Ecole doctorale 139 Connaissance, langage, modélisation Thèse en vue de l’obtention du grade de Docteur en Sciences du langage de l’Université Paris Ouest Nanterre La Défense Présentée et soutenue publiquement par TAN Jia le 8 décembre 2011 L’ACQUISITION DE LA SPATIALITE EN FRANÇAIS CHEZ LES ETUDIANTS CHINOIS ETUDE LONGITUDINALE sous la direction de Colette NOYAU (Professeur – Université Paris Ouest Nanterre La Défense) devant un jury composé de : Maya HICKMANN (Directeur de recherche CNRS, Université Paris 8), rapporteur Henriëtte HENDRIKS (Directeur de recherche, Cambridge University), rapporteur Christophe PARISSE (chercheur HDR Nanterre La Défense), examinateur INSERM, MoDyCo – Université Paris Ouest Colette NOYAU (Professeur émérite – Université Paris Ouest Nanterre La Défense), directrice de la thèse Résumé Mots clés : référence spatiale, acquisition des langues étrangères, français langue étrangère, production orale, analyses de corpus, enseignement des langues étrangères Cette thèse, qui s’inscrit dans le domaine de l’acquisition des langues étrangères, a pour objectif de comprendre comment les étudiants chinois, au cours de l’acquisition du français, expriment la référence spatiale (la localisation et le déplacement dans l’espace) lorsqu’ils s’acquittent d’une tâche verbale complexe. Nous avons effectué une étude longitudinale de trois ans, en recueillant des productions orales narratives à trois reprises, auprès de 22 apprenants de la même classe, avec des supports en images : Le Chat et Le Cheval respectivement aux deux premiers cycles, et Frog, where are you ? à chaque cycle. Cette procédure permet non seulement d’observer l’acquisition de la spatialité en français de tous les apprenants à un moment donné, mais aussi de mettre en lumière la progression acquisitionnelle de chaque apprenant dans le temps. Basée sur des analyses aux niveaux phrastique, conceptuel et discursif, nous essaierons de trouver les facteurs qui influencent l’expression de la spatialité en français, et de proposer des solutions pédagogiques en fonction des difficultés identifiées chez les apprenants, en vue d’améliorer l’acquisition de la spatialité dans le contexte de l’enseignement du français en Chine. Abstract Key words : spatial relations, foreign language acquisition, French as a foreign language, oral expression, corpus analysis, foreign language teaching This thesis intervenes in foreign language acquisition, and has an objective to understand how Chinese students in university learn French space expression. I have thus conducted a three-year research and carried out three corpus collections with 22 Chinese learners from the same class, respectively in the first three years in French learning. The Chinese learners are required to tell a story according to the pictures. In every collection, all learners are assigned to tell the Frog story; in the first two collections the additional Cat and Horse stories are respectively required. From the collected corpus, each learner are fully studied, including the space expressions at specific stages and the progress in three-year period. The analysis based on the data has been carried out in the three levels: the sentence level, the conceptual level and the discursive level. It is aimed to find the factors which influence the space expression in French. Moreover, the thesis provides teaching solutions according to the learning difficulties identified in the corpus. 2 Remerciements La rédaction d’une thèse est une entreprise de longue haleine. Au terme de ma recherche doctorale, je voudrais adresser mes remerciements à tous ceux qui m’ont aidée à mener à bien cette étude. La première personne à qui je souhaite exprimer ma profonde gratitude, c’est ma directrice de recherche, Madame le Professeur Colette NOYAU, qui, ayant dirigé mon mémoire de DEA, m’a accompagnée tout au long de ces six années de recherche doctorale. Elle m’a tant appris et s’est toujours montrée convaincue de la pertinence de mes travaux. La confiance et la compréhension qu’elle a témoignées à mon égard m’ont été des plus précieuses, et ses encouragements m’ont toujours donné chaud au coeur. Je remercie sincèrement les rapporteurs et membres du jury d’avoir accepté d’évaluer ce travail et d’y avoir porté de l’intérêt. Je voudrais aussi témoigner ma reconnaissance envers Madame HENDRIKS, qui a eu la patience de répondre à toutes mes questions, de me donner des conseils pertinents, et de m’envoyer les documents dont j’avais besoin. Je tiens à remercier également Cristina De LORENZO ROSSELLÓ et Arnaud ARSLANGUL, qui m’ont permis d’utiliser leurs corpus de productions orales en français L1 et en chinois L1. Mes remerciements sincères vont aussi à Monsieur FU Rong, directeur du département de l’Université des Langues étrangères de Pékin, pour son soutien constant tout au long de ce travail, et à mes collègues, DAI Dongmei, CHE Lin et TIAN Nina, pour leurs encouragements et leurs suggestions. Je dois un grand merci à mon père, qui a eu la gentillesse de réaliser tous les dessins dans la thèse, et à ma mère, pour la patience qu’elle a consentie devant mes changements d’humeur occasionnés par ce travail. 3 Table des matières Résumé...........................................................................................................................2 Remerciements...............................................................................................................3 Table des matières..........................................................................................................4 Liste des abréviations.....................................................................................................7 INTRODUCTION____________________________________________________8 PREMIERE PARTIE CADRE THEORIQUE ET METHODOLOGIE______13 Chapitre I Acquisition des langues..................................................................14 I.1. Définitions......................................................................................................14 I.2. Recherches de l’acquisition des langues étrangères : état des lieux...............18 I.2.1 Analyse contrastive..........................................................................18 I.2.2 Analyse des erreurs..........................................................................20 I.2.3 Interlangue........................................................................................21 Chapitre II Conceptualisation de la spatialité.................................................24 II. 1. La référence spatiale.......................................................................................24 II.1.1 Les relations spatiales.......................................................................26 II.1.2 La localisation..................................................................................28 II.1.3 Le déplacement................................................................................30 II. 2. La langue et la pensée....................................................................................35 Chapitre III Contexte de l’étude.........................................................................39 III. 1. L’état de l’enseignement du français en Chine...............................................39 III. 2. L’enseignement du français dans le supérieur en Chine.................................41 III.2.1 Evolution de l’enseignement du français.........................................41 III.2.2 Le déroulement des études spécialisées...........................................43 III. 3. L’acquisition de la spatialité en français........................................................47 III.3.1 Le français, langue difficile pour les Chinois..................................47 III.3.2 L’enseignement de l’expression spatiale en français......................49 III.3.3 De l’enseignement à l’acquisition...................................................50 Chapitre IV Recueil de données.........................................................................53 IV. 1. Construction du corpus...................................................................................53 IV.1.1 Apprenants chinois...........................................................................53 IV.1.2 Collectes des données.......................................................................54 IV.1.3 Productions des témoins...................................................................59 IV.2. Transcription des données..............................................................................60 IV.2.1 Segmentation....................................................................................61 IV.2.2 Présentation des données..................................................................67 IV.2.3 Glose morphémique de la production chinoise................................69 4 DEUXIEME PARTIE ANALYSES DE RECITS_________________________78 Chapitre V V.1. V.2. V.3. V.4. V.5. V.6. Le Chat............................................................................................79 Les événements spatiaux................................................................................80 Relations spatiales impliquées dans l’introduction........................................81 V.2.1 Localisation statique........................................................................81 V.2.2 Déplacements...................................................................................85 Relations spatiales impliquées dans le développement..................................93 V.3.1 Déplacement du chat........................................................................93 V.3.2 Apparition du chien..........................................................................96 V.3.3 Intervention du chien........................................................................98 Relations spatiales impliquées dans le dénouement.....................................105 V.4.1 Déplacement des intrus..................................................................105 V.4.2 Déplacement de l’oiseau................................................................109 L’organisation de l’information spatiale.......................................................111 V.5.1 Parcours de l’oiseau........................................................................112 V.5.2 Parcours des intrus..........................................................................115 Constatations................................................................................................122 V.6.1 Les événements spatiaux................................................................122 V.6.2 La sélection de l’information spatiale............................................126 Chapitre VI Le Cheval.......................................................................................128 VI.1 L’entrée en scène du cheval..........................................................................129 VI.1.1 Le cadre spatial...............................................................................129 VI.1.2 La désignation de la « barrière »....................................................133 VI.1.3 La relation cheval - barrière - vache..............................................136 VI.2. Le parcours du cheval...................................................................................143 VI.2.1 Le franchissement..........................................................................143 VI.2.2 La chute..........................................................................................149 VI.3. Les secours des animaux................................................................................150 VI.3.1 L’intervention unilatérale de la vache............................................151 VI.3.2 Les secours conjoints des deux animaux.......................................151 VI.3.3 L’action respective des deux animaux............................................152 VI.3.4 Cas particulier de Delphine............................................................154 VI.4. Constatations................................................................................................154 VI.4.1 Le développement des moyens linguistiques.................................155 VI.4.2 L’organisation de l’information spatiale........................................157 VI.4.3 Résultats........................................................................................161 Chapitre VII VII.1. Synthèse et hypothèses : Le Chat vs Le Cheval.........................163 L’élaboration du cadre spatial......................................................................164 VII.1.1 Le choix du cadre...........................................................................165 VII.1.2 Le marquage de la nouvelle information dans le cadre spatial......169 5 VII.2. VII.1.3 Résumé et hypothèse à tester avec les récits La Grenouille...........172 Les événements spatiaux..............................................................................173 VII.2.1 L’organisation des événements.......................................................173 VII.2.2 L’empaquetage de l’information spatiale dans les déplacements...175 VII.2.3 Les prépositions spatiales...............................................................179 Chapitre VIII Frog, where are you ?...................................................................187 VIII.1. Les événements spatiaux impliqués.............................................................188 VIII.2. Localisation – trame....................................................................................190 VIII.2.1 Localisation dynamique : recherche dans la maison.....................190 VIII.2.2 Localisation statique.....................................................................195 VIII.3. Déplacements – trame................................................................................213 VIII.3.1 Trajectoire avec franchissement de bornes...................................213 VIII.3.2 Trajectoire directionnelle..............................................................229 VIII.3.3 Trajets entre deux lieux de référence............................................245 VIII.4. Evénements événements secondaires.........................................................256 VIII.4.1 Localisation..................................................................................256 VIII.4.2 Déplacements...............................................................................259 VIII.4.3 Placement.............................................../.....................................262 VIII.5. L’organisation des événements..................................................................266 VIII.5.1 La différenciation des représentations des événements...............266 VIII.5.2 Les événements spatiaux secondaires..........................................273 VIII.6. Constatations de la comparaison longitudinale.........................................278 TROISIEME PARTIE APPLICATIONS DANS L’ENSEIGNEMENT______282 Chapitre IX Enseignement/acquisition de la spatialité en français.............282 IX.1. L’enseignement de la spatialité...................................................................284 IX.1.1 Matériaux langagiers......................................................................284 IX.1.2 Approche pédagogique..................................................................290 IX.2. De l’acquisition à l’enseignement de la référence spatiale.........................293 IX.2.1 L’acquisition de la spatialité en français........................................295 IX.2.2 Vers un enseignement « visualisé » de la référence spatiale..........299 IX.3. Evaluation....................................................................................................321 IX.3.1 Aperçu sur l’évaluation du français en milieu institutionnel.........321 IX.3.2 Vers un nouveau système d’évaluation basé sur Le Cadre............322 IX.3.3 L’évaluation de l’acquisition de la spatialité.................................325 CONCLUSION____________________________________________________331 BIBLIOGRAPHIE_________________________________________________342 LISTE DE TABLEAUX/SCHEMAS/FIGURES_________________________355 ANNEXES : SUPPORTS EN IMAGES________________________________358 6 LISTE DES ABREVIATIONS Abréviations utilisées dans le corps du texte Beiwai Université des Langues étrangères de Pékin CAU verbe de cause CVS construction verbale sérielle DES verbe de destination DX verbe de deixis Fd fond Fg figure FLE français langue étrangère Gaokao Concours national d’entrée à l’université L1 langue première L2/LE langue étrangère le Cadre Cadre européen de référence pour les langues Lg-S langue à codage sur le satellite (satellite - framed languages) Lg-V langue à cadrage verbal (verb - framed languages) LM langue maternelle LS langue cible LS langue source MAN verbe de manière occ. occurrence TRA verbe de trajectoire 7 Introduction La présente étude, ayant pour objet l’acquisition de la spatialité en français chez les apprenants chinois, vise à observer le parcours de l’appropriation de la référence spatiale en français chez les étudiants chinois, et à cerner les facteurs qui affectent le processus d’acquisition dans le domaine référentiel de l’espace. Mon expérience personnelle est à l’origine de cette étude. Ayant commencé mes études de français dans le département de français à l’Université des Langues étrangères de Pékin en 1996, j’y ai entamé l’enseignement du français à partir de 2002. Durant le travail, j’ai remarqué que malgré les efforts des enseignants sur le plan pédagogique, les étudiants chinois, même à un niveau avancé, avaient toujours des difficultés à s’exprimer en français lors qu’ils s’acquittaient d’une tâche, et que certains problèmes restent récurrents dans les comportements langagiers des apprenants. Comment expliquer ces phénomènes ? Si l’on ne réussit pas à trouver une réponse sous l’angle pédagogique, il est nécessaire de changer d’optique, autrement dit, de s’intéresser aux apprenants, qui occupent en effet la place centrale dans le déroulement de l’apprentissage. Ainsi je me suis initiée à la psycholinguistique de l’acquisition des langues durant mes études en France, en tant qu’étudiante en Sciences du langage à l’Université Paris Ouest Nanterre La Défense. Le français est une langue difficile à acquérir pour les Chinois, la difficulté réside non seulement dans le système linguistique, qui s’avère très différent de celui du chinois, mais aussi et surtout dans la vision du monde incarnée par la langue. « La construction du système sémiotique de la langue 2 ne peut se voir comme un simple passage entre langue 1 et langue 2, mais implique une reconstruction à partir de la conceptualisation du monde. » (Noyau, 2003) Si les apprenants veulent continuer à progresser dans l’acquisition du français, il faut qu’ils apprennent à voir les choses autrement et adopter le système conceptuel du français, c’est-à-dire penser autrement. J’ai choisi la spatialité, domaine particulièrement intéressant comme « angle 8 d’attaque ». L’espace est, d’après Piaget, « l’ensemble des rapports établis entre les corps que nous percevons ou concevons, ou pour mieux dire, l’ensemble des relations dont nous nous servons pour structurer ces corps, donc pour les percevoir et les concevoir. » (1981 : 1) Toute communauté linguistique a développé un riche répertoire de moyens pour exprimer la référence spatiale. Comme la temporalité, la spatialité constitue une catégorie fondamentale de la cognition humaine. Il s’agit aussi d’un des domaines phares dans l’étude de l’acquisition du langage, beaucoup de recherches (projet E.S.F., dont les résultats sont réunis dans Adult Language Acquisition : Cross-linguistic perspectives1 , où un chapitre, signé par Becker & Carroll, traite de la spatialité) et de travaux y ont été consacrés (Klein, Slobin, Hickmann, Hendriks, Watorek), abordant l’acquisition de la langue maternelle et de la langue étrangère, à travers des études transversales et longitudinales. Pourtant, en Chine, les enseignants s’intéressent avant tout à l’expression de la temporalité, sentie comme centrale durant l’acquisition du français, car elle touche à la morphologie verbale, et la spatialité, négligée par les supports pédagogiques et dans le déroulement de l’enseignement du français, a été peu explorée. Une première étude sur l’acquisition de la spatialité a été effectuée en 2005 auprès de 5 apprenants chinois à niveau avancé, et a fait l’objet de notre mémoire de DEA (TAN, 2005). La confrontation des narrations basées sur la séquence d’images Frog, where are you ? , avec celles de témoins adultes dans leur L1 (chinois et français) a permis de dévoiler, d’un côté, la distance entre l’expression spatiale des apprenants et celle des natifs, et de l’autre, l’impact de la langue maternelle sur l’appropriation du français langue étrangère. Cette étude a confirmé en partie les hypothèses de l’influence conceptuelle que la langue maternelle peut exercer sur le développement acquisitionnel du français, et a soulevé aussi des questions et des pistes de réflexions qui m’ont poussée à approfondir la recherche dans le même domaine. J’ai donc décidé de poursuivre l’étude transversale par une étude longitudinale, qui a consisté à suivre le parcours du développement de la référence spatiale en français des apprenants chinois universitaires, du stade initial au stade avancé sur 3 ans, car une 1 Perdue (1993). 9 étude longitudinale qui décrit un processus évolutif, a pour avantage de contribuer à mettre en évidence des éléments qui échappent à l’observation ponctuelle. Le choix de la démarche est déterminé par l’objectif de la recherche. Cette étude visant à observer la compétence linguistique des apprenants pour s’acquitter d’une tâche en français, j’ai donc privilégié les productions orales qui s’avèrent le moyen le plus pertinent de refléter fidèlement la conceptualisation en temps réel du locuteur, par rapport à l’écrit, qui laisse le temps au locuteur de réfléchir sur l’organisation de l’information et de soigner la formulation de l’expression au fur et à mesure. Trois séquences d’images (Le Chat, Le Cheval et Frog, where are you?) ont été utilisées dans la présente étude, dont les scénarios impliquent des déplacements des personnages, propices à recueillir nombre de prédicats référant à l’espace, et chaque histoire montre également des référents inanimés qui constituent des points de référence pour l’ancrage spatial. Ce sont des supports qui ont servi dans beaucoup d’études inter-langues sur l’acquisition, L1 comme L2 (cf. Slobin : 1991, 1996, 2004 ; Hendriks : 1998, 2004 ; Hickmann : 2003, 2008 ; De Lorenzo : 2002 ; Arslangul : 2007), notamment concernant le chinois L1 et L2, ce qui a permis de disposer d’une base de départ sûre et d’un point de comparaison utile. J’ai effectué 3 collectes (à des intervalles de 14 mois) de productions orales auprès de 22 apprenants de la même classe à différentes phases de leur apprentissage du français, avec comme supports Le Chat et Le Cheval aux stades initial et intermédiaire, et le récit Frog, where are you ? à chaque stade. Cette procédure pour construire les corpus permet non seulement d’observer l’acquisition de tous les apprenants à un moment donné, mais aussi de mettre en lumière la progression acquisitionnelle de chaque apprenant au long de son apprentissage du français. Les productions orales ainsi recueillies sont aptes à déclencher des analyses à la fois synchronique et diachronique. Les récits enregistrés sur audiocassettes sont transcrits intégralement, tels qu’ils ont été produits. Les données sont ensuite segmentées en épisodes, en énoncés et en propositions, pour mettre au clair l’expression de la spatialité et faciliter les analyses comparatives. 10 Nos analyses cherchent à fournir des réponses aux questions suivantes : – à chaque stade, quels sont les moyens linguistiques que les apprenants mobilisent pour référer à l’espace au niveau phrastique ? – Comment les apprenants organisent-ils les événements spatiaux au niveau discursif avec les moyens linguistiques disponibles ? – Comment l’information spatiale est-elle empaquetée, dans la lexicalisation du procès en français chez les apprenants ? – Où se situent les divergences dans la formulation de la spatialité, entre les apprenants chinois et les francophones ? – Dans quelle mesure la conceptualisation de l’espace en chinois influe-t-elle sur l’expression de la spatialité en français langue étrangère ? La présente thèse se compose de trois parties : La première partie est consacrée à poser le cadre théorique et la méthodologie de notre recherche. A partir d’un état de lieux sur l’acquisition des langues (chapitre I), nous présenterons l’expression de la spatialité dans les langues naturelles, en nous appuyant sur le modèle de Talmy, qui nous servira de cadre d’analyse pour décrire les modalités par lesquelles s’expriment les relations spatiales au cours de l’acquisition du français. Partie de la dichotomie talmienne, et en fonction de la théorie de Slobin « thinking for speaking », nous lancerons des hypothèses à tester à travers cette étude « sur le terrain » (chapitre II). Ensuite, nous aborderons la situation actuelle de l’enseignement du français en Chine (chapitre III), qui constitue, en quelque sorte, la genèse de cette recherche dans une perspective d’acquisition et qui détermine aussi la méthode à adopter dans la construction des corpus oraux (chapitre IV). La deuxième partie, centrale de notre recherche, consiste en analyses des données, Nous commencerons par deux analyses portant respectivement sur Le Chat (chapitre V) et Le Cheval (Chapitre VI), lesquelles décrivent la compétence linguistique des apprenants aux stades initial et intermédiaire. Ensuite, nous réunirons les résultats pour en tirer des constatations et construire des hypothèses (chapitre VII) qui seront 11 testées dans l’analyse détaillée autour des productions du récit La Grenouille (chapitre VIII), que nous avons collectées à chaque stade, afin de mettre au clair le processus d’acquisition de la spatialité tout au long de l’apprentissage du français, et de cerner les facteurs qui pèsent sur la formulation en français. Et dans la dernière partie, basée sur les constatations issues des analyses fines effectuées, nous essaierons de trouver l’origine des difficultés identifiées chez les apprenants, et de proposer des solutions pédagogiques en vue de favoriser l’acquisition de la spatialité en français dans le contexte de l’enseignement du français en Chine (chapitre IX). Ainsi, partie de l’enseignement du français, nous avons effectué une étude dans la perspective acquistionnelle, qui conduit à des applications didactiques, la boucle est bien bouclée. 