nid
ii) partir (4 occurrences), qui renvoie au mouvement ‘s’en aller, se mettre en route63’,
peut être associé à un point de départ ou à une destination, tous les deux facultatifs.
Ainsi, 3 locuteurs ont laissé le fond de côté. Il n’y a que Lydie qui a précisé le point
de départ – l’arbre.
(Lydie)
*2a.
un jour quand le euh quand + la mère de les oiseaux est + est partir est [par]
est partir + de le de l’arbre
iii) quitter (4 occurrences), indique l’action de ‘sortir, s’éloigner d’un lieu’, ou de ‘se
séparer de quelqu’un’. Dans la perspective du déplacement, c’est un prédicat très
63
Les expressions lexicographiques, soulignées et mises entre guillemets, sont issues du dictionnaire Le Petit
Robert.
86
proche de sortir, pourtant, son statut de verbe transitif demande un complément
d’objet direct. Et là, les formulations semblent moins convergentes.
(Hélène)
*2.
euh un jour euh le grand oiseau quitter quitter de maison quitter de leur
maison
(Julia)
*2a.
et ++ il a quitté
2b.
pour [tru] pour chercher quelque chose à manger
Visiblement, il existe une maîtrise imparfaite du verbe chez ces deux étudiantes : Julia
ignore que le fond y est indispensable, et Hélène marque le fond à l’aide de la
préposition de. Il se peut qu’elles aient confondu quitter avec sortir.
(Théa)
*2a.
2b.
*3a.
un matin euh [lwa] le grand oiseau quitte son euh quitte sa euh quitte sa
maison
pour euh trouver euh trouver euh quelque chose pour manger pour ses enfants
euh et quand euh il quitte ses enfants
Théa a employé deux fois quitter avec deux compléments d’objet différents, d’abord
le référent inanimé (la maison) qui sert de fond, ensuite les référents animés (ses
enfants).
(Cécile)
*2a.
le mère la mère de l’oiseau euh quitte son enfant
2b.
et cherche + euh la [nurεltyr] - nourriture
*3a.
euh quand + elle a quitté
Nous constatons un mélange de la structure de Julia et celle de Théa chez Cécile.
Référent animé (son enfant) en tant que fond dans la proposition 2a, le complément
est absent dans 3a. D’ailleurs, Cécile est la seule à se tromper du nombre de l’oiseau.
b) Déictique
5 étudiants ont choisi le verbe aller pour désigner le mouvement déictique de l’oiseau.
(Adèle)
*2a.
2b.
(Clara)
*2a.
2b.
(David)
*2a.
2b.
euh un jour euh + un euh + la maman euh des oiseaux euh [ale]-aller
euh pour chercher quelque chose euh + de manger
un jour des oiseaux ont faim
et leur mère est leur leur mère + va trouver quelque chose pour ses enfants
un jour des oiseaux ont faim
et leur mère est leur leur mère + va trouver quelque chose pour ses enfants
87
(Eva)
*2.
et un jour euh il va chercher quelque chose pour son euh pour ses enfants
Nous constatons une structure identique aller chercher/trouver de quoi manger aux
oisillons. Puisqu’il s’agit d’une action accomplie, aller faire ne marque certainement
pas le futur proche, mais l’action ‘se mouvoir dans une direction’ (dans notre contexte,
dans le sens s’éloignant des oisillons) afin de trouver de la nourriture.
Il existe encore une autre possibilité64 pour exprimer ce mouvement déictique avec le
verbe aller : aller suivi d’un complément de destination. C’est le cas constaté chez
Louise, elle a aussi précisé la raison du départ de l’oiseau, comme les 4 étudiants
précédents.
(Louise)
*2a.
et un jour euh la mère le mère [wazo] [zwa] oiseau + aller à aller à autre aller à un
autre autre bois
2b.
pour chercher quelque chose à prendre euh quelque chose à à prendre pour euh
pour les pour les petits oiseaux
¾ Absence de l’oiseau
2 étudiants ont choisi d’écrire l’état final de l’oiseau dans cet événement pour insinuer
le déplacement de ce dernier.
(Quinaut)
*2a.
euh et un jour le euh quand le quand l’oiseau est quand l’oiseau n’est pas là
Quinaut a indiqué l’absence de l’oiseau à travers l’adverbe là.
(Delphine)
*2a.
euh un jour + euh le l’oiseau maman et l’oiseau maman est euh cherche euh +
cherche quelqu’un65 ++ à [mã] à manger
2b.
+ les petits les petits oiseaux [rεs] restent à la maison dans la maison
Delphine a utilisé chercher indiquant le mouvement ‘s’efforcer de trouver, de
découvrir’, qui n’implique pas forcément un déplacement avec changement de
localisation, car l’oiseau pourrait bel et bien chercher de quoi manger sur l’arbre
même, ainsi, la seule proposition 2a correspond plutôt à un mouvement qu’à un
déplacement. Pourtant, la proposition 2b précise l’état des petits oiseaux en les situant
dans la maison, et le prédicat rester éclaircit le fait que l’oiseau maman n’est plus
64
Il y a aussi une autre possibilité : aller avec un complément, une préposition, un adverbe indiquant les modalités
de l’action, la manière, le moyen (aller à pied, aller rapidement, aller en troupe). Mais cette structure ne convient
pas très bien à notre cas qui traite du vol de l’oiseau, aller en volant ne semble pas très courant. D’ailleurs, les
étudiants ne disposaient pas d’outils linguistiques pour l’expliciter.
65
Manger quelqu’un est un lapsus évident chez Delphine qui a confondu quelqu’un avec quelque chose.
88
dans le nid.
Si le fond reste vague chez Quinaut à cause de l’adverbe là, l’absence de l’oiseau est
par rapport au nid dans la description de Delphine.
V.2.2.2
Apparition du chat ( ← chat)
Dans cet événement, 8 étudiants ont choisi de ne pas introduire de relation spatiale.
Très peu de locuteurs (3) ont recouru à la localisation du chat alors que la moitié (11)
ont précisé le déplacement du chat à travers différents prédicats.
Tableau V-4 (Déplacement du chat : introduction)
← chat
1
Existence du chat sans relation spatiale (8/22)
2
Localisation statique du chat (3/22)
3
Déplacement du chat (11/22)
Structure existentielle (4)
Perception du chat (4)
Chat – arbre (2)
Chat – maison (1)
Déictique :
venir (6) revenir (1)
Trajectoire :
s’approcher (2)
Destination : arriver (1)
Manière :
se promener (1)
¾ Existence du chat sans relation spatiale
8 étudiants se sont contentés de mentionner l’existence du chat sans fournir aucune
information spatiale et cela, à travers la structure existence il y a ou la perception du
chat.
a) Structure existentielle (4 occurrences)
Nous remarquons de nouveau la préférence pour il y a, structure simple et efficace
pour introduire une nouvelle entité, ici un chat. Le manque de fond traduirait
l’indisponibilité du locatif approprié66 sous pour situer le chat par rapport à l’arbre,
préposition qui n’est pas accessible à tout le monde.
b) Perception du chat (4 occurrences)
(Eva)
*3a.
et soudain euh un chat euh trouve la maison de euh des des [zwa] des oiseaux
(Alix)
*3a.
+ mais à ce temps-là un [∫i] + un chat + [tru] euh un chat trouve les petits oiseaux
(Marie)
66
« sous » n’est pas le seul locatif approprié dans cet événement spatial. Dans les productions, nous avons aussi
relevé au pied de, près de, à côté de, lesquels sont des formes possibles.
89
*3a.
euh et à ce moment-[na] un un chat un chat voit
(Laurent)
3b.
un [∫at] euh un chat euh un chat les vu chat a a les [vø] a les vu
4 étudiants ont choisi d’introduire le chat à travers un verbe de perception voir/trouver.
Il est à noter qu’Eve a profité du verbe trouver pour évoquer la maison des oiseaux.
Le recours au verbe voir révèle une maîtrise maladroite du pronom complément
d’objet direct : manqué chez Marie et mal placé chez Laurent.
¾ Localisation statique du chat
a) Chat – arbre
2 étudiants ont essayé de situer le chat par rapport à l’arbre dans son apparition.
(Léon)
*3a.
euh euh mais un il y a un [∫at]
3b.
qui a qui a faim
3c.
+ euh il il il reste près d’arbre euh
(Mélanie)
*3.
+ euh il y a un chat il y a il y a un [∫at] euh après de après d’un euh après de le
l’arbre après de l’arbre
Léon a d’abord mis en scène un chat affamé avec la structure existentielle il y a, et
précisé ensuite l’état du chat (rester) par rapport à l’arbre à travers près de, locution
prépositive que Mélanie a aussi tenté de solliciter, mais elle a confondu certainement
après avec près, ce qui est compréhensible vu la similitude phonétique.
b) Chat – maison
(Violette)
2c.
euh euh je vois
2d.
un chat est à côté de euh ma maison
Violette a utilisé la première personne dans la narration, ce qui lui a permis de
localiser, à travers les yeux d’un oisillon, le chat à côté de ma maison, laquelle est en
fait le nid d’oiseaux.
¾ Déplacement du chat
Si 11 étudiants ont choisi de mettre en scène le chat à travers le déplacement, ils ont
mis l’accent sur différentes informations spatiales : nous avons relevé 7 verbes
déictiques (6 venir et 1 revenir), 2 verbes de trajectoire (s’approcher) et 1 verbe de
destination (arriver) et 1 verbe de manière (se promener).
90
a) Déictique
i) Venir indique l’action qui permet de ‘gagner le lieu où se trouve celui qui parle ou
celui à qui l’on parle’. Dans notre cas, les locuteurs racontent l’histoire en s’appuyant
sur une séquence d’images, ils s’imaginent alors dans l’arrière-plan qu’ils ont établi
pour introduire la trame. Parmi les 6 étudiants qui ont eu recouru au prédicat venir, il
n’y a que Claire qui a explicité davantage la localisation du chat par rapport à l’arbre à
travers sous, préposition qui n’est pas disponible à tout le monde, et les 5 autres
étudiants ont laissé la destination implicite.
(Claire)
4a.
+++ euh ++ un chat un chat vient euh sous le sous ces sa sous cet arbre
ii) Revenir, prédicat que nous avons relevé chez Sylvie, présente le mouvement de
‘retourner au lieu d’où l’on est parti’. Cette formulation laisse entendre qu’il ne s’agit
pas de la première visite du chat qui convoite les oisillons, une interprétation tout à
fait possible.
(Sylvie)
3b.
un [∫] chat un chat est [rə] [rə] revenu
b) trajectoire : s’approcher
(Cécile)
3b.
3c.
*4.
un [a∫a] + un un un chat + s’est approché son enfant
++ euh il il veut manger euh il veut manger son enfant
++ euh mais à ce moment-là un chien euh s’approche euh le chat
(Théa)
*3a.
3b.
euh et quand euh il quitte ses enfants
un [∫] un chat s’approche
Théa et Cécile ont choisi le même prédicat pour insister sur la trajectoire du chat qui
s’avance vers les oiseaux. Pourtant, il ne s’agit pas du même parcours. Chez Cécile, le
mouvement du chat est suivi de l’apparition du chien, donc, le prédicat s’approcher
tout seul implique en même temps l’entrée en scène du chat et son déplacement
ascendant sur l’arbre à la rencontre des oiseaux.. Alors que chez Théa, il n’existe pas
cette description synthétique, s’approcher ne renvoie qu’à un parcours horizontal
parce que le mouvement vertical du chat est décrit dans l’événement spatial suivant.
(Théa)
*5.
et et ensuite euh il commence à monter sur euh l’arbre
91
c) destination : arriver
Le verbe arriver, renvoyant à une action de ‘parvenir au lieu où l’on voulait aller’,
demande une précision de destination, c’est pour cela que nous avons trouvé chez
Louise, le mouvement du chat jusqu’au pied de l’arbre.
(Louise)
2c.
et ++ et et à ce temps-là en ce temps-là un un un chat un chat euh un chat arrive
arrive euh au pied au pied de de d’arbre
d) manière : se promener
(Delphine)
*3.
euh + euh à ce moment euh à ce moment un chat + se [prom] se [promən] [sy]
l’arbre
Malgré la forme erronée de la conjugaison du verbe, Delphine a réussi à introduire le
chat en scène par une promenade, en insistant sur la manière du déplacement, quant à
[sy], unité non identifiable, il ne peut être que la préposition« sous », parce que le chat
ne s’amuse pas à se promener sur l’arbre. Cette indifférenciation entre « sous » et
« sur » reflète de nouveau une maîtrise imparfaite du locatif « sous ».
¾ Observation du chat
L’apparition du chat ne se limite pas à l’arrivée en scène, elle comprend aussi le
mouvement du chat qui s’assied sous l’arbre et observe les oisillons (image 3),
pourtant, la plupart des étudiants ont décrit l’image 3 à travers l’activité mentale du
chat (vouloir/compter/avoir envie de manger les oisillons). Nous nous contentons de
relever les désignations portant sur l’observation du chat, dont certaines pourraient
impliquer une relation spatiale.
a) Observation sans information spatiale
(Quinaut)
*3a.
il regarde regarde le petit oiseau
(Sylvie)
*4a.
il veut manger des petits [∫] des petits oiseaux
4b.
il [rə] il est il a regarde à des petits oiseaux
(Claire)
4b.
+ euh le chat regarde la maison des euh la maison des [zwa] des oiseaux
(Violette)
3b.
euh le chat euh le chat nous voit
3c.
et euh nous voyons le chat
92
Quinaut, Sylvie et Claire ont décrit l’observation du chat à travers le verbe regarder,
alors que Violette, à travers l’alerte d’un oisillon, laquelle révèle la convoitise du chat.
(Théa)
*4a.
4b.
4c.
4d.
4e.
et + il trouve euh il trouve que
euh ah c’est très bien euh
j’ai vraiment de la chance
il y a un groupe de euh oiseaux euh d’oiseaux
maintenant euh je peux euh avoir une bonne table
Chez Théa, les activités mentales (trouver) reflètent la trouvaille du chat qui a aperçu
l’existence d’un groupe d’oiseaux. Mais comme les trois locuteurs précédents, la
description n’implique pas de relation spatiale.
b) Observation avec information spatiale
(Delphine)
*4a.
++ euh + euh il trouve il trouve
4b.
euh la la euh l’oiseau mama maman n’est pas là
(Hélène)
*4a.
euh +++ il voit
4b.
il y a beaucoup de beaucoup de petits oiseaux beaucoup de petits oiseaux euh en +
en en cet arbre67
(Lydie)
*3a.
+ le chat le chat a vu les des des oiseaux euh ++ euh dans dans l’arbre
Chez ces trois étudiantes, l’observation du chat (trouver, voir) dévoile une relation
spatiale déjà abordée : l’absence de l’oiseau (Delphine), et la situation des oiseaux par
rapport à l’arbre (Hélène et Lydie).
V.3.
Relations spatiales impliquées dans le développement
Le développement de la trame implique 3 événements spatiaux, la montée du chat,
l’apparition du chien et l’intervention du chien.
V.3.1
Déplacement du chat (Chat ↑)
La montée du chat constitue un événement spatial important car le changement de sa
localisation met directement en danger les oisillons, maillon crucial pour le
développement du récit. 21 étudiants se sont focalisés sur cette trajectoire verticale,
seulement une étudiante n’y a pas fait référence.
67
Le recours à la préposition « en » chez Hélène pour incarner la relation entre les oisillons et l’arbre, est plutôt
dû à l’impact de l’anglais « on ».
93
Tableau V-5 (Déplacement du chat : développement)
Chat ↑
1
Absence du déplacement (1/22)
Déplacement vertical68
2
(21/22)
V.3.1.1
Trajectoire : monter (15), s’approcher (2), se diriger vers (1)
Déictique : aller (2)
Manière : marcher (1)
Absence du déplacement
(Sophie)
*4.
euh le chat ++ euh euh le chat euh ++++ le chat euh ++++ le chat veut euh +
manger euh les petits oiseaux
Sophie a interprété l’activité mentale du chat au lieu de décrire le déplacement,
invitant ainsi l’auditeur à imaginer l’action du chat qui lui permet de manger les petits
oiseaux.
V.3.1.2
Déplacement vertical du chat
Nos locuteurs ont décrit ce déplacement vertical sous divers angles : trajectoire,
déictique ou manière.
¾ Trajectoire
a) monter
Si la plupart des étudiants (15) ont choisi monter, c’est parce que c’était le seul
prédicat disponible à l’époque, qui permet d’indiquer directement un déplacement
vertical dans une action de « se transporter dans un lieu plus haut que celui où l’on
était ».
Dans ce procès, 2 étudiantes ont laissé le fond implicite, alors que les autres l’ont
présenté de différentes façons.
8 étudiants ont marqué le déplacement du chat par rapport à l’arbre, avec sur (4
occurrences) ou à (4 occurrences). 5 étudiants ont aussi essayé d’introduire l’arbre en
tant que fond, mais sans préposition (monter l’arbre), c’est un phénomène qui ne
pourrait pas s’expliquer que par l’oubli du statut de monter en tant que verbe
intransitif, mais plutôt par l’impact de la langue maternelle, nous essayerons de le
68
Dans la section portant sur l’organisation de l’information spatiale, nous allons révéler comment les locuteurs
ont pu construire un déplacement vertical à travers différents moyens.
94
déchiffrer plus tard69.
b) s’approcher
( Alix)
3b.
elle euh il euh il essaie de + il essaie de il euh il essaie d’approche les oiseaux
Alix et Cécile70 ont eu recouru au prédicat s’approcher pour marquer l’approchement
du chat vers les oisillons, un référent animé.
c) se diriger vers
(Mélanie)
4b.
le chat + [ko] commence + à + euh ++ se [diri] à se diriger vers les petits + oiseaux
Comme s’approcher, se diriger vers marque aussi un avancement du chat vers les
proies, le fond étant un référent animé.
¾ Déictique : aller
(Delphine)
4c.
euh ++ euh +++ euh euh il va euh il va au la maison
(Hélène)
4b.
et puis +++ euh il va manger il va manger euh les petits oiseaux
Delphine a employé aller pour orienter le chat dans le sens du nid d’oiseaux, aller
incarne donc un mouvement directionnel, avec la maison en tant que fond.
C’est différent chez Hélène, car le recours au prédicat aller indiquer à la fois la
direction du déplacement et le but de cette action (manger les petits oiseaux). Comme
il s’agit d’une action accomplie, le procès aller+infinitif ne présente pas le futur
proche.
¾ Manière : marcher
(Violette)
*5a.
et euh et quand il euh quand il marche euh + sur le sur l’arbre
Violette a employé un prédicat qui pourrait surprendre à première vue. Mais du point
de vue d’un oisillon, marcher sur l’arbre semble plus compréhensible. Notre locutrice
a choisi de faire raconter cette histoire par un petit oiseau, cette perspective
particulière lui a permis d’interpréter le déplacement du chat en insistant sur la
manière.
69
Dans les chapitres VII et VIII, sections portant sur les prépositions.
Le recours à s’approcher chez Cécile, qui combine deux événements spatiaux relatifs au chat dans ce prédicat,
est déjà abordé dans la section sur l’apparition du chat.
70
95
V.3.2
Apparition du chien (← chien)
Si la plupart des étudiants (14/22) ont construit un événement spatial pour l’apparition
du chat, par le biais de localisation ou de déplacement, l’arrivée en scène du chien
semble solliciter moins d’attention, car seulement 9 étudiants l’ont explicitée à travers
une relation spatiale.
Tableau V-6 (Déplacement du chien : développement)
← chien
1
Existence du chien sans relation spatiale
(13/22)
2
Localisation du chien (2/22)
3
Déplacement du chien
Il y a (8)
Perception du chien (3)
(7/22)
V.3.2.1
Se trouver (1)
L’action du chien (1)
Chien – arbre (1)
Chien – chat (1)
Déictique : venir (5)
Destination : arriver (1)
Trajectoire :
s’approcher (1)
Existence du chien sans relation spatiale
13 étudiants se sont contentés de mentionner l’existence du chien, en laissant
implicite la localisation de ce dernier.
¾ Structure existentielle
8 étudiants ont utilisé la structure existentielle il y a pour introduire la nouvelle entité
qui est le chien. Le prédicat se trouver, relevé chez notre locutrice Violette, marque
aussi l’existence du chien. Le manque de fond reflète plutôt l’insuffisance des moyens
linguistiques pour localiser le chien, car se trouver, indiquant « être dans un lieu »,
demande en principe un fond.
(Violette)
5b.
euh un un chien euh se trouve
¾ Perception du chien
3 étudiantes ont mis en scène le chien à travers les verbes de perception trouver, voir.
(Louise)
*4a.
et tout à coup le un chien euh s’est s’est un chien euh [tru] trouve euh trouve le euh
le chat
(Eva)
*4.
et + en ce moment-là euh un chien le trouve
(Lydie)
4b.
un chien + euh un chien le voit euh un chien l’a vu euh l’a vu
96
¾ Action du chien
(Delphine)
*5a.
+ tout à coup un un chien ++ euh un chien mange le queue le queue de le queue le
queue du chat
Il s’agit d’une apparition brusque (tout à coup), Delphine s’est passée du déplacement
du chien pour entrer directement dans l’événement suivant, l’attaque du chien, elle a
ainsi combiné les deux actions dans le même prédicat manger la queue.
V.3.2.2
Localisation du chien
2 étudiantes ont précisé la localisation du chien, Théa a choisi la relation entre le
chien et l’arbre, et Clara, celle entre le chien et le chat.
(Théa)
*8a.
8b.
8c.
(Clara)
*4a.
4b.
et il retourne la tête
euh et tout à coup il est étonné
il voit un chien euh sous [la] sous l’arbre
alors euh il est monté à l’arbre
mais il y a aussi un chien derrière la derrière le chat
Ce qui est intéressant chez Théa, c’est qu’elle a situé le chien sous l’arbre à travers les
yeux du chat. Pour y faire, elle a ajouté un détail : il retourne la tête (8a), un
changement de posture du chat, inventé, car cela ne figure pas sur l’image.
Clara a utilisé la préposition derrière pour localiser le chien par rapport au chat (4b),
référent animé qui est monté à l’arbre (4a).
V.3.2.3
Déplacement du chien
9 étudiants ont décrit le déplacement du chien par le biais des prédicats qui présentent
différentes informations spatiales.
¾ Déictique : venir
5 étudiants ont employé le verbe venir dans cet événement spatial.
(Claire)
*6.
++++ heureusement un chien vienne un un chien vient
(Quinaut)
*4a.
mais à ce moment-là euh le euh un chien est venu aussi
(Sylvie)
*5a.
et à ce moment un chien est est revenu + un chien est venu
(Marie)
97
*5a.
5b.
(Hélène)
*5a.
5b.
ah mais elle oublie elle oublie
que un chat vient
euh + à ce moment-là il y a il y a
un chien vient
Les deux premiers étudiants ont déjà introduit le chat avec venir, confirmé d’ailleurs
par aussi dans la proposition 4a de Quinaut. Sylvie a répété le verbe revenir, avant de
se rendre compte de son lapsus, paru une fois dans l’introduction du chat. Marie a
mentionné ce mouvement déictique du chien à travers l’activité mentale du chat
(oublier). Hélène voulait mentionner l’existence du chat (il y a) à travers un
déplacement (venir), le sens s’avère clair mais la combinaison formelle, inappropriée.
¾ Destination : arriver
(Alix)
*4a.
mais à ce moment un chien arrive
Alix a introduit le chien par un prédicat indiquant le mouvement qui fait ‘parvenir au
lieu prévu’, sans marquer le fond qui sert de destination.
¾ Trajectoire : s’approcher
(Cécile)
*4.
++ euh mais à ce moment-là un chien euh s’approche euh le chat
S’approcher est un prédicat de trajectoire très fréquent dans la narration de Cécile, qui
y a déjà recouru pour englober l’apparition et le déplacement du chat, cette fois elle
l’a utilisé pour mettre en scène le chien, et renvoyer en même temps à l’attaque du
chien contre le chat.
V. 3.3
Intervention du chien
L’image 5 qui illustre l’intervention du chien, pourrait aussi impliquer la chute du chat
de l’arbre. Les deux mouvements ne sont pas présents chez tous les étudiants. Nous
allons traiter cet événement dans la perspective de la spatialité, plus concrètement,
nous allons diviser les propositions renvoyant à l’image 5 en 2 catégories, celle sans
trajectoire, et celle impliquant une trajectoire.
Tableau V-7 (Evénement spatial éventuel : développement)
Evénement sans relation spatiale
Action du chien
Prédicats portant sur la queue
Prédicats portant sur le chat
98
Résultat de l’action du chien
Evénement impliquant une
trajectoire ( chat↕ chien)
V.3.3.1
Chien – agent
Chat – agent
Absence totale de l’action
Allusion à l’action
Trajectoire verticale
Trajectoire d’approchement
tomber
Evénement sans trajectoire
Les étudiants qui ont choisi de décrire cet événement sans évoquer explicitement
d’information spatiale se sont focalisés sur l’action du chien, ou sur le résultat qui en
découle. Il arrive que certains locuteurs abordent les deux, et nous ne prenons compte
que le procès dominant.
¾ Action du chien
L’image 5 est celle qui présente le plus de difficultés pour les étudiants qui
manquaient à l’époque le moyen linguistique tirer/mordre la queue pour indiquer
l’action du chien contre le chat. La description de l’image se diffère: certains étudiants
ont essayé de mentionner la queue, et d’autres, ont interprété autrement pour l’éviter.
a) Prédicats portant sur la queue : 3 verbes ont été sollicités pour renvoyer au
mouvement mordre la queue : manger, couper, prendre.
i)
Manger, verbe d’activité71, semble idéal pour combler le manque lexical mordre
à l’époque.
(Mélanie)
*7a.
7b.
(Julia)
*5a.
5b.
le chien ++ euh ++ le chien [mã] euh + euh le queue de le chat
+ et euh ++ le chien veut [mã] manger le chat
et + euh il + il il euh +il euh il ++ euh + il euh + il mange la queue du
chat
et ++ donc le chat n’a pas [rey] n’a pas [reynis] [reynis] – (réussir)
Mélanie a répété le verbe manger, d’abord pour décrire l’action du chien, ensuite pour
en expliciter le mobile.
Julia a non seulement décrit l’attaque du chien (5a), mais aussi essayé de mentionner
le résultat (5b). Nous considérons que l’attaque du chien prédomine dans la
description de Julia, vu qu’il n’existe pas de procès identifiable dans la proposition
71
Selon le regroupement par domaines sémantiques au sein des 50 premiers verbes les plus fréquents en français,
proposé dans Le lexique verbal dans des restitutions orales de récits en français L2 : verbes de base, flexibilité
sémantique, granularité (Noyau, 2005).
99
(5b).
ii)
Couper
(Louise)
5b.
le chien le chien euh le chien + coupe coupe la queue de du du chat
L’hésitation et la répétition constatées chez Louise montrent que couper, aussi un
verbe d’activité, n’était pas le choix idéal pour elle. Nous imaginons mal que le chien
peut couper la queue du chat avec les dents, d’autant plus que cette description ne
correspond pas à la dernière image qui ne montre pas un chat dont la queue est coupée.
L’insuffisance des moyens linguistiques est à l’origine de ce procès mal exprimé.
iii) Prendre
(Laurent)
5b.
euh il + il ++ il prend + il a pris il a pris le il a pris le chat
5c.
et +++ pour pour défense euh pour défenser – (défendre) les petites les petits
les petits oiseaux
Le manque de moyens linguistiques est à l’origine de la formulation de Laurent. Ne
disposant pas de verbe nécessaire (tirer/mordre), il a choisi, non sans hésitation, le
verbe de manipulation72 prendre pour désigner le mouvement « saisir, s’emparer de »,
et il avait du mal à solliciter la queue, mot pourtant accessible à l’époque, et il a mis le
chat après prendre, dont la combinaison rend le sens imprécis. Il s’agit en fait d’un
procès portant sur la queue du chat73, dont la formulation s’avère échouée à cause du
vocabulaire restreint de notre locuteur Laurent, qui a d’ailleurs inventé le mot
défenser pour expliquer l’action du chien (5c).
b) Prédicats portant sur le chat
Pour les étudiants qui ont laissé de côté la queue du chat, le choix de prédicats semble
plus aisé pour englober l’action du chien.
i) Attaquer
(Léon)
5c.
5d.
il a et il trouve euh il trouve ce ce [∫at]
++ euh +++ il +++ donc euh il a donc il a +++ donc il a ++++ il donc il
72
Noyau (2005).
Nous avons relevé l’expression prendre la queue du chat chez notre locuteur David, mais comme il a ensuite
explicité la trajectoire du chat issue de cette action, nous avons classé cette désignation dans la catégorie
impliquant une trajectoire.
73
100
attaque ce euh ce [∫at]
Léon a utilisé attaquer, dans le sens « agir avec violence contre » le chat, il s’agit
d’un prédicat factuel visant le but qui n’illustre pas l’intervention concrète du chien :
le chien pourrait monter lui aussi sur l’arbre, ou mettre les deux pattes sur l’arbre pour
mordre la queue du chat, plusieurs mouvements sont possibles.
ii)
Crier
(Violette)
6b.
euh le chien euh est se met en colère
6c.
euh il euh euh il + il crie euh à le [∫] il crie au chat
Ce qui est particulier chez Violette, c’est qu’elle n’a interprété l’action du chien que
par le cri, bien que ce dernier soit en colère (6b).
iii) Arrêter
(Marie)
6b.
le chien le chien + euh le chien arrête arrête le chat
Marie a employé arrêter pour renvoyer à l’action du chien qui empêche le chat
d’avancer. C’est un prédicat qui indique en même temps le résultat, là encore
différents mouvements sont possibles : mordre la queue comme dans le cas a), crier
au chat pour lui faire peur (Violette) ou encore attaquer le chat (Léon) pour l’arrêter.
Il est à noter que, dans l’action du chien, certains prédicats sont susceptibles
d’impliquer des mouvements corporels relatifs au changement de posture, c’est
surtout le cas de prendre et attaquer. Pourtant, nous ne les avons pas classés dans la
catégorie impliquant une trajectoire, vu qu’il n’y a pas d’information spatiale
explicite.
¾ Résultat de l’action du chien
a) Absence totale de l’action : 4 étudiants ont choisi d’aboutir directement au résultat
de l’intervention du chien.
(Sophie)
*6a.
euh il + il + euh euh euh euh grâce grâce à lui
6b.
euh le chat ne peut pas euh manger euh les oiseaux
(Sylvie)
5b.
il il ++++ euh ++++++ il ++ ne veut pas
5c.
le le chat euh manger ces euh manger des oiseaux
(Quinaut)
101
4b.
euh ++++ il + il parti le chat + il parti le chat euh il est il est il a parti le chat
Avec grâce à lui, locution de connotation positive qui implique l’action du chien,
Sophie a pu éviter la description de l’attaque du chien pour entrer dans le résultat (6b).
Sylvie a montré la bonne volonté du chien (5c), et Quinaut a abordé directement la
fuite du chat (4b), mouvement auquel nous allons revenir.
(Théa)
*6a.
6b.
et quand il va toucher les oiseaux
euh il a mal il a mal à la queue
Le cas de Théa est différent, qui a convertie l’attaque du chien directement en douleur
sentie par le chat (6b).
b) Allusion à l’action
(Hélène)
6b.
6c.
(Adèle)
*5a.
5b.
et ensuite euh ++++ euh +++++ euh et euh +++++ il euh ++ il euh il il ne
laisse il ne laisse il ne laisse euh
le [∫at] de manger manger manger manger ces petits oiseaux
euh euh euh ce chien euh + ne laisse euh
ce chat euh de manger des oiseaux
A la différence du cas précédent, la formulation ne pas laisser manger chez ces 2
étudiantes, insinue une action concrète du chien dont l’intervention a empêché le chat
de manger les oiseaux (6c et 5b).
V.3.3.2 Evénement impliquant une trajectoire
La trajectoire impliquée dans cet événement est le déplacement vertical du chat qui
tombe de l’arbre. C’est un procès déduit de la fuite du chat poursuivi par le chien,
donc très souvent intégré dans celle-ci. Il y a pourtant une dizaine d’étudiants qui ont
essayé d’expliciter cette trajectoire, et cela, souvent à travers le chien.
¾ Chien - agent
a) Trajectoire verticale
Malgré la formulation maladroite, 5 étudiantes ont tenté de marquer la trajectoire
verticale du chat, avec le chien comme cause : la chute du chat qui tombe (Claire et
Océane, Delphine), ou un déplacement échoué du chat qui ne peut pas monter (Clara,
Lydie).
102
(Claire)
*7a.
++++++ il [lε] il laisse
7b.
le chat + tombe il laisse le chat tomber sur + sur terre
(Océan)
4d.
+++ il ++++++ donc avec sa bouche il +++++++++ il il fait
4e.
le chat tomber euh sur la terre
(Delphine)
5b.
euh ++ euh le chien le chien [tõ]le chien tombe le chat
(Clara)
5c.
alors il va euh + il n’a il ne laisse pas
5d.
le le chat monter
(Lydie)
*5a.
le chien ++ ne le chien ne fait pas ++++ euh le chien ++ ne fait euh ne fait pas
5b.
+ monter à l’arbre l’arbre
5c.
mais il ++ il + mange euh + ( ??) du chien euh du chat
5d.
donc le chat ne peut pas euh + ne peut pas toucher + à euh aux oiseaux
Sauf Clara, la description de nos locutrices reflète une insuffisance des moyens
linguistiques à différents niveaux. Elles maîtrisent visiblement mal l’expression faire
faire ou laisser faire. Delphine a pris le verbe intransitif tomber pour celui qui
pourrait combiner la cause et la trajectoire, du type monter/descendre quelque chose,
un phénomène qui n’est pas unique dans les productions74.
Il est à noter que 2 étudiantes ont aussi décrit l’action du chien : Océane a évité le
verbe mordre par le biais avec sa bouche. Lydie est encore plus complète, elle a eu
recours au verbe manger, mais le sens de la proposition 5c reste obscur à cause de
l’unité non identifiable, qui renvoie au mot la queue, elle a d’ailleurs précisé le
résultat de l’intervention du chien (5d).
b)
Trajectoire d’approchement
(Alix)
4b.
4c.
(Cécile)
5a.
5b.
5c.
74
il euh ++ il euh il euh + il [lε] euh il laisse + euh il laisse euh il laisse + il
laisse
le chat ne peut pas ++ ne peut pas [pro] euh procher le euh les petits oiseaux
euh et puis euh ++ et puis quand le chat s’est approché les enfants
euh le chien ++ euh + le le chien euh s’est approché le chat
++ euh et enfin le le chat ne peut pas approcher les enfants
Nous avons observé chez Quinaut « 4b.euh ++++ il + il parti le chat + il parti le chat euh il est il est il a parti le
chat ».
103
Alix a inventé le mot procher, dérivé de l’adjectif proche ou du verbe approcher. Le
recours à laisser, dont la formulation est maladroite, lui a permis de contourner
l’action concrète du chat.
La forme erronée mise à part, le verbe s’approcher, sollicité maintes fois par Cécile,
sert à indiquer à la fois le déplacement des deux animaux (5a, 5b) et aussi le résultat
(5c). Pourtant, il ne s’agit que d’une trajectoire relative entre les 3 référents animés
(oiseaux enfants, chat et chien).
¾ Chat – agent
Deux étudiants ont décrit la chute du chat avec plus de détails : David a indiqué le
mouvement concret du chien qui prend la queue du chat (5a), et Eva, plutôt une
tentative d’empêcher le chat de manger les petits oiseaux (6a), et ensuite, ils ont
abouti à une trajectoire verticale de haut en bas, résultant de l’intervention du chien.
Le recours au verbe tomber étant identique, David a insisté sur le fait que le chat ne
peut plus monter (5b), et Eva a précisé le point de départ de la chute : l’arbre (6c).
(David)
*5a.
5b.
5c.
(Eva)
*6a.
6b.
6c.
V. 3.3.3
le chien ++ euh le [∫] le chien euh ++ le chien prend la queue du chat
la euh le chat ne peut pas + monter
et puis il est tombé
et + et ++ et + donc le chien +++++ le chien euh +++++ le chien euh +++++
et le le chien essaie essaie essaie essayer essaie euh essaie ne ne pas laisser
+ le chat euh manger les petits oiseaux
et enfin euh + euh le chien euh pardon le le chat euh tombe de [la] de l’arbre
Précision du moment de l’intervention du chien
4 étudiantes ont précisé le moment de l’intervention du chien, un détail laissé de côté
chez la majorité des étudiants, qui mérite pourtant notre attention car il pourrait bien
impliquer une relation spatiale.
(Violette)
*6a.
+ et et puis euh quand euh le + le chat est euh + euh le chat touche euh notre
maison
(Théa)
*6a.
et quand il va toucher les oiseaux
(Louise)
*5a.
et quand le chien euh quand quand le chat euh prend presque prend prendre
104
presque le nid le nid de [swazo]
Violette et Théa ont toutes eu recours au verbe toucher pour renvoyer à l’action du
chat qui va mettre les pattes sur les oiseaux ou le nid, ce qui entraîne un mouvement
corporel, un changement de posture du chat. Il en va de même pour Louise qui a
utilisé prendre, aussi un verbe de manipulation, dans le sens de saisir le nid.
(Marie)
*6a.
quand quand quand elle est quand il presque presque il presque près de près de
près du nid
A la différence des 3 étudiantes qui ont évoqué la relation entre le chat et le nid/les
oiseaux par le biais d’un verbe de placement, Marie a essayé de situer le chat près du
nid, à travers une localisation statique. Il s’agit d’une relation spatiale explicite malgré
le manque de prédicat.
V.4.
Relations spatiales impliquées dans le dénouement
Le dénouement du récit est marqué par deux déplacements en concomitance : le
départ des intrus et le retour de l’oiseau. Ce sont deux événements importants qui
mettent fin à l’histoire.
V.4.1
Déplacement des intrus (chien → chat→ )
La majorité des étudiants (17/22) ont décrit l’événement spatial où le chien et le chat
ont quitté la scène, en mettant l’accent sur différentes informations : manière,
trajectoire, voire cause.
Tableau V-8 (Déplacement du chien et du chat : dénouement)
chien → chat→
1
2
Absence du déplacement (5/22)
Départ des deux intrus
(17/22)
Manière : courir (5)
Trajectoire : quitter (2) sortir (3) partir (2) suivre (1)
Deux informations
V.4.1.1
Manière+ trajectoire (3) cause+trajectoire (1)
Absence du déplacement
4 étudiantes (Sophie, Adèle, Cécile et Océane) n’ont fait aucune référence au
déplacement des deux animaux. Elles se sont contentées du résultat de l’intervention
du chien, c’est ce que nous avons déjà abordé dans la section V. 1.2.3 Intervention du
chien.
105
(Théa)
*13a.
mais euh il dit euh mais il dit à le euh mais il dit au chien
13b.
euh + euh comme mes enfants comme mes enfants euh ne sont pas euh ne sont pas
en danger maintenant
13c.
euh laisse euh laisse le chat qui euh laisse le chat quitter
Bien qu’il existe le prédicat de trajectoire quitter dans la narration de Théa, ce n’est
pas un mouvement réellement effectué, car le procès est transmis par les paroles de
l’oiseau. La sortie de scène des animaux est aussi absent chez Théa.
V.4.1.2
Départ des deux intrus
Parmi les étudiants qui ont décrit le mouvement des deux animaux, 5 ont mis l’accent
sur la manière, 8 ont choisi la trajectoire, et 4 étudiantes ont essayé de combiner une
autre information avec la trajectoire dans la désignation du procès.
¾ Manière : courir
5 étudiantes ont choisi le même verbe courir pour renvoyer au mouvement des deux
animaux. Ce qui est intéressant, c’est qu’elles ont toutes essayé d’indiquer en même
temps la trajectoire du déplacement, malgré le manque de prédicats nécessaires tels
que pourchasser, poursuivre et chasser qui englobent les deux informations.
(Claire)
*11a.
11b.
(Louise)
*6a.
6b.
++ et le chat ++ et le chat court courit
+ parce que le chien + veut ++ puni euh veut puni punisse + le mauvais chat
et le chat le chat a [pø] peur
il euh il il courir [a] rapidement
Claire et Louise ont fourni une raison à la course du chat : la peur du chat (Louise), la
punition du chien (Claire), les deux pourraient faire allusion à une poursuite.
(Julia)
*6.
et + il euh le chien court après le chat
Les 3 autres étudiantes ont essayé d’établir une relation spatiale entre le chat et le
chien pour tracer le parcours des deux animaux. Julia a eu recours à la préposition
après pour situer le chat par rapport au chien.
(Lydie)
*7.
et le chien a commencé [kur] courir + à + le chat
(Delphine)
*7.
le chien et et le chat courent enfin
Lydie, n’ayant pas la préposition appropriée sous la main, s’est contentée de la
106
préposition à, après des hésitations. Si nous pouvions deviner la position du chien par
rapport au chat dans la description de Lydie, la relation est moins évidente chez
Delphine, le chien et le chat étant tous sujets de la course.
¾ Trajectoire
Il est à noter que les prédicats indiquant la trajectoire du chat et/ou du chien
pourraient bien faire référence à la chute du chat, mouvement absent mais impliqué
dans l’image, nous avons décidé de les classer dans la sortie de scène des deux
animaux, laquelle, présente dans le support, constitue un événement spatial plus
important pour le dénouement du récit.
a) quitter
(Léon)
*6.
et euh et le [∫at]+++++ le [∫at] +++++ et et le chat +++++ le chat enfin le [∫at] a
quitté
(Hélène)
*8.
et enfin euh le [∫at] et le chien euh chien euh ont ont quitté
Léon n’a indiqué que le départ du chat, et Hélène, celui des deux animaux, tous n’ont
pas marqué de fond, ce qui révèle une maîtrise imparfaite du prédicat quitter.
b) sortir
(Laurent)
*6a.
enfin euh le euh le chat enfin le chat est sorti
(Eva)
*9.
et + le chien + et euh + le chien et euh le chien et le chat sont sortis
(Mélanie)
7b.
et le chat est sorti + de [∫] euh de euh l’arbre
Le déplacement du chien est ignoré par Laurent et Mélanie. La description de Laurent
et d’Eva invite à interroger sur le fond impliqué : sortir de l’arbre ou de l’arrière-plan
du récit ? Le fond est plus clair chez Mélanie, qui a précisé le point de départ du chat,
sorti de l’arbre.
c)
partir
(Quinaut)
4b.
euh ++++ il + il parti le chat + il parti le chat euh il est il est il a parti le chat
Visiblement, Quinaut voulait expliciter la cause et la trajectoire du mouvement du
chat à travers le prédicat partir, mais de façon inappropriée. Il se peut qu’il l’ait pris
107
pour un verbe du type monter quelque chose, ce qui reflète une maîtrise maladroite
des verbes de trajectoire.
Ce n’est pas le cas de Sylvie, qui enchaîne le départ du chat avec celui du chien,
l’ordre des deux propositions pourrait inférer une position du chien derrière le chat.
(Sylvie)
*7a.
enfin le chat est le chat est parti
7b.
et le chien est parti aussi
d) suivre
(David)
*6a.
le le chien + euh le le chien n’est pas gentil avec le chat
6b.
il suit le il suit le chat
Si suivre ne fait pas sentir pas la rapidité du mouvement dans la narration de David,
l’explication de la proposition précédente (6a) laisse entendre une chasse du chien qui
n’est pas gentil avec le chat.
¾ Deux informations
a) Manière + trajectoire
(Marie)
8b.
il il a peur
8c.
il il [ku] - court
8d.
et le chien suit le chien et le chien [nə] (le) suive
Malgré les formes inappropriées de la morphologie ([ku], suive), Marie a réussi à
décrire la manière du mouvement du chat (courir), et la position du chien derrière le
chat (suivre), ce qui renvoie à une poursuite du chien.
(Alix)
*5a.
5b.
(Clara)
7c.
7d.
7e.
et donc le euh le euh le chat + le chat sort
et + il euh il court devant le chien
alors il est parti tout de suite
et le chien sont le chien est aussi euh est aussi [kuri] – couru derrière le chat
pour pour le trouver
La description d’Alix et de Clara se diffère au prédicat de trajectoire et à la
préposition servant à marque la position du chien par rapport au chat. Si partir ne
demande de fond, le recours à sortir sollicite la question d’où sort en fait le chat. Alix
a décrit le départ des deux intrus en prenant le chat comme perspective (devant) alors
que Clara a choisi celle du chien, en précisant la raison de la poursuite (7d, 7e).
108
b) Cause + trajectoire
(Violette)
6d.
et il fait le [∫] il fait
6e.
le chat quitter
Si le procès faire quitter incarne la cause et la trajectoire du départ du chat, le fond
reste toujours flou à cause du manque de complément d’objet direct. D’ailleurs, le
déplacement du chien est aussi absent.
V.4.2
Déplacement de l’oiseau (oiseau↔)
Si l’événement précédent n’est pas présent chez tous les locuteurs à cause des moyens
linguistiques, presque tous les étudiants (20/22) ont décrit le retour de l’oiseau afin de
mettre fin à leur narration.
Tableau V-9 (Déplacement de l’oiseau : dénouement)
Oiseau↔
1
Absence du retour de l’oiseau (2/22)
Retour de l’oiseau
2
Oiseau (20/22)
V.4.2.1
Trajectoire : rentrer (10) revenir (4) retourner (4)
Destination : arriver (1)
Déictique : venir (1)
Absence du retour de l’oiseau
(Léon)
*6.
et euh et le [∫at]+++++ le [∫at] +++++ et et le chat +++++ le chat enfin le [∫at] a
quitté
(Océane)
*5.
euh ah + il + il a aidé il a aidé les oiseaux
*6.
quel bon chien
Léon a terminé son récit par le mouvement du chat qui a quitté la scène (6) et Océane,
par une appréciation de l’action du chien (6). Les deux récits semblent incomplets
sans le retour de l’oiseau, mouvement présenté dans la même image que le départ du
chat. Il se peut que ce qui soit plus important pour ces deux étudiants, c’est le fait que
les oisillons restent sains et saufs, si l’oiseau est parti pour chercher de quoi manger,
détail précisé chez les deux, il finira par rentrer, c’est un résultat tellement évident
qu’ils ont choisi de laisser implicite.
V.4.2.2
Retour de l’oiseau
5 verbes ont été sollicités dans ce déplacement : rentrer, revenir et retourner, arriver,
109
venir. 17 étudiants ont recouru aux 3 premiers qui renvoient à une double trajectoire
de l’oiseau.
¾ Trajectoire
Grâce au préfix re- indiquant un mouvement en arrière, rentrer, revenir, retourner
renvoient en fait à un aller et retour de l’oiseau (dont la destination reste inconnue75),
et illustrent au mieux le parcours de l’oiseau (oiseau ↔), ce qui explique la haute
fréquence de ces prédicats dans l’événement.
a) rentrer
10 étudiants ont choisi rentrer, parce que c’est le premier verbe qu’ils avaient appris,
qui indique un mouvement « entrer, revenir dans un lieu après en être sorti ». Parmi
les propositions relevées, nous en trouvons 4 avec un fond : 2 étudiants ont choisi
chez lui/elle (David et Laurent), les 2 autres, maison (Eva et Claire).
(David)
*7a.
à ce moment-là l’oiseau est rentré [∫] chez lui
(Laurent)
6b.
et le et le [mε] de le même de les oiseaux euh rentrer chez + chez + elles chez elle
(Eva)
*8.
et et et euh et la mère de euh des petits oiseaux euh rentre à la maison
(Claire)
*8.
et la mère rentre +++++++ dans la maison dans la maison des oiseaux
b) revenir : 4 étudiants ont choisi ce verbe qui englobe le déictique et la trajectoire
pour le retour de l’oiseau, tous sans indication de fond. Marie, avant d’aboutir à
revenir, a mentionné le verbe rentrer. Et Sylvie a renforcé l’information déictique à
travers apporter (6b).
(Marie)
*7.
et le [waz] le oiseau [rə] rentre revient
(Sylvie)
*6a.
et à ce moment le grand [zwa] oiseau est [rə] est revenu
6b.
il apporte quelque chose à manger pour ses petits enfants
c) retourner
4 étudiants ont choisi retourner pour indiquer l’inversion de trajectoire de l’oiseau.
75
Sauf chez Louise, qui a précisé « *2a. et un jour euh la mère le mère [wazo] [zwa] oiseau + aller à aller à autre
aller à un autre autre bois ».
110
Nous avons remarqué une forme erronée chez Sophie (7) et une autre précision
déictique chez Delphine (6b) avec apporter.
(Sophie)
*7.
et puis euh euh enfin euh le petit euh le grand euh le grand oiseau est [rə] euh le
grand le grand oiseau est retour
(Delphine)
*6a.
+ euh euh à ce moment euh euh [lwa] l’oiseau maman [rətur] euh retourne
6b.
+ euh euh il euh +euh elle elle a apporte quelqu’un à [fε] à manger pour les pour les
petits oiseaux
¾ Destination : arriver
(Adèle)
*6a.
euh euh euh à ce moment-là euh euh la mère des oiseaux euh arrive
euh et il a il apporte euh quelque chose à manger pour euh ses enfants
6b.
Adèle a utilisé arriver, verbe qui implique la destination, à lui seul, cette double
trajectoire ne pourrait pas être construite, pourtant, Adèle a ajouté dans la proposition
suivante apporte quelque chose à manger, détail qui révèle le mouvement déictique
de l’oiseau, ainsi a accompli le déplacement de retour.
¾ Déictique : venir
(Clara)
*6.
*7a.
7b.
7c.
euh à la fois le mère la mère des oiseaux est + venue
le chat est très le chat + a trouvé a trouvé
que la mère est venue
alors il est parti tout de suite
Nous trouvons un peu bizarre le recours au verbe venir, paru 2 fois dans cet
événement chez Clara, parce que cette description, acceptable sans le support, ne
correspond pas au parcours de l’oiseau présenté dans les images, quelle que soit la
perspective. Car même du point de vue du chat (2b), il s’agit aussi du retour (non pas
la première parution) de l’oiseau parce que le chat a témoigné le départ de l’oiseau
pendant l’absence duquel il a pu monter à l’arbre.
V.5.
L’organisation de l’information spatiale
Dans le récit basé sur un support d’images, l’arrière-plan occupe une place importante
car il permet d’introduire le référent inanimé essentiel (l’arbre et/ou le nid) pour
ensuite localiser les référents animés (oisillons, oiseau, chat et chien) et leurs actions
(partir, monter, etc.). Le récit Le Chat n’implique pas de changement de lieu, tous les
111
événements spatiaux se déroulent autour de l’arbre, qui constitue le point de référence
principal.
Parmi les 22 productions orales, nous remarquons 3 types d’ancrage spatial pour
commencer la narration : 6 étudiants n’ont pas mentionné l’arrière-plan dans
l’introduction (cas 1 et 2), alors que la plupart des étudiants ont choisi de l’établir tout
au début du récit (cas 3, 4, 5), il existe encore un cas particulier, une étudiante a
inventé un arrière-plan pour situer la figure (cas 6).
Nous allons examiner le parcours des référents animés (oiseau, chat et chien) dans ces
3 types d’arrière-plan.
V.5.1
Parcours de l’oiseau
Le parcours de l’oiseau est le suivant : l’oiseau se trouve dans le nid avec ses trois
enfants, il s’envole et il revient à la fin avec de la nourriture pour les petits.
V.5.1.1 Absence de l’arrière-plan
Cas 1 et 2 : La localisation de l’oiseau faisant défaut, le parcours est composé du
départ (sortir, quitter, aller, partir) et du retour (rentrer, retourner, revenir).
Tableau V- 10 (parcours de l’oiseau : i)
Alix
1
2
Localisation
oiseau →
oiseau ↔
-
Sortir
Rentrer
76
Cécile
-
Quitter (o)
Rentrer
Sophie
-
Partir
Retourner
David
-
Aller chercher
Rentrer (chez)
Eva
-
Aller chercher
Rentrer (maison)
Sylvie
-
Partir
Revenir
La différence réside plutôt dans la désignation du départ de l’oiseau : Alix a eu
recours au prédicat sortir, qui implique un fond autorisant ce déplacement du dedans
au dehors. Si l’absence de l’arrière-plan amène Cécile à relier le prédicat quitter avec
un référent animé (les oisillons), dont la localisation est inconnue, elle conduit David
et Eva à orienter le mouvement de l’oiseau (aller), en précisant la raison du départ, au
lieu de la destination.
Pour le retour de l’oiseau, David et Eva ont précisé le fond (chez lui, maison), qui
76
(o) représente le référent animé les oisillons.
112
rappelle le départ de l’oiseau depuis le nid.
V.5.1.2
Arrière-plan dès l’introduction
La majorité des étudiants ont introduit l’arbre en tant que fond tout au début du récit.
Cas 3 : 9 étudiants ont situé l’oiseau (et/ou oisillons) par rapport à l’arbre.
Tableau V- 11 (parcours de l’oiseau : ii)
3
Localisation
oiseau →
oiseau ↔
Adèle
Oiseau – arbre
Aller chercher
arriver/apporter
Clara
Oiseaux - arbre
Aller trouver
Venir
Delphine
Oiseaux - arbre
Ne pas être là
Retourner/apporter
Quinaut
Oiseau - arbre
Ne pas être là
Retourner
Hélène
Oiseau - arbre
Quitter (maison)
Revenir
Julia
Oiseaux - arbre
Quitter
Retourner
Mélanie
Oiseaux - arbre
Sortir
Rentrer
Laurent
Oiseaux - arbre
Sortir
Rentrer (chez)
Violette
Oiseau - arbre
Sortir (maison)
Rentrer
La description du départ de l’oiseau est diversifiée : Adèle et Clara ont choisi le verbe
aller pour indiquer à la fois la direction et le but du déplacement ; Delphine et
Quinaut, avec la relation spatiale précédemment établie, ont décrit l’absence de
l’oiseau pour renvoyer au départ de l’oiseau qui n’est plus sur l’arbre ; Hélène a
recouru au prédicat quitter pour évoquer la maison en tant que fond, lequel, absent
chez Julia, pourrait impliquer soit l’arbre, soit les enfants, parus dans la localisation
précédente ; les trois derniers étudiants (Mélanie, Laurent et Violette) ont employé le
prédicat sortir qui implique un fond, il n’y a que Violette qui l’a précisé (maison).
Le retour de l’oiseau est bien présent chez tout le monde, sauf Clara qui a employé le
verbe déictique venir, lequel constitue une arrivée en scène déictique plutôt qu’un
retour, l’inversion de trajectoire est ainsi incomplète chez Clara.
Cas 4 : 4 étudiants ont choisi une figure qui fait référence à la fois aux oiseaux et au
nid.
Tableau V- 12 (parcours de l’oiseau : iii)
4
Localisation
oiseau →
oiseau ↔
Léon
[Famille] habiter (arbre)
Sortir
-
Lydie
[Famille] habiter (arbre)
Partir (arbre)
Rentrer
Claire
Maison - arbre
Partir
Rentrer
113
Océane
Maison - arbre
Sortir
-
Léon et Lydie ont situé la famille d’oiseaux par rapport à l’arbre. Le statut de la figure
famille et le prédicat habiter contribuent à une inférence sur la maison. Ainsi, chez
Léon, le déplacement incarné par sortir renvoie à une trajectoire de l’oiseau à partir
du nid. Et Lydie a marqué l’arbre en tant que point de départ.
Chez Claire et Océane, la maison d’oiseaux, figure dans l’arrière-plan, marque le
point de départ pour le déplacement de l’oiseau, et autorise le recours aux prédicats
partir ou sortir.
Le prédicat rentrer ont permis à Lydie et à Claire de compléter la double trajectoire de
l’oiseau, alors que le retour est laissé de côté par Léon et Océane, le parcours de
l’oiseau est ainsi incomplet.
Cas 5 : Marie et Louise sont plus précises dans l’arrière-plan en fournissant au moins
deux relations spatiales.
Tableau V- 13 (parcours de l’oiseau : iv)
5
Localisation
oiseau →
oiseau ↔
Louise
Arbre – bois, nid – branche, oiseaux - nid
Aller (un autre bois)
Revenir
Marie
Nid – arbre, Oiseaux - nid
Sortir (nid)
Revenir
La description du départ de l’oiseau est ainsi devenue plus aisée : le bois servant de
fond général, Louise a pu orienter l’oiseau vers une destination précise (un autre bois)
dans un mouvement directionnel (aller). Et Marie a entamé la trajectoire de l’oiseau à
partir du nid, entité à la fois fond et figure dans l’arrière-plan.
Terminée par le prédicat revenir, la double trajectoire s’avère complète et cohérente
chez les deux étudiantes.
V.5.1.3
Arrière-plan élargi
Tableau V- 14 (parcours de l’oiseau : v)
6
Théa
Localisation
Oiseau →
oiseau ↔
Oiseau - bois
Quitter (maison)
Rentrer (maison)
Cas 6 : Pour démarrer le récit, Théa a évoqué le bois, un fond qui semble trop élargi
pour situer précisément l’oiseau. Pour les déplacements de l’oiseau, elle a recouru à
quitter et à rentrer, avec chaque fois la maison en tant que fond, la trajectoire s’avère
114
claire alors que la localisation initiale de l’oiseau reste imprécise à cause d’un point de
référence inventé.
V.5.2
Parcours des intrus
Le chat et le chien sont deux intrus dans le récit : le chat apparaît en bas de l’arbre et
s’assied en regardant les oisillons, il monte sur l’arbre, pendant ce temps, un chien
apparaît sous l’arbre, il mord/tire la queue du chat et le poursuit.
Comme les parcours des deux animaux s’entremêlent à partir de l’intervention du
chien, nous avons décidé d’illustrer les événements spatiaux relatifs aux intrus dans le
même tableau, en marquant à côté des prédicats les référents animés concernés entre
parenthèses77, lesquels aideraient aussi à mettre au clair les parcours des intrus.
V.5.2.1
Absence de l’arrière-plan
Cas 1 : Aucun point de référence n’est abordé dans le récit chez Alix, Cécile et
Sophie.
Tableau V- 15 ( parcours des intrus : i )
LOC
chat ←
Alix
-
Il y a
Cécile
-
Sophie
-
-
chat ↑
Essayer d’approcher
(o)
S’approcher (o)
Il y a
Vouloir manger
chien ←
chien ↕ chat
Arriver
≠ laisser approcher (o)
S’approcher (A)
≠ pouvoir s’approcher (o)
Il y a
Grâce à (E)
(A) ≠ pouvoir manger
chien→ chat →
(A)
sortir
(A) courir devant (E)
-
Alix a décrit un chat qui a essayé d’avancer vers les oisillons, la tentative
d’approchement a échoué à cause du chien, et le chat s’est mis à courir. Le
parcours du chat est tracé par rapport à des référents animés (les oiseaux et le
chien). Le dernier procès qui empaquette la trajectoire et la manière paraît
bizarre : l’ancrage spatial étant totalement absent dans la narration, le fond
impliqué dans le déplacement sortir s’avère mystérieux. D’ailleurs, la
perspective du chat qui court devant le chien ne laisse pas entendre une poursuite
qui les fait sortir de la scène.
-
La narration de Cécile s’avère plus stérile, car elle s’est contentée du prédicat
77
(E) renvoie au chien alors que (A), au chat et (O) représente le grand oiseau, (o), les oisillons. Les mêmes
abréviations sont aussi utilisées dans les tableaux suivants.
115
s’approcher pour les déplacements des intrus : le référent animé existant servant
de fond pour situer la nouvelle entité mise en scène. Le parcours n’est que relatif
entre le chat, le chien et les oisillons.
-
Sophie a interprété les mouvements des intrus à travers des procès qui ne sont
pas factuels : activité mentale (vouloir manger), prédicat visant le résultat (ne
pas pouvoir manger), intervention du chien non précisée (grâce à). L’absence
des procès spatiaux rend tout à fait invisible le parcours des deux animaux.
Chez ces 3 étudiants, l’ancrage spatial qui fait défaut les amène à construire le
parcours des intrus par rapport aux référents existants ou à contourner la formulation
de la spatialité.
Cas 2 : David, Eva et Sylvie ont choisi de n’introduire l’arbre que dans la montée du
chat.
Tableau V- 16 ( parcours des intrus : ii )
LOC
chat ←
David
-
Il y a
Eva
-
Sylvie
-
-
chat ↑
Monter
(arbre)
trouver
Monter
(maison)
(arbre)
Revenir
Monter
(arbre)
chien ←
Il y a
(E) trouver
Venir
chien ↕ chat
(E) Prendre la queue
(A)≠ pouvoir monter, tomber
(E) essayer de≠ laisser manger (o)
(A) tomber (arbre)
≠ vouloir (A) manger (o)
chien→ chat →
(E) Suivre (A)
(E, A) Sortir
(A)
Partir
(E) Partir
Chez David, l’apparition du chat comme celle du chien, incarnée par la structure
existentielle, n’arrive pas à éclairer leur situation. Le fond rendu explicite dans la
montée du chat, aide à situer les proies du chat et à indiquer un peu plus tard la
localisation du chien près de l’arbre, grâce à son action de prendre la queue du
chat. David a mis l’accent sur la chute du chat à travers le couple de verbes
directionnels (monter/tomber), pourtant la fuite du chat fait défaut, parce que le
seul prédicat suivre n’illustre pas la manière de la sortie de la scène des deux
animaux.
-
Eva a introduit, avec le prédicat de perception (trouver), à la fois le chat et le nid
d’oiseaux qui est situé, en règle générale, dans un arbre, ce qui est confirmé par
le fond du déplacement vertical du chat (monter). Si elle n’a pas pu marquer
116
intervention précise du chien, elle en a décrit le résultat à travers la chute du chat
depuis l’arbre. Le parcours du chien est obscur jusqu’au dernier procès renvoyant
au départ des deux intrus, mais le prédicat sortir qui implique un fond nous
intrigue, car ni le nid ni l’arbre ne servent de point de départ approprié pour cette
trajectoire.