12 PREMIERE PARTIE CADRE THEORIQUE ET METHODOLOGIE Chapitre I I.1. I.2. Définitions Recherches de l’acquisition des langues étrangères : état des lieux I.2.1 Analyse contrastive I.2.2 Analyse des erreurs I.2.3 Interlangue Chapitre II II. 1. II. 2. III. 3. Conceptualisation de la spatialité La référence spatiale II.1.1 Les relations spatiales II.1.2 La localisation II.1.3 Le déplacement La langue et la pensée Chapitre III III. 1. III. 2. Acquisition des langues Contexte de l’étude L’état de l’enseignement du français en Chine L’enseignement du français dans le supérieur en Chine III.2.1 Evolution de l’enseignement du français III.2.2 Le déroulement des études spécialisées L’acquisition de la spatialité en français III.3.1 Le français, langue difficile pour les Chinois III.3.2 L’enseignement de l’expression spatiale en français III.3.3 De l’enseignement à l’acquisition Chapitre IV Recueil de données IV. 1. IV.2. Construction du corpus IV.1.1 Apprenants chinois IV.1.2 Collectes des données IV.1.3 Productions des témoins Transcription des données IV.2.1 Segmentation IV.2.2 Présentation des données IV.2.3 Glose morphémique de la production chinoise 13 Chapitre I I. 1. Acquisition des langues Définitions Avant d’aborder notre étude portant sur l’acquisition du français langue étrangère chez les apprenants chinois, il est nécessaire de distinguer des paires de concepts : langue maternelle/langue étrangère, langue première/langue seconde, acquisition guidée/acquisition non guidée, acquisition/enseignement. Langue maternelle (désormais LM): c’est en général la langue qu’un enfant a apprise et s’est appropriée après la naissance au contact de son quotidien. Aucune langue n’ayant été acquise auparavant, la langue maternelle est aussi la première langue (L1). Selon Klein, « cette acquisition de la première langue, soit acquisition initiale, est doublement première, c’est la première dans le temps, et c’est une acquisition fondamentale.» (1989 : 14). Il s’agit d’un déroulement à la fois cognitif, linguistique et social : au cours de l’acquisition de la parole et de l’intelligence, un enfant devient un être social. Une distinction plus fine peut être établie entre l’acquisition monolingue et l’acquisition bilingue du langage selon que l’enfant effectue sa socialisation initiale en une seule langue ou en deux. Langue étrangère (désormais LE): c’est une langue autre que maternelle (L22), acquise soit en milieu scolaire, soit à travers des interactions quotidiennes avec les locuteurs natifs dans un environnement linguistique. Le premier cas renvoie à l’acquisition guidée, assurée par un enseignement systématique, et le second, à l’acquisition non-guidée. A titre d’exemple, les travailleurs immigrés, dès l’arrivée dans les pays d’accueil, doivent apprendre la langue cible de façon spontanée, par l’intermédiaire de la communication quotidienne. Pourtant, il n’existe pas une frontière nette entre ces deux modes d’acquisition, car il 2 Par ailleurs, on dit « L2 » par convention, même si l’apprenant a déjà appris une autre LE, pour la langue en cours d’acquisition et sur laquelle porte l’étude et l’entraînement chez l’apprenant. 14 arrive aux apprenants en milieu scolaire d’avoir des contacts avec des locuteurs de la langue cible, et inversement, les apprenants non-guidés peuvent bénéficier d’ enseignements momentanés, des corrections données par les natifs, par exemple. Klein a d’ailleurs opposé l’acquisition précoce d’une langue étrangère qui s’engage de 3-4 ans à la puberté, à l’acquisition de langue étrangère par adulte, démarrée après la puberté. Les différentes formes d’acquisition abordées ci-dessus pourraient se résumer par la figure suivante, adaptée selon le tableau de Klein (1989 : 28) Schéma I-1 (Acquisition des langues) La LE, en tant que langue que l’on souhaite apprendre, donc, l’objectif de l’acquisition, est aussi nommée langue cible. La langue source « fait référence à la langue déjà parlée par l’apprenant au moment où commence l’acquisition de la langue nouvelle » (Giacobbe, 1992 : 15). Notre étude a pour objet les étudiants chinois qui apprennent le français à partir des études universitaires, il s’agit donc d’une acquisition guidée du français LE (L2) par les adultes, avec le chinois en tant que LM (L1). Une autre distinction mérite d’être signalée : la « langue seconde », à la différence de la LE, se caractérise par ses fonctions sociales dans le pays et/ou région en question. Etant la plus importante après la langue maternelle, la langue seconde est « acquise en général dans un environnement social où on la parle » (Klein, ibid.), et sert notamment de support d’éducation, c’est le statut du français dans beaucoup de pays africains francophones, ou celui de l’anglais pour les habitants d’Inde où le hindi et l’anglais sont les langues officielles. Acquisition vs enseignement 15 L’acquisition de la LM renvoie à un processus naturel d’appropriation d’une construction langagière de manière progressive et inconsciente à travers la communication pratique et quotidienne. Selon Chomsky, il s’agit d’un mécanisme linguistique spécifique à l’espèce humain et à l’apprentissage linguistique, et qui préstructure fortement les propriétés de la grammaire (Klein, 1989 : 18). Alors que l’acquisition d’une LE par l’adulte commence après celle de la LM, autrement dit, le développement cognitif et social global de l’apprenant est en principe achevé, ce qui l’a doté de multiples connaissances sur le monde, autres que linguistiques. En outre, il a des connaissances générales, conscientes ou inconscientes sur la(les) langue(s) acquise(s) antérieurement. Dans le processus d’acquisition non guidé, la communication et l’acquisition sont étroitement liées l’une à l’autre: l’apprenant est amené à mobiliser ses connaissances linguistiques disponibles, souvent très restreintes et réduites parfois à des moyens non verbaux, pour se faire comprendre ; en même temps, les échanges communicatifs lui permettent de commencer à apprendre et à adapter progressivement son répertoire à la langue cible, en fonction des comportements linguistiques de l’entourage social. Dans l’acquisition guidée, l’enseignement joue un rôle primordial : l’apprenant est en contact avec des données linguistiques sélectionnées, ordonnées sous forme fortement métalinguistique, préparées et présentées par l’enseignant, et l’utilisation du répertoire linguistique est transformée en activités formelles, comme les exercices structuraux, les dictées, qui réservent une place centrale à la grammaire. Même dans les exercices oraux de communication, les situations sont conçues ou construites de façon planifiée pour simuler des scènes quotidiennes, mais l’enseignant s’intéresse avant tout à l’exactitude formelle de la langue, et non au succès de la communication, contrairement à ce qui se passe dans l’acquisition spontanée en milieu social. La distinction entre l’enseignement (enseigner) et l’acquisition (acquérir) réside dans le fait que le deuxième terme adopte la perspective de l’apprenant, et non celle de ceux qui l’aident dans cette tâche, enseignant ou entourage social. Les termes 16 « apprendre » et « apprentissage » sont aussi utilisés dans notre étude en tant que synonymes de « acquérir » ou de « processus d’acquisition ». Nous nous focalisons sur l’acquisition et non l’enseignement d’une L2, car au cours de l’apprentissage d’une langue, si l’enseignant est capable de déterminer les matériaux linguistiques, donc, la nature et le débit des connaissances linguistiques à transmettre et les activités d’apprentissage, c’est de l’apprenant que dépend la saisie de ce qui entre. Ellis a proposé « a computational model of L2 acquisition » pour illustrer le processus acquisitionnel d’une L2 (1997 : 35). Schéma I-23 (A computational model of L2 acquisition) Parmi les données linguistiques auxquelles est exposé l’apprenant (entrée), certaines sont saisies, c’est-à-dire transférées en mémoire à court terme, dont une partie est ensuite gardée et stockée dans la mémoire à long terme, en tant que connaissances linguistiques de la langue cible. Le processus acquisitionnel se compose ainsi des saisies des données linguistiques et la construction en connaissances en L2, et ce sont ces connaissances que l’apprenant mobilise lors de productions écrites ou orales (sortie). Dans une perspective psycholinguistique, l’acquisition des langues s’avère soumise à des lois précises, déterminée dans son développement, son rythme et son état final par divers facteurs, qui s’interagissent à l’intérieur de la « boîte noire » du processus acquisitionnel. Ce n’est pas un processus que l’enseignant arrive à contrôler ou domestiquer, mais les recherches sur les facteurs éventuels amènent à mieux connaître ce processus naturel, susceptible d’être optimisé avec l’enseignement en tant que tentative d’intervention. 3 Notre adaptation sur la base du tableau d’Ellis, dont les correspondances de termes sont : entrée – input ; intake – saisie ; L2 knowledge – connaissances en L2 ; sortie – output. 17 I. 2. Recherches de l’acquisition des langues étrangères : état des lieux La recherche de l’acquisition des langues étrangères « se propose de décrire, interpréter et expliquer les manifestations observables de la construction d’une compétence linguistique » (Py, 2000 : 395). Cette étude systématique portant sur la façon dont les apprenants acquièrent une LE est un phénomène relativement récent, qui s’est développé depuis le milieu du 20e siècle. I. 2.1 Analyse contrastive (les années 1950-60) Les années 1950-60 sont marquées par l’analyse contrastive, basée sur le structuralisme taxonomique et la théorie psychologique de behaviorisme qui décrit la langue comme « une structure d’habitudes 4 » ou « un filet de connexions associatives » (Chomsky, 1968 : 45). Apprendre une L2, c’est alors développer toute un nouveau système d’habitudes comportementales relatif à la situation externe. « L’acquisition d’une seconde langue est déterminée par les structures de la langue que l’on possède déjà » (Klein, 1989 : 40). Ainsi, la L1 joue un rôle primoridal qui conditionne le processus acquisitionnel. Contrastive analysis is a way of comparing languages in order to determine potential errors for the ultimate purpose of isolating what needs to be learned and what does not need to be learned in a second language learning situation. (Gass & Selinker, 2001 : 59) Selon cette hypothèse, les difficultés acquisitionnelles et les erreurs résident dans la divergence entre la langue de départ et la langue cible, d’où le « transfert négatif » ou « interférence » de la L1 sur la L2, et « le transfert positif » provient de la coïncidence de structure entre les deux langues. Nous recourons à la description de Gass & Selinker (2001 : 60) pour résumer l’anlayse contrastive: – 4 Contrastive analysis is based on a theory of language that claims that language is Notion of language as habit. 18 habit and that language learning involves the establishment of a new set of habits. – The major source of error in the production and/or reception of a second language is the native language. – One can account for errors by considering differences between the L1 and the L2. – A corollary to 3 is that the greater the differences, the more errors that will occur. – What one has to do in learning a second language is learn the differences. Similarities can be safely ignored as non new learning is involved. In others words, what is dissimilar between two languages is what must be learned. – Difficulty and ease in learning are determined respectively by differences and similarities between the two languages in contrast. L’analyse contrastive, étroitement liée à l’enseignement des langues étrangères, sert de base théorique surtout pour la préparation de matériaux linguistiques. D’après Fries, pionnier de la discipline, « The most effective materials are those that based upon a scientific description of the language to be learned, carefully compared with a parallel description of the native language of the learner » (1945 : 9). La comparaison ne se limite pas qu’à la grammaire, mais touche différents domaines des deux langues : systèmes de son, structures grammaticales, systèmes de vocabulaire, systèmes d’écriture et cultures5 (Lado, 1945). Si la théorie contrastive manifeste des intérêts purement linguistiques dans la planification de l’enseignement en s’appuyant sur une confrontation systématique de structure des deux langues en question, les interférences génératrices de difficultés ainsi pronostiquées ne correspondent pourtant pas aux comportements linguistiques des apprenants, observés dans la réalité de l’apprentissage. A cela une double raison, d’un côté, « les similarités et différences entre deux systèmes linguistiques et le traitement des moyens linguistiques dans la production et la compréhension réelles sont deux choses très différentes » (Klein, 1989 : 41) ; de l’autre, la théorie semble 5 Notre traduction, dont les termes d’origine sont respectivement « sound systems », « grammatical structures », « vocabulary systems », « writing systems » and « cultures ». 19 prendre l’acquisition pour un processus statique en ignorant totalement l’apprenant, acteur dynamique qui appréhende et intériorise les données linguistiques pour les mobiliser dans la compréhension et la production. I. 2.2 Analyse des erreurs (les années 1960-1970) L’analyse contrastive ne permet pas de prévoir toutes les erreurs des apprenants en L2, lesquelles méritent d’être analysées une fois produites. L’approche de l’analyse des erreurs s’est développée dans les années 60 « en s’inscrivant d’emblée dans le sillage de la linguistique appliquée » (Vogel, 1995 : 27). Les linguistes se tournent vers la théorie mentaliste ou nativiste pour savoir « how the innate properties of the human mind shape learning » (Ellis, 1997 : 32). L’approche de l’analyse des erreurs, centrée sur les écarts visibles par rapport à la norme usuelle de la langue cible, recèle bien des limites : les erreurs, prises de façon isolée, ne fournissent aucune indication sur ce que l’apprenant a appris en L2 ni sur la façon dont il mobilise et organise les moyens linguistiques, en d’auters termes, « les formes de non-utilisation, sur-utilisation ou sous-utilisation de règles et de structures de la langue cible ne sont pas prises en considération », de plus, « les études effectuées s’appuient principalement sur des données écrites et concernent des apprenants plutôt avancés » (Vogel, ibid.). Une relativisation s’avère nécessaire pour interpréter les erreurs dans un contexte linguistique naturel au lieu de les identifier seulement en fonction des normes et structures de la langue cible. Car, formellement fausses du point de vue grammatical, les erreurs peuvent « renseigner sur le trajet déjà parcouru par l’apprenant et celui qui lui reste à accomplir vers la langue cible » (Berthoud & Py, 1993 : 58). Elles se doivent ainsi d’être appréhendées en tant qu’« indices d’une construction psycholinguistique, c’est-à-dire une activité opératoire du sujet-apprenant » (ibid.), une manifesation même de l’activité d’appropriation. Comme disait Vogel, lorsque l’erreur manifeste un progrès dans la constuction de la langue : « l’erreur est alors positive » (1995 : 26). 20 I. 2.3 Interlangue (après 1970) L’identification d’erreurs isolées ne peut pas permettre de détecter la spécificité de la langue d’un apprenant. A partir des années 1970, le centrage de la recherche est placé sur l’apprenant avec l’élaboration d’un concept d’interlangue, par lequel nous entendons « la langue qui se forme chez un apprenant d’une langue étrangère à mesure qu’il est confronté à des éléments de la langue cible, sans pour autant qu’elle coïncide totalement avec cette langue cible » (Vogel, 19). Pour renvoyer à la langue de l’apprenant, plusieurs appellations ont été proposées : « compétence transitoire » et « dialecte idiosyncrasique » (Corder, 1967, 1971), « système approximatif » (Nemser, 1971), « compromise system » (Filipovic, 1971), « interlangue » (Selinker, 1972), « système intermédiaire » (Porquier, 1974), « système approché » (Noyau, 1976), ou plus récemment « lecte de l’apprenant » (Klein, 1989). La langue de l’apprenant, répondant à des caractéristiques définissables et prévisibles, s’avère à la fois variable et instable car elle progresse de façon continue vers une langue cible. Selinker s’est servi des termes psycholinguistiques pour encadrer l’interlangue : «Il existe une structure psychologique latente … qui est activée quand l’adulte cherche à produire, dans une L2 qu’il apprend, les significations dont il peut disposer » (1972 : 229). Cette « psychostructure latente » détermine génétiquement la langue de l’apprenant dans sa forme et sa substance, et se caractérise par cinq processus psycholinguistiques6 : - transfer de langue (language transfer) - transfert d’apprentissage (transfer of training) - stratégies d’apprentissage de L2 (strategies of second language learning) - stratégies de communication en L2 (strategies of second language communication) 6 surgénéralisation d’éléments linguistiques de L2 (overgeneralization of target Pour la traduction en français, cf. Noyau, 1980 : 45. 21 language material) La psycholinguistique « ne considère pas la langue comme une système autonome7 mais englobe l’utilisateur comme composante du système » (Vogel, 93-94). Dans cette perspective, l’investigation de l’interlangue ne porte plus exclusivement sur la compétence linguistique, mais sur l’ensemble du processus de l’apprentissage, considéré comme une suite de transitions, une avancée graduelle de la L1 vers la L2, qu’affectent diverses variables : selon les apprenants, dans le temps, par rapport aux situations de production, mais qui recèle une certaine systématicité. L’apprentissage des L2 est considéré comme un processus variable, non prédéterminé, qui se différencie qualitativement de l’acquisiton de la L1 et que l’on peut observer en contexte d’apprentissage guidé ou autonome. La recherche sur l’interlangue qui étudie aussi bien le développement d’une compétence linguistique que le comportement communicationnel dans la langue cible, implique la participation de plusieurs sciences : linguistique, psycholinguistique, psychologie de l’apprentissage, didactique, sciences de la communication. « La psycholinguistique ainsi que la recherche sur l’acquisition des langues, qui en est une branche, s’appuient sur des bases empiriques : leur champ ne se constitue que par le relevé et l’analyse de données empiriques » (Vogel : 95). Les recherches axées sur ce concept doivent analyser la langue de l’apprenant dans des contextes de discours ou de communication interactive et collecter des données à toutes les étapes de l’acquisition, dans une perspective synchronique et diachronique afin de saisir les conditions et les modalités de l’évolution de l’interlangue. De vastes enquêtes ont été ainsi réalisées dans l’acquisition des L2 par les adultes, surtout en milieu « naturel », dont l’enquête européenne de l’E.S.F. 8 , projet de recherche interlingue intitulé « Second Language Acquisition by Adult immigrant9 ». 7 8 9 La description de la langue comme système autonome est issue du courant structuraliste. European Science Foundation (Fondation Européenne de la Science), qui a financé la recherche. Second Language Acquisition by Adult immigrant. Ce projet a pour un tripe objectif : « cerner le procès et le rythme d’acquisition d’une langue étrangère, décrire des variétés d’apprenants et dégager les facteurs qui déterminent le procès d’acquisition en milieu non guidé » (Véronique, 1992 : 8 ). 22 La recherche a réuni de 1982 à 1992, soixante chercheurs de 5 pays européens, pour réaliser une étude longitudinale d’environs de 30 mois sur l’acquisition d’une langue étrangère en milieu exolingue par des apprenants adultes dans les 5 pays d’accueil10, en étudiant de façon coordonnée 40 apprenants de 6 L1 différentes acquérant l’anglais, l’allemand, le néerlandais, le français et le suédois. L’acquisition de L2 constitue aujourd’hui un champ de recherche qui contribue à une meilleure compréhension du langage et de l’activité cognitive humaine. Pourtant, en Chine, cette discipline n’a pas encore mérité autant d’attention, et les recherches ne s’arrêtent que dans le domaine de l’acquisition du chinois, en tant que L1 ou L2, ce qui est tout à fait normal dans un pays monolingue où l’apprentissage d’une L2 n’est qu’un phénomène récent. Les apprenants ayant peu d’occasion d’apprendre une langue autre que le chinois en milieu naturel, l’enseignement, qui constitue ainsi le seul moyen donnant accès à une L2, s’appuie encore sur l’analyse contrastive ou l’analyse des erreurs. Au fur et à mesure du développement économique et social du pays, le besoin de généraliser l’apprentissage des L2 se fait de plus en plus sentir. Ainsi, l’investigation de l’acquisition a une portée significative, car d’un côté, le changement d’optique amènera à observer de façon dynamique la construction des connaissances linguistiques chez l’apprenant, processus naturel que l’enseignement ne peut pas domestiquer, et de l’autre, les recherches sur les règles sous-jacentes du processus acquisitionnel permettront d’apporter des outils théoriques qui contribuent à l’enseignement pour mieux concervoir l’intervention sur l’acquisition. 10 Les cinq pays concernés sont : Grande-Bretagne, Pays-Bas, Allemagne, France et Suède. 23 Chapitre II Conceptualisation de la spatialité Spatial conceptualization is also an interesting domain through which to explore issues of cultural relativity, as it is clearly highly constrained by the nature of the physical world as well as by the nature of human psycho-biology. (Levinson, 1996 : 179) D’après Piaget, l’espace est « l’ensemble des rapports établis entre les corps que nous percevons ou concevons, ou pour mieux dire, l’ensemble des relations dont nous nous servons pour structurer ces corps, donc pour les percevoir et les concevoir » (1981: 1). L’intérêt d’une étude portant sur les moyens linguistiques employés pour exprimer la spatialité s’explique par le fait que la spatialité est une catégorie cognitive universelle et fondamentale dans tout processus de développement psycholinguistique. C’est un système que tout apprenant est appelé à intégrer et à utiliser. II. 1. La référence spatiale La référence spatiale constitue dans le langage une catégorie fondamentale de la référence déictique et non-déictique mettant en jeu la syntaxe, la sémantique et le lexique, selon un système de représentation, de catégorisation et de valeurs associées à des formes linguistiques. L’expression de la référence spatiale, constamment présente dans le discours, aborde les relations locatives que les entités concrètes de notre monde physique entretiennent entre elles, sur le plan statique ou dans une perspective spatio-temporelle de changement de lieu. Selon Talmy, « One main characteristic of language’s spatial system is that it imposes a fixed forme of structure on virtually every spatial scene » (2000a : 181). Bien que les langues varient quant à la façon dont elles expriment le mouvement et la 24 localisation, la référence spatiale se compose de trois éléments principaux dans toutes les langues, ce qui pourrait être présenté comme suit: Schéma II-1 (Référence spatiale) Référence spatiale Figure Figure (désormais Fg): relation Fond « a moving or conceptually movable entity whose site, path, or orientation is conceived as a variable the particular value of which is the relevant issue ». Fond (désormais Fd): « a reference entity, one that has a stationary setting relative to a reference frame, with respect to which the Figure’s site, path, or orientation is characterized » (Talmy, 184). Relation : prédicat statique ou dynamique qui marque les relations spatiales (localisation et/ou mouvement). Ici, le prédicat fait référence à la totalité du syntagme verbal. Le tableau ci-dessous englobe les propriétés de la Fg et du Fd, traduites de celles proposées par Talmy. Tableau II-1 (Propriétés de la figure et du fond) 25 II. 1.1 Les relations spatiales Dans le schéma de la référence spatiale, la Fg, « a moving or conceputally movable object whose path or site is at issue », incarnée très souvent par un objet ou un personnage, se manifeste comme une entité dynamique, et le Fd, « a reference frame, or a reference object stationary within a reference frame » (Talmy, 2000b : 26), constitue en général une entité statique sous forme d’appartenant à un paysage ou arrière-plan du procès. Sur le plan grammatical, la Fg et le Fd sont très souvent incarnés par une entité nominale (nom ou expression nominale). Dans le schéma, la Fg et le Fd étant deux composants relativement stables, les relations entre ces deux composants, exprimées au moyen de différents types de prédicats, s’avèrent dynamiques et variables. Les relations constituent ainsi le noyau de la référence spatiale. Il existe 3 types de relations spatiales entre la Fg et le Fd : la localisation statique (a), la localisation dynamique (b) et déplacement avec franchissement de bornes (c). Nous allons illustrer ces trois relations à travers des exemples en français et en chinois11, deux langues impliquées dans notre étude. a) Localisation statique→prédicat statique (1). Le chat est devant/dans la maison. (1’). 