-
Chez Sylvie, le parcours du chat, composé de déplacements directionnels
(revenir, venir, monter) et de départ (partir) s’avère complet et clair, alors que
celui du chien se limite à l’arrivée en scène et à la sortie, aucune relation spatiale
n’est établie entre le chien et l’arbre, d’autant que l’intervention du chien,
incarnée par un prédicat intentionnel (ne pas vouloir), n’aide pas à illustrer sa
situation.
V.5.2.2
Arrière-plan dès l’introduction
Cas 3 : Les étudiants qui avaient introduit l’arbre en tant que point de référence, ont
recouru à différents moyens pour mettre en scène le chat, nous distinguons trois types
de solutions.
Tableau V- 17 ( parcours des intrus : iii )
LOC
Adèle
Julia
(o)-arbre
Laurent
-
chat ←
chat ↑
chien ←
chien ↕ chat
chien→ chat →
Il y a
Monter (arbre)
Il y a
(E)≠ laisser manger
-
Il y a
Monter (arbre)
Il y a
voir (o)
Monter (arbre)
Il y a
(E) manger la queue
(A) ≠ réussir
(E) prendre (A)
(E) courir après (A)
(A) Sortir
Adèle et Julia ont commencé le parcours du chat à partir de la montée sur l’arbre,
car la structure existentielle il y a n’arrive pas à localiser la nouvelle entité. Julia
a employé le prédicat manger la queue pour insinuer une localisation du chien
près de l’arbre, avant de terminer le parcours des deux animaux par la course,
que la préposition après a réussi à qualifier de poursuite. Alors qu’Adèle a utilisé
le prédicat visant le but ne pas laisser manger afin d’englober l’intervention du
chien et le départ des deux animaux.
-
Chez Laurent, la montée sur l’arbre et la sortie de la scène constituent le parcours
du chat. Celui du chien n’est pas très clair : son action de prendre le chat,
n’arrive pas à éclaircir la position des deux animaux. Dans le dernier procès, le
117
prédicat sortir fait référence à un départ à partir de l’arbre, seul fond dans la
narration. Mais la relation spatiale entre sortir et arbre paraît inappropriée,
surtout s’agissant d’un arbre dénué.
Tableau V- 18 ( parcours des intrus : iv )
LOC
Clara
Hélène
Quinaut
-
(o) -arbre
chat ←
chat ↑
chien ←
chien ↕ chat
Venir
Monter (arbre)
(E) derrière (A)
(E) ≠ laisser monter
Aller manger
Venir
monter (arbre)
Venir
Venir
Voir (o) – (arbre)
Venir,
regarder (o)
(E) ≠ laisser
manger
chien→ chat →
(A) partir
(E) courir derrière (A)
(E,A) quitter
(E) partir (A)
Chez Clara, le parcours du chat est bien complet avec l’entrée en scène dans un
mouvement directionnel (venir), la montée sur l’arbre (monter), la trajectoire
interrompue par le chien et le départ (partir). Quant au chien, Clara a choisi de le
situer toujours derrière le chat : apparition derrière un chat déjà sur l’arbre et
sortie de scène en courant, derrière le chat qui était parti.
-
Hélène a recouru aux mêmes prédicats pour commencer et terminer le parcours
du chat et du chien: mouvement déictique pour les introduire (venir) et
mouvement de trajectoire pour les faire sortir de la scène (quitter). Dans la
montée du chat, au lieu de recourir à monter comme la plupart des locuteurs, elle
a choisi le procès aller manger pour combiner la direction (aller) et l’intention
(manger) du chat, tout en établissant un déplacement vertical parce que les proies
sont situées sur l’arbre, relation spatiale établie dans l’introduction et réitérée par
l’observation du chat.
Dans le dernier procès, si le prédicat quitter arrive à renvoyer au départ des deux
animaux, il ne constitue pas une poursuite à cause du manque de manière,
d’ailleurs l’absence du complément d’objet direct laisse entendre un départ
depuis l’arbre. L’action du chien à travers un prédicat intentionnel (ne pas laisser
manger) n’illustre non plus sa localisation.
-
Chez Quinaut, les parcours des deux intrus sont bien distincts jusqu’à
l’intervention du chien, dont la formulation erronée (le chien part le chat) traduit
son intention d’englober l’action du chien et la trajectoire suivante des deux
118
animaux.
Tableau V- 19 ( parcours des intrus : v )
LOC
chat ←
chat ↑
chien ←
Se promener
Delphine
(arbre)
(o) -arbre
Chat - arbre
Violette
Chat – maison
-
(E) manger la queue
Aller (maison)
(E) tomber (A)
Trouver (O ≠ là)
Mélanie
Se diriger vers
(o)
Marcher (arbre)
chien ↕ chat
chien→ chat →
(E, A) courir
Il y a
(E) manger la queue
(A) sortir (arbre)
Se trouver
(E) crier
(E) Faire quitter (A)
Delphine a décrit la montée du chat d’une autre façon: entré en scène dans une
promenade jusqu’à l’arbre (se promener), le chat s’est aperçu de l’absence de
l’oiseau et s’est mis dans la direction de la maison des oiseaux, situés sur l’arbre,
ainsi le mouvement déictique aller incarne en fait un déplacement vertical du
chat sur l’arbre.
L’entrée en scène du chien est réalisée par son intervention de manger la queue
du chat, laissant entendre une localisation près de l’arbre, ainsi qu’un procès mal
formulé (le chien tombe le chat), visant à combiner la cause et la trajectoire de la
chute du chat.
-
Chez Mélanie, le parcours du chat est clair et complet avec une mise en scène par
rapport à l’arbre, un mouvement dans la direction des oisillons et une sortie de
l’arbre. La trajectoire se diriger vers ses proies renvoie bel et bien à une montée
sur l’arbre, grâce à la localisation des oisillons déjà explicitée dans
l’introduction.
L’information spatiale relative au chien fait défaut, sauf l’action manger la queue
qui pourrait aider à une localisation près de l’arbre.
-
Violette a choisi de faire raconter l’histoire par un petit oiseau dans l’arbre, cette
perspective particulière lui a permis d’interpréter le parcours du chat sous un
autre angle spatial : le chat est introduit par rapport à la maison au lieu de l’arbre
et le déplacement du chat est incarné par la manière (marcher).
Le dernier procès faire quitter, combine la cause et la trajectoire du chat à partir
soit de la maison, soit de l’arbre, deux fonds mentionnés dans la narration, et cela,
à cause du manque du complément d’objet direct.
119
Le parcours du chien fait défaut, surtout à cause du manque des moyens
linguistiques qui permettent de préciser la localisation du chien et son
intervention.
Cas 4 : Dans l’introduction, 4 étudiants ont choisi une figure qui renvoie à la fois aux
oiseaux (référent animé) et au nid (référent inanimé).
Tableau V- 20 ( parcours des intrus : vi )
LOC
Léon
Famille- arbre
Lydie
Claire
Maison - arbre
Océane
chat ↑
chien ←
chien ↕ chat
(A) – arbre
Monter (arbre)
Il y a (E)
(E) attaquer ( A)
(A) quitter
Venir
Monter (arbre)
(E) voir
(E) Manger (?)
(E) courir à (A)
Venir (arbre)
Monter
Venir
(E) laisser tomber (A)
Venir
Vouloir manger
(o) – (arbre)
-
chien→
chat ←
chat →
(A) courir
(E) punir
Avec sa bouche
Monter
Il y a
(E) Faire tomber (A)
-
sur la terre
Léon a construit un parcours complet pour le chat : l’apparition du chat par
rapport à l’arbre, le déplacement vertical sur l’arbre et sa sortie de la scène, dont
le fond reste à expliciter à cause du manque de complément d’objet. Alors que le
parcours du chien est absent : l’intervention du chien qui aurait pu insinuer une
localisation du chien par rapport à l’arbre, est incarnée par un prédicat factuel
(attaquer), qui ne révèle pas d’information spatiale, et le départ du chien a aussi
fait défaut.
-
Chez Lydie, le parcours du chat est constitué de déplacements directionnels
(venir, monter) et de manière (courir). Le parcours du chien n’est marqué que
par une course relative au chat. Ce qui manque chez Lydie, ce sont surtout les
moyens linguistiques qui lui auraient permis d’expliciter l’intervention concrète
du chien et la position du chien dans la poursuite contre le chat.
-
Chez Claire et Océane, le parcours du chat est identique, sauf la sortie de la
scène (absente chez Océane) : la trajectoire est incarnée par des prédicats
directionnels (venir, monter, tomber). Un autre point commun, la montée du chat
sans référence à l’arbre, fond que les deux locutrices ont déjà évoqué dans le
procès précédent : point d’arrivée de l’entrée en scène du chat chez la première,
120
localisation réitérée des oisillons chez Océane.
La différence réside dans le parcours du chien : chez Claire, l’arrivée en scène
incarnée par un déplacement déictique (venir) et la sortie, un prédicat
intentionnel (punir), la localisation du chien reste toujours imprécise, surtout à
cause du procès laisser tomber qui rend encore plus floue son intervention. Alors
que Chez Océane, la relation spatiale relative au chien n’est impliquée que dans
l’action du chien qui, avec sa bouche, fait tomber le chat de l’arbre.
Cas 5 :
Marie et Louise ont mentionné au moins deux fonds dans la construction de
l’arrière-plan : le nid et l’arbre.
Tableau V- 21 ( parcours des intrus : vii )
LOC
Marie
Nid – arbre
(O) - nid
Arbre – bois
Louise
Nid – branche
(O) - nid
chat ←
chat ↑
(A) voir
Monter (arbre)
Arriver
(arbre)
Monter (arbre)
chien ←
(A) oublier (E)
Venir
(E) trouver (A)
chien ↕ chat
(A)
– (nid)
(E) arrêter (A)
(A) prendre (nid)
(E) couper la queue
chien→
chat →
(A)courir
(E) suivre (A)
(A) courir
Chez Marie, le parcours du chat débute à partir de la montée sur l’arbre et se termine
par la course. Louise est plus précise avec le détail de l’arrivée du chat au pied de
l’arbre.
Le parcours du chien est étroitement lié au chat chez Marie : entrée en scène (venir)
par l’activité mentale du chat (oublier), action factuelle visant à arrêter le chat, et une
poursuite contre le chat (suivre). L’intervention du chien incarnée par le prédicat
visant le but (arrêter), ne précise pas sa localisation par rapport à l’arbre.
Chez Louise, le parcours du chien est invisible, si ce n’est pas l’action de couper la
queue, qui pourrait insinuer une localisation près de l’arbre.
Il est à noter que le nid explicité dans l’arrière-plan a permis aux deux locutrices de
préciser le moment de l’intervention du chien, en situant le chat près du nid, détail
ignoré par la majorité des étudiants.
V.5.2.3 Arrière-plan élargi
Cas 6 : Chez Théa, le parcours des intrus est établi par rapport à un bois, point de
121
référence inventé au début du récit.
Tableau V- 22 ( parcours des intrus : viii )
Théa
LOC
chat ←
chat ↑
chien ←
chien ↕ chat
chien→chat →
(O) - bois
S’approcher
Monter (arbre)
(E) - arbre
(A) avoir mal à la queue
-
Théa a introduit le chat par le mouvement de s’approcher, dont la destination est
imprécise à cause du fond trop élargi, paru dans le procès précédent. La montée du
chat est décrite avec l’arbre comme fond, et la trajectoire du chat est interrompue à la
partir de la douleur sentie à la queue.
La description relative au chien s’est limitée à une localisation par rapport à l’arbre.
Le départ des deux intrus n’a pas été abordée chez Théa, le parcours des deux
animaux s’avère ainsi incomplet.
V.6.
Constatations
Les 6 images sur lesquelles se sont appuyés nos apprenants chinois pour raconter
l’histoire Le Chat révèlent au moins 7 événements spatiaux, dont une localisation
statique constituant l’arrière-plan et 6 déplacements importants pour le déroulement
de la trame. L’image 5 qui illustre l’intervention du chien pourrait aussi impliquer de
l’information spatiale.
V.6.1
Les événements spatiaux
Si nous examinons chaque événement, nous pouvons remarquer que celui qui attire le
plus l’attention, c’est le départ de l’oiseau (22/22), ainsi que la montée du chat et le
retour de l’oiseau (20/22). Viennent ensuite le départ des intrus et la localisation
statique au début de l’histoire. Ce sont l’arrivée en scène des deux intrus qui
intéressent relativement moins les apprenants, et dans la désignation de l’intervention
du chien, événement éventuellement spatial, 9 apprenants ont essayé d’indiquer une
trajectoire.
Figure V - 1 (Evénements spatiaux : Le Chat)
122
Le Chat
25
20
15
Le Chat
10
5
0
Le Chat
cadre spatial
oiseau→
chat←
chat↑
chien←
chat↑chien
chien→chat→
oiseau←
16
22
14
21
9
9
17
20
V.6.1.1 Evénements cruciaux
S’appuyant sur les images, les locuteurs procèdent, avant de formuler le récit, à une
sélection d’informations, en fonction principalement de deux facteurs : l’importance
de l’information pour assurer une production cohérente et les moyens linguistiques
disponibles.
Nous constatons que les événements spatiaux à haute fréquence, sont aussi ceux qui
sont indispensables pour un récit complet : la localisation statique illustre le scénario
du récit, le départ de l’oiseau et la montée du chat déclenchent le développement, le
retour de l’oiseau et la sortie de scène des intrus clôturent la narration.
Les moyens linguistiques sont ensuite sollicités pour décrire les événements. Et là, la
maîtrise de la langue pèse considérablement sur la formulation. Le manque de
connaissances linguistiques amène à sacrifier certaines informations, et nous allons
l’illustrer à travers les deux événements spatiaux relativement moins fréquents.
-
L’arrière-plan
Dans le support, il existe deux référents inanimés : l’arbre et le nid. Pourtant, rares
sont ceux qui ont mentionné le nid, ce qui serait lié à une double raison : d’une part, il
s’agit d’un mot qui n’était pas accessible à tout le monde à l’époque, d’autre part, le
nid est laissé implicite à cause des entités mises en scène qui permettent « des
inférences fondées sur le processus de référence associative et/ou sur notre
connaissance du monde » (Hickmann, Hendriks & Roland, 1998 : 107), car en général,
les oiseaux habitent dans un arbre, où ils pondent des oeufs pour avoir des enfants,
123
donc la présence d’un oiseau auprès des oisillons laisse entendre qu’ils se trouvent
dans un nid. Les moyens linguistiques et les connaissances non linguistiques
contribuent ainsi à une focalisation sur l’arbre pour « sacrifier » l’information du nid,
fond plus précis, voire à une absence totale de l’arrière-plan.
Dans le sens inverse, quand les apprenants disposent d’un vocabulaire plus étendu, ils
ont tendance à fournir plus d’informations, en vue d’élaborer un arrière-plan
complexe, lequel est susceptible de rendre plus flexible la désignation d’autres procès,
c’est surtout le cas de Marie et Louise (section V.2.1.2). Pourtant, une meilleure
connaissance du lexique ne fait pas toujours leur bonheur, surtout quand elle amène à
trop élargir le champ visuel pour perdre le point de référence pertinent, la production
de Théa en est un bon exemple (section V. 2.1.3).
-
Le départ des intrus
A l’époque de notre recueil de données, les apprenants ne disposaient pas encore des
prédicats nécessaires qui englobent la manière et la trajectoire pour renvoyer au départ
des intrus, tels que poursuivre, pourchasser ou chasser, la plupart des locuteurs sont
ainsi amenés à insister sur la trajectoire (sortir, partir, quitter) et d’autres, sur la
manière (courir). Mais les moyens linguistiques ne jouent pas tout seuls. A cela
s’ajoute la relation entre le chien et le chat, deux animaux qui ne s’entendent jamais
dans tous les pays. Une rencontre entre chien et chat finit toujours par une poursuite,
c’est une connaissance universelle partagée par les Français et les Chinois, laquelle
inviterait beaucoup d’apprenants à ne s’intéresser qu’à la trajectoire, en laissant
implicite la manière du départ des deux intrus.
Dans un autre sens, quelques apprenants, grâce à une meilleure maîtrise des
prépositions, ont su combiner la manière et la trajectoire dans la sortie de scène, par le
biais de la structure courir derrière, après78.
V.6.1.2
Evénements spatiaux moins présentés
- L’arrivée en scène du chat et du chien suscite moins d’intérêt chez les apprenants,
78
Ces expressions seront abordées dans VIII.2.2.2, p.208.
124
dont la plupart se contentent d’en mentionner l’existence, et là nos locuteurs se sont
fait de nouveau guider par la connaissance universelle qui suppose le scénario suivant :
quand un chat trouve des oisillons dans un arbre, il veut certainement les manger, et si
un chien apparaît, il va sans aucun doute, empêcher le chat. Ainsi, avec la localisation
des oisillons et le procès intermédiaire de la montée du chat sur l’arbre, même sans
localiser les deux intrus, on pourrait inférer la présence du chat et du chien autour de
l’arbre.
Pour les apprenants qui ont décidé de présenter l’apparition sous l’angle spatial, ce
sont les moyens linguistiques qui dictent : dans la formulation de l’arrivée en scène
des deux intrus, le fond est souvent laissé implicite, à cause du manque d’expressions
appropriées (sous, en bas de). Nous avons pourtant relevé des occurrences avec un
fond, qui renvoient à une localisation vague (près de l’arbre, à côté de la maison), ou
à une localisation concrète (au pied de l’arbre), sans compter les formulations
erronées (après de l’arbre, [su] l’arbre).
- Intervention du chien
Après seulement 6 mois d’apprentissage, les apprenants ne disposaient pas encore des
prédicats nécessaires (mordre/tirer la queue) pour désigner l’intervention du chien.
Par conséquent, certains ont recouru aux verbes d’activité (manger, couper) ou à
prendre, verbe nucléaire de haute fréquence, d’autres ont choisi de contourner l’action
concrète pour se focaliser sur le résultat, par le biais des prédicats intentionnels ( ne
pas laisser manger, ne pas vouloir), ou des prédicats factuels visant le but (punir,
arrêter). Le manque de moyens linguistiques a conduit aussi quelques étudiants à
interpréter l’intervention du chien à travers un procès impliquant une trajectoire (ne
pas laisser approcher/monter, faire tomber, quitter), dont la formulation révèle des
maladresses dans la construction de la causativité.
V.6.1.3 Evénement oublié
Nous remarquons que la 3e image, qui illustre l’activité d’observation du chat, est
ignorée par la majorité des apprenants. La raison en est bien simple : à l’époque, les
125
étudiants n’ont pas encore appris le verbe s’asseoir, de plus, la préposition manque
aussi pour marquer la situation du chat (comme dans l’apparition du chat). Cela
pourrait aussi expliquer pourquoi parmi les 8 occurrences relatives au regard du chat,
il y en a seulement 3 avec information spatiale et toutes concernent la localisation des
oisillons ou de l’oiseau, et non celle du chat.
V.6.2
La sélection de l’information spatiale
L’examen plus détaillé du parcours des référents animés montre que la trajectoire de
l’oiseau est bien établie, grâce aux moyens linguistiques à portée de main, et que
l’itinéraire du chat s’avère plus saillant que celui du chien, très souvent dissimulé.
Une hiérarchie de traitement des actants est établie dans le récit Le Chat.
Importance de l’arrière-plan
L’arrière-plan joue un rôle extrêmement important dans toute la narration parce qu’il
constitue l’ancrage spatial des événements composants de la trame narrative. Si
l’absence de la référence spatiale n’affecte pas la construction du parcours de l’oiseau,
elle influe énormément sur celle du parcours des intrus, parce que quand l’arrière-plan
fait défaut, les apprenants sont obligé de tracer la trajectoire du chat et celle du chien
par rapport aux référents animés, ou de contourner la formulation de la spatialité
(section 2.1.1), le récit Le Chat est devenu ainsi « passe-partout ».
Formulation du déplacement vertical du chat
Dans un arrière-plan élaboré, un bon agencement des événements spatiaux contribue à
tracer de différentes façons, la trajectoire des référents animés. Prenons l’exemple du
procès renvoyant au mouvement vertical du chat sur l’arbre, une localisation concrète
basée sur l’arbre dans l’événement précédent (l’apparition du chat) a permis de varier
la description de la montée du chat, avec focalisation sur la deixis (aller), la direction
(se diriger), voire sur la manière (marcher), ou de conduire à une éclipse du fond
(section 2.2.2, cas de Claire et Océane).
Parcours dissimulé de l’antagoniste
126
Dans le récit Le Chat, le chat étant le protagoniste, le chien, son antagoniste, n’est
qu’au second plan. Et les apprenants débutants essaient de rendre clair le parcours du
chat, compromettant ainsi celui du chien, d’autant plus que l’événement où
l’intervention du chien a mis en relation corporelle les deux animaux aide à illustrer la
localisation du chien grâce à celle du chat. Pour y arriver, un prédicat factuel qui
explicite le mouvement de l’antagoniste est obligatoire, parce que les prédicats
intentionnels ou ceux visant le résultat n’arrivent pas à mettre en contact le chien avec
un chat sur l’arbre (section V.2.2, parcours du chien).
L’analyse du récit Le Chat nous révèle plusieurs facteurs qui pèsent sur la production
à base d’un support d’images : moyens linguistiques, organisation d’événements,
connaissances universelles qui pourraient inciter à négliger certaines informations,
sans oublier la concurrence de référents animés mis en scène.
Les 22 productions orales nous permettent d’observer une tendance à se focaliser sur
la trajectoire quand les moyens linguistiques sont limités, d’autre part, de détecter des
maladresses d’expressions : choix de préposition, confusion de prédicats (sortir,
quitter, partir), structure inventée en vue d’englober la cause et la trajectoire
(tomber/partir quelqu’un), etc.
Mais nous sommes loin d’aboutir à des conclusions nettes, car un seul corpus ne sert
pas de base solide. Pourtant, nous pouvons résumer les résultats de notre analyse sur
Le
Chat :
au
stade
initial,
les
connaissances
linguistiques
conditionnent
considérablement la sélection d’informations chez les apprenants qui sont confrontés
à une production orale basée sur des images :
- ils essaient toujours d’élaborer un arrière-plan pour introduire les nouvelles entités ;
- ils s’intéressant avant tout sur la trajectoire des référents animés ;
- ils se font guider par des connaissances universelles pour contourner certains
événements dépassant les moyens linguistiques.
127
Chapitre VI
VI.1.
VI.2.
VI.3.
VI.4.
Le Cheval
L’entrée en scène du cheval
VI.1.1
Le cadre spatial
VI.1.2
La désignation de la « barrière »
VI.1.3
La relation cheval – barrière – vache
Le parcours du cheval
VI.2.1
Le franchissement
VI.2.2
La chute
Les secours des animaux
VI.3.1
L’intervention unilatérale de la vache
VI.3.2
Les secours conjoints des deux animaux
VI.3.3
L’action respective des deux animaux
VI.3.4
Cas particulier de Delphine
Constatations
VI.4.1
Le développement des moyens linguistiques
VI.4.2
L’organisation de l’information spatiale
VI.4.3
Résultats
128
Le récit Le Cheval comprend 5 images.
Les
deux
l’arrière-plan
premières
de
illustrent
l’histoire,
en
introduisant les référents, dont un
inanimé et 3 animés: la barrière sépare le cheval et la vache, avec l’oiseau qui se pose
dessus.
Les deux images suivantes (images 3-4)
constituent le développement de la trame : le
cheval saute par-dessus la barrière et tombe
sous les yeux des deux autres animaux.
La 5e image met fin à toute l’histoire avec les secours assurés
par les deux animaux : l’oiseau prend une trousse de secours
dans les pattes et la vache met un pansement autour de la
jambe blessée du cheval.
Les événements qui contiennent nécessairement de l’information spatiale sont
l’introduction des référents qui implique la localisation, et le mouvement du cheval
(cheval ∩) qui comprend le saut et le résultat du déplacement. Les secours des deux
animaux pourraient impliquer aussi des rapports spatiaux, surtout dans l’intervention
de l’oiseau qui a quitté la barrière pour transporter la trousse.
VI.1.
L’entrée en scène du cheval
L’introduction du récit implique deux référents inanimés (le pré et la barrière) qui
constituent des points de référence pour l’ancrage spatial, disponible dès le début de
l’histoire et servant à localiser les personnages relatifs à la trame narrative.
Ce qui est particulier dans le récit Le Cheval, c’est que le cadre spatial ne se déploie
complètement que sur deux images : la première ne montre qu’en partie le pré et la
barrière, et la deuxième élargit l’arrière-plan en situant la barrière entre le cheval et la
vache, avec un oiseau posé dessus. Ainsi, la façon de mettre en scène les référents se
diversifie chez les locuteurs.
VI.1.1
Le cadre spatial
129
A part 5 apprenants, les locuteurs ont tous établi un cadre spatial, en mobilisant, pour
renvoyer au terrain couvert d’herbes illustré par les images, tout un éventail de mots :
du plus concret (pré, prairie, plaine, champs, ferme), au moins approprié (jardin), en
passant par des termes très généraux (herbes, place).
Tableau VI-1 (Le cadre spatial)
L’arrière-plan et la localisation du cheval
ferme (6)
champs (3)
dans (5) sur (1)
dans (2) sur (1)
VI.1.1.1
prairie(2)
herbes(2)
pré(1)
plaine(1)
place (1)
jardin(1)
dans
sur
dans
-
-
-
Ø(5)
Localisation du cheval
Si nous examinons de plus près la localisation du cheval par rapport au fond, nous
pouvons constater que les apprenants ont tous recouru à la préposition « dans » ou
« sur » pour qualifier la situation. Ce qui est intéressant, c’est qu’il n’y a pas
d’ambiguïté quand le fond est incarné par « herbes » (sur), « prairie/pré » (dans), mais
quand il s’agit de la « ferme » ou des « champs », il existe quand même une
concurrence entre « sur » et « dans ».
Le choix des prépositions est lié aux termes qui désignent les objets et aux
caractéristiques intrinsèques de ces objets avec lesquels rentrent en relation. Les
concepts spatiaux qu’elles encodent sont étroitement liés aux caractéristiques spatiales
propres aux objets.
Le mot « champ » fait référence à ‘une parcelle de terre cultivable’79. Ainsi, les trois
termes « pré » « prairie » et « champ » renvoient tous à un espace défini, et partagent
le même trait sémantique physique, la différence réside dans ce qui y pousse (herbes
vs plantes cultivées).
Au sens propre, la « ferme » est une exploitation agricole, et désigne aussi
‘les bâtiments d’exploitation abritant les machines, les cheptels animaliers, les
produits agricoles et l’habitat’. La « ferme » constitue ainsi un espace hétérogène,
« dans » laquelle se situent les bâtiments relatifs, et très souvent un terrain destiné au
pâturage.
La conceptualisation du fond conditionne la relation spatiale de la figure à placer.
79
Comme dans le chapitre V, toutes les expressions lexicographiques, soulignées et présentées entre guillemets
proviennent du dictionnaire Le Petit Robert.
130
Quand le fond est qualifié d’« herbes », tout référent peut être facilement situé
« dessus », sauf pour les sujets minuscules, susceptibles d’être dissimulés « dans » les
herbes. Mais quand il s’agit d’une étendue couverte d’herbes, on a tendance à le
considérer comme un espace pour localiser la figure « dedans ». Cette
conceptualisation d’un fond tridimensionnel semble largement acquise, sauf Léon qui
a localisé le cheval « sur » le champ, ce qui pourrait s’expliquer par l’impact de la
langue maternelle, où l’on perçoit souvent les termes relatifs au terrain comme une
étendue bidimensionnelle, et marque en général la relation spatiale par 上-shàng (sur)
de tout objet qui s’y situe.
(Léon)
*1a.
euh un jour euh le petit cheval il joue sur le champ
La « ferme », étant un fond connoté de multiples traits sémantiques, offre plus de
possibilités spatiales: la figure est souvent « dans » cet espace, mais elle pourrait aussi
être située « devant » la ferme, représentée par l’entrée principale.
(Océane)
1b.
euh dans une [fεr] euh sur une ferme euh + il y a + un [∫ə] un cheval
L’énoncé d’Océane révèle la présence de « dans » et une trace d’hésitation. Si elle a
choisi finalement de situer le cheval « sur » la ferme, c’est parce qu’elle a rétréci le
champ sémantique, en associant la « ferme » au terrain de pâturage, visualisé comme
une extension à deux dimensions par les Chinois. Cette perception réductrice du fond
n’est pas un cas unique, car chez Mélanie, a été aussi observée la prononciation
fugitive de la préposition « sur » ([sy]), avant le choix définitif de « dans ».
(Mélanie)
*1a.
un cheval court [sy] dans un dans une ferme
Ainsi, quand la désignation du fond correspond à l’usage prototypique (herbes), le
choix de la préposition se révèle facile et pertinente (« sur »), mais quand le fond est
plus difficile à délimiter, et surtout que la perception spatiale diffère entre la langue
cible et la langue maternelle (pré, prairie, champ), le choix semble moins évident
(« dans » vs « sur »).
VI.1.1.2
Relation implicite entre le cheval et l’arrière-plan
(David)
*2a.
++ euh ++ il il est dans le chemin de chercher sa mère
131
2b.
2c.
euh + et puis euh il il euh vient il vient une plaine
+ sur la plaine il y a une vache
David a mis en scène le cheval (il) à travers un mouvement déictique (venir) par
rapport à une ‘zone plane et basse’ (plaine), sans préciser la localisation par manque
de préposition, pourtant l’introduction de la vache située « sur » la plaine permet
d’inférer la position du cheval. Cette précision immédiate éclaire de façon implicite la
situation du protagoniste, pourrait servir à compenser l’information manquante dans
l’élaboration du cadre spatial.
(Delphine)
2d. et euh il arrive il arrive un euh + une euh une + une place très inquiet très euh tranquille
N’ayant pas réussi à recruter un mot précis pour le cadre spatial (une place tranquille),
Delphine a introduit le cheval par un verbe de destination arriver, sans le localiser.
L’omission de la préposition pourrait s’expliquer d’un côté par les efforts concentrés
sur la désignation du fond, de l’autre côté, par l’item choisi (une place) dont les traits
sémantiques abstraits rendent le choix de la préposition difficile pour la locutrice, qui
a fini par s’en passer.
(Adèle)
2b.
il est euh rencontré euh une [baria] une barrière euh + au au milieu d’un grand d’un
grand jardin
A cause du moyen linguistique, la situation reste implicite entre le cheval et
l’arrière-plan chez David et Delphine, mais elle s’avère inférable grâce à la structure
syntaxique mobilisée par Adèle, qui a placé « le jardin » en tant que complément de
lieu dans la proposition. Cette solution permet d’introduire d’un seul coup les deux
référents inanimés à travers la perception du cheval, et de remplacer la localisation du
cheval par la représentation spatiale de la barrière par rapport au « jardin ».
VI.1.1.3
Types de prédicats
Dans l’introduction du cheval, à part les verbes de deixis (venir) et de destination
(arriver) mentionnés un peu plus haut, deux types de prédicats ont été employés :
- prédicats statiques qui insistent sur la présence.
(Clara)
*1a.
il y a un cheval
1b.
qui s’appelle Henri
(Hélène)
132
2a.
2b.
euh il y a un cheval euh il y a un cheval un vache et un petit oiseau
vivent ensemble dans ce dans ce ferme
- prédicats dynamiques de manière du déplacement en impliquant une localisation
générale.
(Alix)
*1a.
un jour un [∫ə] euh un cheval court dans une prairie
1b.
pour chercher son [zami] euh son ami
(Eva)
*1a.
il y a un cheval
1b.
euh qui s’appelle Pierre
1c.
et il aime bien euh s’amuser et
1d.
se promener en nature
(Quinaut)
*1.
un jour un cheveu euh a fait une promenade sur sur des euh dans des sur des herbes
Deux tendances se dégagent dans la mise en scène du cheval : la variation de
prédicats dynamiques (courir, s’amuser, se promener, jouer, faire une promenade) et
une description plus détaillée qui combine les deux types de prédicats, et cela, soit à
travers des propositions juxtaposées ou coordonnées (Violette, Sophie), soit par le
biais du pronom relatif qui (Julia, Laurent).
(Violette)
*1a.
un [∫ə] + euh un cheval vit dans une ferme
1b.
euh et tous les jours il court euh il court partout dans ce dans cette ferme
(Sophie)
*1a.
il y a euh une grande ferme
1b.
dans cette grande ferme il y a un cheval
1c.
euh chaque jour il euh il s’amuse tout seul
(Julia)
1a.
il y a un cheval
1b.
qui court
(Laurent)
*1a.
un jour il y a un petit cheval
1b.
qui court dans les champs tous les jours
VI.1.2
La désignation de « la barrière »
La barrière joue un rôle crucial dans les événements spatiaux : en tant que fond qui
illustre la relation du cheval par rapport à la vache et/ou à l’oiseau, elle constitue aussi
la raison du saut et la cause de la chute. Les choix lexicaux s’avèrent variés, des
formes plus ou moins pertinentes (« barrière », « clôture », « grilles »), à des formes
133
sémantiquement dérivées («balustrade », « barricade », « porte »).
Tableau VI-2 ( La désignation de « la barrière »)
Les mots sollicités pour renvoyer à « la barrière »
clôture
grille
balustrade
barricade
obstacle
barrière
porte
[ɔbskyl]
Ø
5
4
2
2
2
1
1
1
4
En s’appuyant sur l’image, les locuteurs élaborent dans une première étape, une
représentation de ce qui est à décrire (dans notre cas, « la barrière »), sous différents
angles : dimension physique (assemblage de piquets, de planches ou de perches),
dimension fonction (qui enclot un espace), et dimension catégorie (qui appartient aux
clôtures). Ensuite, ils entrent dans le processus d’activation sémantique où ils essaient
de réunir, dans leur stock de lexique, les informations disponibles et récupérables en
mémoire qui correspondent au mieux aux caractéristiques de la « barrière ». La
réunion de toutes les propriétés permet d’accéder à la représentation sémantique la
plus appropriée, alors que la lacune de certaines informations conduit à des
substitutions qui focalisent sur une ou certaines dimensions.
Ainsi, l’item « obstacle » (‘objet qui gêne le passage’) est recruté pour insister sur la
dimension fonctionnelle, et le mot « balustrade » (‘petite barrière ajourée servant de
protection, d’appui ou de décoration’), plutôt pour renvoyer à la dimension
« physique », mais la fonction y joue aussi sa part, car la barrière et la balustrade
pourraient servir toutes à « protéger ». De ce point de vue, l’item « barricade »
(‘rempart de fortune fait de matériaux et d’objets divers’) semble moins incongru, car
les apprenants y ont recouru pour faire référence à sa fonction d’entraver le passage,
tout en essayant d’incorporer la dimension physique.
Plus les traits sémantiques concernés coïncident, plus forte sera la concurrence entre
les choix lexicaux, c’est la raison pour laquelle les apprenants ont sollicité « clôture »
(5 occurrences), qui englobe toute barrière qui « entoure un terrain ou un espace
intérieur », et « grille » (4 occurrences), qui désigne ‘l’assemblage à claire-voie de
barreaux servant à fermer une ouverture ou à établir une séparation’, dont la forme, la
fonction et la catégorie superposent au mieux aux traits sémantiques de la « barrière »,
sauf le matériau.
134
Le choix du mot « porte » (‘panneau qui permet de fermer une ouverture destinée au
passage à l’intérieur ou à l’extérieur’), paraît moins surprenant car son champ
sémantique couvre partiellement celui de la barrière, du point de vue physique
(panneau) ou fonctionnel (fermer). Mais par rapport aux autres items sollicités, le mot
« porte » possède moins de traits en commun, donc la représentation sémantique
correspond moins à l’objet illustré, ce qui pourrait sans doute expliquer son apparition
très tardive dans la narration et la pause avant l’activation articulatoire chez Delphine,
qui a beaucoup hésité à mobiliser l’item « porte », loin d’être pertinent mais
indispensable au mouvement sauter, parce qu’il s’agit d’un terme très fréquent dont
« la récupération en mémoire est facile » (Fayol, 1997 : 15).
(Delphine)
*4a.
euh donc euh + euh le cheval euh veut le cheval veut euh ++ euh sauter euh sauter
cette +++ euh sauter cette [pɔr] porte
Quand l’étape de la sélection lexicale à base sémantique et syntaxique est effectuée,
s’enchaîne l’étape à base phonologique dans laquelle seuls les items précédemment
sélectionnés sont phonologiquement encodés.
(Lydie)
*2a.
2b.
2c.
donc euh + il ++++ euh mais + dans + la euh dans l’extérieur de la ferme il y a des
+ il y a des +++++++++ alors euh +++++
le cheval + va euh courir à travers euh + les + [obskyl] de de la ferme
donc euh il +++ il a + tombé euh en [tra] à travers euh les [obskyl]
La récupération du mot « obstacle » s’avère très longue chez Lydie, qui, après une
pause de 22 secondes, a échoué à le prononcer dans la localisation (2a). Pour
représenter le déplacement du cheval, la mention du référent s’avère incontournable,
car le mouvement qui combine la manière et la trajectoire (courir à travers), demande
la présence d’un fond. Lydie, non sans hésiter, est finalement tombée sur [ɔbskyl],
phonologiquement proche du terme en anglais « obstacle » ([ɔbstəkl]).
Quand l’accès lexical se révèle difficile dans la langue cible, les locuteurs tentent
souvent de trouver une référence suggestive dans les autres langues qu’ils connaissent.
Dans notre cas, ces apprenants chinois ont tous suivi au moins 6 ans d’études
d’anglais dans l’école secondaire, et en disposent donc d’une bonne maîtrise. La
langue maternelle étant très éloignée du français L3, ils recourent souvent à l’anglais
135
L2 pour trouver une issue, lequel fournit très souvent de bonnes réponses, surtout
pour les mots empruntés. Ce processus est visible chez Lydie, qui, centrée sur la
fonction de la barrière à l’étape conceptuelle, mais bloquée à la sélection lexicale, a
fini par prononcer l’item choisi comme [ɔbskyl], une interprétation phonologique
influencée par l’anglais. Autrement dit, quand le répertoire lexical en français n’a pas
suffi, le terme en anglais est intervenu en premier dans le lexique mental de Lydie.
Après un examen détaillé des termes sollicités pour renvoyer à « la barrière », nous
pouvons aboutir à trois constatations : d’abord, il existe une concurrence entre les
termes « grille », « barrière », « clôture », dont les traits sémantiques correspondent au
mieux à l’objet à dénommer ; ensuite, les apprenants essaient avant tout d’insister sur
l’aspect fonctionnel s’ils n’arrivent pas à rassembler toutes les caractéristiques
concernées ; et finalement, la représentation la plus appropriée qui active
simultanément plusieurs traits sémantiques, n’est pas accessible à tout le monde, ce
qui pourrait expliquer l’omission de ce référent important chez 4 apprenants, qui, dans
l’incapacité de le solliciter, ont choisi de l’esquiver.
VI.1.3 La relation cheval – barrière – vache
La présence de la barrière détermine la relation entre les deux quadrupèdes, et conduit
au mouvement suivant du cheval, qui franchit la barrière, souvent pour rencontrer la
vache.
Tableau VI-3 (La relation cheval – barrière – vache)
La relation spatiale cheval – barrière – vache
1. Relation absente (7/22)
VI.1.3.1
a.
2. Relation indirecte (4/22)
3. Relation explicite (11/22)
Relation absente
Absence de « la barrière »
(Mélanie)
1b.
et il a vu une vache et un oiseau
(Hélène)
*2a.
euh il y a un cheval euh il y a un cheval un vache et un petit oiseau
2b.
vivent ensemble dans ce dans ce ferme
N’ayant pas réussi à mobiliser le mot « barrière », les 4 apprenants ne disposent pas
de point de référence pour spécifier la relation entre le cheval et la vache. Cette
136
dernière est introduite à travers la perception du cheval (Mélanie), ou localisée avec le
cheval sans distinction par rapport à l’arrière-plan (Hélène, David80).
(Clara)
*1a.
…
*2a.
2b.
2c.
il y a un cheval
un jour il trouve un taureau
qui habite à côté de lui
et au milieu euh au milieu d’eux il y a un oiseau
Etant la seule à ignorer tout référent inanimé, Clara a dû introduire les référents
animés en illustrant leur position relative : le taureau « à côté » du cheval, avec
l’oiseau « au milieu ».
Il s’agit d’un paradoxe, car l’oiseau, étant mobile, ne peut pas servir de fond en
général. Pourtant, en absence de l’arrière-plan, la présence de l’oiseau s’avère
indispensable, en tant que fond pour marquer le rapport les deux quadrupèdes, à la
place de la barrière.
b) Apparition tardive de «la barrière »
(Delphine)
*3a.
…
*4a.
euh euh ++ euh immédiatement euh il [rãkõt] euh + il rencontre euh une vache euh
et un oiseau
euh donc euh + euh le cheval euh veut le cheval veut euh ++ euh sauter euh sauter
cette +++ euh sauter cette [pɔr] porte
(Sophie)
2b.
et soudain euh euh et soudain euh et qu’est et soudain il y a quelque chose là-bas
2e.
ah c’est un bœuf
…
3b.
il [travεr] euh il traverse le euh grille
Delphine et Sophie n’ont fait référence à la barrière que dans son franchissement par
le cheval. La relation spatiale cheval-barrière-vache s’avère absente à cause de la
mention trop tardive de la barrière, d’autant plus que la vache n’est pas localisée (3a
chez Delphine) ou située trop vaguement (2b chez Sophie). D’ailleurs, l’emploi du
déterminant défini (le grille, cette porte) est inattendu pour l’apparition du référent, et
suppose une vision partagée avec l’auditeur virtuel.
80
Voir VI 1.1.2, p.132.
137
c) Apparition tardive de « la vache »
(Cécile)
*2a.
un jour euh il a [rãkõ] + il a rencontré euh une clôture
…
3d.
et monsieur Boeuf a donné des + a donné euh les premières secours
Cécile s’est servie du verbe rencontrer pour introduire seulement la clôture. La
relation spatiale entre les deux quadrupèdes manque, car la vache ne fait son
apparition qu’après le déplacement du cheval par-dessus la clôture, dans l’intervention
de secours (3d), et la désignation (Monsieur Bœuf) suppose une connaissance
partagée avec l’auditoire imaginé.
Ainsi, dans les trois cas susmentionnés, l’élaboration de lien spatial entre les deux
animaux et la barrière s’avère impossible, à cause de l’absence du point de référence
que les locuteurs n’ont pas pu désigner (a), ou de l’agencement de la mention des
référents concernés, introduits tardivement et soudainement dans la narration (b, c).
VI.1.3.2
Relation indirecte
a) Un arrière-plan hétérogène
(Claire)
2b.
+ quand il est tout près de la [gr] la grille
2c.
c’est à dire euh dans la frontière de sa maison et de la maison d’un veau veau +
d’une vache
2d.
euh +++ il y a une découverte
2e.
c’est qu’il y a plus de fleurs euh dans la [mε] euh dans l’autre côté + du grille
2f.
et il est donc très jaloux
*3a.
euh et ce qui est encore pire
3b.
c’est que les fleurs de l’autre côté sont beaucoup plus belles que que les siennes
3c.
++ euh et donc il pense
3d.
+ euh il me faut y aller
3e.
pour cueillir tous les fleurs de la vache
3f.
euh qu’il est méchant
*4a.
+ et à ce moment-là la vache se euh la vache parle avec un oiseau
Claire est la plus détaillée avec au total 40 propositions dans toute la narration. Pour
représenter la relation cheval-barrière-vache, elle a commencé par une localisation du
protagoniste vis-à-vis de la barrière, le déterminant défini auquel elle a recouru (la
grille) semble moins conventionnel pour qualifier une nouvelle entité, mais ne choque
pas grâce à la précision de fonction de la barrière qui suit immédiatement. Ensuite,
elle continue avec la motivation psychologique du cheval qui, très jaloux, voulait
138
cueillir les fleurs dans l’autre côté de la barrière, laquelle, en tant que frontière, sépare
la maison du cheval et celle de la vache. Ainsi, le rapport spatial, au lieu d’être abordé
directement, est établi par le biais de l’organisation de l’information, qui autorise en
même temps la mise en scène tardive mais effective de la vache.
(Océane)
*1a.
1b.
1c.
*2a.
…
3b.
3c.
…
*4a.
il y a deux fermes
euh dans une [fεr] euh sur une ferme euh + il y a + un [∫ə] un cheval
ces deux fermes se séparent par quelques [ɔbs] euh obstacles
et un jour le cheval + court au bord de sa [farm] euh de sa ferme
et donc il se mit à courir
pour franchir ces obstacles
+ et à l’autre ferme il y a une vache
Océane, ayant dressé un arrière-plan composé de deux fermes, a pu mentionner la
barrière en insistant sur sa fonction, ce qui lui a permis d’entrer directement dans la
description de l’événement suivant en s’appuyant sur les deux fonds déjà sollicités, et
de retarder l’introduction de la vache, qui ne fait apparition qu’après la chute du
cheval sans compromettre la relation spatiale, car le cheval est localisé au bord de sa
propre ferme, mais pas vis-à-vis de la vache (4a).
Ce qui est commun chez Claire et Océane, c’est qu’elles ont eu recours à un
arrière-plan non homogène (composé de deux maisons ou de deux fermes), d’où la
présence quasi naturelle de la barrière, ce qui libère le cheval de sa dépendance
spatiale vis-à-vis de la vache dont l’apparition pourrait être retardée sans nuire à la
cohérence discursive.
b) Relation spatiale à inférer
(Lydie)
1b.
et il rencontre euh euh + il rencontre + une vache euh une vache dans ++ dans
l’extérieur de la ferme
1c.
et il veut bien euh ++ euh + il veut bien euh ++++ euh il veut bien y va
1d.
pour euh y va euh euh parler avec la vache
*2a.
donc euh + il ++++ euh mais + dans + la euh dans l’extérieur de la ferme il y a
des + il y a des++++
139
Dans la narration de Lydie, la vache et la barrière ([ɔbstəkl]81) ont été localisées
respectivement vis-à-vis du même fond (la ferme). Le premier recours à la locution
prépositionnelle dans l’extérieur laisse entendre qu’il existe, pour distinguer
l’intérieur et l’extérieur de la ferme, une séparation, terme que Lydie a eu du mal à
mobiliser, ce qui pourrait expliquer son second recours à la même locution, car il
s’agit de la solution la moins coûteuse, quand toute la concentration porte sur la
désignation de la barrière. Consciente que la relation barrière-vache reste floue, Lydie
s’est servie de la conjonction « mais » afin d’insinuer le fait que la présence de la
barrière empêche le cheval qui « veut bien y aller parler avec la vache ».
(Julia)
*2a.
2b.
2d.
2e.
2f.
euh ++ et + soudain il trouve
qu’il y a un vache devant lui
donc il n’a pas trouvé
qu’il y a un barricade devant lui
et bien sûr il est tombé par terre
Julia a emprunté aussi deux fois la même préposition devant pour situer la vache et la
barrière, mais par rapport au référent animé qui est le cheval. La barrière (barricade)
apparue de façon trop tardive, la relation barrière-vache reste aussi à supposer. La
conjonction « donc », en exprimant une conséquence logique, suppose que l’existence
de la barrière est naturelle et connue de l’auditoire imaginé. La proposition suivante
commencée par « bien sûr » enchaîne une chute causée par la non-perception de la
barrière surgie durant la course. Si les conjonctions permettent d’inférer plus ou
moins le rapport spatial entre les référents abordés, elles rendent la narration trop
dépendante des images, car les liens de conséquence logique (donc, bien sûr) font
référence à des connaissances partagées par l’auditoire.
VI.1.3.3
Relation explicite
La relation cheval-barrière-vache est incarnée directement par des prépositions ou
locutions prépositionnelles chez la moitié des apprenants. Quand l’introduction de la
vache précède celle de la barrière, cette dernière se situe entre les deux quadrupèdes
(6 occurrences). Quand c’est la barrière qui précède, l’expression spatiale s’avère plus
81
Voir VI.1.2, p.135.
140
variée, car la barrière servant de fond, la vache pourrait être située de différentes
façons à travers la perception du cheval (5 occurrences).
a) L’introduction de la vache avant celle de la barrière
(Alix)
1c.
1d.
et enfin il le trouve
mais il y un obstacle entre euh + eux
(Léon)
1c.
1d.
(Eva)
*2a.
2b.
2c.
(Sylvie)
*2a.
2d.
et quand et puis il voit ses ses amis euh la vache et l’oiseau
mais entre lui et lui et la vache il y a un balustrade
et un jour euh il a vu + une vache euh euh tout près euh tout près de lui
mais euh entre eux euh il y avait euh il y avait des ++ euh clôtures
euh euh qui euh qui ont séparé les deux
un jour il a euh il a rencontré une vache et un oiseau
donc mais entre le entre la vache et lui-même il y avait une clôture
Les apprenants ont tous d’abord indiqué la présence de la vache à travers la
perception du cheval (rencontrer, voir, trouver), avant de recourir à la structure
existentielle (il y a) pour situer la barrière « entre » les deux référents animés.
(Quinaut)
*2.
et puis il a raconté une vache et euh un et une hirondelle euh dans euh sur des sur
des herbes sur des herbes
*3a.
et puis mais a il y a aussi euh une clôture euh entre la va entre la vache et le cheveu
A la différence des autres, Quinaut ne s’est pas contenté de la présence de la vache, il
l’a localisée (2). Pourtant, si cette précision locative correspond bien à la situation de
la vache, elle n’arrive pas à éclairer celle de l’oiseau, juxtaposé avec la vache « sur les
herbes », car le locuteur a recouru au même rapport spatial pour situer deux référents
positionnés de façon différente par rapport au fond mentionné.
(Théa)
*2a.
*3a.
3b.
euh et soudain il a vu un un vœu
mais euh il y a des barrières
qui se trouvaient parmi eux
Chez Théa, le recours à parmi résulte de la confusion des traits sémantiques relatifs à
« entre » et « parmi ».
Dans l’enseignement, les professeurs utilisent toujours le nombre pour distinguer les
deux prépositions : « parmi introduit des entités multiples alors que entre s’emploie
141
principalement lorsqu’il est suivi par deux entités » (KWON-PAR, 2006).
Dans notre contexte, la préposition spatiale « entre » est sollicitée pour marquer la
position intermédiaire de la barrière, le choix semble évident car le nombre de
référents animés est au 2. Chez notre locutrice Théa, les référents désignés par un
pronom tonique pluriel eux pourrait sans doute entraîner son choix « parmi » qui, en
général, « ne se met qu’avec un nom pluriel» (ibid.). Cette explication semble peu
plausible car dans toute la narration, elle n’a mentionné que deux animaux et ignoré
complètement la présence de l’oiseau, la raison du recours à « parmi » est donc
ailleurs.
En fait, le nombre ne constitue pas un critère approprié pour distinguer « entre » et
« parmi », car certains d’entre nous, parmi nous (nous > 3) sont tous des termes
corrects. Les figures ci-dessous illustrent, mieux que le nombre, les traits sémantiques
des deux prépositions.
Selon Kwon-Par, « Entre est
de façon exclusive marqué par
le trait de réciprocité alors que
parmi n’est pas marqué par
cette relation binaire ».
b) L’introduction de la barrière avant celle de la vache
(Adèle)
2b.
il est euh rencontré euh une [baria] une barrière euh + au au milieu d’un grand d’un
grand jardin
*3.
et en face de la cette euh de cette grille et il y a un [∫əv] il y a un ++ euh +++ il y a
un petit oiseau et et un vache aussi
(Louise)
*1a.
un petit cheval qui est limité par des euh par des clôtures
1b.
se promène sur les herbes
*2a.
un jour euh il il trouve à l’autre côté de des [klo] des clôtures
2b.
il y a une vache euh
(Marie)
*1a.
il y avait un petit chien
1b.
[kɔ] [kɔltyre] dans dans une batterie par des grilles
1d.
au-delà des brilles -grilles il voit un [do] euh une vache qui euh qui [brɔ] qui mange
les herbes librement
142
(Laurent)
1c.
mais il y a un euh [baly] une balustrade
1d.
qui lui empêche de traverser
*2a.
mais au [də] euh mais au-delà de cette balustrade il y a ses il y a ses il y a les amis
euh un vache euh un oiseau de de ce petit cheval
Comment ces apprenants sont-ils arrivés à élaborer la relation spatiale avec tout un
éventail d’expressions prépositionnelles, autres que « entre » ? Dans la construction
du cadre spatial, ces 4 apprenants ont tous déjà mentionné la présence de la barrière
(partie surlignée), ils peuvent ainsi, à partir de ce point de référence, percevoir (voir,
trouver) l’existence (il y a) du (des) nouveau(x) référent(s) animé(s), situé(s) « en
face », « à l’autre côté », ou « au-delà » de la barrière. L’existence de la barrière qui
précède celle de la vache permet ainsi de changer de perspective d’observation, et de
diversifier la représentation spatiale.
(Violette)
*2a.
et euh près de cette ferme euh il y a une [plε] une une plaire - prairie
2b.
+++ euh dans + euh ++ et à travers les barricades le cheval a trouvé un un veau et
un oiseau
Avant de faire entrer en scène la vache et l’oiseau, Violette a élargi l’arrière-plan (la
ferme) avec une prairie, ainsi les « barricades » survenues dans la narration laissent
entendre qu’elles constituent la séparation entre la prairie et la ferme, ce qui autorise
le recours à la locution prépositionnelle « à travers » pour introduire les deux animaux
aux yeux du cheval, et l’élargissement de l’arrière-plan composé dorénavant d’une
ferme et d’une prairie semble pouvoir compenser l’apparition soudaine de la barrière,
et rend le déterminant défini (les barricades) moins incongru.
VI.2.
Le parcours du cheval
Le parcours du cheval est composé d’un déplacement en hauteur (le franchissement)
et d’un mouvement vers le bas (la chute).
VI.2.1
Le franchissement
Le franchissement de la barrière par le cheval constitue le principal événement spatial
dans le récit, et nous en distinguons trois solutions : ce mouvement en hauteur est
totalement absent chez 5 apprenants, il est abordé par 9 apprenants mais incarné par
une motivation psychologique, et le franchissement est explicité à travers différents
143
prédicats chez 8 apprenants.
Tableau VI-4 (Le déplacement du cheval ∩)
Le déplacement du cheval ∩
1. Franchissement absent (5/22)
VI.2.1.1
2. Déplacement implicite (9/22)
3. Franchissement (8/22)
Franchissement absent
a) Absence de la barrière
(Clara)
3e.
et il commence à courir
3f.
pour se mettre à la poursuite du taureau
3g.
et mais il est tombé
(Hélène)
*3a.
euh ++ et puis un jour il leur arrive une chose euh très bizarre
3b.
euh ce cheval euh en euh courant très vite
3c.
ce cheval euh se casse se casse euh les jambes
(Mélanie)
1c.
et il veut les rejoindre
1d.
pour s’amuser
1e.
mais il est tombé
La barrière s’avère incontournable pour représenter le saut du cheval, faute de
laquelle les locuteurs doivent trouver une issue pour interpréter le déplacement du
cheval, tout en fournissant une raison pour la chute : Clara a mis le cheval dans une
poursuite de la vache, Hélène a décrit le mouvement comme un phénomène subit et
étrange, alors que Mélanie s’est contentée de la volonté du cheval qui veut rejoindre
les amis. Si la conjonction « mais » indique un mouvement vers le bas du cheval
causé par inattention chez Clara et Mélanie, l’absence de connecteur dans les
propositions juxtaposées et l’absence de la chute rendent la description d’Hélène
moins plausible.
(David)
*4a.
4b.
4c.
4d.
4e.
4f.
++ mais la mais la vache elle ne sait pas la vérité
euh elle est très étonnée
de trouver un cheval si grand et si inconnu
euh qui court vers euh qui court vers lui
donc la vache fait fait tomber le cheval
euh euh elle elle fait un choc contre le cheval
David, le seul interlocuteur à interpréter la chute du cheval en tant que l’attaque de la
vache, a pu englober la trajectoire et la cause par le biais de la structure faire tomber,
144
en insistant sur l’agentivité.
b) Le mouvement en hauteur dissimulé
(Julia)
2d.
2e.
2f.
donc il n’a pas trouvé
qu’il y a un barricade devant lui
et bien sûr il est tombé par terre
Si le saut du cheval fait défaut est dû à l’absence de la barrière dans les cas précédents,
il est éclipsé chez Julia qui a introduit la barrière de façon tardive et brusque durant la
course, dont l’inertie conduit au mouvement vers le bas du cheval. Julia, concentrée à
décrire l’apparition inattendue la barrière, a choisi de simplifier le déplacement en
hauteur pour aboutir directement à la chute, au lieu d’activer l’interprétation du
franchissement.
VI.2.1.2
Déplacement implicite
Chez ces locuteurs, la description du procès se caractérise par la prédication du
mouvement dans une tentative ou une intention, autrement dit, ce qui est prédiqué, ce
n’est pas le mouvement même, mais l’acte psychologique concernant ce déplacement
en tant qu’intention ou but, la réalisation de l’action est juste envisagée.
a) Tentative : Essayer (4 occurrences), s’efforcer (1 occurrence)
(Alix)
2c.
et donc il euh il [sɔ] + il [es] euh il essaie de
2d.
court euh [tra] à travers l’obstacle
*3a.
mais euh il a euh mais il échouer euh mais il a échoué
(Léon)
4d.
donc il a essayé de de sauter [sy] de sauter sur le balustrade
*5a.
euh mais il n’a pas réussi
(Louise)
2e.
donc euh il veut il veut enjamber euh les des clôtures
*3a.
euh il a essayé
3b.
mais il n’a pas réussi
(Quinaut)
5b.
euh et il essaie de sauver de sauver la sauver sauter pardon il essaie de sauver
sauter la clôture
*6a.
mais malheureusement il il n’a pas réussi
3 verbes de mouvement ont été sollicités : sauter (Léon et Quinaut), enjamber
(Louise), courir à travers (Alix), tous encodent à la fois la manière et la trajectoire par
145
rapport au fond. Ce qui est commun chez ces 4 locuteurs, c’est qu’ils les ont intégrés
dans une tentative, incarnée par essayer, qui génère l’inférence non seulement de la
mise en application du mouvement, mais aussi du résultat, que tous les locuteurs ont
explicité dans la proposition suivante (échouer, pas réussir).
(Sylvie)
*3a.
euh donc il s’efforce il s’est et il s’efforce
3b.
de la traverser
3c.
mais malheureusement euh il a il a [kas] il a cassé il a cassé il a cassé son jambe
Similairement, Sylvie a incorporé le verbe de trajectoire traverser dans les efforts du
cheval, dont le résultat est représenté par la blessure.
b) Intention : décider (2 occurrences), vouloir (1 occurrence)
(Eva)
3e.
et et puis euh elle a décidé de passer euh les [kloty] euh les clôtures
3f.
et malheureusement euh il est tombé sur le terrain par les clôtures
(Théa)
3c.
et le cheveu a décidé de franchir les grilles
*4a.
malheureusement il est tombé par terre
(Delphine)
*4a.
euh donc euh + euh le cheval euh veut le cheval veut euh ++ euh sauter euh sauter
cette +++ euh sauter cette [pɔr] porte
4b.
mais malheureusement euh il tombe
Chez Eva, Théa et Delphine, le déplacement du cheval est représenté par une décision
(décider) ou une volonté (vouloir) du cheval, ce qui invite à imaginer la mise en
œuvre du mouvement pour réaliser la trajectoire par-dessus la barrière (passer,
franchir, sauter), laquelle, « malheureusement », s’achève par une chute.
c) Besoin + résultat (1 occurrence)
(Violette)
*3a.
donc mais mais euh d’abord il il faut euh sauter + euh il faut sauter par euh ces
barricades
3b.
+ donc euh mais le cheval est très petit
3c.
et il n’ont il n’est pas capable
3d.
de sauter euh si haut
3e.
enfin euh il + il est tombé par terre
Bien que recruté deux fois, le prédicat sauter sert plutôt à illustrer un besoin (3a), et
un résultat (3d), l’accomplissement du mouvement est remplacé par une description
physique du cheval (3b), ce qui conduit à une action échouée (3e).
146
VI.2.1.3
Le déplacement en hauteur réalisé
Divers prédicats ont été utilisés pour renvoyer au saut du cheval, interprété comme un
procès factuel : courir à travers, traverser, franchir, sauter, dépasser, passer, même
s’envoler.
a) à travers, traverser (2 occurrences)
(Sophie)
*3a.
euh en pensant
3b.
il [travεr] euh il traverse le euh grille
3c.
mais euh en traversant
3d.
il tombe par la terre
(Lydie)
2b.
2c.
+++++++ alors euh +++ le cheval + va euh courir à travers euh + les + [obskyr] de
de la ferme
donc euh il +++ il a + tombé euh en [tra] à travers euh les [obskyl]
Pour tracer le parcours d’ aller d’‘un endroit à l’autre’, Sophie a eu recours au verbe
traverser, et Lydie, à la locution prépositionnelle « à travers », structure qui lui permet
de combiner d’autres informations : la deixis aller et la manière courir. Si ces moyens
linguistiques permettent de représenter le changement de localisation, la trajectoire
par-dessus de la barrière ressort moins, car à travers et traverser renvoient plutôt à un
déplacement linéaire, sans hauteur.
Il est à noter que toutes les deux ont repris les deux termes dans le résultat du
déplacement afin d’expliciter la cause de la chute : Sophie s’est servie du gérondif du
verbe traverser (3c, 3d), et Lydie, la même locution prépositionnelle « à travers »
(2c).
b) Sauter (2 occurrences)
(Claire)
4c.
+ mais soudainement euh + le cheval + il saute
4d.
et il dépasse la grille
4e.