猫 在 屋子 里/前。 māo zài wūzī lǐ/qián chat – (être) à – maison – dans/devant « Le chat est dans/devant la maison. » Le chat, localisé par rapport à la maison, reste fixe dans l’espace. Le rapport spatial entre le chat et la maison est représenté par la préposition (devant/dans) en français, et par la structure locative, composée de préposition 在-zài (à) et de locatif 里-lǐ (dans) /前-qián (devant) en chinois. En français : 11 Les exemples en chinois sont codifiés par « ‘». 26 [Le chat (Fg) + être devant, dans + la maison (Fd)] En chinois : [ māo (Fg) + zài (à) + wūzī (Fd) + lǐ/qián (locatif)] b) Localisation dynamique12→prédicat dynamique (2). Le chat s’amuse devant/dans la maison. (2’). 猫 在 屋子 里/前 玩耍。 māo zài wūzī lǐ/qián wánshuǎ Chat – (être) à– maison – dans/devant – s’amuser. « Le chat s’amuse dans/devant la maison. » Quand le chat s’amuse, il peut se déplacer un peu partout, tout en restant à l’intérieur des bornes définies par la maison. Le rapport entre la Fg et le Fd est indiqué par la préposition (devant/dans) en français, et par la structure locative (在-zài…+里-lǐ /前 qián) en chinois. En français : [Le chat (Fg) + s’amuse devant, dans + la maison (Fd)] En chinois : [māo (Fg) + zài (à) – fángzī (Fd) – lǐ/qián (locatif) + wánshuǎ] c) Déplacement avec changement de lieu→prédicat dynamique avec franchissement de frontière (3). Le chat est sorti de la maison en courant. (3’). 猫 跑 出 屋子。 māo pǎo chū wūzī chat – courir – sortir – maison. « Le chat est sorti de la maison en courant. » Le chat a effectué cette fois un déplacement en changeant de lieu. Le Fd servant de lieu source (de la maison vers l’extérieur), la trajectoire du déplacement est incarnée par le verbe de mouvement sortir, et le gérondif est considéré comme une structure 12 Ou déplacement sans changement de lieu. 27 subordonnée à « le chat est sorti de la maison », mettant en relief la manière du déplacement courir. En chinois, 跑-pǎo, verbe insistant sur la manière du mouvement, précède le verbe de déplacement sortir. Il s’agit d’une construction verbale sérielle (CVS), « une construction syntaxique dans laquelle plusieurs verbes sont accolés en séquence mais se comportent comme une seule unité verbale, et du point de vue sémantique, elles renvoient à un événement unique » (Frawley13). En français [Le chat (Fg) + est sorti de + la maison (Fd)] + [en courant] En chinois : [mao1(Fg) + pǎo (courir) + chū (sortir) + wūzī (Fd)] II. 1.2 La localisation Comme nous pouvons constater, les relations de localisation (statique ou dynamique) sont incarnées en français par des prépositions spatiales, et en chinois, par des locatifs. II. 1.2.1 Les prépositions de lieu en français Les relations de localisation s’expriment essentiellement à travers des verbes et des prépositions de lieu. Dans la localisation statique, le prédicat se construit soit avec un verbe statif dont le prototype est le verbe être, soit avec le présentatif il y a. Les verbes locatifs statiques peuvent être : se trouver, se situer, être placé, etc., ou des verbes comportant des traits dimensionnels et orientationnels relatifs au sujet, tels que s’étendre, se dresser, s’étaler, se tenir, etc. (Borillo, 1998 : 15) . Dans la localisation dynamique, le déplacement se réalise tout en restant dans un même lieu établi, même si la figure a changé d’emplacement, le lieu de référence reste le même. Dans ce type de relation, les prédicats les plus fréquents sont : parcourir, 13 cité par Noyau & Takassi (2005). 28 arpenter, escalader, nager (dans), flotter sur, glisser sur, marcher/courir (dans/le long de), etc. Les prépositions de lieu incarnent deux types de relations, nous revenons à l’exemple (1) Le chat est dans/devant la maison. - Relations topologiques : la Fg est « donnée comme partageant avec le fond, en totalité ou en partie, une même place dans un rapport de porteur/porté ou une même zone dans un rapport d’inclusion, partielle ou totale » (Borillo : 32). C’est le cas de « le chat dans la maison ». Les prépositions topologiques sont : à, sur, dans, avec en et chez comme deux variantes de dans. - Relations projectives : la Fg « mise en relation avec le fond se situe dans une portion d’espace extérieure à lui, mais localisable à partir de lui, de sa ‘place’, des ses traits de dimension, de forme et d’orientation » (Borillo, ibid.), c’est le cas de « le chat devant la maison ». Les prépositions projectives ne forment pas une catégorie homogène et s’avèrent diversifiées sous angle de propriétés incarnées : Orientation : devant, derrière, à côté de, sous, au-dessous de, au-dessus de, à droite de, à gauche de, au sud de, au nord de, etc. Dimension : à l’extérieur de, autour de. Distance : près de, loin de. II. 1.2.2 Les locatifs en chinois La structure locative du chinois est généralement composée d’une préposition de lieu (dans les exemples 1’et 2’, 在-zài ‘à’), d’un nom qui sert de Fd, et d’un locatif14 qui exprime la position relative des choses. Le locatif suit toujours le Fd (Peyraube, 2004). 14 Locatif en chinois, 方位词 : fāngwèi - cí ‘localisation – mot’ 29 [(préposition de lieu)15 + Fd + locatif] structure locative Il existe une dizaine de locatifs monosyllabiques en chinois qui sont les plus fréquents16. Ils peuvent devenir bissyllabiques en ajoutant un suffixe (边-biān ou 面miàn représentant le côté ou la surface) ou un préfixe (以-yǐ ou 之-zhī, employés avec un mot indiquant la direction17), comme ce qu’illustre le tableau suivant: Tableau II-2 (Locatifs chinois) Formes Formes composées Equivalent français simples …+边 biān …+面 miàn 之 zhī+… 以 yǐ+… 上 shàng 上边 shàngbiān 上面 shàngmiàn 之上 zhīshàng 以上 yǐshàng 下 xià 下边 xiàbiān 下面 xiàmiàn 之下 zhīxià 以下 yǐxià 里 lǐ 里边 lǐbiān 里面 lǐmiàn Ø Ø 内 nèi Ø Ø 之内 zhīnèi 以内 yǐnèi 外 wài 外边 wàibiān 外面 wàimiàn 之外 zhīwài 以外 yǐwài A l’extérieur, hors de 前 qián 前边 qiánbiān 前面 qiánmiàn 之前 zhīqián 以后 yǐhoù Devant 后 hoù 后边 hoùbiān 后面 hoùmiàn 之后 zhīhoù 以后 yǐhoù Derrière 左 zuǒ 左边 zuǒbiān 左面 zuǒmiàn Ø 以左 yǐzuǒ A gauche 右 yoù 右边 yoùbiān 右面 yoùmiàn Ø 以右 yǐyoù A droite 东 dōng 东边 dōngbiān 东面 dōngmiàn Ø 以东 yǐdōng A l’est 南 nán 南边 nánbiān 南面 nánmiàn Ø 以南 yǐnán Au sud 西 xī 西边 xībiān 西面 xīmiàn Ø 以西 yǐxī A l’ouest 北 běi 北边 běibiān 北面 běimiàn Ø 以北 yǐběi Au nord 之中 zhīzhōng Ø 之间 zhījiān Ø Ø Ø 中 zhōng 间 jiān 旁 páng 中间 zhōngjiān 旁边 pángbiān Ø Sur, dessus, au-dessus Sous, dessous, au-dessous Dedans, à l’intérieur Au milieu, entre, parmi A côté de II. 1.3 Le déplacement Les langues se différencient par la façon dont elles distribuent différents types d’informations dans l’énoncé. Tel est le cas entre le français et le chinois dans l’expression du déplacement, surtout quant à la manière du mouvement, dans l’exemple en français (3), la manière, indiquée par un gérondif en courant, se 15 Les prépositions de lieu les plus fréquentes sont 在-zài ‘à’ (comme dans les exemples), et 从-cóng ‘(à partir) de’. La préposition de lieu n’est pas un élément indispensable dans la localisation en chinois, surtout dans les constructions existentielles. 16 Indiqués dans la colonne surlignée. 17 Les suffixes et les préfixes sont mis en gras dans le tableau. 30 subordonne à la structure principale, alors que dans l’exemple en chinois (3’), la manière courir précède le verbe du déplacement, constitue une partie intégrante de la construction verbale sérielle. Les langues diffèrent les unes des autres quant à l’expression du mouvement. Talmy a proposé, en fonction des schèmes de lexicalisation des procès, de catégoriser les langues en 2 types : Verbe-Framed languages et Satellite-Framed languages (1975, 2000). La dichotomie talmienne basée sur le « basic motion event » , se focalise sur l’expression de la trajectoire dans le procès du mouvement. II. 1.3.1 Langues à cadrage verbal (verb - framed languages) Langues à cadrage verbal (désormais Lg-V) : les langues « centrées sur » la racine verbale, autrement dit, dans l’expression du mouvement, les Lg-V encodent la trajectoire et le mouvement dans la racine verbale, la manière du mouvement est indiquée par une structure périphérique, attachée au noyau verbal. Les langues romanes sont des langues centrées sur le verbe, dont le français. Dans les Lg-V, les expressions périphériques, incarnées souvent par le gérondif ou des locutions adverbiales, servent à spécifier ou à souligner la manière du mouvement. Dans l’expression du mouvement, les constructions périphériques constituent un élément facultatif. (4). Il a traversé la rivière à la nage. [Il (Fg) + traverser (trajectoire) + la rivière (Fd)] + [à la nage] (5). Elle est rentrée à pied. [Elle (Fg) + rentrer (trajectoire) + Ø (Fd)] + [à pied] (6). Il s’approche en boitant. [Il (Fg) + s’approcher (trajectoire) + Ø (Fd)] + [en boitant] Dans (4)-(6), les expressions sur la manière (en gras) se subordonnent à la structure principale de mouvement traverser, rentrer, s’approcher. Il est à noter que dans 31 (5)-(6), le Fd est absent. Dans un énoncé donné dont le Fd s’avère explicite aux locuteurs, ce dernier pourrait être supprimé et négligé. Il s’agit surtout des verbes intransitifs dans ces cas. II. 1.3.2 Langues à codage sur le satellite (satellite - framed languages) Langues à codage sur le satellite (désormais Lg-S) sont les langues centrées sur les satellites verbaux, plus précisément, celles où dans la lexicalisation du procès, la racine verbale exprime la manière du mouvement, tandis que les autres informations spatiales telles que trajectoire, deixis, direction sont indiquées dans des satellites du verbe. L’anglais est une Lg-S par excellence, les satellites en anglais sont incarnés par des particules verbales tels que away, up, out, etc. Le chinois est considéré par Talmy comme « a strongly satellite-framed language » (2000c : 272). Grâce à la construction verbale sérielle (CVS), le chinois pourrait amalgamer, dans une même proposition relative au mouvement, plusieurs verbes véhiculant différentes informations telles que trajectoire, manière, cause, etc. Les satellites en chinois sont incarnés par des verbes directionnels. En chinois, il existe 24 verbes directionnels qui pourraient se décomposer en 3 groupes (Ma, 1994) : ¾ L’emplacement du locuteur sert de repère pour l’indication de la direction. 来-lái ‘venir’ 去-qù ‘aller’ ¾ L’endroit où se trouvait la personne ou l’objet avant son déplacement sert de repère pour l’indication de la direction. 上-shàng ‘monter’18 回-huí ‘rentrer’ 下-xià ‘descendre’ 过-guò ‘passer, traverser’ 18 Il est à noter que 上-shàng pourrait être locatif ou verbe directionnel suivant les cas. Quand 上-shàng précède le fond, il s’agit d’un verbe directionnel dans le sens de monter, quand il se situe après le fond, il s’agit d’un locatif. Il en va de même pour 下-xià. 32 进-jìn ‘entrer’ 起-qǐ ‘lever’ 出-chù ‘sortir’ 开-kāi ‘ouvrir, conduire’ ¾ Qualifiés de verbes directionnels composés, les verbes sont tous issus de la combinaison des verbes simples des deux groupes ci-dessus. La direction qu’ils expriment est en rapport à la fois avec la position de l’énonciateur et avec l’orientation du déplacement effectué. Tableau II-3 (Verbes directionnels composés en chinois) 来 lái ‘venir’ 去 qù ‘aller’ 上 shàng ‘monter’ 上来 shànglái ‘monter’ 上去 shàngqù ‘monter’ 下 xià ‘descendre’ 下来 xiàlái ‘descendre’ 下去 xiàqù ‘descendre’ 进 jìn ‘entrer’ 进来 jìnlái ‘entrer’ 进去 jìnqù ‘entrer’ 出 chù ‘sortir’ 出来 chūlái ‘sortir’ 出去 chūqù ‘sortir’ 回 huí ‘rentrer’ 回来 huílái ‘revenir’ 回去 huíqù ‘retourner’ 过 guò ‘passer, traverser’ 过来 guòlái ‘s’approcher’ 过去 guòqù ‘s’éloigner’ 起 qǐ ‘lever’ 起来 qǐlái ‘se lever’ - 开 kāi ‘ouvrir, conduire’ 开来 kāilái ‘arriver’ - Les mouvements en s’approchant du locuteur Les mouvements en s’éloignant du locuteur Dans les exemples chinois correspondant à (4)-(6), nous avons surligné en gris l’expression de manière et mis en gras la trajectoire. (4’). 他 游 过 河。 tā yoú guò hé il – nager – traverser – rivière. « Il a traversé la rivière à la nage .» [Tā (Fg) + yoú (manière) guò (trajectoire) + hé (Fd)] (5’). 她 tā 走 回去。 zǒu huíqù elle – marcher à pied – rentrer « Elle est rentrée à pied. » [Tā (Fg) + zǒu (manière) huíqù (trajectoire) + Ø (Fd)] (6’). 他 跛 着 过来。 33 tā bǒ zhe guòlái il – boiter – (dur.19) – s’approcher « Il s’approche en boitant. » [Tā (Fg) + bǒzhe (manière) guòlái (trajectoire) + Ø (Fd)] II. 1.3.3 Le déplacement en français et en chinois : Lg-V vs Lg-S Si nous comparons les exemples (3)-(6) avec (3’)-(6’), nous pouvons constater que les différences quant à la désignation du procès en chinois et en français sont les suivantes : - En français, le mouvement et la trajectoire sont indiqués conjointement par un verbe, alors qu’en chinois, le mouvement et la trajectoire sont incarnés par la construction verbale sérielle, composée d’un verbe de manière et d’un verbe directionnel. - En français, la manière du mouvement, sous forme d’une construction périphérique, se situe à une place secondaire et est optionnelle, alors qu’en chinois, la manière, incarnée par un verbe indépendant, est placée toujours avant le verbe directionnel marquant la trajectoire. Entre le verbe de manière et le verbe directionnel, « on ne peut pas identifier un verbe principal de la série et des verbes qui lui seraient subordonnés » (Noyau & Takassi, 2005), car dans une CVS, les verbes de la série sont co-prédiqués, donc d’égale importance dans le message. Les schèmes de lexicalisation du procès dans ces deux langues pourraient se résumer comme suit : En français : [Fg + Verbetrajectoire + Fd] + [manière] En chinois : [Fg + Verbemanière + Verbetrajectoire + Fd] 19 Marque aspectuelle du duratif et du progressif. Nous y reviendrons dans IV.2.3, p.70. 34 II. 2. La langue et la pensée The world does not present « events » and « situations » to be encoded in language. Rather, experiences are filtered through language into verbalized events. (…) the expression of experience in linguistic terms constitutes thinking for speaking – a special form of thought that is mobilized for communication. (…) « Thinking for speaking » involves picking those characteristics of objects and events that (a) fit some conceptualization of the event, and (b) are readily encodable in the language. (Slobin, 1996a : 76) Pour Humboldt, « la langue est l’organe qui produit-forme-génère la pensée20». La langue est perçue comme un élément constitutif de la pensée. La fonction primordiale du langage, le sens du langage, c’est la « formation de la pensée », la cognition, et non pas la communication (Meschonnic, 1995 : 55). C’est le sens du langage qui effectue l’union entre la perception du monde extérieur et l’entendent, le monde intérieur de l’homme. Le langage étant « miroir de l’esprit » (Chomsky, 1977 : 12), chaque communauté linguistique incarne une vision du monde bien distincte. « Sous l’angle de cognition, la diversité des langues, en tant que multiplicité de visions du monde, est une richesse » (Meschonnic : 56). Every language is a vast pattern-system, different from others, in which are culturally ordained the forms and categories by which the personality not only communicates, but also analyzes nature, notices or neglects types of relationship and phenomena, channels his reasoning and builds the house of his consciousness. (Whorf, 1956 : 252) « Toute action exercée par la parole est toujours un produit commun de l’esprit et de la langue » (Humboldt, 1969 : 17). La conceptualisation est véhiculée par la langue à 20 « Die Sprache ist das bildende Organ des Gedanken », traduction de Chambrolle-Cerretini, dans La vision du monde de Wilhelm Von Humboldt (2007). 35 travers son mode d’expression. « La perception même que l’homme a du monde environnant est programmée par la langue qu’il parle. L’esprit de l’homme enregistre et structure la réalité externe en accord strict avec le programme, deux langues différentes étant souvent susceptibles de programmer le même groupe de faits de manière tout à fait différente » (Whorf, cité par Hall, 1971). Le chinois, langue isolante à la morphologie très pauvre qui n’a « à parler grammaticalement, point de verbe fléchi » (Humboldt, 1969 : 74), s’avère très éloigné du français. La différence entre ces deux langues réside non seulement dans le système linguistique21, mais aussi dans la conceptualisation traduite par les modes d’expression pour renvoyer à un même référent : quand les Français « gardent les moutons », les Chinois « libèrent les moutons » (放羊 : fàng-yáng ‘libérer-mouton’) , les deux peuples n’interprètent pas la même action sous même angle ; tandis que les Français emploient la défense pour désigner la dent saillante de certains mammifères tels que sanglier, éléphant, les Chinois l’appellent 长牙 (cháng-yá ‘long – dent’) , ainsi, les Français se focalisent sur la fonction, alors que les Chinois s’intéressent à la forme. La langue étant un produit socio-historique, la perception est souvent liée à la civilisation. Les apprenants chinois ont toujours du mal à retenir le mot soutien-gorge, à cela une double explication, d’un côté, ils ne savent pas qu’ici la gorge renvoie en effet aux seins des femmes, de l’autre, c’est parce que le soutien-gorge pour les Chinois, comme son nom l’indique, 胸罩(xiōng-zhào ‘poitrine – couvrir’), sert avant tout à ne pas faire voir (couvrir) les seins aux autres au lieu de soutenir la poitrine, car à l’époque, il était humiliant pour les Chinoises de montrer les seins. Pourtant, au fur et à mesure du développement social, les pensées subissent aussi des changements, les Chinois se servent maintenant d’un autre terme pour indiquer le soutien-gorge : 文胸-wénxiōng, dont le premier caractère 文-wén est susceptible d’être interprété en tant que verbe (décorer) ou comme nom (renvoyant à la civilisation). L’évolution de la désignation reflète ainsi un changement de l’esprit des Chinois. 21 Nous l’aborderons dans III.3.1, p.48. 36 Il en va de même pour l’espace que les Français et les Chinois ne visualisent pas toujours de la même façon. Prenons l’exemple de l’image suivante : Pour situer le passant, les Chinois disent 在街上(zài-jiē-shàng ‘(être) à - rue - sur’) « sur la rue », alors que les Français, « dans la rue ». La différence réside dans la perception du Fd (la rue) : si les Chinois utilisent le locatif 上-shàng ‘sur’ pour incarner la relation spatiale entre le passant et la rue, c’est parce qu’ils se focalisent sur la surface du Fd (deux dimensions), alors que les Français prenant la rue et ses constructions environnantes pour le Fd (ainsi trois dimensions), localisent le passant « dans » cet espace. La conceptualisation différente constituerait un obstacle dans l’acquisition des prépositions spatiales en français : les apprenants chinois ont l’habitude de dire en français « aller dans la ville », au lieu de « aller en ville », malgré la réitération des enseignants. Finalement, ces derniers ont trouvé la réponse dans la désignation en chinois du procès aller en ville, laquelle, aux yeux des Chinois, reflète l’image suivante : Le procès s’exprime en chinois : 进城 : jìn - chéng ‘entrer - ville’. 37 Ici 城-chéng ‘ville’ ne renvoie pas à n’importe quelle ville, mais à la cité fortifiée, parce qu’autrefois, toutes les grandes villes chinoises étaient fortifiées de murailles, 进城 (jìn-chéng ‘entrer – ville’) désignait un déplacement pour pénétrer « dans » l’enceinte de la cité, c’est pour cela qu’en chinois, le mouvement est incarné par le prédicat 进-jìn ‘entrer’. Au fil du temps, les murailles qui avaient entouré les cités ont été détruites successivement, mais l’image mentale correspondante persiste dans la conceptualisation des Chinois, et elle amène les apprenants chinois à utiliser « dans » en tant que préposition dans la désignation de ce procès. « Languages differ from one another not only in the presence or absence of a grammatical category, but also in the ways in which they allocate grammatical resources to common semantic domains » (Slobin, 1996a : 83). Sur le plan de l’expression du mouvement, le français diffère aussi du chinois. Selon la dichotomie typologique de Talmy, lors de la désignation d’un procès de déplacement, le français (Lg-V) exprime la trajectoire dans la racine verbale, alors que le chinois (Lg-S), pour renvoyer au même procès, indique la trajectoire dans les verbes directionnels attachés au verbe de manière22. Selon Slobin, « each native language has trained its speakers to pay different kinds of attention to events and experiences when talking about them » (1996a : 89). Acquérir une L2 consiste non seulement à apprendre à utiliser de nouveaux moyens linguistiques, mais aussi à adopter une nouvelle façon de ‘penser pour parler’ (thinking for speaking), une façon différente de celle que nous avons acquise et expérimentée lors de l’acquisition initiale du langage, celle de la L1. « La construction du système sémiotique de la langue 2 ne peut se voir comme un simple passage entre langue 1 et langue 2, mais implique une reconstruction à partir de la conceptualisation du monde » (Noyau, 2003). 22 Que nous venons de traiter dans II.1.3, p.30. 38 Chapitre III Contexte de l’étude III. 1. L’état de l’enseignement du français en Chine Dans l’enseignement des langues étrangères en Chine, l’anglais occupe une place dominante. Si la langue étrangère est une matière obligatoire dès le primaire, l’anglais constitue le seul choix dans la quasi-totalité des établissements scolaires, et il fait partie des épreuves obligatoires au concours national d’entrée à l’université (Gaokao). A part l’anglais, en termes de nombre d’apprenants, le russe et le japonais sont en tête des langues étrangères enseignés en Chine qui voisine avec les deux pays, suivis d’assez loin par le français et l’allemand. Dans la région Nord-Est, le russe et le japonais ont même été intégrés dans les épreuves optionnelles de Gaokao vu le nombre d’apprenants. En Chine, l’enseignement du français est assuré par différents établissements. - Le secondaire Etant donné le statut de l’anglais, seul une vingtaine d’écoles secondaires spécialisées en langues étrangères sont autorisées à enseigner le russe, le japonais, le français et l’allemand, à un nombre très restreint d’élèves. Lors du choix des études supérieures, les candidats qui maîtrisent une autre langue que l’anglais s’orientent en général vers une discipline correspondant à leur parcours linguistique dans le secondaire, donc très souvent dans les départements de langues aux universités. - Le supérieur C’est dans le supérieur que commence en général l’enseignement du français. Ceci dit, l’acquisition/apprentissage du français ne débute qu’à l’âge de 18 ans23. Le 23 Après Gaokao. En Chine, les cycles d’enseignement primaire et secondaire durent chacun 6 ans et le primaire commence en général à l’âge de 6 ans. 39 français, considéré comme « la plus belle langue du monde » par la plupart des étudiants qui l’ont choisi, est enseigné dans les universités sous deux formes : comme spécialité d’études ou en tant que deuxième langue étrangère après l’anglais. Le premier cas ne concerne qu’un certain nombre d’universités en regroupant les apprenants dits spécialisés en français, alors que le second recouvre la majorité des universités chinoises. Spécialité d’études Les étudiants choisissent le français comme spécialité de leurs études supérieures, et ils s’initient au français dès la 1ère année, en vue d’un diplôme de licence « en langue et littérature françaises » à la fin de 4 ans d’études intensives. C’est cette forme d’apprentissage du français qui fera l’objet de notre recherche. Deuxième langue étrangère Les étudiants apprennent le français en tant que deuxième langue étrangère en suivant en principe 4 heures de français par semaine pendant 2 ans. Rarement intégré dans le cursus d’autres spécialités, le français constitue très souvent un cours à option pour les étudiants majoritairement anglicistes. - Autres établissements où est enseigné le français Avec les échanges qui ne cessent de se multiplient entre la Chine et la France dans tous les domaines, et le nombre croissant des élèves qui veulent poursuivre leurs études en France et dans d’autres pays francophones (la Belgique et le Canada), les cours de français sont de plus en plus demandés en dehors de l’enseignement secondaire et supérieur, on assiste ainsi à un développement rapide des centres de formation de français ces dernières années. Alliances françaises En Chine, la première Alliance Française n’a été ouverte qu’en 1989, et on en compte actuellement 15 en Chine continentale, dont « pas moins de dix ont été créées au 40 cours des ces dix dernières années, un rythme unique au monde24». Toutes ces antennes fournissent un éventail de programmes, de petits modules de 50 heures, au cursus complet comportant 500 heures en tout, tout cela en vue de répondre aux différents besoins. Centres de formation Si l’Alliance française attire beaucoup de jeunes, qui visent à continuer leurs études en France ou dans d’autres pays francophones, et qui apprécient ainsi l’enseignement du français assuré en grande partie par des professeurs français, restent nombreux les adultes qui veulent aussi apprendre cette langue pour diverses raisons, dont le besoin professionnel dans la plupart des cas. Comme les cours de français se déroulent en général en semaine où ces adultes travaillent, ces derniers se tournent vers les centres de formation privés ou semi-publics dépendant des universités qui assurent l’enseignement du français avec plus de souplesse, surtout grâce à des modules en week-end. III. 2 L’enseignement du français dans le supérieur en Chine Notre étude portant sur l’acquisition du français chez les étudiants chinois se focalise sur les apprenants qui se spécialisent en français dans le supérieur. Par rapport aux étudiants apprenant le français en tant que deuxième langue étrangère, les étudiants qui font l’objet de notre recherche, moins nombreux sans doute, se montrent plus performants du point de vue linguistique, ce qui constitue d’ailleurs leur principal atout sur le marché du travail. III. 2.1 Evolution de l’enseignement du français Actuellement, on enregistre dans les établissements supérieurs relevant du Ministère de l’éducation nationale ou des commissions d’éducation à l’échelle provinciale ou municipale, 78 départements spécialisés en français, lesquels regroupent quelques 700 enseignants. Pour chaque promotion, on compte au total de l’ordre 1000 24 « L’Alliance française en Chine ou l’art de communiquer » in La Chine au présent 48° (2010). Les 15 Alliances sont réparties respectivement à Hongkong, Macao, Pékin, Dalian, Shanghai, Wuhan, Chengdu, Chongqing, Hangzhou et Guangzhou (Canton). Il y en a aussi 2 à Taiwan. 41 étudiants, 80 chercheurs en maîtrise et 7 doctorants. Parmi les 78 établissements, c’est l’Université de Pékin qui a commencé en premier son enseignement du français en tant que discipline à part entière en 1898, alors que pour le reste, il faut attendre la fondation de la République populaire de Chine. De 1949 jusqu’à nos jours, nous pouvons distinguer 4 étapes de développement de l’enseignement du français dans le supérieur. A. 1949-1966 Pendant cette période, 13 établissements supérieurs ont créé le département de français, dont 3 sont des universités dites multidisciplinaires, pour le reste, il s’agit des instituts spécialisés soit en langues étrangères, soit en relations internationales. Du point de vue géographique, ces établissements répartis essentiellement sur la côte littorale de Chine, se trouvent dans les grandes villes : Pékin (5), Shanghai (2), Canton (2), Nankin (1), Xi’an (1), Luoyang (1) et Chongqing (1). B. 1966-1978 L’année 1966 marque le commencement de la révolution culturelle en Chine, laquelle a bouleversé tout le pays, paralysant l’éducation à tout niveau. Il faut attendre jusqu’à l’année 1972 pour que 10 nouveaux départements de français soient créés au sein des établissements supérieurs. Ce qui caractérise cette période, c’est que les départements s’étendent sur les universités et les écoles normales, et non plus exclusivement dans les instituts spécialisés en langues. C. 1978-1999 Grâce à la réforme et l’ouverture à partir de l’année 1978, la Chine, bénéficiant d’une diversification des échanges internationaux, a connu un essor économique sans précédent, et aussi une demande croissante des talents compétents en langues étrangères. L’enseignement du français n’a pas eu d’épanouissement, contrairement à ce que l’on s’attendait. Pendant cette période, on ne compte que 7 nouveaux départements de français, dont 6 ouverts dans les années 90, avec toujours un nombre 42 restreint d’étudiants. D. Après 1999 L’enseignement du français connaît un vrai essor, qui s’explique notamment par le fait qu’à partir de 1999, les établissements supérieurs sont autorisés à recruter autant d’étudiants qu’ils veulent, un droit réservé jusqu’alors au Ministère de l’éducation nationale. Depuis, le nombre des disciplines et des étudiants ne cesse de croître en milieu institutionnel, ce qui a aussi contribué au développement de l’enseignement du français : 10 nouveaux départements de français en 6 ans, nombreux sont ceux figurés sur la liste d’attente. De plus en plus d’étudiants ont choisi de s’initier au français durant les 4 ans d’études universitaires. Prenons comme exemple le département de français de l’Université des Langues étrangères (désormais Beiwai) : en 1996, l’année où l’auteur de la présente thèse a commencé ses études de français, on ne comptait que 36 étudiants dans chaque promotion alors qu’en 2002, l’année où l’auteur y a commencé son travail en tant qu’enseignante, chaque promotion comptait 72 étudiants. Le nombre des étudiants a ainsi doublé en 6 ans. Les chiffres sont parlants. III. 2.2 Le déroulement des études spécialisées Les études spécialisées en français se déroulent en 4 ans dans le supérieur. Les 78 départements recensés se diffèrent l’un de l’autre quant à la façon d’enseigner la langue, ce n’est pas dans le but de la présente thèse de les distinguer. Beiwai est qualifiée d’université « d’excellence » dans le domaine d’enseignement des langues étrangères au niveau national. Son département de français, créé en 1950, sert depuis de longue date de modèle dans l’enseignement du français grâce à ses expériences et sa méthode25. Un aperçu de l’organisation du cursus et le déroulement des études à Beiwai permet de connaître l’état actuel de l’enseignement du français dans le pays. 25 Le français conçu par Beiwai (publié en 1991 et renouvelé en 2008) sert de méthode pour la plupart des départements de français en Chine. 43 - Cursus universitaire Les 4 années universitaires se composent de 2 phases : la première en vue de transmettre les connaissances élémentaires du français, alors que la seconde vise à enrichir les connaissances générales sur le français et la France chez les étudiants. La 1ère phase (2 ans) : en 1ère année, les étudiants suivent 16 heures de français par semaine, et en 2e année, les heures de cours diminuent : s’ajoutent à 8 heures de cours élémentaire, 2 heures de « lecture en français » et 2 heures de « travail au laboratoire audition ». La 2e phase (2 ans) : à partir de la 3e année, les études se diversifient dans différents domaines. Avec toujours le français comme support, les étudiants suivent des cours obligatoires : lecture analytique (4h 26 ), traduction (2h), cours audiovisuel (2h), littérature française (2h), presse française (2h) et ils peuvent aussi choisir entre civilisation française (2h) et commerce en français (2h). Les différentes matières sont destinées à approfondir les connaissances déjà acquises et à généraliser la culture française. Les étudiants de 3e année ont en moyenne 14 heures de cours en français. La dernière année consacrée essentiellement au stage et à la recherche de travail comprend moins de cours de français : politique internationale (2h), écriture en français (2h), interprétation (2h), traduction (2h). Les cours se terminent en principe en mars et les étudiants, censés disposer d’une bonne maîtrise du français sur le plan oral et écrit, préparent un petit mémoire de 20-30 pages, et ils obtiennent un diplôme de licence de la langue française après la soutenance qui a lieu fin mai. - Méthodes En 2001, l’Association de l’enseignement du français en Chine a effectué une enquête sur les méthodes utilisées parmi 26 départements de français, les résultats montrent que les deux tiers ont choisi la méthode Le français. Rares sont ceux (2 sur 26) qui ont recours à une méthode étrangère. 26 4h : 4 heures de cours ; 2h : 2 heures de cours. 44 1ère phase : Le français, composé de 4 tomes, réserve une place primordiale à la grammaire : chaque leçon présente les règles grammaticales d’une façon explicite, et le texte est conçu en vue de les mettre en pratique. Les éléments grammaticaux sont introduits durant la lère phase selon l’ordre suivant : Tableau III-1 (Eléments grammaticaux de la méthode Le français) 1ère année universitaire (Le français) 1 semestre 2e semestre (tome 1 : 18 leçons) (tome 2 : 18 leçons)s er Phonétique Présent de l’indicatif Passé composé Imparfait de l’indicatif Futur simple Plus-que-parfait Voix passive Conditionnel présent Futur dans le passé 2e année universitaire (Le français) 1 semestre 2e semestre (tome 3 : 16 leçons) (tome 4 : 16 leçons) er Passé simple Futur antérieur Passé surcomposé Passé antérieur Subjonctif présent Conditionnel passé Imparfait du subjonctif plus-que-parfait du subjonctif Concordance des temps Dans Le français, chaque leçon est constituée de dialogues ou de textes, conçus de façon à mettre en valeur les connaissances grammaticales, d’un vocabulaire avec sa traduction en chinois à côté, ainsi de nombreux exercices de structure. Il s’agit d’une méthode qui a une grande influence dans le milieu de l’enseignement du français en Chine, utilisée « dans la plupart des départements des écoles supérieures chinoises ayant comme spécialité le français, puisqu’elle a été recommandée à l’échelle nationale par le Ministère de l’Education et que le concours national de français de chaque année peut se référer au contenu de ce manuel » (Pu, Lu & Xu, 2005 : 78). Les méthodes étrangères ne sont point exclues complètement. Les étudiants de 2e année suivent 2 heures de Reflets par semaine, cours assuré en général par un lecteur qui insiste sur l’aspect culturel, en s’appuyant sur des exercices audio-visuels. Bien que très apprécié par les étudiants, Reflets reste une méthode complémentaire, vu l’horaire qui y est consacré. 2e phase : les matières se diversifient et il n’existe plus de méthode proprement dite. Très souvent, les enseignants introduisent en français les connaissances à maîtriser à travers des articles choisis à ce but. - Evaluation 45 Pour évaluer la compétence linguistique, les contrôles s’avèrent un moyen efficace et direct, auxquels recourent le plus souvent les enseignants du français en Chine. Il s’agit, dans la plupart des cas, d’examens écrits, qui se focalisent sur la grammaire afin de vérifier si les étudiants ont bien maîtrisé les connaissances introduites en classe. Contrôles et examens C’est pendant la 1ère phase que les étudiants sont confrontés fréquemment aux examens écrits. Les débutants passent chaque vendredi un contrôle composé d’une dictée et d’exercices écrits sur différents points grammaticaux, ce qui entre d’ailleurs dans la tradition de Beiwai. De plus, les enseignants imposent chaque semaine en classe, une ou deux dictées, exercice considéré comme la meilleure combinaison de compréhension, d’écriture et de grammaire. La deuxième année semble allégée du point de vue d’évaluation, les étudiants n’ont plus de contrôle hebdomadaire, mais la dictée reste incontournable. Durant tout le cursus, chaque semestre se termine par un examen formel organisé sous forme écrite ou orale pour tout cours relatif au français, dont les notes sont enregistrées. Test national de niveau 4 Chaque année, les étudiants spécialisés en français de 2e année sont confrontés à un test de français qui a eu lieu un même jour en avril dans tout le pays. Il s’agit du fameux test national de niveau 4, basé sur les connaissances linguistiques impliquées dans la méthode Le français, à l’issue duquel s’est fait le classement de tous les départements de français du pays. Comme c’est un test dont les résultats impliquent la réputation du département, les enseignants ainsi que les étudiants y prêtent une attention particulière, et la préparation débute très souvent dès le début du 2e semestre de la 2e année universitaire. - Devenir des diplômés 46 Traditionnellement, une fois diplômés, les étudiants s’engagent dans une profession liée directement à la langue française : certains travaillent dans les ministères ayant contact avec la France et des pays francophones, dans des agences de presse ou des sociétés étrangères, d’autres continuent les études afin de devenir à leur tour, enseignants de français. Ces dernières années, nous témoignons d’une autre tendance marquée: au lieu d’entrer sur le marché du travail, de plus en plus d’étudiants choisissent de poursuivre leurs études en France, cela, grâce surtout aux coopérations interuniversitaires permettant aux étudiants chinois de passer leur 3e année d’études de langue en France, en Belgique ou au Canada. Fascinés par la découverte culturelle, les étudiants décident de s’enrichir à l’étranger dans une spécialité autre que le français après les études en Chine. III. 3. L’acquisition de la spatialité en français To learn a foreign language should therefore be to acquire a new standpoint in the world-view hither to possessed, and in fact to a certain extent this is so, since every language contains the whole conceptual fabric and mode of presentation of a portion of mankind. But because we always carry over, more or less, our own world-view, and even our own language-view, this outcome is not purely and completely experienced. (Humboldt, 1988 : 6027) III. 3.1 Le français, langue difficile pour les Chinois Les difficultés dans l’apprentissage d’une L2 proviennent souvent de la distance entre le système linguistique de la L1 et celui de la L2 à acquérir. Le français et le chinois28 sont deux langues typologiquement très éloignées. - 27 28 Système d’écriture Cité par Slobin, 1996a. Quand nous parlons du chinois, c’est au mandarin que nous faisons référence. 47 Il existe deux systèmes d’écriture en chinois, celui des signes (ou caractères), et celui du pinyin29, système de transcription basé sur les 26 lettres de l’alphabet anglais. Le pinyin constitue en effet un système intermédiaire mis en application principalement durant l’apprentissage de la LM, dans la vie courante, les Chinois se servent plutôt du système idéographique. Dans notre étude, les deux systèmes seront adoptés comme base de transcription morphémique30. - Morphologie Le chinois est une langue de morphologie extrêmement pauvre. A la différence du français, le verbe en chinois ne connaît pas de conjugaison et le nom, pas d’accords de genre ni de nombre. Prenons l’exemple apprendre le français au présent : Tableau III-2 ( Morphologie : le français vs le chinois) Apprendre le français (au présent) En français sujet Verbe + objet sujet Je (J’) apprends le français 我 wǒ Tu Il/elle Nous Vous Ils/ elles apprends le français apprend le français apprenons le français apprenez le français apprennent le français En chinois 你 nǐ 他/她 tā 我们 wǒmén 你们 nǐmén 他们/她们 tāmén Verbe + objet 学习 法语 xuéxí fǎyǔ apprendre - le français Comme ce que nous pouvons constater, en français le verbe apprendre se conjugue en fonction du sujet alors qu’en chinois, apprendre le français, incarné par 学习 – 法 语 : xuéxí - fǎyǔ ‘apprendre - le français’, ne connaît pas de changement morphologique quel que soit le sujet. - Système aspecto-temporel Très souvent, le chinois est considéré comme une langue qui n’a pas de temps ni d’aspect, ce qui n’est pas vrai. Il faut dire que le chinois, en l’absence de morphologie verbale fonctionnelle porteuse de valeurs sémantiques de temps et d’aspect, recourt à des moyens autres que la flexion verbale pour indiquer la 29 Le pinyin a été décrété par le gouvernement chinois le 11 février 1958, dans le but de faciliter l’apprentissage du chinois sur le plan phonétique. 30 Les critères de la transcription morphémique serons explicités dans IV.2.3, p.70. 48 temporalité. a. le temps Les Chinois se servent si nécessaire d’adverbes ou d’expressions temporelles pour indiquer le temps (le présent, le futur, le passé), qui n’est pas obligatoire au niveau phrastique. Ce qui pourrait se résumer par le schéma comme suit : Schéma III - 1 (Expressions temporelles en chinois) b. l’aspect En chinois, l’aspect est grammaticalisé par 3 particules aspectuelles qui suivent immédiatement le verbe. -着 zhe : indique la continuation d’une action. -了 le : marque l’accomplissement d’une action. -过 guò : exprime une expérience vécue. En effet, l’absence de propriétés linguistiques morphologisées obligatoires en chinois pourrait entraver le rythme de l’apprentissage de telles catégories en français. Vu la « distance linguistique » entre le français et le chinois, le français s’avère une langue difficile à apprendre aux yeux des Chinois. III. 3.2 L’enseignement de l’expression spatiale en français Etant donné l’absence d’un système aspecto-temporel en chinois, la temporalité qui s’avère une difficulté permanente dans l’acquisition du français chez les apprenants chinois, a attiré et attire toujours l’attention des enseignants en français langue étrangère (FLE) et des travaux linguistiques y ont été consacrés, en chinois comme en 49 français (SUN jili, 2003). La méthode Le français dont se servent de nombreux établissements, accorde aussi une place primordiale à la temporalité, qui constitue les principaux éléments grammaticaux à transmettre 31 . La conjugaison, porteuse de traits temporels, fait l’objet d’explications détaillées des enseignants, et d’exercices principaux en classe ou dans les contrôles. Parallèlement, la spatialité n’a pas fait couler autant d’encre : les prépositions de lieu, les prédicats (statique et dynamique) sont parus dans le manuel associés à une traduction en chinois sans aucun approfondissement 32 , d’où l’intérêt de notre recherche. La différence de traitement réside dans le fait que la spatialité est considérée comme un domaine cognitif que partagent les peuples français et chinois. Les enseignants ne se soucient guère d’explorer la différence de la lexicalisation d’un même événement spatial entre le français et le chinois, et l’enseignement de l’expression de la spatialité se réduit ainsi à une simple transformation sémiotique. Les Chinois et les Français partagent-ils les mêmes modèles perceptifs dans la localisation et le déplacement ? Certes, les similitudes conceptuelles rendraient plus facile l’assimilation de l’expression spatiale, mais les différences entraveraient l’appropriation de la spatialité en français, car « une fois acquis, ces modèles perceptifs semblent fixés pour toute la vie » (Hall, 1971 : 65). III. 3.3 De l’enseignement à l’acquisition In acquiring another language, adult learners can use their available knowledge of how space is structured and how spatial relations are typically established between entities. However, language vary not only in the way in which spatial concepts are encoded grammatically (case-marker, prepositions, verbs, adverbials), but also in the use made of specific spatial concepts. Since spatial descriptions are typically organized at an abstract level, the options chosen in particular contexts in a specific language are often a matter of convention. This means that a learner of a second language not only has to uncover the 31 32 Cf. Tableau III-1, p.46. Cf. Chapitre IX.1.1. 50 linguistic means used to express a specific concept, but also the constellations of entities to which a particular concept is applied. (Carroll & Becker, 1993) En Chine où l’apprentissage des langues étrangères n’est qu’un phénomène récent, l’enseignement du français se caractérise par une double priorité, accordée à la grammaire et à l’enseignant, censé pouvoir « domestiquer » le processus acquisitionnel de l’apprenant. Pendant longtemps, les enseignants chinois croyaient que c’étaient eux qui contrôlaient le transfert du système linguistique dans l’apprentissage du français. Pourtant, peu à peu, ils se rendent compte que, s’ils sont capables de contrôler la nature des matériaux linguistiques à transmettre, c’est l’apprenant qui intériorise en effet ce qui entre. Cette opération est déterminée par les caractéristiques du dispositif acquisitionnel langagier de l’apprenant, et non pas par celles du programme pédagogique des enseignants. A titre d’exemple, les enseignants constatent que les étudiants chinois, même à un niveau avancé (en 3e ou 4e année), se limitent à employer les formes les plus simples (présent, futur proche et passé composé) pour exprimer la temporalité dans leur production langagière. Quand il s’agit d’une relation temporelle compliquée, ils recourent le plus souvent aux adverbes temporels ou à l’organisation discursive, rarement aux formes composées, moyens linguistiques dont ils disposent déjà. Cela montre que d’une part l’influence de la LM reste profonde et permanente dans l’acquisition de la temporalité en français, d’autre part, l’appropriation des connaissances linguistiques transmises au cours de l’enseignement est un processus autonome propre aux apprenants, que les enseignants ne sont pas capables de contrôler. Alors quels sont les facteurs qui influencent l’acquisition du français chez les apprenants, qu’est-ce qui se passe en effet au niveau cognitif quand les apprenants s’expriment en français ? Nous essayerons de le mettre en lumière à travers une étude 51 longitudinale sur l’acquisition de la spatialité, domaine cognitif qui a échappé à l’attention des enseignants chinois. Partie de la dichotomie talmienne, et en fonction de la théorie de Slobin thinking for speaking, nous allons solliciter des productions narratives chez les étudiants chinois à différents stades d’apprentissage, afin d’examiner l’expression de la localisation et celle du déplacement en français. Nous pourrions avancer les hypothèses initiales suivantes : 1) A chaque stade, les apprenants chinois manifestent une capacité particulière pour référer à la spatialité, et cela est conditionné par différents facteurs. 2) Dans l’expression de la localisation, les locuteurs de français et de chinois ne partagent pas toujours la même conceptualisation sur l’espace. 3) Dans l’expression du déplacement, les étudiants chinois tendent à insister sur la manière dans l’expression des procès en français, comme dans la désignation en LM. 4) Les difficultés dans l’acquisition des relations spatiales en français résident principalement dans l’impact de la conceptualisation de la LM. 52 Chapitre IV Recueil de données IV. 1. Construction du corpus L’idée est de suivre l’acquisition de la référence spatiale chez les apprenants chinois pendant les trois premières années des études universitaires, période où ils apprennent de façon guidée les connaissances linguistiques de la langue française, de la phase initiale à la phase avancée. Dans ce but, nous avons recueilli 3 fois des productions narratives en français L2 à partir des supports en images, auprès des 22 étudiants de la même classe. Une fois enregistrées en audiocassettes, les données orales ont été transcrites et segmentées de façon à faciliter les analyses comparatives. IV. 1.1 Apprenants chinois Nous avons choisi d’effectuer cette étude « sur le terrain » avec la même classe dans sa totalité. A la différence d’une recherche menée auprès d’un certain nombre d’apprenants, sélectionnés de façon « aléatoire », suivant quand même certains critères, notre étude ciblant la même classe sans écarter un seul cas, permettra de mieux observer chaque étape durant tout le processus d’acquisition, d’où des constatations susceptibles d’être généralisées. La classe B promotion 2006, qui fait l’objet de notre étude, comprend 18 filles et de 4 garçons de l’âge de 18-19 ans. Du point de vue du profil d’apprenant, c’est une classe homogène : ayant tous un très bon niveau d’anglais 33 , ils n’avaient aucune connaissance linguistique sur le français avant d’entrer à l’université, nos sujets étaient ainsi au même point de départ. Nous avons choisi cette classe aussi pour une raison pratique. Parler en français avec quelqu’un que l’on connaît s’avère moins stressant pour les apprenants chinois qui n’ont pas l’habitude de s’exprimer devant un inconnu qui les observe tout au long de 33 Ce qui constitue d’ailleurs un critère nécessaire pour entrer à Beiwai. En fait, tous les candidats à Beiwai doivent être confrontés à un examen oral en anglais en plus de l’épreuve de l’anglais de Gaokao. 53 leur narration avec un microphone et un magnétophone. L’enquêtrice, en l’occurrence l’auteur de l’étude, ayant partagé une année entière avec ces apprenants au début de leur apprentissage du français, connaît ainsi chaque apprenant tant au niveau du parcours d’études qu’au niveau individuel 34 . Cette familiarisation facilite non seulement la collecte des données, mais aussi l’interprétation des phénomènes particuliers rencontrés éventuellement dans les analyses. IV. 1.2 Collectes des données Production orale en temps réel Les recherches empiriques relevant de l’acquisition des langues recourent très souvent à deux grands types de corpus de données : l’oral et l’écrit, dont le choix est déterminé par l’objectif de la recherche. Dans la présente étude, nous n’avons pas envie d’imposer des tâches formelles écrites, car les étudiants chinois, depuis le début de l’apprentissage du français, se familiarisent avec les exercices écrits sous toutes les formes (examens, devoirs, dictées). Dans la production écrite, les apprenants, ayant plus de temps pour réfléchir sur l’organisation de l’information, sont capables de soigner la formulation de l’expression au fur et à mesure. Il en résulte que la production écrite n’arrive pas à refléter fidèlement la conceptualisation en temps réel du locuteur, par rapport à une production verbalisée. La narration est une technique verbale utilisée par un locuteur pour rapporter un événement ou une série d’événements expérimentés par un personnage (réel ou fictif, identique ou différent du locuteur), dans un cadre temporel et spatial, à l’adresse d’un auditeur en utilisant un code spécifique (langue particulière). « Raconter est une forme si courante, si quotidienne » (Adam, 1984 : 9), c’est une opération langagière fondamentale qu’un enfant, très tôt, puisse réaliser en évoquant « un événement qui vient d’arriver et de le relater » (Fayol, 1985 : 77). Les locuteurs sont invités à construire oralement une histoire fictive à partir des supports en images. Si nous avons choisi des bandes dessinées sans texte, c’est que du 34 La provenance de l’apprenant pourrait constituer un paramètre non négligeable qui influe sur la production orale. 