++ euh pour euh pour euh aller à pour aller dans le champ de la vache
Claire s’est servie de 3 prédicats différents en vue de tracer une trajectoire claire et
complète avec plus d’informations: sauter comprenant la manière d’un mouvement
‘consistant à se projeter au-dessus du sol’ et le parcours ‘allant vers le haut et en
avant’ ; dépasser désignant ‘aller au-delà, franchir’, suivi du fond du mouvement (la
147
grille), et aller, verbe déictique qui indique la destination du cheval (le champ).
(Laurent)
3c.
donc le petit cheval euh ++ euh s’encourage
3d.
et puis euh décider de décider de euh essayer
*4a.
il il commence il commence à courir avec force
4b.
+ et puis euh sauter euh juste devant juste devant cette juste devant la balustrade
4c.
et + mais comme + on a déjà dit
4d.
cette balustrade est très haute pour le petit cheval
4e.
il euh il il il il sauter par-dessus de cela
Laurent a débuté par une motivation psychologique du cheval (3d), qui a effectué
ensuite le franchissement, explicité par courir avec force ainsi que sauter, employé
deux fois pour relier respectivement le point du décollage (juste devant la balustrade),
et le parcours en hauteur (par-dessus). Par le biais d’une incise (4c), il a pu aussi
reprendre la description de la barrière, dans le but d’anticiper la chute (4d).
L’organisation de l’information spatiale permet à Laurent d’aboutir à une description
très détaillée, sur le plan de la manière ainsi que de la trajectoire.
c) franchir (2 occurrences)
(Océane)
2b.
et euh il croit
2c.
qu’il peut franchir ces euh obstacles
*3a.
en effet c’est un cheval très orgueilleux
3b.
et donc il se mit à courir
3c.
pour franchir ces obstacles
(Marie)
*2a.
++ il confie son euh sa pensée à + à la vache et [ozwa] à le [wa] l’oiseau
2b.
ils le [kura] il le couragent à franchir le brille - grille
*3a.
++ euh aussi dit aussitôt dit aussitôt fait
3b.
le petit chien le petit chien euh + [ku] court
3c.
pour franchir le brille
Chez Océane et Marie, franchir a été employé deux fois, d’abord intégré dans une
motivation psychologique et ensuite marquant le but de la course. La trajectoire
incarnée par franchir se situe au second plan, étant donné sa position subordonnée par
rapport à courir, verbe de manière.
d) S’envoler (1 occurrence)
(Cécile)
2c.
je peux + je peux + je peux la franchir facilement
148
2d.
2e.
et un deux trois + et un deux trois
euh + il s’envole
Comme les deux locutrices précédentes, Cécile a aussi exprimé l’intention du cheval à
travers le verbe franchir, mais au lieu de le répéter pour la mise en œuvre, elle a
recouru à s’envoler pour illustrer le mouvement, transformé en vol par la métaphore,
ce qui englobe l’information de la manière (vol) et celle de trajectoire en hauteur, dont
le fond est avancé un peu plus tôt par un pronom personnel direct (la), dans la
motivation psychologique du cheval (2c).
e) passer (1 occurrence)
(Adèle)
2c.
2d.
4d.
5c.
*6a.
6b.
et il veut savoir
s’il peut passer euh par cette barrière
parce que il est très haut elle est très haut (pardon)
mais cheval mais ce cheval euh veut essayer quand même
et une fois une fois passé
et il a tombé par terre
La narration d’Adèle se caractérise par une description psychologique détaillée et un
double recours au verbe passer, dont le second, sous forme de participe passé, est
destiné à marquer à la fois la trajectoire et l’accomplissement de l’action.
VI.2.2
La chute
Sauf 4 apprenants qui se sont focalisés sur la blessure pour représenter le résultat du
déplacement, 18 apprenants ont tous choisi le verbe tomber pour indiquer la
trajectoire de la chute, dont 9 ont abordé aussi la blessure.
Si, pour renvoyer au mouvement vers le bas, le choix du verbe tomber s’avère
convergent, tout le monde n’a pas indiqué le point d’arrivée, cela pourrait s’expliquer
par le sémantisme du verbe tomber (‘être entraîné à terre en perdant équilibre’).
Comme le verbe même implique déjà le terme du mouvement, il semblerait redondant
d’expliciter encore le résultat « par terre ».
Parmi les 13 apprenants qui ont explicité le terme de la chute, les expressions se sont
diversifiées : 8 apprenants ont utilisé « par terre », 2 « par la terre », 3 ont choisi la
préposition « sur » (sur terre, sur la terre, sur le terrain).
La préférence pour le terme par terre chez les apprenants chinois reflète en effet la
149
trace de l’enseignement, car, afin d’éviter des formes erronées telles que tomber sur la
terre, les enseignants demandent aux apprenants de retenir tomber par terre comme
une expression toute faite.
La mobilisation de la préposition sur reflète plutôt de l’impact de la langue maternelle
selon laquelle si un objet est entraîné à terre en perdant équilibre, il est 落/摔到地上
([luò/shuāi-dào-dì-shàng] : tomber-arriver-terre-sur).
Dans la description de la chute du cheval, nous constatons aussi une tendance à
expliciter la cause dans le procès, et cela, sous différentes formes : Lydie et Sophie
l’ont combiné dans la représentation en reprenant le terme de trajectoire dans le
déplacement (à travers, en traversant82), David a insisté sur l’agentivité par le biais de
la structure faire tomber83.
(Marie)
3d.
3e.
(Eva)
3e.
3f.
malheureusement il est il est ++ il est blessé en il est blessé
en [Зyr] en [Зyrtã] aux grilles
et et puis euh elle a décidé de passer euh les [kloty] euh les clôtures
et malheureusement euh il est tombé sur le terrain par les clôtures
Marie s’est servie d’un gérondif dont la prononciation n’est pas déchiffrable, et Eva,
de par pour imputer la chute aux clôtures, les formes morphosyntaxique s’avèrent
moins pertinentes, mais l’intention d’encoder la cause dans la représentation est
manifeste.
VI.3.
Les secours des animaux
La dernière image du récit montre la vache et l’oiseau qui se précipitent au sauvetage
du cheval. L’information spatiale réside plutôt dans le mouvement de l’oiseau,
pourtant, ont été relevées aussi quelques expressions spatiales relatives à la vache.
Tableau VI-5 (Les secours des animaux)
Les secours des animaux
82
83
1
Intervention unilatérale de la vache (3/22)
2
Secours conjoints des deux animaux(7/22)
3
Actions respectives de la vache et de l’oiseau(11/22)
4
Cas particulier de Delphine
Voir VI.2.1.3, p.148.
Voir VI.2.1.1, p.145.
150
VI.3.1
L’intervention unilatérale de la vache
(Julia)
*3a.
3b.
(Sophie)
*5a.
5b.
(Théa)
5c.
5d.
et à ce moment-là le vache il pose une euh des bandes autour de son pied
et le le vache le le soigne euh très tendre
et et et et en et puis euh le boeuf euh le boeuf euh va
pour euh pour l’aide comme un médecin
euh enfin il a il a aidé le cheveu
euh + et il a pris soin du cheveu
L’oiseau a été complètement ignoré dans la narration chez Julia, Sophie et Théa,
toutes les informations relatives sont ainsi épargnées, et le récit prend fin avec l’action
de la vache, laquelle se résume à un soin ou une aide. Pourtant, Sophie a englobé par
le biais du verbe aller, l’information déictique de la vache qui s’approche du cheval,
et Julia a combiné le mouvement et le fond (« autour de » son pied) dans un
mouvement de placement.
VI.3.2
Les secours conjoints des deux animaux
(Adèle)
8b.
et parce que euh à l’aide de ce petit oiseau et +++ de vache
8c.
euh +++ euh euh euh le blessé de ce cheval est guéri
(Alix)
4b.
les euh son ami euh donne de euh + son ami euh lui donne euh le traitement euh +
avec euh avec euh [lwaz] euh l’oiseau
4c.
donc enfin euh le cheval a guéri
(Laurent)
*5a.
++ euh de là avec la avec l’aide de ses amis euh le petit cheval peut en peut se lever
encore une fois
(Léon)
6c.
euh + ils ils ont aidé ce cheval
(Violette)
4c.
euh il a euh + euh + ils euh le veau et l’oiseau euh aident le [∫əva] euh euh le veau
et l’oiseau aident le cheval
4d.
et enfin ils sont ils sont devenus de bons amis
L’intervention des deux animaux se résume à une aide fournie conjointement par
l’oiseau et la vache (Adèle, Laurent, Léon, Violette) ou un traitement donné par la
vache, assisté par l’oiseau (Alix). Si les locuteurs ont choisi de combiner les secours,
151
c’est que c’est une description peu coûteuse et efficace pour mettre fin au récit, en
abordant les deux animaux sans entrer dans les détails.
(Hélène)
*4a.
puis euh l’oiseau et le vache s’inquiètent beaucoup de ce cheval
4b.
euh mais ils prend des mesures immédiatement
4c.
4e.
4f.
*5.
84
euh euh ils cherchent partout
et enfin euh ils ont trouvé des ils ont trouvé des médicaments pour sauver le cheval
et enfin il a il a enfin il apporte euh les médicaments pour le cheval
euh +++ euh +++ et puis euh et puis le cheval a guéri bientôt
Dans la narration, Hélène a mobilisé des prédicats d’activité (chercher, trouver), tout
en fournissant une information déictique (apporter). Les verbes sont conjugués tantôt
au singulier (4b, 4f), tantôt au pluriel (4c, 4e), mais comme elle a pris l’oiseau et la
vache pour sujet avant d’entamer une description détaillée, nous considérons qu’elle a
réuni l’intervention des deux animaux.
VI.3.3 L’action respective des deux animaux
11 apprenants ont distingué l’action de la vache et celle de l’oiseau. Nous nous
contentons de relever les prédicats utilisés, pour examiner la formulation spatiale
relative à l’oiseau, et à la vache.
Tableau VI-6 (Intervention des deux animaux)
Intervention
Oiseau
Vache
Cécile
apporter une boîte de médicaments
Océane
servir les médicaments
aider
Quinaut
prendre une boîte
réduire la douleur
Claire
porter une boîte
aller chercher pour soigner
Clara
apporter la boîte
aider à soigner
David
crier, apporter le sac médical
décider de prendre soin, traiter soigneusement
Mélanie
amener un paquet de médicament
aider le cheval à guérir
Sylvie
donner des médicaments
Louise
apporter une boîte
faire un pansement sur la jambe
Lydie
apporter la boîte
utiliser des bandes pour couvrir les blessures
Marie
apporter une boîte
(o) instruire la vache pour faire le bandage
VI.3.3.1
i
ii
donner les premiers secours
aider, faire un pansement
Oiseau
Ce que les locuteurs conceptualisent pour la lexicalisation de ce procès, c’est un
84
Il se peut que le verbe chercher soit conjugué au singulier, car la prononciation n’aide pas à distinguer. Nous
avons choisi la forme au pluriel en nous appuyant sur le sujet de la proposition précédente (4a).
152
mouvement qui peut relier l’oiseau et la trousse de secours. Ainsi, ceux qui ont pu
solliciter les termes « boîte », « sac » ou « paquet », susceptibles d’être saisis ou
transporté, ont eu recours aux prédicats pouvant réaliser ce geste, donc prendre,
porter, tout essayant d’y ajouter l’information déictique, et cela, par le biais du préfixe
« a- »: nous avons recensé 6 apporter et 1 amener.
Cette précision de deixis résulterait de l’interprétation des locuteurs qui ont établi une
logique dans les secours des animaux : c’est avec le médicament apporté par l’oiseau,
que la vache soigne le cheval. C’est une conceptualisation partagée, car dans la
narration des locuteurs qui ont distingué les actions des deux animaux, le mouvement
de l’oiseau précède toujours l’intervention de la vache.
VI.3.3.2
Vache
(Claire)
7e.
et la vache va chercher va chercher quelque chose d’utile
7f.
pour soigner le cheval
(Louise)
4d.
4e.
la vache la vache fait un pansement euh sur la sur la jambe
que le cheval le cheval a cassée
Nous pouvons distinguer deux types de description relative à la vache : 7 locuteurs
ont synthétisé l’intervention par une aide/un soin, ou un but (réduire la douleur), alors
que 4 l’ont concrétisée en pansement où nous relevons 2 informations spatiales :
déictique, incarnée par le verbe aller (chez Claire), locatif, indiquée par la préposition
sur (Louise).
(Marie)
3d.
malheureusement il est il est ++ il est blessé en il est blessé
…
4b.
+ il il instruit à la vache de faire le bondage (bandage)
(Lydie)
2d.
et + il a blessé
…
*4a.
euh + le cheval utilise euh des ++++ utilise des ++ euh des des bandes des
bandes des bandes
Les termes « bandage » « bandes » et « pansement », difficiles à mobiliser, ne sont
pas disponibles chez tout le monde, comme ce dont témoignent la forme erronée
« bondage » chez Marie, ainsi que l’hésitation et la répétition de Lydie, ce qui pourrait
153
expliquer la description simplifiée en aide/soin chez la plupart des locuteurs.
Pourquoi Louise est-elle la seule à préciser le bandage « sur le pied » ? Car la mention
du fond dépend de la description antérieure relative à la chute du cheval : si la partie
blessée est laissée de côté, le fond du pansement ne s’avère pas nécessaire (3d chez
Marie et 2d chez Lydie), mais si la blessure est bien localisée, l’emplacement du
pansement semble inférable, et donc facultatif (cas de Sylvie).
(Sylvie)
3c.
…
4b.
4c.
VI.3.4
mais malheureusement euh il a il a [kas] il a cassé il a cassé il a cassé son jambe
et la vache euh et la vache l’aider
faire un pansement
Cas particulier de Delphine
(Delphine)
*5a.
euh + la vache est très inquiète
5b.
euh donc euh il il il importe il importe euh euh son + boxe de euh euh médecine
5c.
euh et euh +++++ et euh ++++ et le [∫ə] et le cheval est très touché
*6a.
euh avec l’aide de euh avec l’aide de euh de cet oiseau et euh la vache
6b.
euh euh ce petit cheval euh euh peut euh peut marcher euh petit à petit
Ce qui est particulier chez Delphine, c’est qu’elle a fait de la vache le principal acteur
des secours, qui transporte la trousse de secours (5b85). Le recours au verbe importer
relève une difficulté d’englober l’information déictique, à cause d’une confusion de
préfixe, entre « a-» qui incarne la deixis du rapprochement, et « in(im)- » qui renvoie
à la direction « vers l’intérieur ». Delphine a longtemps hésité avant de décrire le
sentiment du cheval, ce qui pourrait s’expliquer par une conscience de la forme
erronée (importer) ou pourrait aussi refléter un manque des moyens linguistiques pour
continuer la narration, qui se simplifie en une action conjointe des deux animaux
(aide).
VI.4.
Constatations
Le corpus du récit Le Cheval comprend 22 productions orales recueilles auprès des
apprenants au 20e mois d’apprentissage du français. L’examen détaillé des
événements spatiaux que nous venons de faire permet de dégager les traces du
85
Bien qu’elle ait employé il, le sujet doit être la vache, en fonction de la proposition précédente.
154
développement acquisitionnel et les facteurs qui pèsent sur l’expression spatiale au
niveau phrastique, et sur l’organisation de l’information spatiale dans le discours.
VI.4.1 Le développement des moyens linguistiques
Après 20 mois d’apprentissage du français, les apprenants ont acquis des moyens
linguistiques qui autorisent une grande disponibilité quant au choix du lexique et aux
structures syntaxiques.
VI.4.1.1 Diversité lexicale
a) La désignation des référents inanimés
Pour renvoyer aux deux référents inanimés illustrés dans les images, les locuteurs ont
sollicité tout un éventail de mots : pré, plaine, champ, prairie, jardin, place tranquille,
herbes pour décrire le fond servant à localiser le protagoniste ; barrière, clôture, grille,
barricade, obstacle, même porte pour désigner l’objet qui empêche le passage du
protagoniste.
La variété de mots reflète d’un côté l’enrichissement du vocabulaire grâce à
l’apprentissage, révèle de l’autre côté des lacunes dans l’acquisition des propriétés
intrinsèques relatives aux termes sollicités, ce qui est le cas dans la désignation du
référent
inanimé
barrière ».
Si
« la
les
apprenants ne sont pas
arrivés à distinguer les
traits
sémantiques
des
items « barrière », « grille », « clôture », c’est plutôt dû à l’influence de la langue
maternelle où un seul terme 栅栏86 (zhàlán) renvoie en même temps à « la grille » et
la « barrière ». Si l’on veut vraiment insister sur la distinction, il suffit de placer la
matière devant l’item 栅 栏 , ainsi 木 栅 栏 (mù‘bois’)+zhàlán) correspond à la
« barrière » et 铁栅栏 (tiě‘fer’+zhàlán), à la « grille », tous les deux appartiennent à
la catégorie « clôture » 围栏87(wéilán). D’ailleurs, dans le manuel, on ne précise pas
86
87
Marqué par 2 dans le schéma.
Marqué par 1 dans le schéma.
155
les différents traits sémantiques de ces trois termes, traduits de façon identique en
chinois, d’où la confusion lors des choix lexicaux en français.
Quand la mobilisation de la « barrière » a échoué, les locuteurs ont essayé d’insister
avant tout sur la fonction, car c’est le trait le plus saillant, étroitement lié au
développement de la trame, d’où les termes «obstacle » et « barricade », et le dernier
traduit en chinois comme 路障88 (lùzhàng : route-obstacle). Le schéma ci-dessus
pourrait illustrer les traits sémantiques représentés par les items mobilisés par les
apprenants.
B. Les expressions prépositionnelles
C’est dans la représentation de la relation spatiale des deux herbivores par rapport à la
barrière que nous observons le mieux la maîtrise des prépositions, dont le choix
dépend aussi de l’organisation de l’information, car le moment de l’entrée en scène de
la barrière conditionne la nature du rapport spatial : quand l’existence de la vache
précède la présence de la barrière, celle-ci ne peut être placée que « entre » les deux
quadrupèdes, alors que dans le sens inverse, soit la barrière mentionnée avant
l’apparition de la vache, les apprenants peuvent se mettre à la place du cheval pour
percevoir la vache depuis la barrière, en variant les locutions prépositionnelles (« en
face de », « au-delà de », « à travers », « à l’autre côté de »), ce qui témoigne non
seulement une étendue plus large du vocabulaire, mais aussi une flexibilité dans
l’agencement de l’information, car bien des locuteurs s’en sont servis pour varier
l’expression spatiale.
VI.4.1.2
Structures syntaxiques complexes
Le développement des moyens linguistiques ne se limite pas à l’étendue du
vocabulaire, il réside aussi dans la construction phrastique qui s’avère plus complexe.
Prenons la description de la mise en scène du cheval comme exemple :
(Marie)
*1a.
il y avait un petit chien
1b.
[ko] [koltyre]-clôturé dans dans une patterie - prairie par des brilles -grilles
(Louise)
*1a.
un petit cheval qui est limité par des euh par des clôtures
88
Marqué par 3 dans le schéma.
156
1b.
se promène sur les herbes
Marie et Louise ont sollicité la voix passive susceptible de faire d’une pierre deux
coups : le cheval est mis en scène dans un arrière-plan dont la barrière détermine les
limites, le moyen linguistique autorise ainsi l’introduction des 3 entités dans le même
procès. Il est à noter que Louise s’est servie de qui, pronom relatif servant à relier une
autre proposition où elle a décrit la situation du cheval à travers le prédicat dynamique
se promener. Cette structure syntaxique, susceptible de fournir plus d’informations
qu’une phrase simple, constitue un moyen fréquemment employé par les apprenants
dans la narration, surtout dans la mise en scène du protagoniste, en vue de combiner la
présence et la manière89.
Les apprenants sont capables de se servir de structures complexes dans le but
d’englober diverses informations : le gérondif pour présenter la cause ou la
simultanéité, le participe passé marquant une action accomplie, la structure
faire+infinitif pour insister sur l’agentivité, et surtout le pronom sollicité pour faire
référence au fond mentionné antérieurement (partie encadrée mise en gris).
(Claire)
3d.
+ euh il me faut y aller
3e.
pour cueillir tous les fleurs de la vache
(Lydie)
1c.
et il veut bien euh ++ euh + il veut bien euh ++++ euh il veut bien y va pour euh y
va
1d.
euh euh parler avec la vache
(Cécile)
2b.
euh ce n’est pas grave
2c.
je peux + je peux + je peux la franchir facilement
VI.4.2
L’organisation de l’information spatiale
Avant d’entamer la narration, les apprenants procèdent avant tout à trier les
informations fournies par les images. Avec les moyens linguistiques disponibles, ils
mettent en scène les entités dans un certain ordre, en leur accordant différents degrés
d’importance, et en laissant implicites des relations spatiales secondaires.
VI.4.2.1
La barrière au premier rang
Il existe deux référents inanimés dans le récit: le pré et la barrière. La majorité des
89
Cf. VI.1.1.3, p.134.
157
apprenants ont abordé ces deux référents (14/22), certains n’en ont évoqué qu’un : 4
apprenants ont pris la barrière pour point de repère, alors que 3 ont décrit
l’arrière-plan. Une seule apprenante raconte l’histoire sans aucun référent inanimé
(Cas de Clara90). Ainsi, dans le récit Le Cheval, la mention du pré (17/22) est
quasiment aussi fréquente que celle de la barrière (18/22).
Si le pré semble nécessaire pour introduire le protagoniste qui est le cheval, la barrière
est indispensable à la localisation de la nouvelle entité – la vache, ainsi qu’au
déplacement du cheval.
Le fait que le pré est absent n’influence pas la représentation de l’information spatiale,
car ce qui distingue la vache et le cheval situés dans le même arrière-plan, c’est la
barrière qui les sépare. Néanmoins, le moment de l’entrée en scène y joue aussi car il
s’agit de l’introduction du point de vue du mouvement référentiel : quand la vache ou
la barrière est introduite tardivement par rapport à ce qu’illustre l’image, la relation
spatiale risque d’être compromise (cas de Julia91, et ceux de Delphine, Sophie et
Cécile92).
Quand la barrière est laissée de côté, le rapport spatial entre le cheval et la vache est
détourné sur une localisation générale par rapport au pré, ou bien il est relativisé entre
les animaux si l’arrière-plan lui aussi fait défaut, et dans ce cas, la présence de
l’oiseau est obligatoire pour remplacer le rôle de la barrière (cas de Clara93).
Bien que la plupart des apprenants aient choisi d’aborder le pré et la barrière, rares
sont ceux qui ont explicité la relation spatiale entre ces deux fonds. Si les apprenants
ont négligé cette relation, c’est parce que dans le récit Le Cheval, l’arrière-plan ne sert
qu’à introduire le protagoniste, et que sa présence n’aide pas à éclairer la relation
cheval-barrière-vache, d’autant plus que la présence de la barrière s’avère totalement
naturelle sur un terrain couvert d’herbe (le champ, le pré, la prairie) en fonction de
connaissances générales. Ce n’est donc pas une relation qui nécessite une précision.
VI.4.2.2
90
91
92
93
L’oiseau au second plan
VI. 1.3.1, p.138.
VI. 1.3.2, p.141.
VI. 1.3.1, p.139.
VI. 1.3.1, p.138.
158
La vache et l’oiseau sont entrés en scène simultanément, et sont situés différemment
par rapport à la barrière, mais les apprenants se sont focalisés plutôt sur la présence de
la vache, au détriment de celle de l’oiseau : beaucoup d’apprenants ont traité en même
temps l’existence des deux animaux, souvent, sans les localiser (12/22), plusieurs
apprenants ont retardé la présence de l’oiseau (7/22), certains, jusqu’à l’ignorer
complètement (3/22).
Nous avons pourtant recensé quelques propositions portant sur la localisation de
l’oiseau, positionné sans différence avec la vache par rapport au même fond, le
traitement identique de la relation n’arrive donc pas à éclairer la situation de l’oiseau
(chez Hélène94 et Quinaut95).
Pourquoi les apprenants n’ont-ils pas mis en valeur cette relation spatiale ? A cela
deux raisons principales : d’un côté, la vache, animal de taille équivalente au cheval et
moins mobile, semble plus appropriée et facile que l’oiseau pour établir le rapport
spatial, d’autant plus que la présence de l’oiseau ne noue aucun lien apparent avec le
mouvement du cheval, qui dépasse la barrière souvent pour rencontrer la vache. De
l’autre côté, à partir de la 2e image, l’oiseau reste à la même place, le changement de
localisation n’intervient qu’à la dernière image, c’est d’ailleurs un déplacement
déictique dont le point de départ n’est pas à expliciter. A cela s’ajoute le moyen
linguistique, car ce serait difficile de positionner l’oiseau par rapport à la « barrière »,
terme qui, n’étant pas accessible à tout le monde, s’avère difficile à recruter. Ainsi, les
apprenants ont plutôt épargné les efforts dans l’entrée en scène de l’oiseau.
La relation spatiale associée à l’oiseau réside dans la description du secours, incarné
par le verbe apporter : un déplacement avec changement de localisation (quitter la
barrière) a ainsi transformé en un mouvement déictique (apporter la trousse) par
manque de la position source, inaccessibles à l’image et omise volontairement par les
apprenants.
VI.4.2.3
Le parcours du cheval
a) L’interprétation du parcours
94
95
Cf.VI.1.1.3, p.134.
Cf.VI.1.3.3, p.142.
159
Pour construire un récit, les locuteurs établissent, en s’appuyant sur les images, un but
général qui finalise la séquence d’actions du protagoniste visant à l’atteindre. Dans
notre corpus, le parcours du cheval est ainsi élaboré pour atteindre le but « passer la
barrière », qui déclenche le mouvement du franchissement et la chute, entre l’état
initial (localisation dans le pré) et l’état final (soigné par les deux animaux).
Dans la narration, les apprenants ont tous explicité la raison du mouvement du cheval,
qui franchit la barrière souvent pour rencontrer la vache, ou cueillir les fleurs de
l’autre ferme, ou tout simplement se vanter de sa capacité. Même dans la production
la plus courte (46 secondes, avec en tout 9 propositions), nous pouvons aussi constater
cette clarification de l’intention.
(Mélanie)
*1a.
un cheval court [sy] dans un dans une ferme
1b.
et il a vu une vache et un oiseau
1c.
et il veut les rejoindre
1d.
pour s’amuser
1e.
mais il est tombé
1f.
il est gravement euh il a gravement blessé
*2a.
euh donc l’oiseau euh amène un paquet de médicaments
2b.
avec l’aide de cet oiseau euh la vache euh a aidé ce cheval
2c.
à guérir
D’ailleurs, beaucoup d’apprenants ont prédiqué l’acte psychologique du mouvement
franchir, ils ont ainsi recouru à une « intention préalable» (Denhière & Baudet,
1992), susceptible de faire référence à l’action à venir, qui permet d’aboutir
directement au résultat (tomber, blesser). Cette interprétation reflète la perception du
résultat chez les Chinois : « l’état final est voulu par l’agent, il est le résultat d’une
action. Si le résultat est en accord avec l’intention de l’agent, l’action a réussi» (ibid.),
mais si le résultat ne correspond pas à l’intention, c’est une action échouée, et sa mise
en œuvre ne peut être interprétée que comme une tentative (essayer, s’efforcer), ou
encore une volonté (décider, vouloir).
Nos apprenants, étant des locuteurs adultes, font preuve d’une maturité cognitive
pleinement développée, qui leur permet d’organiser le récit selon les principes déjà
acquis dans la langue maternelle où on associe toujours une action à une intention, et
qualifie de tentative une action non réussie.
160
b) Manière vs trajectoire
Si nous examinons les prédicats relatifs au cheval, nous pouvons constater une forte
fréquence du verbe courir, sollicité souvent dans l’entrée en scène du cheval, et aussi
pour le franchissement de la barrière.
La trajectoire joue un rôle important dans le procès relatif au franchissement, et les
apprenants choisissent avant tout les prédicats qui encodent à la fois la manière et la
trajectoire : sauter, franchir, enjamber, et ensuite des verbes de trajectoire : passer,
traverser, dépasser, 2 étudiants ont sollicité courir à travers pour combiner la
manière et la trajectoire, et 1 locutrice a désigné le procès par le biais du verbe de
manière s’envoler.
Pourtant, nous ne pouvons pas tirer de conclusion sur le privilège accordé à la
manière ou à la trajectoire en nous appuyant sur un seul événement, car l’organisation
de l’information y joue aussi un rôle : beaucoup d’apprenants ont introduit le cheval à
travers le verbe courir, donc, logiquement, le cheval doit maintenir cet état de
mouvement jusqu’à la prochaine action franchir, si aucun événement n’interrompt sa
course. Le fait que la manière est déjà anticipée dans l’entrée en scène du cheval
pourrait amener les locuteurs à orienter l’attention sur la trajectoire dans le
déplacement par-dessus la barrière.
VI.4.3
Résultats
L’analyse du récit Le Cheval nous révèle qu’après 20 mois d’apprentissage du
français, les locuteurs disposent d’un répertoire plus riche en vocabulaire, non
seulement dans la désignation des référents inanimés, mais aussi dans la lexicalisation
du procès de franchissement. Ils sont capables de mobiliser des structures syntaxiques
complexes dans l’organisation phrastique en vue de fournir de multiples informations.
Du point de vue discursif, les locuteurs tendent à interpréter le récit à partir de but ou
sous-buts, pour finaliser la séquence d’actions à venir du protagoniste. Les moyens
linguistiques pourraient peser sur l’organisation de l’information, lesquels ont, par
exemple, conduit les apprenants incapables de recruter le terme « la barrière », à
transformer le franchissement en déplacement sans changement de localisation.
161
Les 22 productions orales Le Cheval permettent de confirmer certaines tendances déjà
détectées au stade initial : confrontés à une production orale basée sur des images, les
apprenants essaient toujours d’élaborer un cadre spatial pour introduire les nouvelles
entités, et ils s’intéressent avant tout à la trajectoire des référents animés, surtout
quand la manière est abordée antérieurement dans la narration.
A partir de ce corpus collecté au stade intermédiaire, nous pouvons aboutir aux
résultats suivants :
-
Les moyens linguistiques sont enrichis, et permettent des structures plus
complexes au niveau phrastique, et une organisation plus détaillée au niveau
discursif.
-
Les apprenants prêtent plus attention à la trajectoire, notamment dans le
déplacement avec changement de localisation, mais ils choisissent avant tout des
prédicats ou des expressions qui encodent à la fois la manière et la trajectoire.
-
Quand l’accès au terme cible s’avère impossible, ils choisissent un item en
insistant sur le trait sémantique le plus saillant, associable au développement de la
trame.
-
L’impact du chinois ou de l’anglais peut être observé dans les choix lexicaux.
-
Certains choix de prépositions spatiales reflètent l’impact de la conceptualisation
spatiale de la LM.
162
Chapitre VII
Synthèse et hypothèses : Le Chat vs Le
Cheval
VII.1. L’élaboration du cadre spatial
VII.1.1 Le choix du cadre
VII.1.2 Le marquage de la nouvelle information dans le cadre spatial
VII.1.3 Résumé et hypothèse à attester avec les récits La Grenouille
VII.2.
Les événements spatiaux
VII.2.1 L’organisation des événements
VII.2.2 L’empaquetage de l’information spatiale dans les déplacements
VII.2.3 Les prépositions spatiales
163
Tout au long de l’apprentissage, les sujets observés manifestent une compétence
linguistique particulière à un certain stade. Dans le présent chapitre, nous allons
confronter les analyses des productions spontanées sur Le Chat et Le Cheval,
recueillies aux stades initial et intermédiaire, en vue de dégager des tendances de
développement et de détecter les facteurs affectant la représentation spatiale. Ces
éléments, invariables ou variables, nous serviront d’appui pour formuler des
hypothèses à attester dans le chapitre à suivre, qui consiste en une comparaison
longitudinale des données du récit La Grenouille.
« Pour construire un discours, un apprenant doit découvrir les moyens linguistiques
qui lui permettent d’exprimer simultanément l’information grammaticale (genre, cas
et nombre) et l’information discursive (information nouvelle ou ancienne), les
catégories (temps et aspect) et la régulation de l’information entre trame et
arrière-plan discursif » (Hendriks, 1998 : 148). Tout apprenant, en fonction de la
langue qu’il acquiert et de la maturité cognitive, manifeste différente capacité à
organiser les informations sur le plan phrastique et discursif. Notre recherche portant
sur la référence spatiale dans la perspective conceptuelle, les données seront
comparées et analysées sous un angle discursif, à deux niveaux : nous allons examiner
d’abord l’organisation des événements spatiaux faisant partie de la trame, où
interviennent des facteurs allant au-delà de la phrase indépendante et reliant les
énoncés au contexte, avant de procéder ensuite au décodage des composantes de la
référence spatiale (prépositions, prédicats) au sein même de la désignation du procès.
VII.1. L’élaboration du cadre spatial
Dans la communication, on est censé transmettre des informations relatives aux
référents ( la personne, le temps et l’espace) et les événements où ils jouent un rôle. Il
est nécessaire d’introduire les référents dans un cadre spatio-temporel, par le biais des
mécanismes appropriés pour éviter toute ambiguïté chez l’auditeur, surtout dans les
situations où les interlocuteurs n’ont pas de pas de connaissances partagées.
Une tâche narrative diffère d’une tâche descriptive par le fait que cette dernière se
164
déroule souvent à partir des présuppositions de connaissances mutuelles entre le
locuteur et l’auditeur. Par conséquent, pour réussir un discours narratif, il faut que le
cadre spatio-temporel soit préparé avant que les protagonistes n’y soient introduits et
que les événements principaux n’y commencent. Si nous avons choisi, non pas une
tâche de description d’itinéraire, mais de faire raconter des récits à partir d’images
sans texte, c’est que celles-ci, qui encadrent les protagonistes et les événements dans
un espace donné, ont l’avantage d’impliquer des mouvements, fournissant ainsi des
relations plus complexes et surtout dynamiques.
Au cours des collectes de données à différents stades d’apprentissage, les apprenants
ont été prévenus que leurs productions orales spontanées, faisant l’objet d’une étude
internationale, seraient écoutées par des Français natifs censés ignorer l’histoire. Cette
précision permet, en supposant l’absence de connaissances mutuelles entre le locuteur
et l’auditeur imaginé, de pousser les apprenants à établir un cadre spatial aussi
explicite que possible, susceptible d’ancrer les événements à rapporter qui se
déroulent à l’intérieur même de ce cadre, afin d’assurer une compréhension chez
l’audience virtuelle.
Dans notre étude, les locuteurs s’appuient sur des images pour raconter des récits qui
ne les impliquent pas en principe, le point qui sert d’origo96 ne coïncide donc pas
avec celui déterminé par la situation d’énonciation, autrement dit, le ici dans la
narration ne réfère pas à la localisation du locuteur, qui doit établir un cadre spatial
pour localiser les entités avant d’entamer la trame.
VII.1.1 Le choix du cadre
« Dans le cas de l’absence de connaissances partagées, une narration devrait de façon
préférable contenir des informations spatiales à son tout commencement » (Hendriks,
ibid.). Car l’arrière-plan devrait être préparé afin de permettre à la trame de se
développer.
Le récit Le Chat débute par une situation statique, toute l’histoire se déroule autour de
96
Point d’observation d’origine, ou point de départ pour le système d’orientation.
165
l’arbre. Les protagonistes, n’étant pas représentés dès la première image, entrent en
scène par rapport à ce fond (le chat, puis le chien), et ils n’y restent pas non plus dans
la suite des événements. La description avant l’événement déclencheur proprement dit,
soit le départ de la maman oiseau, soit l’arrivée du chat, appartient au cadre spatial de
l’histoire. Deux choix se présentent : se centrer sur « le nid » pour localiser l’oiseau
ainsi que ses petits, ou introduire « l’arbre » en tant qu’un cadre plus général, qui
permet d’agencer les événements postérieurs.
A la différence du Chat, le récit Le Cheval commence par un événement dynamique
(le cheval qui court), évolue dans le cadre du pré, et les protagonistes (le cheval, la
vache et l’oiseau) y restent pendant toute l’histoire. « Le pré » et « la barrière »,
présents avant l’événement déclencheur qu’est le saut du cheval, seraient deux
candidats possibles dans l’installation du cadre spatial, « la barrière » en tant qu’un
fond plus précis et « le pré », un ancrage plus général.
L’inventaire des entités mentionnées dans les deux récits reflèterait la focalisation des
locuteurs sur le cadre spatial : si « l’arbre » dans Le Chat est considéré comme fond
général et « le nid », fond précis, nous qualifions de la même façon « le pré » (fond
général) et « la barrière » (fond précis) dans Le Cheval. Quand les deux entités sont
abordées dans l’élaboration de l’arrière-plan, celui-ci sera considéré comme « cadre
complet ».
Figure VII - 1 (cadre spatial : Le Chat vs Le Cheval)
15
10
Le Chat
Le Cheval
5
0
Ø
précis
général
complet
Le Chat
3
0
13
6
Le Cheval
1
4
3
14
La figure montre que l’installation du cadre tend à devenir plus élaborée au fur à
mesure de l’apprentissage, la description de l’arrière-plan est passée de globale (cadre
166
général) à plus détaillée (cadre complet) au stade intermédiaire.
Nos apprenants, cognitivement matures, n’ont pas à acquérir le rôle du cadre spatial
dans la narration, ce sont les ressources langagières qui conditionnent le choix du fond.
Ainsi, le manque de l’item « le nid » a orienté l’attention sur un fond plus général
qu’est « l’arbre » dans Le Chat (13 occ.), l’inaccessibilité à l’item « la barrière » a
conduit 3 apprenants à choisir « le pré » dans Le Cheval. L’absence totale de
l’arrière-plan masquant tout « ancrage réaliste ou non réaliste de l’histoire» (Reuter,
2007 : 35), les récits pourraient se passer n’importe où, et les déplacements qui
requièrent des points de repère sont ainsi dissimulés, surtout ceux en hauteur, tels que
la montée du chat sur « l’arbre », et le saut par-dessus « la barrière » du cheval, deux
événements déclencheurs qui assurent le développement du récit (voir V.2 et
VI.2.1.1).
Les moyens linguistiques ne constituent pas le seul facteur à influencer la création de
l’arrière-plan, à cela s’ajoute la concurrence entre les fonds potentiels: l’emporte
l’entité susceptible de localiser les protagonistes, et plus impliquée dans les
événements, « l’arbre » s’avère donc le cadre spatial incontestable dans Le Chat, et
« la barrière » est ainsi privilégiée dans Le Cheval.
Le cadre spatial fonctionne comme un arrière-plan d’informations pour ancrer la
narration dans son ensemble. Les apprenants, dès que les moyens linguistiques le
permettent, tendent à fournir un arrière-plan plus détaillé, c’est déjà le cas au stade
initial (6 occ.), où deux locutrices (Louise et Théa) ont même créé un arrière-plan plus
riche que les images ne l’illustrent. Et là, joue aussi la façon d’agencer les entités
relatives au cadre.
Tableau VII-1 (Cas de Louise et de Théa)
Louise
Théa
167
*1a.
dans le dans les bois euh il y a un grand arbre un
*1a.
un oiseau
grand arbre
1b.
euh dans une bois euh il y a un [waz] il y a
et sur une branche euh sur sur la la branche de cet
arbre euh il y a un petit nid
1c.
euh dans le nid euh il habite ils ils habitent dans le
nid euh il y a euh 4 euh 4 oiseaux
1d.
euh c’est euh c’est la ce sont euh la mère [zwa]
oiseaux et trois petits [zwa] oiseaux
*2a.
et un jour euh la mère le mère [wazo] [zwa] oiseau
*2a.
un matin euh [lwa] le grand oiseau quitte
son euh quitte sa euh quitte sa maison
+ aller à aller à autre aller à un autre autre bois
…
...
2c.
et ++ et et à ce temps-là en ce temps-là un un un chat
un chat euh un chat arrive arrive euh au pied au pied de de
*5.
et et ensuite euh il commence à monter sur
euh l’arbre euh
d’arbre
...
3b.
+ et il il il monter il monter arbre euh l’arbre
« Le fond d’informations (le cadre spatio-temporel) doit être présenté avant que les
événements principaux ne commencent à se dérouler. Par la suite, cette information se
retrouve souvent au début du texte/discours » (Hendriks, 1993). Tout au début de son
récit, notre locutrice Louise a introduit méthodiquement quatre entités avant de situer
l’oiseau (bois-arbre-branche-nid)97. Cette élaboration de lieux si minutieuse participe
aussi à la cohésion du déroulement de l’histoire, qui permet d’orienter la maman
oiseau par rapport à un autre « bois », et de localiser le chat « au pied de l’arbre », ce
qui témoigne de l’étendue du répertoire lexical ainsi que de l’aisance de l’organisation
d’informations chez Louise. Ce n’est pas le cas chez Théa, qui a indiqué aussi trois
entités (bois-maison-arbre), mais de façon décalée dans la narration. « Une narration
devrait de façon préférable contenir des informations spatiales à son tout
commencement » (ibid.). Chez Théa, la mention tardive du « nid » et de « l’arbre »
par rapport au moment propice à l’installation de l’arrière-plan, soit au
commencement du récit, conduit à une rupture dans le fil de l’histoire : le départ de
l’oiseau et le mouvement vertical du chat semblent trop subits, d’autant plus que « le
nid » et « l’arbre » sont introduits par l’article défini, supposant un partage de
connaissances mutuelles. Si, les deux locutrices manifestent quasiment la même
97
Voir V.2.1.3, p.86.
168
maîtrise linguistique du point de vue lexical, sur le plan de la création du cadre spatial,
Louise s’avère une narratrice plus expérimentée, alors que Théa, est moins confirmée.
VII.1.2
Le marquage de la nouvelle information dans le cadre spatial
En l’absence de connaissances partagées, le locuteur doit effectuer la différenciation
de l’information nouvelle et ancienne au cours de la mise en place du cadre spatial, en
vue d’une cohérence discursive. Au niveau phrastique, il s’agit de recourir au
marquage référentiel (indéfinis/définis) pour assurer cette distinction.
Nous nous intéressons au statut de la nouvelle information dans l’introduction du
cadre spatial. Il est nécessaire de distinguer « le marquage approprié » qui relève du
niveau discursif, et « le marquage correct », qui relève du niveau grammatical.
1) Hélène
2) Delphine
3) Julia
4) Sophie
il y a un grand [zwazo] à une à une arbre
euh dans l’arbre euh il y il y a un [wa] il y a un il y a un oiseau + maman et
beaucoup de oiseaux enfants
donc il n’a pas trouvé qu’il y a un barricade devant lui
euh en pensant il [travεr] euh il traverse le euh grille
Dans nos exemples, les phrases 1 et 3 représentent des formes erronées du point de
vue grammatical : le genre n’est pas correctement indiqué (une arbre, un barricade), et
les traits sémantiques contenus par l’item « barricade » ne correspondent pas à l’entité
illustrée dans l’image. Pourtant, du point de vue discursif, le marquage du statut de la
nouvelle information est « approprié » grâce à l’emploi de l’article indéfini, alors que
ce n’est pas le cas des phrases 2 et 4, où les locutrices ont marqué la nouvelle entité
par l’article défini.
Figure VII-2 ( Marquage de la nouvelle information)
50.00%
40.00%
30.00%
Le Chat
20.00%
Le Cheval
10.00%
0.00%
incorrect
inapproprié
Le Chat
6.90%
41.38%
Le Cheval
11.43%
22.86%
En nous appuyant sur cette distinction, nous avons fait l’inventaire des marquages des
169
entités renvoyant aux deux fonds illustrés dans Le Chat (« arbre » et « nid ») et Le
Cheval (« pré » et « barrière »), dont les proportions montrent que par rapport au
nombre total des entités mobilisées dans chaque récit, les marquages «inappropriés»
qui ont connu une baisse considérable (de 41,38% à 22,86%), l’emportent toujours sur
ceux qui sont «incorrects», relativement peu nombreux à ces deux stades.
Tableau VII- 2 (Marquage de la nouvelle information dans le cadre spatial)
Le Chat (29)
Le Cheval (35)
Arbre (19)
Nid (10)
Pré (17)
Barrière (18)
Incorrect
1
1
1
3
Inapproprié
6
6
4
4
Un examen de plus près révèle deux raisons principales des marquages
« inappropriés » : d’une part, par rapport au moment propice, soit tout au début de la
narration, une introduction tardive et soudaine de l’entité qui aurait fait partie du cadre
spatial, (4 occ. pour « l’arbre », 3 occ. pour « la barrière »), fait que dans le
développement de la trame, les locuteurs, n’ayant plus le temps à consacrer à la
« nouvelle entité », ne peuvent plus que l’intégrer directement dans le déplacement
(dans la montée du chat, et le saut du cheval) en tant que fond déjà connu ; d’autre
part, la connotation associée à l’item employé favorise le recours à l’article défini (6
occ. pour « la maison » et 3 occ. pour « les champs »), et cela, à cause de
l’introduction très tôt des ces entités toujours liées à l’article défini dans des phrases
toutes faites, telles que « ils travaillent aux champs », « je pars de la maison à X
heures », présentées dans les supports ou l’enseignement.
Dans le sens inverse, les marquages « inappropriés » ne choquent pas toujours, surtout
dans Le Cheval, quand les locutrices ont élaboré un arrière-plan de façon assez
hétérogène, formé de deux maisons séparées (voir VI.1.3.2 le récit de Claire) ou d’une
ferme et d’une prairie (Chez Violette), « la barrière » est mentionnée en tant qu’objet
de séparation évident. Autrement dit, au stade intermédiaire, la disponibilité des
ressources langagières et une meilleure maîtrise de LE permettent aux locuteurs de
préparer avec plus de précision le cadre spatial, ce qui aide à la construction d’une
représentation de la situation d’ensemble et facilite la compréhension.
170
(Violette)*1a.
un [∫ə] + euh un cheval vit dans une ferme
1b.
euh et tous les jours il court euh il court partout dans ce dans cette ferme
...
*2a.
et euh près de cette ferme euh il y a une [plε] une une plaire
2b.
+++ euh dans + euh ++ et à travers les barricades le cheval a trouvé un un
veau et un oiseau
Une autre tendance s’est dégagée de l’inventaire : l’enrichissement du répertoire
lexical ne favorise pas forcément la mobilisation pertinente de l’entité correspondante,
c’est ce que nous avons constaté dans Le Cheval, surtout pour la dénomination de la
« barrière » (voir VI.1.2).
« D’une langue à une autre, ce qui peut ou doit être lexicalisé change » (Fayol, 1997),
en d’autres termes, vis-à-vis d’une même image, c’est le contenu du message à
transmettre qui varie en fonction des langues. « Les processus qui sous-tendent la
production de parole sont généralement divisés en trois étapes successives :
conceptualisation, lexicalisation et articulation» (Alario, 2001 : 3). Dans l’étape de la
conceptualisation, on définit les concepts et les idées qui doivent être exprimés
verbalement. Dans notre cas, les productions orales s’appuyant sur des images, la
conceptualisation est entamée visuellement par le dessin
présenté, le message à transmettre est « la barrière »,
fond crucial de l’événement du saut du cheval : il faut
activer le concept lexical approprié au dessin, avant de
sélectionner le mot (le lemme) dans le lexical mental,
l’encoder phonologiquement (récupérer le lexème) et
phonétiquement, pour enfin commencer l’articulation.
A la reconnaissance visuelle s’enchaîne la récupération du concept lexical, l’adressage
conceptuel de l’information lexicale motive la sélection lexicale, une série d’unités
dont les concepts sont proches peut être activée. Au locuteur de choisir l’item dont les
traits sémantiques correspondent à l’information véhiculée par l’image. Ainsi, les
items « la barrière », « la grille », « la balustrade », « la barricade », « l’obstacle » ou
même « la porte » ont été mobilisés, ils possèdent une certaine similitude
171
fonctionnelle, sinon visuelle.
L’approche pédagogique dans l’enseignement du vocabulaire, en tant qu’« entrée »
(input) spécifique, pourrait influencer l’acquisition du lexique. En classe de langue, ce
que les supports exposent et les enseignants transmettent aux apprenants, c’est le sens
de l’unité lexicale traduit en chinois, sans que les propriétés sémantiques coïncident
totalement à celles du terme en français. Si l’enseignant n’intervient pas pour éclaircir
les champs sémantiques d’un item donné, les apprenants prendraient des termes dont
la traduction est identique en LM comme synonyme sans distinction, c’est la raison
pour laquelle « la grille » et « la barrière », censées renvoyer à la même image
conceptuelle en chinois, ont été mobilisées (voir VI. 1.2).
Au stade intermédiaire, le problème ne réside plus dans l’accessibilité lexicale, mais
se situe plutôt au niveau du traitement sémantique. Lorsque plus d’un candidat lexical
existe dans le stockage mental, correspondant à la même image conceptuelle, il en
résulte une concurrence des items, d’où une possibilité de ralentissement de la
production orale, ou éventuellement le recours à un terme erroné, comme la
concurrence entre « la barrière » et « la grille ». Or, ce n’est pas le cas pour les items
« la balustrade », « l’obstacle » ou « la barricade », mobilisés lorsque les locuteurs,
incapables d’activer le mot approprié, ont choisi de cibler le trait fonctionnel du
message à transmettre avec les items susceptibles d’assurer cette tâche.
VII.1.3
Résumé et hypothèse à tester avec les récits La Grenouille
La confrontation des données recueillies à deux stades différents d’apprentissage
permet de dégager des tendances de l’évolution acquisitionnelle, et conduit à des
hypothèses qui seront à étayer avec les corpus de La Grenouille.
Les apprenants adultes, dotés d’un système cognitif déjà mature, sont conscients de la
fonction du cadre spatial dans la narration orale, et choisissent ainsi de l’introduire dès
le début du récit, tout en fournissant une description plus élaborée et détaillée au long
de l’acquisition. Avec les moyens linguistiques, la concurrence entre les entités à
mettre en scène, et l’agencement des fonds constituent les trois facteurs qui influent
172
sur la création du cadre spatial.
Du point de vue discursif, la maturité cognitive fait que les Chinois apprenant le
français marquent très systématiquement la nouvelle information avec des formes
appropriées dans l’installation du cadre spatial, et cela, dès le premier niveau de
compétence linguistique. Le moment de l’introduction de l’entité nouvelle et la façon
de préparer l’arrière-plan affectent l’indication du marquage.
Hypothèse 1
Le répertoire lexical s’élargit au fur et à mesure du développement des ressources
langagières, ce qui ne facilite pas nécessairement la récupération de l’item approprié,
surtout quand les locuteurs n’arrivent pas à acquérir la différenciation des champs
sémantiques des items en concurrence. Nous pourrions ainsi anticiper qu’au stade
avancé, les apprenants disposeraient de davantage de moyens linguistiques, sans
savoir activer ou choisir tout le temps l’item approprié, et cela ne se limiterait pas
qu’à la production des mots isolés, et pourrait aborder aussi la désignation du procès.
VII.2.
Les événements spatiaux
Une fois le cadre spatial mis en place, s’y déroulent les événements spatiaux que les
locuteurs considèrent comme nécessaires pour construire un récit cohésif.
VII.2.1
L’organisation des événements
Les deux figures suivantes montrent la fréquence de tous les événements spatiaux
recensés dans les deux récits.
Figure VII-3 ( Fréquence des événements spatiaux dans Le Chat et Le Cheval)
173
Le Chat
25
20
15
Le Chat
10
5
0
cadre spatial
oiseau→
chat ←
chat ↑
chien ←
chat ↑chien
chien →chat →
oiseau←
16
22
14
21
9
9
17
20
Le Chat
Le Cheval
20
15
Le Cheval
10
5
0
cadre spatial
saut
chute
secours
21
17
18
11
Le Cheval
Une lecture attentive des deux figures laisse voir que les événements spatiaux
mentionnés par au moins la moitié des locuteurs (donc plus de 11 apprenants) sont des
éléments indispensables à la cohésion de la trame : dans Le Chat, seules l’apparition
et l’intervention du chien sont relativement laissées de côté (9 occ. respectivement),
l’omission de l’information spatiale étant compensée par les présuppositions sur la
relation entre le chien et le chat (voir V. 3) ; et dans Le Cheval, ce sont les secours de
l’oiseau et de la vache (11 occ.), souvent synthétisés en « aide conjointe », qui
reçoivent moins de précision du point de vue spatial (voir VI. 3). Les événements les
moins relatés s’avèrent donc moins importants par rapport à la trame. Autrement dit,
les apprenants ont choisi d’expliciter l’information spatiale pour les événements qu’ils
jugent plus saillants par rapport à la trame. Quant aux événements moins importants,
ils ont recouru à une solution plus économique, souvent en s’appuyant sur les
connaissances universelles, dont le manque de la référence spatiale n’affecte point la
cohésion du récit.
174
Visiblement, le premier récit fait intervenir deux fois plus d’événements que le second
(Le Chat vs Le Cheval : 8 vs 4), mais la fréquence ne s’avère pourtant pas pour autant
moins importante, car la proportion des événements listés est quasiment au même
niveau : 72,7% 98 au stade initial contre 76,1% 99 au stade intermédiaire. Les
apprenants adultes, malgré le peu de ressources linguistiques à leur disposition, font
preuve d’une organisation discursive efficace dès la phase initiale de l’acquisition, la
complexité apparente de la tâche et les moyens linguistiques ne constituent pas de
vrais obstacles pour nos locuteurs.
Les apprenants, qui sont déjà adultes lors de la collecte de données, ont déjà acquis les
principes pragmatiques à travers la LM : ils savent communiquer et peuvent former
des hypothèses sur ce que l’interlocuteur sait ou ne sait pas, et ils sont conscients des
éléments indispensables à un discours cohésif. Cette maturité du système cognitif
conduit nos apprenants, malgré les contraintes des moyens linguistiques, à procéder à
une sélection conceptuelle à deux niveaux : d’abord, dans l’installation du cadre
spatial, quelle(s) entité(s) sont à introduire afin de localiser les protagonistes et les
événements à rapporter ; ensuite dans l’agencement des événements : ceux à expliciter
prioritairement et ceux à mettre au second plan. Confrontés à une situation
communicative, les apprenants adultes entament automatiquement cette procédure, et
cela dès le premier niveau de compétence, les moyens linguistiques à disposition
interviennent plutôt au niveau phrastique et grammatical.
VII.2.2
L’empaquetage de l’information spatiale dans les déplacements
Le décodage des informations spatiales comprend les verbes, les prépositions et les
groupes nominaux. Nous nous focalisons plutôt sur les prédicats et les prépositions
spatiales qui contribuent à la représentation de l’espace dans les déplacements.
VII.2.2.1
Types de prédicats pour référer à l’espace
« Les moyens linguistiques semblent imposer au locuteur d’expliciter certaines
98
99
Le nombre des événements réellement relatés (128) / 8 événements X 22 = 72,7%
Le nombre des événements réellement relatés (67) / 4 événements X 22 = 76,1%
175
informations et d’en laisser d’autres implicites » (Hendriks, 1998 : 154). c’est pour
cela que nous allons, dans cette partie, faire l’inventaire des différents types
d’information spatiale empaquetés dans les prédicats, afin de mettre au clair
l’attention prêtée à différentes informations chez les apprenants. Pour parvenir à cette
analyse, tous les prédicats qui réfèrent intrinsèquement à l’espace ont été codés en
indiquant pour chacun s’il encodait manière (MAN), trajectoire (TRA), deixis (DX),
destination (DES), STA (statique) ou cause (CAU), séparément, ou en combinaison
(MAN+TRA, MAN+DX, TRA+DX, etc.). On appellera « prédicats simples » les
prédicats qui n’expriment qu’un seul type d’information spatiale, et « prédicats
complexes », ceux qui expriment une combinaison d’informations. Les prédicats et
les informations encodées pourraient se résumer comme suit :
Tableau VII-3 ( Prédicats et les informations véhiculées)
Information(s) encodée(s)
Abréviation
Prédicats
Trajectoire
TRA
Manière
MAN
Trajectoire + deixis
Trajectoire + trajectoire
Manière + trajectoire
Cause + trajectoire
TRA + DX
TRA+TRA
MAN +TRA
CAU + TRA
Cause + deixis
CAU +DX
Destination + deixis
DES+DX
monter, partir, quitter, passer,
s’approcher, se diriger vers,
sortir, suivre, tomber, traverser
courir, marcher, sauter, se
promener
revenir
rentrer, retourner
enjamber, s’envoler, franchir
faire tomber, laisser tomber
emmener, emporter, apporter,
amener
arriver + aller
Pour effectuer nos analyses quantitatives et rendre possibles des comparaisons, les
prédicats sont notés sous forme d’infinitif, et nous avons rendu compte de
l’empaquetage d’informations impliquées dans tous les événements spatiaux des deux
récits, sauf l’installation du cadre spatial, avec la fréquence de la mention de fond
(mise entre parenthèses) pour chaque événement.
Tableau VII-4 ( Encodage d’informations spatiales : Le Chat)
TRA
Oiseau→
chat←
chat↑
chien←
Chat↓
Chien→chat
15 (5)
2 (1)
18 (15)
1 (1)
3 (2)
8 (3)
Oiseau←
%
41,96
176
DX
5 (1)
6 (1)
2 (2)
5
TRA+TRA
MAN
STA
1 (1)
2 (2)
1 (1)
13 (4)
11,61
6,25
2 (2)
CAU+TRA
6,25
6 (3)
1
1
6,25
3
MAN+TRA
3 (3)
DES+CAU+DX
1 (1)
1
TRA+DX+CAU
Fond
16,96
5 (2)
3 (3)
TRA+DX
1
8
7
18
3
5
8
3,57
2,68
1
2,68
2
1,79
4
47,3
Tableau VII - 5 ( Encodage d’informations spatiales : Le Cheval)
TRA
cheval ∩
chute↓
4 (4)
16 (12)
CAU+DX
secours
%
43,48
9
19,56
MAN
7 (7)
15,22
MAN+TRA
6 (5)
13,04
CAU+TRA
2 (1)
DX
Fond
4,35
2
16
13
4,35
63,04
La lecture des deux tableaux permet de constater plusieurs tendances :
i) Dans la désignation des procès, nos apprenants chinois prêtent avant tout l’attention
à la trajectoire, qui, de l’ordre de 40% du total, dépasse de loin les autres informations,
sans compter celle comprise dans la combinaison (TRA+TRA, CAU+TRA, TRA+DX,
MAN+TRA, TRA+DX+CAU).
ii) Vient ensuite la deixis, véhiculée surtout par les prédicats simples dans Le Chat,
encodée par la combinaison plutôt dans Le Cheval.
iii) L’information de la manière tend à attirer plus d’attention : si au stade initial, les
verbes de manière sont moins mobilisés étant donné les moyens linguistiques
restreints, au stade intermédiaire, ils ont connu une croissance pour atteindre jusqu’à
28% (y compris l’empaquetage de double information MAN+TRA) .
iv) L’empaquetage de double information, déjà existant à la 1ère collecte, concentré
surtout dans le retour de l’oiseau, représenté par la double trajectoire (des prédicats du
type rentrer, retourner), a enregistré une augmentation quantitative à la 2e collecte,
177
répartis dans les trois événements décrits.
v) La mention du fond a connu une nette hausse (47,3% contre 63,04%), ce qui
pourrait refléter le fait que les apprenants cherchent à expliciter, dans chaque
événement, non seulement l’information du mouvement, mais aussi le point de
repérage pour mieux situer le protagoniste dans le cadre spatial précédemment établi.
Le degré d’explicitation du fond reflète une meilleure organisation de l’information
spatiale au stade intermédiaire.
VII.2.2.2
-
Remarques et hypothèses relatives aux prédicats
De double prédicat à prédicat complexe
Nous notons que la proportion de la désignation incarnant plus d’un type
d’information manifeste non seulement une augmentation quantitative, mais aussi une
variation : au stade initial, l’information spatiale est répartie dans plus d’une
proposition, incarnée par deux verbes différents, par exemple, dans la sortie de la
scène des deux intrus, les combinaisons courir+suivre, sortir+courir, partir+courir
ont été mobilisées pour décrire en même temps la manière et la trajectoire, ou
l’expression faire quitter en vue d’insister sur la cause et la trajectoire. Au stade
intermédiaire, la stratégie semble changer, car les apprenants ont choisi plutôt un
« prédicat complexe » exprimant différents types d’informations, tel que apporter
(dans l’événement sur les secours), enjamber, franchir, s’envoler (dans le saut du
cheval), sauf dans la chute du cheval, où le recours à un double prédicat semble une
solution incontournable (faire tomber et tomber en traversant).
Cette tendance à exprimer conjointement plusieurs types d’informations dans le
procès, soit à travers la combinaison d’un double prédicat ou par le biais d’un prédicat
complexe, reflète une plus grande disponibilité de moyens linguistiques, mais
ressemble aussi à la désignation du procès en chinois, où la construction verbale
sérielle est porteuse de différentes informations : la trajectoire, la manière, la deixis,
etc.
178
Hypothèse 2 : au long de l’apprentissage de français, les apprenants, avec une
meilleure maîtrise de la L2, poursuivraient cette tendance à concrétiser l’information
spatiale, et la formulation approcherait davantage de celle en LM plutôt que de celle
en LE.
-
Verbes cognitifs-modaux
L’inventaire ci-dessus est réalisé sur la base des prédicats relatifs à l’espace, nous
avons constaté que dans certains événements, ces prédicats sont souvent introduits par
des verbes cognitifs-modaux, surtout dans Le Cheval, pour exprimer l’état mental du
cheval en vue d’effectuer le saut par-dessus de la barrière (voir VI.2.1.2). Cette
préférence pour l’acte psychologique qui renvoie indirectement à l’acte factuel,
semble refléter l’habitude de l’expression en chinois dans le même récit 100 . En
quelque sorte, les apprenants chinois ont « calqué » en français leur conceptualisation
en chinois, en interprétant une action dont le résultat n’a pas réalisé le but prévu
comme une volonté (décider, vouloir) ou une tentative (essayer, s’efforcer).