54 point de vue production, les images, censées imposer un cadre conceptuel global, réservent tout une liberté d’interprétation aux locuteurs (macrostructure et microstructure), et que dans la perspective d’analyses, elles permettent à tout moment de connaître le stimulus visuel qui est à l’origine de l’expression verbalisée de chaque locuteur, ce qui faciliterait la comparaison du procès renvoyant à une même image ou à une série d’images. Le modèle de l’acquisition de Klein (1989) considère que l’acquisition d’une langue (dans notre cas, le français langue étrangère) est fonction de la capacité linguistique, capacité à produire des énoncés, à les comprendre, à apprendre à produire et comprendre des énoncés. Le discours oral produit en temps réel à partir des images selon des consignes données constitue une tâche calibrée, susceptible de mettre en évidence cette capacité : le locuteur, en suivant les consignes en français, s’investit dans un discours destiné à être entendu et compris, dans une situation communicative « locuteur-interlocuteur », dans notre cas, enquêtrice-informateur, d’ailleurs, le dernier est prévenu que l’enregistrement, destiné à une recherche translinguistique, sera écouté par un natif, donc un interlocuteur virtuel. Ainsi, pour communiquer ce qu’il conceptualise, le locuteur met en oeuvre ses connaissances linguistiques (le choix lexical, les structures syntaxiques, la conjugaison) au moment où il produit un récit complet d’une façon cohérente. En même temps, un corpus de production orale spontanée permet d’observer les phénomènes caractéristiques de la construction du message verbal en temps réel, tels que des hésitations, des auto-interruptions, des reprises de phrase, etc., indices des obstacles ou difficultés dans la production. Le support en images constitue une contrainte pour le locuteur, délimitant la trame du récit, composée de maillons indispensables. Ainsi, lors des analyses basées sur les récits produits oralement, il faut tenir compte de l’intégralité de la production telle qu’elle est conceptualisée et énoncée, en mettant en relation ce qui est produit en amont et en aval. 55 Supports Nous avons employé trois supports en images qui avaient déjà servi à de nombreuses recherches acquisitionnelles (cf. Berman & Slobin : 1994 ; Slobin : 1996, 2004 ; Hickmann, Hendriks & Roland, 1998 ; Hendriks : 1998, 2004 ; Hickmann, 2003, 2008; De Lorenzo: 2002 ; Strömqvist & Verhoeven, 2004 ; Arslangul : 2007). Le récit Le Chat Il s’agit d’une bande dessinée de 6 images : un chat grimpe sur l’arbre en vue de manger les oisillons en l’absence du grand oiseau, un brave chien chasse le chat et sauve les oisillons. Cette histoire très simple est susceptible de solliciter des expressions de localisation et de déplacement entre les référents inanimés (arbre, nid d’oiseau) et référents animés (oiseau, oisillons, chat et chien). Le récit Le Cheval Cette histoire composée de 5 images présente un cheval qui tombe en enjambant la barrière qui le sépare de la vache et de l’oiseau. Malgré le nombre restreint de référents inanimés (pré, barrière) et de référents animés (cheval, vache et oiseau), il s’avère non moins difficile que le récit Le Chat : des activités de mouvement (courir, enjamber, tomber) et de localisation sont impliquées. Les récits Le Chat et Le Cheval35 sont deux supports conçus par Hickmann pour des recherches acquisitionnelles translinguistiques36 dont la synthèse est publiée dans Children’s discourse : person, space & time across languages (2003). Le récit Frog, where are you (Désormais La Grenouille) La bande dessinée pour enfant de Mercer Mayer Frog, where are you ? sélectionnée par Slobin pour des recherches translinguistiques37, relate, à travers en tout 24 images, l’aventure d’un garçon qui est parti dans la forêt chercher sa grenouille. Ce support a 35 Les deux séquences d’images seront présentées dans le corpus. Dans la recherche portant sur la spatialité, les langues concernées sont : le français, l’allemand, l’anglais et le chinois. 37 Dont la synthèse est publiée dans Relating events in narrative, a crosslinguistic developmental study (Berman & Slobin, 1994). 36 56 été choisi pour plusieurs raisons : d’abord, dans le récit, des épisodes se succèdent38 où sont introduites de nouvelles entités à localiser (trou, arbre, précipice, etc.), ce qui permet de mener des comparaisons sous l’angle de la localisation statique ; ensuite, la trame de la narration (chercher la grenouille), implique des déplacements engendrés par le changement de lieu, propices à recueillir de nombreux prédicats dynamiques, qui incorporent différentes informations telles que la manière, la causalité, la direction, etc. ; enfin, le récit La Grenouille a déjà été utilisé dans des recherches sur l’acquisition de diverses langues dans le domaine référentiel (la temporalité ou la spatialité), dont le chinois, ce qui nous a permis de disposer d’une base de départ sûre et d’un point de comparaison utile. Tâche Notre étude longitudinale consiste à confronter les productions narratives de différents stades. Il est nécessaire de concevoir une tâche permettant non seulement d’observer l’acquisition de tous les apprenants à un moment donné, mais aussi de mettre en lumière la progression acquisitionnelle de chaque apprenant pendant les 3 ans en question. Les récits Le Chat et Le Cheval servent de support respectivement aux deux premières collectes, pour refléter les caractéristiques de la représentation spatiale aux stades initial et avancé. Le récit La Grenouille s’avère beaucoup plus complexe, sa narration demande à mobiliser beaucoup plus de moyens linguistiques disponibles. Proposé à chaque collecte, ce récit remplit une double fonction : la confrontation des productions orales collectées à différents stades à partir du même support permet de cerner le développement acquisitionnel à travers la comparaison des différents traitements du même événement spatial ; le dernier recueil de données sert en même temps à dégager les caractéristiques de l’organisation spatiale au stade avancé. Déroulement de la collecte 38 La segmentation en épisode sera traitée dans IV.2.1.1, p.62. 57 Les collectes de données ont eu lieu pendant les trois premières années d’apprentissage. Si nous avons décidé de ne pas intervenir la 4e année, c’est que cette dernière année universitaire ne comprend que 4 mois d’études, n’implique donc pas davantage d’enrichissement de connaissances linguistiques, d’autant plus qu’il est plus difficile de réunir les apprenants, tous préoccupés par le stage et la recherche du travail. Tableau IV-1 (Organisation des collectes de données) 1ère collecte ( 6e mois) – stade initial Fin mars 2007 Récit Le Chat Récit La Grenouille 2e collecte ( 20e mois) – stade intermédiaire Début mai 2008 Récit Le Cheval Récit La Grenouille 3e collecte ( 34e mois) – stade avancé Fin juin 2009 Récit La Grenouille Nous considérons que les trois années correspondent à trois paliers de l’apprentissage : initial, intermédiaire et avancé. Les apprenants sont confrontés à une double tâche aux deux premières collectes, et le récit La Grenouille reste la tâche invariable durant les trois stades. Les 110 productions 39 orales ainsi recueillies sont susceptibles de déclencher des analyses à la fois synchronique et diachronique. Les trois collectes se sont étalées sur des intervalles de 14 mois, en vue d’une part d’obtenir des productions orales suffisamment différenciées, surtout pour le récit La Grenouille, d’autre part de recouvrir la quasi-totalité du parcours d’acquisition des apprenants. Lors des deux premiers recueils, nous avons toujours présenté le support le moins complexe en premier (Le Chat au stade initial, et Le Cheval au stade intermédiaire), en vue d’éviter la sensation de frustration chez les apprenants, prévisible s’ils avaient tout de suite été confrontés au récit La Grenouille, qui dépasse manifestement la compétence linguistique de l’époque, surtout au stade initial. Les données ont été recueillies dans des conditions identiques à chaque cycle : les interviews ont toutes lieu un samedi, jour où les étudiants sont tous disponibles, dans 39 22 (Le Chat) + 22 (Le Cheval) + 22 X 3 (La Grenouille) = 110 productions orales 58 une même salle de classe de Beiwai en face de la même enquêtrice40 avec les mêmes consignes pour chaque support. Nous avons décidé d’imposer le temps de lecture pour chaque support41, car la plupart des apprenants chinois sont perfectionnistes. Si l’on leur laissait préparer le récit jusqu’à ce qu’ils se sentent prêts, la durée risquerait d’être très longue. Dans d’autres recherches, les informateurs sont invités à préparer l’histoire en prenant autant de lecture qu’ils désirent, c’est parce que les profils des locuteurs sont diversifiés, alors que dans notre étude, le parcours linguistique des apprenants étant identique, les apprenants sont confrontés à la même tâche pendant le même temps de préparation. Toute la procédure est effectuée oralement. L’apprenant est invité à parcourir le support pendant un temps précisé. Durant la préparation, l’enquêtrice s’est limitée à indiquer, pour le récit La Grenouille, les noms inconnus des référents animés qui pourraient gêner la narration (hibou, cerf, guêpes), lesquels ont été marqués préalablement sur un papier. Après, l’apprenant déclenche la narration à l’aide des images. A la première collecte, l’apprenant est prévenu que le récit, destiné à une étude translinguistique, s’adresse à un adulte français qui ne connaît pas l’histoire et qui n’a pas le support devant les yeux42. Durant la collection, l’enquêtrice reste présente sans intervenir. Les productions orales sont enregistrées au magnétophone. L’apprenant ayant fini la tâche est prié de ne pas mettre au courant le thème de l’interview au prochain informateur. IV. 1.3 Productions des témoins Dans les analyses comparatives autour du récit La Grenouille, nous nous appuierons sur des productions des natifs français pour mettre au clair l’écart dans l’expression de l’espace par des apprenants chinois à différents stades d’apprentissage. Pour des phénomènes récurrents dans les productions en français L2, nous aurons besoin de recourir aux productions en chinois pour illustrer les éventuels impacts de L1 sur la 41 3 minutes pour les récits Le Chat et Le Cheval composés de moins d’images, et 6 minutes pour le récit La grenouille. 42 Cette explication ne semble plus nécessaire pour les deux collectes suivantes car les apprenants peuvent déjà deviner ou prévoir la procédure de la production après la première expérience. 59 désignation de l’événement spatial en français L2. Ainsi, un corpus de productions des natifs chinois s’avère aussi nécessaire pour les analyses à partir du récit La Grenouille. Afin d’avoir un nombre suffisant de productions des témoins, nous nous sommes servie des données que nous avions recueillies dans notre recherche antérieure de DEA, laquelle, portant aussi sur la spatialité, comprend 5 productions orales en chinois L1 ; et nous avons aussi recouru aux productions provenant respectivement des thèses de doctorat de Cristina De Lorenzo Rosselló (2002) et d’Arnaud Arslangul (2007). Tous les deux, ayant utilisé la même technique de collecte en tête-à-tête pour recueillir des productions orales autour du récit La Grenouille dans leur recherche, ont eu la gentillesse de nous permettre d’utiliser leurs données43. nous avons ainsi retenu 11 productions respectivement en français L1 et en chinois L1, soit la moitié du nombre du groupe d’apprenants chinois. Afin de respecter le contenu des productions, nous avons décidé de présenter les données « empruntées » dans leur version d’origine, sans aucune modification, alors que pour les productions orales que nous avons recueillies nous-même, nous avons procédé à une transcription comme suit. IV. 2. Transcription des données Transcrire de la langue parlée tient un peu du paradoxe : garder dans une représentation écrite certaines caractéristiques de l’oralité ; faire le « rendu » de la chose orale tout en restant dans des habitudes de lecture établies depuis longtemps pour la chose écrite... On va se trouver tiraillé entre deux exigences : la fidélité à la chose parlée et la lisibilité de son rendu par écrit. (Blanche Benveniste & Jeanjean, 1987 : 107) Les analyses basées sur la production spontanée en temps réel, les données brutes de notre corpus sont transcrites intégralement, telles qu’elles ont été produites. La transcription a pour objectif de rendre lisible la production orale et en même temps de 43 De Lorenzo nous a permis d’utiliser son corpus de français L1 dans sa totalité, et nous avons décidé d’en utiliser les 11 productions les plus longues. Quant au corpus de chinois L1, ayant déjà 5 productions disponibles sous la main, nous avons demandé l’emploi de 6 productions auprès d’Arslangul, qui nous a fourni les données nécessaires. 60 fournir un texte susceptible d’être comparé aux autres. Les analyses portent particulièrement sur les énoncés et les propositions, les besoins d’analyses justifient alors le choix de segmenter le discours en unités d’analyse. IV. 2.1 Segmentation Notre étude ayant pour objectif de mettre au clair l’organisation de l’information spatiale, nous sommes amenée à mettre en place un outil d’analyse à la fois efficace et maniable, qui permette de comparer les productions au sein des apprenants à travers le temps. En fonction de la macrostructure et de la microstructure des récits, les productions sont segmentées en épisodes, en énoncés et en propositions. IV. 2.1.1 Episode Nous nous focalisons d’abord sur l’organisation de la macrostructure du récit, laquelle se compose d’épisodes. Suivant la proposition de Bamberg & Marchmann (1991)44, nous allons procéder à un premier découpage du récit en trois composants fondamentaux : Introduction : un événement déclencheur, constituant « la causalité narrative d’une mise en intrigue, avec une logique narrative faisant en sorte que ce qui se produit apparaît comme ayant été causé par ce qui précède » (Adam, 1984). Développement : intrigue thématique à la suite de l’épisode-introduction, consistant en une succession d’événements. Dénouement : situation finale, susceptible de déboucher sur « une évaluation finale (explicite ou implicite) » (ibid.) Comparée aux récits Le Chat et Le Cheval45, l’organisation macrostructurale du récit La Grenouille s’avère beaucoup plus complexe et nécessite une subdivision plus détaillée : les 3 premières pages introduisent les protagonistes principaux (petit garçon, chien), la fuite de la grenouille constituant l’événement qui déclenche l’intrigue qui se 44 45 Cité par De Lorenzo (2002). Dont le découpage sera abordé de façon plus détaillée dans l’analyse des récits (V.1, p.81, et VI. p.130). 61 déroule entre les pages 4 et 21, avant d’aboutir aux retrouvailles avec la grenouille qui dénoue le récit. Le développement se compose d’une suite d’événements, nous sommes ainsi amenée à procéder à un découpage d’un second niveau, au sein du développement même. « Toute intrigue se fonde sur le changement » (Ducrot & Todorov, 1972), le changement pourrait intervenir à différents niveaux, les entités en scène, le lieu du déroulement, les variations d’activités, etc. Quant au récit La Grenouille dont la trame est la recherche de la grenouille, en nous référant au « Répertoire des épisodes recensés » de Lorenzo (2002 : 141), nous pouvons résumer les changements de différents composants (parties surlignées en gris) à travers le tableau suivant : Tableau IV-2 (Episode-développement du récit La Grenouille) Entités Lieu Chambre (4-7) Forêt (8-17) Animé Inanimé Garçon chien Bottes, fenêtre, bocal, 8-10 Garçon-taupe 11-12 Garçon-hibou 13-18 Mare (18-21) Procès-clés Tomber, casser, chercher Trou, nid de guêpes Crier, secouer, aboyer Arbre, trou Grimper, tomber de l’arbre, sortir Garçon-cerf, chien Bois, précipice, roche Courir, jeter, tomber dans l’eau Garçon, chien Mare, arbre mort Se lever, écouter, escalader Chiens-abeilles Nous subdivisons d’abord le développement selon le changement de lieu, en 3 épisodes qui se déploient respectivement dans la chambre, dans la forêt et dans la mare. Dans la séquence relative à la forêt, nous pouvons distinguer encore des sous-épisodes en fonction de l’introduction de nouvelles entités. Il est à noter que dans cet épisode, s’imbriquent deux aventures parallèles : celle du petit garçon qui rencontre successivement une taupe, un hibou et un cerf; et celle du chien qui s’amuse avec les guêpes. Comme la recherche constitue le développement du récit, il convient de se focaliser sur l’activité du petit garçon. Le récit La Grenouille se décompose ainsi en une suite d’épisodes comme suit: Episode-introduction Episode-recherche 46 47 R46-chambre R-forêt : Rf47-taupe, Rf-hibou, Rf-cerf R-mare R: recherche, cette abréviation est employée dans la transcription. « f » , abréviation de « forêt », renvoie à l’épisode relatif à la recherche qui a lieu dans la forêt. 62 Episode-dénouement Le découpage en épisodes a été effectué non seulement en fonction des 24 images qui constituent le support de la narration, mais aussi selon les productions recueillies auprès des apprenants chinois et des témoins natifs. Parmi les 88 productions 48 relatives à La Grenouille, malgré des nuances d’interprétation sur certains épisodes, surtout dans les épisodes Rf-taupe (le petit garçon a été effrayé, ou piqué par la taupe, ou encore il s’agit d’un putois qui sent mauvais) et Rf-cerf (le cerf a été irrité par le garçon ou il l’a amené à l’endroit où se trouve la grenouille), tous les informateurs ont relaté les épisodes que nous avons distingués49. IV. 2.1.2 Enoncé Après la segmentation en épisodes, nous nous trouvons confrontée à une tâche beaucoup plus difficile : découper la structuration du discours oral en unités énonciatives. Blanche-Benveniste disait : « Il doit avoir une idée du but de la transcription, et doit pouvoir centrer son attention sur les aspects qu’on voudra plus particulièrement étudier » (1987 : 98). Travaillant sur un corpus oral, nous ne pouvons plus retenir le concept de phrase. « Le concept de phrase est singulièrement difficile à accepter lorsqu’on a pris l’habitude de travailler sur l’oral » (ibid., 21), car la phrase étant une unité virtuelle de description de la syntaxe, est marquée par une construction grammaticale donnée, et elle renvoie plutôt au texte écrit. Lorsque nous parlons, nous segmentons notre discours en énoncés, lesquels constituent des unités de communication. L’énoncé, étant le produit de l’acte d’énonciation, est en général syntaxiquement complet comme la phrase, mais aussi doué de sens. Les mots-phrases « Oui ! », « Comment ?! », même si dépourvus de prédicat, constituent bel et bien un énoncé. Dans le discours oral, les unités d’énonciation successives peuvent être elliptiques. C’est pour cela que « pas de 48 49 66 (22X3) récits en français L2 + 11 récits en français L1 +11 récits en chinois L1= 88 récits La Grenouille. D’ailleurs, certains apprenants ont ajouté un épisode de morale à la fin de la narration. 63 chance » (cf. la production du témoin français HEN50), est segmenté aussi en un énoncé. Dans un discours oral produit, il n’est pas facile d’identifier l’unité énonciative (l’énoncé), d’une part, elle n’est guère ponctuée ou signalée par le locuteur, de l’autre, le terme ‘énoncé’ étant lui-même polysémique qui inclut plusieurs phénomènes51, il n’existe pas de critère univoque quant au découpage. Selon Dewaele, « il est difficile d’avancer un critère unique pour découper les énoncés dans la chaîne parlée. Le découpage se fait en utilisant simultanément et subjectivement des critères syntaxiques, sémantiques et prosodiques. L’énoncé est par conséquent une variable linguistique à valeur relative » (2000 : 29). Le découpage du discours oral en énoncés constitue ainsi une opération délicate, c’est pour cela que Dewaele l’a qualifié d’entreprise saisir l’insaisissable. Ainsi il nous revient de délimiter les énoncés en nous référant simultanément à plusieurs critères tels que la sémantique, la construction syntaxique, l’intonation, la pause et le débit, etc. L’extrait de la production de l’étudiante Océane lors de la 2e collecte illustre l’esprit de la segmentation que nous maintenons pour toutes les productions orales que nous-même avons recueillies. Océane (Récit La Grenouille : 2e collecte) (1) Pascal trouve une trou dans la terre et il appelle sa euh grenouille dans le trou (2) mais c’est le euh du trou euh vient un rat de champs qui a beaucoup surpris Pascal (3) et + à ce moment-là son chien euh s’en donne beaucoup euh en jouant avec les [grεp]-guêpes (4) le chien euh ébrandit-ébranle l’arbre où où le nid de [grεp]-guêpes où est le nid de [grεp]-guêpes et le nid est [tõ] le nid tombe par terre (5) alors les [grεp]-guêpes s’en sortent et ils se mettent à poursuivre le chien (6) et + à ce moment-là euh Pascal euh il trouve un autre trou dans un arbre voisin et euh il appelle sa grenouille dans ce trou (7) mais de ce trou encore euh ne vient pas sa grenouille mais un hibou qui a euh qui a aussi beaucoup surpris Pascal (8) euh il tombe par terre et tandis que son chien euh il court à fond de train pour échapper les [grεp]-guêpes 50 28.*HEN: [c’est] pas de chance # 51 Chaque énoncé pourrait comprendre les propriétés suivantes : renvoyer à l'acte même d'énonciation (franchement) ; thématiser (elle cueille des fleurs, Charlotte) ; référer (le tableau de Jean) ; action, acte de langage ou force illocutoire (promesse, question,...) ; exprimer une modalité (il se peut que) ; argumenter (donc, certes, puisque) ; montrer l'intention de communication de façon non explicite par des sous-entendus (Maingueneau, 1981). 64 Cet extrait, décrivant les images 9-12, correspond aux 2 épisodes du récit : Rf-taupe et Rf-hibou. Nous avons segmenté cet extrait en 8 énoncés. La séparation des énoncés (1) et (2) se base sur les images auxquelles ils renvoient, l’énoncé (1) décrit l’image 9, et l’énoncé (2), l’image 10. L’énoncé (3), marqué par à ce moment-là, est consacré à l’état inchangé du chien, présenté dans les deux images (9-10). Les énoncés (4-5) expliquent la cause de la poursuite du chien par les guêpes (images 11-12). La description revient ensuite sur le garçon, introduite par à ce moment-là (énoncé 6), marquant un autre événement qui se passe simultanément. Si nous avons séparé les énoncés (7) et (8), c’est que l’énoncé (8) renvoie à la même image 12, d’autant plus que le recours à la locution conjonctif tandis que, marque un mouvement qui est placé dans le même intervalle temporel ; par ailleurs, Océane a marqué une pause nette entre ces deux énoncés. Ainsi, les images, critères syntaxiques et sémantiques, ainsi que des critères prosodiques (intonation, pause, etc.) constituent des facteurs que nous avons pris en considération lors de l’identification de l’énoncé. IV. 2.1.3 Proposition Pour étudier la référence dans le discours, ici, le discours oral spontané, la proposition constitue le cadre le plus adéquat, notamment pour les analyses des procès relatifs au déplacement. La proposition est une unité psychologique et syntaxique (réduite parfois à un seul mot) qui constitue à elle seule une phrase ou qui entre comme élément dans la formation d’un énoncé complexe. Dans les recherches de Berman & Slobin (1994) sur le discours oral spontané produit à partir du récit La Grenouille, aussi principal support de notre corpus, ils définissent la proposition (clause) comme un prédicat simple (unified predicate) qui exprime une situation singulière (single situation) : activité, événement, état. Nous segmentons ainsi les énoncés en propositions suivant la définition proposée par Berman & Slobin. Pourtant, dans la production orale spontanée, nous constatons des structures qui ne correspondent pas à ce schéma : ellipse du verbe, les constructions complexes mettant en jeu deux verbes, etc. 65 Nous allons illustrer ces constructions d’exemples des natifs français, extraits du corpus. A. Ellipse du verbe52 1) Verbe non répété 6a.*NIC: ils cherchent partout, 6b.*NIC: [ils cherchent] dans les bottes 6c.*NIC: [ils cherchent] sous le lit 6d.*NIC: [ils cherchent] partout 2) Procès nominalisé 22e.*SAM: il est poursuivi par une meute 22f.*SAM: enfin [c’est] un essaim d’abeilles 3) Onomatopée 35a.*NAT: et [ça fait] plouf dans l’eau Dans les exemples ci-dessus, le prédicat ne contient pas toujours un verbe. La définition de ce dernier n’exige pas la présence formelle d’un lexème verbal : le procès peut être exprimé elliptiquement, et il est reconstructible en fonction des règles grammaticales de l’ellipse (1, 2). Il en va de même pour l’onomatopée, dans notre exemple, « plouf » en imitant le bruit (35a), renvoie en effet au procès «le garçon est tombé dans l’eau», il constitue ainsi une proposition. B. constructions mettant en jeu deux verbes (V1+V2) 1) V1 marquant le début d’une action 7.*MIC : ils commencent à chercher partout Commencer à, se mettre à, entreprendre de, sont des verbes qui marquent la phase initiale d’un procès (V2) en cours de réalisation. Les verbes de phase font partie des verbes non prédicatifs (François, 1990). Ils n’ont qu’une fonction, c’est de localiser le V2 par rapport au moment de sa réalisation, ils n’ont donc pas de valeur prédicative. Ainsi, ils commencent à chercher partout constitue une proposition à deux verbes. 2) V2 en gérondif indiquant la manière du mouvement 35.*NIC: le cerf s’en va en courant Ici, s’en aller et courir renvoient tous les deux au même mouvement qu’est le départ 52 La partie elliptique est mise en crochets. 66 du cerf. Le premier insiste sur la deixis du déplacement et le dernier, sur la manière. Nous considérons que la structure [V1mouvement + V2 manière ] constitue une seule prédication, donc une seule proposition. 3) V1 - verbe de perception 12a.*NIC: le petit garçon le voit 12b.