Hypothèse 3 : nous nous attendrions à une présence générale des verbes
cognitifs-modaux dans les données recueillies au stade avancé, où l’enrichissement
des moyens linguistiques permettrait aux locuteurs de s’intéresser aussi à l’état mental
des protagonistes, au-delà des actes factuels.
VII.2.3 Les prépositions spatiales
Dans l’expression de la relation de localisation statique, les prépositions utilisées
rendent compte de position fixe entre des entités, objets ou lieux, et elles peuvent
aussi décrire le déplacement d’un objet de nature mobile par rapport à une entité fixe
(un lieu) ou mobile (un autre objet qui lui-même peut être en déplacement).
VII.2.3.1
« dans » vs « sur »
Une concurrence entre dans et sur est constatée dans les deux récits : pour localiser
l’oiseau/nid par rapport à l’arbre, ou le cheval au pré, et pour décrire les déplacements
100
Constatation de la recherche de Hendriks (1998 : 170).
179
de hauteur, comme la montée du chat et le saut du cheval. Les différentes façons de
percevoir la relation spatiale incarnée par « dans » et « sur » chez les Français et les
Chinois seraient à l’origine de cette concurrence récurrente.
En chinois, le locatif 上-shàng exprime la relation spatiale « sur ». Il s’agit d’un
idéogramme dont l’évolution de l’écriture est illustrée par l’image ci-dessus (Li,
1993), suivie de l’interprétation du sens figuré par la graphie.
Si l’idéogramme initial composé de deux traits décrivait seulement les rapports
spatiaux horizontaux entre la cible et le site, l’écriture finale 上 englobe aussi la
relation spatiale sur l’axe vertical. Ainsi, quand la cible présente la caractéristique de
position « supérieur » vis-à-vis du site, elle peut être qualifiée de 上, que l’axe de
perspective soit horizontal ou vertical.
i) 书
在
床
上。
shū
zài
chuáng shàng
livre – (être) à – lit – sur
« Le livre est sur le lit. »
ii) 飞机 从
桥
上 飞过。
fēijī cóng qiáo shàng fēiguò
avion – de – pont – sur – voler traverser
« L’avion vole au-dessus du pont. »
180
iii) 墙
上
有
钉子。
qiáng shàng yǒu dīngzi
mur – sur – avoir – clou
« Il y a un(des) clou(s) au mur. »
iv) 他们 坐
在
公车
上。
tāmén zuò
zài
gōngchē shàng
ils – assis – (être) à – autobus – sur
« Ils sont assis dans l’autobus. »
En fonction des contextes, les traits sémantiques du locatif 上-shàng s’avèrent
beaucoup plus riches que la préposition « sur » : il incarne souvent la caractéristique
« sur » (i), quelquefois celle de «au-dessus » où la cible n’entre pas en contact direct
avec le site (ii) ; ainsi que « à » (iii) quand le site
se situe à l’axe vertical, et même des fois celle de
« dans » (iv). On peut ainsi dire que « sur » ne
constitue qu’une signification prototypique ou
canonique de 上-shàng , et l’utilisation du locatif
dans un contexte particulier la dévie plus ou moins de ce prototype. Les
caractéristiques du locatif 上-shàng pourraient se résumer comme la figure ci-dessus.
Plus les sites sont faciles à identifier, plus évident s’avère le choix de la préposition.
Pour le site à trois dimensions du point de vue topologique (maison, grotte ou forêt),
les Chinois partagent la même conceptualisation que les Français en qualifiant 里-lǐ
« dans » pour la cible incluse.
屋子
里
wūzi
lǐ
maison – dans
« dans la maison »
山洞
里
shāndòng lǐ
grotte – dans
« dans la grotte »
森林 里
sēnlín lǐ
forêt – dans
« dans la forêt »
Lorsque le site est susceptible de représenter
des caractéristiques de deux dimensions ou
trois dimensions à la fois, les choix entre 上
-shàng (« sur ») et 里-lǐ (« dans »), dépendant
de la situation de la cible, sont possibles.
Prenons « le lac » comme exemple, c’est un
181
site qui peut être considéré comme un support si l’on se focalise sur la surface, pour le
cygne qui y nage, mais dans la plupart des cas, le lac, qui dispose d’une certaine
profondeur, est plutôt un contenant, comme pour le poisson.
En fait, en chinois, on dit :
湖 上
有 一只
天鹅。
hú shàng yǒu yì zhī tiān’é
lac – sur – avoir – un – cygne
« Il y a un cygne dans le lac. »
湖
里
有
一条 鱼。
hú
lǐ
yǒu yì tiáo yú
lac – dans – avoir – un – poisson
« Il y a un poisson dans le lac. »
Quant à l’image ci-contre, les Chinois vont
plutôt situer les maisons 在山上(zài-shān-shàng :
être à –montagne – sur), parce qu’elles sont
visibles sur le flanc des montagnes, alors que
l’image renvoyant aux « maisons dans la
montagne » suppose que celles-là sont situées au
fin fond de la montagne, sous-entendant qu’elles ne se figurent pas sur l’image.
Il est à noter que 上-shàng assume en même temps la fonction du verbe monter,
s’élever, suivi directement le fond concerné.
Par exemple :
上
车
shàng chē
monter – voiture
« monter dans l’autobus »
上
山
shàng
shān
monter – montagne
« monter dans la montagne »
上
三
楼
shàng
sān
lóu
monter – trois – étage
« monter au 2e étage »
En ce qui concerne l’image ci-contre qui implique
deux relations spatiales, soit la localisation statique
de la maisonnette par rapport à l’arbre, et la montée
envisageable du garçon situé en bas, comment les
Chinois expriment-ils en LM ? Etant donné la
position supérieure, soit par rapport au sol, soit
vis-à-vis des branches, la maisonnette est située
182
sûrement 上-shàng (sur) l’arbre aux yeux des Chinois, d’autant plus que ce dernier est
visible. L’enseignant, anticipant cette conceptualisation qui pourrait conduire les
apprenants à employer « sur », insiste sur le fait que chez les Français, la cabane est
localisée dans un contenant tridimensionnel formé de branches et de feuillage, ainsi, il
faut dire « dans l’arbre », au lieu de « sur ». A travers cette démarche pédagogique
intentionnelle visant à éviter la production de « sur l’arbre », la production des
apprenants est orientée avec succès vers « dans l’arbre », en effet, nous avons
enregistré 10 occurrences de « dans l’arbre » pour marquer la localisation statique des
oiseaux ou du nid.
Quant au déplacement ascendant, en chinois, on s’exprime comme :
上
树
shàng
shù
monter – arbre
« monter à (dans) l’arbre »
Pour décrire le même déplacement en français LE, une double question se pose :
faut-il mettre une préposition après monter qui exprime déjà le mouvement de 上
-shàng ? Si oui, comment déterminer la relation entre l’arbre et le garçon qui effectue
le mouvement ? Et là on revient à la question du rapport entre l’arbre et le référent
animé.
Le trait sémantique de mouvement contenu par 上-shàng serait à l’origine de la
présence de 5 occurrences où le prédicat monter est enchaîné directement avec le fond
« arbre » dans la montée du chat (voir V.1.2.1), désignation influencée par la
lexicalisation en L1, car il s’agit d’une traduction mot à mot de 上树 (monter –
arbre).
L’enseignant, capable d’anticiper d’autres expressions «inappropriées » à cause de
l’impact de L1 chez les apprenants, impose souvent des expressions/tournures toutes
faites en L2, tel est le cas dans la désignation du déplacement descendant (la chute du
chat et celle du cheval), où la précision du point d’arrivée « sur (la) terre » (2 occ.
dans Le Chat, 3 occ. dans Le Cheval) traduit l’impact du chinois 摔(落)到地上
-shuāi (luò) dào dì shàng (tomber/chuter-sur-terre), et celle de « par terre » reflète
183
l’intervention pédagogique pour éviter toute expression issue d’une traduction littérale
de la LM (10 occ. pour la chute du cheval).
Hypothèse 4
Les différents traits sémantiques de 上-shàng, renvoient à des relations spatiales
variées, couvrant largement les champs sémantique de la préposition « sur », d’où un
choix difficile lors de la description en contexte. Plus la perception de l’espace
coïncide chez les Français et les Chinois, plus facile est l’expression de la référence
spatiale. Même à un niveau très avancé, perdurerait ce genre de confusion de
prépositions spatiales, car la conceptualisation de l’espace forgée en LM reste vivace.
Par ailleurs, nous pourrions détecter davantage de traces de l’intervention de
l’enseignement dans les productions du récit La Grenouille, qui fait intervenir plus
d’événements spatiaux, localisations et déplacements tout compris, laquelle
n’amènerait pas forcément les apprenants à s’approcher de l’expression des
francophones.
VII.2.3.2
A travers
Dans la désignation du saut du cheval par rapport à la barrière, nous avons remarqué
un phénomène assez curieux, il s’agit de l’utilisation de la locution prépositionnelle à
travers ( 2 occ., voir VI 2.1), qui décrit, comme l’interprétation indiquée dans le
dictionnaire, un déplacement soit « d’un endroit à l’autre d’un espace, une étendue ou
un lieu » (i), soit au milieu (ii) ou de part en part (iii) d’un obstacle formé d’« un
ensemble de personnes ou de choses», ou d’« un corps ou milieu intermédiaire » (iv),
même « entre les espaces vides d’un corps ou d’un objet » (v). Pour résumer, à
travers dessine une trajectoire transversale d’un côté à l’autre d’un site, laquelle fait
penser, dans notre récit, au lieu d’un parcours de courbe par-dessus de la barrière, à un
mouvement horizontal causant le choc du cheval. (avec plus ou moins franchissement
de frontière)
i) Elle a voyagé à travers le monde.
ii) Il s’est frayé un chemin à travers la foule.
184
iii) Elle regarde à travers une vitre.
iv) La balle lui est passée à travers la cuisse.
v) Le poisson est passé à travers les mailles du filet.
Le déplacement en hauteur dissimulé à cause de l’emploi de la locution
prépositionnelle à travers est plutôt dû à l’impact de l’expression en LM, où on se sert
de l’item 过-guò, pour renvoyer à un parcours d’un côté à l’autre, en hauteur (a) ou
transversal (b).
a) 穿
过
跑
过
chuān
guò
pǎo
guò
pénétrer – traverser courir – traverser
« avoir traversé »
« traverser en courant »
b) 跃
过
跳
过
yuè
guò
tiào
guò
franchir – traverser
sauter – traverser
« avoir franchi »
« traverser en sautant »
过-guò, peut être traduit comme « à travers » ou « traverser » en français. Au stade
intermédiaire, le gérondif n’est pas à la disposition des apprenants pour englober deux
prédicats dans le même énoncé, ainsi, la locution prépositionnelle « à travers » se
présente comme un choix idéal, puisqu’en véhiculant le parcours de 过-guò, elle
permet de combiner la manière au déplacement, d’où l’expression chez Alix et Lydie,
ce qui correspond bien à la désignation en LM, dont la construction verbale sérielle
encode à la fois la manière et la trajectoire, sauf le fait que le mouvement en hauteur
est effacé.
(Alix)
2c.
2d.
(Lydie)
2b.
2c.
et donc il euh il [so] + il [es] euh il essaie de
court euh [tra] à travers l’obstacle
+++++++ alors euh +++ le cheval + va euh courir à travers euh + les + [ɔbskyr] de
de la ferme
donc euh il +++ il a + tombé euh en [tra] à travers euh les [ɔbskyl]
Pourtant, en chinois, la manière n’est pas tout le temps nécessaire pour marquer un
déplacement, 过-guò tout seul peut aussi décrire la trajectoire.
过
河
guò
hé
traverser – rivière
« traverser la rivière »
过
马路
guò
mǎlù
traverser – rue
« traverser la rue »
185
C’est pour cela que nous avons relevé aussi chez Sophie, le recours au verbe traverser
pour la trajectoire du cheval.
(Sophie) il [travεr] euh il traverse le euh grille
Hypothèse 5
Des difficultés se manifestent dans l’expression des déplacements, tels que le
franchissement d’un obstacle par le haut, et cela, dû à l’impact de la lexicalisation du
procès en LM, laquelle pourrait conduire à une concurrence entre manière et
trajectoire. Même à un niveau très avancé, ce genre de problème existerait et
marquerait la différence de la formulation entre les apprenants et les natifs.
186
Chapitre VIII
Frog, where are you ?
VIII.1. Les événements spatiaux impliqués
VIII.2.
Localisation - trame
VIII.2.1
Localisation dynamique : recherche dans la maison
VIII.2.2
Localisation statique
VIII.3. Déplacements – trame
VIII.3.1
Trajectoire avec franchissement de frontière
VIII.3.2
Trajectoire directionnelle - trame
VIII.3.3
Trajets entre deux lieux de référence - trame
VIII.4. Evénements événements secondaires
VIII.4.1
Localisation
VIII.4.2
Déplacements
VIII.4.3
Placement
VIII.5. L’organisation des événements
VIII.5.1
La différenciation des représentations des événements trame
VIII.5.2
Les événements spatiaux secondaires
VIII.6. Constatations de la comparaison longitudinale
187
VIII.1.
Les événements spatiaux impliqués
Si les récits Le Chat et Le Cheval se déroulent dans un cadre spatial déterminé,
précisément autour de l’arbre et dans le pré, La Grenouille se caractérise par le
changement de lieux (maison – forêt – étang) tout au long de la recherche de la
grenouille, et par la rencontre de différents animaux (taupe, hibou et cerf) durant
l’aventure du garçon, ce qui engendre toute une série de déplacements, et des
localisations, statique ou dynamique. Dans le présent chapitre, nous allons procéder à
un dépouillement de la description des événements spatiaux issus des productions
spontanées La Grenouille, recueillies à différentes phases d’acquisition chez les
mêmes apprenants. Les comparaisons longitudinales à l’issue de cet examen détaillé
permettraient non seulement d’illustrer la capacité à représenter la relation spatiale en
tenant compte de l’événement à interpréter et les moyens linguistiques disponibles,
mais aussi d’observer l’écart de formulation entre la langue cible et les productions
orales des apprenants.
Pour parvenir à ces comparaisons, nous distinguons dans le récit La Grenouille, selon
l’ordre des images, les événements spatiaux impliqués comme suit :
Tableau VIII - 1 (Evénements spatiaux impliqués : La Grenouille)
Evénement spatial – trame
Image 1
1’. la grenouille placée dans le bocal
Images 2-3
1. la fuite de la grenouille
Images 4-5
2. la recherche dans la maison
Images 6-7
3. le déplacement de la maison à la forêt
Image 9
4. la localisation du trou
Image 10
5. l’apparition de la taupe
Image 12
Images 13-14
Images 15-16
Image 17
2’. la tête du chien coincée dans le bocal
3’. la chute du chien
Images 8
Image 11
Evénement spatial secondaire
6. la localisation du trou d’arbre
7. la montée du garçon dans l’arbre
8. l’apparition du hibou
9. la chute du garçon de l’arbre
4’. la localisation du nid de guêpes
5’. la chute du nid
6’. la poursuite du chien par les guêpes
10. la montée du garçon sur le rocher
11. le déplacement du garçon sur le cerf du rocher
au précipice
12. la chute du garçon dans la mare
188
Images 18-23
13. la retrouvaille de la grenouille
Image 24
14. le retour du garçon
Tout événement directement lié à la recherche de la grenouille est considéré comme
événement spatial-trame (numérotés en chiffres), donc ceux relatifs au protagoniste le
garçon mais aussi celui de la fuite de la grenouille, car la disparition de cette dernière
constitue l’événement déclencheur du récit.
Nous pouvons classer les événements spatiaux - trame en deux catégories :
z
z
Localisation :
-
Dynamique : 2
-
Statique : 4, 6, 13
Déplacements :
-
Avec franchissement de bornes : 1, 5, 8
-
Directions : ascendante : 7, 10
descendante : 9, 12
-
Trajets entre deux lieux de référence: 3, 11, 14
Le reste des événements portant sur la grenouille et le chien est qualifié, par rapport à
la trame, d’événements spatiaux secondaires (numérotés par l’apostrophe « ‘ »), que
nous classons en trois catégories :
z
Localisation : 4’
z
Déplacement
z
-
direction descendante : 3’, 5’
-
sans franchissement de bornes : 6’
Placement : 1’, 2’
Les analyses en comparaison longitudinale qui suivent visent à rendre compte des
solutions des apprenants pour les événements spatiaux (trame et secondaires) à
différents stades d’apprentissage. Le dépouillement minutieux pourrait mieux illustrer
l’évolution de la compétence des apprenants et dévoiler les problèmes qui méritent
l’attention. Pour cela, chaque fois, nous allons faire le bilan des solutions des
apprenants, avant de les confronter avec celles de natifs français, ou le cas échéant,
avec celles des témoins chinois pour essayer de trouver l’origine des phénomènes
189
récurrents.
VIII.2.
Localisation – trame
VIII.2.1
Localisation dynamique : la recherche dans la maison (2)
Les recherches de la grenouille, effectuées par le garçon dans la maison (chambre),
n’impliquent pas le changement de lieu, il s’agit ainsi d’une localisation dynamique.
C’est un procès de haute fréquence, surtout au
Localisation dynamique
22
20
21
niveau intermédiaire, où tous les locuteurs chinois
18
15
l’ont abordé. La formulation du procès comprend
10
5
deux
0
1ère
VIII.2.1.1
2e
3e
éléments :
les
prédicats
renvoyant
aux
mouvements de la recherche, et la relation spatiale.
Représentation spatiale
Les sujets, chinois et français confondus, ont recouru à 5 types de structures dans la
désignation du procès, lesquelles fournissent de façon croissante l’information
spatiale.
i)
V+Ø
A part les prédicats, aucune information spatiale n’est exprimée.
1ère (Quinaut)
ii)
euh elle elle va la chercher elle va la chercher
euh + mais euh mais elle elle n’est mais il ne la pas il ne la trouvait il ne
la trouve pas
V+adv.
Les sujets se servent de « partout », adverbe de lieu ou des locutions adverbiales telles
que « en tous lieux », « dans tous les coins », pour localiser d’une manière très vague
le mouvement de recherche. Dans cette formulation, les actions successives de
recherche aux divers lieux d’un même espace sont manifestées entre autre par la
répétition du verbe chercher.
1ère (Delphine)
1ère (Claire)
iii)
euh il [∫εr] euh il cherche il cherche partout
+ François et Jonas [∫ə] euh cherchent François et Jonas cherchent euh la
petite grenouille en tous lieux
V+[fond]
190
Les sujets précisent le fond : maison ou chambre.
1ère (Mélanie)
iv)
et il a cherché la grenouille dans sa maison
V+adv.+ [fond]
Les locutions adverbiales permettent d’englober les différents endroits dans le cadre
de référence qui est la maison/chambre. Il s’agit d’une structure économe et efficace,
sans entrer dans les détails.
1ère (Louise)
2e (Léon)
euh il il [∫ə] il cherche il cherche euh il cherche partout dans la dans la
chambre
il cherche il cherche dans tous les coins de la chambre
v) V + détails
Les sujets mentionnent au moins un lieu de repère illustré par les images, autre que la
maison/chambre: bottes, lit ou tabouret.
Tableau VIII - 2 (Localisation dynamique – trame : 2)
Constructions
1ère collecte
2e collecte
3e collecte
Natifs
Ø
4
1
1
2
i.) V
1
1
0
ii.) V+adv
6
6
3
iii.) V+[fond]
8
2
2
iv.) V+adv.+[fond]
2
6
10
v.) V+détails
1
6
6
9
La lecture du tableau 2 qui rend compte des structures relevées laisse voir d’un côté la
solution quasi uniforme des natifs (v.), et de l’autre, malgré la diversité d’expressions
à chaque phase, une tendance chez les apprenants à concrétiser l’information spatiale
aux stades intermédiaire et avancé, confirmée d’un côté par la fréquence croissante de
la structure (iv.), de l’autre, par le nombre des sujets qui ont recouru à une description
détaillée (v.).
VIII.2.1.2
Une description plus détaillée
Aux stades intermédiaire et avancé, 6 apprenants ont concrétisé les recherches (vs 1
occ. au stade initial).
z
1ère collecte
191
Cécile est la seule à fournir des détails, et cela, à travers une liste d’endroits.
1ère (Cécile)
z
Fili cherche la maison euh le lit et les bottes euh et la bouteille
2e collecte
En plus du fond (chambre/maison), 4 étudiants ont explicité la recherche « dans la
botte ».
2e (Louise)
il la cherche partout dans sa chambre même dans sa botte
Cécile, comme à la 1ère collecte, a abordé différents endroits en variant la relation
spatiale (au fond, au-dessous, au-dessus).
2e (Cécile)
il cherchait partout dans la chambre
au fond des bottes rien
au-dessous + de la chaise rien
au-dessus du lit rien
Et Océane, a explicité l’action de chercher à travers les conséquences renverser la
chaise et la botte.
2e (Océane)
z
donc Pascal se met à chercher la grenouille
il a renversé sa petite chaise
et il a aussi euh renversé euh sa [but]-botte
3e collecte
4 étudiants ont mentionné en plus de « la botte », au moins un autre endroit.
3e (Louise)
ils le cherchent partout dans la chambre dans le chapeau euh dans son
botte
Comme Cécile, qui a toujours accordé une attention fine aux différents lieux de la
recherche (au-dessous, au fond), Claire a aussi varié la relation spatiale (sous, dans).
3e (Cécile)
ils ont fouillé toute la maison
++ euh au-dessous du lit mais mais il n’y a rien
peut-être au fond de des bottes mais il n’y a plus rien
(Claire)
ils ils fouilles partout sur sous le chapeau dans les bottes sous le lit
partout
mais ils n’arrivent pas à trouver Pascal
z
Natifs
La formulation des natifs, qui ont tous abordé l’événement, s’avère bien convergente :
2 ont interprété l’image où le garçon tient la botte comme l’action de mettre les
192
chaussures pour la sortie (GIL et VER), donc l’activité de la recherche du garçon est
absente, et d’autres ont recouru à la structure (v) pour préciser différents lieux (NIC et
STE par exemple) : bottes (8 occ.), lit (4 occ.), tabouret (2 occ.), vêtement (1 occ.) et
couverture (1 occ.), chaussons (1 occ.).
GIL
VER
NIC
8a.
7b.
6a.
6b.
6c.
6d.
6.
7.
8.
9a.
9b.
STE
z
il va mettre ses bottes
il enfile ses grandes bottes,
ils cherchent partout,
[ils cherchent] dans les bottes
[ils cherchent] sous le lit
[ils cherchent] partout
elle n’est pas non plus dans les bottes
elle n’est pas sous le tabouret
elle est, pas non plus dans les chaussons
euh ils cherchent partout de fond en comble
ils retournent <la> [/] la chambre
Constatations
Malgré une tendance à varier l’information spatiale dans le procès de la recherche
dans la chambre, par le biais d’une concrétisation de points de repères concernés et
d’une diversification des rapports spatiaux, la description détaillée n’est activée que
par un nombre restreint des apprenants, à la différence des natifs qui tendent toujours
à établir l’arrière-plan de la recherche (la maison ou la chambre), et à expliciter les
divers lieux impliqués. Dans cet événement de localisation dynamique, les apprenants
chinois préfèrent une description synthétique (structures ii, iii et iv), alors que les
natifs optent pour une interprétation détaillée et concrète.
VIII.2.1.3
Confusion entre chercher et trouver
Nous avons remarqué une confusion entre les prédicats chercher et trouver, qui existe
à toute étape d’acquisition.
1ère (Marie)
2e (Lydie)
3e (Delphine)
euh euh d’abord le garçon euh le garçon [tru] [tru] [tru] trouve dans dans
sa sa dans sa chambre
mais il ne il n’est la il n’est la trouve pas
il a cherché Dodo tout dans la maison
mais il ne peut pas le chercher.
euh Xiaoming est deçu et euh nerveux
et trouve euh la grenouille partout euh dans [∫os] euh dans son chaussure
193
(Sylvie)
euh la bouteille
ils euh ils le trouvent partout dans la maison
mais ils ne mais ils n’arrivent pas à le trouver
Comment expliquer l’interférence des deux verbes qui ne partagent pas de
caractéristiques phonologiques ? Les traits sémantiques du couple chercher/trouver,
étroitement liés, sont pourtant faciles à distinguer : trouver indique le résultat de
‘réussir à obtenir ce que l’on cherchait’.
La lexicalisation de ces deux verbes en chinois pourrait éclaircir ce phénomène.
chercher : 找 zhǎo : chercher
trouver : 找到 zhǎo-dào : chercher - arriver
到 -dào ‘arriver’ ,très fréquent en chinois, est un verbe grammaticalisé en
complément résultatif101. Comme son nom l’indique, c’est une particule qui vise à
expliciter le résultat d’une action, dans notre cas, celle de chercher.
Il en est de même pour les verbes de perception.
regarder :
voir :
écouter :
entendre :
看 kàn
看到 kàn-dào : regarder- arriver
听 tīng
听到 tīng-dào : écouter - arriver
En chinois, pour exprimer le résultat d’une action de chercher, de regarder, ou
d’écouter, le procédé s’avère simple: il suffit de reprendre le verbe propre à l’activité
en ajoutant 到-dào, situé après le verbe. Ainsi, il se peut que les apprenants chinois,
qui s’habituent à une lexicalisation facile et sémantiquement plus logique des couples
chercher/trouver, écouter/entendre, regarder/voir, aient plus de difficulté pour
distinguer les formes correspondantes en français, d’autant plus que la morphologie
n’aide pas à indiquer l’action ou le résultat en français, d’où la confusion qui perdure,
même au stade avancé.
En effet, dans notre corpus, nous avons aussi relevé une confusion de la même nature
entre écouter et entendre, ce qui justifie notre hypothèse.
1ère (Delphine)
101
il [eku] il écoute
euh quelque chose [kε] quelque chose parle
Voir Chapitre IV.2.3, p.75.
194
2
e
3e
(Mélanie)
(Marie)
(Sophie)
(Claire)
(David)
(Eva)
(Hélène)
VIII.2.2
et il euh soudain il a écouté quelque chose
soudain Luc écouta des + du bruit
mais entend
qu’est euh qu’est-ce qu’il y a
il y a des bruits
il entend très attentivement d’où vient ce bruit
à ce moment-là le garçon a écouté la voix des grenouilles
euh mais [gra] grâce à cela Pascal et son chien a écouté quelque bruit
soudain il écoute quelques voix derrière une branche de l’arbre sur l’eau
Localisation statique
Dans cette section, seront examinés la localisation du trou par rapport à la terre et à
l’arbre, ainsi que la relation spatiale entre les grenouilles et le tronc creux dans
l’épisode de dénouement.
VIII.2.2.1
Localisation : trou (trame : 4, 6)
Le petit garçon a cherché la grenouille
dans deux trous, situés par rapport à
différents fonds (terre vs arbre). L’examen
simultané de la localisation des deux trous
permet de rendre compte des différents procédés de conceptualisation de ces deux
localisations similaires chez les sujets.
z
Prédicats
Les prédicats mobilisés dans la localisation du trou se regroupent en deux catégories :
-
dynamiques
Les verbes de perception : trouver, regarder, voir, apercevoir, découvrir, rencontrer
Les verbes d’activité : chercher
Les verbes de communication : parler, crier, appeler
Les verbes de cognition : croire, penser
-
statique
Le prédicat se construit soit avec un « verbe locatif statique », tel que être, se trouver,
se situer, se cacher (Borillo, 1998 : 15), soit avec le présentatif il y a.
z
Représentation spatiale
195
5 structures ont été employées dans la description du trou.
i)
Localisation absente : V+[trou]
Les sujets se contentent de mentionner l’existence du trou, sans faire référence au
fond.
1ère (Eva)
ii)
+++++ et l’enfant trouve un trou
Localisation explicite : V+[trou+fond]
La relation spatiale entre le trou et la terre/arbre est incarnée par une préposition.
1ère (Eva)
(Quinaut)
iii)
et il y a aussi un trou euh dans l’arbre
il regarde il regarde dans la dans le trou dans le trou de l’arbre
Localisation implicite : [cadre spatial] + [V+trou]
Cette construction n’est utilisée que pour situer le trou dans l’arbre : dans une
première proposition, les sujets établissent le cadre spatial qui est l’arbre, avant
d’introduire le trou dans la proposition suivante, laissant implicite la relation spatiale
entre la figure et le fond.
2e (Lydie)
iv)
ensuite Pierre a monté dans un arbre
où où un trou se situait se situe
Métonymie
Dans les corpus des apprenants, quelquefois, le trou est remplacé par « la maison de la
souris » ou « le trou du hibou » par métonymie, le fond est ainsi laissé implicite.
1ère (David)
(Laurent)
+ euh ils trouvent une maison de euh de la souris
+ euh il il il a ils ont ils ont ils ont trouvé un [Зεpr]s trouvé une
[Зεpr]-guêpe et puis un trou de hibou de euh un trou de un trou de un
hibou
v) V + [trou identifié]
Dans la description du trou par rapport à la terre, nous avons remarqué une solution
majoritaire chez les natifs, c’est l’identification du trou par « terrier ».
GIL 28a.
LUC 16a.
z
tandis que Pierrot a trouvé un terrier
il s’approche d’un, terrier à taupes
Trou – terre
Figure VIII - 1 (Localisation statique – trame : 4)
196
Localisation (trou - terre)
100.00%
80.00%
1ère collecte
60.00%
2e collecte
40.00%
3e collecte
natifs
20.00%
0.00%
Ø
i:V+[trou]
ii:V+[trou+fd]
iv: métonymie
1ère collecte
4.50%
86.50%
4.50%
4.50%
2e collecte
18.20%
40.90%
40.90%
3e collecte
9.10%
27.30%
59.10%
27.30%
18.20%
natifs
v:trou identifié
4.50%
54.50%
Chez les apprenants, nous pouvons constater une baisse de fréquence de la
construction (i) en faveur de la construction (ii), autrement dit, un nombre croissant de
sujets ont explicité le fond du trou (4,5% : 40,9% : 59,1%) .
La plupart des natifs ont choisi de spécifier la nature du trou par « le terrier » dont le
signifié ‘abri souterrain (creusé par un animal)’ explicite non seulement le fond (le sol
ou la terre – souterrain), mais aussi anticipe le sujet impliqué dans l’événement
suivant (l’animal qui sort), préparant ainsi la rencontre du garçon avec la marmotte
(taupe ou raton). Cette solution très courante chez les natifs reste inaccessible aux
apprenants chinois, car c’est un terme dont les traits sémantiques s’avèrent trop
spécifiques pour être activé facilement.
z
Trou – arbre
Figure VIII - 2 (Localisation statique – trame : 6)
Localisation (trou - arbre)
80.00%
1ère collecte
60.00%
2e collecte
40.00%
3e collecte
natifs
20.00%
0.00%
Ø
i:v+[trou]
1ère collecte
31.90%
4.50%
2e collecte
22.70%
9.10%
3e collecte
22.70%
0
natifs
9.10%
9.10%
ii:v+[trou+fd]
iii: implicite
iv:métonymie
50%
4.50%
9.10%
54.60%
13.60%
0
59.10%
18.20%
0
72.70%
9.10%
0
La figure montre que la focalisation sur le fond (construction ii ) est maintenue au
197
cours des 3 collectes (50%: 54,6% : 59,1%) chez les apprenants, ce qui les rapproche
des natifs qui ont aussi privilégié cette représentation (72,7%).
Si nous examinons de plus près la construction (iii), en légère croissance chez les
apprenants, un développement progressif peut être observé du point de vue
syntaxique.
De la 1ère collecte, où le fond et la figure introduits dans 2 propositions juxtaposées, la
localisation du trou reste à inférer ;
1ère(Claire)
+++ ensuite François se monte sur un arbre
il trouve un il trouve un trou
à la 2e collecte, où des moyens linguistiques ont été mobilisés pour relier les deux
propositions : le recours à l’adverbe là pour renvoyer au fond tout juste désigné (1
occ.), ou le pronom relatif où pour construire un lien relationnel (2 occ.).
2e (Alix)
et puis Julien monte dans euh monte + un arbre
euh il a euh là il a [tru] il a trouvé un trou
et euh il l’a grimpé dans une dans une grande branche
euh où il y avait un petit trou euh
(Eva)
Au stade avancé, les deux solutions sont partagées : la juxtaposition paratactique
(chez Lydie) et le pronom relatif « où » (3 occ.). Océane fait preuve d’une bonne
organisation de l’empaquetage relationnel des informations de forte condensation :
deux déplacements (quitter, grimper) et une localisation sont enchaînés dans le même
énoncé par le biais de « pour » et « où ».
3e (Lydie)
cette fois-ci Pierre se monte sur un grand arbre
euh il veut regarde ce que dans le trou
Julien quitte donc le trou
pour grimper sur un arbre
où se trouve un autre trou
(Océane)
z
Fond : terre vs arbre
20
Dans la figure ci-contre qui rend compte des
17
15
15
13
12
trou-terre
trou-arbre
9
10
occurrences mentionnant le fond (constructions
ii et iii), nous pouvons remarquer que dans ces
5
1
deux localisations, la figure restant la même, les
0
1ère
2e
3e
198
deux fonds ne bénéficient pas de la même attention : à chaque étape, la fréquence de
« l’arbre » dépasse toujours celle de « la terre ».
L’explication réside plutôt dans nos connaissances générales sur le trou en tant
que ‘cavité naturelle ou artificielle dans une surface’. En règle générale, à moins que
l’on précise la surface impliquée, ce creux est situé dans le sol dans la plupart des cas,
comme dans les deux exemples suivants :
[La balle est tombée dans un trou.] vs
[La lumière passe par un trou de mur.]
Ainsi, par rapport à « l’arbre », « la terre » s’avère un fond évident, qui ne mérite pas
une mise en valeur particulière.
Au stade avancé, la plupart des sujets ont pourtant choisi d’expliciter « la terre » (13
occ.), en vue de distinguer le trou situé dans le tronc d’arbre, ce qui témoigne d’une
intention de fournir plus de points de référence pour mieux marquer le parcours du
protagoniste.
z
Concurrence entre « dans » et « sur »
Dans le chapitre précédent, l’examen portant sur la localisation de l’oiseau–arbre et
celle de cheval–pré nous a déjà révélé la concurrence entre « dans » et « sur », issue
plutôt de la conceptualisation spatiale incarnée par le locatif 上-shàng en LM. Dans
la localisation du trou par rapport à deux fonds différents, la même concurrence est
observée.
Tableau VIII - 3 (Localisation statique - trame : 4 et 6 : prépositions)
Trou-terre
Trou – arbre
1ère collecte
2e collecte
3e collecte
Natifs
sur (1)
dans (3), sur (3), par (2),
par (4), dans (4), sur (3),
dans (2)
souterrain (1)
de (2)
dans (7), sur (3), de (2)
de (8), dans (2), sur (2),
dans (4), de (2), au milieu (1),
en (1)
à l’intérieur (1)
de (4), sur (3), dans
(3), au milieu (1)
Quel que soit le fond, les prépositions « dans » et « sur » sont sollicitées quasiment
autant de fois, sauf dans la localisation du trou par rapport à l’arbre à la 2e collecte
(« dans » 7 occ. vs « sur » 3 occ.).
« dans » est la préposition spatiale appropriée en français pour indiquer la relation
199
spatiale trou - terre/arbre, comme ce que montrent les données des natifs français.
Le recours à « sur » pourrait s’expliquer par l’influence du locatif en chinois d’après
lequel cette relation est incarnée par 上-shàng ‘sur’.
Le signifié du locatif 上 -shàng
s’avère
très
riche.
Comme
son idéogramme l’indique (voir la
figure ci-contre), par rapport au
trait horizontal qui sert de référence,
tout ce qui se situe par-dessus est qualifié de 上, quelle que soit sa position ou
orientation. En fonction de différents contextes, 上 peut renvoyer à différentes
prépositions spatiales en français : sur (dans la plupart des cas), au-dessus (souvent),
dans (quelquefois), etc.
La partie en noir renvoie aux cas tels que le trou dans la terre/l’arbre, les passants
dans la rue.
Aux yeux des Français, le trou est perçu comme dans la terre/l’arbre, c’est parce qu’il
existe une relation contenant-contenu entre la cible (trou) et le site (terre/arbre) :
a est dans b si les frontières du site incluent (partiellement) les frontières de la cible.
(Vandeloise, 1986 : 214)
Si les Chinois recourent à 上-shàng ‘sur’ pour évaluer la relation spatiale entre le trou
et la terre/l’arbre, c’est parce qu’ils se focalisent sur l’entrée du trou perçue comme
encadrée par la surface de la terre/l’arbre.
La différence réside dans la perception du site : les francophones considèrent la terre
comme un contenant, alors que les Chinois la perçoivent comme un support. Le
traitement cognitif préside à l’application d’une préposition spatiale.
Pourtant, la compréhension ne constitue pas la seule condition préalable de
l’application de la préposition « dans ». Des conditions réelles du monde perçu
déterminent en partie le choix d’une préposition. Si les sujets acceptent plus
facilement la relation contenant-contenu entre l’arbre et le trou, surtout au stade
intermédiaire (7 occ.), c’est parce que l’arbre, en tant qu’entité délimitable, est
200
susceptible d’être considéré comme un contenant. Pourtant, aux yeux des Chinois, la
terre est une étendue sans bornes, il est difficile de la prendre comme une entité avec
délimitation précise. La terre n’est alors pas un contenant idéal.
Cela ne veut pas dire que les Chinois ne
peuvent
pas
accepter
la
relation
contenant-contenu entre la terre et le trou,
mais cette relation renvoie plutôt à la figure A, au lieu de B. Autrement dit, l’énoncé il
y a un trou dans la terre fait penser plus facilement à un trou qui se situe à une
certaine profondeur de la terre.
Ainsi, nous comprenons mieux pourquoi aux stades intermédiaire et avancé, certains
apprenants continuent à penser que le trou se situe « sur » la terre (3 occ.).
Etant donné les propriétés sémantiques du locatif 上-shàng qui correspondent à
différents rapports spatiaux en français, nous pouvons anticiper une confusion entre
« au-dessus », « sur » et « dans », quand les sujets essaient de représenter en français
une relation spatiale incarnée sans distinction par 上 en chinois.
z
Relation d’appartenance
L’inventaire des prépositions utilisées dans les deux localisations montre aussi que le
rapport entre « le trou » et « la terre/l’arbre » est souvent incarné par une relation
d’appartenance de, surtout au stade avancé (terre - 2 occ. ; arbre - 8 occ.).
La structure syntaxique pourrait nous fournir une explication à la haute fréquence de
l’appartenance.
Tableau VIII-4 (Localisation statique – trame : 4 et 6 : 3e collecte)
Trou-terre
Trou – arbre
Adèle
il croit que la grenouille est dans le trou d’arbre
David
le garçon pense si la grenouille se cache dans le trou
de l’arbre
(Delphine)
Alix
grenouille dans euh au trou de l’arbre
il crie vers le trou le trou de terre
(Lydie)
crie encore crie encore encore à crie encore euh la
Delphine
et puis pour Xiaoming vers vers vers le trou de
l’arbre
Pierre crie sur sur un trou de la terre
Hélène
il crie sur le trou sur le trou de ce grand arbre
201
Louise
crie à ce trou de branche
Quinaut
pour pour crier vers un trou de cet arbre
Violette
crie Kilo vers le trou de l’arbre
La représentation des deux procès pourrait se résumer comme suit :
a) Crier vers/sur/à/dans + le trou (de) [terre/arbre] (10 occ.)
C’est une structure qui implique deux relations spatiales : la direction de l’action de
crier vis-à-vis du trou et la relation trou-terre/arbre. L’accent mis sur l’acte de
communication, l’information spatiale sur le trou située au second plan, est ainsi
simplifiée par la qualification de la nature du trou, qui semble la solution la plus
économique, d’autant plus que la première relation reste difficile à définir, vu les
différentes prépositions mobilisées.
b) Penser/croire que la grenouille se cacher/être dans le trou d’arbre (2 occ.)
Similairement, cette structure sert avant tout à supposer la localisation de la grenouille,
qui ainsi, l’emporte sur celle du trou, qualifié par son appartenance à l’arbre.
C’est aussi une solution que nous avons trouvée chez les témoins : NAT a mis l’accent
sur l’acte d’activité (chercher), et LUC, a présenté le trou dans le déplacement du
hibou (sortir), un traitement secondaire de la localisation du trou conduit ces deux
natifs à simplifier la représentation spatiale par une relation d’appartenance.
NAT 21. et, le petit garçon lui pendant ce temps, il est en train de chercher dans le trou d’un
arbre
LUC 22a. [il y a] la chouette, qui sort d’un trou de l’arbre
VIII.2.2.2
z
Localisation : grenouille (trame : 13)
La désignation du procès
L’épisode-dénouement implique la localisation de la (des) grenouille(s) que le garçon
a trouvée(s). Les sujets l’ont décrite à travers les 3 constructions suivantes :
i)
Localisation vague (grenouille – mare)
La grenouille est située dans la mare de façon explicite (chez Adèle) ou implicite
(chez Laurent).
1ère (Adèle)
(Laurent)
mais au contraire il est très content
parce que dans un lac il trouve euh il trouve le grenouille
à cause de cerf ils sont [tru] ils sont tombés dans un lac dans un lac et
202
dans un lac
et après le garçon en euh a euh entendu quelque chose
ils ils continuer ils continuent cherchent
et ils ils ont trouve ils ont trouve deux [grənyj] deux [grεnyj] grenouilles
Nous classons dans cette catégorie les cas où aucun lien n’est établi entre l’arbre et la
grenouille, malgré la mention de l’arbre, comme chez Violette ;
1ère (Violette)
là-bas euh le garçon et le chien euh trouvent un l’arbre
qui est qui était + euh dans le lac
dans le lac le chien euh dans le lac le garçon entend entend euh un bruit
euh il euh il chercher dans le dans le lac
et enfin euh il trouve euh une famille de euh grenouilles
mais aussi la narration de Sophie, qui n’a explicité ni le lieu cible dans la chute du
garçon ni l’arbre couché, la localisation de la grenouille reste donc obscure car le fond
est totalement absent.
1ère (Sophie)
ii)
le garçon et son chien euh sont tombés
mais soudain le garçon euh [ã] entend un bruit
et puis euh il cherche il cherche sa sa sa sa grenouille sa grenouille et sa
et et la famille de sa grenouille
Localisation par rapport à l’arbre (grenouille - arbre)
Les sujets ont eu recours à différentes prépositions en vue d’établir le rapport spatial
entre la grenouille et l’arbre couché dans l’eau.
1ère (Julia)
3e (Claire)
iii)
et euh + euh + il trouve il il trouve deux grenouilles euh dans euh près
près d’une près d’un arbre
il entend très attentivement
d’où vient ce bruit
ah c’est derrière le tronc
oui derrière le tronc il y a deux grenouilles
Description détaillée
Dans le dénouement, le repérage de la grenouille est en effet précédé d’un mouvement
de franchissement du tronc par le garçon. Ce détail, souvent laissé de côté, surtout
dans la 1ère collecte, est relativement fréquent dans les deux collectes suivantes
(Laurent, Marie). Nous avons regroupé dans cette catégorie, toute description qui a
mentionné le déplacement du garçon, sans que la localisation de la grenouille soit
203
nécessairement explicitée (VER).
2e (Laurent)
3e (Marie)
VER
++ mais euh grâce à cela ce petit garçon euh [etã]-entend euh quelque
euh quelque chose derrière une une arbre mort un euh un arbre un arbre
mort
donc il essayer de il essaie euh il essaie de traverser + euh ce euh l’arbre
mort en cachette
et il trouve une famille de grenouilles
+ s’amusant sa s’amusant là-bas
il approche il s’approche du tronc
et trouve derrière le tronc il y a deux il y a deux grenouille
qui [sa] qui s’appuie l’un sur l’autre
et chantent des et chantent des chansons très très mélodieuses
il monte, par dessus, un bout de bois
qui est le long de la rive
et découvre un couple de grenouilles
et, un petit peu plus loin, [découvre] leurs enfants
Figure VIII - 3 (Localisation statique – trame : 13 )
Localisation : grenouille - arbre
100.00%
90.00%
80.00%
70.00%
60.00%
1ère collecte
2e collecte
3e collecte
natifs
50.00%
40.00%
30.00%
20.00%
10.00%
0.00%
i:G-mare
ii:G-arbre
iii:détail
1ère collecte
63.60%
18.20%
18.20%
2e collecte
27.30%
31.80%
40.90%
3e collecte
13.60%
45.50%
40.90%
0
9.10%
90.90%
natifs
Nous pouvons constater que le nombre des apprenants qui ne précisent pas la
localisation a diminué continuellement en faveur d’une description plus concrète
(constructions ii et iii). Il semble qu’ils sont sur le chemin de s’approcher de la
description des natifs, dont l’usage préférentiel (90,90%) consiste à décrire le
mouvement du garçon avant la découverte de la grenouille.
Un examen minutieux permet de trouver les éléments qui affectent la représentation,
204
et à quel niveau se situe l’écart d’expression de l’événement entre les apprenants et les
natifs.
z
La lexicalisation du fond
Comme l’illustre l’image, l’entité destinée à encadrer la localisation de la grenouille
s’avère difficile à catégoriser : ce n’est pas un arbre car il n’est pas fixé au sol par les
racines ; ce n’est ni une simple ‘partie d’un arbre depuis la
naissance des racines jusqu’à une certaine hauteur’, ainsi
un tronc, mais un tronc dont l’intérieur est creux, ni ‘une
ramification des tiges d’un arbre ou d’un arbuste’, donc
une branche, mais une branche énorme. De plus, quelle que soit la dénomination, il
faut faire référence à la position de l’entité, car étant couchée, la figure
(arbre/tronc/branche) n’est pas dans sa position canonique, définie comme « la
position naturelle de l’objet si celui-ci est fixe » (Borillo, 1998 : 9).
Les natifs ont identifié l’entité comme « un tronc » ( 8 occ.), « un bout de bois » (1
occ.), « une souche » (1 occ.) ou « un arbre » (1 occ.) combinée avec « creux »,
« gros », « mort » pour mieux expliciter la situation du fond.
Ainsi, il s’agit d’un fond disposant de plusieurs propriétés, qu’un seul terme n’arrive
pas à dénoter. Les apprenants doivent élaborer une représentation de ce qui est à
décrire en prenant en considération les informations disponibles dans le contexte et
celles qui sont récupérables en mémoire. Ils n’ont que deux choix : essayer de
l’aborder ou s’en passer.
-
1ère collecte
Vu le vocabulaire très restreint, nombreux sont ceux qui ont choisi de le laisser de
côté, et pour le reste, ils ont tous qualifié le fond d’«arbre», seul terme disponible à
l’époque. Pourtant 2 locutrices ont essayé de préciser l’état de l’arbre à
travers « tombé ».
1ère (Claire)
(Louise)
-
et alors ils ont trouvé un tombé arbre
et dernier - [derrière] le euh un arbre tombé euh il y a euh il trouve euh
la famille la famille de grenouilles
2e collecte
205
Les items sollicités sont plus variés : en plus de l’arbre (4 occ.), nos apprenants
tendent à indiquer l’état de l’arbre : arbre mort (3 occ.), arbre tombé (4 occ). Le terme
« tronc » a été aussi utilisé (3 occ.), ainsi que « tronc mort » visant à faire référence à
l’intérieur creux du fond (1 occ.).
2e (Alix)
(Julia)
(Marie)
(Océane)
++ euh et ensuite il euh il découvre un bruit derrière un arbre mort
++ et près d’un arbre [nabr] [nabr]
qui qui est tombé
ils trouvent deux grands grenouilles
sur l’eau il y avait il y avait un tronc un tronc
derrière le tronc euh mort dans cet étang euh il y a quelque chose
« Plus un terme est fréquent et plus sa récupération en mémoire est facile » (Denhière
& Baudet, 1992 : 15). L’« arbre » étant le seul choix au stade précédent, il reste le
terme privilégié par rapport au « tronc », car il s’agit d’un mot fréquent, en plus déjà
utilisé dans l’épisode-hibou, donc susceptible d’être récupéré plus rapidement.
Pourtant, l’ajout de « tombé » ou « mort » reflète l’intention de distinguer le fond
d’un arbre proprement dit.
-
3e collecte
L’arbre étant totalement absent à ce stade, les sujets ont eu recours à « branche » (9
occ.), « tronc » (10 occ.), ce qui traduit une focalisation sur la forme du référent
servant de fond qui, n’étant pas l’arbre, « faisait partie » de ce dernier. La
lexicalisation s’avère plus pertinente et affinée du point de vue de la forme physique.
D’ailleurs, les sujets s’efforcent de concrétiser la description par l’ajout d’un adjectif,
dans le but de renvoyer à la forme (grosse branche), ou à l’état (vieille branche, tronc
perdu/mort).
3e (David)
(Quinaut)
++ et derrière un un tronc perdu le garçon et le chien ont trouvé la grenouille
qui est près de qui est près de sa mère
l’air très content
finalement il trouve il trouve derrière une tranche derrière une branche grosse
un groupe de grenouilles
Ainsi, le bilan ci-dessus dressé permet d’observer une meilleure maîtrise des
connaissances linguistiques quant à la dénomination d’une entité à plusieurs traits
sémantiques, confirmée non seulement quantitativement avec de moins en moins de
206
sujets qui s’en sont passés (63,6 %:27,3% :13,6%), mais aussi et surtout
qualitativement, à travers des termes plus proches de l’entité à dénommer et la
mobilisation de différents adjectifs renvoyant à l’état du fond, comme ce qu’ont fait
les natifs.
z
Prépositions spatiales
Tableau VIII - 5 (Prépositions spatiales – trame : 13)
Grenouille(s) – arbre mort (étang)
Constructions
1ère collecte
2e collecte
ii : Localisation - arbre
4
7
derrière (3)
4
avant (1)
après (1)
Natifs
10
1
près de (3)
près de (3)
iii: Description détaillée
derrière (8)
3e collecte
9
Ø (3)
en arrière (1)
après (1)
derrière (13)
Ø (6)
Ø (4)
9
après de (1)
après (1)
10
derrière (3)
de l’autre côté (2)
La convergence du choix de « derrière » (3 : 8 : 13) reflète une perception partagée
sur la relation spatiale entre la grenouille et le tronc chez les apprenants, alors que
cette préposition n’est activée que par 3 natifs, la plupart ayant choisi de laisser
implicite la localisation de la grenouille.
-
1ère collecte
« près de »:
Le terme « dernier » utilisé par Louise, l’un des trois sujets à identifier la relation
comme « derrière », confirme que cette préposition n’était pas maîtrisée au stade
initial. L’insuffisance des moyens linguistiques pourrait conduire à une omission de la
localisation, ou à une simple relation de voisinage, incarné par « près de », au lieu de
relation sagittale.
1ère (Eva)
(Julia)
et près près de l’arbre euh il trouve deux grenouilles
et euh + euh + il trouve il il trouve deux grenouilles euh dans euh près
près d’une près d’un arbre
« après » :
Chez Océane, la sollicitation de « après » pourrait être considérée comme une
substitution de « près », vu les similitudes phonologiques des deux items, mais
207
s’explique plus plausiblement par l’influence du chinois102.
1ère (Océane)
c’était ta c’était après l’arbre sur + sur103 l’eau de l’étang
En chinois, un seul locatif 后-hòu permet d’exprimer la postériorité à la fois
temporelle et spatiale, dont les traits sémantiques pourraient renvoyer respectivement
à « dans »(i), ou « après » (i’), et à « derrière » (ii), selon les cas.
i) 他三天后回来。
i’)他说 他 三
tā sān tiān hòu huílái.
il – trois – jours –dans – [renter-venir]
« Il rentrera dans trois jours. »
ii)笤帚 在
门
后。
tiáochu zài
mén
hòu
balai – (être) à – porte – derrière
« Le balai est derrière la porte. »
天
后
回来
tā shuō tā sān tiān hòu
huílái.
il-dire- il-trois-jour- après -[renter-venir]
« Il a dit qu’il rentrerait trois jours après .»
Ainsi, quand il faut exprimer en français le locatif 后-hòu , un terme riche en
propriétés sémantiques, dont les équivalents en français sont multiples, un problème
de décision se pose, car les choix varient en fonction de différents contextes. Quand le
terme « derrière » n’est pas facilement accessible, le choix tombe naturellement sur
« après » qui est le terme le plus général.
(Delphine)
[ã] enfin euh il enfin il trouve beaucoup de grenouilles + avant le
avant le avant [zarbr] avant l’arbre
« avant » :
Le recours à « avant » pourrait surprendre à première vue. A cela deux raisons
éventuelles qui interagissent. La première réside dans la ressemblance phonologique
entre « devant » et « avant », il est à noter que ces deux termes correspondent au
même locatif 前-qián qui renvoie à l’antériorité dans le temps et dans l’espace en
chinois, d’où la confusion. La seconde raison consiste en un changement de
perspective : au lieu de continuer le point de vue du protagoniste, à la place duquel le
narrateur se met en général dans le récit, Delphine a changé de point de référence en
tant qu’observatrice extérieure à l’image. Ce phénomène peut être observé aussi chez
102
Si c’était une substitution erronée de « près de », nous aurions relevé « après de » (que nous relevé au stade
avancé), au lieu de « après ».
103
Une confusion entre «dans» et «sur», que nous avons déjà commentée dans la section VIII.2.2.1, p.200.
208
Alix, qui, avant de choisir « derrière », a mentionné « devant ».
1ère (Alix)
-
parce parce qu’il y a d’autres grenouilles devant euh derrière euh
l’arbre
2e collecte
« Derrière » est plus accessible pour représenter la relation entre la grenouille et le
tronc d’arbre couché (8 occ.).
Ce qui est intéressant, c’est que parmi les 3 sujets qui avaient recouru à « près de »
dans la 1ère collecte, Julia et Lydie ont gardé la même conceptualisation spatiale, alors
qu’Eva se sert de « après », en tant que substitution de « derrière », cause que nous
venons de le voir.
2e (Eva)
-
le le son des grenouilles était euh venue après une grande arbre euh
tombée sur le terrain
3e collecte
Le choix de préposition est plus unanime, avec 13 sujets employant « derrière ».
Le terme « après », utilisé deux fois, n’est pourtant pas de même nature : le recours à
« après de » chez Eva est lié à la ressemblance phonologique entre « après » et
« près », l’occurrence d’« après » chez Laurent, est surtout une substitution de
« derrière ».
3e (Eva)
(Laurent)
ils ont commencé euh ils sont ils ont commencé de trouver le bruit et puis
tout après d’une grande bruche
heureusement le garçon a entendu le cri le cri de la grenouille après après
un branche
Du point de vue longitudinal, après 3 ans d’études, Eva n’a toujours pas acquis les
moyens linguistiques nécessaires à une localisation pertinente : elle a, soit situé de
façon imprécise la grenouille (« près de », « après de »), soit employé un terme dérivé
(« après »).
Ainsi, le bilan des prépositions permet de constater que, cognitivement, les sujets
partagent la même perception spatiale selon laquelle la grenouille est « derrière » le
tronc d’arbre, et ils ont acquis progressivement le moyen d’y faire référence.
L’item interférent « après », sollicité à tous les stades, contient les caractéristiques
209
susceptibles de conduire à des substitutions : les associations phonologique et
graphémique avec « près », et le trait sémantique de postériorité partagé avec
« derrière », ce qui fait que son impact reste ineffaçable, même au stade avancé.
Pourtant, les prépositions « derrière » (3 occ.) et « de l’autre côté » (2 occ.) ne
constituent pas le choix préférentiel des natifs qui ont fait référence à la situation des
grenouilles plutôt par le biais de la trajectoire du garçon, c’est ce que nous allons
traiter dans la partie suivante.
z
Une description détaillée
Nous entendons par « description détaillée » toute désignation comprenant le
déplacement du garçon par rapport au tronc. Plus de sujets ont choisi de décrire ce
détail aux stades intermédiaire et avancé (40,90% contre 18,20% au stade initial).
Tableau VIII - 6 (Localisation statique – trame : 13 : détail ∩)
1ère collecte (4/22)
2e collecte (9/22)
3e collecte (9/22)
Natifs (10/11)
VDX : aller (2)
VTRA+MAN : franchir, grimper
VTRA : s’approcher (2) monter (2)
VTRA : s’approcher (2)
VTRA : s’approcher
VDX : aller (2)
VDX : aller (2)
se hisser sur
VTRA : traverser
VTRA+VTRA+MAN :
monter par dessus
VMAN : marcher
s’approcher+grimper
s’approcher+se hisser
Vperception : voir (2)
VTRA+MAN : franchir
s’approcher+passer par-dessus
Vactivité : chercher
VMAN : marcher
VDES +VTRA+MAN : arriver+escalader
monter
Vplacement :
se réfugier sur +se pencher
se mettre par dessus
Vlocalisation : être à cheval sur
Le bilan des prédicats utilisés montre que les natifs ont avant tout choisi de mettre en
évidence le mouvement de franchissement du garçon, et cela grâce à la direction
ascendante incarnée par se hisser, escalader, monter, ou par la locution
prépositionnelle par-dessus, combinée avec passer (verbe de trajectoire), se réfugier,
se mettre (verbes de posture) ou encore à travers une localisation statique, être à
cheval. Le mouvement du garçon par-dessus du tronc est ainsi mis en valeur.
Côté apprenants chinois, les expressions se caractérisent par toute une batterie de
prédicats dynamiques, sans que ces derniers contribuent tous à renvoyer au
déplacement du garçon par-dessus du tronc (∩), surtout le verbe déictique aller et le
210
verbe de trajectoire s’approcher, lesquels n’indiquent que la direction du mouvement
du garçon vers le tronc.
Quant au verbe marcher, il revoie à la manière du déplacement, dont le parcours
dépend de la préposition qui s’ensuit :
2e (Violette)
3e (Léon)
et ils ont marché à quatre pattes sur un sur un arbre mort
il il marche vers vers la direction
dont il a entendu quelque chose
c’est près d’un d’un tronc
Ainsi, la position du garçon « sur » l’arbre mort est bien ressortie chez Violette, qui a
d’ailleurs précisé la manière de la marche « à quatre pattes », alors que nous ne
pouvons imaginer qu’une trajectoire horizontale du garçon vers le tronc chez Léon.
Le recours à traverser chez Laurent fait plutôt penser à un déplacement par l’intérieur
du tronc, car le parcours impliqué renvoie à un mouvement horizontal allant d’un bout
à l’autre de l’arbre. C’est une solution peu surprenante, car dans le chapitre VI, nous
avons déjà constaté que les apprenants chinois s’appuyaient souvent sur un prédicat
impliquant un déplacement horizontal pour un mouvement au-dessus d’un obstacle104.
2e (Laurent)
donc il essayer de il essaie euh il essaie de
traverser + euh ce euh l’arbre mort en cachette
Comme il s’agit d’une trajectoire de franchissement, il faut que les traits sémantiques
des prédicats impliquent une direction vers le haut pour représenter le parcours
par-dessus du tronc. C’est plutôt à la 3e collecte que nous avons remarqué des verbes
de ce type (monter, franchir, grimper).
3e (Delphine)
(Laurent)
(Lydie)
(Louise)
il monte dans dans il monte dans une branche
donc et il il il a monté ce branche
et tous les deux tous les deux ont franchi le tronc
il s’approche silencieusement euh silencieusement de d’une branche
d’arbre
où euh ++ derrière derrière le derrière laquelle il entend le cri sort
+ et puis il grimpe il grimpe
Au stade avancé, les sujets manifestent non seulement une plus grande attention aux
détails, mais aussi une meilleure maîtrise des choix lexicaux.
104
Dans le saut du cheval par-dessus la barrière, voir VI.2.1, p.144.
211
Si nous retraçons le parcours du garçon,
il se décompose de l’approche au tronc
d’arbre (I) et de l’escalade du tronc (II),
comme ce qu’illustre la figure ci-contre.
Pour établir une trajectoire claire et
complète du protagoniste, deux verbes
semblent nécessaires. Les données des francophones reflètent une attention privilégiée
sur l’étape II (5 occ.) par le biais de la description de l’action même, ou l’état final qui
en résulte, et trois témoins ont précisé toute la trajectoire (étapes I+II) avec un double
prédicat (s’approcher+passer par-dessus/se hisser, ou arriver+escalader), seuls deux
d’entre eux ne s’intéressent qu’à l’étape I (s’approcher). Alors que chez les
apprenants, c’est plutôt l’étape I qui est mise en relief, beaucoup plus saillante que
l’étape II (grimper, monter, franchir). Tout au long de notre étude, une seule
formulation à deux prédicats destinée à tracer toute la trajectoire (I+II) est relevée
(s’approcher+grimper), et pour cela il faut attendre jusqu’au stade avancé. A tout
niveau de compétence, on trouve les verbes qui font référence à un déplacement
horizontal (aller, s’approcher, marcher, même traverser), le mouvement par-dessus
du tronc s’avère dissimulé ou négligé chez les apprenants chinois.
Il s’ensuit de cette nuance de focalisation sur la trajectoire du garçon (les
francophones pour l’étape II, et les apprenants, l’étape I) des descriptions variées de la
localisation de la grenouille : une fois le garçon situé « par-dessus » ou « à cheval »
du tronc, cette position plus haute lui permet d’orienter le regard vers la grenouille
« derrière » ou « à l’autre côté » de l’arbre mort (A), et cette relation spatiale semble
tellement évidente et naturelle, que 6 natifs sur 11 se sont contentés de mentionner la
découverte de la grenouille sans la situer. Tandis que les apprenants, intéressés
davantage par le déplacement I, qui place le garçon au pied du tronc, au lieu de
« par-dessus », ne peuvent que changer de perspective pour observer la grenouille à
partir de l’autre côté du tronc (B), d’où la vision « derrière » largement partagée.