*NIC: tomber Les verbes de perception tels que voir, regarder, entendre, écouter sont susceptibles d’établir une relation de simultanéité entre deux procès qui mettent en jeu 2 actants différents, dans notre exemple, V1 voir exprimant le point de vue du sujet le petit garçon, et V2 est relatif au chien qui est tombé, incarné par ‘le’. Ce procès de mouvement observé associé à 2 actants différents est composé ainsi de 2 propositions. Quant à la segmentation en propositions des corpus chinois, vu la construction verbale sérielle, nous allons procéder à une segmentation différente. Nous la verrons plus loin dans la section IV.2.3. IV. 2.2 Présentation des données La transcription des données produites en temps réel a été faite directement à partir des enregistrements sur cassette. Chaque production est marquée au début par DEBUT, et à la fin par ►FIN. Dans la partie en-tête, figurent les renseignements suivants : l’enquêtrice, l’informateur53, le groupe d’informateurs, la langue de production, le récit en question, ainsi que la date, le lieu et la durée de la production. Par exemple, pour la production d’Alix, apprenante chinoise, et celle de Qi, témoin chinois, l’en-tête de la transcription est présenté comme suit : Tableau IV-3 (Présentation des données) ►DEBUT ►DEBUT Participantes : Jia, enquêtrice, Alix, informatrice Participantes : Groupe : apprenants chinois Groupe : témoins chinois Langue : français L2 Langue : chinois LM Date : 31/03/07 Date : 02/06/05 Lieu : salle de classe 133 (Beiwai) Lieu : salle de classe 210 (Beiwai) 53 Jia, enquêtrice, Qi, informatrice L’identification des apprenants chinois est marquée par leur prénom français. 67 Récit : La Grenouille (1ère) Récit : Durée : 8’30 Durée : Transcription Transcription … ... ►FIN ►FIN La Grenouille 7’53 Dans la transcription, chaque épisode est marqué par l’icône ♣, suivie d’une étiquette qui incarne la séquence en question. Par exemple, dans La Grenouille, l’épisode recherche dans la chambre est indiqué par ♣R-chambre, et celui relatif à la taupe est marqué par ♣Rf-taupe, renvoyant à la rencontre de la taupe durant la recherche dans la forêt. Autrement dit, nous essayons d’indiquer par le biais de l’étiquette, l’élément déclencheur du changement dans chaque épisode. Dans la transcription, chaque énoncé est précédé de l’icône * et du numéro d’ordre, et chaque proposition, du numéro de l’énoncé auquel elle appartient avec une lettre qui la situe au sein de l’énoncé, comme dans l’extrait (épisode relatif à la recherche dans la chambre) de la production de l’apprenante Cécile lors de la 1ère collecte : ♣ R – chambre *5a. Fili cherche la maison 5b. [Ø il cherche sous] euh le lit 5c. [Ø il cherche dans] et les bottes 5d. [Ø il cherche dans] et la bouteille 5e. mais la grenouille n’est plus là *6a. euh +++ et quand il cherche la grenouille 6b. euh le chien euh le chien euh est tombé de la fenêtre avec la bouteille sur la lit euh sur la tête *7a. euh Fili est très euh très surpris 7b. mais enfin le chien est en sécurité Dans les productions, il existe des propositions sans verbe exprimé explicitement, tel est le cas pour l’ellipse du verbe, le prédicat implicite est indiqué entre crochets, précédé de l’icône Ø, comme dans 5b-5d. La production orale se caractérise par des constructions de nature communicative, visant à solliciter l’intérêt de l’interlocuteur réel ou virtuel («donc, que se passe~t~il maintenant? ») chez notre témoin français YVE54, ou encore des phrases enchâssées, 54 56.*YVE: donc, que se passe~t~il maintenant? 57. *YVE: notre ami, le petit garçon et le chien, se retrouvent tous les deux assis dans la mare, en train de se demander ce qu’il leur est arrivé 68 telles que des commentaires pour soi-même de l’apprenant chinois (« comment ça se dit »), ce genre de constructions que nous appellerons ‘parenthèses’ est marqué entre guillemets (« »). IV. 2.3 Glose morphémique de la production chinoise Afin de rendre lisibles les données en chinois, nous allons recourir à une glose morphémique interlinéaire, inspirée au système interlinear morphemic translation (IMT), proposé par Christian Lehmann (1980), en employant en même temps comme base de la transcription le pinyin, système phonétique mis en pratique depuis 1958, dont nous avons parlé dans le chapitre abordant l’enseignement du français en Chine. La présentation de la glose Si le système proposé par Christian Lehmann est qualifié de interlinear morphemic translation, « a) because it should be arranged, typographically, beneath the line of text which it translates, and b) because it is normally used in addition to and before a normal translation» (Lehmann, 1980 : 4). Avec en première ligne la transcription en caractères, la glose morphémique pour la production en chinois est placée entre la représentation phonétique du texte (2 e ligne) et la traduction globale en français (4e ligne): 1) la 1ère ligne : transcription en caractères 2) la 2e ligne en italique représentant la transcription phonétique en pinyin. 3) la 3e ligne, traduction de chaque morphème ou description censée mot à mot, constitue la glose morphémique et les mots traduits en français sont séparés par un trait d’union en eux. 4) la 4e ligne, la traduction globale en français, présentée entre parenthèses, pour donner une meilleure idée du sens cité. Les quatre tons dans la transcription phonétique Il existe 4 tons dans la langue chinoise qui est prosodique. Nous avons choisi d’indiquer dans notre glose les 4 tons avec les icônes correspondantes. 69 Tableau IV-4 (Les quatre tons en chinois) Les tons en chinois Caractéristiques Icône en pinyin Exemple 1ère ton Ton plat ¯ mā 2e ton Ton montant ΄ má 3e ton Ton qui monte puis descend ˇ mă 4e ton Ton descendant ̀ mà *Ton zéro Ton léger ma *Comme son nom l’indique, le ton zéro fait référence à un ton qui se prononce très court et tout léger, il s’agit en général des particules interrogatives ou aspectuelles. Comme les mots à ton zéro sont relativement peu nombreux en chinois, nous parlons plutôt des 4 tons en pinyin, sans compter le ton zéro. La traduction morphémique En chinois, étant donné l’absence de marques flexionnelles, le nombre des noms et la personne des verbes ne se dégagent que dans le contexte. Dans la glose morphémique de la production en chinois, nous rendons les noms au singulier, et les verbes à l’infinitif. Voici 2 exemples : a) 他 叫 小明 tā jiào Xiǎomíng il – s’appeler – Xiaoming (prénom chinois) « il s’appelle Xiaoming » b) 我 去 北京 wǒ qù Běijīng je – aller – Pékin « je vais à Pékin » Abréviations dans la glose morphémique Vu les différences entre le français et le chinois sur le plan grammatical, nous nous sommes inspirée des étiquettes employées dans la Petite grammaire pratique du chinois (Ma, 1994) et dans l’Initiation à la syntaxe chinoise (Xu, 1996), et nous avons choisi de recourir à des abréviations dans la glose morphémique, lesquelles renvoient aux fonctions relatives aux éléments grammaticaux particuliers au chinois. Dans la 70 partie qui suit, nous explicitons, les abréviations et les fonctions correspondantes, avec des exemples issus de notre corpus, à titre d’illustration. Tableau IV - 5 (Les abréviations dans la glose morphémique) Eléments grammaticaux Abréviations dans en chinois la glose 1) Classificateurs 2) Caractéristiques Exemples (cla.) Classificateur nominal Ex 1, 2 (cla.v.) Classificateur verbal Ex 3, 4 A) Particules (q) Marque du qualifiant Ex 5, 6 auxiliaires (c) Marque du circonstanciel Ex 7 structurales (part.compl.) Particule servant à introduire le complément Ex 8 B) Marques (acc.) Marque aspectuelle d’accompli Ex 9, 10 aspectuelles (dur.) Marque aspectuelle du duratif et du progressif Ex 11 (exp.) Marque aspectuelle indiquant une expérience vécue Ex 12 (D) Complément directionnel Ex 13, 14 (D.ext.) Complément directionnel avec sens extensif Ex 15, 16 4)Complément résultatif (R) Particule indiquant le résultat d’une action Ex 17, 18, 19 5) Négation (nég) Négation de l’inaccompli ou de la possession Ex 20 (nég.acc) Négation de l’accompli Ex 21 6) Marque de patient (m.pati.) Particule qui précède le patient Ex 22 7) Marque de passif (m.pass.) Particule qui marque la voix passive Ex 23 Interjection (interj.) Particule interjective Interrogation (interrog.) Particule interrogative Ordinal (ord. ) Marque d’ordinal, correspondant à –ème en français Pluriel (pl.) Particule indiquant le pluriel 3) Verbes directionnels 1) Les classificateurs – (cla.) Les classificateurs constituent des unités de mesure qui portent sur des choses, des actions ou comportements, ou des repères temporels. La fonction essentielle des classificateurs, selon Marie-Claude Paris, « malgré cette étiquette quelque peu impropre, n’est pas de classer les noms, mais de les quantifier » (2003 : 23). En général, les classificateurs ne s’utilisent pas seuls, mais en combinaison avec un numéral ou un déictique (celui-ci / celui-là). Dans notre corpus, nous distinguons des classificateurs nominaux et des classificateurs verbaux : A) classificateurs nominaux – (cla.) dans la glose morphémique 个-gè, classificateur le plus fréquent en chinois, s’emploie pour toutes sortes d’objets. Ex1: 这 个 zhè gè 瓶子 píngzì 71 ce – (cla.) – bocal « ce bocal » 只-zhi1, classificateur employé pour quantifier les animaux. Ex2 : 八 只 小 青蛙 bā zhī xiǎo qīngwā huit – (cla.) – petit – grenouille « 8 petites grenouilles » B) classificateurs verbaux – (cla.v) dans la glose morphémique Les classificateurs verbaux, suivant un numéral, décrivent la densité ou la fréquence de l’action. Ex355 : 打 一 下 dǎ yí xià frapper – un- coup (cla.v) « frapper un coup » Ex4 : 吓 一 跳 xià yí tiào effrayer – un-saut (cla.v) « être effrayé» 2) Les particules auxiliaires A) Les particules auxiliaires structurales : a)的 de, b)地 de, c)得 de, a) 的-de , qui suit le déterminant qualifiant, marqué par (q) dans la glose. Ex5 : 他们 醒来 的 时候 tāmén xǐnglái de shíhòu ils – se réveiller – (q) – moment « au moment où ils se sont réveillés » *的-de , qui suit un pronom personnel, marque la possession, explicité entre crochets. Ex6 : 舔 他的 脸 tiǎn tā de liǎn lécher – il (q)[son] – visage « lécher son visage » b) 地-de, qui suit le déterminant circonstanciel, est indiqué par (c). Ex7 : 大 声 地 喊 dà shēng de hǎn haute – voix – (c) – crier « crier à haute voix » c) 55 得-de , employé entre une expression verbale et son complément, est marqué Cet exemple n’est pas issu de notre corpus. 72 dans la glose par (part.compl.). Ex8 : 玩 得 很 起劲 wán de hěn qǐjìn56 jouer – (part.compl.) – très – avec entrain « jouer avec entrain » B) Les marques aspectuelles Nous avons esquissé, dans III.3.1 portant sur l’enseignement de français en Chine, les moyens linguistiques en chinois pour exprimer le temps et l’aspect. En l’absence de formes morphologiques fonctionnelles en chinois, nous recourons à des expressions adverbiales pour indiquer le temps, et les marques a) 了-le, b) 着-zhe, c) 过-guò, pour l’aspect. a) 了-le, exprimant l’accomplissement d’une action, est marqué par (acc.) Ex9 : 小 青蛙 到 了 新 的 环境 xiǎo qīngwā dào le xīn de huánjìng petit – grenouille – arriver – (acc.) – nouveau – (q) – endroit « la petite grenouille est arrivée dans un nouvel endroit ». 了-le, pourrait aussi servir de marque aspecto-modale exprimant un changement d’état. Ex10 : 瓶子 已经 空 了 píngzì yǐjīng kōng le bocal – déjà – vide – (acc.) « le bocal est déjà vide » b) 着 -zhe, susceptible d’exprimer à la fois la continuation d’une action (progression) ou la continuation d’un état (durée), est désigné par (dur.) dans la glose. Ex11 : 跟 着 小 蜜蜂 gēn zhe xiǎo mìfēng suivre – (dur.) – petit – abeille « en suivant les petites abeilles » c) 过-guò, renvoie à une expérience déjà vécue, indiqué par (exp.) dans la glose. Ex12 : 见 过 这个 东西 jiàn guò zhègè dōngxī voir – (exp.) – ce (cla.) – chose « avoir déjà vu cette chose » 3) Les verbes directionnels – (D) Dans la section (II.1.3.2) portant sur langues à codage sur le satellite (Satellite 56 起劲-qǐjìn, un seul mot en chinois, renvoie à l’expression avec entrain en français. 73 Framed languages)57, nous avons déjà traité du complément directionnel consistant en 24 verbes directionnels en chinois, langue considérée par Talmy comme centrée sur les satellites. Les verbes directionnels ont soit un sens propre, soit un sens figuré (sens extensif et abstrait). Au sens propre, ils expriment l’orientation effective d’une action, au sens figuré, les verbes directionnels sont susceptibles de déboucher sur un sens abstrait sans rapport direct avec la direction. A) les verbes directionnels au sens propre sont indiqués dans la glose par (D) Ex13 : 自己 也 掉 了 进去 zìjǐ yě diào le jìnqù lui-même – aussi – tomber – (acc.) – entrer (D) « il est tombé lui aussi là-dedans » Ex14 : 突然 冒 出 一只 猫头鹰 tūrán mào chū yìzhī māotóuyīng soudain – surgir – sortir(D) – un (cla.) – hibou « soudain un hibou en est sorti » B) les verbes directionnels au sens figuré sont marqués par (D.ext.) dans la glose, le sens varie en fonction du contexte. - le commencement d’une action Ex15 : - 跑 了 起来 pǎo le qǐlái courir – (acc.) – se lever (D.ext.) « (il) s’est mis à courir » l’accomplissement d’une action Ex16 : 然后 鹿 猛 地 停 了 下来 ránhòu lù měng de tíng le xiàlái et puis – cerf – soudain – (c) – arrêter – (acc.) – descendre (D.ext) « le cerf s’est arrêté tout d’un coup » 5) Le complément résultatif – (R) Comme son nom l’indique, le complément résultatif vise à expliciter le résultat d’une action, incarné soit par un adjectif qui renvoie à l’état consécutif à l’action, soit par un verbe dont le sens serait avoir réussi à ou jusqu’à. Ex17 : 摔 shuāi 57 破 pò 了 le 瓶子 píngzī Cf. II.1.3.2, p.32. 74 tomber – cassé(R) – (acc.) – bocal « le bocal s’est cassé » 到- dào ‘arriver’ est un verbe résultatif très fréquent en chinois. Ex18 : 跑 到 了 它们 的 蜂窝 附近 pǎo dào le tāmén de fēngwō fǔjìn courir – arriver(R) – (acc.) – ils (q) [leur] – nid – environs « il les (abeilles) a suivies jusqu’à leur nid » Ex19 : 看 到 地 上 有 一个 大 洞 kàn dào dì shàng yǒu yígè dà dòng regarder – arriver(R) – terre – sur – avoir– un (cla.) – grand – trou « (il a) vu un grand trou dans la terre » 6) La négation – (nég.) A) négation de l’inaccompli 不- bù équivaut à ne...pas Ex20 : 小明 很 不 爽 Xiǎomíng hěn bù shuǎng Xiaoming – très – (nég.) – content « Xiaoming n’est pas très content ». B) négation de l’accompli (nég.acc.) 没- méi, suivi ou non du verbe 有 yǒu ‘avoir’ Ex21 : 它 没 见 过 这个 东西 tā méi jiàn guò zhègè dōngxī il – (nég.acc.) – voir – (exp.) – ce (cla.) – chose « il n’a jamais vu ce genre de chose » 7) La marque de patient – (m.pati.) 把- bǎ, suivi d’un objet qui subit une action. Ex 22: 他们 把 窗户 打开 tāmén bǎ chuānghù dǎkāi ils – (m.pati.) – fenêtre – ouvrir(R) « ils ont ouvert la fenêtre » Dans cette phrase, c’est « la fenêtre » (窗户- chuānghù) qui a été ouverte, action réalisée par « ils » (他们- tāmén). Il s’agit d’une structure qui insiste sur l’objet soumis à l’action, tout en abordant le résultat (ouvert). Un autre exemple : 妞妞 还 把 脑袋 伸 进 了 瓶子 里 Niūniū hái bǎ nǎodài shēn jìn le píngzī lǐ Niuniu – même – (m.pati.) – tête – tendre – entrer (D) – (acc.) – bocal – dans 75 Donc, c’est la tête (脑袋 – nǎodài ) qui a été mise dans le bocal par le chien (妞妞Niūniū). 8) La marque de passif – (m.pass.) 被-bèi, suivi de l’actant comme patient, se trouve dans une phrase à la voix passive. Ex23 : 被 一 大 群 蜜蜂 追 bèi yí dà qún mìfēng zhuī (m.pass.) – un – grand – foule (cla.) – abeille – poursuivre « (il a été) poursuivi par de nombreuses abeilles » Segmentation en propositions des productions en chinois En français, nous avons procédé à la segmentation en propositions en fonction du prédicat, il n’en va pas de même en chinois à cause de la construction verbale sérielle, dont nous avons parlé dans II.1.3.2. Il s’agit d’une structure très courante en chinois, qui permet à plusieurs verbes d’être accolés en séquence, lesquels se comportent comme une seule unité verbale, en renvoyant à un événement unique du point de vue sémantique. Dans la construction verbale sérielle, il existe plusieurs verbes co-prédiqués, qui constitue une seule prédication, renvoyant très souvent à un seul prédicat en français. Par exemple : (chez Qi) 带 了 一只 很 可爱 的 小 青蛙 回 家 dài le yìzhī hěn kě’ài4 de xiǎo qīngwā huí jiā porter – (acc.) – un (cla.) – très – mignon – (q) – petit– grenouille – rentrer – maison « emmener à la maison une petite grenouille très mignonne » [Porter – rentrer → emmener], une construction verbale sérielle où 2 verbes co-prédiqués équivalent ensemble à un verbe du français. Ainsi, pour la production en chinois, quant aux constructions verbales sérielles, nous nous focalisons sur la prédication à laquelle renvoient les verbes co-prédiqués, au lieu de les segmenter en propositions en fonction du prédicat, comme pour le corpus en français. Prenons comme exemple un extrait de la production de Qi: 76 *2a 因为 他 觉得 yīnwéi tā juédé parce que – il – trouver 2b. 家 里 只 有 一只 宠物 jiā lǐ zhǐ yǒu yì zhī chǒngwù famille – dans – seulement – avoir – un (cla.) – animal domestique 2c. 比较 孤单 bǐjiǎo gūdān un peu – solitaire 2d. 然后 就 拿 来 给 小明 作 伴 ránhòu jiù ná lái gěi Xiǎomíng zuò bàn et puis – alors – prendre – venir (D) – donner – Xiaoming – tenir – compagnie « Parce qu’il trouve que la famille est un peu triste avec seulement un animal domestique, ainsi, il a apporté la grenouille pour tenir compagnie à xiaoming » Il s’agit du deuxième énoncé de la production en chinois de notre informatrice Qi. Nous avons segmenté cet énoncé en 4 propositions, 2a) est indiqué par le prédicat cognitif 觉得 juédé ‘trouver’, 2b), par le prédicat attributif 有 yǒu ‘avoir’, 2c) est une proposition avec un qualitatif à valeur prédicative 孤单 gūdān ‘solitaire’, et 2d est une construction verbale sérielle qui renvoie à deux prédicats en français (apporter – tenir compagnie). A part les critères de segmentation en propositions, il n’existe pas de différence dans la présentation des données (les icônes et les étiquettes pour l’épisode / l’énoncé / la proposition), quelle que soit la langue de production. 77 DEUXIEME PARTIE ANALYSES DE RECITS Chapitre V Le Chat Chapitre VI Le Cheval Chapitre VII Synthèse et hypothèses : Le Chat vs Le Cheval Chapitre VIII Frog, where are you ? 78 Chapitre V Le Chat V.1. Les événements spatiaux V.2. Relations spatiales impliquées dans l’introduction V.3. V.4. V.5. V.6. V.2.1 Localisation statique V.2.2 Déplacements Relations spatiales impliquées dans le développement V.3.1 Déplacement du chat V.3.2 Apparition du chien V.3.3 Intervention du chien Relations spatiales impliquées dans le dénouement V.4.1 Déplacement des intrus V.4.2 Déplacement de l’oiseau L’organisation de l’information spatiale V.5.1 Parcours de l’oiseau V.5.2 Parcours des intrus Constatations V.6.1 Les événements spatiaux V.6.2 La sélection de l’information spatiale 79 Dans le présent chapitre, nous allons analyser, sous l’angle de la spatialité, les productions en français L2 du récit Le Chat des apprenants chinois. Dans un premier temps, nous allons expliciter les événements spatiaux impliqués dans les images, avant de décrire les différentes solutions des apprenants pour y faire référence. Ensuite, nous allons examiner les parcours des référents animés à travers l’organisation de l’information spatiale, pour enfin aboutir à des constatations visant à révéler les facteurs qui influencent la production orale des apprenants à un stade initial. V.1. Les événements spatiaux L’introduction du récit comprend les 3 premières images, qui présentent l’arrière-plan du récit, en localisant les oisillons et/ou l’oiseau par rapport à l’arbre ou éventuellement, au nid, et deux événements déclencheurs de la trame: le départ de l’oiseau (oiseau →) et l’apparition du chat ( chat ←). La trame narrative se développe dans les images 4, et 5, avec au moins 2 événements spatiaux: le déplacement du chat sur l’arbre et l’apparition du chien (chat ↑, chien ←). L’image 5 illustre un autre événement : l’intervention du chien qui pourrait impliquer une relation spatiale. Nous avons ainsi décidé de le traiter dans la section V.1.2.3 Intervention du chien du présent chapitre. Le récit se termine avec l’image 6 qui illustre la poursuite du chat par le chien et le retour de l’oiseau ( chien→ chat →, oiseau ↔ ). Il est à noter que le retour de l’oiseau est partiellement présenté dans l’image 5, mais nous avons décidé de le traiter dans le dénouement du récit en insistant sur l’état final de l’oiseau. Les événements spatiaux impliqués dans le récit Le Chat pourraient ainsi se résumer au tableau suivant : 80 Tableau V-1 (Evénements spatiaux impliqués dans le récit Le Chat) Localisation Introduction (images 1-3) oisillons/oiseau – nid – arbre Déplacements oiseau → chat ← chien ← chat↕chien Développement (images 4-5) - chat ↑ Dénouement (image 6) - oiseau↔ chien→ chat → Nous avons choisi de présenter les déplacements en question par flèches, cela pour une double raison. D’une part, cette icône simple et claire permet de révéler la direction du mouvement à première vue, d’autre part, si les prédicats concrets avaient été utilisés pour faire référence aux déplacements, certaines interprétations des apprenants n’auraient pas été dévoilées, car un même événement spatial ne se borne pas à une seule solution. Prenons l’exemple du départ de l’oiseau, si le procès était présenté par le verbe partir, on risquerait d’écarter d’autres possibilités, telles que « quitter la maison », « sortir du nid », ou tout simplement une localisation statique avec un adverbe locatif « le grand oiseau n’est pas là », ce sont des expressions relevées dans les productions orales des étudiants, lesquelles ne sont point inappropriées. Notre étude a pour objectif de décrire et de décrypter les stratégies de l’organisation d’information spatiale chez les étudiants à différents stades d’acquisition du français, non pas de les juger selon ce qui est ou pas correct. V.2. Relations spatiales impliquées dans l’introduction En plus d’une localisation statique, l’introduction comprend deux déplacements, ceux de l’oiseau et du chat. Ce sont des événements spatiaux importants, car la localisation permet d’établir l’arrière-plan du récit, tandis que le départ de l’oiseau et l’apparition du chat déclenchent le développement de la trame. V.2.1 Localisation statique Les propositions renvoyant à la description de l’arrière-plan révèlent deux tendances : 16 étudiants ont choisi de localiser les oisillons/l’oiseau par rapport à un fond, et 6 étudiants se contentent d’introduire ces derniers avec la structure existentielle il y a, sans point de référence. Tableau V-2 (Localisation statique : introduction) 1 Absence de relation spatiale : (6/22) 81 2 Relation spatiale simple (13/22) a Oiseaux/grand oiseau – arbre: dans/à/sur (10) b Maison des oiseaux – arbre : dans (2) c Oiseau – bois : dans (1) a 3 Relation spatiale composée b (3/22) Oiseaux – arbre : dans Oiseaux/ oiseau maman – maison : dans Nid – arbre : dans Oiseaux/grand oiseau – nid : dans Arbre – bois : dans c Nid – branche d’arbre : sur Oiseaux / grand oiseau – nid : dans V.2.1.1 Absence de relation spatiale 6 étudiants ont choisi de démarrer le récit en introduisant le référent animé (oiseau et/ou enfants oiseaux) à travers la structure existentielle il y a, sans évoquer l’arrière-plan. Le mot oisillon n’étant pas disponible, ils ont choisi petits oiseaux ou enfants pour le remplacer58. Alix, David et Sylvie ont précisé le nombre d’oiseaux, qui est bien vague chez Eva (beaucoup) et Sophie (une famille), alors que Cécile ne s’est focalisée que sur le grand oiseau. David a fourni plus de détails dans l’introduction, pourtant il n’a indiqué aucun fond dans la localisation, comme les 5 autres locutrices. (Alix) *1. (Cécile) *1. (Eva) *1a. 1b. (Sophie) *1. (Sylvie) *1. euh il y a un [zwa] euh il y a un + oiseau + papa et trois petits oiseaux un jour il y a euh un oiseau euh et + il y a un oiseau qui a beaucoup d’enfants euh il y a une famille euh d’oiseaux il y a des oiseaux euh il y a un grand il y a un grand [zwazo] et et trois petits oiseaux (David) *1a. auparavant il y a un oiseau 1b. +++ l’oiseau a trois enfants 1c. il l’aime beaucoup V.2.1.2 Relation spatiale simple Par « relation spatiale simple », nous entendons une seule information spatiale 58 Les autres étudiants ont recouru à oiseaux, grand oiseau pour distinguer les deux référents animés. 82 incarnée par la préposition entre la figure et le fond, 13 étudiants ont choisi cette formulation pour construire l’arrière-plan de leur histoire. Nous constatons 3 types de relation simple dans les productions. ¾ a : oiseaux / grand oiseau – arbre 10 étudiants se sont focalisés sur la relation entre les oisillons/l’oiseau et l’arbre, c’est un choix naturel, car ces deux référents constituent les entités les plus importantes du déroulement de l’intrigue. i) [Oiseaux/grand oiseau (Fg) + il y a dans/à/sur (situation) + arbre (Fd) ] (7/10) ii) [famille d’oiseaux (Fg) + habiter dans (situation) + arbre (Fd) ] (2/10) iii) [je (Fg) + être dans (arbre) + arbre (Fd) ] (1/10) La plupart des étudiants préfèrent la structure existentielle il y a (i), car il s’agit d’une construction peu coûteuse et efficace. Peu coûteux parce que c’est une structure introduite très tôt en tant qu’expression figée, ainsi pas de changement morphologique ; efficace parce qu’il suffit d’ajouter le fond et la figure avec une préposition pour expliciter la situation entre les oiseaux et l’arbre. Pourtant, une divergence a été observée quant au choix des prépositions : nous avons relevé 4 « dans », 2 « sur » et 1 « à »59. Dans le cas (ii), la formulation identique des deux étudiants pourrait s’expliquer par le lien intrinsèque entre la famille des oiseaux et habiter. Il s’agit d’une construction familière aux étudiants, introduite très tôt dans le manuel60, et les enseignants ont fait répéter aux étudiants « ma famille habite dans la province du ... » pour se présenter. Il reste encore un cas exceptionnel : notre locutrice Violette a choisi de raconter l’histoire en première personne, dans la perspective d’un oisillon, ainsi la figure est nécessairement je dans la relation spatiale (iii). (Violette) *1a. je suis un petit euh oiseau euh euh dans dans un grand arbre 1b. et euh je [rεs] euh je vis euh je vis avec euh mes deux deux frères et ma mère ¾ b : maison des oiseaux – arbre 59 Nous aborderons plus loin les phénomènes liés aux prépositions dans les chapitres VII.2.3, p.180, et VIII.2.2.1, p.200. 60 « - Où habite ta famille ? – Elle habite dans la province du Hebei. » , cette structure est introduite dans la leçon 11 du tome I, soit à 2 mois d’apprentissage du français. 