De l’examen de la localisation de la grenouille, nous pouvons constater que :
212
- il existe une confusion sur les prépositions « derrière » et « après », dont les
propriétés sémantiques renvoient à un même locatif en LM, ce qui confirme notre
hypothèse 4 issue de la synthèse de comparaison entre Le Chat et Le Cheval.
- quand le déplacement s’avère cognitivement plus compliqué, composé de plus d’un
mouvement, rares sont les apprenants qui peuvent décrire une trajectoire complète,
dont le mouvement par-dessus un obstacle est moins bien caractérisé.
- La description de la trajectoire pourrait influer sur la relation spatiale impliquée dans
l’événement spatial qui s’ensuit, dont la perspective dépend du lieu cible de la
trajectoire effectuée.
VIII.3.
Déplacements – trame
Cette partie est consacrée à la formulation de différents déplacements : trajectoires
avec franchissement de bornes, mouvements directionnels ou trajets entre deux lieux
de référence.
VIII.3.1
Trajectoires avec franchissement de bornes
3 événements sont impliqués : la fuite de la grenouille, l’apparition de la taupe et celle
du hibou.
VIII.3.1.1
La fuite de grenouille (1)
C’est un procès de haute fréquence. Quel
fuite de la grenouille
20
20
22
21
que soit le niveau de compétence, les sujets
15
fuite de la
grenouille
10
5
dynamiques pour décrire la fuite de la
grenouille. La différence se situe au niveau
0
1ère
-
recourent presque toujours aux prédicats
2e
3e
des prédicats.
1ère collecte
La 1ère collecte effectuée au stade initial d’apprentissage du français, les événements
impliqués dans le récit dépassent visiblement les ressources linguistiques des
apprenants après seulement 6 mois d’études, ce qui affecte la mention du fond et
213
l’utilisation des verbes.
Tableau VIII - 7 (Déplacement – trame : 1 : 1ère collecte)
Trajectoire (16)
Manière (2)
Trajectoire+manière
Unité obscure
(1)
(1)
Fond
Sortir (11)
Quitter (4)
Monter (1)
Courir (2)
Sauter +sortir (1)
[lã] (1)
[Bocal] (8)
4
0
1
1
1
1
Maison (6)
4
2
Famille (2)
1
1
Amis (1)
0
1
Ø (3)
2
z
1
Fond : bocal vs maison
Les termes utilisés pour faire référence à l’endroit où se trouve la grenouille
(bouteille : 3 occ. ; boîte : 3 occ. ; carafe : 1 occ. ; même cage de glace : 1 occ.)
révélant l’inaccessibilité à la dénomination de l’entité (le bocal), pourraient aussi
expliquer pourquoi les autres apprenants ont choisi un fond plus général (maison : 6
occ. ; famille : 2 occ.) dans ce déplacement.
z
Prédicats : trajectoire vs manière
A part Quinaut et Sophie qui ont laissé de côté la fuite de la grenouille pour aboutir
directement à son absence, les autres apprenants (20/22) l’ont décrite par le biais des
prédicats dynamiques.
1ère (Quinaut)
(Sophie)
++ après le garçon se couche le garçon s’est couché
mais la [grə] la grenouille la grenouille euh ++++ la grenouille est + la la
grenouille n’est pas là
mais un jour euh quand il s’est couché
euh la grenouille euh n’est pas plus
Prédicats dynamiques
20
Le déplacement de la grenouille implique la
17
15
Prédicats
dynamiques
10
5
3
1
0
TRA
MAN
?
trajectoire de quitter l’endroit où elle se
trouve (bocal et/ou maison) et la manière de
la fuite. A part le prédicat indéchiffrable de
Marie (?), parmi les 21 verbes utilisés, les verbes de trajectoire (17 occ.) l’emportent
sur ceux de manière (3 occ.).
(Marie)
le la la grenouille la grenouille euh euh essaie essaie de essaie de essaie de
214
(soupir +++) essaie de euh [lã] la boîte
¾ Trajectoire
Nous ne pouvons pourtant pas nous y appuyer pour dévoiler la tendance à privilégier
une certaine information spatiale, car cet écart évident entre la trajectoire et la manière
résulte plutôt du vocabulaire restreint lors de la 1ère collecte, où les apprenants, ne
disposant pas de moyens pour exprimer la manière, ont choisi sortir ou quitter,
prédicats de trajectoire, mais avant tout verbes très fréquents et donc facilement
accessibles.
Claire a eu recours à monter dans la désignation du procès, le prédicat, peu pertinent
ici, sert à indiquer un parcours vertical à partir du fond de la bouteille.
1ère (Claire)
Claire se monte de haut de haut de la bouteille
¾ Manière
Le recours au verbe courir qui pourrait paraître étrange, est dû effectivement à
l’influence de la LM, langue verbale sérielle, selon laquelle le terme 逃跑-táopǎo :
échapper-courir correspond à s’enfuir ou s’évader en français, que Lydie et Delphine
n’ont pas pu mobiliser, et c’est pour cela qu’elles ont traduit directement le deuxième
verbe 跑-pǎo en courir, verbe disponible à l’époque.
1ère (Lydie)
(Delphine)
le petite grenouille a couru a court a court de la boîte
le grenouille court
¾ Double information spatiale : cas de Louise
1ère (Louise)
et euh il il saute il il saute de de la carafe
et il il il sort il sort
Bien que les verbes lexicalisant trajectoire et manière n’étaient pas accessibles lors du
recueil des données, Louise a réussi à fournir les deux informations, en mobilisant
deux verbes : sauter et sortir. Comme dans le récit Le Chat, elle a manifesté une plus
grande aisance dans le vocabulaire ainsi que l’organisation de l’information.
-
2e collecte
La 2e collecte a eu lieu au 20e mois d’apprentissage du français. Grâce aux moyens
linguistiques acquis, la description du déplacement de la grenouille s’avère plus riche
215
et variée chez les locuteurs.
2 solutions ont été constatées : 15 apprenants ont eu recours à un prédicat dynamique
pour décrire la fuite de la grenouille (i), alors que 7 apprenants y ont mobilisé deux
prédicats ou encore plus (ii).
i) un seul prédicat
Tableau VIII - 8 (Déplacement – trame : 1 : 2e collecte : i)
TRA+MAN
S’enfuir (8)
Bocal (7)
3
Maison (1)
1
Ø (6)
4
Echapper (1)
TRA
S’évader (1)
Sortir (3)
Quitter (1)
3
1
Partir (1)
? (y)
1
1
Par rapport aux verbes sortir, quitter, partir, porteurs de la trajectoire, la majorité des
locuteurs ont préféré les verbes s’enfuir, échapper, s’évader, qui expriment à la fois le
parcours de quitter l’endroit où se trouve la grenouille et la manière de ne pas se faire
remarquer.
ii) ≥ 2 prédicats
Tableau VIII - 9 (Déplacement – trame : 1 : 2e collecte : ii)
Empaquetage de l’information
Prédicats utilisés
VMAN +VMAN+TRA (2)
Sauter (bouteille) + s’enfuir/ s’esquiver : Quinaut+David
VTRA+ VMAN+TRA (1)
Sortir (bouteille) + s’évader (maison) : Marie
VMAN+TRA+VTRA (1)
S’échapper (bouteille) + sortir (maison) : Alix
VMAN+TRA+VDX (1)
Se sauver (botte) + aller (forêt) : Louise
VMAN +VTRA (1)
VMAN +VTRA + VTRA +VMAN (1)
Sauter (bouteille) +quitter (maison) : Violette
Sauter + arriver à sortir (bouteille) +essayer de sortir (maison) + réussir à
sauter (fenêtre) : Claire
7 apprenants ont fourni plus d’informations dans la désignation du procès et montré
une préférence pour les verbes qui combinent la manière et la trajectoire, dont le
choix se révèle plus varié : s’enfuir, s’esquiver, s’échapper, s’évader et se sauver.
¾ Fond : bocal vs maison
Si à la 2e collecte, le fond est mentionné presque autant de fois qu’à la 1ère collecte (15
occ. au stade intermédiaire vs 16 occ. au stade initial), la nature est autre, car plus
d’apprenants ont choisi « le bocal » pour marquer la fuite de la grenouille, au lieu de
« maison », surtout dans la solution (i).
216
Cependant, dans la narration de Sophie, aucune localisation n’étant explicitée dans la
description précédente, le pronom adverbial « y » n’aide pas à éclairer le fond.
2e (Sophie)
un soir euh alors que [lɔrk]-lorsque Pierre et Tata euh s’en
s’endorment
euh Sisi si euh Sisi s’y [vad]- s’en évade
Dans la solution (ii), les apprenants ont mobilisé deux prédicats différents pour
représenter le parcours de la grenouille, constitué de la sortie du bocal et de la fuite
depuis la maison.
Deux cas intéressants méritent notre attention : chez Claire qui est très détaillée dans
la narration, le recours à sauter (deux fois) et à sortir (deux fois) lui a permis de varier
le fond, en traçant le déplacement de la grenouille de la bouteille vers le dehors de la
maison par la fenêtre,
2e (Claire)
et donc il saute
et il [ã] il arrive enfin à sortir de la bouteille
et + il a envie euh euh de sortir et de euh découvrir le monde [εte]
extérieur
euh il essaie de sortir de la maison
euh et le grenouille euh réussit enfin
à à sauter par la fenêtre
Louise, étant la seule à préciser la manière et la trajectoire du mouvement de la
grenouille lors de la 1ère collecte, le décrit différemment à la 2e collecte : tandis que
tous les autres se sont concentrés sur le fond source de la fuite (bouteille ou maison),
elle y a ajouté une nouvelle information par le biais du verbe déictique aller: la
destination de la grenouille (forêt).
2e (Louise)
mais à ce moment euh la grenouille se sauver de de cette botte botte en
verre
et aller et va à la forêt
¾ Prédicats : variété
15
Dans ce procès, nous avons recensé au total
10
31 prédicats, dont la répartition pourrait se
résumer comme la figure ci-contre.
5
0
MAN+TRA
TRA
MAN
DX
217
Ce que nous pouvons constater, c’est que les apprenants, disposant des moyens
linguistiques nécessaires, choisissent d’abord les prédicats lexicalisant la manière et la
trajectoire (15 occ.), avant les verbes de trajectoire (10 occ.). Le choix du verbe de
manière s’avère unanime, à savoir sauter, sollicité 5 fois, n’est d’ailleurs pas utilisé
indépendamment.
Par rapport à la 1ère collecte, nous pouvons constater une diversification des choix
lexicaux et une plus grande disponibilité quant à l’empaquetage de la trajectoire et la
manière, et cela, par le biais d’un prédicat complexe.
-
3e collecte
Etant donné la 2e collecte qui témoigne d’une acquisition des moyens linguistiques
très variés, nous nous attendions à une description plus riche de l’événement à ce
stade avancé.
En plus des deux types de solution constatés lors de la 2e collecte, dont la différence
réside dans le nombre de prédicats (i et ii), nous avons relevé un autre type de
désignation, déplacement abordé indirectement, incarné par la mobilisation
psychologique (iii).
i)
un seul prédicat
Tableau VIII -10 (Déplacement – trame : 1 : 3e collecte : i)
Trajectoire
Sortir (7)
Trajectoire+manière
Partir (1)
S’enfuir (3)
S’échapper (2)
Bocal (5)
4
1
Maison (3)
2
1
Ø (5)
1
1
3
13 locuteurs ont recouru à un seul prédicat pour décrire la scène. Sur le plan du fond,
il n’y a pas de grande différence entre le bocal et la maison, au niveau des verbes
mobilisés, ceux de trajectoire l’emportent sur ceux combinant la trajectoire et la
manière (8 occ. contre 4 occ.).
Par rapport à la 2e collecte où un fond est associé à un prédicat, nous avons relevé
cette fois deux cas où un double fond est relié au même prédicat:
3e (Violette)
le [grə] la grenouille euh sort + de la bouteille
218
(Léon)
et il sort de la maison
la grenouille échappe de la maison euh échappe échappe de la et puis
euh du seau et et puis de la maison de la maison euh de garçon
Violette a répété sortir pour enchaîner la bouteille et la maison, alors que Léon les a
reliés au même prédicat s’échapper, une solution économe et efficace, car la
mobilisation d’un prédicat permet de constituer un parcours précis et complet de la
grenouille, en marquant deux lieux de repères.
i)
≥ 2 prédicats
Tableau VIII -11 (Déplacement – trame : 1 : 3e collecte : ii)
Empaquetage de l’information
Prédicats utilisés
VTRA+ VTRA+MAN (2)
Sortir (bouteille) + s’enfuir : Alix + Océane
VMAN +VTRA+MAN (2)
Sauter (boîte) + s’échapper : David (la même solution)
Trembler (jarre) + s’enfuir : Lydie
VMAN +VTRA+MAN+ VMAN (1)
Sauter (boîte) + se sauver + sauter (chambre + fenêtre) : Quinaut
VMAN+VTRA+MAN+VTRA+MAN (1)
glisser (boîte) + s’évader+ s’échapper (fenêtre): Marie
Nous nous attendions à plus de locuteurs qui varieraient les prédicats dans la
description, or ce n’est pas le cas (6 occ. contre 7 occ. à la 2e collecte). La
diversification réside plutôt dans les prédicats de manière.
3e (Lydie)
(Marie)
+ euh elle se [tr] euh elle tremble la jarre
et enfin euh s’enfuit s’enfuir
la grenouille le grenouille glisse + glisse de la boîte
et s’évade
+ à travers la fenêtre ouverte euh semi-ouverte il + il s’échappe
s’échappe
Comme dans les deux collectes précédentes, le prédicat de manière n’est pas utilisé de
façon indépendante, mais en plus de sauter, verbe de manière conventionnel, deux
autres verbes ont été relevés : si Marie veut insister sur le mouvement du corps de la
grenouille à travers glisser, Lydie s’intéresse surtout à l’astuce utilisée par la
grenouille afin de faire bouger la bouteille. La formulation qui ne correspond à
l’image, reflète une tendance à conceptualiser de façon plus personnelle le récit, étant
donné une meilleure maîtrise du français.
3e (Quinaut)
la grenouille saute la grenouille saute de de la bouteille
euh il se [sof] il se [sof] – se sauve
et il il saute de la chambre par la fenêtre
219
Quinaut et Marie ont décrit la fuite par la fenêtre, Marie a même ajouté le détail de
l’état entrouvert de la fenêtre, afin de rendre le départ de la grenouille plus plausible.
ii)
Déplacement abordé indirectement
3e (Adèle)
(Delphine)
(Théa)
et il veut il veut sortir
euh dans la nuit euh quand le quand ils se couchaient
la grenouille commence à agir
et ++ euh le lendemain Jean euh Jean a trouvé que la grenouille n’est pas
là
euh mais mais pour la [grə] pour la grenouille il veut s’enfuir
maintenant et euh et puis et puis euh + [ørø] heureusement Xiaoming et
son chien euh + ne euh ne l’ont pas vu
le deuxième jour euh euh trouve euh trouvé que que la grenouille est
disparue
donc elle a décidé de euh de rentrer dans la forêt
pour trouver ses amis et ses parents peut-être
et le lendemain matin Jacques et Boubou ont découvert la disparition de
de la grenouille
Chez Adèle, Delphine et Théa, le départ de la grenouille est exprimé par une volonté
(vouloir) ou une décision (décider). Entre cette mobilisation psychologique et la
découverte de la disparition de la grenouille, l’action en vue de sortir, s’enfuir ou
rentrer dans la forêt, réservée à l’imagination de l’auditoire, reste ainsi implicite, car
la mise en mouvement est abordée de façon vague (commencer à agir), ou remplacée
par un détail favorable (chez Delphine), une raison du mouvement (chez Théa).
3e (Laurent)
mais le lendemain le garçon a a trouve que
+ sa grenouille s’est déjà s’en s’est déjà enfuie de la bouteille de la
bouteille
Chez Laurent, la fuite de la grenouille est exprimée à travers la découverte du garçon,
il a donc a simplifié la formulation de l’événement en combinant la mise en
mouvement et l’effet qui en résulte.
3e (Claire)
++++ il essaie de euh sortir de la bouteille mais sans euh faire beaucoup
de bruit
pour ne pas réveiller Pierre et Joseph
++ le lendemain euh Joseph et Pierre se se réveillent
ils sont très étonnés de trouver
que Pascal n’est plus dans la bouteille
et la fenêtre est déjà et la fenêtre est ouverte
220
Bien que Claire ait décrit la manière (sans faire beaucoup de bruit) et la trajectoire
(sortir de la bouteille) du déplacement, en tant qu’essai, le mouvement effectué par la
grenouille reste implicite, et le détail de la fenêtre ouverte fait imaginer un parcours à
travers la fenêtre.
Les formulations ci-dessus attestent en quelque sorte notre anticipation sur une
présence plus accusée de prédicats cognitifs-modaux et de perception dans les
productions spontanées (hypothèse 3). Une meilleure maîtrise des ressources
langagières en LC autorise une description personnalisée, sans se focaliser
nécessairement sur les actes factuels illustrés dans les images.
¾ Variété des prédicats
15
Si nous faisons le bilan des prédicats
10
relatifs au déplacement de la grenouille,
qu’ils sont abordés directement ou pas,
5
nous pouvons en relever 30, ainsi le
0
TRA
MAN+TRA
MAN
nombre est au même niveau qu’au stade
intermédiaire (30 vs 31) . Un examen plus minutieux révèle, à notre surprise, une
légère supériorité des verbes de trajectoire à ceux englobant la trajectoire et la
manière (13 vs 12), lesquels ont été privilégiés par les locuteurs lors de la 2e collecte
(15 vs 10).
-
Natifs
Tableau VIII -12 ( Déplacement - trame : 1 : natifs)
La fuite de la grenouille (natifs 10/11)
Empaquetage de l’information spatiale
I
VTRA(5)
VMAN+TRA (2)
ii
VTRA+ VMAN+TRA (2)
VMAN+TRA+VMAN+TRA(1)
Prédicats utilisés
Sortir (bocal) : HEN, STE, VER, YVE
Quitter (bocal): SAM
S’échapper : GIL, NAT
Sortir (bocal) + s’échapper : LUC
Sortir (bocal) + s’enfuir : NIC
Enjamber (le bord du bocal)+se sauver : PAT
Parmi les 11 natifs, 10 ont décrit la fuite de la grenouille, les prédicats dynamiques
mobilisés sont de deux types: verbes porteurs de trajectoire (sortir, partir) et ceux qui
221
lexicalisent manière et trajectoire (s’échapper, s’enfuir, enjamber, se sauver).
Nous avons remarqué que quand le verbe de trajectoire est mobilisé (sortir, partir), il
est toujours suivi du point de départ de la fuite (bocal), et il semble que les
francophones n’explicitent pas le fond quand il s’agit de s’échapper, s’enfuir et se
sauver.
Les natifs n’insistent pas sur la manière, sauf le recours à des verbes qui combinent la
manière avec la trajectoire, ou aux adverbes pour insister sur la façon de ne pas se
faire marquer (2 occ. chez STE et VER), alors qu’il arrive aux apprenants de
s’intéresser au mouvement sauter, associé à la nature du déplacement de grenouille.
STE
VER
4b. et la grenouille en profite donc
4c. pour sortir du bocal, discrètement
3d. et la grenouille sort délicatement de son bocal #
Les natifs choisissent de décrire les actes factuels de la grenouille, au lieu d’acte
psychologique, sauf pour préciser le but de la fuite.
YVE
9a. la grenouille, (9b,9c) sort de son bocal,
9b. (qui, elle, euh a des envies,)
9c. (de se promener,)
A travers les 3 collectes, nous avons relevé chez les apprenants, 82 prédicats portant
sur la fuite de la grenouille, lesquels sont repartis comme suit, confrontés aux 13
prédicats utilisés par les natifs :
Figure VIII - 4 (Déplacement – trame : 1 : pourcentage)
60,00%
50,00%
40,00%
apprenants
30,00%
natifs français
20,00%
10,00%
0,00%
T RA
T RA+MAN
MAN
DX
?
apprenants
48,80%
32,90%
15,90%
1,20%
1,20%
natifs français
53,80%
46,20%
Nous pouvons constater que dans ce déplacement avec franchissement de borne, les
222
sujets (apprenants et natifs confondus) ont privilégié la trajectoire (48,8, et 53,8%), et
ils ont aussi une préférence pour les prédicats lexicalisant manière et trajectoire,
surtout quand les moyens linguistiques sont disponibles chez les apprenants.
VIII.3.1.2
L’apparition de la taupe et celle du hibou
L’apparition du hibou s’avère similaire à celle de la
taupe: bien que la figure soit différente, elle effectue
la même trajectoire allant à l’extérieur du trou où
elle se trouve, c’est pourquoi nous avons décidé de
traiter simultanément ces deux déplacements.
Nous distinguons deux types de solutions chez les apprenants: les sujets se contentent
d’indiquer l’existence des deux animaux (i) ou bien les sujets recourent à des
prédicats dynamiques pour représenter cette trajectoire avec franchissement de
frontière (ii).
z
Existence de l’animal (i)
-
Les structures présentatives servent à introduire de nouveaux référents dans le
discours : c’est, il y a, voilà, habiter.
1ère (Adèle)
(Théa)
(Cécile)
3 (Mélanie)
(Océane)
e
il y a un petit animal
et enfin c’est une souris dans c’est une souris dans le trou dans le
trou
mais c’est la maison de la euh c’est la maison de de le hibou
mais voilà une souris
dans l’arbre dans le trou sur l’arbre habite un hibou
Avec « il y a », on ajoute en général le référent animé, alors qu’après « c’est », est
suivie soit la dénomination de l’animal concerné (Théa), soit la qualification du trou
(Cécile).
-
Les animaux sont introduits par les verbes de perception (voir, trouver,
rencontrer) ;
1ère (David)
(Sylvie)
e
2 (Quinaut)
+ euh ils trouvent une maison de euh de la souris
ensuite il a raconté-rencontré un un hibou
il a il a vu un [idu] un hibou il a vu un hibou
223
-
Ou, par des verbes de communication (répondre, crier), et cela, souvent à travers
une interprétation de personnification.
2e (Marie)
3e (Cécile)
-
Luc sa Luc crie à Luc crie à la souris
tu as vu une grenouille ah mon mon mon Rond ma Ronde il ma
Ronde
tu es là mon Tintin
mais non dit Monsieur Hibou
Le hibou est introduit en tant que déclencheur la chute/fuite du garçon.
1ère (Lydie)
mais cette fois un hibou est en aussi colère
+ et il il met il met
le petit Nicolas tomber de tomber de de d’arbre
Aux stades intermédiaire et avancé, cette tendance est plus accusée, avec une
interprétation plus variée (choqué, dirigé, attrapé, attaqué par le hibou).
2e (Clara)
++ et à ce moment-là Gandin est arrivé devant une petite [mõ]
montagne
par dirigé par un hibou
(Laurent)
mais il a choqué par une par un hibou
e
3 (Laurent)
après attraper après être attrapé par les guêpes par le rat aussi aussi
par le hibou il n’a pas il ne trouve pas encore
(Louise)
puis ce garçon euh pour échapper un hibou qui lui fait peur
(Sylvie)
et en même temps euh Jean est attaqué par un hibou
Malgré la présence de différents prédicats qui permettent aux sujets de varier et de
personnaliser la narration, aucun lien n’étant dressé entre la présence du hibou et le
trou, la trajectoire est ici totalement absente.
z
Prédicats spatiaux (ii)
Divers prédicats dynamiques ont été mobilisés pour renvoyer à un déplacement par
rapport au trou.
Tableau VIII -13 (Déplacement – trame : 5 et 8 : occurrence)
L’apparition de la taupe et celle du hibou
Constructions
1ère collecte
2e collecte
3e collecte
taupe↑
hibou↑
taupe↑
hibou↑
taupe↑
hibou↑
-
9
0
6
0
4
0
i) Existence de l’animal
8
16
5
11
5
11
ii) prédicats dynamiques
5
6
11
11
13
11
224
A travers ce bilan, nous pouvons constater que :
-
Le nombre des sujets qui se sont passés de l’apparition de la taupe est en baisse
constante, alors que celle du hibou est toujours abordée, quelle que soit la forme
de désignation.
Il y a une double raison pour cette attention maintenue au hibou, d’un côté, le rôle
de l’oiseau dans le développement de la trame, lequel a causé la chute du garçon
de l’arbre ou l’a conduit près du rocher, de l’autre, l’accessibilité du mot « hibou »
qui figure déjà sur la liste des noms nécessaires, donnée aux sujets lors de leur
préparation.
L’intérêt portant sur l’apparition de la taupe semble connaître une croissance,
surtout au stade avancé, cela correspond à une accessibilité progressive à la
dénomination du référent animé :
1ère collecte : souris (5 occ.), rat (1 occ.), un autre/petit animal (8 occ.)
2e collecte : souris (8 occ.), rat (5 occ.), un autre/petit animal (3 occ.)
3e collecte : souris (6 occ.), rat (7 occ.), taupe (1 occ.), un autre/petit animal (4
occ.)
-
Au stade initial, peu nombreux sont les sujets qui ont recouru aux prédicats de
déplacement (5 et 6 occ.), alors que dans les étapes suivantes, c’est une solution
dont s’est servie la moitié des sujets.
Tableau VIII -14 (Déplacement – trame : 5 et 8 : prédicats)
taupe↑
1ère collecte
2e collecte
3e collecte
Sortir (2)
Sortir (4)
Soritr (6)
Quitter
hibou↑
Monter
Montrer
Apparaître (4)
Apparaître (3)
Arriver
Se présenter
Paraître
Paraître
Surgir
Venir
Se jeter
Sortir (5)
Sortir (5)
[fle]
Apparaître (4)
Apparaître (2)
Arriver
Voler
Paraître
Venir
Venir
Voler(2)
Sortir
(2)
Partir
Surgir
225
Nous examinons de plus près les prédicats employés:
-
Sortir, qui indique une trajectoire avec franchissement du trou, reste le prédicat
privilégié aux stades successifs.
-
Montrer, apparaître, paraître, se présenter, constituent une autre solution bien
fréquente, surtout aux stades intermédiaire et avancé : ces verbes destinés à
marquer la présence de l’animal, dont le parcours par rapport au trou s’avère
moins évident.
-
Voler dont la présence peut être observée à chaque stade, renvoie à la manière de
« se déplacer en air » du hibou.
1ère (Delphine)
2e (Delphine)
+ le garçon crie à un trou
tout à coup + hibou un euh un hibou un hibou [fle]
++ il crie euh à cette à cette à ce euh à ce trou
mais + un hibou euh vole + un hibou y vole
Delphine étant la seule à se focaliser sur la manière pendant les deux premières
collectes, s’est servie tout d’abord d’un terme [fle] qui, phonologiquement,
ressemble à fly, équivalent de voler en anglais. Autrement dit, quand les moyens
linguistiques n’étaient pas disponibles, elle a eu recours à l’anglais, la langue
étrangère mieux maîtrisée que le français à l’époque. Ce qui peut être confirmé
par la désignation du même procès à la 2e collecte, où les structures s’avèrent
similaires (crier au trou, voler), mais cette fois, Delphine a réussi à solliciter le
mot voler, en essayant de combinant le lieu source avec « y ».
Au stade avancé, Lydie et Quinaut se sont aussi focalisés sur la manière, à travers
le prédicat voler et aussi l’adverbe (brusquement, soudainement), dans le but
d’indiquer la façon rapide, brutale et inattendue du déplacement de l’oiseau.
3e (Lydie)
(Quinaut)
mais brusquement un hibou vole vers le trou
et fait fait tomber Pierre fait tomber Pierre
et soudainement un hibou vole de ce trou
et il fait peur au garçon
Ce qui est intéressant, c’est que quand la manière est mise en relief, les apprenants
essaient aussi de décrire la trajectoire, et cela, à travers des prépositions « de »
« vers », aucun apprenant n’a pu activer le prédicat s’envoler lexicalisant la manière
et la trajectoire, verbe pourtant disponible dans leur lexique, surtout à la 3e collecte.
226
-
Se jeter (‘s’élancer avec précipitation sur’), surgir (‘apparaître ou naître
brusquement en s’élevant, en sortant de’), prédicats impliquant à la fois la
trajectoire et la manière ont été relevés au stade avancé, chez Lydie et Marie.
3e (Lydie)
mais un grand rat se jette vers Pierre
(Marie)
-
mais surgit une souris et et avec avec une odeur odieuse
…
mais un hibou un hibou surgit
Si partir, quitter arrivent à faire référence au parcours de l’animal sortant du trou,
venir, monter, arriver, qui véhiculent une information autre que trajectoire, sont
moins adéquats.
1ère (Alix)
mais un un petit animal arrive
…
mais mais euh un hibou arrive
Arriver indiquant la destination, la direction du parcours de l’animal
(tauper/hibou) par rapport au trou reste à supposer: un déplacement plutôt vers le
trou qu’à partir du trou.
2e (Léon)
(Océane)
euh ++ et puis un hibou + un hibou +++++ un hibou a venu
mais c’est le euh du trou euh vient un rat de champs
mais de ce trou encore euh ne vient pas sa grenouille
…
mais un hibou
qui a euh qui a aussi beaucoup surpris Pascal
Léon et Océan ont employé venir pour insister sur une direction déictique vers le
garçon, ils se mettent alors à la place du protagoniste dans la description.
3e (Julia)
il trouve un trou dans le terre dans la terre
un animal monte
Monter représentant une trajectoire verticale du bas vers le haut, dont la direction
coïncide avec celle du mouvement de l’animal, il ne s’avère pas compatible avec
la nature des propriétés spatiales du trou.
z
La description des natifs
La description des natifs se montre bien similaire: dans les deux procès, ils se
focalisent sur la trajectoire dans la plupart des cas (9 occ. pour la taupe, et 7 pour le
hibou), ou ils décrivent directement l’attaque de l’animal à travers un verbe
227
d’activité .
Tableau VIII -15 (Déplacement – trame : 5 et 8 : prédicats - natifs)
Natifs
Sortir : 9 (trou : 5)
taupe↑
Se faire avoir : NIC
Se faire mordre : STE
Sortir : 7 (trou : 6)
Déployer ses ailes : MIC
hibou↑
faire partir le garçon : NAT
Se trouver effrayer : NIC
Se faire dénicher : VER
Quant au choix du prédicat pour incarner la trajectoire, il s’avère unanime chez les
natifs qui ont tous choisi sortir, en ajoutent d’ailleurs systématiquement le fond (le
trou) en tant que lieu source. Il n’est pas vrai que les francophones ne s’intéressent
qu’à la trajectoire, car la manière est aussi abordée, mais elle se situe au second plan,
véhiculée par des structures périphériques : adverbe (rapidement), ou locution
adverbiale (à toute allure), et cela seulement dans l’apparition du hibou (2 occ.)
STE
YVE
z
27b.
alors que justement <le> [/] le hibou (27c,27d) sort # très rapidement
<d’un seul> [/] d’un seul jet
27c.
(qui était caché dans le trou)
27d.
(dans lequel il cherchait <sa> [/] sa grenouille)
43c.
une chouette, sort à toute allure, de ce trou
Bilan
57 prédicats dynamiques incarnant l’information spatiale sont employés par les
apprenants pour décrire l’apparition de la taupe et celle du hibou, et chez les natifs,
nous en avons relevé 22. Ils sont répartis comme suit :
Figure VIII - 5 (Déplacement – trame : 5 et 8 : pourcentage)
228
taupe - hibou
80.00%
60.00%
apprenants
natifs
40.00%
20.00%
0.00%
TRA
autre
M AN
TRA+M AN
DX
DES
apprenants
47.30%
31.60%
7%
5.30%
5.30%
3.50%
natifs
72.70%
27.30%
Les apprenants tendent à décrire avant tout la trajectoire (47,3%) ou à insister sur la
visibilité de l’animal en tant que résultat du déplacement (autre : 31,6%). L’intérêt
portant sur la manière reste présent au cours des collectes (7%), mais ne s’avère pas
manifeste. Alors que dans un déplacement avec franchissement de frontière, les natifs
choisissent de mettre en évidence la trajectoire, comme dans la fuite de la grenouille,
et cela, souvent par le biais du verbe sortir suivi du lieu source du déplacement.
VIII.3.2
Trajectoire directionnelle
Il s’agit des mouvements de direction ascendante (montée) ou descendante (chute).
VIII.3.2.1
Mouvement de bas en haut (7, 10)
L’histoire de la grenouille comprend deux procès relatifs au mouvement de bas en
haut : les déplacements du garçon par rapport à l’arbre et au rocher, deux mouvements
dont la direction est similaire, que nous avons décidé de traiter en même temps.
Nous allons prélever dans les désignations concernées, les prédicats qui font référence
au mouvement ascendant.
z
Les apprenants
Tableau VIII -16 (Déplacement – trame : 7 et 10 : prédicats )
La montée sur l’arbre et sur le rocher
VTRA
1ère collecte (7/22)
2e collecte (12/22)
3e collecte (13/22)
Monter (5)
Monter (6)
Monter (4)
Grimper (5)
Grimper (6)
VTRA+MAN
↑arbre
VDX
Aller
VMAN
Ramper
Arriver
VDES
Localisation
Etre
Etre
Se trouver
229
1ère collecte (7/22)
2e collecte (15/22)
Monter (6)
Monter (12)
VTRA
↑rocher
VTRA+MAN
Localisation
Grimper (2)
Crier sur
Se dresser
3e collecte (18/22)
Monter (9)
S’avancer
Grimper (6)
S’enfuir
Se reposer
L’inventaire des prédicats employés permet d’observer que :
-
Les sujets manifestent plus d’intérêt aux déplacements ascendants aux stades
intermédiaire et avancé, plus d’attention est attribuée au mouvement par rapport
au rocher.
-
Monter et grimper restant les prédicats privilégiés, la représentation s’avère plus
variés au stade avancé.
z
Monter vs grimper
Monter indique le mouvement allant de bas en haut. Il reste le prédicat le plus
fréquent, suivi par grimper, dont l’occurrence ne le dépasse qu’une fois, au stade
avancé, dans la montée de l’arbre.
Si le prédicat grimper est absent à la 1ère collecte, c’est que ce terme n’est pas
disponible à l’époque. Par rapport à monter, grimper encode à la fois la manière (‘en
s’aidant des pieds et des mains’, donc ramper) et la trajectoire verticale de bas en haut
(donc monter).
En nous appuyant sur la désignation des mêmes procès en chinois, nous
comprendrons mieux la fréquence de grimper, laquelle résulte plutôt de l’impact de la
langue maternelle.
Tableau VIII -17 (Déplacements – trame : 7 et 10 : désignation en chinois)
Garçon ↑arbre
Garçon↑rocher
Qi
[ramper + arriver + arbre + sur]
[ramper + arriver+rocher+sur]
Mo
[ramper + arriver + arbre + sur]
[se cacher + arriver+rocher+sur]
Wenjing
[ramper + monter + arbre]
[ramper + monter+pierre]
Rui
[ramper + s’éloigner]
[ramper + monter+ pierre + sur + aller]
Xiyan
[ramper + arriver + arbre + sur]
[ramper + monter+ pierre]
YUK
[ramper + monter + arbre]
[venir + arriver + arbre]
YIN
[ramper + monter + arbre]
[ramper + arriver+rocher+sur]
230
PEN
[ramper + arriver + arbre + sur]
Ø
YIW
[ramper + monter + arbre]
Ø
ZHI
[ramper + arriver + arbre + sur]
Ø
WEI
[ramper + monter + tronc]
Ø
Dans ces deux procès relatifs au mouvement de bas en haut, tous les natifs chinois
(sauf l’absence de la montée au rocher chez 4 sujets chinois) ont décrit la manière du
déplacement (pá ‘ramper’ ou ‘se déplacer à quatre pattes’), avant d’indiquer soit le
terme de la trajectoire introduit par le verbe résultatif dào ‘arriver’, soit l’orientation
du mouvement à travers le verbe directionnel shàng ‘monter’.
Les données en chinois montrent que pour la trajectoire verticale de bas en haut, les
Chinois s’intéressent avant tout à la manière. Cela pourrait expliquer le recours
fréquent au verbe grimper, car celui-ci, incarnant la manière du mouvement (ramper),
mais aussi implique la direction ascendante (monter), correspond exactement à la
désignation du procès en chinois.
z
Prépositions spatiales
Monter et grimper en tant que verbes intransitifs, assurent la même trajectoire
verticale, et les prépositions qui suivent indiquent la position finale du garçon par
rapport au fond (arbre/rocher).
¾ ↑arbre
« Dans » :
2e (David)
(Théa)
et puis le garçon monte dans un arbre
et ensuite Luc a grimpé dans un arbre
1ère (Claire)
3e (Claire)
+++ ensuite François se monte sur un arbre
Pierre grimpe même sur un arbre
« Sur » :
« à » : préposition neutre servant à relier la figure et le fond, ne fournit pas une
information locative précise, atteinte de la cible non mentionnée. Nous n’en révélons
que 2 occurrences, et cela, seulement à la 1ère collecte.
1ère (Quinaut)
(Lydie)
après elle se [mõ] après il s’est monté à l’arbre
et ensuite le petit Nicolas [mã] euh petit Nicolas [mãt] à au au un
231
arbre
Ø (fd) : la préposition fait défaut, le prédicat (monter ou grimper) suivi directement
du fond.
Tableau VIII -18 (Déplacement – trame : 7 : prépositions)
↑ arbre
Monter
1
ère
Dans
Sur
à
Ø (fd)
2
2
collecte
1
1
e
2 collecte
3
2
e
3
1
3 collecte
Grimper
1
Dans
Sur
2
1
Ø (fd)
3
2
3
« Dans », « sur », « à », étant 3 prépositions possibles, ont été employés aux stades
successifs.
L’absence de la préposition, en tant que représentation inappropriée, reste pourtant
récurrente, surtout quand le prédicat est grimper.
La raison réside plutôt dans l’impact du chinois qu’une simple omission de
préposition.
Il faut revenir à la double identité dont dispose 上-shàng, comme ce que nous avons
abordé dans le chapitre VII.
Verbe : monter ( la trajectoire ascendante)
上-shàng
Locatif : sur, au-dessus ou dans105
Nous revenons à la désignation du procès en chinois, ce qui pourrait se résumer à
deux structures :
a) 爬到树上[ramper + arriver (R) + arbre + sur]
b) 爬上树 [ramper + monter (D) + arbre]
Notons qu’à la structure (b), la structure sérielle verbale 爬上 englobant la manière
(爬 ramper) et la trajectoire verticale (上 monter), équivalente au prédicat grimper en
français, est reliée directement au fond.
Depuis la 2e collecte, nous avons relevé en tout 6 occurrences où grimper est suivi de
« l’arbre ».
105
Voir VIII.2.2.1, p.193.
232
2e (Claire)
(Clara)
(Louise)
e
3 (Cécile)
(Louise)
(Marie)
et donc il euh il grimpe l’arbre
alors Gandin grimpe l’arbre
et le petit garçon euh [õ] euh grimpe un grand arbre
François François a grimpé l’arbre
donc il grimpe cet arbre
le garçon est grimpe l’arbre
La fréquence se révèle assez haute, car les sujets ont recouru à une structure similaire
à celle en langue maternelle.
Cela aiderait aussi à comprendre pourquoi avec monter, il existe aussi l’omission de
préposition.
En chinois, dans les structures verbales sérielles, le premier prédicat indique la
manière, et le deuxième, la trajectoire. C’est une construction qui permet de mettre en
relief la manière, laquelle n’est pourtant pas un élément indispensable. Autrement dit,
les versions simplifiées (parties surlignées) sont tout à fait acceptables.
游-过-河 yóu-guò-hé (nager – traverser – rivière)
过-河 guò-hé (traverser – rivière)
跑-出-教室 pǎo-chū-jiàoshǐ (courir – sortir – bureau) 出-教室 chū-jiàoshǐ (sortir – bureau)
飞-进-森林 fēi-jìn-sēnlín (voler – entrer – forêt)
进-森林 jìn-sēnlín (entrer – forêt)
Il en est de même pour le déplacement par rapport à l’arbre, 爬上树 [ramper +
monter (D) + arbre] pourrait bel et bien être abrégé comme 上树[monter (D) + arbre],
le fond est suivi directement de monter.
Comme dans les désignations relevées aux 1ère collecte et 2e collecte.
1ère (Léon)
+ et puis le garçon euh le garçon +++++ le garçon monte euh monte
+ monte euh un arbre
et puis le garçon le garçon euh mont monte une arbre
et puis Julien monte dans euh monte + un arbre
(David)
2 (Alix)
e
¾ ↑rocher
Tableau VIII -19 (Déplacement – trame 10 : prépositions)
↑ rocher
Monter
Sur
1
ère
dans
collecte
2
e
2 collecte
8
3
e
4
5
3 collecte
Grimper
à
Ø (fd)
Ø
2
1
1
1
Sur
Ø (fd)
1
1
3
2
Au-dessus
1
233
L’impact des propriétés sémantiques de 上-shàng, à la fois locatif
et verbe de direction, pourrait expliquer d’un côté l’omission de la
préposition dans le déplacement ascendant du garçon par rapport
au rocher, et de l’autre, la confusion entre « sur » et « au-dessus »,
relevée à la 3e collecte, ce qui confirme aussi l’hypothèse 3 dans le
chapitre VII.
Comment expliquer le recours à « dans » (8 occ.), vis-à-vis d’un fond qui n’est pas un
contenant propice à la figure qui est le garçon. Nous pouvons avancer deux
hypothèses:
-
Transfert de relation spatiale (3 occ.)
Dans deux procès similaires, les apprenants chinois tendant à se servir de la même
structure, en reprenant le même prédicat et/ou la même préposition, car c’est d’une
solution moins coûteuse et plus facilement récupérable106, une simple modification de
fond suffit.
Ainsi, les trois sujets ont transféré la relation « dans » sur le rocher.
2e (David)
(Eva)
3e (Violette)
-
et puis le garçon monte dans un arbre
…
donc il monte dans le rocher
et euh il a grimpé dans une dans une grande branche
…
et euh euh ++ il a monté euh il a monté dans une grande euh pierre
donc il s’est il monte dans un arbre
Tintin monte dans une pierre
Dénomination du fond (3 occ.)
La dénomination du fond varie au cours des 3 collectes :
1ère collecte : pierre
2e collecte : pierre, rocher, roche, roc
3e collecte : pierre, rocher, roche, montagne, colline
La qualification du fond pourrait conditionner la relation entre le garçon et le fond :
« montagne » et « colline » s’avèrent deux contenants tout à fait possibles. Ce qui
106
En fait, nous avons remarqué ce phénomène: dans l’apparition de la taupe et celle du hibou, Alix et Océane ont
répété respectivement arriver et venir. Voir plus haut, section VIII 3.1.2, p.224.
234
pourrait expliquer le recours à « dans » des trois sujets suivants.
3e (Clara)
(Eva)
(Théa)
z
il regarde François
qui est monté dans une petite montagne
et puis Pascal est monté dans une grande dans une grande euh dans un
petit montagne
ensuite Jacques s’est monté dans une petite colline
Autres solutions
A part grimper et monter, nous avons relevé d’autres désignations du procès :
-
Localisation spatiale
La localisation du garçon est incarnée par des prédicats statiques : être ou se reposer.
1ère (Louise)
2e (Julia)
3e (Julia)
(Quinaut)
et le garçon euh qui euh qui est dans dans un arbre
à ce moment-là Pascal est dans l’arbre
il est sur un arbre
euh et il se repose sur une pierre
Se dresser, employé par Marie, comporte des traits « orientationnels se rapportant au
sujet » (Borillo : 15), et fait référence à un garçon qui se met sur la pointe des pieds.
Ainsi, la désignation revient à la localisation du garçon sur la pierre.
2e (Marie)
il il se dresse sur sur le roc
Quel que soit le prédicat (être, se reposer, se dresser), la localisation statique du
garçon par rapport à l’arbre/au rocher permet d’inférer un déplacement ascendant
effectué antérieurement, qui conduit à la position décrite.
-
Deixis, trajectoire ou destination
1ère (Marie)
3e (David)
le garçon et garçon euh garçon va va à la maison de le hibou
+ et quand quand il euh arrive à quand il arrive à la porte du trou
Le recours à aller permet d’indiquer non seulement la deixis du mouvement, mais
aussi la destination, le même rôle que arriver. La maison du hibou/la porte du trou
servant de lieu cible, située de façon imprécise par rapport à l’arbre, la description
renvoie difficilement à un déplacement du bas en haut sans les images.
3e (Cécile)
(Léon)
François et le petit chien se sont enfuis jusqu’à un grand rocher
le garçon s’avance vers un grand une une grande pierre
pour monter en haut voir plus loin
235
Chez Cécile et Léon, la trajectoire de s’enfuir et s’avancer s’arrête au rocher. Les
deux prépositions « jusqu’à », « vers », intrinsèquement dynamiques (Borillo, ibid.),
incarnent respectivement « une perspective d’un point d’arrivée » et un « parcours »,
ne révèlent aucune information illustrant la situation finale du garçon. Le déplacement
vertical, précisé en tant qu’objectif dans la désignation de Léon, n’est pas effectué
explicitement.
-
Manière
3e (Quinaut)
quant au garçon il il rampe dans un arbre
pour pour crier vers un trou de cet arbre
Quinaut est le seul à insister sur la manière du mouvement, mais ce déplacement lent
« à plat ventre et en s’aidant de ses quatre membres », ainsi horizontal, ne s’avère pas
compatible avec l’arbre dont la position canonique est verticale, ce qui rend la
représentation du procès peu pertinente.
z
Les natifs
Tableau VIII - 20 (Déplacement – trame : 7 et 10 : natifs)
Natifs : déplacement ascendant
Ø
Localisation
↑ arbre
↑ rocher
4
0
2 : sur (branche)
2 : en haut de
dans (arbre)
sur le haut de
monter (5) : sur
grimper (4) : dans (3), à (1)
Déplacement
grimper (2) : sur
monter (1) : dans
se hisser (2) : sur
Sous l’angle de prédicats, nous avons marqué la présence de grimper, se hisser qui
indiquent non seulement la direction, mais aussi la manière (‘en utilisant les mains et
les pieds’, donc, avec effort physique), autrement dit, dans un mouvement qui s’avère
cognitivement
plus
complexe
qu’un
simple
déplacement
directionnel,
les
francophones pourraient bien mobiliser des verbes lexicalisant en même temps
trajectoire et manière.
Quant au choix des prépositions, il se montre aussi bien homogène, le garçon est
souvent localisé « dans » l’arbre (5 occ.), et toujours « sur » ou situé par rapport au
236
« haut » du rocher.
z
Bilan
Ainsi, en ce qui concerne les deux procès du mouvement ascendant du garçon, nous
avons recensé en tout 72 prédicats chez les apprenants et 18 chez les natifs, répartis
comme suit :
Figure VIII -6 (Déplacement – trame : 7 et 10 : pourcentage)
Déplacement ascendant
80.00%
60.00%
apprenants
natifs
40.00%
20.00%
0.00%
T RA
T RA+MAN
LOC
DES
DX
MAN
apprenants
61.60%
27.80%
6.90%
1.40%
1.40%
1.40%
natifs
33.30%
44.50%
22.20%
Dans un déplacement de bas en haut, qui, dans son essence demande plus d’effort
qu’un simple changement de place, comme ce que l’on a vu dans ce récit, les natifs
préfèrent les verbes lexicalisant trajectoire et manière (44,5%), ce qui inverse, pour la
première fois, la tendance de la lexicalisation à privilégier la trajectoire, alors que le
recours à la trajectoire l’emporte de loin sur celui combinant la manière et la
trajectoire chez les apprenants (61,1% contre 27,8%). La localisation, beaucoup moins
utilisée (6,9%) permet aussi d’inférer cette montée précédemment accomplie, comme
ce que font aussi les natifs (22,2%).
VIII.3.2.2
Mouvement du haut vers le bas (9, 12)
La trame contient deux déplacements de direction descendante, dont la figure et le
fond sont : 1) le garçon – l’arbre ; 2) le garçon – la mare.
22
22
Les deux procès n’ont pas mérité la même
22
20
attention : la chute du garçon dans la mare est
15
11
10
11
7
5
arbre
mare
décrite par tout le monde, car il s’agit d’un
maillon crucial conduisant directement à la
0
1ère
2e
3e
237
découverte de la grenouille, alors que ce n’est pas la chute de l’arbre, abordé à peine
par la moitié des sujets, puisque c’est une trajectoire tout à fait prévisible : la
grenouille n’étant pas dans l’arbre, le garçon devra le quitter pour continuer sa
recherche.
z
Garçon
↓arbre
Dans ce déplacement du haut vers le bas, incarné par tomber, nous nous intéressons
plutôt aux lieux de référence impliqués dans la trajectoire.
Tableau VIII -21 (Déplacement – trame : 9 : fond)
1ère collecte (7/22)
2e collecte (11/22)
3e collecte (11/22)
lieusource
3
3
4
lieucible
1
7
4
Ø
1
Causalité
2
1
2
garçon↓arbre
tomber
Trajectoire complète
1
Dans la chute du garçon de l’arbre, l’attention portant sur le lieu source et le lieu cible
semble partagée, sauf à la 2e collecte.
Lors de la 1ère collecte, étant la seule à indiquer le lieu cible, Claire a recouru à « sur »
pour marquer le rapport spatial entre le garçon et la terre, ce qui est compréhensible,
étant donné la relation incarnée par le locatif 上-shàng. En effet, pour le même procès,
on dit en chinois 摔到地上 shuāi-dào-dì-shàng [tomber + arriver + terre + sur].
1ère (Claire)
++++++ son il y a un hibou
++ et François est surpris
il tombe sur terre
Etant conscients de l’impact du chinois, les enseignants demandent souvent aux
apprenants de retenir tomber par terre/à terre comme une expression toute faite, afin
d’éviter les formes erronées telles que tomber sur la terre.
L’enseignement imposé a fait son effet, l’occurrence de «par terre/à terre » aux stades
intermédiaire (6 occ.) et avancé (3 occ.) est parlante. Mais l’impact de 上 shàng existe
toujours.
2e (Eva)
3e (Alix)
et puis soudain euh son chien a tombé euh sur le terrain
et son chien est tombé euh sur terre
238
Or, nous remarquons que dans les productions des natifs, la chute du garçon est plutôt
marquée par le lieu source du mouvement descendant, sinon, totalement absent. Cela
pourrait s’expliquer par le sémantisme du verbe tomber : ‘être entraîné à terre en
perdant équilibre’. Comme le verbe même implique déjà le terme du mouvement, il
semblerait redondant d’expliciter encore le résultat « par terre », à moins que le lieu
cible soit un endroit autre que la terre (comme la chute du garçon dans la mare).
Tableau VIII -22 (Déplacement – trame : 9 : fond : natifs)
Natifs : déplacement descendant
Garçon
↓arbre
Ø (2)
VER, NIC
Tomber (7)
lieusource (4) : HEN, LUC, STE, YVE
Ø : GIL, NAT, YVE
Causalité (2)
MIC, SAM
Ainsi, à cause de l’enseignement, dans la production en français, l’attention des
apprenants est orientée de l’origine de la trajectoire vers le lieu cible de la chute.
La désignation de la causalité révèle aussi une différence : elle est exprimée chez les
natifs par la voix passive, et véhiculée par la structure faire tomber chez les
apprenants.
SAM
MIC
24a.
24b.
24c.
23b.
et <le> [/] <le> [//] l’enfant se retrouve finalement à terre,
euh <re> [//] renversé <par> euh [/] par son chien
et <de> [//] effrayé par le hibou #
il est envoyé par terre, par un énorme hibou
Mais les occurrences ne sont pas suffisantes pour justifier la tendance à décrire la
causalité, c’est ce que nous allons traiter dans la chute du garçon vers la mare,
événement qui implique de façon explicite une relation cause-effet.
z
Garçon ↓ mare
Dans la chute du garçon dans la mare, les prédicats mobilisés s’avèrent plus variés
chez les apprenants.
Tableau VIII -23 (Déplacement – trame : 12 : prédicats)
Garçon ↓mare
1ère collecte (22/22)
2e collecte (22/22)
3e collecte (22/22)
Trajectoire
Tomber (11)
Tomber (10)
Tomber (7)
239
Descendre (1)
Se plonger (1)
CAU
Pousser (1)
Jeter (5)
Jeter (7)
[CAU+TRA]
Faire tomber (5)
Faire tomber (2)
Faire tomber (3)
Donner un coup de
Chasser+tomber (1)
Causalité
CAU+TRA
Construction inappropriée
pied +tomber (1)
Attaquer+faire tomber (1)
Pousser+tomber (1)
Pousser + tomber (1)
2
2
4
Nous pouvons constater que l’attention portant sur la trajectoire a connu une baisse en
faveur de la causalité, la tendance à insister sur à la fois cause et trajectoire est
inversée à la cause à partir de la 2e collecte, souvent incarnée par jeter. Les
constructions inappropriées ont diminué.
¾ Trajectoire
Dans la plupart des cas, tomber est employé pour décrire la chute du garçon.
Le recours à descendre chez Adèle, bien qu’il ne corresponde pas à l’image, reflète
son intention d’indiquer la direction de haut vers le bas.
1ère (Adèle)
euh et puis euh le euh euh le [kεrf] le cerf et ce garçon et son chien
euh descend un petit euh petit petit lac euh de euh ces grand place
Il en est de même pour le prédicat se plonger chez Julia, lequel sert à indiquer une
direction descendante. Entamé par la course du cerf, qui « s’arrête brutalement », la
chute du garçon est provoquée par la force d’inertie.
2e (Julia)
et tout à coup + le grand cerf commence à courir
le cerf s’arrête brutalement près d’un rocher
parce que devant le rocher il y a un lac il y a un lac
donc Pascal et le chien se plongent dans dans le lac
Si, à la 1ère collecte, la moitié des sujets (11/22) ont choisi tomber pour exprimer avant
tout la trajectoire de la chute, c’est parce que les moyens linguistiques permettant
d’indiquer d’autres informations étaient moins accessibles.
La fréquence relativement haute de la trajectoire dans les deux collectes suivantes est
aussi liée à l’interprétation du déplacement qui résulte de l’inertie causée par un arrêt
brusque du cerf durant la course.
La chute étant une résistance que le corps oppose à l’arrêt soudain, la direction de
240
haut vers le bas s’avère un mouvement naturel, plus besoin d’ajouter d’autre
information que la trajectoire.
1ère (Claire)
(Delphine)
euh +++++ et il courit vers vers une rivière
+ le cerf s’arrête
et François et Jonas tombent dans la rivière
++ le cerf court avec avec il et un chien et le chien
+ soudain le [sεr] le cerf + ne court pas
et il le garçon et le chien tombent + tombent dans l’eau dans
tombent dans le [ri] dans le rivière
Au stade initial, 2 apprenantes ont décrit de façon explicite la chute par inertie : Claire
a utilisé s’arrêter, un prédicat que tout le monde ne maîtrise pas à l’époque, ainsi
Delphine a dû recourir à la négation pour marquer le changement d’état « soudain »
du cerf. A partir de la 2e collecte, s’arrêter étant accessible à tout le monde,
l’occurrence de l’interprétation basée sur l’inertie a connu une fréquence plus
importante. Nous remarquons d’ailleurs que 5 sujets ont recouru aux stades
intermédiaire et avancé, à la même représentation, que Delphine a maintenue dès le
premier recueil.
1ère : Claire, Delphine
2e : Alix, Claire, Delphine, Julia, Océane, Sophie, Théa
3 : Alix, David, Delphine, Julia, Océane, Sophie
¾ Causalité : en insistant sur l’agentivité du cerf dans la chute, les sujets ont choisi
d’englober d’autres informations dont la combinaison est très influencée par la
disponibilité des ressources linguistiques.
1ère collecte
Faire tomber est une solution économique comprenant une double information: le cerf
en tant qu’agent, tomber indiquant la trajectoire. C’est surtout un moyen linguistique
disponible, car les prédicats qui combinent la cause et la manière n’étaient pas
disponibles, sauf chez Louise dont le lexique est plus étendu que les autres107.
1ère (Louise)
107
et + et après il euh il pousse le garçon euh dans dans la dans la
montagne
Dans l’analyse du récit Le Chat, chapitre V.2.1.3, p.85.
241
2e collecte
Equipés de plus de moyens linguistiques, les sujets ont pu varier l’expression en se
focalisant sur la manière.
Le choix du prédicat dépend de l’information véhiculée : jeter décrit le mouvement du
cerf qui lance au loin le garçon avec ses bois, le trait sémantique ‘envoyer loin en
lançant’ du verbe implique un parcours parabolique de l’objet, qui finit
automatiquement par tomber.
Or, ce n’est pas le cas pour le verbe pousser qui, renvoyant à un mouvement visant à
‘faire bouger ou faire avancer’, implique plutôt une pression horizontale. Le recours
simple à pousser ne suffirait pas à faire référence à la chute du garçon, ainsi Marie a
ajouté par la suite le verbe tomber, consciente que si les traits sémantiques du verbe
permettent d’exprimer la manière, ils n’arrivent pas à tracer de façon explicite la
trajectoire descendante du garçon.
2e (Marie)
il le il le met il le met dans euh il leur + poussait et il les il les
poussa
et Luc et Dodo tomba à tomba à l’eau
L’interprétation de David est spécifique et unique dans le corpus : la chute du garçon
est causée par le coup de pied donné par le cerf.
2e (David)
et il le [[∫erf]-cerf donne un pied au chien
et il euh il il ++ il donne un pied aussi au garçon
donc ils sont tombés du rocher du roche
3e collecte
Jeter reste le choix privilégié (7 sur 15 occurrences relatives à la cause), car c’est une
solution économique et surtout efficace : le recours à un seul prédicat permet
d’insister sur l’agentivité du cerf tout en impliquant le parcours de la chute.
Quand les prédicats utilisés n’arrivent pas à renvoyer à la direction descendante, tels
que chasser et attaquer, un ajout de trajectoire verticale semble nécessaire.
3e (Hélène)
(Laurent)
il chasse
ce garçon et son chien tomber dans l’eau
le cerf attaquer attaquer le cerf le cerf fait le tomber dans le lac
La constitution de l’arrière-plan y joue aussi : Marie est très détaillée dans la
242
description du procès en marquant le lieu cible du parcours déictique du cerf par
« falaise », les caractéristiques physiques du fond (‘escarpement rocheux, descendant
presque à la verticale dans la mer’ ) prévoient déjà une éventuelle chute qui semble la
seule issue, provoquée par le mouvement du cerf (pousser) et confirmée plus tard par
l’état du garçon (tombé à l’eau).
(Marie)
le cerf le cerf apporte le petit garçon jusque jusque jusque jusqu’à la
falaise
et le chien le suit le suit le suit avec inquiétude
pousse il pousse le petit garçon et le chien à l’étang
là-bas peut-être vous pouvez trouver la grenouille
tombé à l’eau tombé à l’eau
le garçon se sent très très triste
¾ Les constructions inappropriées
Les désignations inappropriées relevées nous révèlent aussi différentes focalisations.
Trajectoire
1ère (Mélanie)
(Océane)
2e (Lydie)
3e (Adèle)
et il a ++ et il a tombé le garçon
+ le cerf a tombé le garçon et son chien dans l’étang
le cerf lui a lui a tombé dans fleuve, dans un fleuve
et le cerf la le cerf le tomber dans l’eau
C’est une structure sollicitée à tous les stades. Visiblement, les sujets ont envie
d’englober la cause avec le cerf comme sujet et la trajectoire incarnée par tomber.
Pourtant elles ont cru que tomber pourrait aussi être utilisé en tant que verbe transitif,
comme descendre, dans le sens de ‘déplacer quelque chose de haut vers le bas’. Les
sujets ont transféré l’emploi transitif de descendre sur tomber, tous les deux porteurs
de la direction descendante.
Cause
1ère (Marie)
puis le cerf le cerf euh a fait les les deux les deux a fait les deux a
fait les deux sur sur un sac-[lac] un sac-[lac]
Le sujet (cerf) et le recours à faire révèlent que Marie a voulu insister sur la causalité
dans le procès. L’omission de la trajectoire est plutôt causée par le doute sur le fond
(sac – [lac]), répété deux fois. La concentration sur la dénomination du fond pourrait
perturber la construction prédicative, d’où l’oubli de tomber.
243
Eva est la seule à échouer trois fois de suite à formuler une désignation appropriée.
1ère (Eva)
2e (Eva)
3e (Eva)
euh ++++++ et le cerf euh met l’enfant et son chien euh + dans une
fleuve
et enfin euh ce cerf a donné Pascal et son chien dans une [ri] rivière
rivière
euh enfin il le cerf a pris Pascal et son chien dans une rivière
Durant les 3 collectes, Eva reste fidèle à la structure [V+ le garçon et le chien+dans la
rivière].
Au stade intermédiaire, le recours à donner pourrait paraître bizarre, mais si nous
remontons un peu plus haut, nous pouvons retrouver le même prédicat employé pour
le mouvement gestuel du garçon, dans le sens de « mettre ses mains sur une branche ».
En effet, Eva s’est servie de donner à la place de mettre.
2e (Eva)
et et et + et il euh il a donné ses ses mains euh en un en une une
branche d’un arbre
Autrement dit, l’interprétation d’Eva reste la même : la mobilisation du verbe mettre,
donner ou prendre, destinée à mettre l’accent sur le cerf qui conduit l’enfant et le
chien dans le fleuve. Du point de vue linguistique, Eva se contente du lexème au
niveau de base, sans pouvoir activer des prédicats « sémiquement plus chargés ».
z
Bilan
Nous avons relevé dans la désignation de la chute du garçon dans la mare, 70
prédicats108.