83 Nous avons marqué une distinction entre cas b et la formulation (ii) de la relation précédente, parce qu’il convient de nuancer les deux figures en question : la maison des oiseaux renvoie au « lieu où habitent les oiseaux », donc le nid, alors que la famille des oiseaux fait référence à « l’ensemble de personnes formé par le père, la mère et les enfants », donc les oisillons et l’oiseau. (Claire) *2a. 2b. 2c. (Océane) *1. dans un arbre il y a une maison c’est la maison des oiseaux ++ c’est la maison des oiseaux ++ la mère et trois enfants [vi] euh vivent très heureux dans un arbre il y a une maison des oiseaux Claire et Océane préfèrent le recours à la maison, car c’est une figure économe : elle permet de combler la lacune de vocabulaire, car le nid n’était pas disponible aux apprenants à l’époque. Et en même temps, cette figure implique les habitants, soit les oiseaux, référent animé formant la figure réelle. Il s’agit ainsi d’un choix qui fait d’une pierre deux coups. ¾ c : oiseau – bois (Théa) *1a. 1b. 1c. euh dans une bois euh il y a un [waz] il y a un oiseau euh il a euh il a trois enfants euh ce sont les oiseaux euh ce sont les trois euh petites oiseaux euh ce sont les oiseaux très [ani] très + [ε] [ε] euh aimables Théa a aussi utilisé la structure il y a, mais pour introduire l’oiseau et le bois. Le fond paraît bizarre dans cette relation, car tout au long de la séquence d’images sur laquelle se sont appuyés les locuteurs, il n’y a qu’un arbre, mais pas un « espace couvert d’arbres », il s’agit donc d’un fond un peu trop élargi par l’imagination de la locutrice, qui n’est pas la seule à le mentionner61. La maison des oiseaux et l’arbre, en tant que référents inanimés, ne sont d’ailleurs pas absents de la narration de Théa, mais ils ne surviennent qu’un peu plus tard. V.2.1.3 Relation spatiale composée Dans l’introduction de l’arrière-plan, 3 étudiantes ont établi une relation composée, avec plus d’informations spatiales. 61 Que nous voyons un peu plus loin, dans le cas c de la page suivante. 84 ¾ a : oiseaux – arbre / maison Notre locutrice Adèle a choisi de situer deux fois les oiseaux par rapport aux différents fonds. (Adèle) *1a. il y a beaucoup de euh ++ il y a beaucoup de d’oiseaux et + et dans dans un dans un arbre 1b. et euh ++ et et et des oiseaux et son et et + ses ses et et sa sa maman et et vit ensemble euh dans euh son petite maison Dans la proposition 1b, l’adjectif petite précédant maison explicite la référence au nid, sans lequel ce fond pourrait être considéré comme un remplacement de l’arbre afin d’éviter la répétition. ¾ b et c : enchaînement de localisation (Marie) *1a. euh [i] il y a il y a euh il y a un arbre très grand 1b. et dans [narbre] l’arbre il y a un nid un nid 1c. euh un un un oiseau et son et ses trois enfants habitent dans dans un dans dans le [li]- (nid)62 (Louise) *1a. dans le dans les bois euh il y a un grand arbre un grand arbre 1b. et sur une branche euh sur sur la la branche de cet arbre euh il y a un petit nid 1c. euh dans le nid euh il habite ils ils habitent dans le nid euh il y a euh 4 euh 4 oiseaux 1d. euh c’est euh c’est la ce sont euh la mère [zwa] oiseaux et trois petits [zwa] oiseaux Il existe au moins deux relations spatiales dans ces deux cas : le fond de la première relation spatiale sert de figure dans la suivante, ceci dit, les deux locutrices ont précisé leur champ visuel à travers une structure d’enchaînement. Marie et Louise sont les seules étudiantes à connaître le mot nid, mais Louise dispose visiblement d’un vocabulaire plus étendu, ce qui lui a permis d’ajouter le détail de branche. V.2.2 Déplacements Le départ de l’oiseau et l’apparition du chat constituent deux événements spatiaux déclencheurs du développement de la trame narrative. V.2.2.1 Déplacement de l’oiseau ( oiseau → ) C’est le seul événement spatial qu’ont évoqué tous les étudiants. La désignation de ce 62 Il s’agit d’un lapsus de Marie qui a du mal à distinguer la consonne n de l, un problème que rencontrent souvent les étudiants du Sud, la proposition 1b le révèle aussi. 85 procès manifeste 3 types de formulation : 15 étudiants ont recouru à un verbe de trajectoire renvoyant au mouvement de l’oiseau à partir du nid, 5 étudiants ont choisi le verbe déictique aller, et 2 se sont contentés d’une localisation statique pour indiquer l’absence de l’oiseau. Tableau V-3 (Déplacement de l’oiseau : introduction) oiseau → Trajectoire : sortir (7), partir (4), quitter(4) 1 Départ de l’oiseau (20/22) Déictique : aller (5) 2 Absence de l’oiseau (2/22) ¾ Départ de l’oiseau a) Trajectoire 15 étudiants ont indiqué le départ de l’oiseau à travers 3 verbes : sortir, partir, quitter. i) sortir (7 occurrences), indiquant « le mouvement du dedans au dehors », implique donc un point de départ qui est le nid. Avec le verbe sortir, le fond est souvent laissé implicite, c’est pour cela que le fond est absent chez 5 étudiants. Pourtant, Violette et Marie ont choisi de préciser le fond. Comme le mot nid n’était pas disponible à Violette, elle a pris la maison pour le point de départ. (Violette) *2a. euh un jour euh comme ma mère est [sor] sortie de la maison (Marie) 2b. euh [i] euh il il sort il sort de il sort du nid ii) partir (4 occurrences), qui renvoie au mouvement ‘s’en aller, se mettre en route63’, peut être associé à un point de départ ou à une destination, tous les deux facultatifs. Ainsi, 3 locuteurs ont laissé le fond de côté. Il n’y a que Lydie qui a précisé le point de départ – l’arbre. (Lydie) *2a. un jour quand le euh quand + la mère de les oiseaux est + est partir est [par] est partir + de le de l’arbre iii) quitter (4 occurrences), indique l’action de ‘sortir, s’éloigner d’un lieu’, ou de ‘se séparer de quelqu’un’. Dans la perspective du déplacement, c’est un prédicat très 63 Les expressions lexicographiques, soulignées et mises entre guillemets, sont issues du dictionnaire Le Petit Robert. 86 proche de sortir, pourtant, son statut de verbe transitif demande un complément d’objet direct. Et là, les formulations semblent moins convergentes. (Hélène) *2. euh un jour euh le grand oiseau quitter quitter de maison quitter de leur maison (Julia) *2a. et ++ il a quitté 2b. pour [tru] pour chercher quelque chose à manger Visiblement, il existe une maîtrise imparfaite du verbe chez ces deux étudiantes : Julia ignore que le fond y est indispensable, et Hélène marque le fond à l’aide de la préposition de. Il se peut qu’elles aient confondu quitter avec sortir. (Théa) *2a. 2b. *3a. un matin euh [lwa] le grand oiseau quitte son euh quitte sa euh quitte sa maison pour euh trouver euh trouver euh quelque chose pour manger pour ses enfants euh et quand euh il quitte ses enfants Théa a employé deux fois quitter avec deux compléments d’objet différents, d’abord le référent inanimé (la maison) qui sert de fond, ensuite les référents animés (ses enfants). (Cécile) *2a. le mère la mère de l’oiseau euh quitte son enfant 2b. et cherche + euh la [nurεltyr] - nourriture *3a. euh quand + elle a quitté Nous constatons un mélange de la structure de Julia et celle de Théa chez Cécile. Référent animé (son enfant) en tant que fond dans la proposition 2a, le complément est absent dans 3a. D’ailleurs, Cécile est la seule à se tromper du nombre de l’oiseau. b) Déictique 5 étudiants ont choisi le verbe aller pour désigner le mouvement déictique de l’oiseau. (Adèle) *2a. 2b. (Clara) *2a. 2b. (David) *2a. 2b. euh un jour euh + un euh + la maman euh des oiseaux euh [ale]-aller euh pour chercher quelque chose euh + de manger un jour des oiseaux ont faim et leur mère est leur leur mère + va trouver quelque chose pour ses enfants un jour des oiseaux ont faim et leur mère est leur leur mère + va trouver quelque chose pour ses enfants 87 (Eva) *2. et un jour euh il va chercher quelque chose pour son euh pour ses enfants Nous constatons une structure identique aller chercher/trouver de quoi manger aux oisillons. Puisqu’il s’agit d’une action accomplie, aller faire ne marque certainement pas le futur proche, mais l’action ‘se mouvoir dans une direction’ (dans notre contexte, dans le sens s’éloignant des oisillons) afin de trouver de la nourriture. Il existe encore une autre possibilité64 pour exprimer ce mouvement déictique avec le verbe aller : aller suivi d’un complément de destination. C’est le cas constaté chez Louise, elle a aussi précisé la raison du départ de l’oiseau, comme les 4 étudiants précédents. (Louise) *2a. et un jour euh la mère le mère [wazo] [zwa] oiseau + aller à aller à autre aller à un autre autre bois 2b. pour chercher quelque chose à prendre euh quelque chose à à prendre pour euh pour les pour les petits oiseaux ¾ Absence de l’oiseau 2 étudiants ont choisi d’écrire l’état final de l’oiseau dans cet événement pour insinuer le déplacement de ce dernier. (Quinaut) *2a. euh et un jour le euh quand le quand l’oiseau est quand l’oiseau n’est pas là Quinaut a indiqué l’absence de l’oiseau à travers l’adverbe là. (Delphine) *2a. euh un jour + euh le l’oiseau maman et l’oiseau maman est euh cherche euh + cherche quelqu’un65 ++ à [mã] à manger 2b. + les petits les petits oiseaux [rεs] restent à la maison dans la maison Delphine a utilisé chercher indiquant le mouvement ‘s’efforcer de trouver, de découvrir’, qui n’implique pas forcément un déplacement avec changement de localisation, car l’oiseau pourrait bel et bien chercher de quoi manger sur l’arbre même, ainsi, la seule proposition 2a correspond plutôt à un mouvement qu’à un déplacement. Pourtant, la proposition 2b précise l’état des petits oiseaux en les situant dans la maison, et le prédicat rester éclaircit le fait que l’oiseau maman n’est plus 64 Il y a aussi une autre possibilité : aller avec un complément, une préposition, un adverbe indiquant les modalités de l’action, la manière, le moyen (aller à pied, aller rapidement, aller en troupe). Mais cette structure ne convient pas très bien à notre cas qui traite du vol de l’oiseau, aller en volant ne semble pas très courant. D’ailleurs, les étudiants ne disposaient pas d’outils linguistiques pour l’expliciter. 65 Manger quelqu’un est un lapsus évident chez Delphine qui a confondu quelqu’un avec quelque chose. 88 dans le nid. Si le fond reste vague chez Quinaut à cause de l’adverbe là, l’absence de l’oiseau est par rapport au nid dans la description de Delphine. V.2.2.2 Apparition du chat ( ← chat) Dans cet événement, 8 étudiants ont choisi de ne pas introduire de relation spatiale. Très peu de locuteurs (3) ont recouru à la localisation du chat alors que la moitié (11) ont précisé le déplacement du chat à travers différents prédicats. Tableau V-4 (Déplacement du chat : introduction) ← chat 1 Existence du chat sans relation spatiale (8/22) 2 Localisation statique du chat (3/22) 3 Déplacement du chat (11/22) Structure existentielle (4) Perception du chat (4) Chat – arbre (2) Chat – maison (1) Déictique : venir (6) revenir (1) Trajectoire : s’approcher (2) Destination : arriver (1) Manière : se promener (1) ¾ Existence du chat sans relation spatiale 8 étudiants se sont contentés de mentionner l’existence du chat sans fournir aucune information spatiale et cela, à travers la structure existence il y a ou la perception du chat. a) Structure existentielle (4 occurrences) Nous remarquons de nouveau la préférence pour il y a, structure simple et efficace pour introduire une nouvelle entité, ici un chat. Le manque de fond traduirait l’indisponibilité du locatif approprié66 sous pour situer le chat par rapport à l’arbre, préposition qui n’est pas accessible à tout le monde. b) Perception du chat (4 occurrences) (Eva) *3a. et soudain euh un chat euh trouve la maison de euh des des [zwa] des oiseaux (Alix) *3a. + mais à ce temps-là un [∫i] + un chat + [tru] euh un chat trouve les petits oiseaux (Marie) 66 « sous » n’est pas le seul locatif approprié dans cet événement spatial. Dans les productions, nous avons aussi relevé au pied de, près de, à côté de, lesquels sont des formes possibles. 89 *3a. euh et à ce moment-[na] un un chat un chat voit (Laurent) 3b. un [∫at] euh un chat euh un chat les vu chat a a les [vø] a les vu 4 étudiants ont choisi d’introduire le chat à travers un verbe de perception voir/trouver. Il est à noter qu’Eve a profité du verbe trouver pour évoquer la maison des oiseaux. Le recours au verbe voir révèle une maîtrise maladroite du pronom complément d’objet direct : manqué chez Marie et mal placé chez Laurent. ¾ Localisation statique du chat a) Chat – arbre 2 étudiants ont essayé de situer le chat par rapport à l’arbre dans son apparition. (Léon) *3a. euh euh mais un il y a un [∫at] 3b. qui a qui a faim 3c. + euh il il il reste près d’arbre euh (Mélanie) *3. + euh il y a un chat il y a il y a un [∫at] euh après de après d’un euh après de le l’arbre après de l’arbre Léon a d’abord mis en scène un chat affamé avec la structure existentielle il y a, et précisé ensuite l’état du chat (rester) par rapport à l’arbre à travers près de, locution prépositive que Mélanie a aussi tenté de solliciter, mais elle a confondu certainement après avec près, ce qui est compréhensible vu la similitude phonétique. b) Chat – maison (Violette) 2c. euh euh je vois 2d. un chat est à côté de euh ma maison Violette a utilisé la première personne dans la narration, ce qui lui a permis de localiser, à travers les yeux d’un oisillon, le chat à côté de ma maison, laquelle est en fait le nid d’oiseaux. ¾ Déplacement du chat Si 11 étudiants ont choisi de mettre en scène le chat à travers le déplacement, ils ont mis l’accent sur différentes informations spatiales : nous avons relevé 7 verbes déictiques (6 venir et 1 revenir), 2 verbes de trajectoire (s’approcher) et 1 verbe de destination (arriver) et 1 verbe de manière (se promener). 90 a) Déictique i) Venir indique l’action qui permet de ‘gagner le lieu où se trouve celui qui parle ou celui à qui l’on parle’. Dans notre cas, les locuteurs racontent l’histoire en s’appuyant sur une séquence d’images, ils s’imaginent alors dans l’arrière-plan qu’ils ont établi pour introduire la trame. Parmi les 6 étudiants qui ont eu recouru au prédicat venir, il n’y a que Claire qui a explicité davantage la localisation du chat par rapport à l’arbre à travers sous, préposition qui n’est pas disponible à tout le monde, et les 5 autres étudiants ont laissé la destination implicite. (Claire) 4a. +++ euh ++ un chat un chat vient euh sous le sous ces sa sous cet arbre ii) Revenir, prédicat que nous avons relevé chez Sylvie, présente le mouvement de ‘retourner au lieu d’où l’on est parti’. Cette formulation laisse entendre qu’il ne s’agit pas de la première visite du chat qui convoite les oisillons, une interprétation tout à fait possible. (Sylvie) 3b. un [∫] chat un chat est [rə] [rə] revenu b) trajectoire : s’approcher (Cécile) 3b. 3c. *4. un [a∫a] + un un un chat + s’est approché son enfant ++ euh il il veut manger euh il veut manger son enfant ++ euh mais à ce moment-là un chien euh s’approche euh le chat (Théa) *3a. 3b. euh et quand euh il quitte ses enfants un [∫] un chat s’approche Théa et Cécile ont choisi le même prédicat pour insister sur la trajectoire du chat qui s’avance vers les oiseaux. Pourtant, il ne s’agit pas du même parcours. Chez Cécile, le mouvement du chat est suivi de l’apparition du chien, donc, le prédicat s’approcher tout seul implique en même temps l’entrée en scène du chat et son déplacement ascendant sur l’arbre à la rencontre des oiseaux.. Alors que chez Théa, il n’existe pas cette description synthétique, s’approcher ne renvoie qu’à un parcours horizontal parce que le mouvement vertical du chat est décrit dans l’événement spatial suivant. (Théa) *5. et et ensuite euh il commence à monter sur euh l’arbre 91 c) destination : arriver Le verbe arriver, renvoyant à une action de ‘parvenir au lieu où l’on voulait aller’, demande une précision de destination, c’est pour cela que nous avons trouvé chez Louise, le mouvement du chat jusqu’au pied de l’arbre. (Louise) 2c. et ++ et et à ce temps-là en ce temps-là un un un chat un chat euh un chat arrive arrive euh au pied au pied de de d’arbre d) manière : se promener (Delphine) *3. euh + euh à ce moment euh à ce moment un chat + se [prom] se [promən] [sy] l’arbre Malgré la forme erronée de la conjugaison du verbe, Delphine a réussi à introduire le chat en scène par une promenade, en insistant sur la manière du déplacement, quant à [sy], unité non identifiable, il ne peut être que la préposition« sous », parce que le chat ne s’amuse pas à se promener sur l’arbre. Cette indifférenciation entre « sous » et « sur » reflète de nouveau une maîtrise imparfaite du locatif « sous ». ¾ Observation du chat L’apparition du chat ne se limite pas à l’arrivée en scène, elle comprend aussi le mouvement du chat qui s’assied sous l’arbre et observe les oisillons (image 3), pourtant, la plupart des étudiants ont décrit l’image 3 à travers l’activité mentale du chat (vouloir/compter/avoir envie de manger les oisillons). Nous nous contentons de relever les désignations portant sur l’observation du chat, dont certaines pourraient impliquer une relation spatiale. a) Observation sans information spatiale (Quinaut) *3a. il regarde regarde le petit oiseau (Sylvie) *4a. il veut manger des petits [∫] des petits oiseaux 4b. il [rə] il est il a regarde à des petits oiseaux (Claire) 4b. + euh le chat regarde la maison des euh la maison des [zwa] des oiseaux (Violette) 3b. euh le chat euh le chat nous voit 3c. et euh nous voyons le chat 92 Quinaut, Sylvie et Claire ont décrit l’observation du chat à travers le verbe regarder, alors que Violette, à travers l’alerte d’un oisillon, laquelle révèle la convoitise du chat. (Théa) *4a. 4b. 4c. 4d. 4e. et + il trouve euh il trouve que euh ah c’est très bien euh j’ai vraiment de la chance il y a un groupe de euh oiseaux euh d’oiseaux maintenant euh je peux euh avoir une bonne table Chez Théa, les activités mentales (trouver) reflètent la trouvaille du chat qui a aperçu l’existence d’un groupe d’oiseaux. Mais comme les trois locuteurs précédents, la description n’implique pas de relation spatiale. b) Observation avec information spatiale (Delphine) *4a. ++ euh + euh il trouve il trouve 4b. euh la la euh l’oiseau mama maman n’est pas là (Hélène) *4a. euh +++ il voit 4b. il y a beaucoup de beaucoup de petits oiseaux beaucoup de petits oiseaux euh en + en en cet arbre67 (Lydie) *3a. + le chat le chat a vu les des des oiseaux euh ++ euh dans dans l’arbre Chez ces trois étudiantes, l’observation du chat (trouver, voir) dévoile une relation spatiale déjà abordée : l’absence de l’oiseau (Delphine), et la situation des oiseaux par rapport à l’arbre (Hélène et Lydie). V.3. Relations spatiales impliquées dans le développement Le développement de la trame implique 3 événements spatiaux, la montée du chat, l’apparition du chien et l’intervention du chien. V.3.1 Déplacement du chat (Chat ↑) La montée du chat constitue un événement spatial important car le changement de sa localisation met directement en danger les oisillons, maillon crucial pour le développement du récit. 21 étudiants se sont focalisés sur cette trajectoire verticale, seulement une étudiante n’y a pas fait référence. 67 Le recours à la préposition « en » chez Hélène pour incarner la relation entre les oisillons et l’arbre, est plutôt dû à l’impact de l’anglais « on ». 93 Tableau V-5 (Déplacement du chat : développement) Chat ↑ 1 Absence du déplacement (1/22) Déplacement vertical68 2 (21/22) V.3.1.1 Trajectoire : monter (15), s’approcher (2), se diriger vers (1) Déictique : aller (2) Manière : marcher (1) Absence du déplacement (Sophie) *4. euh le chat ++ euh euh le chat euh ++++ le chat euh ++++ le chat veut euh + manger euh les petits oiseaux Sophie a interprété l’activité mentale du chat au lieu de décrire le déplacement, invitant ainsi l’auditeur à imaginer l’action du chat qui lui permet de manger les petits oiseaux. V.3.1.2 Déplacement vertical du chat Nos locuteurs ont décrit ce déplacement vertical sous divers angles : trajectoire, déictique ou manière. ¾ Trajectoire a) monter Si la plupart des étudiants (15) ont choisi monter, c’est parce que c’était le seul prédicat disponible à l’époque, qui permet d’indiquer directement un déplacement vertical dans une action de « se transporter dans un lieu plus haut que celui où l’on était ». Dans ce procès, 2 étudiantes ont laissé le fond implicite, alors que les autres l’ont présenté de différentes façons. 8 étudiants ont marqué le déplacement du chat par rapport à l’arbre, avec sur (4 occurrences) ou à (4 occurrences). 5 étudiants ont aussi essayé d’introduire l’arbre en tant que fond, mais sans préposition (monter l’arbre), c’est un phénomène qui ne pourrait pas s’expliquer que par l’oubli du statut de monter en tant que verbe intransitif, mais plutôt par l’impact de la langue maternelle, nous essayerons de le 68 Dans la section portant sur l’organisation de l’information spatiale, nous allons révéler comment les locuteurs ont pu construire un déplacement vertical à travers différents moyens. 94 déchiffrer plus tard69. b) s’approcher ( Alix) 3b. elle euh il euh il essaie de + il essaie de il euh il essaie d’approche les oiseaux Alix et Cécile70 ont eu recouru au prédicat s’approcher pour marquer l’approchement du chat vers les oisillons, un référent animé. c) se diriger vers (Mélanie) 4b. le chat + [ko] commence + à + euh ++ se [diri] à se diriger vers les petits + oiseaux Comme s’approcher, se diriger vers marque aussi un avancement du chat vers les proies, le fond étant un référent animé. ¾ Déictique : aller (Delphine) 4c. euh ++ euh +++ euh euh il va euh il va au la maison (Hélène) 4b. et puis +++ euh il va manger il va manger euh les petits oiseaux Delphine a employé aller pour orienter le chat dans le sens du nid d’oiseaux, aller incarne donc un mouvement directionnel, avec la maison en tant que fond. C’est différent chez Hélène, car le recours au prédicat aller indiquer à la fois la direction du déplacement et le but de cette action (manger les petits oiseaux). Comme il s’agit d’une action accomplie, le procès aller+infinitif ne présente pas le futur proche. ¾ Manière : marcher (Violette) *5a. et euh et quand il euh quand il marche euh + sur le sur l’arbre Violette a employé un prédicat qui pourrait surprendre à première vue. Mais du point de vue d’un oisillon, marcher sur l’arbre semble plus compréhensible. Notre locutrice a choisi de faire raconter cette histoire par un petit oiseau, cette perspective particulière lui a permis d’interpréter le déplacement du chat en insistant sur la manière. 