Tableau VIII - 24 (Déplacement – trame : 12 : pourcentage)
Occurrences
100%
TRA (tomber, descendre, se plonger)
34
48,6
[CAU+MAN] (jeter, pousser, attaquer, chasser)
18
25,7
[CAU+TRA] (faire tomber)
10
14,3
TRA
4
5,7
CAU
4
5,7
Dans ce déplacement descendant causé par le cerf, le verbe de trajectoire reste
privilégié (48,6%), mais les sujets ont aussi manifesté une préférence pour la cause
108
Les prédicats dans les structures inappropriées sont aussi pris en compte (surlignés en gris).
244
par le biais des prédicats sémantiquement plus chargés, dont l’information véhiculée
varie en fonction des ressources linguistiques disponibles : à la 1ère collecte, faire
tomber est employé pour combiner la cause et la trajectoire, alors qu’aux deux
collectes suivantes, l’emploi de jeter est massif au prélèvement, car il représente la
manière mais implique aussi une direction du haut vers le bas.
VIII.3.3
Trajets entre deux lieux de références – trame
Trois trajets de ce type sont abordés dans le corpus : le déplacement du garçon de la
maison à la forêt, celui du cerf du rocher au précipice, le retour du garçon de la mare à
la maison.
VIII.3.3.1
Déplacement de la maison à la forêt (3)
La représentation de ce trajet implique trois éléments : lieu source, lieu cible et le
prédicat exprimant le parcours.
z
Lieu source : la maison
2e (Sophie)
et euh Pierre euh Pierre et Tata Pierre et Tata euh quittent euh
quittent sa maison
Quand il s’agit du verbe sortir ou partir, le lieu source est souvent facultatif, car les
traits sémantiques du partir (‘quitter le lieu où on se trouve’) ou sortir (‘aller à
l’extérieur du lieu où l’on se trouve’) impliquent déjà le point de départ de la
trajectoire.
1ère (Laurent)
2e (Marie)
z
euh mais ils ne euh ils ne sont pas ils ne ils ne euh ils ne la ils ne la
pas trouver dans la dans la maison
donc il sortir euh ils euh ils sont sortis
[o] il il partit
pour trouver pour trouver leur [grənu] grenouille Ronde
Lieu cible
1ère collecte : bois (5 occ.), forêt (3 occ.), place (3), arbres(2), fleuve/rivière (2),
dehors, région
2e collecte : forêt (13), bois (2), rivière (2), parc, près de sa maison
3e collecte : forêt (19), bois, rivière
Le bilan des entités relevées dans trois collectes témoigne d’une diversification à une
245
convergence alliée quant à l’identification du fond.
Quand les sujets n’arrivent pas à solliciter « forêt », « bois », termes renvoyant à ‘une
grande étendue de terrain plantée d’arbres’, ils ont recouru à deux solutions : une
entité faisant partie du fond, donc « arbres », ou un terme plus général dénotant des
entités matérielles moins précises, telles que « parc », « place », « région », ou encore
plus vague, « dehors », voire « près de sa maison ».
Moins sont disponibles les ressources linguistiques, plus généraux et diversifiés sont
les termes sollicités, car les sujets doivent chercher des solutions compensatoires. Au
stade avancé, la convergence du fond (« forêt », «bois ») reflète le fait que les sujets,
après 3 ans d’études, acquièrent les moyens linguistiques nécessaires pour dénommer
les entités de façon appropriée.
Le recours à « fleuve/rivière » chez Océane et Sylvie est d’une autre nature : c’est
plutôt un choix volontaire qu’une solution compensatoire.
Chez Sylvie, le fleuve/rivière assure une double fonction : il sert de destination du
déplacement du garçon, mais aussi de terme de la chute.
1ère (Sylvie)
2e (Sylvie)
il est parti
pour trouver son pour trouver sa grenouille avec avec son chien
ils sont allés au bord du fleuve
…
et le garçon et son petit chien tomber au fleuve
d’abord ils ont arrivés au au bord de la [ri] [ri] rivière
…
malheureusement le petit garçon et son petit chien sont tombés dans
la [rjεv]
Ce n’est pas le cas chez Océane, qui s’est servie trois fois de suite de la même
construction pour organiser le déplacement du garçon : la destination étant toujours la
rivière, le point de départ est de plus en plus précisé, de « dehors » à « la maison », en
passant par « hors de la maison ».
1ère (Océane)
2e (Océane)
++++ euh le garçon ++++ et son chien alors ils partaient pour
chercher la grenouille [da] dehors
euh d’abord ++++ ils étaient long de la rivière
euh et ils se mettent à chercher la grenouille hors de la maison
euh ils viennent d’abord au bord euh d’un rivière d’une rivière
246
et + il y a euh une bande de [grεp]-guêpes euh à l’autre à l’autre à
l’autre côté de la rivière
et Pascal et son chien traversent la rivière
Julien et son chien quittent leur maison pour aller à la rivière d’hier
+ et chercher leur grenouille
3e (Océane)
A la différence des autres, Océane a toujours pris « la rivière » pour point de repère,
ce qui a été d’ailleurs concrétisé au stade intermédiaire : « la rivière » destiné à situer
les guêpes (à l’autre côté) et aussi à tracer le parcours du garçon (traverser). Ainsi,
elle reste fidèle à la conceptualisation tout au long des collectes des données.
z
Prédicats
Nous rendons compte dans le tableau ci-dessous des prédicats employés dans la
désignation du procès.
Tableau VIII - 25 (Déplacement – trame : 3 : prédicats)
Maison → forêt
1ère collecte (19/22)
Lieu source
Partir (2)
2e collecte (22/22)
3e collecte (21/22)
Partir (1)
Quitter (1)
Aller (3)
Lieu cible
Aller (6)
Chercher (1)
Aller (8)
Chercher, trouver (6)
Entrer (3)
Chercher (5)
Arriver (2)
Arriver (1)
Venir (1)
Venir (1)
Localisation (2)
Existence (1)
S’approcher (1)
Venir (1)
Partir (1)
Lieu source - cible
Sortir+arriver (1)
Sortir/partir+chercher (2)
Partir + aller (1)
Partir +arriver (1)
Partir+localisation (1)
Chercher + venir (1)
Sortir+chercher (3)
Sortir +entrer/avancer (2)
Sortir+aller (1)
Partir+localisation statique (1)
Quitter +aller (1)
La lecture du bilan permet de constater que les prédicats destinés à introduire le lieu
cible ont connu une diversification au stade avancé.
Aux deux premières collectes, les prédicats employés véhiculent les informations
suivantes :
Deixis : aller, venir109
109
Nous aborderons l’occurrence de venir un plus tard dans VIII. 3.3.4, p.256.
247
1ère (Quinaut)
euh après le le petit garçon et le chien vont à la forêt
Destination : arriver
1ère (Laurent)
et après il arriver un place
qui que il y a beaucoup de [zarbr] beaucoup de [zarbr]
Activité : chercher
1ère (Alix)
[ã] euh ensuite euh il euh cherche son grenouille dans un bois
Au stade avancé, la fréquence de ces trois types de prédicats baisse en faveur de la
trajectoire :
S’approcher
3e (Lydie)
Pierre et Loulou commencent euh commencent à [sa]
s’approche vers vers le bois
S’avancer
3e (Léon)
+ et puis ils ils ils avancent vers le forêt
3e (Mélanie)
(Théa)
(Laurent)
donc le garçon et le garçon entre encore une fois dans la forêt
donc ils sont entrés dans la forêt pour trouver la grenouille
donc il a décidé de
sortir de la maison
et d’entrer dans la forêt
Entrer
Ou de la localisation
3e (David)
3e (Marie)
+ et le garçon est le chemin de trouver la grenouille avec le chien
+ devant un petit devant un un forêt + euh il s’arrête
ils partent pour le rechercher
+ près de la maison il y a un forêt
Le même intérêt à la trajectoire peut être observé à travers les verbes (partir, sortir,
quitter) qui impliquent le lieu source, dont l’occurrence est passée de 5 (aux deux
premières collectes) à 9 au stade avancé.
Si les sujets ont toujours privilégié le lieu cible, c’est que celui-ci amène le garçon
dans un autre ancrage spatial qui est la forêt, assure ainsi le développement de la
trame. Pourtant, les prédicats relevés au stade avancé ont révélé une plus grande
attention à la trajectoire, avec plus de sujets qui ont choisi de faire référence au lieu
source et de préciser le lieu cible, dans le but de tracer un parcours complet du garçon.
248
z
Natifs
Tableau VIII - 26 (Déplacement – trame : 3 : prédicats : natifs)
Maison → forêt
Natifs (10/11)
Ø
LUC
Partir : MIC, VER
Aller : NAT, SAM, STE
Lieu cible (6)
Prendre la direction : PAT
S’en aller +arriver : GIL
Lieu source – cible (4)
Partir+arriver : HEN
Emmener+rechercher : NIC
Partir+se promener : YVE
Si l’intérêt pour le lieu cible est partagé chez les apprenants (14 : 15 : 12) et les natifs
(6/11), pour la raison que nous venons d’aborder, la différence se situe au niveau des
prédicats : parmi les verbes sollicités pour indiquer le lieu cible, aucun apprenant n’a
recouru à partir, or, c’est un verbe courant chez les natifs, utilisé presque autant de
fois que le verbe aller.
MIC
VER
14a.
12a.
et les voilà qui partent dans la forêt
puis ils partent ensemble dans la campagne
Chez les apprenants, partir n’est activé pour indiquer de façon implicite ou explicite
que le lieu source, comme en LM, le prédicat 离开-líkāi (partir), est souvent lié au
lieu source de la trajectoire. Pour expliciter le lieu cible, il faut y ajouter un autre
verbe.
离开
家
去
学校
líkāi
jiā
qù xuéxiào
partir – maison – aller – école
« Partir de la maison pour l’école »
离开 北京
前往
巴黎
líkāi
Běijīng qiángwǎng bālí
partir – Pékin – se rendre – Paris
« Partir de Pékin pour Paris »
Ainsi, l’idée que partir, lié avec le lieu source est imprégnée dans la conceptualisation
des apprenants, qui « calquent » cette expression en LC, bien que ne manquant pas
des expressions « partir pour la France », « partir pour Grenoble » en français dans
l’enseignement reçu. Autrement dit, l’emploi de partir pour exprimer une trajectoire
249
avec la destination n’est toujours pas acquis, même au stade avancé.
VIII.3.3.2
Déplacement du rocher au précipice (11)
Le procès relatif au déplacement du cerf contient deux
informations spatiales : la localisation du garçon et les
prédicats décrivant le déplacement jusqu’au précipice.
z
La position du garçon
La position du garçon implique deux éléments : le fond et la relation spatiale.
La plupart des apprenants ont choisi de situer le garçon par rapport à la tête du cerf. A
cela une double raison : d’un côté, le répertoire lexical, car le terme « les bois », qui
pourrait mieux encadrer la position du garçon, est peu familier et donc inaccessible,
de l’autre côté, la relation spécifique impliquée : si quelques apprenants ont essayé de
dénommer l’entité (les cornes), personne n’y a eu recours pour représenter la situation,
parce que le garçon est plus facilement situé par rapport à la tête qu’aux bois. Le fond
étant particulier, la relation spatiale impliquée s’avère plus spécifique (entre/au milieu
ou dans). Ainsi, les sujets ont tous choisi un fond moins précis (la tête), voire encore
plus vague (cerf).
Tableau VIII -27 (Déplacement – trame : 11 : prépositions)
Rocher→
précipice
1ère collecte (10/22)
2e collecte (13/22)
3e collecte (9/22)
bois
Tête
Sur (4), à (3), en (1)
Sur (7), dans (3), en (2)
Sur (2), à (3), dans (3)
Cerf
Sur (2)
au-dessus
Sur le dos (1)
Natifs (11/11)
Entre (3) Dans (1)
Entre + sur (2)
Sur (3), En haut (1)
Au milieu+sur (1)
Alors, l’accessibilité à l’item « bois » permet aux natifs de se focaliser sur une
localisation plus précise du garçon, par rapport à aux bois (4. occ.) ou à la tête du cerf
(4 occ.), sinon, en précisant les deux informations (3 occ.).
-
Garçon – tête du cerf
La plupart des sujets ont choisi la tête du cerf en tant que fond, et là, les prépositions
se différencient:
« sur » : illustre la relation porteur-porté entre le cerf et le garçon.
250
« à » et « en » : incarnent une relation spatiale imprécise. « En », relevé aux stades
initial et intermédiaire, résulterait probablement de la préposition « on » en anglais.
1ère (Hélène)
(Océane)
euh il a en il a en le euh il a en le tête de une une euh une cerf
et il euh apporte Pascal en sa tête
La narration d’Eva, qui a recouru successivement à « en » et « à », reflète au mieux le
fait qu’elle a du mal à situer de façon précise le garçon par rapport au cerf. Nous
avons remarqué plusieurs fois que la locutrice Eva manifeste une moins bonne
maîtrise de LE du point de vue acquisitionnel.
1ère (Eva)
euh mais euh soudain euh il trouve euh ++ il trouve
qu’il est qu’il est euh qu’il est ++ en la tête de un cerf
et le cerf est en colère
euh il court euh + avec avec euh avec l’enfant euh + à euh à la tête
2e (Eva)
et ++ euh ce [∫] ce cerf était euh est a commencé à courir avec
Pascal en sa tête
« dans » : la mobilisation de cette préposition pourrait surprendre à première vue, car
la tête du cerf n’est pas un contenant possible pour le garçon. « La tête » servant de
fond à la place des «bois/cornes» que les sujets n’arrivent pas à solliciter, « dans »
paraît plus compréhensible. C’est d’ailleurs une solution que nous avons observé chez
une native française.
VER 21b.
-
qui finit par l’emporter dans ses bois
Garçon – cerf
Quelques sujets ont choisi de situer le garçon « sur le cerf », sans préciser la partie en
contact, ce qui renvoie plutôt à la posture du garçon assis sur le dos du cerf, comme ce
que décrit Adèle.
3e (Adèle)
Jean sur son dos et le cerf la le cerf le tomber dans l’eau
Théa a confondu « au-dessus » avec « sur », car si selon sa description, le garçon est
« au-dessus » du cerf, « l’intersection de leurs projections verticales est généralement
vide » (Vandeloise, 1986 : 99).
2e (Théa)
et Luc euh se trouvait au-dessus de la du cerf
Cela montre encore une fois que les apprenants n’ont pas acquis la propriété
sémantique de « au-dessus », laquelle est englobée aussi par le locatif 上-shang.
z
Prédicats
251
-
Manière
Courir représentant ‘un déplacement rapide par un mouvement accéléré des jambes’,
est le prédicat privilégié dans ce procès.
1ère (Louise)
euh le cerf court vers vers un vers une petite montagne
Marcher indiquant un déplacement ‘en posant un pied devant l’autre’, distingue de
courir par la vitesse, c’est pourquoi notre locutrice Julia a ajouté « très vite » pour
accentuer la manière.
3e (Julia)
la cerf lever son corps
et commence commencer à marcher très vite
Rouler renvoyant à la manière de ‘déplacer en faisant tourner sur lui-même’.
2e (Delphine)
(Julia)
euh donc euh donc ce cerf est euh très en colère
euh il roule euh + il roule euh avec euh Xiaoming
euh il est très euh il est très en colère
et euh il roule avec avec avec lui
La propriété sémantique de déplacement, les ressemblances phonologiques (voyelle [u]
et consonne[r]) pourraient conduire à une confusion entre courir et rouler, ce qui
expliquerait le choix du dernier, visiblement moins pertinent, pourtant deux fois
utilisé au stade intermédiaire.
-
[Cause+deixis]
Apporter, amener ou emmener sont des verbes qui fusionnent la cause (le cerf qui
porte le garçon) et une trajectoire déictique.
1ère (Cécile)
2e (Hélène)
(Mélanie)
-
Deixis : aller, venir
2e (Quinaut)
3e (Clara)
-
euh il + il la euh il l’apporte euh ++ au bout de la terre
+++++ et ++++ et le cerf euh [a] amène euh le petit garçon sur sur
un rivière
le cerf [ã] emmène le garçon et son chien euh près d’un étang
et il s’en il il il est allé il est allé
en courant au bord au bord de la rivière
puis le cerf commence à courir
et le chien suive le cerf
et puis ils sont venus près près de l’eau
Destination : arriver introduit le terme de la trajectoire.
252
3e (David)
+ enfin le cerf euh arrive au bord d’un abîme
Tableau VIII - 28 (Déplacement – trame : 11 : prédicats)
Rocher → précipice
1ère collecte (13/22)
2e collecte (20/22)
3e collecte (12/22)
Courir (9)
MAN
Courir (11)
Rouler (2)
Chasser (1)
Natifs (11/11)
Courir (7)
Courir (2) : GIL, SAM
marcher très vite (1)
TRA
Se diriger (1) : STE, YVE
MAN+DES
Courir + arriver (1)
Courir + arriver (2)
MAN+DX
Courir +aller (1)
Courir + venir (1)
MAN+[CAU+DX]
Courir+apporter (2)
Apporter (1)
[CAU+DX]
Apporter (2)
Amener (1)
Apporter (1)
Emporter (1) : VER
Emmener (1)
[CAU+DX]+TRA
Apporter+s’avancer (1)
Partir au galop+courir :
[TRA+MAN]+MAN
LUC
S’échapper + courir : NAT
S’enfuir+se précipiter : PAT
Partit au galop+arriver :
[TRA+MAN]+DES
HEN
MAN+DES
DX+MAN+DES
Courir+arriver : MIC
S’en aller+courir+arriver :
NIC
Dans ce déplacement du rocher au précipice :
-
Les natifs choisissent avant tout de décrire la manière du mouvement (8 occ.), à
travers courir, se précipiter, ou par le biais de la structure périphérique (au galop),
voire d’accentuer la manière par deux verbes (LUC, NAT, PAT), autrement dit,
dans ce déplacement qui implique non seulement la vitesse, mais aussi la cause (la
fuite ou un mouvement intentionnel du cerf), les natifs tendent à fournir plus de
détails, la trajectoire ou la destination étant placée au second plan.
-
La plupart du temps, les apprenants mettent l’accent avant tout sur la manière,
incarnée surtout par courir, utilisé de façon indépendante ou intégrée dans le
procès. A la 2e collecte, la désignation du procès a connu un net accroissement et
l’empaquetage de l’information, une diversification.
-
Une confusion sur l’information déictique peut être observée : aller vs venir,
apporter/amener vs emmener.
253
VIII.3.3.3
Déplacement de la mare à la maison
La dernière image illustre le garçon qui quitte la mare pour rentrer avec le chien et la
grenouille.
Les prédicats relevés véhiculent les informations suivantes
-
[Trajectoire-trajectoire] : rentrer, retourner exprimant « revenir/se rendre de
nouveau dans le lieu qu’on a quitter) impliquent ainsi une double trajectoire.
-
Trajectoire : quitter, partir, sortir, entrer
Sortir, employé par Mélanie, fait référence à une trajectoire hors de la mare. Et chez
Hélène, le recours à entrer est plutôt une substitution de rentrer, à cause de l’influence
phonologique.
1ère (Mélanie)
2e (Hélène)
et euh + il le euh la grenouille euh il euh le garçon enfin le garçon est
sorti avec euh une petite grenouille
et enfin + avec sa grenouille ce petit garçon et son chien entrent ensemble
dans leur maison
-
[Cause+deixis] : apporter, amener, emporter
-
Deixis : aller, s’en aller
2e (Alix)
3e (Clara)
-
et Julien euh + va chez euh va chez lui avec ses copains
il s’en est allé chez lui
[Trajectoire + deixis] : revenir
3e (Océane)
ils reviennent chez lui avec son chien ++ très satisfait
Tableau VIII – 29 (Déplacement – trame : 14 : prédicats)
Maison ↔ Mare
1ère collecte
(16/22)
2e collecte (15/22)
3e collecte
(14/22)
Natifs (10/11)
Retourner (1) : MIC
Repartir (2) : LUC, YVE
[TRA+TRA]
Rentrer (5)
Retourner (3)
Renter (7)
Rentrer (8)
Repartir+retraverser (2) : GIL,
Retourner (1)
STE
Repartir+traverser (1) PAT
S’éloigner+retraverser (1) : SAM
TRA
Partir (2)
Sortir (1)
Partir (1)
Quitter (1)
entrer (1)
[TRA+DX]
[CAU+DX]+[TRA+TRA]
[CAU+DX]
Partir (2)
Revenir (1)
Apporter+rentrer
Emporter + rentrer
(1)
(1)
Apporter (4)
Apporter (2)
Amener (1)
Emmener (1)
254
DX
Aller (1)
S’en aller (1)
Aller (1) : NAT
[CAU+TRA+DX]
Remporter (1) : VER
[TRA+TRA]+[CAU+TRA+DX]
Repartir+remporter (1): HEN
Dans ce procès :
-
Quand la désignation contient l’information déictique, il existe toujours une
confusion chez les apprenants: apporter vs emporter, amener vs emmener,
aller/s’en aller vs revenir.
-
Si les sujets (apprenants et français confondus) se préoccupent de la trajectoire et
privilégient les prédicats impliquant une double trajectoire, ces derniers ne sont
pas de la même nature du point de vue de la perspective : les natifs se servent de
repartir, retraverser, pour faire référence à l’endroit même où se trouve le garçon,
c’est-à-dire la mare, ces deux verbes, très récurrents chez les témoins, n’ont été
utilisés par aucun apprenant, c’est plutôt retourner, rentrer dont la double
trajectoire conduit au lieu où a été le garçon avant toute cette série d’aventures,
soit la maison, qui ont été mobilisés.
VIII.3.3.4
L’information déictique
Quand le procès véhicule une direction déictique, il existe toujours une concurrence
entre les couples aller/venir, apporter/emporter, amener/emmener, c’est ce que nous
avons remarqué dans les désignations des 3 trajets entre deux lieux de référence qui
viennent d’être abordés.
-
Aller vs venir : prenons en exemple le déplacement de la maison à la forêt.
1ère (Clara)
2e (David)
(Océane)
e
3 (Quinaut)
enfin ils sont venus à à un à à une place très belle
il y a beaucoup d’arbres et beaucoup de + fleurs là-bas
ils [i] ils viennent dans un forêt
euh ils viennent d’abord au bord euh d’un rivière d’une rivière
ensuite le garçon et le chien viennent dans ce forêt
pour chercher la grenouille
Dans le trajet entre la maison et la forêt, le recours à venir résulte d’un changement de
point de référence : les sujets se mettent « dans la forêt » pour continuer la narration.
-
Apporter vs emporter, amener vs emmener
Ces deux couples de prédicats incarnent la deixis à travers le préfixe : « a –» indique
un approchement vers le site (l’énonciateur), « en(m) –», un éloignement à partir du
255
site (l’énonciateur).
Or, en chinois, l’information déictique est marquée par 来 lái (venir) et 去 qù (aller)
dans la construction verbale sérielle (CVS).
带-来 dài-lái (porter – venir)
带-去 dài-qù (porter – aller)
带-回-来 dài-huí-lái (porter – rentrer – venir)
带-回-去 dài-huí-qù (porter – rentrer – aller)
En chinois, l’information déictique se situe en position finale de la CVS. Lors de la
production en français, les apprenants chinois, habitués à un traitement tardif de la
deixis, sont obligés d’inverser le procédé de réflexion pour mettre en premier
l’information déictique qui commence le prédicat. L’opposition morphologique,
position initiale ou finale) rend le traitement cognitif plus compliqué et pourrait ainsi
entraîner des confusions.
Cela pourrait expliquer pourquoi dans le procès du retour du garçon, aucun apprenant
n’a pu solliciter le prédicat remporter, comme chez les natifs (HEN, VER), car ce
dernier incarne une double trajectoire en plus de l’information déictique, dont la
mobilisation demande encore plus d’effort.
HEN 65a.
65b.
…
67a.
VER 25b.
VIII.4.
en tout cas le petit garçon repart #
dit au revoir de la main
et le petit gaçon, (67b) remporte dans la main, un bébé grenouille
et la remporte chez lui (25c) avec son chien
Evénements spatiaux secondaires
Nous allons examiner dans cette partie, les événements spatiaux relatifs au chien et à
la grenouille, situés au second plan par rapport à la trame.
4.1 Localisation (4’)
Il s’agit d’une localisation portant sur le nid et l’arbre/la branche.
Evénement peu abordé (4 occ. :1 occ. : 5 occ.), nous nous contentons
d’examiner les structures qui impliquent de l’information spatiale,
avant d’expliquer les raisons de sa fréquence.
256
VIII.4.1.1
La représentation de l’information spatiale
z
1ère collecte (4 occ.)
-
Relation spatiale explicite (2 occ.)
Claire a précisé la relation entre le nid et l’arbre à travers la préposition « dans ».
1ère (Claire)
+++ dans un [abr] dans un arbre il y a une maison de guêpes
Louise a présenté la même relation, sauf qu’elle ait pris le nouveau mot « guêpe110 »
pour l’essaim, en tant que sujet dans le procès de la chute.
1ère (Louise)
-
et le chien euh il trouve il trouve un grosse un un grand un grande +
guêpe un grande guêpe dans le dans le dans un arbre
Relation spatiale implicite (2 occ.)
Cécile a introduit la ruche comme une nouvelle entité sans la localiser, pourtant dans
les propositions juxtaposées, elle a enchaîné successivement une intention de monter
dans l’arbre et la chute de la maison des guêpes, ce qui laisse supposer que le nid,
situé dans l’arbre, est tombé avant la montée du chien. La relation entre le nid et
l’arbre, implicite, peut être établie par la logique discursive.
1ère (Cécile)
et le chien voit euh voit la maison des guêpes
euh il veut monter sur euh l’arbre
mais soudain la maison des guêpes est tombée
Ce n’est pas le cas de Léon, qui s’est servi du
pronom relatif où pour introduire les arbres et la
maison des guêpes, la localisation du nid reste
pourtant mystérieuse car celui-ci est situé par
rapport à un fond trop vague. Ce que Léon a décrit, c’est plutôt l’image 5, où l’on voit
des arbres, deux trous et un nid suspendu sous la branche.
1ère (Léon)
z
2e collecte (1 occ.)
2e (Océane)
110
++++++ euh + ils ont +++ ils ils ont ils ont cherché la grenouille
+++ euh à chercher euh dans la région
où où il y a beaucoup d’arbres euh et une maison de de de guêpes
le chien euh ébrandit l’arbre
Mot figuré sur la liste des noms inconnus.
257
où où le nid de [grεp]-guêpes où est le nid de [grεp]-guêpes
Océane est la seule à aborder le rapport spatial entre le nid et l’arbre, pourtant, le
pronom relatif où ne pouvant pas expliciter l’état du nid, ne sert qu’à l’encadrer par
rapport à l’arbre.
z
3e collecte (5 occ.)
Ces trois locutrices ont toutes choisi de qualifier la relation spatiale, Julia, par le biais
du pronom relatif où, et Lydie et Océane, la préposition « sur ».
3e (Julia)
(Lydie)
(Océane)
il s’amusait tout près autour d’un arbre
où se trouve la maison des guêpes
Loulou a a trouvé des guêpes a trouvé des guêpes et et euh Loulou a
trouvé des guêpes sur sur un arbre
euh c’est le nid d’abeilles
cependant son chien euh [de] découvre une [damjεr] de guêpes sur un
arbre
A la différence des trois autres, David et Violette ont choisi la branche pour situer le
nid, or ils ne partagent pas la même perception, sous la branche d’après David, mais
dans la branche aux yeux de Violette.
3e (David)
(Violette)
z
le chien a trouvé euh a trouvé une maison très bizarre
et la maison est sous sous la sous une branche d’un arbre
et en ce moment et en même temps son chien Xiaobai s’intéresse à la
maison des guêpes
euh qui se situe dans la branche d’un arbre
Natifs
Parmi les 11 natifs, seuls trois ont mentionné de façon explicite la localisation de la
ruche, par le biais de prépositions « à » ou « sur », le reste se sont contentés
d’identifier l’existence de la figure par « ruche » ou « essaim d’abeille » sans faire
référence au fond.
PAT
SAM
STE
30b :
qu'il y a un essaim d’abeilles qui est accroché à un arbre
16e :
<pendant que son> [/] pendant que son petit chien lui est complètement
fasciné par une ruche
16f.:
suspendue euh à l’arbre,
17b:
<et>, [/] et ils s’approchent d’un arbre
17c:
<où> [//] sur lequel il y a un essaim d’abeilles
VIII.4.1.2
Evénement négligé
258
La localisation de la ruche est très peu abordée dans les productions orales, à cela des
raisons discursive, conceptuelle et linguistique.
-
Du point de vue discursif
Au cours de la recherche dans la forêt, s’imbriquent deux aventures : celle du petit
garçon qui rencontre successivement une taupe, un hibou et un cerf; et celle du petit
chien qui s’amuse avec les guêpes.
L’événement relatif au chien se situe au second plan car il constitue un sous-épisode,
parallèle à la recherche du protagoniste, composante de la trame narrative.
-
Du point de vue conceptuel
Selon les connaissances générales, les guêpes sont des insectes qui vivent par groupes
dans l’essaim, et cette dernière se situe soit dans un arbre, soit sous un toit. Ainsi, la
mention du nid implique déjà la localisation, d’autant plus que la recherche se déroule
dans la forêt. Cela explique aussi pourquoi la localisation est rarement abordée aussi
par les natifs, car la ruche se situe à l’arbre est un fait est évident.
-
Du point de vue linguistique
« Guêpe» étant un nouveau mot que l’on propose lors de la collecte, la dénomination
du nid de guêpes s’avère encore plus difficile à activer, à cela s’ajoute la relation
spatiale entre le nid et l’arbre/la branche, qui rend la représentation de la localisation
plus coûteuse, dont la majorité des sujets ont choisi de se passer.
VIII.4.2
Déplacements
Il s’agit de deux mouvements descendants et la poursuite du chien par les guêpes.
VIII.4.2.1
Direction descendante (3’, 5’)
La chute du chien par la fenêtre et celle de la ruche renvoient à une même direction du
haut vers le bas, indiquée par tomber.
Tableau VIII - 30 (Déplacement – 3’, 5’)
1ère collecte (10/22)
↓chien
lieusource
tomber
lieucible
Ø
lieusource+ lieucible
4
2
4
2e collecte (13/22)
3e collecte (18/22)
Natifs (11/11)
7
5
9
3
9
1
4
2
259
Sauter
lieusource
1ère collecte(9/22)
↓nid
tomber
décrocher
2
2e collecte (7/22)
lieusource
1
lieucible
1
3
Ø
5
1
Causalité
2
3
3e collecte (8/22)
Natifs (11/11)
1
4
1
5
4
CAU
3
1
Dans ces deux mouvements similaires :
-
Les natifs marquent souvent la chute par le lieu source, comme pour le chien qui
tombe par la fenêtre (9 occ.), ou laisse absent le lieu cible quand il s’agit du sol,
comme dans la chute de la ruche (5 occ.)
-
Chez les apprenants, le mouvement relatif au chien a connu une attention
croissante, alors que la majorité des sujets se sont passés de la chute de la ruche,
car ce n’est pas un événement indispensable, dont l’absence ne porte pas atteinte à
la poursuite du chien par les guêpes, qui, de nature agressive, se mettent à
l’attaque à la moindre irritation.
-
Dans la chute du chien, les sujets insistent plutôt sur le lieu source aux deux
premières collectes, mais cette tendance a été inversée à la 3e collecte, ce qui
correspond à notre anticipation111. D’ailleurs, au stade avancé, plus de sujets ont
fourni un parcours complet (4 occ.).
-
Quand la chute est interprétée comme un mouvement initial du chien, incarné par
sauter, c’est le lieu source qui est indiqué.
-
Dans la chute du nid, nous pouvons aussi observer une préférence pour le lieu de
cible, et une tendance à englober la cause dans la désignation.
VIII.4.2.2
La poursuite du chien par les guêpes (6’)
Nous rendons compte de la représentation sous deux angles : les guêpes et le chien,
deux référents animés impliqués dans le procès.
Tableau VIII - 31 (Déplacement : 6’ : prédicats)
Guêpes→ chien
111
1ère collecte (13/22)
2e collecte (20/22)
3e collecte (19/22)
Voir VIII.3.2.2, p.239, l’analyse sur la chute du garçon de l’arbre.
260
MAN
Courir (3)
Courir (3)
Courir (5)
Marcher (1)
Battre (1)
Attaquer (4)
Attaquer (1)
TRA
Suivre (2)
Piquer (1)
Suivre (1)
Suivre (1)
Chasser (5)
Guêpes
S’envoler (1)
TRA+MAN
Poursuivre (1)
Pourchasser (1)
Chasser (2)
Se mettre à la poursuite (1)
Se mettre à la poursuite (2)
Autre
Chien
Guêpes + Chien
Chercher(1)
Localisation (1)
Localisation (1)
Courir (3)
courir (ch) +Localisation
(g) (1)
Etre attaqué (2)
Etre chassé (1)
Etre attaqué (1)
Suivre (g)+courir-s’enfuir(ch) (1)
S’enfuir (chien)+voler/suivre (2)
S’enfuir (g)+être suivi (ch) (1)
Chasser (g)+courir (ch) (1)
Les sujets ont accordé beaucoup d’attention à la manière, dont l’expression est
privilégiée par rapport à celle des prédicats incarnant à la fois la manière et la
trajectoire, sauf au stade intermédiaire.
Etant donné les caractéristiques naturelles des guêpes : facilement irritables,
susceptibles d’attaquer en se servant de l’aiguillon, certains prédicats utilisés sont
pertinents (attaquer, piquer), d’autres ne le sont pas (courir, battre, marcher).
Comment expliquer le recours à courir, dont la manière de déplacement n’est pas
compatible avec les guêpes.
1ère (Adèle)
2e (Claire)
3e (Théa)
euh euh euh à ce moment-là des des guêpes euh [ku] courent euh
son chien
euh et + ils courent après le [po] le pauvre chien
et donc les guêpes ont couru vers vers Boubou
Les prédicats renvoient à la poursuite du chien (pourchasser, poursuivre) partagent le
trait sémantique ‘rechercher avec ardeur et obstination dans le but d’atteindre’, dont le
mouvement ‘prototypique’ est de ‘courir après’ selon les connaissances générales.
Ainsi, les sujets, sans pouvoir mobiliser une désignation englobant le mouvement des
guêpes et la trajectoire de suivre le chien, ont choisi de transférer « la manière
prototypique » sur les guêpes.
Chez deux natifs, la même solution est aussi relevée :
261
MIC
STE.
VIII.4.3
19b.
25a.
25b.
parce que les guêpes, (19c,19d,19e) se mettent à lui courir après
et elles sont tellement pas contentes les abeilles
qu’elles courent après le chien
Les placements
Le placement renvoie à un mouvement affiché par un agent pour mettre une entité à
une certaine place. Si, dans les analyses précédentes portant sur le déplacement, c’est
la figure même qui se déplace pour parcourir la trajectoire, ici, il s’agit plutôt d’un
déplacement de l’entité provoqué par l’agent (4.3.1) ou une partie de l’entité qui subit
l’action de placement (4.3.2).
VIII.4.3.1
La grenouille - bocal
C’est un procès dont l’occurrence est en croissance
20
10
constante. L’importance de l’événement et la
15
15
10
occurrence
7
5
disponibilité des moyens linguistiques conditionnent
la formulation.
0
1ère
2e
3e
Dans le récit, la disparition de la grenouille constitue
le déclencheur de la trame, que la grenouille soit localisée ou pas n’influence point le
développement, d’autant plus que le lieu source n’est qu’un élément facultatif dans le
départ de la grenouille.
z
Fond
A cela, s’ajoute la difficulté de la désignation du fond, surtout au stade initial.
Tableau VIII - 32 (Placement – 1’ : fond)
1ère collecte (7/22)
Bouteille (2)
Boîte (3)
2e collecte (11/22)
3e collecte (16/22)
Bouteille (7)
Bouteille (13)
Boîte en verre (1)
Boîte (1)
Boîte (1)
Carafe (1)
Verre (1)
Jarre en verre (1)
Cage de glace (1)
Botte en verre (1)
Botte en verre (1)
Nous pouvons constater que le choix du fond converge au fur à mesure vers
« bouteille », mais l’existence des termes dérivés tels que « boîte », « botte »,
« verre », « jarre », voire « cage » révèle que les sujets éprouvent toujours de la
difficulté à trouver le mot approprié pour définir le bocal, même au niveau avancé, ce
qui pourrait constituer une autre raison pour laquelle certains apprenants ont évité la
262
localisation de la grenouille.
Pourtant, de 7 au stade initial à 15 au stade avancé, de plus en plus d’apprenants ont
choisi de préciser la localisation de la grenouille « dans le bocal », dans le but de
constituer un point de repère pour le procès suivant. Certains sujets ont même essayé
de fournir plus de détails, lesquels permettent de mieux anticiper la fuite de la
grenouille comme chez Océane et Lydie.
2e (Océane)
3e(Lydie)
z
ce jour il a pris euh une grenouille
qu’il a mise dans un verre
euh qui n’était pas très profond
un soir comme d’habitude Pierre met euh ce petite grenouille Joujou dans une
dans une jarre en verre sans [ku] - sans couvercle
avant se dormir
Relation spatiale
Les sujets ont recouru à deux constructions pour
exprimer la localisation de la grenouille, à travers un
prédicat statique (i) ou par le biais d’une action du
garçon (ii).
Construction i) : [grenouille+Vstatique+dans+bocal]
Les verbes utilisés sont habiter, rester, dormir, la structure existentielle il y a n’est
sollicitée qu’une fois.
Construction ii) : Garçon+V+[grenouille+dans+bocal]
Nous observons un enrichissement des prédicats renvoyant à l’action du garçon au
cours des recueils: du verbe courant mettre, voir relevés dans la 1ère collecte, à des
verbes plus spécifiques tels que apprivoiser, garder au stade intermédiaire, et installer,
enfermer au stade avancé.
Quelle que soit la construction, la qualification de la relation spatiale entre le bocal et
la grenouille incarnée par la préposition « dans » est quasiment unanime, à moins
qu’elle soit précisée (Claire à la 1ère collecte), ou remplacée par le pronom relatif où.
1ère (Claire)
3e (Claire)
(Marie)
qu’est-ce que c’est du fond de la bouteille
il y a une grenouille
Pierre [tru] euh trouve une bouteille euh où Pascal peut dormir
dans le chambre dans sa chambre un petit garçon regarde regarde joyeuse
une [bwa] une boîte
263
où il où il il enferme une grenouille
VIII.4.3.2
La tête du chien - le bocal
Dans cet événement, le chien a effectué un
Placement : tête-bocal
mouvement en allongeant la tête afin d’entrer, non
20
15
10
5
9
9
occurrence
5
sans difficulté, dans le bocal sans pouvoir l’en retirer.
Il s’agit ainsi d’un positionnement qui implique la
0
1ère
2e
3e
manière (avec force), la trajectoire (de passer dans le
bocal) et l’état final (coincé). Sur le plan cognitif, ce placement est plus riche que le
précédent, et il réserve beaucoup de possibilités de désignation.
Ainsi, la composition du répertoire lexical change et se diversifie au cours de la
l’acquisition.
z
1ère collecte : mettre (5 occ.)
Le vocabulaire étant très restreint, 5 apprenants ont choisi mettre, lexème de base.
L’état final de la tête n’est abordé que par Alix.
1ère (Alix)
z
euh le + à ce temps-là le chien met la tête dans la bouteille
et il ne peut pas euh et il ne peut pas euh et la tête ne peut pas sorti de la
bouteille
2e collecte : mettre (5 occ.), entrer (2 occ.), faire, rendre
Le développement se caractérise quantitativement par le nombre de désignations (9
occ.), mais surtout qualitativement, à travers une tendance à expliciter la trajectoire
par le biais de rendre, entrer, autres que mettre. D’ailleurs, nous pouvons constater
une intention d’insister sur la cause chez Alix qui a recouru à faire, bien que la
formulation s’avère inappropriée.
2e (Alix)
euh en même temps le chien + fait + euh +++ euh fait euh +++ le chien est
euh +++ se [З] +++ euh le chien fait la euh sa tête dans la bouteille
et il ne peut pas le euh la faire sortir
Comme Alix, plus d’apprenants ont enchaîné le mouvement sur le résultat.
2e (Julia)
(Lydie)
(Marie)
+ et la tête du chien entre dans la [bu] dans la bouteille
mais il ne peut pas euh sortir sa tête
il a il a entrer son il entrer la tête dans la boîte
que Dodo habitait
mais malheureusement il ne peut pas repartir la tête
euh [do] Dodo Dodo mit son trou-cou dans dans [na]-la boîte
264
…
[o] le Dodo Dodo a son son cou Dodo le cou était euh ++ était était bouché
Julia et Lydie ont eu recours à un verbe (sortir, repartir) pour indiquer une trajectoire
opposée à celle représentée par entrer, et Marie a l’intention de préciser l’état du cou,
en tant que la raison de la chute du chien.
z
3e collecte : mettre(2), mettre+se pincer, regarder+se faire coincer, chercher,
prendre, tendre, avancer, pousser
Nous constatons une mobilisation plus générale de lexèmes spécifiques. Les choix
lexicaux s’avèrent riches et différenciés, véhiculant différentes informations.
-
Trajectoire : avancer, tendre
Louise et Lydie ont explicité la trajectoire du mouvement de ‘porter en avant’ par le
biais des verbes avancer et tendre.
3e (Louise)
(Lydie)
-
le chien euh atteint de myope
il euh il même mettre son sa tête avance son tête sa tête au fond du botte
en verre
mais parce qu’il qu’il a il n’arrive pas à sortir sa tête
il a tend il a tendu sa tête dans la jarre
mais malheureusement et sa tête est bloquée là-dedans
Manière : pousser
Marie a choisi d’insister sur la manière de déplacer la tête ‘avec effort ou en exerçant
une pression’.
3e (Marie)
-
le chien d’un point de vue c’est pour pour pour sentir l’odeur de la
grenouille
il pousse sa tête dans la boîte
mais il ne sa tête ne peut pas sortir
Cause : se faire coiner, se pincer
Les structures se faire coincer et se pincer permettent de combiner la cause et le
résultat.
3e (Théa)
(Cécile)
euh quand il il a essayé de regarder à à l’intérieur de la verre
il s’est fait coincer la tête
le chien Tonton a mis sa tête dans la bouteille
peut-être la grenouille est là-dedans
mais non ah je me suis pincé par par la bouteille
265
z
Bilan
Après avoir examiné les prédicats mobilisés au cours des 3 collectes, nous pouvons
constater que le répertoire lexical s’enrichit et tend à remplacer des unités lexicales de
base (mettre) par des lexèmes spécifiques (avancer, tendre) et que les structures
s’avèrent plus compliquées (se faire coincer, se pincer).
Les sujets, conscients de la spécificité de ce placement, tendent à l’incarner dans la
formulation du procès à travers un prédicat dont le sémantisme est plus riche, de
« granularité sémique » plus fine :
[...]il s’agit du degré de spécificité de la désignation, entre général et particulier, qui n’implique
pas un découpage plus ou moins fin du désignatum en sous-parties, mais son rattachement
global à une catégorie plus ou moins vaste, ou au contraire particularisée donc étroite.
(Noyau & Paprocka, 2000 : 89)
Selon cette notion, parmi les procès renvoyant à une situation d’expérience identique,
occupant un même intervalle temporel, plus un prédicat est spécifique, plus sa
granularité sémique est fine. Et dans ce procès de placement, si le verbe mettre
s’avère sémiquement plus dépouillée, avancer, tendre, se faire coincer et se pincer,
sémiquement plus chargés, correspondent à des catégories plus particularisées.
Du point de vue discursif, la représentation du procès se montre plus complète et
détaillée au stade avancé, avec un renforcement des structures relationnelles : l’état
final de la tête du chien est mentionné par plus de sujets, et ils ont aussi essayé de
préciser l’origine de l’action du chien (la myopie ou pour sentir l’odeur de la
grenouille), dans le but de rendre la narration plus cohérente.
VIII.5.
L’organisation des événements
Dans cette section, nous essayerons de rendre compte du développement des
apprenants dans l’organisation discursive durant les 3 collectes, puis, de cerner les
facteurs qui affecteraient les sujets dans le choix des événements spatiaux lors de la
narration.
VIII.5.1
La différenciation des représentations des événements - trame
266
Selon le degré de l’explicitation de l’information spatiale, nous pouvons distinguer 3
solutions pour les 14 événements impliqués dans la trame :
Ø : L’événement est absent de la narration.
+ : L’événement est représenté avec l’information spatiale correspondante.
- : L’événement est présent mais l’information spatiale qui aurait dû être dénotée
soit fait défaut, soit prend une forme simplifiée. Plus précisément, pour les
déplacements censés être incarnés par des prédicats dynamiques, les sujets ont
recouru à la localisation (statique ou dynamique), qui constitue une solution
compensatoire pour faire référence à une position consécutive à un déplacement déjà
effectué ; quant à la localisation (statique ou dynamique), les sujets se contentent de la
présence de la figure sans mentionner le fond.
Tableau VIII - 33 (Représentation simplifiée : événements-trame)
Localisation
Désignation simplifiée (-)
Recherche
Sans mentionner la
dans la maison
maison/chambre.
4
Trou- terre
Sans mentionner le fond en
6
Trou - arbre
2.
13
question.
Grenouille –
Sans mentionner le
tronc
tronc/l’arbre/la branche
VIII.5.1.1
Déplacements
Désignation simplifiée (-)
1
Fuite de la grenouille
L’absence de la grenouille
3
Maison →forêt
5, 8
↑taupe ↑hibou
10
↑rocher
Localisation par rapport à la
forêt
L’existence de l’animal
Localisation par rapport au
rocher
La classification à différents stades
Selon la grille du nombre des événements lacunaires (Ø), nous classons les sujets en 3
niveaux :
Groupe I ‘avancé’ : 0-1 événement absent
Groupe II ‘moyen’ :2-4 événements absents
Groupe III ‘le moins avancé’ : plus de 4 événements absents
Figure 7 (classification
14
12 12
12
10
8
8
des
10
9
événements - trame)
8
1ère
6
4
2
2
2
0
I
II
apprenants :
III
3
2e
3e
La
figure
ci-contre
267
reflète le nombre de locuteurs de chaque groupe à différentes phases d’apprentissage.
Il existe un écart évident entre la 1ère collecte et les deux suivantes. La baisse du
nombre de sujet du groupe III (les moins avancés) montre que les apprenants ont
tendance à fournir une narration plus complète.
Si le nombre de sujets du groupe I est en croissance constante, celui des groupes II et
III ont connu une légère baisse au stade avancé. Ainsi, c’est au stade intermédiaire que
nous remarquons une meilleure organisation discursive du point de vue global.
Le tableau ci-dessous regroupe les sujets selon l’occurrence des événements
manquants, avec le nombre des représentations simplifiées 112 (-), ce qui permet
d’observer de plus près l’évolution de chaque sujet.
Tableau VIII - 34 (Classification des sujets à chaque stade : événements - trame)
I
1ère collecte
2e collecte
3e collecte
0Ø
Claire3
Claire1, Cécile1, Lydie1, Violette1
Claire, Lydie, Marie1, Océane1
1Ø
Marie4
Océane, Louise1, Eva2, Alix3
Clara1,
2Ø
Louise2, Lydie3, Océane3, Cécile5
Julia2, Mélanie2, Théa3, Marie4, Sylvie4
David1, Hélène1, Quinaut1, Eva2
3Ø
Mélanie2, Alix3, Violette3, Eva4
Hélène2, Léon2, Clara3, David3
Cécile2, Adèle5
Julia2, Alix2, Louise2,
Violette2
II
Théa5
III
4Ø
Quinaut3, Léon3, Adèle5
Quinaut1, Sophie3, Adèle4,
Delphine1,Théa2,Sophie3,Mélanie4
5Ø
David3, Delphine3, Laurent4
Delphine3
Léon0, Laurent3
6Ø
Clara2, Sylvie3, Sophie4
Laurent2
Sylvie1
7Ø
Julia4
9Ø
Hélène3
50 (-)
37 (-)
74 (-)
La diminution constante des désignations compensatoires113 confirme qualitativement
un développement progressif de l’organisation des événements spatiaux, déjà justifié
quantitativement un peu plus haut par l’évolution du nombre de sujets de chaque
groupe.
Nous pouvons distinguer 5 types de développement:
i)
Progression remarquable (2): Julia et Clara (III-II-I) ont fait d’importants
progrès qui les font passer du groupe III au groupe I, elles ont réalisé une
112
113
Le chiffre à côté de chaque prénom indique le nombre des événements représentés de façon simplifiée.
Le nombre total est marqué à la dernière ligne du tableau.
268
montée en grade à chaque stade.
ii)
Progression évidente (9):
Rapide : les sujets sont passés au niveau supérieur au stade intermédiaire et y
sont restés.
Océane, Alix, Louise, Lydie, Violette (II-I-I)
Hélène, David, Sophie (III-II-II)
Lente : la montée en grade n’a eu lieu qu’au stade avancé.
Delphine (III-III-II)
iii)
Fluctuation (4): les sujets ont eu une dégradation ou la gradation au stade
intermédiaire, avant de retourner au niveau initial.
iv)
-
Marie (I-II-I).
-
Cécile, Eva (II-I-II), Sylvie (III-II-III).
Dégradation (1): Léon a fait un recul à la dernière collecte, en passant du
niveau moyen au niveau le moins avancé (II-II-III).
v)
Maintien du niveau (6) : Claire (I), Adèle, Quinaut, Mélanie, Théa (II) et
Laurent (III) sont restés au même niveau durant les 3 collectes.
Tableau VIII - 35 (Les solutions des sujets : maintien du niveau)
Progression
Groupe
Sujets
1ère collecte
2e collecte
3e collecte
I
Claire
0Ø, 3-
0Ø, 1-
0Ø, 0-
Adèle
4 Ø, 5-
4Ø, 4-
3Ø, 5-
Quinaut
4 Ø, 3-
4Ø, 1-
2Ø, 1-
Mélanie
3Ø, 2-
2Ø, 2-
4Ø, 4-
Théa
3Ø, 5-
2Ø, 3-
4Ø, 2-
Laurent
5Ø, 4-
6Ø, 2-
5Ø, 3-
constante
II
Fluctuation
III
Bien que classés dans le même groupe, ces sujets ont aussi réalisé une
progression constante ou un parcours fluctuant.
Nous pouvons ainsi constater:
-
Durant leurs 3 ans d’études, la majorité des sujets ont accompli un développement
constant (i, ii et v) du point de vue de l’organisation discursive.
-
C’est au stade intermédiaire que nous observons le plus de variabilité, dans la
progression évidente rapide (ii) et les parcours fluctuants (iii et v).
269
VIII.5.1.2
La fréquence des événements (+)
L’occurrence des événements véhiculant une information spatiale (+) permet de
dévoiler d’un côté l’évolution durant les 3 collectes, de l’autre, les événements que les
sujets ont privilégiés.
Figure VIII - 8 (Fréquence des événements – trame : La Grenouille)
20
15
1ère
2e
3e
10
5
0
z
1
2
3
4
5
6
7
8
9
10
11
12
13
14
1ère
20
11
14
1
5
12
6
6
7
6
13
22
8
16
2e
22
14
16
9
11
16
11
11
11
14
21
22
16
15
3e
21
18
18
13
13
17
12
11
11
17
13
22
19
14
Dans l’ensemble, la croissance des occurrences s’avère constante aux stades
intermédiaire et avancé. Autrement dit, l’organisation des événements spatiaux se
développe dans le même sens que l’enrichissement des moyens linguistiques.
z
La fréquence de ces événements reflète leur importance discursive, nous pouvons
distinguer:
-
Les événements de haute fréquence : ceux dont l’occurrence dépasse la moitié dès
la 1ère collecte.
la fuite de la grenouille (1)
la recherche dans la maison (2)
le déplacement entre la maison et la forêt (3)
la localisation du trou par rapport à l’arbre (6)
le déplacement entre le rocher et le précipice (11)
270
la chute dans la mare (12)
le retour du garçon (14)
A part la fuite de la grenouille, déclencheur du récit, tous les événements de haute
fréquence sont en relation avec le garçon, et impliquent tous un lieu différent
servant à marquer le parcours du protagoniste (maison → forêt → précipice →
mare → maison). Autrement dit, les sujets ont privilégié les événements de
changement de lieu qui « propulsent » le développement de la trame.
-
Les événements d’importance secondaire : ceux dont le nombre dépasse la
moyenne depuis la 2e collecte.
L’apparition de la taupe (5)
La montée du garçon dans l’arbre (7)
L’apparition du hibou (8)
La chute du garçon de l’arbre (9)
La montée du garçon sur le rocher (10)
La localisation de la grenouille par rapport au tronc (13)
A part la localisation de la grenouille (13), tous les autres événements ont lieu
dans la forêt. Pourtant, les sujets n’y ont pas accordé la même attention : les
événements surlignés en gris n’ont connu une occurrence qu’aux alentours de la
moyenne, même au niveau avancé. Ces 4 événements impliquant la même région,
malgré l’existence d’un lieu de référence (l’arbre), cela n’aide pas à faire avancer
la trame, alors que la montée sur le rocher (10) est directement liée aux
événements relatifs au cerf, qui emmène le protagoniste à s’approcher de la mare,
lieu crucial pour le dénouement, d’où une fréquence plus importance du
déplacement ascendant du garçon.
-
L’événement le moins important : la fréquence de la localisation du trou dans la
terre (4) est mentionnée par un peu plus de la moitié des sujets seulement au stade
avancé.
Entre deux localisations similaires dont seul le fond se diffère, les sujets ont choisi
de mettre en valeur le fond plus particulier (l’arbre), et ont négligé la terre, fond
271
quasi-naturel selon les propriétés sémantiques du trou.
z
A part les petites fluctuations (événements 1 et 14), pendant que les autres
événements ont connu une croissance d’occurrence, un événement a connu une
chute au stade avancé (11) : certains sujets ont choisi de se passer du déplacement
sur le cerf pour aboutir directement à la chute du garçon. L’enchaînement des
événements s’avère identique chez eux : le cerf est fâché d’être dérangé et il jette
le garçon dans la mare. Si à la 2e collecte, la quasi-totalité des sujets (21/22) ont
choisi de représenter le parcours du cerf en suivant les images (le déplacement
illustré par les images 15-16), 8 sujets ont décidé de combiner la course du cerf
avec son mouvement causant la chute du garçon à la 3e collecte, c’est une
opération qui accélère le parcours du garçon sans porter atteinte au
développement de la trame.
VIII.5.1.3
Les événements implicites (-)
Le bilan des événements dont la désignation est simplifiée permet de révéler
l’évolution de la description de chaque événement, et de refléter la conceptualisation
sur certains événements.
Figure VIII - 9 (Fréquence des événements implicites - trame : La Grenouille)
20
15
1ère
2e
3e
10
5
0
z
1
2
3
4
5
6
7
8
9
10 11
12 13
14
1ère
2
7
5
19
8
3
1
14
0
1
0
0
14
0
2e
0
7
6
9
5
2
1
11
0
3
0
0
6
0
3e
1
3
3
7
5
0
3
11
0
1
0
0
3
0
Pour la plupart des événements, l’évolution n’est pas accentuée (1, 2, 3, 5, 6, 7,
272
10).
z
La baisse des occurrences pour la localisation du trou par rapport à la terre (4) et
celle de la grenouille vis-à-vis du tronc (13) montrent que ces deux événements
ont connu une concrétisation depuis la 2e collecte. Autrement dit, les sujets
ressentent un besoin croissant d’expliciter l’information spatiale dans la
localisation quand les moyens linguistiques le permettent.
z
La représentation de l’apparition du hibou n’a pas connu de changement : sauf à
la 1ère collecte où plus de sujets ont recouru à l’existence du hibou, les choix entre
le déplacement et la présence du hibou sont partagés.
Tableau VIII - 36 (Représentation de l’apparition du hibou)
1ère collecte
2e collecte
3e collecte
2
0
0
+
6
11
11
-
14
11
11
Ø
↑hibou
VIII.5.2
Les événements spatiaux secondaires
VIII.5.2.1
L’importance des événements
Nous réunissons dans la figure ci-dessous la fréquence des événements secondaires
qui font défaut dans les corpus.
Figure VIII -10 (Fréquence des événements secondaires : La Grenouille)
16
12
1ère
2e
8
3e
4
0
1'
2'
3'
4'
5'
6'
1ère
15
15
12
8
13
9
2e
11
12
9
11
15
2
3e
6
11
4
9
14
3
Les 6 événements secondaires portent sur 3 référents: la grenouille, le chien et le nid.
273
z
Grenouille (1’) : de plus en plus de sujets ont abordé la situation de la grenouille
(à travers le placement ou la localisation) au commencement du récit.
L’établissement de cet ancrage spatial faciliterait la référence au parcours de la
grenouille, même si le fond fait défaut dans l’énoncé de la fuite de cette dernière.
z
Chien : les événements concernés (2’, 3’, 6’) ont connu une baisse, ce qui reflète
une attention croissante accordée au chien, l’ami fidèle du protagoniste. Et les
sujets s’intéressent avant tout aux déplacements (la chute 3’ et la poursuite par les
guêpes 6’), qui contribue à constituer la trajectoire du chien.
z
Ruche : moins d’attention est accordée à la ruche (4’, 5’). Entre la présence du
nid et la poursuite du chien par les guêpes, il existe certes un lien, mais celui-ci
est plutôt utile qu’indispensable. La présence des guêpes suffira pour introduire
une attaque contre le chien, c’est en fait la solution de la plupart de nos
apprenants. Il est à noter que dans l’épisode de la recherche dans la forêt,
s’imbriquent deux aventures parallèles : celle du petit garçon qui rencontre
successivement une taupe, un hibou et un cerf; et celle du petit chien qui s’amuse
avec les guêpes. Traiter en même temps deux parcours représente une difficulté
énorme dans l’organisation discursive, ce qui mène les sujets à faire des choix
selon l’importance des événements par rapport à la trame. Les mêmes images
illustrent le nid et sa chute, ainsi que le mouvement du garçon qui quitte le trou
pour monter dans l’arbre, ainsi, les sujets ont choisi de se focaliser sur les
activités du protagoniste au détriment des événements relatifs au nid, d’autant
plus que ceux-ci n’impliquent pas de déplacement du chien. L’accent sera remis
sur le chien dès qu’il effectuera un mouvement impliquant un changement
d’emplacement, c’est pour cela que la poursuite du chien constitue l’événement
secondaire le plus fréquent.
VIII.5.2.2
La classification des sujets
Nous allons adopter la même grille utilisée pour les événements-trame, pour classer
les sujets en trois niveaux selon la fréquence des événements secondaires.
Tableau VIII - 37 (Classification des sujets à chaque stade : événements secondaires)
274
I
II
III
1ère collecte
2e collecte
3e collecte
0Ø
Cécile
Violette
Cécile, Julia, Louise, Marie, Océane
1Ø
Louise, Marie
David, Louise, Lydie, Océane, Quinaut
Clara, Lydie, Sophie
(3)
(6)
(8)
2Ø
Alix, Eva, Julia, Lydie, Océane
Alix, Cécile, Julia, Marie
Alix, Claire, David, Eva, Théa, Violette
3Ø
Claire, Clara, David, Violette
Adèle, Claire, Clara, Eva, Léon, Sophie
Adèle, Delphine, Quinaut
4Ø
Delphine, Léon, Quinaut, Sophie
Delphine, Laurent, Théa
Hélène, Laurent
(13)
(13)
(11)
5Ø
Adèle, Hélène, Laurent, Sylvie, Théa
Hélène, Sylvie
Mélanie, Léon, Sylvie
6Ø
Mélanie
Mélanie
(6)
(3)
(3)
La variation du nombre des sujets reflète une progression continue durant les 3
collectes, surtout dans le groupe du ‘niveau avancé’ (I: 3 ;6 ; 8). Au stade avancé, 5
sujets ont fourni une production plus complète en abordant tous les événements
secondaires.
Ce qui a attiré notre attention, c’est le cas de Mélanie qui s’est passée deux fois de
tous les événements secondaires :
A la 1ère collecte, le chien n’a été mentionné qu’au début du récit, qui se développe
tout autour du protagoniste.
1ère (Mélanie)
il y a un garçon un chien et une grenouille
…
euh une nuit le garçon le [gar] quand le garçon se couchait avec son chien
dans son lit
A la 2e collecte, Mélanie a été un peu plus détaillée : mais entre le début de la
recherche et la chute dans la mare, le parcours du chien reste toujours mystérieux.
2e (Mélanie)
donc euh il a décidé
de la chercher avec son chien
…
le cerf [ã] emmène le garçon et son chien euh près d’un étang
et il les jette dans ce dans cet étang
A la 3e collecte, elle a simplifié davantage la description sur le chien qui, absent tout
au long du récit, n’a été mentionné qu’à la fin du récit.
3e (Mélanie)
euh le garçon tait son chien
…
enfin le garçon rentre avec cette grenouille et son chien
Durant les 3 collectes, Mélanie a accordé une place primordiale au garçon dans la
275
construction événementielle, au détriment au chien dont les traces ont été négligées,
voire complètement dissimulées.
Nous avons réuni les énoncés relatifs à la rencontre des animaux (taupe, hibou, cerf),
produits par Mélanie durant les trois collectes, pour montrer que l’omission des
événements secondaires n’est pas un hasard chez cette locutrice.
Tableau VIII - 38 (Recherche dans la forêt : productions de Mélanie)
Recherche
dans la forêt
1ère collecte
2e collecte
Rf - taupe
*6a. euh ++ il a euh quand
quand il euh quand il
parlait à un trou
6b. euh euh un sou souci un
sourit euh euh ++ euh
sort un sourit a sorti de le
trou
Rf – hibou
*7a. et puis il a + par il a
parlé à un trou sur un
sur un arbre
7b. mais cette fois un un
hibou est sorti
Rf - cerf
*8a. + et puis il euh ++ il i il a
encore parlé à un cerf un
cerf
8b. euh ++ cette fois cette
fois il y a un cerf
*9a. un cerf euh + [apor]
[apor]
apportait
le
garçon + à euh le cerf a
apporté le garçon à un
endroit
9b. et il a ++ et il a tombé le
garçon
*12a. et il [∫] il trouve
12b. qu’il y a un trou dans
euh la euh dans la terre
*13a. il crie vers le trou
13b. mais cette fois ++ une
souris se présente
13c. et il est étonné
*14.
et puis il a trouvé un
trou dans un arbre
*15a. et il croit que
15b. la grenouille euh +
soit dans ce trou
*16a.
il crie vers le trou
16b. mais cette fois c’est
c’est un hibon hibou
*17. et puis euh il est monté
sur un sur une grande
pierre
*18a. et il crie encore une
fois
18b. euh cette fois c’est un
cerf
18c. qui se présente
*19a. le cerf le cerf [ã]
emmène le garçon et
son chien euh près
d’un étang
19b. et il les jette dans ce
dans cet étang
3e collecte
*7a. il chercher dans un trou
7b. mais voilà une souris
7c. c’est pas le grenouille
*8a. il cherche dans un tronc
8b. mais c’est pas le
grenouille
8c. c’est le hibou
*9.
donc le garçon son
grenouille partout dans
le forêt
*10a. voilà un cerf
10b. le cerf jette le garçon
dans un étang
Nous pouvons constater qu’au niveau avancé, la description de Mélanie est
considérablement simplifiée par rapport aux deux premières collectes : le mouvement
dynamique de la taupe et du hibou se réduit à un simple fait de l’existence (1ère :
sortir ; 2e : se présenter/c’est ; 3e : voilà, c’est), et le mouvement déictique du cerf
vers l’étang est omis (1ère : apporter + tomber ; 2e : emmener+jeter ; 3e : jeter). Les
276
informations spatiales sont éclipsées, et la construction en moyens linguistiques est
devenue plus économe (prédicats dynamiques vs prédicats existentiels). La narration
de Mélanie, produite au stade avancé, reflète « le mode de traitement minimal d’une
tâche verbale complexe par un apprenant adulte » (Watorek, 1998 : 232), autrement
dit, c’est qu’elle s’acquitte de cette production orale de façon minimale. Ce
« traitement prototypique » influe sur la production langagière, la sélection et
l’organisation de l’information, et conduit Mélanie à hiérarchiser l’information dans
le discours, elle a donc choisi de ne s’intéresser qu’au protagoniste (le garçon) au
détriment du chien, et de raconter une histoire simple et courte114, dans l’ordre
chronologique des événements (rencontre avec la taupe, le hibou, et le cerf), en se
servant de structures existentielles avec ellipse des informations référant à
l’« intervalle spatial ». Même si Mélanie est censée disposer d’un répertoire langagier
enrichi à ce stade, elle a choisi de construire le discours de façon prototypique, par
une narration plus économe en moyens linguistiques, ce qui correspond aussi aux
remarques de Watorek sur les descriptions spatiales produites par des apprenants
avancés (1998 : 233).
VIII.5.2.3
Le développement individuel
La classification ci-dessus nous permet de confronter l’évolution de chaque sujet dans
l’organisation des événements secondaires avec le développement individuel
manifesté dans la représentation des événements-trame.
Tableau VIII-38 (Développement individuel : événements – trame + secondaires)
Evénements spatiaux-trame
Evénements secondaires
Progression remarquable
Clara, Julia (III-II-I)
Progression
Océane, Lydie, Violette, Alix, Louise (II-I-I)
Lydie, Océane, Violette (II-I-I)
Hélène, David, Sophie (III-II-II)
Théa, Adèle, Laurent (III-II-II)
-
Julia, Clara, Sophie (II-II-I)
Delphine (III-III-II)
Hélène (III-III-II)
Marie (I-II-I)
Cécile, Marie (I-II-I)
Cécile, Eva (II-I-II), Sylvie (III-II-III)
David, Quinaut (II-I-II)
rapide
évidente
lente
fluctuation
114
La durée du récit est passée de 6’48 min au stade initial à 2’23 min au stade avancé, ce qui fait de Mélanie la
narratrice la plus « concise » dans les récits La Grenouille. Ce « traitement prototypique » est déjà appliqué par
Mélanie dans son récit Le Cheval au stade intermédiaire, lequel, constitué de 9 propositions seulement, est la
production orale la plus courte.
277
Maintien
Dégradation
Claire (I)
Louise (I)
Adèle, Quinaut, Mélanie, Théa (II)
Alix, Eva, Claire, Delphine (II)
Laurent (III)
Sylvie, Mélanie (III)
Léon (II-II-III)
Léon (II-II-III)
Par rapport aux événements-trame, nous remarquons, en calculants tous les
événements (ceux relatifs à la trame et ceux qui sont secondaires), les mêmes
tendances développementales individuelles: progression évidente ou fluctuation ou
dégradation ou maintien du niveau.
Une évolution similaire peut être observée chez les sujets suivants:
-
Océane, Lydie, Violette ont réalisé une progression évidente à partir du stade
intermédiaire.
-
Marie et Cécile ont connu des fluctuations, en suivant différentes courbes.
-
Claire et Mélanie ont maintenu le niveau, mais elles ont accordé visiblement plus
d’attention à la narration de la trame qu’au reste.
-
Léon a eu une dégradation au stade avancé, c’est le seul sujet qui ait fait « un pas
en arrière », dans l’organisation des événements-trame ainsi que celle des
événements secondaires.
VIII.6. Constatations des comparaisons longitudinales
-
La représentation spatiale
Dans la localisation statique ou dynamique, les francophones tendent à consacrer plus
de détails au fond (la recherche dans la chambre au début du récit, ou la localisation
de la grenouille par rapport au tronc dans le dénouement), ce qui permet de situer la
figure dans un cadre spatial explicite, alors que les apprenants fournissent souvent une
description synthétique, et cela, souvent à cause de la disponibilité limitée des
ressources langagières.
Quant aux prépositions spatiales, la confusion entre « dans » et « sur », « derrière » et
« après » est observée et elle existe même au stade avancé, ce qui est déjà envisagé
dans l’hypothèse 4 selon laquelle la conceptualisation de LM pourrait affecter la
représentation spatiale en LS.
Pour les déplacements, les francophones insistent avant tout sur la trajectoire, surtout
278
dans ceux avec franchissement de bornes, et ceux qui sont directionnels, mais si le
mouvement montre une complexité à la vision du locuteur, impliquant, en plus de la
trajectoire, l’information de manière (dans la montée de l’arbre) ou de cause (course
du cerf vers la mare), il se peut que les natifs choisissent des prédicats exprimant plus
d’une information, tels que grimper, jeter, projeter, remporter ; pour un événement où
la façon de se déplacer joue un rôle primordial dans le développement de la trame, les
natifs soulignent l’information de la manière (la course du cerf causant la chute du
garçon).
Dans tous les déplacements relatifs à la trame, les apprenants ont presque tout le
temps privilégié la trajectoire, comme ce qu’expriment les natifs. La différence de
représentation spatiale se situe à d’autres niveaux que le choix de prédicat : le
marquage du fond (dans les déplacements de franchissement de bornes ou les
déplacements descendants), la description d’un mouvement en hauteur par-dessus
d’un obstacle (le déplacement par-dessus le tronc du garçon) et le choix de préposition
(dans les déplacements ascendants), et là, l’intervention pédagogique et l’impact de la
lexicalisation de la langue maternelle pourraient jouer un rôle important.
- Le chinois, « langue à codage sur le satellite » ?
Partie de la typologie dichotomique de Talmy, nous nous attendions à une concurrence
entre manière et trajectoire dans la lexicalisation des procès en français chez les
apprenants, surtout au stade avancé. Or, les résultats ont contesté les hypothèses (1, 2
et 5), car dans tout stade d’acquisition, c’est la trajectoire qui est mentionnée en
premier par les apprenants dans tout type de déplacement (figures 4-6).
« La trajectoire constitue en effet l’aspect le plus basique des déplacements, qui a le
plus de conséquences pour l’organisation discursive, en ce qu’elle est indispensable
pour situer les référents pendant le déroulement du discours » (Hickmann, 2008 : 163).
En fait, notre anticipation se base sur la description du chinois en tant que langue
centrée sur les satellites, mais elle est surtout une langue de constructions verbales
sérielles (CVS), «une construction syntaxique dans laquelle plusieurs verbes sont
accolés en séquence mais se comportent comme une seule unité verbale» (Frawley,
1992 : 344).
279
La structure de la CVS pourrait se résumer comme suit
[Figure + (verbemanière + verbetrajectoire+V...) + Fond]
La manière et la trajectoire sont toutes deux incarnées par un verbe, il est difficile de
distinguer le verbe principal. C’est pour cela que Slobin a proposé dans son article
« The many ways to search for a frog, linguistic typology and the expression motion
events » (2004), de classer le chinois en tant que Equipollently-framed language, « in
which both manner and path are expressed by “equipollent” elements – that is,
elements that are equal in formal linguistic terms, and appear to be equal in force or
significance». Par ailleurs, les CVS ne sont pas tout le temps mobilisées pour décrire
les déplacements, comme ce que nous avons montré dans VIII. 3.2.1. Dans ces cas-là,
c’est plutôt un verbe de trajectoire qui véhicule l’information spatiale, ce qui montre
que la manière n’est pas toujours un composant indispensable dans la lexicalisation du
procès. Si les Chinois ont l’habitude de décrire la manière du mouvement, c’est parce
que la CVS rend plus facile l’empaquetage de manière et de trajectoire, dans la
production en français, les apprenants manifestent une préférence pour les prédicats
lexicalisant manière et trajectoire (grimper, s’échapper, etc.), mais quand les moyens
linguistiques sont moins disponibles, ils choisissent prioritairement la trajectoire.
Ainsi, nous pourrions peut-être même dire que le chinois est une langue CVS plutôt à
cadrage verbal, ce qui pourrait aussi expliquer pourquoi l’influence de la LM dans la
production en LS ne s’avère pas manifeste dans notre corpus.
-
Dans la perspective acquisitionnelle
Nous avons remarqué un enrichissement des moyens linguistiques, au niveau de la
dénomination des entités, de la mobilisation des prédicats, ainsi que dans la
description des événements spatiaux. Dans d’ailleurs, une meilleure organisation
discursive est observée chez l’ensemble des apprenants, malgré quelques fluctuations
individuelles (VIII. 5). Ces comparaisons longitudinales issues des analyses détaillées
permettent non seulement de dévoiler l’écart de formulation entre les apprenants et les
natifs, mais aussi d’en trouver les origines, sous l’angle linguistique ou cognitif. Ce
qui nous a surprise, c’est que cette étude basée sur des productions orales spontanées
nous a donné la possibilité d’observer la capacité langagière des apprenants
280
manifestée en temps réel, laquelle pourrait bien être éloignée de la « compétence
linguistique » qualifiée par des examens écrits : certains apprenants très « brillants »
en écrit, sont beaucoup moins remarquables dans la représentation spatiale, au niveau
de l’organisation de l’information spatiale ou celle des événements. Cela nous conduit,
d’un côté, à des réflexions sur la méthode d’évaluation, jusqu’ici basée surtout sur
l’écrit, qui pourrait masquer la véritable compétence langagière, et de l’autre, à des
applications visant à modifier ou à améliorer l’intervention pédagogique, en faveur
d’une meilleure acquisition des moyens linguistiques.
281
TROISIÈME PARTIE
APPLICATIONS DANS
L’ENSEIGNEMENT
Chapitre IX Enseignement/acquisition de la spatialité en français
IX.1.
L’enseignement de la spatialité
IX.1.1 Matériaux langagiers
IX.1.2 Approche pédagogique
IX.2.
De l’acquisition à l’enseignement de la référence spatiale
IX.2.1 L’acquisition de la spatialité en français
IX.2.2 Vers un enseignement « visualisé » de la référence spatiale
IX.3.
Evaluation
IX.3.1 Aperçu sur l’évaluation du français en milieu institutionnel
IX.3.2 Vers un nouveau système d’évaluation basé sur Le Cadre européen
IX.3.3
L’évaluation de l’acquisition de la spatialité
282
Nous avons choisi d’effectuer une étude sur la référence spatiale, car « être capable
d’exprimer où se situe ceci ou cela, où s’est passé ceci ou cela, d’où vient ceci, où va
cela, fait partie des aptitudes les plus élémentaires de tout locuteur. Toutes les langues
naturelles ont développé un riche répertoire de moyens permettant d’exprimer la
référence spatiale » (Klein, 1997 : 1). La représentation spatiale, fondée sur
l’interaction complexe d’une multitude de facteurs eux-mêmes complexes, fournit un
éclairage sur la façon dont les êtres humains perçoivent l’espace, et constitue ainsi une
catégorie fondamentale de la cognition humaine.
« Le langage comme véhicule de l’information spatiale doit être considéré à la fois
comme moyen d’acquérir et comme moyen de transmettre des connaissances
spatiales» (Denis, 1997 : x). Notre étude longitudinale a pour objet des étudiants qui,
ayant déjà acquis le système de référence spatiale dans la langue maternelle, doivent
apprendre à maîtriser les moyens linguistiques pour décrire l’espace dans une autre
langue. Ces apprenants adultes, matures cognitivement parlant, se distinguent de
jeunes apprenants par le fait qu’ils sont capables de raisonner de façon abstraite, de
procéder à des classifications et des généralisations, ce qui les aiderait à formuler et à
appliquer consciemment certaines règles de la langue étrangère à acquérir.
Les résultats de nos analyses basées sur les corpus recueillis tout au long de
l’apprentissage du français chez les étudiants, donnent lieu aux constatations
suivantes :
-
premièrement, malgré la répétition et l’imitation, approches pédagogiques les plus
courantes, les apprenants semblent restés « attachés » à certaines expressions
spatiales tenaces (dans la localisation surtout), où nous pourrions trouver l’impact
de la formulation en L1 ;
-
deuxièmement, la stratégie de précaution de l’enseignant, souvent appliquée afin
d’éviter des formes condamnables, ne conduit pas nécessairement à une
expression qui s’aligne sur celle des natifs ;
-
troisièmement, à notre grande surprise, les productions orales des apprenants
283
révèlent d’un côté une compréhension insuffisante des champs sémantiques des
prédicats (principalement dans les déplacements), de l’autre, le fait que certains
moyens linguistiques, censés être disponibles, ne peuvent pas être facilement
activés par les apprenants, qui se contentent d’expressions très courantes,
sémantiquement moins chargées ;
-
Finalement, ces phénomènes ont été détectés durant notre étude empirique sur le
terrain, et les productions orales ont démasqué des zones de difficultés
d’acquisition, que l’on croyait pouvoir franchir par l’enseignement. Tout cela est
foncièrement hors de la prévision de l’enquêtrice, elle-même enseignante. Etre
équipé d’un riche répertoire linguistique et savoir le mobiliser de façon pertinente
sont deux choses différentes.
« Qui apprend une seconde langue doit acquérir des formes nouvelles pour des idées
et des usages déjà connus » (John-Steiner, 1990 : 103). Mais, l’acquisition de ces
formes nouvelles n’équivaut pas à une simple transformation de code entre L1 et L2.
Le processus acquisitionnel s’avère beaucoup plus profond qu’une traduction littérale,
apprendre une langue étrangère, c’est aussi apprendre à interpréter le monde sous un
autre angle. Dans la représentation spatiale, les Français et les Chinois ne partagent
pas constamment leur conceptualisation de l’espace, tant dans la localisation que dans
le déplacement, ce qui engendre des difficultés dans l’acquisition de la spatialité en
français. Les résultats issus de nos analyses invitent à nous interroger sur le rôle de
l’enseignant et à envisager des interventions plus appropriées pour favoriser
l’acquisition des moyens linguistiques, compte tenu du fait que les restructurations à
opérer ne sont pas seulement linguistiques, mais aussi conceptuelles.
IX.1.
L’enseignement de la spatialité
Nous commençons par exposer le sort qui est fait à la référence spatiale dans les
matériaux linguistiques, ainsi que le traitement de la spatialité en classe, pour fournir
une caractérisation de l’exposition aux données relatives à l’espace en français.
IX.1.1 Matériaux langagiers
284
Les matériaux linguistiques, beaucoup plus faciles à décrire, permettent de mieux
observer l’entrée des données relatives à la référence spatiale en français (input), par
rapport à l’approche pédagogique, matérialisés par les comportements mêmes de
l’enseignant durant la transmission de connaissances langagières. Dans notre cas,
c’est le manuel employé en milieu institutionnel qui constitue le principal support que
nous allons analyser.
Dans l’enseignement du français, les manuels rédigés en Chine sont préférés en
milieu institutionnel chinois, parce qu’ils s’avèrent « plus appropriés et plus adaptés
aux apprenants chinois » (Pu, Lu & Xu, 2005 : 72). L’Université des Langues
étrangères de Pékin (Beiwai), ayant pris en compte les conditions subjectives des
apprenants (LM, LE déjà apprise, niveau d’éducation), les exigences objectives de
l’enseignement (objectif à atteindre, durée des études), ainsi que les difficultés des
apprenants chinois, a conçu elle-même le manuel intitulé Le français, destiné aux
étudiants de français de spécialité pendant les deux premières années d’études
universitaires. Il s’agit du fruit d’un travail collectif basé sur des observations faites et
des expériences accumulées durant l’enseignement, positives ou négatives.
Le manuel Le français composé de quatre tomes dont chacun correspond à un
semestre, est centré sur la grammaire : chaque leçon débute par un(des) texte(s)
chargé(s) de points grammaticaux, suivie d’un vocabulaire avec sa traduction en
chinois sur la page en vis-à-vis115. Le manuel a pour tâche principale l’explicitation et
la consolidation des connaissances grammaticales, qui occupent évidemment la place
primordiale dans la leçon : une grande partie est réservée à l’explication détaillée en
chinois, couplée à des exercices structuraux visant à mettre en pratique les règles
grammaticales ainsi que des expressions utiles de la leçon. Ce sont surtout des
exercices écrits (exercices à trous, questions-réponses, thème et version, etc.). La
leçon se termine souvent par une lecture, dotée aussi d’un vocabulaire des mots
inconnus.
115
En Chine, le vocabulaire constitue une approche très courante des rédacteurs de manuels, un moyen considéré
comme direct et efficace d’étendre le lexique de l’apprenant, celui-ci, à la rencontre d’un mot inconnu dans le texte,
pourra l’identifier selon la traduction en chinois.
285
Les auteurs expliquent dans l’avant-propos : « Ce manuel a un caractère à la fois
original et vivant. Nous essayons dans la rédaction du manuel de nous débarrasser de
la méthode traditionnelle qui néglige la pratique et de créer un style novateur aussi
bien dans la structure des textes que dans les exercices et les notes ». Durant la
documentation, les auteurs se sont beaucoup appuyés sur des manuels étrangers, tels
que Sans frontière, Nouveau sans frontière, la Civilisation française, Espaces, etc.
Des textes originaux ou authentiques ont été employés, mais avec des adaptations
« pour qu’ils soient cohérents avec la progression grammaticale».
En chinois, la référence au temps est assurée par les adverbes, et n’implique pas les
variations morphologiques de verbes, ainsi la temporalité occupe une place centrale
de la grammaire, et la spatialité ne mérite pas une attention particulière : ni la
localisation ni le déplacement n’ont fait l’objet d’une explicitation spécifique, les
prépositions de lieu et les verbes de mouvements sont introduits dans les dialogues ou
textes, avec la traduction en chinois dans le vocabulaire. La spatialité est enseignée
non pas en tant qu’un système linguistique pour exprimer un domaine d’expériences
(sur l’espace), mais seulement comme des éléments de vocabulaire, comme si la
référence spatiale n’était que dans le lexique.
IX.1.1.1
Prépositions de lieu
Le tableau ci-dessous réunit les prépositions qui font l’objet de notre étude
longitudinale (« sur », « dans », « devant », « derrière », « entre ») ainsi que celle qui
est très courante (« sous »), avec les contextes de leur apparition dans Le français.
Tableau IX - 1 ( Prépositions de lieu dans Le français)
Préposition
Contexte
- C’est bien meublé, votre chambre ?
sur
- Oui, d’ailleurs, notre chambre donne sur un joli jardin, avec des
Leçon 12 (tome 1)
arbres.
- Combien êtes-vous dans votre classe ?
dans
- Nous sommes quinze dans notre classe, il y a sept filles et 8
Leçon 10 (tome 1)
garçons.
devant
- Puis, vous continuez avec le bus 332. Il passe devant l’Université
de Beijing.
Leçon 1 (tome 2)
286
derrière
Au rez-de-chaussée, c’est une immense porte, haute, large, derrière
Leçon 4 (tome 2)
la porte on doit se sentir en sécurité.
- Est-ce que vous avez parlé français entre vous ?
entre
- Oui, oui, la plupart du temps, nous avons essayé de parler entre
Leçon 15 (tome 1)
nous.
- Nous t’écoutons.
sous
- Eh bien, grosso modo, la France se présente sous la forme d’un
Leçon 7 (tome 2)
hexagone presque régulier de 1000 kilomètres à peu près.
Les prépositions en question sont réparties dans différentes leçons, souvent introduites
dans des situations qui ne portent pas sur l’espace (c’est le cas de « dans », « entre » et
« sous »), ce n’est qu’au 2e semestre que les apprenants rencontrent des prépositions
renvoyant à un rapport spatial proprement dit (« derrière », « devant »).
-
C’est une belle chambre.
Oui, je la trouve très bien. Tu vois, il y a deux
tables, deux lits, deux chaises, deux étagères et
deux grands placards. C’est bien meublé, votre
chambre.
Dans Le français, les illustrations ne sont pas nombreuses. Dans la leçon 12 (tome 1),
l’image représentant l’espace de l’intérieur d’une chambre, est accompagnée d’une
pure description qui liste les objets, sans aucune relation spatiale. Cette façon de
décrire pourrait conduire les apprenants à adopter la même présentation dans
l’exercice oral de la même leçon (ci-dessus, exercice 10, jeu de dialogue), autrement,
cet exercice pourrait bien se réduire à une énumération de meubles dans le jeu de
dialogue, qui aurait pu être un exercice invitant à une description spatiale détaillée.
Les exercices sur les prépositions se présentent souvent sous forme d’exercices à trous,
287
et
ne
renvoient
pas
particulièrement à la spatialité,
ainsi, nous l’avons remarqué
dans les phrases 1, 2, 3 et 6.
(ci-contre Le français Tome 1,
leçon 15).
Ce bref aperçu montre qu’il existe un vrai hiatus entre la présentation des prépositions
et leurs traits sémantiques. Les auteurs, en étant conscients, ont apporté des
modifications dans la version révisée du manuel, parue en 2004. Nous revenons sur
les six prépositions qui nous intéressent en particulier.
Tableau IX - 2 (Prépositions de lieu dans Le français – version révisée)
Préposition
Sur
Sous
Dans
Devant
Contexte
-
Sur ton bureau, qu’est-ce que c’est ?
-
Ce sont mes cahiers et mes livres.
-
Et sous la table, qu’est-ce que c’est ?
-
Ce sont mes affaires.
Leçon 8
(Dans la rue) : comme description de l’arrière-plan
Leçon 4
-
L’Université des Langues étrangères, c’est bien ici ?
-
Oui, c’est devant vous.
Derrière116
-
Entre
-
Malgré
Leçon 9
l’absence
prépositions
« derrière »,
constater
des
« entre »
nous
une
et
pouvons
meilleure
contextualisation spatiale pour
les prépositions, surtout pour
« sous » et « sur » (tome 1,
leçon 8, version révisée), lesquelles sont d’ailleurs accompagnées d’une image
permettant de visualiser plus ou moins les relations spatiales incarnées.
116
La version révisée du français (tomes 1 et 2) n’a pas présenté les prépositions « derrière » et « entre », celle des
tomes 3 et 4 sont à paraître.
288
Par ailleurs, des exercices d’audition sont intégrés dans la nouvelle version, nous en
avons relevé un dans la même leçon 8, qui porte
sur la localisation (ci-contre, exercice 3). Pourtant,
l’exercice consistant à identifier les endroits
concernés, ne met pas en relief les rapports
spatiaux.
De même, l’exercice oral dans la même
leçon, ayant pour but d’inciter les
apprenants à décrire l’image avec les
mots et expressions donnés, ne met pas
en priorité la spatialité.
IX.1.1.2
Verbes de déplacement
Comme les prépositions de lieu, les
verbes de déplacement n’ont pas mérité
non plus une attention particulière dans
le
manuel.
Ils
sont
introduits
ou
présentés « un peu au hasard », selon les
besoins du texte ou au service de la
grammaire, et les traits spatiaux incarnés
par le déplacement ne sont pas mis en valeur. Par exemple, les verbes arriver, partir,
venir, tomber et revenir sont introduits dans la leçon 13 (tome 1), mais ces verbes de
base pour les déplacements sont introduits, non pas pour illustrer un événement, mais
pour aborder les 4 saisons, dans une acceptation métaphorique !
Bien que 12 verbes de déplacement
soient réunis dans la leçon 16 (tome 1),
ils figurent parmi les verbes avec être
comme auxiliaire au passé composé,
destinés aux règles grammaticales, le
289
trait dynamique du mouvement se réduit à de simples flèches dans la figure.
Dans l’expression du mouvement, le français encode la trajectoire et le mouvement
dans la racine verbale, la manière du mouvement est indiquée par une structure
périphérique, attachée au noyau verbal. Les verbes de déplacement s’avèrent des
candidats idéals pour caractériser la fonction du gérondif qui exprime souvent la
manière dans la lexicalisation du procès. Dans Le français (tome 3), nous avons
relevé en effet des exemples de structure [Vtrajectoire+Vmanière en gérondif ](tomber en
courant), répétés d’ailleurs trois fois, mais pour insister sur la relation temporelle,
avec courir en tant que cause plutôt que manière. La formulation destinée avant tout à
l’explication grammaticale, la valeur de la lexicalisation du procès est laissée de côté.
IX.1.2 Approche pédagogique
Les comportements tant des enseignants que des élèves sont en partie conditionnés par leurs
représentations linguistiques. Non seulement les choix pédagogiques fondamentaux qui sous-tendent
une méthode, mais aussi (et peut-être surtout) l’ensemble des petits choix limités et spontanés que
l’enseignant ou l’élève effectuent au cours de leur travail (par exemple en donnant une explication ou
en formulant une question) renvoient à une conception plus ou moins élaborée et explicite du langage
en général et de la langue enseignée en particulier.
(Berthoud & Py, 1993 : 5)
Si
dans
le
milieu
institutionnel
chinois,
les
données
langagières
sont
fondamentalement déterminées par le manuel, l’ensemble des processus est soumis à
l’intervention pédagogique : le langage de l’enseignant et son approche pédagogique
jouent un rôle important dans la transmission des connaissances. L’enseignement du
290
français est celui de la grammaire et du vocabulaire : toute la procédure en classe est
planifiée et organisée en vue de mettre en valeur la grammaire et d’apprendre des
mots, des formes et des tournures.
Dans tout ce processus, la L1 est largement employée par l’enseignant dans
l’explication des règles grammaticales et des structures (donc sur les connaissances
métalinguistiques), afin d’éviter toute ambiguïté, surtout au stade initial. Il est à noter
qu’au fur et à mesure de l’apprentissage, l’enseignant tend à renforcer le dosage de
français en cours, dans l’explication des règles grammaticales ainsi que celle des
textes, et au niveau avancé, le cours est censé se dérouler tout en français. Néanmoins,
pendant les deux premières années d’apprentissage à partir du manuel Le français, le
recours au chinois est conçu comme un processus nécessaire pour construire les
connaissances métalinguistiques sur le français, c’est ce que nous avons constaté dans
les relevés des données du manuel et observé dans l’intervention de l’enseignant.
Les activités d’apprentissage sont pratiquées dans ce contexte éducatif fondé
essentiellement sur la grammaire et le vocabulaire : la première est « consolidée » par
d’abondants exercices de structures grammaticales, et le second, souvent sous forme
de phrases à traduire, à l’oral ou à l’écrit, dont les propositions des apprenants sont
jugées par l’enseignant (« correct / faux »). Ainsi, le cours du français se réduit, dans
la plupart des cas, à cet apprentissage basé sur la grammaire et à un nombre important
d’exercices de traduction.
L’enseignant s’interroge rarement sur l’organisation du manuel et l’approche
pédagogique mise en oeuvre. Pourtant, avec la mise en service de l’équipement
informatique (ordinateur + projecteur), et la publication de la nouvelle version du
manuel (tomes 1 et 2), l’enseignant est mené aussi à mobiliser des approches pour
présenter les données linguistiques de façon dynamique et en favoriser ainsi
l’apprentissage à travers l’interaction.
Prenons comme exemple la leçon 8 intitulée « Faire du rangement » (tome 1, version
révisée), dont les textes sont rédigés pour enseigner les adjectifs possessifs. Dans cette
291
leçon, qui s’avère propice pour introduire la relation spatiale, l’enseignant recourt au
diaporama, fait pour les contenus de la méthode, en voici une page PowerPoint:
C’est une chambre
Qu’est-ce qu’il y a dans cette chambre?
„
„
„
„
un lit
des chaises
des peintures
une table
La peinture « La chambre de Van Gogh à Arles »
est choisie pour présenter les objets : lit, chaise,
tableaux, table, dont l’identification est passée
directement de l’image à la représentation
verbale117, cette présentation par le biais d’une
oeuvre d’art connue mondialement, révèle donc
un double avantage, pédagogique et culturel118, et suscite par ailleurs l’attention et
l’intérêt des apprenants. Pourtant, l’enseignant pourrait bel et bien aller un peu plus
loin pour aborder les rapports spatiaux dans cette leçon, nous allons en donner notre
proposition un peu plus tard119.
Avec la leçon 17 « Le rythme de la vie » qui porte sur les verbes avec être comme
auxiliaire au passé composé, l’enseignant se sert d’un diaporama qui réunit les verbes,
Les verbes avec « être » comme auxiliaire
dans le but de faciliter la
mémorisation
des
verbes
concernés 120 . Nous pouvons
remarquer dans ce diaporama
destiné
à
transmettre
les
informations grammaticales,
une
combinaison
de
la
temporalité avec la spatialité :
le passé composé est bien
relié à une trajectoire composée de plusieurs déplacements.
L’enseignant, pour mieux montrer les mouvements impliqués, enchaîne l’image
117
L’enseignant pointe les objets concernés en les identifiant, et demande aux apprenants de répéter avant de faire
apparaître l’écriture des items introduits.
118
L’enseignant en profite pour parler du peintre Van Gogh, de sa vie, de la réalisation de cette peinture, dont la
présentation est en partie en français, suivant le niveau de compréhension des apprenants.
119
voir IX.2.2.1, p.303.
120
Après, les apprenants sont invités à recopier l’image, la plupart ont pu bien la reproduire.
292
statique ci-dessus avec un autre diaporama qui contient des images animées (pour
naître, aller et revenir, partir, monter et descendre), lesquelles, destinées à « réitérer »
l’emploi du passé composé, illustrent les traits dynamiques des verbes.
Il est né.
Il est allé et il est revenu.
Il est arrivé et il est entré.
Il est monté et il
est descendu.
Il est parti.
Il est resté et il est
devenu très triste.
Il est tombé.
Il est sorti.
Il est mort.
Grâce à l’assistance informatique, l’enseignant s’appuie sur des images prototypiques
pour créer des contextes favorables à la transmission des données, mais cela, pour
parler en priorité de la grammaire, plus précisément, de la morphosyntaxe. Cette
approche pédagogique, bien appréciée par les apprenants, a montré aussi des effets sur
l’efficacité de l’enseignement. Néanmoins, une meilleure application pourra être
envisagée, en vue d’inciter une participation encore plus active des apprenants dans la
description spatiale, c’est ce que nous allons aborder dans la section suivante.
IX.2
De l’acquisition à l’enseignement de la référence spatiale
A partir des relevés effectués sur le manuel en vigueur, et de l’approche pédagogique
pratiquée en cours, nous avons caractérisé l’entrée (input) des données relatives au
domaine spatial dans l’enseignement du français en Chine, ce qui conduit à la
constatation que les apprenants chinois apprennent le français dans un milieu surtout
« captif », et que « leur système linguistique s’est développé à partir des informations
sélectionnées, ordonnées et massées sur la LC, fourni par l’apprentissage guidé.»
(Paprocka-Piotrowska, 1998 : 73) Il résulte de ce système de transmission de données
linguistiques que pour de nombreux apprenants, apprendre le français, c’est avant tout
mémoriser les règles grammaticales et les mots, et pratiquer le français, c’est une
293
traduction de mots entre le chinois et le français. « Tout se passe comme si le
vocabulaire d’une langue était un répertoire d’étiquettes collées sur des objets
(concrets et abstraits) d’un monde qui précède le langage. Dans cette perspective,
apprendre une langue étrangère, c’est substituer un répertoire d’étiquettes à un autre ».
(Py, 1993 :13)
Dans la perspective acquisitionnelle, l’enseignement du français en Chine révèle une
double faiblesse : d’un côté, les manuels centrés sur la grammaire, et l’intervention
pédagogique basée surtout sur les descriptions métalinguistiques, laissent de côté
l’aspect communicatif et pragmatique de la langue ; de l’autre, façonnées comme
« prêts à porter », les démarches pédagogiques en classe semblent ignorer le fait que
tous les apprenants disposent chacun de leur propre mécanisme pour s’approprier de
connaissances linguistiques, les situant ainsi au second plan par rapport à la place
dominante de l’enseignant.
Sur le plan de la spatialité, l’enseignement du français étant davantage centré sur la
grammaire dont une grande partie est réservée à la temporalité, domaine considéré
comme
privilégié
à
cause
de
l’absence
des
moyens
de
morphologie
temporo-aspectuelle en chinois, la spatialité, censée être un concept cognitif déjà
« acquis », fait rarement l’objet d’un enseignement explicite. Ainsi, dans la
représentation de l’espace, les apprenants se contentent de « plaquer » sur le français
les catégories et des schémas propres au chinois.
Une étude sur le terrain a pour avantage d’observer de façon objective le processus
d’acquisition des apprenants à travers des données produites, les énoncés en L2 où on
voit les résultats de l’apprentissage. Notre étude empirique sur la référence spatiale en
français a donc, en révélant les zones de difficultés dans l’acquisition, éclairé le fait
que le processus de transmission de données linguistiques n’en assure pas
l’acquisition, et que la possession des moyens linguistiques ne suffit pas à garantir la
capacité de l’apprenant à communiquer hors de la classe. C’est cette constatation qui
nous pousse à consacrer cette dernière partie à des propositions visant à trouver « les
angles d’attaque » possibles de l’enseignement, en vue d’optimiser le processus
294
d’acquisition de la spatialité en français.
IX. 2.1 L’acquisition de la spatialité en français
Apprendre une langue suppose donc bien autre chose que l’application d’un nouveau
répertoire d’étiquettes à une réalité préexistante, elle signifie une remise en question
d’une conception du monde, des relations entre des valeurs et des formes
linguistiques.
(Berthoud & Py, 1993 : 91)
L’acquisition d’une L2 est un cheminement qui va d’un système de signes à un autre,
mais il s’agit d’un processus cognitif beaucoup plus profond qu’un simple
changement de code, cela ne se limite pas à appliquer des formes spécifiques et
nouvelles de la L2 à des fonctions familières de la L1. Selon Berthoud, c’est une
procédure qui « implique une reconstruction du mode d’appréhension du réel, une
restructuration, une transformation du rapport langage/connaissance » (ibid.).
La langue véhicule les interprétations du monde partagées par les membres d’une
communauté linguistique, et les structures cognitives sont déjà filtrées par la langue et
la pratique langagière lorsqu’elles infléchissent les structures linguistiques. Autrement
dit, la langue sert de filtre qui canalise l’information, incitant les locuteurs à prêter
plus ou moins d’attention à différents aspects de la réalité.
La démarche de l’enseignement du français en Chine, qui semble partir d’une
conception de la langue comme un répertoire d’étiquettes, reste discutable sous les
angles linguistique et acquisitionnel, car les connaissances en français sont beaucoup
plus riches et variées qu’un réseau composé de vocabulaire et d’un système
grammatical, réversible par un simple changement de code. Il s’agit de « regrouper
autrement les objets du monde et de construire de nouveaux modèles de la réalité »
(Berthoud & Py, 1993 : 14).
A partir du modèle de Levelt (1989), nous pouvons mieux comprendre l’impact de
l’enseignement sur la production orale en français. Il s’agit d’un traitement composé
de 3 étapes majeures, comme ce qu’illustre la figure ci-dessus : la conceptualisation,
295
la lexicalisation et l’articulation.
Schéma IX -1 (Traitement au cours de la production de la parole – modèle de Levelt)
Préparation
conceptuelle
Lexicalisation
Encodage
sémantique et
syntaxique
Lexique
Mental
Encodage
morpho-phonologique
Système
articulatoire
Les productions linguistiques chez les apprenants chinois révèlent que les difficultés
se trouvent plus au niveau sémantique que syntaxique, le choix de l’information par
rapport au contexte à décrire cause plus de problèmes : préposition, verbes
dynamiques ou la combinaison entre ces deux éléments.
Etant donné la situation actuelle de l’enseignement du français en Chine, laquelle se
caractérise par le recours récurrent du chinois dans la transmission de données
linguistiques (input), lors de la production, orale ainsi qu’écrite, les apprenants
prennent souvent l’habitude de chercher à traduire ce qu’ils ont à dire en français, ce
qui conduit à une double conséquence : d’un côté, l’étape de lexicalisation prend plus
de temps car s’ajoute à l’accès lexical, composé de codage sémantique et syntaxique
et de codage morpho-phonologique, un changement de codage entre lemmes en
chinois et lemmes en français ;
Schéma IX-2 (Traitement au cours de la production de la parole chez les apprenants
296
chinois)
Préparation
conceptuelle
Lexicalisation
Encodage
sémantique et
syntaxique
Lexique mental
Lemmes
en
français
Lemmes
en
chinois
Encodage
morpho-phonologique
Système
articulatoire
La seconde conséquence est que la récupération du lexique mental semble plus
risquée, car la réussite du changement de codage dépend de la cohérence de propriétés
sémantiques entre l’item en LM et l’item en LE, ce qui n’est pas toujours le cas. Nous
pouvons distinguer au moins trois cas, basés sur les analyses des données de nos
corpus :
i)
Lorsque les traits sémantiques de l’item en chinois coïncident avec ceux de
l’item en français, la traduction conduit à l’accès lexical pertinent.
297
ii)
Quand l’item en chinois correspond à plus d’un item en français (comme le
mot 栅栏-zhàlán peut être traduit comme « barrière » et « grille ») dont les
traits sémantiques se superposent, la récupération s’avère plus risquée, car il
faut savoir activer le bon terme en français.
iii)
Il arrive que le message à verbaliser renvoie à une propriété sémantique qui
constitue l’intersection de propriétés sémantiques d’un item en chinois et un
item français, qui n’est pas sa traduction littérale (c’est le cas de concurrence
entre 上-shàng et 里-lǐ), dans ce cas, la mobilisation de l’item en français est
encore plus périlleuse par le biais de la traduction.
La stratégie de traduction, massivement utilisée lors de la production, écrite comme
orale, trouve son origine dans l’environnement de l’enseignement. Ce repli sur le
chinois repose pourtant sur l’hypothèse que le chinois et le français partagent une
même conceptualisation de l’espace. Si c’était le cas, la traduction « mot à mot » se
montrerait une solution possible et pertinente, mais dans le cas contraire, quand la
représentation des deux langues traduit une pensée différenciée, une traduction
littérale peut engendrer des problèmes, tels que ceux relevés dans notre étude.
Afin d’éviter ce genre de traitement par le biais de la traduction durant l’étape de
lexicalisation, coûteux et risqué, sera mise en application une approche dite
« visualisée » dans l’enseignement, composée de deux étapes : lors de l’entrée des
données, des images « prototypiques » ou « typiques » établiront une connexion
directe entre les concepts et les idées à exprimer et la représentation verbale en
français, à travers des entraînements, toujours basés sur
message
des supports visuels, celle-ci sera stockée en mémoire
dans le lexique mental, dont l’activation sera vérifiée au
cours de la seconde étape visant à en vérifier
l’appropriation dans des activités langagières. Pour ce
Lemmes en français
faire, il nécessaire d’élaborer tout un système basé sur
le stimulus visuel servant de support pour que la représentation mentale (message)
aboutisse à la représentation lexicale dans la langue cible (lemmes en français), sans
298
intermédiaire de la LM - le chinois, les relations conceptuelles deviennent ainsi des
associations directes entre items lexicaux, et la perception assure donc le passage de la
fonction à la forme.
IX.2.2 Vers un enseignement « visualisé » de la référence spatiale
Nous avons la possibilité d’influencer le processus acquisitionnel sous l’angle de
l’entrée des données linguistiques. Etant donné la situation actuelle de l’enseignement
du français en Chine, il serait illusoire de changer radicalement le manuel basé sur la
grammaire à brève échéance. Ce que nous pourrions modifier, c’est l’autre aspect
déterminant de l’entrée, les approches pédagogiques, car elles sont plus aisées à
manipuler.
En Chine, aujourd’hui encore, l’enseignant s’avère la figure centrale en classe de LE :
il est « meneur du jeu, porteur de connaissances et juge des prestations » (Coste, 2002 :
17). Et nous envisagerons un changement de rôle de l’enseignant qui, au lieu d’un
simple « transmetteur » de données métalinguistiques, deviendra déclencheur du
dispositif d’acquisition chez les apprenants, en créant les conditions adéquates pour
que soit mis en oeuvre le talent inné de ceux-ci, et en fournissant le matériel
linguistique nécessaire à cet effet. Il étudiera et prendra en considération les
circonstances dans lesquelles les apprenants seront amenés à mettre en pratique leurs
connaissances, en vue d’optimaliser le processus d’acquisition. En bref, l’enseignant
fournira en classe, les outils aux apprenants pour appréhender et interroger la langue à
apprendre, au lieu de leur proposer simplement des échantillons de langue.
Les résultats issus de nos analyses détaillées sur l’acquisition de la spatialité en
français, l’état des lieux de l’enseignement du français en Chine, permettent de
suggérer quelques principes, concrétisables au plan pédagogique, visant à créer un
contexte d’acquisition plus favorable.
-
Les apprenants seront mis au coeur de l’enseignement, en jouant pleinement le
rôle d’acteurs de l’apprentissage et utilisateurs de la langue. L’enseignant qui
déclenche le processus d’apprentissage, sera à l’écoute des apprenants, qui ont
299
l’habitude d’être soumis à l’écoute de ce dernier.
-
A partir des données linguistiques déterminées par le manuel, l’enseignant
envisagera des « contextes visuels » dont la représentation conceptuelle aidera les
apprenants à appréhender et structurer les connaissances linguistiques en champs
sémantiques, tout en résistant au recours solitaire au chinois dans l’explication et
au penchant habituel sur de pures descriptions métalinguistiques.
-
Accorder une attention privilégiée à la mise en application des moyens
linguistiques, surtout à l’oral. Pour ce faire, seront proposées en classe des
activités langagières pragmatiques et interactives, lesquelles permettront d’établir
et de densifier les liens entre éléments des champs sémantiques.
Cette approche pédagogique dite « visualisée » consiste à préparer les conditions
nécessaires au déclenchement du processus d’acquisition, et à laisser les apprenants
interpréter eux-mêmes le fonctionnement des données linguistiques qu’ils sont en
train d’acquérir à un moment de l’apprentissage. Nous allons nous appuyer sur les
prépositions et les prédicats qui font l’objet des difficultés dans notre étude
longitudinale, pour illustrer cette approche basée sur l’image. Ce sont des matériaux
élaborés par nous-même, l’auteur de la présente thèse, lesquels sont disponibles pour
être utilisés dans l’enseignement du français à venir.
IX.2.2.1
-
Prépositions de lieu
1ère étape : Matériaux pédagogiques (sensibilisation)
300
Un document est conçu121 pour réunir les prépositions de lieu usuelles : « sur »,
« sous », « dans », « devant », « derrière », et « entre », celles-ci ne sont pas associées
à la traduction en chinois dans le vocabulaire, mais aux propriétés sémantiques
illustrées par des images « prototypiques ». Cette première étape vise à mettre en
valeur différentes relations spatiales à travers la perception, lesquelles sont reliées
directement à leur représentation en français.
-
2e étape : intervention pédagogique (transmission → consolidation)
Maintenant, à l’enseignant de jouer son rôle de « déclencheur» de l’apprentissage de
données linguistiques pour qu’elles soient appropriées (consolidation) et le cas
échéant, le rôle de guide dans le développement linguistique (l’extension et la
comparaison). Au lieu de recourir au chinois pour expliquer « le signifié » de chaque
préposition, l’enseignant s’appuie sur des images (i) ou des activités langagières en
classe (ii et iii) pour faire incorporer les rapports spatiaux qu’incarne chaque
préposition.
Tableau IX - 3 (Intervention pédagogique : prépositions de lieu)
Public
Objectifs
Durée estimée
Fonctionnel :
Débutants
1.
localiser les objets
2.
exprimer les relations spatiales
Nombre de séance : 1
Notionnel :
Durée totale : 50 minutes
1.
les prépositions de lieu : sous, sur, dans, devant,
i)
introduction (10 minutes)
derrière, entre (éventuellement en face, à côté, près
ii)
exercices (20)
de) et les adverbes de lieu : là-bas, ici
iii)
travail en équipe (20)
des objets courants de la vie : crayon, stylo, cahier,
Production attendue : orale
(stade initial)
2.
feuilles de papier, règle, table, chaise, tasse, etc.
3.
structure avec le pronom interrogatif « où » : où est...
Déroulement de la séance
i) Clip « Où es-tu ? 122» ( 10 minutes)
L’enseignant fait passer le clip « Où es-tu ? » pour introduire les prépositions qui
servent à marquer la relation entre le petit bonhomme et la boîte. Ce clip a un double
121
Qui pourrait être présenté dans la leçon 8 « Faire du rangement » (Le français, tome 1 – version révisée),
distribué aux apprenants avant la séance.
122
Clip d’où on a retiré les images, présentées en page précédente.
301
avantage : il illustre de façon claire et dynamique les rapports spatiaux, déjà présentés
dans le matériel langagier, et de l’autre, il aborde aussi les adverbes de lieu « là-bas »
et « ici ».
Après avoir passé deux ou trois fois le clip, trois tours de questions-réponses seront
entamés autour du même clip dont le son est enlevé:
-
On répète les mêmes questions du clip, les apprenants sont censés pouvoir
identifier les rapports spatiaux et répéter les mêmes réponses.
Où es-tu ? - Sous la boîte
- Sur la boîte
- Dans la boîte
- Devant la boîte
- Derrière la boîte
- Entre les boîtes.
Mais où est la boîte ?
- Elle est là-bas.
- Elle est ici.
-
On demande aux apprenants de répondre avec une phrase complète.
Où es-tu ?
-
- Je suis sous/sur/dans/devant/derrière/la boîte, entre les boîtes.
On change le sujet dans la question, avec « où est l’homme ? »
Où est l’homme ? – L’homme(Il) est sous/sur/dans/devant/derrière/la boîte, entre
les boîtes.
ii) Activités langagières (20 minutes)
-
L’enseignant introduit des objets courants (crayon, stylo, cahier, feuilles de papier,
règle, table, chaise, tasse, etc.) en les présentant aux apprenants avant de jouer
cache-cache avec tous ces objets en posant la question « où est... ? »
Où est le crayon ?
- Le crayon est sous les feuilles de papiers.
Où est le stylo ?
- Le stylo est dans la tasse.
Où est la règle ?
- La règle est sous la table. (...)
-
L’enseignant continue cette activité en interaction, mais cette fois avec la
302
localisation de personnes, afin d’appliquer « devant », « derrière » et « entre », et
d’aborder d’autres expressions spatiales telles que « à gauche », « à droite », « en
face », « à côté », « près de », etc.
Où suis-je ?
- Vous êtes devant/derrière la table.
Où est X (apprenant A)? - Elle est entre Y (apprenant B) et Z (apprenant C). (...)
iii) : Travail en équipe (20 minutes)
La peinture de Van Gogh sera présentée pour aborder la relation spatiale sur l’axe
verticale, incarnée par « à », avant de faire l’objet d’un travail en équipe.
Schéma IX-3 (Travail en équipe : « La chambre de Van Gogh à Arles »)
303
Introduction des objets
Un tableau, des tableaux
Un miroir
Une porte
Un torchon
Un coussin
Une table
Un lit
Une chaise
Une couverture
Présentation des rapports spatiaux
Le miroir est au mur.
Les tableaux sont au mur.
Le torchon est au mur.
La chaise est devant la porte.
Il y a une chaise entre la table et le lit.
...
Application : présenter le tableau
Un travail collectif, à l’issue duquel, chaque
groupe présente à l’oral « La chambre de Van
Gogh à Arles ».
Ce genre d’activité langagière est l’occasion idéale aux apprenants de mettre en
oeuvre les moyens linguistiques. D’après Krashen (1980), quand les adultes
apprennent une L2, « toute connaissance formelle de la langue ne leur sert, que si elle
est associée à des occasions de l’utiliser dans des situations de communication dont ils
tirent une satisfaction personnelle123».
-
3e étape : extension et comparaison
Il s’agit d’une étape où l’enseignant, par expérience et observation en classe, anticipe
123
Cité par John-Steiner (1990 : 105).
304
des zones de difficultés et se sert de supports en images pour solliciter la réflexion
chez les apprenants, qui procèdent à une comparaison des champs sémantiques des
prépositions qui font souvent l’objet de la confusion.
z
Sur / à / au-dessus
Les relations en question sont réunies dans la
même image qui contrastent les nuances des
traits sémantiques des prépositions : chat – table
(1), ventilateur – plafond (2), tableau – mur (3),
mouche – tableau (4), ventilateur – chat (5).
Il s’agit de 5 rapports spatiaux différents
incarnés par trois prépositions en français, alors
qu’en chinois, ils sont représentés sans distinction par le locatif 上-shàng, d’où la
difficulté de choix pour les apprenants chinois (voir chapitres VII et VIII).
1) Le chat est sur la table.
Selon Vandeloise, « si a est sur b, la cible est généralement plus haut que le site »
(1986 : 187), cette relation correspond à l’image prototypique du locatif 上.
2) Le ventilateur est (suspendu) au plafond. (Il y a un ventilateur au plafond.)
Les apprenants chinois interpréteraient facilement cette relation comme « sur le
plafond ». Ici, on a affaire à une concurrence entre « sur » et « à » : le ventilateur est
considéré comme suspendu « au » plafond, car le porteur (le plafond) s’oppose à la
pesanteur, et la relation porteur/porté est passive, le ventilateur maintenu fixé au
plafond grâce aux vis. Par extension, lorsque le porteur se situe sur l’axe vertical (le
mur, par exemple), et que le porté joue un rôle actif, une mouche, par exemple, le
porté est plutôt « sur » le porteur (5) ; quand la relation est « intermédiaire » entre
porteur/porté, comme celle entre le mur et un tableau (4), « sur » et « à » sont deux
choix possibles.
3) Il y a un tableau au/sur le mur.
4) Il y a une mouche sur le tableau.
305
Les différents types de relation porteur/porté et les prépositions correspondantes
pourraient être résumés dans le tableau ci-dessous. (Vandeloise, 1986 : 202)
Tableau IX - 4 ( Prépositions : sur/à)
Sur
À
X
-
X
-
intermédiaire
X
X
passive
-
X
Support horizontal
Support vertical
Relation porteur /porté active
Ainsi, dans le récit La Grenouille, quand on décrit l’image où le chien s’amuse avec
les abeilles, la ruche est plutôt « à » que « sur » l’arbre. C’est d’ailleurs une image
idéale que l’on pourra utiliser pour illustrer le rapport spatial d’une cible par rapport à
un support vertical.
5) Le ventilateur est au-dessus du chat.
Les apprenants pourraient bien décrire le ventilateur « sur » le chat, car en chinois, le
contact impliqué par la relation porteur/porté qui motive l’emploi de la préposition
« sur » n’est pas nécessaire pour activer le locatif 上. Pourtant, en français, cette
relation doit être jugée «au-dessus » étant donné l’absence de contact entre le chat et
le ventilateur.
Cinq différents rapports réunis dans la même image, les apprenants, par l’observation,
réflexion et la comparaison, aboutiront à la distinction des valeurs entre « sur », « à »
et « au-dessus », qui correspondent aux champs référentiels couverts en chinois par le
locatif 上.
z
Sur vs dans
Quant à la préposition « dans » qui incarne la relation contenant/contenu, les
apprenants en manifestent une assez bonne maîtrise, sauf pour des situations où le
fond s’avère atypique en tant qu’un contenant pour activer « dans » aux yeux des
Chinois, tel que l’arbre, le tronc ou la terre. Dans ces cas, les apprenants chinois
qualifient souvent la relation spatiale de « sur » (Il y a un trou « sur » la terre/l’arbre),
306
vu l’influence des propriétés sémantiques du locatif 上. Moins les sites sont typiques,
moins évident est le choix de préposition.
Quand la conception en français diffère celle en
chinois, l’intervention de l’enseignant se montre
donc nécessaire et efficace : il pourra expliciter
aux apprenants qu’aux yeux de Français, le
feuillage de l’arbre forme un volume contenant
des pommes qui sont localisées « dedans », et le
tronc d’arbre, vu sa forme cylindrique et
volumineuse, est aussi un volume pouvant «
contenir » le trou, l’oiseau fait un trou donc
« dans » l’arbre/le tronc. Selon Vandeloise,
« plus la concavité diminue, moins le choix des prépositions dans/sur devient clair.»
(1986 : 230) La terre, malgré son étendue, s’avère un contenant pour le trou : le chien
fait ainsi un trou « dans la terre ».
Avec l’image qui expose les conditions contenant/contenu pour motiver la préposition
« dans », et les apprenants apprendront à s’habituer peu à peu à des sites moins
typiques, conventionnalisés en chinois plutôt comme porteur que contenant, tels que
le sol, la surface du lac, la montagne, etc. Dans le sens inverse, on pourra recourir à
des images pour illustrer le fait que le même site peut être porteur ou contenant selon
les circonstances. Prenons l’exemple du « lit » : en général, on s’allonge « sur » le lit
(a), mais avec « dans le lit », on pourra bel et bien imaginer un lit de bébé (b) ou un
dormeur couché sous une couverture douillette (c).
a
z
b
c
Derrière vs après
« Derrière » et « après », deux prépositions dont l’orthographe ne révèle aucune
307
ressemblance, renvoient au même item 后-hòu en chinois, d’où la confusion (voir VIII.
2.2.2124). Il s’avère nécessaire de distinguer ces deux prépositions dès qu’elles sont à
la disposition des apprenants.
Les deux prépositions renferment un même trait de postériorité, « derrière » sur le
plan spatial et « après », plutôt dans le domaine temporel. Voilà l’intérêt de réfléchir à
des circonstances où les deux prépositions sont acceptables.
L’enseignant pourra par exemple,
profiter de l’introduction du proverbe
français « Rien ne sert à courir, il faut
partir à point. » pour présenter
l’image ci-contre de la fable de La
Fontaine Le lièvre et la tortue,
familière aux Français ainsi qu’aux
Chinois. Les apprenants seront invités à décrire la position du lièvre par rapport à la
tortue. On pourra imaginer les formulations suivantes :
(1)
(2)
(3)
(4)
Le lièvre se trouve derrière la tortue.
Le lièvre arrive au terminus après la tortue.
La tortue se trouve devant le lièvre.
La tortue arrive au terminus avant le lièvre.
Si « derrière » et « après » (1 et 2) peuvent s’appliquer à la même scène, elles en
présentent pourtant des aspects différents : « derrière » est motivée pour justifier de
façon statique la localisation des deux animaux dans l’orientation générale, alors que
« après » renvoie plutôt au résultat de la course dans la direction du mouvement, en
impliquant donc un ordre temporel inféré à partir de l’image statique. Il en est de
même pour les antonymes de ces deux prépositions, « devant »/ « avant » (3 et 4), un
couple analogue susceptible de susciter aussi la confusion.
Si ces prépositions sont simultanément utilisables, c’est parce que la scène implique
deux référents animés mobiles et orientés. Dans cette étape de sensibilisation, les
apprenants sont menés, à travers un support qui leur est familier, à la distinction
124
p.203.
308
temporo-spatiale dans les deux couples de prépositions avant/devant et après/derrière,
lesquelles ne sont pas synonymes mais reflètent des aspects différents de la même
scène objective.
Ensuite,
on
passe
à
l’étape
« application » : on demande aux
apprenants d’imaginer des scènes de
la vie quotidienne (faire la queue par
exemple) en utilisant respectivement
« derrière » et « après ». Il s’agit d’un
travail par équipe, à la fin duquel chaque groupe joue la scène devant tout le monde.
Cette activité vise à vérifier la compréhension et consolider la différenciation à travers
la mobilisation des connaissances à acquérir.
Et deux scènes des supports de notre étude pourront aussi être utilisées pour tester la
maîtrise de la préposition.
Le chien court après le chat. (Le Chat)
Les guêpes courent après le chien. (La Grenouille)
Finalement, on pourra se servir de la formulation suivante pour contraster la
conception différente du même événement entre les Français et les Chinois.
您
先
请
nín
xiān
qǐng
vous – d’abord – s’il vous plaît
« Après vous. »
Si dans les deux langues, on essaie de référer au mouvement éventuel que l’on
demande de faire « après vous » ( 先 -d’abord vs après), la perspective s’avère
différente : en chinois, on insiste sur l’interlocuteur, « vous » invitant « à faire cela
d’abord », alors qu’en français, on se focalise sur soi-même, sous-tendant que « je
vais faire cela après vous ». Cet exemple illustre au mieux le choix de perspective
pour interpréter le même événement, et aide les apprenants à comprendre le fait que la
traduction mot à mot ne constitue pas constamment la meilleure solution car la façon
de penser n’est pas tout le temps partagée entre locuteurs de différentes langues.
309
2.2.2
Expressions du déplacement
Notre approche dite « enseignement visualisé » a pour but d’inciter les apprenants à
élaborer eux-mêmes le lien entre un concept et sa description verbale en français à
partir du support visuel, un peu comme un retour à la période de l’apprentissage de la
LM, où un jeune enfant construit ses connaissances sur la première langue en
apprenant à « nommer » les objets, les actions, avec tout ce qu’il a vu. Mais notre
approche consiste à présenter de façon plus structurée les données linguistiques, à
travers des séries ou des contrastes de situations qui permettant d’induire les valeurs
sémantiques prototypiques. A la différence des jeunes apprenants qui « captent » les
données linguistiques transmises par l’entourage, les apprenants adultes ont
l’avantage de mener activement des réflexions personnelles sur les différences
conceptuelles entre la L1 et la L2, c’est cette caractéristique de maturité cognitive que
met en valeur notre approche basée sur l’image : le traitement des données
linguistiques est réservé en priorité aux apprenants, qui sont menés à les découvrir et
appréhender avant de les acquérir. L’enseignant qui « prépare le terrain » et déclenche
le
processus
d’acquisition,
n’intervient
qu’au
moment
d’une
éventuelle
surgénéralisation, ou de l’apparition de difficultés chez les apprenants.
Nous montrons maintenant l’application de cette approche dans l’apprentissage de
l’expression du déplacement, avec comme exemple les prédicats qui constituent des
difficultés résistantes à l’apprentissage chez les sujets de notre étude.
z
Sortir/partir
Sortir et partir sont deux verbes que les apprenants confondent souvent, ce qui est
tout à fait normal vu leurs ressemblances morphologique (la conjugaison et le même
auxiliaire dans le temps composé) et surtout sémantique (le même mouvement d’aller
à l’extérieur en quittant le lieu où on se trouve).
Sortir et partir, étant deux verbes de déplacement, tous avec franchissement de
frontière, dénotent une transition à partir d’un point initial (début du déplacement)
pour atteindre un point final (fin du déplacement), ils sont aussi appelés « verbes de
310
changement de lieu ». Pourtant, sortir implique un mouvement à l’extérieur d’un
espace fermé, alors que partir, un mouvement ‘pour une destination, une activité ou
une action’. Ainsi, le premier est souvent suivi de lieu source (tridimensionnel), et le
second, s’enchaîne avec le lieu cible.
Des images prototypiques facilitent la conceptualisation du signifié du prédicat,
associé directement à un mouvement visualisé. De cette façon, l’enseignant pourra
guider les apprenants vers une divergence sémantique entre sortir et partir, et les
conduire au bon choix sans passer par la traduction.
Un site typiquement tridimensionnel sera idéal pour
introduire le verbe sortir, la maison par exemple:
L’oiseau est sorti de sa maison125.
Une autre image illustrant un départ
sera présentée. Plusieurs expressions
sont possibles avec le verbe partir :
Ils partent en vacances. Ils partent
en voiture. Ils partent pour la mer.
On pourra imaginer ou concevoir une scène impliquant simultanément les deux
mouvements (sortir et partir), par exemple, l’image de l’oiseau (sortir) pourrait être
complétée par une destination : « L’oiseau est sorti de la maison, et parti dans la
forêt. » .
125
Cette image pourrait être utilisée pour introduire le prédicat s’envoler, qui incarne à la fois la manière et la
trajectoire du déplacement, verbe qui semble ne pas être maîtrisé selon notre étude.
311
La trajectoire de l’oiseau sera illustrée au mieux par un dessin animé ou un clip, car
les images dynamiques aideront les apprenants à mieux distinguer la nature des deux
mouvements.
Par ailleurs, les apprenants chinois doivent aussi apprendre à marquer le lieu cible
dans le mouvement partir, dont l’expression apparemment, n’est pas encore acquise
chez nos apprenants chinois, qui tendent plutôt à expliciter le lieu source, même au
stade avancé (Voir VIII.3.3.1126). Pour ce faire, nous pourrons présenter des images
référant respectivement à des déplacements liés à une destination (partir pour Paris,
dans la forêt, dans la campagne, etc.), à une activité ou une action (partir au travail,
partir à la pêche).
z
Monter/ grimper
L’enseignant introduira d’abord les traits sémantiques du verbe directionnel monter
avant d’aboutir à ceux de grimper, la différenciation des deux déplacements
ascendants réside dans le fait que ce dernier implique un effort physique, ‘parfois en
utilisant les pieds et les mains’, contient donc la manière du mouvement.
Commençons avec monter, l’idée est de faire comprendre la direction du mouvement
‘aller de bas en haut’ à travers différents exemples.
a
126
b
c
d
e
p.246.
312
a. Le facteur a dû monter à pied, car l’ascenseur est en panne.
b. Il est monté à l’échelle pour cueillir les fruits.
c. Il est monté à cheval.
d. Il est monté au ciel.
e. Il est monté dans le bus.
Ensuite, l’enseignant présentera une image
acceptable
pour
monter
et
grimper.
Les
apprenants seront invités à décrire le mouvement
du garçon. Et là, le choix de la préposition
à suivre le verbe monter poserait des problèmes,
les apprenants pourraient hésiter entre « à »,
« dans », et « sur », comme ce que nous avons
constaté dans les corpus à tout stade, surtout
dans le récit La Grenouille.
C’est à ce moment que l’intervention de l’enseignant s’avère nécessaire pour
distinguer les trois prépositions : « monter à l’arbre » prédique la montée sans préciser
l’aboutissement, alors que « monter dans l’arbre » suppose que le garçon a réalisé une
trajectoire ascendante dont le point final se situe dans l’arbre, l’expression « monter
sur l’arbre » est déconseillée, car on se trouve rarement en haut d’un arbre, sauf « sur
une branche ».
Une fois que les apprenants auront compris l’inacceptabilité de « sur », préposition
qui constitue pourtant le choix idéal si l’on recourt à la traduction en chinois,
l’enseignant pourra passer à introduire le verbe grimper, qui s’adapte mieux à l’image
car le petit garçon semble arriver à sa position avec difficulté : «Il a grimpé à
l’arbre/dans l’arbre ».
Dans l’analyse du récit La Grenouille, nous avons remarqué que les apprenants
oublient souvent la préposition après grimper, phénomène qui, probablement provient
de l’interférence de la CVS du chinois (爬上-树 : ramper+monter-arbre), car la
manière ramper et la trajectoire monter englobées par grimper, l’expression grimper
l’arbre s’aligne au mieux sur celle en chinois. C’est le moment où l’enseignant, par
313
« stratégie de précaution », devra solliciter l’attention des apprenants sur la
préposition lors de l’introduction de grimper.
(a). Monter à la Tour Eiffel.
(b). Grimper sur une falaise.
Dans la description de l’image (a), grimper est écarté car quand on visite la Tour
Eiffel, on prend en général l’ascenseur ou l’escalier (à pied donc), on aura du mal à
imaginer les touristes qui montent avec les mains et les pieds, sauf s’il s’agit de Spider
Man. Alors que pour une falaise, comme ce que montre l’image (b), la situation va
motiver le verbe grimper car ce genre de sport demande d’énormes efforts physiques.
Sinon, le recours au verbe transitif escalader sera plus pertinent, car les gens qui
pratiquent l’escalade se servent souvent de matériels professionnels pour y arriver.
Ainsi, en s’appuyant sur cette série d’images typiques et distinctives qui servent de
« stimulus », l’enseignant pourra conduire les apprenants à découvrir l’expression des
déplacements ascendants, tout en les sensibilisant à la différenciation des champs
sémantiques entre monter, grimper et escalader.
z
Tomber
Les prédicats référant à une trajectoire descendante, incarnée par descendre, tomber
sont en général mieux acquis chez les apprenants chinois, sauf le fait que dans leur
expression, l’attention du parcours est orientée vers le terme à cause de l’intervention
pédagogique, phénomène que nous avons traité dans l’analyse du récit La Grenouille.
(Cf. VIII.3.2.2127)
L’enseignant pourra entraîner les apprenants à se focaliser sur le lieu source, et cela,
avec une série d’images impliquant toutes une chute mais par rapport à différents
127
p.238.
314
sites.
Si l’image (a) illustre une simple chute, il faut expliciter d’où la chute a lieu pour les
images (b) et (c)
a. Il est tombé.
b. Il est tombé de (dans) l’escalier.
c. Il est tombé de l’échelle.
Une fois l’attention des apprenants orientée vers l’origine de la chute, on pourra
continuer avec des images dont le déplacement descendant aboutit à un lieu non
canonique, un endroit autre que la terre (d. trou ; e. puits ; f. rivière.), et là, la
précision du lieu cible semble indispensable.
d.
e.
f.
d. Le monsieur va tomber dans le trou.
e. Le chien est tombé dans le puits.
f. Les feuilles sont tombées dans la rivière.
Après la sensibilisation, ce serait souhaitable d’inciter les apprenants à faire le bilan
de l’expression du déplacement descendant, en vue d’une consolidation des
connaissances chez les apprenant qui arrivent à distinguer les situations où soit
explicité le terme ou l’origine de la trajectoire.
315
z
Verbes déictiques
Les verbes déictiques constituent une zone de difficultés majeure dans l’expression du
déplacement : aller/venir, apporter/emporter, amener/emmener, etc. La confusion
provient du fait que l’information déictique se situe à la place initiale de l’encodage
morphologique en français (préfixes a-, em-), entraînant un traitement cognitif dans
un sens inverse de celui en chinois où la deixis est placée à la fin de la CVS, ce qui
rend le processus cognitif plus complexe, d’où la maîtrise mal assurée, même au stade
avancé (Cf. VIII. 3.3.4128).
Voilà la raison pour laquelle l’acquisition de l’expression déictique s’avère
extrêmement difficile chez les apprenants chinois. Ce sera impossible de résoudre ces
problèmes à travers de simples images, mais on pourra toujours s’y appuyer pour
entraîner les apprenants.
Prenons comme exemple le couple de verbes apporter/emporter, lesquels, proches par
le sens et la prononciation, sont souvent confondus. Apporter signifie ‘porter un objet
quelque part ou à quelqu’un’, et met l’accent sur le point d’arrivée, l’aboutissement et
le rapprochement. Le préfixe a-, par son origine latine « ad- », indique ‘une direction
ou un but à atteindre’, et assure la direction vers le sujet abordé dans l’énoncé.
Emporter signifie ‘prendre avec soi un objet en partant d’un lieu’, contrairement à
apporter, le verbe emporter met l’accent sur le point de départ, sur le lieu que l’on
quitte et l’éloignement, ce qui est réalisé par le préfixe em-, qui vient du mot latin
« inde » signifiant ‘de là’ ou ‘de ce lieu’.
128
p.256.
316
L’enseignant invitera les apprenants à décrire le mouvement de l’homme en
imaginant que l’on se situe dans la petite maison. Plusieurs couples de prédicats
pourront être mobilisés : entrer/sortir, arriver/partir, venir/aller (déictique), et
l’enseignant pourra, après le bilan de toutes les possibilités, introduire le couple ciblé,
qui permet de décrire le rapprochement et l’éloignement de l’homme qui apporte une
boîte (i) et qui emporte ensuite un ballon (ii).
On continuera avec d’autres images ou, encore mieux, des dessins animés pour
montrer des déplacements relatifs à apporter (a), emporter (b), ou une situation
acceptable pour les deux prédicats (c). Et là, les expressions varient en fonction des
personnages qui parlent, c’est à dire de la perspective de chacun, avec son origo.
a.
b.
c.
a) Le garçon a apporté le colis à la poste.
b) L’ambulance a emporté le malade.
c) - Je vous ai apporté le livre avec trois jours de retard, car je l’avais emporté quand
j’étais en voyage.
Après l’étape de sensibilisation par images, on mettra en application ces deux verbes
avec des tâches pratiques et immédiates, comme des demandes adressées aux
apprenants : « Apportez-moi les cahiers ! », « Emportez ces revues à la salle de
lecture !» L’encodage de l’information déictique se trouve ainsi associé à un
mouvement directionnel par des déplacements ayant du sens dans la situation et
réellement réalisés, qui aideront les apprenants à mieux incorporer les traits
sémantiques du couple apporter/emporter.
z
Manière vs trajectoire
Nous n’avons pas détecté une concurrence manifeste entre l’information de manière
317
et celle de trajectoire dans la représentation du déplacement. Pourtant, des exercices
bien planifiés basés sur des images pourraient optimaliser la lexicalisation des procès
en français chez les apprenants.
On exposera d’abord la trajectoire de
traverser effectuée par la même
personne par rapport à divers sites (a
et b), à l’aide des dessins animés au
mieux, pour que les apprenants
assistent à la réalisation dynamique de
la trajectoire.
a.
L’homme traverse la rue.
b.
L’homme traverse la rivière (à la
nage).
L’image b) sert surtout à attirer
l’attention des apprenants sur la place
secondaire de la manière (à la nage)
par rapport à la trajectoire traverser.
Et pour renforcer davantage cette
sensibilisation, on continuera avec des images illustrant la trajectoire traverser la forêt
réalisée par différents référents animés (c. l’oiseau ; e. cheval ; d,f. le garçon), avec
diverses manières de déplacement.
318
c. L’oiseau traverse la forêt.
d. Le garçon traverse la
forêt (à vélo).
e. Le cheval traverse la forêt
(au galop).
f. L’homme traverse la forêt
(en courant).
A l’aide de cette série d’exercices, l’enseignant orientera progressivement l’attention
des apprenants vers la trajectoire qui est à mettre en relief dans la formulation du
déplacement, par rapport à la manière, composante parfois facultative (a. c.
On
pourra
d’ailleurs
129
).
profiter
de
l’introduction du prédicat traverser, pour
aborder
le
prédicat
franchir
ou
sauter/passer par-dessus, dans le but
d’empêcher
un
emploi
abusif
de
traverser, comme ce que nous avons
détecté dans Le Cheval (courir à travers,
traverser) pour décrire le saut en hauteur. L’image ci-contre renvoie donc à la
description « La chèvre franchit la barrière (en sautant) » ou « La chèvre saute/passe
129
Surtout quand il s’agit d’un déplacement effectué par la figure de sa façon habituelle (a : à pied, l’homme, c.
voler, l’oiseau), la manière n’est pas à préciser.
319
par-dessus la barrière ». « Le mouton traverse la barrière (en sautant) », « Le mouton
saute à travers la barrière.» sont des formulations inappropriées, ainsi, à éviter.
z
Application
Quand ces verbes de déplacement,
présentés antérieurement à travers
cette modalité « visualisée », seront
à la disposition des apprenants, on
envisagera des activités langagières
susceptibles d’inciter les apprenants
à les mobiliser.
On pourra, par exemple, concevoir
une
séquence
d’images
en
s’inspirant de l’image réunissant
« les verbes avec être comme auxiliaire dans le passé composé », et en y incorporant
plus de déplacements (la figure ci-dessus). Les apprenants, divisés en équipes,
travailleront sur ces images pour élaborer un récit. Cette tâche a un triple avantage :
d’abord, il s’agit d’une production orale à partir des images, qui réserve beaucoup de
possibilités quant à l’interprétation de l’histoire; ensuite, le scénario encadre pourtant
les mouvements, que les apprenants doivent décrire en activant différents prédicats de
déplacement : trajectoires sans (5,6) ou avec franchissement de frontière (2, 3, 8),
déplacements directionnels (1,4,7). Finalement, un travail collectif est un processus
composé de questionnements, de discussion avant d’aboutir à la solution, lequel
permet de favoriser la consolidation des moyens linguistiques dans l’application.
320
IX.3. Evaluation
IX.3.1 Aperçu sur l’évaluation du français en milieu institutionnel
Dans l’enseignement du français en Chine, l’évaluation se base essentiellement sur
l’écrit, sous différentes formes : dictée, devoirs à la maison, rédaction, traduction
entre la L1 et L2, examens, etc. Les problèmes détectés sont ensuite transformés en
réitération de règles grammaticales de la part de l’enseignant, dans le but de faire
disparaître les formes douteuses ou inappropriées, tout cela se déroule en chinois
évidemment, pour que l’explication soit plus claire et comprise par tout le monde.
L’oral n’est pas exclu pourtant. En classe, en plus de l’interprétation des phrases de
chinois en français en vue d’appliquer les moyens linguistiques requis, les apprenants
ont aussi l’occasion de jouer des saynètes en français, souvent en reconstruisant la
scène du texte/dialogue, parfois en inventant eux-mêmes le scénario, mais avec des
consignes toujours de nature métalinguistique, telles que : « Essayer d’utiliser le plus
possible de mots et expressions que l’on a appris dans la leçon ».
Par rapport à l’écrit, l’évaluation orale formelle s’avère peu fréquente et varie à
chaque phase d’apprentissage. En 1ère année, sous forme d’examen oral en fin du
semestre, les apprenants sont confrontés à un texte choisi au tirage au sort. Après une
préparation de 5 minutes, ils lisent le(s) paragraphe(s) demandé(s) par le professeur
(pour contrôler l’intonation et la prononciation) et répondent aux questions sur le texte
(pour vérifier la compréhension), avant de faire un exposé plus personnalisé sur un
thème parmi un éventail de sujets proposés bien avant l’examen130. Après le stade
initial, les apprenants suivent des cours visant à développer la compétence orale. En 2e
année, le cours est assumé par un lecteur français, qui évalue la performance des
apprenants qui, divisés en équipe, doivent préparer des discours oraux en fonction de
la tâche assignée. En 3e année, les apprenants ont deux heures d’interprétation par
semaine, et l’examen oral en fin du semestre a lieu dans le laboratoire. Suivant les
130
Les étudiants ont ainsi le temps de rédiger le texte et de le mémoriser avant l’examen, les productions orales
n’ont donc rien de « spontané ».
321
consignes, ils produisent des discours autour de sujets déjà abordés en cours, lesquels
sont enregistrés sur cassette et notés par l’enseignant. En 4e année, en plus de
l’examen oral au laboratoire, les étudiants doivent s’expriment lors de la soutenance
du mémoire, évaluation finale qui met un terme à 4 ans d’études du français.
Les examens à l’oral se déroulent souvent à partir de tâches peu vraisemblables. Les
contextes sont ciblés et envisagés pour mettre en oeuvre les moyens linguistiques
enseignés en classe. Les apprenants, souvent prévenus d’un éventail de sujets
possibles, peuvent s’y préparer à l’avance. L’évaluation, tant écrite qu’orale, étant
destinée à rendre compte de l’efficacité de l’enseignement, se réduit à un examen où
on compte selon une certaine grille les formes erronées. Rares sont les réflexions qui
s’ensuivent de la part de l’enseignant, sauf quelques remarques personnelles en vue
d’améliorer l’enseignement à venir.
IX.3.2 Vers un nouveau système d’évaluation basé sur Le Cadre européen
Dans la perspective acquisitionnelle, il est grand temps de modifier ce système
d’évaluation, qui, basé en priorité sur les examens écrits, est loin de pouvoir refléter la
véritable compétence langagière des apprenants. Ainsi, nous avons décidé de nous
appuyer sur le Cadre européen de référence pour les langues (désormais le Cadre)131
pour envisager un nouveau système d’évaluation, qui mettra en valeur l’apprenant en
tant qu’acteur de l’apprentissage et utilisateur de langue, au lieu d’être un simple
élève recevant les données linguistiques, ensuite noté par les examens.
Dans le Cadre, on a distingué 13 couples de types d’évaluation, que réunit le tableau
ci-dessous, nous y avons surligné ceux à mettre en oeuvre, ou à privilégier en fonction
de la situation actuelle de l’enseignement du français dans le supérieur en Chine.
Tableau IX-4 (Différents types d’évaluation)
131
1
Évaluation du savoir
Évaluation de la capacité
2
Évaluation normative
Évaluation critériée
Nous l’avons choisi comme base car son importance, « au niveau national et européen n’a cessé de s’accroître
depuis sa publication en 2001 » (Arslangul, 2006 : 599), et son influence s’étend aussi en Chine : la version en
chinois est publiée en 2009.
322
3
Maîtrise
Continuum ou suivi
4
Évaluation continue
Évaluation ponctuelle
5
Évaluation formative
Évaluation sommative
6
Évaluation directe
Évaluation indirecte
7
Évaluation de la performance
Évaluation des connaissances
8
Évaluation subjective
Évaluation objective
9
Évaluation sur une échelle
Évaluation sur une liste de contrôle
10
Jugement fondé sur l’impression
Jugement guidé
11
Évaluation holistique ou globale
Évaluation analytique
12
Évaluation par série
Évaluation par catégorie
13
Évaluation mutuelle
Auto-évaluation
1. Evaluation de la capacité : par rapport à l’évaluation du savoir, qui, centrée sur le
cours, porte sur ce qui a été enseigné, l’évaluation de la capacité évalue « ce que l’on
peut faire ou ce que l’on sait en rapport avec son application au monde réel 132».
2. Évaluation critériée : au lieu de classer les apprenants les uns par rapport aux
autres (évaluation normative), on évalue « l’apprenant uniquement en fonction de sa
capacité propre dans le domaine et quelle que soit celle de ses pairs ».
3. Continuum ou suivi : dans cette approche, « une capacité donnée est classée en
référence à la suite continue de tous les niveaux de capacité possibles dans le
domaine en question » (la spatialité par exemple), il s’agit d’une évaluation qui rend
compte des compétences en cours d’acquisition.
4. Évaluation continue : l’enseignant évalue les travaux ou projets réalisés pendant le
cours, et « la note finale reflète ainsi la compétence linguistique de l’apprenant dans
l’ensemble du cours, de l’année ou du semestre ». C’est une approche que l’on pourra
adopter dans l’enseignement du français en Chine, car jusqu’ici, on a plutôt privilégié
l’évaluation qui a lieu à une date donnée, généralement à la fin du cours (évaluation
ponctuelle).
5. Évaluation formative : « un processus continu qui permet de recueillir des
informations sur les points forts et les points faibles », dont l’enseignant pourra se
servir pour l’organisation de son cours et les renvoyer aussi aux apprenants. Selon
132
Dans cette partie, les parties en italique, mises entre guillemets sont issues du Cadre (Chapitre 9.3.1.-9.3.13).
323
Huver & Springer, en pratiquant l’évaluation formative, « on considère l’apprenant
comme un acteur social impliqué dans son apprentissage, et donc soucieux de
comprendre comment il progresse et comment il peut s’améliorer » (2011 : 322).
6. Évaluation directe : à la différence de l’évaluation indirecte qui utilise souvent le
test écrit, l’enseignant « évalue ce que le candidat est en train de faire », en fonction
des critères d’une grille.
7. Évaluation de la performance : la performance est au centre de ce genre de
l’évaluation qui demande une production d’un échantillon de discours oral ou écrit.
8. Évaluation subjective : basée sur le jugement d’examinateur, cette approche vise
avant tout « sur la qualité de la performance », contrairement aux tests dits
« objectifs » où une seule réponse est possible (l’évaluation objective).
9. Évaluation sur une liste de contrôle : par rapport à la place d’un apprenant sur
une échelle donnée constituée de plusieurs niveaux (évaluation sur échelle), le
jugement « selon une liste de points censés être pertinents pour un niveau ou un
module » donné semble une évaluation plus intéressante et mieux adaptée.
10. Jugement guidé : par rapport au jugement fondé sur l’impression,
l’enseignant/l’examinateur évalue l’apprenant en fonction des critères spécifiques.
11. Évaluation analytique : comme son nom l’indique, l’évaluation analytique
encourage l’examinateur à une observation minutieuse en vue d’un feed-back aux
apprenants, à la différence d’un jugement synthétique global.
12. Évaluation par catégorie : on penche sur l’évaluation par catégorie, qui « porte
sur une seule tâche à partir de laquelle la performance est évaluée en fonction des
catégories d’une grille d’évaluation ».
13. Évaluation mutuelle/Auto-évaluation : l’acteur qui porte jugement varie dans
ces deux évaluations, la première, réalisée par l’examinateur/l’enseignant, est très
appliquée en Chine, alors que la seconde, réalisée par l’apprenant même, est à mettre
en oeuvre. L’auto-évaluation, constituant une motivation et prise de conscience chez
l’apprenant, aide ce dernier à connaître ses points forts, reconnaître ses points faibles
324
et à mieux gérer ainsi l’apprentissage.
Notre intérêt ne se situe pas dans la différenciation de tous ces types d’évaluation, qui
ne constituent pas des catégories disjointes, car une évaluation peut être à la fois
formative, directe, analytique, par catégorie et portant sur la capacité. Notre but est de
faire évoluer progressivement les modes d’évaluation actuels dans le supérieur en
Chine, qui se caractérisent par la dominance de l’enseignant, des règles grammaticales,
ainsi que de l’écrit, vers un nouveau système d’évaluation qui se focalisera davantage
sur l’apprenant, la compétence langagière et l’oral.
IX.3.3 L’évaluation de l’acquisition de la spatialité
Le manuel Le français, recommandé à l’échelle nationale par le Ministère de
l’Education chinois, est utilisé dans la plupart des départements des écoles supérieures
chinoises, il sert aussi de référence au concours national de français qui a lieu chaque
année. Il est donc difficile d’y apporter un changement immédiat et profond sur le
plan du contenu pour mettre en valeur la référence spatiale en français, ce n’est
d’ailleurs pas le but de notre étude. Pourtant, nous pouvons proposer d’intégrer dans
le cursus de français des « séances finalisées sur l’espace » à différents stades
d’apprentissage (comme ce que nous avons proposé dans la section précédente), pour
que les apprenants puissent systématiquement acquérir la référence spatiale en
français, domaine, qui a jusqu’ici, échappé à l’attention pédagogique.
Dans la perspective acquisitionnelle, il s’agit de séances où les apprenants pourront
non seulement acquérir des connaissances sur la spatialité en français, et aussi les
mobiliser dans des activités langagières. Il s’avère nécessaire d’élaborer une
procédure susceptible d’évaluer la mise en oeuvre des moyens linguistiques de la
spatialité.
-
Production orale
La production orale est privilégiée dans l’évaluation. Le discours oral n’est pas
réversible. Confronté à une tâche de production orale, le locuteur ne peut pas, comme
un rédacteur, construire son discours au rythme qui lui convient. « Les utilisateurs de
325
l’oralité sont soumis au temps, à la fois dans sa nature unidirectionnelle (retour en
arrière impossible) et rythmique (débit imposé) » (Py, 1993 : 23). La spécialité de
l’oralité en fait le moyen le plus « fiable » d’observer la compétence linguistique de
l’apprenant.
-
Support
Les apprenants décrivent une image ou racontent une histoire en français à partir des
stimulus visuels que l’enseignant choisit pour mettre la référence spatiale au coeur de
la production orale : plans, photos, dessin, séquence d’images, document vidéo, etc.
La description et la narration s’avèrent des tâches plus pertinentes, que les dialogues,
les jeux de rôles, qui, étant discours oral libre, sont plus difficiles à orienter vers la
représentation de l’espace.
Nous pouvons envisager des tâches calibrées basées sur les productions en temps réel
en fonction de la phase d’apprentissage133. Dans l’ensemble, il s’agit d’une évaluation
analytique qui se focalise sur la capacité, dans la catégorie spatiale. A chaque stade,
l’enseignant détermine un mode d’évaluation qui lui convient en fonction de
différents paramètres : objectif à atteindre, apprenants à évaluer, et tâche à réaliser.
Tableau IX-5 (Evaluation de l’acquisition de la spatialité en français)
Stade d’apprentissage
Types de tâches (support)
Objectif à maîtriser
Décrire des itinéraires, présenter
Etre capable d’exprimer une localisation
l’intérieur d’une pièce, commenter
statique ou dynamique, et d’activer les
des images.
prépositions pertinentes selon contextes.
Raconter à partir d’une séquence
Etre capable d’élaborer l’arrière-plan
Intermédiaire :
d’images qui n’implique pas le
pour
2e année
changement de lieu (Le Chat, Le
élémentaires dans l’organisation d’un
Cheval, etc.).
récit.
Raconter ou décrire à partir d’une
Etre
séquence d’images ou de dessins
déplacements compliqués (qui impliquent
animés dont le scénario implique
diverses
plusieurs
manière, deixis, cause), par rapport à
Initial :
1ère année
Avancé :
3e – 4e années
référents
animés
et
endroits (La Grenouille, Les temps
situer
capable
des
déplacements
d’exprimer
informations :
des
trajectoire,
différents lieux du même récit.
133
Nous avons décidé d’organiser l’évaluation en fonction du stade d’apprentissage, au lieu des six niveaux
communs de référence, proposés par le Cadre, car, ceux-ci, souvent utilisés dans le TEF, DELF, organisés par
l’ambassade de France en Chine pour les apprenants qui comptent faire des études en France, ne sont pas encore
généralisés dans le supérieur en Chine.
326
modernes, etc.)
- Evaluation
L’évaluation constitue aussi un outil important pour observer et influencer le
processus d’acquisition, mais à condition qu’elle mène à une rétroaction chez les
apprenants. S’il s’agit d’un test ou un examen pour contrôler les acquis d’un cours,
comme ce qui se passe en Chine la plupart du temps (évaluation sommative), il n’y a
aucune chance pour que l’information retourne à l’apprenant. Nous devons procéder à
une évaluation formative, qui permet de recueillir les informations et de les renvoyer
aux apprenants. Dans la perspective acquisitionnelle, il faut offrir à l’apprenant la
possibilité de témoigner de ses comportements langagiers pour qu’il puisse se rendre
compte de sa compétence linguistique, en vue de s’approprier ce qu’il n’a pas encore
maîtrisé.
Pour ce faire, l’enseignant doit préparer les conditions nécessaires pour que
l’apprenant puisse revenir sur sa propre action langagière et de découvrir ses points
forts et faibles. L’enregistrement est un outil idéal : l’enseignant enregistre les
productions orales, pour les exposer ultérieurement aux apprenants, en tant que
sources de rétroaction. Dans une séance suivante, un peu décalée pour que
l’enseignant ait le temps d’analyser les données et y détecter les difficultés et les lieux
de résistance, des échantillons d’enregistrement sélectionnés seront confrontés avec
les productions des natifs pour la même tâche. Après cette exposition qui invite à la
comparaison et à la réflexion, l’enseignant conduit les apprenants à découvrir ce qui
reste à acquérir, à travers la discussion, en évitant de faire la liste des fautes. Nous
prenons comme exemple le récit Le Cheval pour mieux illustrer le déroulement de la
discussion: l’enseignant pourra mener une série de questions-réponses, après
l’exposition successive des deux types de productions (des natifs et des apprenants) :
Tableau IX-6 (Evaluation : Le Cheval)
Evaluation (enseignant-apprenant) : Récit Le Cheval
Sujets de discussion
Objectifs à maîtriser
L’arrière-plan
327
Où se passe l’histoire ?
Savoir établir l’arrière-plan, et choisir le référent approprié
Qu’est-ce que le cheval est en train de faire ?
Savoir décrire la manière du déplacement du cheval et le situer
par rapport à l’arrière-plan
Comment nommer l’objet qui sépare le
Savoir solliciter le bon terme (être capable de distinguer les traits
cheval et la vache ?
sémantiques de «la barrière » et de « la grille »)
Savoir situer l’oiseau par rapport à la barrière (localisation
Où se trouve l’oiseau ?
statique)
Comment situer le cheval par rapport à la
vache ?
Savoir expliciter la relation cheval – vache à patir de la barrière
Déroulement de l’histoire
Comment décrivez-vous l’action du cheval
par rapport à la barrière ? (Pourquoi ne
peut-on pas dire « courir à travers la
barrière » ou « traverser la barrière » ?
Savoir décrire un franchissement (être capable de distinguer les
deux mouvements « franchir la barrière » et « traverser la
barrière ».)
Qu’est-ce qui est arrivé au cheval après son
Savoir décrire la trajectoire descendante (le lieu cible n’est pas à
action ?
expliciter).
Comment décrivez-vous l’action de l’oiseau
Savoir intégrer l’information déictique dans l’expression du
pour le cheval ?
déplacement.
Ainsi, dans cette évaluation formative, l’enseignant réussit à :
-
préparer les conditions nécessaires pour que les apprenants puissent recevoir
l’information rétroactive ;
-
rendre l’apprenant plus motivé pour tenir compte de l’information, et cela, à
travers la confrontation des productions entre natifs et apprenants ;
-
aider l’apprenant à interpréter l’information en vue de se l’approprier.
Une auto-évaluation pourrait être envisagée après la discussion, en vue de renforcer la
rétroaction chez l’apprenant, car « elle est un facteur de motivation et de prise de
conscience » (Le Cadre, p.145). Prenons l’exemple du récit Le Chat : les apprenants
doivent remplir le formulaire suivant, qui affiche toute une série de descripteurs
relatifs à la référence spatiale du récit.
Tableau IX-7 (Auto-évaluation : Le Chat)
Auto-évaluation : Récit Le Chat
Oui
Non
L’arrière-plan
Partie réservée à l’enseignant
Être capable de
Je peux dire où se passe l’histoire
‰
‰
Etablir l’arrière-plan avec un point d’ancrage
Je peux situer
‰
‰
approprié, et d’y situer le référent animé.
le nid - l’arbre
328
l’oiseau - l’arbre
‰
‰
l’oiseau – nid
‰
‰
Déroulement de l’histoire
Je peux situer/ décrire
le mouvement
Être capable d’exprimer dans le déplacement
oiseau →
‰
‰
Trajectoire avec franchissement de frontière
chat ←
‰
‰
Déixis (localisation chat – arbre)
chat ↑ arbre
‰
‰
Trajectoire directionnelle
chien ←
‰
‰
Deixis
chat↕chien
‰
‰
Trajectoire + Cause
chien→ chat →
‰
‰
Manière+cause
oiseau↔
‰
‰
Double trajectoire (deixis)
Remarque personnelle
Schéma IX-4 (L’évaluation et l’auto-évaluation)
Apprentissage
Rétroaction
apprenant
enseignant
Rétroaction :
Evaluation
Auto-évaluation
Cette procédure élaborée dans une perspective acquisitionnelle pourra se résumer
comme dans le schéma ci-dessus : l’évaluation ne sera plus considérée comme un
simple moyen d’examiner les apprenants, mais comme un outil permettant à
l’enseignant d’observer la mise en oeuvre de la compétence linguistique par les
apprenants, et comme une plate-forme permettant d’apporter des rétroactions aux
apprenants, qui auront le temps, l’orientation et les ressources appropriées pour
réfléchir à l’information rétroactive, l’intégrer et la mémoriser. En même temps, par le
biais d’une auto-évaluation, les apprenants seront motivés et orientés vers l’autonomie,
en vue de mieux gérer leur propre apprentissage.
Cette tâche d’auto-évaluation pose le problème des différents niveaux de savoir,
329
entre compétence et métalinguistique, entre conscience et prise de conscience chez
l’apprenant.
Ainsi,
ce
cycle
d’apprentissage,
accompagné
d’évaluation
et
d’auto-évaluation, constitue une sorte d’échafaudage posé par l’enseignant pour
favoriser l’évolution du système linguistique, et fournit constamment des outils à
l’apprenant pour interroger la langue, permettant donc d’activer le dispositif
d’acquistion de l’apprenant, et de « développer sa capacité à devenir un quêteur
inlassable plutôt qu’un consommateur passif » (Berthoud & Py, 1993 : 76) dans le
processus acquisitionnel vers la L2.
330
Conclusion
Cette étude longitudinale portant sur l’acquisition de la spatialité en français, avait
pour but de présenter et commenter un ensemble d’observations sur l’appropriation de
la référence spatiale par des étudiants chinois pendant les trois premières années des
études universitaires, période où ils acquièrent de façon guidée des connaissances
linguistiques de langue française, de la phase initiale à la phase avancée.
L’objectif de cette recherche empirique est double : d’une part, nous avons voulu
examiner et décrire comment se développe dans le temps une maîtrise partielle des
moyens linguistiques de la référence spatiale, et comment elle paraît se construire et
se structurer, à différents paliers longitudinaux et dans le parcours même de ce
développement ; d’autre part, nous avons essayé de découvrir les facteurs qui
interviennent dans l’acquisition de la référence spatiale chez les apprenants chinois, et
de cerner l’impact de la conceptualisation de la langue maternelle sur la représentation
spatiale en français langue étrangère.
Dans ce but, nous avons adopté à une démarche permettant non seulement d’observer
l’expression de la spatialité chez les apprenants à un moment donné, mais aussi de
mettre en lumière la progression acquisitionnelle de la spatialité au cours des trois ans
en question : à trois reprises, vingt-deux apprenants chinois ont été invités (à des
intervalles de 14 mois) à construire oralement des histoires fictives en français à partir
de trois séquences d’images, supports souvent utilisés dans les recherches
acquisitionnelles : Le Chat, Le Cheval aux stades initial et intermédiaire, et le récit La
Grenouille à chaque stade, tout au long de l’apprentissage du français. Les
productions orales enregistrées ont ensuite été transcrites et segmentées, de façon à
faciliter les analyses comparatives.
Etant donné le nombre important des productions (22 X 5 = 110 récits), nous avons
décortiqué les données en deux étapes : dans un premier temps, nous avons confronté
les données relatives à l’espace à partir de deux supports différents (Le Chat et Le
Cheval), laquelle vise à dégager des tendances de développement et à détecter les
331
facteurs affectant la représentation aux stades initial et intermédiaire (cf. chapitres
V-VII) ; ensuite, une comparaison longitudinale des productions sur un même support
(La Grenouille), collectées à chaque stade, qui nous a permis de tester les hypothèses
issues de la première confrontation, et d’éclairer le développement acquisitionnel à
travers la comparaison des différents traitements du même événement spatial.
Sur la base de ces corpus oraux de récits de fiction, nous avons réalisé une description
de l’expression de la spatialité en français langue étrangère aux niveaux phrastique,
conceptuel et discursif, ce qui a donné lieu aux constatations suivantes :
Au niveau discursif
Dans l’organisation des événements spatiaux, la maturité cognitive joue un rôle
important. Nos apprenants adultes ont déjà acquis les principes pragmatiques à travers
la L1 : ils savent communiquer et peuvent former des hypothèses sur ce que
l’interlocuteur sait ou ne sait pas, même si celui-ci n’est que virtuel. Ils sont
conscients des éléments indispensables à un discours cohésif. Malgré les contraintes
sur les moyens linguistiques en L2, cette maturité du système cognitif conduit nos
apprenants à procéder à une sélection conceptuelle à deux niveaux : d’abord, dans
l’installation du cadre spatial, quelle(s) entité(s) sont à introduire afin de localiser les
protagonistes et les événements à rapporter (surtout dans les récits Le Chat et Le
Cheval) ;
ensuite,
dans
l’agencement
des
événements,
ceux
à
expliciter
prioritairement et ceux à mettre au second plan (dans les trois récits). Il s’agit d’une
procédure qui se déclenche toute seule dans une situation communicative, et cela, dès
le premier niveau de compétence. Comme dans la 1ère collecte du récit La Grenouille,
tâche qui dépasse manifestement les ressources langagières disponibles à l’époque, les
apprenants ont déjà tenté de fournir une histoire cohésive et compréhensible, et le
choix s’est effectué autour de la trame : les événements spatiaux relatifs au
protagoniste (le garçon) et révélant des changements de lieu qui « propulsent » le
développement de l’histoire ont été privilégiés (cf. Chapitre VIII.5). Au fur et à
mesure de l’enrichissement du répertoire linguistique, une meilleure organisation
discursive a été observée aux stades intermédiaire et avancé, avec un développement
332
confirmé, tant quantitativement avec un nombre croissant d’événements spatiaux
décrits, que qualitativement étant donné la diminution constante des désignations
compensatoires dans la narration.
Ainsi, l’organisation discursive des événements spatiaux, étant une compétence déjà
acquise chez les apprenants chinois, ne constitue pas un obstacle dans l’expression de
l’information spatiale. C’est plutôt au niveau phrastique et conceptuel que nous avons
constaté des divergences de formulation entre les apprenants chinois et les natifs
français.
Au niveau phrastique
Selon la typologie de Talmy, le français est une langue « à cadrage verbal », autrement
dit, dans l’expression du mouvement, le français encode la trajectoire et le
mouvement dans la racine verbale, la manière du mouvement étant indiquée par une
structure périphérique optionnelle, attachée au noyau verbal. En effet, dans la
lexicalisation des procès spatiaux, les francophones insistent avant tout sur la
trajectoire, surtout dans les déplacements avec franchissement de bornes et les
déplacements directionnels. Pourtant, quand le mouvement même manifeste de la
complexité aux yeux du locuteur et implique, en plus de la trajectoire, une
information de manière ou de cause, il arrive que les natifs choisissent des prédicats
englobant plus d’une information, comme dans la montée de l’arbre (grimper) ou le
mouvement du cerf contre le garçon (jeter, projeter, remporter, balancer). Et si un
événement où la manière du déplacement joue un rôle primordial dans le
développement de la trame, les natifs soulignent l’information de la manière (par
exemple, dans la course du cerf vers la mare).
Le chinois est considéré par Talmy comme « a strongly satellite-framed language »
(une forte langue à cadrage satellitaire). Selon notre hypothèse, les apprenants chinois
auraient insisté sur la manière dans l’expression des procès en français, comme dans
la désignation en chinois. Pourtant, les analyses révèlent que dans tous les
déplacements relatifs à la trame, les apprenants ont presque tout le temps privilégié la
trajectoire (surtout dans le récit La Grenouille), comme ce qu’expriment les natifs. La
333
divergence de la représentation spatiale se situe à d’autres niveaux que le choix de
prédicats : le marquage du fond (dans les déplacements de franchissement de bornes
ou les déplacements descendants), la description d’un mouvement en hauteur
par-dessus un obstacle et le choix de la préposition (dans les déplacements
ascendants), et là, les modalités d’intervention pédagogique et l’impact de la
lexicalisation de la langue maternelle pourront jouer des rôles importants.
Partie de la typologie dichotomique de Talmy, nous nous attendions à une concurrence
entre manière et trajectoire dans la lexicalisation des procès en français chez les
apprenants. Or, les résultats ont montré que c’est toujours la trajectoire qui est
mentionnée en premier par les apprenants, et cela, dans tout type de déplacement. Ce
qui nous pousse à une double réflexion : d’un côté, sur le rôle de la trajectoire, qui,
selon Hickmann, représente l’aspect le plus fondamental des déplacements, « a le plus
de conséquences pour l’organisation discursive, en ce qu’elle est indispensable pour
situer les référents pendant le déroulement du discours » (2008 : 163) ; de l’autre, sur
la description de Talmy du chinois en tant que langue centrée sur les satellites.
Grâce à la construction verbale sérielle (CVS), le chinois peut amalgamer, dans une
même proposition relative au mouvement, plusieurs verbes véhiculant différentes
informations telles que trajectoire, manière, cause, deixis, etc., il s’agit d’«une
construction syntaxique dans laquelle plusieurs verbes sont accolés en séquence mais
se comportent comme une seule unité verbale» (Frawley, 1992 : 344). Ainsi, dans une
CVS, la manière et la trajectoire étant toutes les deux incarnées par un verbe, il est
impossible de distinguer le verbe principal. Si les Chinois ont l’habitude de décrire la
manière du mouvement, c’est parce que la CVS rend plus facile l’empaquetage de
manière et de trajectoire. C’est pourquoi dans la production en français, les apprenants
manifestent une préférence pour les prédicats lexicalisant manière et trajectoire
(grimper, s’échapper, etc.), mais quand les moyens linguistiques sont moins
disponibles, ils choisissent en priorité la trajectoire. En 2004, Slobin a proposé de
classer le chinois en tant que Equipollently-framed language. La présente recherche
nous permet d’avancer une hypothèse plus précise : le chinois serait peut-être une
334
langue CVS plutôt à cadrage verbal, ce qui pourrait aussi expliquer pourquoi
l’influence de la L1 dans la production en L2 ne s’avère pas manifeste dans notre
corpus, contrairement à notre anticipation.
Au niveau conceptuel
Pour Kant, « l’espace n’est pas une propriété inhérente aux choses et ne se définit que
par la relation entre les choses et les hommes qui les perçoivent » (Dervillez-Bastuji,
1982 : 198). Autrement dit, un rapport spatial pour un individu est le résultat de la
somme des expériences que cet individu a eues avec l’espace dans une communauté
linguistique donnée. Il se peut donc que les Français et les Chinois ne visualisent pas
de la même façon une même relation spatiale, d’où les difficultés dans l’acquisition.
La conceptualisation de la L1 pourrait affecter la représentation spatiale en L2, c’est
ce que nous avons constaté à travers la concurrence récurrente entre les prépositions
spatiales « dans » et « sur » (dans les trois récits). Le locatif 上–shàng en chinois
couvrent largement les champs sémantiques de la préposition « sur » , avec des traits
sémantiques renvoyant à des relations spatiales variées : « sur » quand il s’agit d’un
rapport entre porteur/porté en contact ; « au-dessus » si c’est une position supérieure
sans contact entre la figure et le fond ; « à » quand les deux référents se situent sur
l’axe vertical ; même « dans » dans certains cas (trou-arbre, trou-terre). Le locatif 上
–shàng à lui seul correspond à plusieurs rapports spatiaux, d’où un choix difficile lors
de la description en français : plus la perception de l’espace coïncide chez les Français
et les Chinois, plus l’expression de la référence facile est. Même à un niveau très
avancé, existe toujours ce genre de confusion entre prépositions spatiales, car la
conceptualisation de l’espace forgée en L1 reste vivace.
L’apprenant adulte s’approprie déjà le système de l’espace dans la langue maternelle.
Lors de l’apprentissage de la spatialité en français, quand l’apprenant n’arrive pas à
s’empêcher de recourir à la traduction, il s’appuie inconsciemment sur le système
spatial de la L1 pour interpréter la référence spatiale dans la L2. Des représentations
inappropriées se produisent, car l’apprenant a fait passer les rapports spatiaux par le
335
« crible conceptuel » de sa propre langue.
Synthèses des résultats
Cette étude « sur le terrain » basée sur des productions spontanées nous a révélé les
points suivants de l’acquisition de la spatialité en français :
-
Au niveau de conceptualisation, les formes inappropriées sont principalement
imputables à l’influence de la L1. « Apprendre une L2, c’est aussi apprendre une
manière nouvelle d’appréhender le monde, c’est la construction d’un nouveau
système de signification » (Gaonac’h, 1992 : 49).
-
Avoir un répertoire linguistique varié n’est pas la même chose que pouvoir
l’activer de façon pertinente en communication. A notre grande surprise, les
productions orales des apprenants illustrent, d’un côté, une maîtrise insuffisante
des champs sémantiques des prédicats (principalement dans les déplacements), de
l’autre, le fait que certains moyens linguistiques, censés disponibles, ne peuvent
pas être facilement mobilisés par les apprenants, qui se contentent d’expressions
très courantes, sémantiquement moins chargées.
-
L’intervention pédagogique n’assure pas toujours de succès : corriger des erreurs
de performances isolément s’avère normalement peu efficace pour changer le
comportement langagier de l’apprenant, et la stratégie de précaution de
l’enseignant, souvent appliquée afin d’éviter des formes inappropriées, ne conduit
pas nécessairement à une expression qui s’aligne sur celle des natifs.
Les principaux résultats nous ont conduite à nous interroger, d’un côté, sur l’origine
de tous ces phénomènes détectés durant cette étude « sur le terrain », et de l’autre, sur
notre propre rôle en tant qu’enseignante.
« Dans l’acquisition guidée, les données de la langue à apprendre sont plus ou moins
préparées pour l’apprenant » (Klein, 1989 : 35). En Chine, l’enseignement du français
dans le supérieur est régi par la forte présence des activités métalinguistiques, et par la
présence de nombreux exercices d’application, oraux ou écrits. Les matériaux
linguistiques et les approches pédagogiques mettent en relief l’apprentissage délibéré
336
des règles grammaticales et celui des mots et expressions.
Dans les matériaux linguistiques présentés aux apprenants, par rapport à la
temporalité qui est introduite systématiquement dans le manuel, la spatialité qui est
aussi un domaine cognitif complexe, n’a pas mérité autant d’attention : les
prépositions spatiales et les prédicats dynamiques sont introduits de façon arbitraire
au fil du manuel, avec leur traduction en chinois dans le vocabulaire. La localisation
et le déplacement ne sont pas traités de façon méthodique, comme si la référence
spatiale, faisant l’objet d’une connaissance déjà acquise dans la langue maternelle, ne
nécessitait plus d’explicitation, un simple changement de code par la traduction faisait
l’affaire.
Dans un environnement formel institutionnellement dédié à l’apprentissage, comment
ce travail peut-il, à sa mesure, contribuer à l’acquisition ? Dans le cadre de
l’enseignement du français en Chine, deux éléments sont susceptibles d’être réajustés
plus facilement pour favoriser le processus acquistionnel : celui qui assure le
déroulement de l’apprentissage du français (l’enseignant), et le contexte où a lieu
l’apprentissage (la classe de langue).
Rôle de l’enseignant
-
Déclencheur du processus d’acquisition
L’enseignant pourra intervenir à deux niveaux dans l’input des données relatives à
l’espace : dans la préparation des matériaux linguistiques, et dans l’intervention
pédagogique en classe.
Selon Krashen (1985), l’input, autrement dit l’exposition de l’apprenant à des données
de la langue cible, constitue le facteur le plus important dans le développement de la
compétence en L2.
S’il s’avère difficile d’envisager de donner sa juste place à la spatialité dans le manuel
à court terme, l’enseignant pourra toujours, au cours de son intervention pédagogique,
créer des conditions favorisant le processus d’acquisition de la référence spatiale. Il
337
pourra commencer par préparer des matériaux : en s’appuyant sur les études déjà
effectuées sur la spatialité, avec la connaissance et les expériences qu’il a en tant que
concepteur du matériel, il prévoira la façon dont les éléments linguistiques
s’organisent, et les démarches à suivre dans la classe de langue. Dans la présente
recherche,
nous
avons
ainsi
proposé
des
démarches
illustrées,
baptisées
« l’enseignement visualisé » : les données relevant de la spatialité en français seront
introduites dans des séances particulières au moment propice de l’apprentissage. Si
nous avons choisi les images en tant que vecteur de la méthode, c’est qu’elles sont les
supports idéaux pour illustrer les rapports spatiaux, lesquels, visualisés par les
apprenants, sont associés directement à la représentation en français, sans passer par
le retour à la L1.
Cette méthode dite « visualisée » a une orientation à la fois linguistique et cognitive :
l’enseignant sortira en quelque sorte de l’activité métalinguistique qui vise à « faire
comprendre le français» aux apprenants à travers le chinois, tout en facilitant un
éveil de la prise de conscience chez les apprenants, qui sont menés progressivement à
une meilleure compréhension du fonctionnement de langue, et à une comparaison des
représentations entre le français et le chinois.
« L’activité didactique est le vecteur obligé de l’appropriation » (Cicurel, 2002 : 153).
Dans le déroulement de l’enseignement du français, l’enseignant accomplira une
triple tâche : premièrement, il guidera les apprenants à la rencontre des données
linguistiques à acquérir, en s’appuyant sur des outils pertinents, préparés à l’avance
(supports, documents, équipement nécessaire) ; deuxièmement, il déclenchera le
processus d’acquisition au cours duquel les apprenants seront menés à appréhender et
interroger la langue à apprendre, en induisant les valeurs sémantiques fonctionnelles,
et il organisera des activités langagières pour consolider dans la pratique les
connaissances linguistiques chez les apprenants; troisièmement, lors de l’apparition
d’une éventuelle surgénéralisation ou d’une difficulté, l’enseignant choisira
d’intervenir par anticipation avant que le phénomène ne se produise.
-
Régulateur dans l’évaluation
338
Entre la matière à apprendre, le maniement de support et l’appropriation, l’enseignant inscrit sa
médiation par la progression qu’il contrôle en partie, par l’évaluation qu’il exprime : il joue un
rôle régulateur de l’appropriation.
(Cicurel, 2002 : 154)
L’enseignant aura aussi son rôle à jouer dans l’évaluation, qui est, dans
l’enseignement supérieur en Chine, basée sur l’écrit et vise essentiellement à noter les
apprenants dans le supérieur en Chine. La production orale sera mise en valeur, car il
s’agit d’un moyen plus fiable d’observer la compétence linguistique des apprenants
que l’écrit. L’évaluation, au lieu d’être un simple outil de notation, servira de
plate-forme de rétroaction chez les apprenants (cf. Chapitre IX.3). Pour ce faire,
l’enseignant devra d’abord collecter les productions orales des apprenants par
l’enregistrement et mener des analyses pour déclencher sur un bilan indiquant
clairement les objectifs maîtrisés, ceux qui sont en cours d’acquisition, et ceux qui ne
sont pas encore acquis, possibles angles d’attaque dans la procédure de rétroaction.
Ensuite, il organisera une séance où l’apprenant puisse comparer ses propres
comportements linguistiques avec ceux de la langue cible 134 . Finalement, la
perception des divergences réelles est une condition préalable, mais elle n’est pas
suffisante : l’apprenant peut percevoir clairement que sa représentation se distingue de
celle des natifs, mais ne pas pouvoir la modifier dans ce sens, c’est le moment de
l’intervention de l’enseignant qui mettra au clair l’information rétroactive.
De cette façon, l’évaluation deviendra, pour l’enseignant, lieu d’observation de la
compétence des apprenants, source de réflexion sur l’organisation des données
linguistiques, sur la conduite pédagogique à suivre, ce qui lui permettrait de réajuster
en permanence ses propositions didactiques. En même temps, l’évaluation formera
une plate-forme de rétroaction chez les apprenants qui, confrontés aux interprétations
des natifs sur la même tâche, pourraient mesurer les efforts qui restent à faire. Ainsi,
de l’enseignement à l’évaluation, le tandem enseignant/apprenant pourra progresser à
134
l’enseignant a l’intérêt de préparer les versions possibles des natifs, car l’évaluation a pour but de conduire
l’apprenant à percevoir la distance de son comportement linguistique avec celui des locuteurs français à une même
tâche, plutôt que de pointer sur les « erreurs » .
339
merveille et optimaliser l’acquisition linguistique.
Perspectives
Notre recherche sur l’acquisition de la spatialité en français ne s’arrête pas là, elle se
poursuivra sous différents angles :
-
Dans les deux études déjà effectuées (transversale et longitudinale), nous nous
sommes servie de trois séquences d’images. Il sera intéressant de nous appuyer
sur d’autres supports visuels pour observer les comportements langagiers des
apprenants en fonction du stade d’apprentissage : par exemple, des descriptions
scéniques à la phase initiale aux récits de film à la phase avancée, (cf. chapitre IX
3.) Un changement d’optique pourrait aussi être envisagé : de l’oral à l’écrit, de la
production à la compréhension. Des tâches variées enrichiront les données et nous
conduiront à une meilleure connaissance sur le processus d’acquisition de la
référence spatiale chez les apprenants.
-
Nous appliquerons « la méthode visualisée de la spatialité » dans une classe, avant
de procéder à des analyses comparatives des productions entre les apprenants
ayant suivi cette méthode et ceux qui suivront l’enseignement traditionnel. Cette
confrontation permettra de mesurer l’efficacité de notre approche didactique
élaborée dans la perspective acquisitionnelle, en vue de la réajuster ou de
l’améliorer, pour qu’elle puisse être pratiquée au sein de l’établissement.
-
Dans l’établissement, nous pourrons, en plus des propositions pédagogiques
basées sur la méthode « visualisée », essayer de sensibiliser les collègues à une
meilleure connaissance de l’acquisition des langues étrangères, domaine peu
exploré en Chine, surtout dans l’enseignement du français. Nous commencerons
par les recherches « sur le terrain » déjà effectuées. La présentation jouera un
triple rôle : aborder l’acquisition de la référence spatiale en français chez les
apprenants à différents stades pour mieux appréhender, sous l’angle de la
conceptualisation, les problèmes « récurrents » relatifs à l’espace, souvent
considérés comme « erreurs » ; révéler le manque de traitement de la spatialité
340
dans l’enseignement en vigueur, laquelle se réduit souvent à l’apprentissage
erratique des prépositions spatiales ; introduire la méthode « visualisée », élaborée
à partir des constatations principales de nos deux études acquisitionnelles, ayant
au coeur du déroulement l’apprenant en tant que l’acteur de l’apprentissage.
L’application de cette méthode n’amènera pas nécessairement à une réussite
« phénoménale », mais elle permettra aux enseignants de mieux suivre le
processus d’acquisition de l’apprenant. De cette façon, nous espérons que les
enseignants, sensibilisés, pourront conjuguer leurs efforts pour réfléchir à des
approches didactiques dans la perspective acquisitionnelle, ce qui conduira
éventuellement à une réforme complète des supports pédagogiques, en vue
d’améliorer l’enseignement du français, et de favoriser le processus acquisitionnel
des apprenants, qui, d’un point de vue psycholinguistique, est déterminé dans son
développement, son rythme et son état final par divers facteurs.
L’acquisition d’une L2 « implique une reconstruction du mode d’appréhension du réel,
une restructuration, une transformation du rapport langage/connaissance» (Berthoud
& Py, 1993 : 91). Dans cette perspective cognitive, comment contribuer, en tant
qu’enseignant, à repenser les fonctions et les formes d’intervention pédagogiques
destinées à guider l’apprenant dans l’acquisition du français ? Notre étude portant sur
la spatialité nous a menée vers les champs de recherche de l’acquisition des langues
étrangères, qui permettent de refonder l’intervention didactique : un univers immense
et fascinant, le chemin est encore long à parcourir !
341
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recherches des Langues étrangères.
354
LISTE DES TABLEAUX/SCHEMAS/FIGURES
Première partie
Chapitre I
Schéma I-1 (Acquisition des langues)
Schéma I-2 (A computational model of L2 acquisition)
Chapitre II
Tableau II-1 (Propriétés de la figure et du fond)
Tableau II-2 (Locatifs chinois)
Tableau II-3 (Verbes directionnels composés en chinois)
Schéma II-1 (Référence spatiale)
Chapitre III
Tableau III-1 (Eléments grammaticaux de la méthode Le français)
Tableau III-2 (Morphologie : le français vs le chinois)
Schéma III - 1 (Expressions temporelles en chinois)
Chapitre IV
Tableau IV-1 (Organisation des collectes de données)
Tableau IV-2 (Episode-développement du récit La Grenouille)
Tableau IV-3 (Présentation des données)
Tableau IV-4 (Les quatre tons en chinois)
Tableau IV-5 (Les abréviations dans la glose morphémique)
Deuxième partie
Chapitre V
Tableau V-1 (Evénements spatiaux impliqués dans le récit Le Chat)
Tableau V-2 (Localisation statique : introduction)
Tableau V-3 (Déplacement de l’oiseau : introduction)
Tableau V-4 (Déplacement du chat : introduction)
Tableau V-5 (Déplacement du chat : développement)
Tableau V-6 (Déplacement du chien : développement)
Tableau V-7 (Evénement spatial éventuel : développement)
Tableau V-8 (Déplacement du chien et du chat : dénouement)
Tableau V-9 (Déplacement de l’oiseau : dénouement)
Tableau V-10 (parcours de l’oiseau : i)
Tableau V-11 (parcours de l’oiseau : ii)
Tableau V-12 (parcours de l’oiseau : iii)
Tableau V-13 (parcours de l’oiseau : iv)
Tableau V-14 (parcours de l’oiseau : iv)
Tableau V-15 ( parcours des intrus : i )
Tableau V-16 ( parcours des intrus : ii )
355
Tableau V-17 ( parcours des intrus : iii )
Tableau V-18 ( parcours des intrus : iv )
Tableau V-19 ( parcours des intrus : v )
Tableau V-20 ( parcours des intrus : vi )
Tableau V-21 ( parcours des intrus : vii )
Tableau V-22 ( parcours des intrus : viii )
Figure V-1 (Evénements spatiaux : Le Chat)
Chapitre VI
Tableau VI-1 (Le cadre spatial)
Tableau VI-2 ( La désignation de « la barrière »)
Tableau VI-3 (La relation cheval – barrière – vache)
Tableau VI-4 (Le déplacement du cheval ∩)
Tableau VI-5 (Les secours des animaux)
Tableau VI-6 (Intervention des deux animaux)
Chapitre VII
Tableau VII-1 (Cas de Louise et de Théa)
Tableau VII-2 (Marquage de la nouvelle information dans le cadre spatial)
Tableau VII-3 (Prédicats et les informations véhiculées)
Tableau VII-4 (Encodage d’informations spatiales : Le Chat)
Tableau VII-5 (Encodage d’informations spatiales : Le Cheval)
Figure VII-1 (Cadre spatial : Le Chat vs Le Cheval)
Figure VII-2 (Marquage de la nouvelle information)
Figure VII-3 (Fréquence des événements spatiaux dans Le Chat et Le Cheval)
Chapitre VIII
Tableau VIII - 1 (Evénements spatiaux impliqués : La Grenouille)
Tableau VIII - 2 (Localisation dynamique – trame : 2)
Tableau VIII - 3 (Localisation statique - trame : 4 et 6 : prépositions)
Tableau VIII - 4 (Localisation statique – trame : 4 et 6 : 3e collecte)
Tableau VIII - 5 (Prépositions spatiales – trame : 13)
Tableau VIII - 6 (Localisation statique – trame : 13 : détail ∩)
Tableau VIII - 7 (Déplacement – trame : 1 : 1ère collecte)
Tableau VIII - 8 (Déplacement – trame : 1 : 2e collecte : i)
Tableau VIII - 9 (Déplacement – trame : 1 : 2e collecte : ii)
Tableau VIII - 10 (Déplacement – trame : 1 : 3e collecte : i)
Tableau VIII - 11 (Déplacement – trame : 1 : 3e collecte : ii)
Tableau VIII - 12 ( Déplacement - trame : 1 : natifs)
Tableau VIII - 13 (Déplacement – trame : 5 et 8 : occurrence)
Tableau VIII - 14 (Déplacement – trame : 5 et 8 : prédicats)
Tableau VIII - 15 (Déplacement – trame : 5 et 8 : prédicats - natifs)
Tableau VIII - 16 (Déplacement – trame : 7 et 10 : prédicats )
Tableau VIII - 17 (Déplacements – trame : 7 et 10 : désignation en chinois)
Tableau VIII - 18 (Déplacement – trame : 7 : prépositions)
Tableau VIII - 19 (Déplacement – trame 10 : prépositions)
356
Tableau VIII - 20 (Déplacement – trame : 7 et 10 : natifs)
Tableau VIII - 21 (Déplacement – trame : 9 : fond)
Tableau VIII - 22 (Déplacement – trame : 9 : fond : natifs)
Tableau VIII - 23 (Déplacement – trame : 12 : prédicats)
Tableau VIII - 24 (Déplacement – trame : 12 : pourcentage)
Tableau VIII - 25 (Déplacement – trame : 3 : prédicats)
Tableau VIII - 26 (Déplacement – trame : 3 : prédicats : natifs)
Tableau VIII - 27 (Déplacement – trame : 11 : prépositions)
Tableau VIII - 28 (Déplacement – trame : 11 : prédicats)
Tableau VIII - 29 (Déplacement – trame : 14 : prédicats)
Tableau VIII - 30 (Déplacement – 3’, 5’)
Tableau VIII - 31 (Déplacement : 6’ : prédicats)
Tableau VIII - 32 (Placement – 1’ : fond)
Tableau VIII - 33 (Représentation simplifiée : événements-trame)
Tableau VIII - 34 (Classification des sujets à chaque stade : événements - trame)
Tableau VIII - 35 (Les solutions des sujets : maintien du niveau)
Tableau VIII - 36 (Représentation de l’apparition du hibou)
Tableau VIII - 37 (Classification des sujets à chaque stade : événements secondaires)
Tableau VIII - 38 (Recherche dans la forêt : productions de Mélanie)
Tableau VIII - 39 (Développement individuel : événements – trame + secondaires)
Figure VIII - 1 (Localisation statique – trame : 4)
Figure VIII - 2 (Localisation statique – trame : 6)
Figure VIII - 3 (Localisation statique – trame : 13 )
Figure VIII - 4 (Déplacement – trame : 1 : pourcentage)
Figure VIII - 5 (Déplacement – trame : 5 et 8 : pourcentage)
Figure VIII - 6 (Déplacement – trame : 7 et 10 : pourcentage)
Figure VIII - 8 (Fréquence des événements – trame : La Grenouille)
Figure VIII - 9 (Fréquence des événements implicites - trame : La Grenouille)
Figure VIII -10 (Fréquence des événements secondaires : La Grenouille)
Troisième partie
Chapitre IX
Tableau IX-1 (Prépositions de lieu dans Le français)
Tableau IX-2 (Prépositions de lieu dans Le français – version révisée)
Tableau IX-3 (Prépositions : sur/à)
Tableau IX-4 (Différents types d’évaluation)
Tableau IX-5 (Evaluation de l’acquisition de la spatialité en français)
Tableau IX-6 (Evaluation : Le Cheval)
Tableau IX-7 (Auto-évaluation : Le Chat)
Figure IX-1 (Traitement de la production de la parole – modèle de Levelt)
Figure IX-2 (Traitement au cours de la production de la parole chez les apprenants
chinois)
Figure IX-3 (Travail en équipe : « La chambre de Van Gogh à Arles »)
357
ANNEXES
SUPPORTS EN IMAGES
Le Chat
Le Cheval
Frog, where are you ?
358
Le Chat
359
Le Cheval
360
Frog, where are you ? (Mercer Mayer, 1969)
361
362
363
364
365
366
367
368
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