69 Dans les chapitres VII et VIII, sections portant sur les prépositions. Le recours à s’approcher chez Cécile, qui combine deux événements spatiaux relatifs au chat dans ce prédicat, est déjà abordé dans la section sur l’apparition du chat. 70 95 V.3.2 Apparition du chien (← chien) Si la plupart des étudiants (14/22) ont construit un événement spatial pour l’apparition du chat, par le biais de localisation ou de déplacement, l’arrivée en scène du chien semble solliciter moins d’attention, car seulement 9 étudiants l’ont explicitée à travers une relation spatiale. Tableau V-6 (Déplacement du chien : développement) ← chien 1 Existence du chien sans relation spatiale (13/22) 2 Localisation du chien (2/22) 3 Déplacement du chien Il y a (8) Perception du chien (3) (7/22) V.3.2.1 Se trouver (1) L’action du chien (1) Chien – arbre (1) Chien – chat (1) Déictique : venir (5) Destination : arriver (1) Trajectoire : s’approcher (1) Existence du chien sans relation spatiale 13 étudiants se sont contentés de mentionner l’existence du chien, en laissant implicite la localisation de ce dernier. ¾ Structure existentielle 8 étudiants ont utilisé la structure existentielle il y a pour introduire la nouvelle entité qui est le chien. Le prédicat se trouver, relevé chez notre locutrice Violette, marque aussi l’existence du chien. Le manque de fond reflète plutôt l’insuffisance des moyens linguistiques pour localiser le chien, car se trouver, indiquant « être dans un lieu », demande en principe un fond. (Violette) 5b. euh un un chien euh se trouve ¾ Perception du chien 3 étudiantes ont mis en scène le chien à travers les verbes de perception trouver, voir. (Louise) *4a. et tout à coup le un chien euh s’est s’est un chien euh [tru] trouve euh trouve le euh le chat (Eva) *4. et + en ce moment-là euh un chien le trouve (Lydie) 4b. un chien + euh un chien le voit euh un chien l’a vu euh l’a vu 96 ¾ Action du chien (Delphine) *5a. + tout à coup un un chien ++ euh un chien mange le queue le queue de le queue le queue du chat Il s’agit d’une apparition brusque (tout à coup), Delphine s’est passée du déplacement du chien pour entrer directement dans l’événement suivant, l’attaque du chien, elle a ainsi combiné les deux actions dans le même prédicat manger la queue. V.3.2.2 Localisation du chien 2 étudiantes ont précisé la localisation du chien, Théa a choisi la relation entre le chien et l’arbre, et Clara, celle entre le chien et le chat. (Théa) *8a. 8b. 8c. (Clara) *4a. 4b. et il retourne la tête euh et tout à coup il est étonné il voit un chien euh sous [la] sous l’arbre alors euh il est monté à l’arbre mais il y a aussi un chien derrière la derrière le chat Ce qui est intéressant chez Théa, c’est qu’elle a situé le chien sous l’arbre à travers les yeux du chat. Pour y faire, elle a ajouté un détail : il retourne la tête (8a), un changement de posture du chat, inventé, car cela ne figure pas sur l’image. Clara a utilisé la préposition derrière pour localiser le chien par rapport au chat (4b), référent animé qui est monté à l’arbre (4a). V.3.2.3 Déplacement du chien 9 étudiants ont décrit le déplacement du chien par le biais des prédicats qui présentent différentes informations spatiales. ¾ Déictique : venir 5 étudiants ont employé le verbe venir dans cet événement spatial. (Claire) *6. ++++ heureusement un chien vienne un un chien vient (Quinaut) *4a. mais à ce moment-là euh le euh un chien est venu aussi (Sylvie) *5a. et à ce moment un chien est est revenu + un chien est venu (Marie) 97 *5a. 5b. (Hélène) *5a. 5b. ah mais elle oublie elle oublie que un chat vient euh + à ce moment-là il y a il y a un chien vient Les deux premiers étudiants ont déjà introduit le chat avec venir, confirmé d’ailleurs par aussi dans la proposition 4a de Quinaut. Sylvie a répété le verbe revenir, avant de se rendre compte de son lapsus, paru une fois dans l’introduction du chat. Marie a mentionné ce mouvement déictique du chien à travers l’activité mentale du chat (oublier). Hélène voulait mentionner l’existence du chat (il y a) à travers un déplacement (venir), le sens s’avère clair mais la combinaison formelle, inappropriée. ¾ Destination : arriver (Alix) *4a. mais à ce moment un chien arrive Alix a introduit le chien par un prédicat indiquant le mouvement qui fait ‘parvenir au lieu prévu’, sans marquer le fond qui sert de destination. ¾ Trajectoire : s’approcher (Cécile) *4. ++ euh mais à ce moment-là un chien euh s’approche euh le chat S’approcher est un prédicat de trajectoire très fréquent dans la narration de Cécile, qui y a déjà recouru pour englober l’apparition et le déplacement du chat, cette fois elle l’a utilisé pour mettre en scène le chien, et renvoyer en même temps à l’attaque du chien contre le chat. V. 3.3 Intervention du chien L’image 5 qui illustre l’intervention du chien, pourrait aussi impliquer la chute du chat de l’arbre. Les deux mouvements ne sont pas présents chez tous les étudiants. Nous allons traiter cet événement dans la perspective de la spatialité, plus concrètement, nous allons diviser les propositions renvoyant à l’image 5 en 2 catégories, celle sans trajectoire, et celle impliquant une trajectoire. Tableau V-7 (Evénement spatial éventuel : développement) Evénement sans relation spatiale Action du chien Prédicats portant sur la queue Prédicats portant sur le chat 98 Résultat de l’action du chien Evénement impliquant une trajectoire ( chat↕ chien) V.3.3.1 Chien – agent Chat – agent Absence totale de l’action Allusion à l’action Trajectoire verticale Trajectoire d’approchement tomber Evénement sans trajectoire Les étudiants qui ont choisi de décrire cet événement sans évoquer explicitement d’information spatiale se sont focalisés sur l’action du chien, ou sur le résultat qui en découle. Il arrive que certains locuteurs abordent les deux, et nous ne prenons compte que le procès dominant. ¾ Action du chien L’image 5 est celle qui présente le plus de difficultés pour les étudiants qui manquaient à l’époque le moyen linguistique tirer/mordre la queue pour indiquer l’action du chien contre le chat. La description de l’image se diffère: certains étudiants ont essayé de mentionner la queue, et d’autres, ont interprété autrement pour l’éviter. a) Prédicats portant sur la queue : 3 verbes ont été sollicités pour renvoyer au mouvement mordre la queue : manger, couper, prendre. i) Manger, verbe d’activité71, semble idéal pour combler le manque lexical mordre à l’époque. (Mélanie) *7a. 7b. (Julia) *5a. 5b. le chien ++ euh ++ le chien [mã] euh + euh le queue de le chat + et euh ++ le chien veut [mã] manger le chat et + euh il + il il euh +il euh il ++ euh + il euh + il mange la queue du chat et ++ donc le chat n’a pas [rey] n’a pas [reynis] [reynis] – (réussir) Mélanie a répété le verbe manger, d’abord pour décrire l’action du chien, ensuite pour en expliciter le mobile. Julia a non seulement décrit l’attaque du chien (5a), mais aussi essayé de mentionner le résultat (5b). Nous considérons que l’attaque du chien prédomine dans la description de Julia, vu qu’il n’existe pas de procès identifiable dans la proposition 71 Selon le regroupement par domaines sémantiques au sein des 50 premiers verbes les plus fréquents en français, proposé dans Le lexique verbal dans des restitutions orales de récits en français L2 : verbes de base, flexibilité sémantique, granularité (Noyau, 2005). 99 (5b). ii) Couper (Louise) 5b. le chien le chien euh le chien + coupe coupe la queue de du du chat L’hésitation et la répétition constatées chez Louise montrent que couper, aussi un verbe d’activité, n’était pas le choix idéal pour elle. Nous imaginons mal que le chien peut couper la queue du chat avec les dents, d’autant plus que cette description ne correspond pas à la dernière image qui ne montre pas un chat dont la queue est coupée. L’insuffisance des moyens linguistiques est à l’origine de ce procès mal exprimé. iii) Prendre (Laurent) 5b. euh il + il ++ il prend + il a pris il a pris le il a pris le chat 5c. et +++ pour pour défense euh pour défenser – (défendre) les petites les petits les petits oiseaux Le manque de moyens linguistiques est à l’origine de la formulation de Laurent. Ne disposant pas de verbe nécessaire (tirer/mordre), il a choisi, non sans hésitation, le verbe de manipulation72 prendre pour désigner le mouvement « saisir, s’emparer de », et il avait du mal à solliciter la queue, mot pourtant accessible à l’époque, et il a mis le chat après prendre, dont la combinaison rend le sens imprécis. Il s’agit en fait d’un procès portant sur la queue du chat73, dont la formulation s’avère échouée à cause du vocabulaire restreint de notre locuteur Laurent, qui a d’ailleurs inventé le mot défenser pour expliquer l’action du chien (5c). b) Prédicats portant sur le chat Pour les étudiants qui ont laissé de côté la queue du chat, le choix de prédicats semble plus aisé pour englober l’action du chien. i) Attaquer (Léon) 5c. 5d. il a et il trouve euh il trouve ce ce [∫at] ++ euh +++ il +++ donc euh il a donc il a +++ donc il a ++++ il donc il 72 Noyau (2005). Nous avons relevé l’expression prendre la queue du chat chez notre locuteur David, mais comme il a ensuite explicité la trajectoire du chat issue de cette action, nous avons classé cette désignation dans la catégorie impliquant une trajectoire. 73 100 attaque ce euh ce [∫at] Léon a utilisé attaquer, dans le sens « agir avec violence contre » le chat, il s’agit d’un prédicat factuel visant le but qui n’illustre pas l’intervention concrète du chien : le chien pourrait monter lui aussi sur l’arbre, ou mettre les deux pattes sur l’arbre pour mordre la queue du chat, plusieurs mouvements sont possibles. ii) Crier (Violette) 6b. euh le chien euh est se met en colère 6c. euh il euh euh il + il crie euh à le [∫] il crie au chat Ce qui est particulier chez Violette, c’est qu’elle n’a interprété l’action du chien que par le cri, bien que ce dernier soit en colère (6b). iii) Arrêter (Marie) 6b. le chien le chien + euh le chien arrête arrête le chat Marie a employé arrêter pour renvoyer à l’action du chien qui empêche le chat d’avancer. C’est un prédicat qui indique en même temps le résultat, là encore différents mouvements sont possibles : mordre la queue comme dans le cas a), crier au chat pour lui faire peur (Violette) ou encore attaquer le chat (Léon) pour l’arrêter. Il est à noter que, dans l’action du chien, certains prédicats sont susceptibles d’impliquer des mouvements corporels relatifs au changement de posture, c’est surtout le cas de prendre et attaquer. Pourtant, nous ne les avons pas classés dans la catégorie impliquant une trajectoire, vu qu’il n’y a pas d’information spatiale explicite. ¾ Résultat de l’action du chien a) Absence totale de l’action : 4 étudiants ont choisi d’aboutir directement au résultat de l’intervention du chien. (Sophie) *6a. euh il + il + euh euh euh euh grâce grâce à lui 6b. euh le chat ne peut pas euh manger euh les oiseaux (Sylvie) 5b. il il ++++ euh ++++++ il ++ ne veut pas 5c. le le chat euh manger ces euh manger des oiseaux (Quinaut) 101 4b. euh ++++ il + il parti le chat + il parti le chat euh il est il est il a parti le chat Avec grâce à lui, locution de connotation positive qui implique l’action du chien, Sophie a pu éviter la description de l’attaque du chien pour entrer dans le résultat (6b). Sylvie a montré la bonne volonté du chien (5c), et Quinaut a abordé directement la fuite du chat (4b), mouvement auquel nous allons revenir. (Théa) *6a. 6b. et quand il va toucher les oiseaux euh il a mal il a mal à la queue Le cas de Théa est différent, qui a convertie l’attaque du chien directement en douleur sentie par le chat (6b). b) Allusion à l’action (Hélène) 6b. 6c. (Adèle) *5a. 5b. et ensuite euh ++++ euh +++++ euh et euh +++++ il euh ++ il euh il il ne laisse il ne laisse il ne laisse euh le [∫at] de manger manger manger manger ces petits oiseaux euh euh euh ce chien euh + ne laisse euh ce chat euh de manger des oiseaux A la différence du cas précédent, la formulation ne pas laisser manger chez ces 2 étudiantes, insinue une action concrète du chien dont l’intervention a empêché le chat de manger les oiseaux (6c et 5b). V.3.3.2 Evénement impliquant une trajectoire La trajectoire impliquée dans cet événement est le déplacement vertical du chat qui tombe de l’arbre. C’est un procès déduit de la fuite du chat poursuivi par le chien, donc très souvent intégré dans celle-ci. Il y a pourtant une dizaine d’étudiants qui ont essayé d’expliciter cette trajectoire, et cela, souvent à travers le chien. ¾ Chien - agent a) Trajectoire verticale Malgré la formulation maladroite, 5 étudiantes ont tenté de marquer la trajectoire verticale du chat, avec le chien comme cause : la chute du chat qui tombe (Claire et Océane, Delphine), ou un déplacement échoué du chat qui ne peut pas monter (Clara, Lydie). 102 (Claire) *7a. ++++++ il [lε] il laisse 7b. le chat + tombe il laisse le chat tomber sur + sur terre (Océan) 4d. +++ il ++++++ donc avec sa bouche il +++++++++ il il fait 4e. le chat tomber euh sur la terre (Delphine) 5b. euh ++ euh le chien le chien [tõ]le chien tombe le chat (Clara) 5c. alors il va euh + il n’a il ne laisse pas 5d. le le chat monter (Lydie) *5a. le chien ++ ne le chien ne fait pas ++++ euh le chien ++ ne fait euh ne fait pas 5b. + monter à l’arbre l’arbre 5c. mais il ++ il + mange euh + ( ??) du chien euh du chat 5d. donc le chat ne peut pas euh + ne peut pas toucher + à euh aux oiseaux Sauf Clara, la description de nos locutrices reflète une insuffisance des moyens linguistiques à différents niveaux. Elles maîtrisent visiblement mal l’expression faire faire ou laisser faire. Delphine a pris le verbe intransitif tomber pour celui qui pourrait combiner la cause et la trajectoire, du type monter/descendre quelque chose, un phénomène qui n’est pas unique dans les productions74. Il est à noter que 2 étudiantes ont aussi décrit l’action du chien : Océane a évité le verbe mordre par le biais avec sa bouche. Lydie est encore plus complète, elle a eu recours au verbe manger, mais le sens de la proposition 5c reste obscur à cause de l’unité non identifiable, qui renvoie au mot la queue, elle a d’ailleurs précisé le résultat de l’intervention du chien (5d). b) Trajectoire d’approchement (Alix) 4b. 4c. (Cécile) 5a. 5b. 5c. 74 il euh ++ il euh il euh + il [lε] euh il laisse + euh il laisse euh il laisse + il laisse le chat ne peut pas ++ ne peut pas [pro] euh procher le euh les petits oiseaux euh et puis euh ++ et puis quand le chat s’est approché les enfants euh le chien ++ euh + le le chien euh s’est approché le chat ++ euh et enfin le le chat ne peut pas approcher les enfants Nous avons observé chez Quinaut « 4b.euh ++++ il + il parti le chat + il parti le chat euh il est il est il a parti le chat ». 103 Alix a inventé le mot procher, dérivé de l’adjectif proche ou du verbe approcher. Le recours à laisser, dont la formulation est maladroite, lui a permis de contourner l’action concrète du chat. La forme erronée mise à part, le verbe s’approcher, sollicité maintes fois par Cécile, sert à indiquer à la fois le déplacement des deux animaux (5a, 5b) et aussi le résultat (5c). Pourtant, il ne s’agit que d’une trajectoire relative entre les 3 référents animés (oiseaux enfants, chat et chien). ¾ Chat – agent Deux étudiants ont décrit la chute du chat avec plus de détails : David a indiqué le mouvement concret du chien qui prend la queue du chat (5a), et Eva, plutôt une tentative d’empêcher le chat de manger les petits oiseaux (6a), et ensuite, ils ont abouti à une trajectoire verticale de haut en bas, résultant de l’intervention du chien. Le recours au verbe tomber étant identique, David a insisté sur le fait que le chat ne peut plus monter (5b), et Eva a précisé le point de départ de la chute : l’arbre (6c). (David) *5a. 5b. 5c. (Eva) *6a. 6b. 6c. V. 3.3.3 le chien ++ euh le [∫] le chien euh ++ le chien prend la queue du chat la euh le chat ne peut pas + monter et puis il est tombé et + et ++ et + donc le chien +++++ le chien euh +++++ le chien euh +++++ et le le chien essaie essaie essaie essayer essaie euh essaie ne ne pas laisser + le chat euh manger les petits oiseaux et enfin euh + euh le chien euh pardon le le chat euh tombe de [la] de l’arbre Précision du moment de l’intervention du chien 4 étudiantes ont précisé le moment de l’intervention du chien, un détail laissé de côté chez la majorité des étudiants, qui mérite pourtant notre attention car il pourrait bien impliquer une relation spatiale. (Violette) *6a. + et et puis euh quand euh le + le chat est euh + euh le chat touche euh notre maison (Théa) *6a. et quand il va toucher les oiseaux (Louise) *5a. et quand le chien euh quand quand le chat euh prend presque prend prendre 104 presque le nid le nid de [swazo] Violette et Théa ont toutes eu recours au verbe toucher pour renvoyer à l’action du chat qui va mettre les pattes sur les oiseaux ou le nid, ce qui entraîne un mouvement corporel, un changement de posture du chat. Il en va de même pour Louise qui a utilisé prendre, aussi un verbe de manipulation, dans le sens de saisir le nid. (Marie) *6a. quand quand quand elle est quand il presque presque il presque près de près de près du nid A la différence des 3 étudiantes qui ont évoqué la relation entre le chat et le nid/les oiseaux par le biais d’un verbe de placement, Marie a essayé de situer le chat près du nid, à travers une localisation statique. Il s’agit d’une relation spatiale explicite malgré le manque de prédicat. V.4. Relations spatiales impliquées dans le dénouement Le dénouement du récit est marqué par deux déplacements en concomitance : le départ des intrus et le retour de l’oiseau. Ce sont deux événements importants qui mettent fin à l’histoire. V.4.1 Déplacement des intrus (chien → chat→ ) La majorité des étudiants (17/22) ont décrit l’événement spatial où le chien et le chat ont quitté la scène, en mettant l’accent sur différentes informations : manière, trajectoire, voire cause. Tableau V-8 (Déplacement du chien et du chat : dénouement) chien → chat→ 1 2 Absence du déplacement (5/22) Départ des deux intrus (17/22) Manière : courir (5) Trajectoire : quitter (2) sortir (3) partir (2) suivre (1) Deux informations V.4.1.1 Manière+ trajectoire (3) cause+trajectoire (1) Absence du déplacement 4 étudiantes (Sophie, Adèle, Cécile et Océane) n’ont fait aucune référence au déplacement des deux animaux. Elles se sont contentées du résultat de l’intervention du chien, c’est ce que nous avons déjà abordé dans la section V. 1.2.3 Intervention du chien. 105 (Théa) *13a. mais euh il dit euh mais il dit à le euh mais il dit au chien 13b. euh + euh comme mes enfants comme mes enfants euh ne sont pas euh ne sont pas en danger maintenant 13c. euh laisse euh laisse le chat qui euh laisse le chat quitter Bien qu’il existe le prédicat de trajectoire quitter dans la narration de Théa, ce n’est pas un mouvement réellement effectué, car le procès est transmis par les paroles de l’oiseau. La sortie de scène des animaux est aussi absent chez Théa. V.4.1.2 Départ des deux intrus Parmi les étudiants qui ont décrit le mouvement des deux animaux, 5 ont mis l’accent sur la manière, 8 ont choisi la trajectoire, et 4 étudiantes ont essayé de combiner une autre information avec la trajectoire dans la désignation du procès. ¾ Manière : courir 5 étudiantes ont choisi le même verbe courir pour renvoyer au mouvement des deux animaux. Ce qui est intéressant, c’est qu’elles ont toutes essayé d’indiquer en même temps la trajectoire du déplacement, malgré le manque de prédicats nécessaires tels que pourchasser, poursuivre et chasser qui englobent les deux informations. (Claire) *11a. 11b. (Louise) *6a. 6b. ++ et le chat ++ et le chat court courit + parce que le chien + veut ++ puni euh veut puni punisse + le mauvais chat et le chat le chat a [pø] peur il euh il il courir [a] rapidement Claire et Louise ont fourni une raison à la course du chat : la peur du chat (Louise), la punition du chien (Claire), les deux pourraient faire allusion à une poursuite. (Julia) *6. et + il euh le chien court après le chat Les 3 autres étudiantes ont essayé d’établir une relation spatiale entre le chat et le chien pour tracer le parcours des deux animaux. Julia a eu recours à la préposition après pour situer le chat par rapport au chien. (Lydie) *7. et le chien a commencé [kur] courir + à + le chat (Delphine) *7. le chien et et le chat courent enfin Lydie, n’ayant pas la préposition appropriée sous la main, s’est contentée de la 106 préposition à, après des hésitations. Si nous pouvions deviner la position du chien par rapport au chat dans la description de Lydie, la relation est moins évidente chez Delphine, le chien et le chat étant tous sujets de la course. ¾ Trajectoire Il est à noter que les prédicats indiquant la trajectoire du chat et/ou du chien pourraient bien faire référence à la chute du chat, mouvement absent mais impliqué dans l’image, nous avons décidé de les classer dans la sortie de scène des deux animaux, laquelle, présente dans le support, constitue un événement spatial plus important pour le dénouement du récit. a) quitter (Léon) *6. et euh et le [∫at]+++++ le [∫at] +++++ et et le chat +++++ le chat enfin le [∫at] a quitté (Hélène) *8. et enfin euh le [∫at] et le chien euh chien euh ont ont quitté Léon n’a indiqué que le départ du chat, et Hélène, celui des deux animaux, tous n’ont pas marqué de fond, ce qui révèle une maîtrise imparfaite du prédicat quitter. b) sortir (Laurent) *6a. enfin euh le euh le chat enfin le chat est sorti (Eva) *9. et + le chien + et euh + le chien et euh le chien et le chat sont sortis (Mélanie) 7b. et le chat est sorti + de [∫] euh de euh l’arbre Le déplacement du chien est ignoré par Laurent et Mélanie. La description de Laurent et d’Eva invite à interroger sur le fond impliqué : sortir de l’arbre ou de l’arrière-plan du récit ? Le fond est plus clair chez Mélanie, qui a précisé le point de départ du chat, sorti de l’arbre. c) partir (Quinaut) 4b. euh ++++ il + il parti le chat + il parti le chat euh il est il est il a parti le chat Visiblement, Quinaut voulait expliciter la cause et la trajectoire du mouvement du chat à travers le prédicat partir, mais de façon inappropriée. Il se peut qu’il l’ait pris 107 pour un verbe du type monter quelque chose, ce qui reflète une maîtrise maladroite des verbes de trajectoire. Ce n’est pas le cas de Sylvie, qui enchaîne le départ du chat avec celui du chien, l’ordre des deux propositions pourrait inférer une position du chien derrière le chat. (Sylvie) *7a. enfin le chat est le chat est parti 7b. et le chien est parti aussi d) suivre (David) *6a. le le chien + euh le le chien n’est pas gentil avec le chat 6b. il suit le il suit le chat Si suivre ne fait pas sentir pas la rapidité du mouvement dans la narration de David, l’explication de la proposition précédente (6a) laisse entendre une chasse du chien qui n’est pas gentil avec le chat. ¾ Deux informations a) Manière + trajectoire (Marie) 8b. il il a peur 8c. il il [ku] - court 8d. et le chien suit le chien et le chien [nə] (le) suive Malgré les formes inappropriées de la morphologie ([ku], suive), Marie a réussi à décrire la manière du mouvement du chat (courir), et la position du chien derrière le chat (suivre), ce qui renvoie à une poursuite du chien. (Alix) *5a. 5b. (Clara) 7c. 7d. 7e. et donc le euh le euh le chat + le chat sort et + il euh il court devant le chien alors il est parti tout de suite et le chien sont le chien est aussi euh est aussi [kuri] – couru derrière le chat pour pour le trouver La description d’Alix et de Clara se diffère au prédicat de trajectoire et à la préposition servant à marque la position du chien par rapport au chat. Si partir ne demande de fond, le recours à sortir sollicite la question d’où sort en fait le chat. Alix a décrit le départ des deux intrus en prenant le chat comme perspective (devant) alors que Clara a choisi celle du chien, en précisant la raison de la poursuite (7d, 7e). 108 b) Cause + trajectoire (Violette) 6d. et il fait le [∫] il fait 6e. le chat quitter Si le procès faire quitter incarne la cause et la trajectoire du départ du chat, le fond reste toujours flou à cause du manque de complément d’objet direct. D’ailleurs, le déplacement du chien est aussi absent. V.4.2 Déplacement de l’oiseau (oiseau↔) Si l’événement précédent n’est pas présent chez tous les locuteurs à cause des moyens linguistiques, presque tous les étudiants (20/22) ont décrit le retour de l’oiseau afin de mettre fin à leur narration. Tableau V-9 (Déplacement de l’oiseau : dénouement) Oiseau↔ 1 Absence du retour de l’oiseau (2/22) Retour de l’oiseau 2 Oiseau (20/22) V.4.2.1 Trajectoire : rentrer (10) revenir (4) retourner (4) Destination : arriver (1) Déictique : venir (1) Absence du retour de l’oiseau (Léon) *6. et euh et le [∫at]+++++ le [∫at] +++++ et et le chat +++++ le chat enfin le [∫at] a quitté (Océane) *5. euh ah + il + il a aidé il a aidé les oiseaux *6. quel bon chien Léon a terminé son récit par le mouvement du chat qui a quitté la scène (6) et Océane, par une appréciation de l’action du chien (6). Les deux récits semblent incomplets sans le retour de l’oiseau, mouvement présenté dans la même image que le départ du chat. Il se peut que ce qui soit plus important pour ces deux étudiants, c’est le fait que les oisillons restent sains et saufs, si l’oiseau est parti pour chercher de quoi manger, détail précisé chez les deux, il finira par rentrer, c’est un résultat tellement évident qu’ils ont choisi de laisser implicite. V.4.2.2 Retour de l’oiseau 5 verbes ont été sollicités dans ce déplacement : rentrer, revenir et retourner, arriver, 109 venir. 17 étudiants ont recouru aux 3 premiers qui renvoient à une double trajectoire de l’oiseau. ¾ Trajectoire Grâce au préfix re- indiquant un mouvement en arrière, rentrer, revenir, retourner renvoient en fait à un aller et retour de l’oiseau (dont la destination reste inconnue75), et illustrent au mieux le parcours de l’oiseau (oiseau ↔), ce qui explique la haute fréquence de ces prédicats dans l’événement. a) rentrer 10 étudiants ont choisi rentrer, parce que c’est le premier verbe qu’ils avaient appris, qui indique un mouvement « entrer, revenir dans un lieu après en être sorti ». Parmi les propositions relevées, nous en trouvons 4 avec un fond : 2 étudiants ont choisi chez lui/elle (David et Laurent), les 2 autres, maison (Eva et Claire). (David) *7a. à ce moment-là l’oiseau est rentré [∫] chez lui (Laurent) 6b. et le et le [mε] de le même de les oiseaux euh rentrer chez + chez + elles chez elle (Eva) *8. et et et euh et la mère de euh des petits oiseaux euh rentre à la maison (Claire) *8. et la mère rentre +++++++ dans la maison dans la maison des oiseaux b) revenir : 4 étudiants ont choisi ce verbe qui englobe le déictique et la trajectoire pour le retour de l’oiseau, tous sans indication de fond. Marie, avant d’aboutir à revenir, a mentionné le verbe rentrer. Et Sylvie a renforcé l’information déictique à travers apporter (6b). (Marie) *7. et le [waz] le oiseau [rə] rentre revient (Sylvie) *6a. et à ce moment le grand [zwa] oiseau est [rə] est revenu 6b. il apporte quelque chose à manger pour ses petits enfants c) retourner 4 étudiants ont choisi retourner pour indiquer l’inversion de trajectoire de l’oiseau. 75 Sauf chez Louise, qui a précisé « *2a. et un jour euh la mère le mère [wazo] [zwa] oiseau + aller à aller à autre aller à un autre autre bois ». 110 Nous avons remarqué une forme erronée chez Sophie (7) et une autre précision déictique chez Delphine (6b) avec apporter. (Sophie) *7. et puis euh euh enfin euh le petit euh le grand euh le grand oiseau est [rə] euh le grand le grand oiseau est retour (Delphine) *6a. + euh euh à ce moment euh euh [lwa] l’oiseau maman [rətur] euh retourne 6b. + euh euh il euh +euh elle elle a apporte quelqu’un à [fε] à manger pour les pour les petits oiseaux ¾ Destination : arriver (Adèle) *6a. euh euh euh à ce moment-là euh euh la mère des oiseaux euh arrive euh et il a il apporte euh quelque chose à manger pour euh ses enfants 6b. Adèle a utilisé arriver, verbe qui implique la destination, à lui seul, cette double trajectoire ne pourrait pas être construite, pourtant, Adèle a ajouté dans la proposition suivante apporte quelque chose à manger, détail qui révèle le mouvement déictique de l’oiseau, ainsi a accompli le déplacement de retour. ¾ Déictique : venir (Clara) *6. *7a. 7b. 7c. euh à la fois le mère la mère des oiseaux est + venue le chat est très le chat + a trouvé a trouvé que la mère est venue alors il est parti tout de suite Nous trouvons un peu bizarre le recours au verbe venir, paru 2 fois dans cet événement chez Clara, parce que cette description, acceptable sans le support, ne correspond pas au parcours de l’oiseau présenté dans les images, quelle que soit la perspective. Car même du point de vue du chat (2b), il s’agit aussi du retour (non pas la première parution) de l’oiseau parce que le chat a témoigné le départ de l’oiseau pendant l’absence duquel il a pu monter à l’arbre. V.5. L’organisation de l’information spatiale Dans le récit basé sur un support d’images, l’arrière-plan occupe une place importante car il permet d’introduire le référent inanimé essentiel (l’arbre et/ou le nid) pour ensuite localiser les référents animés (oisillons, oiseau, chat et chien) et leurs actions (partir, monter, etc.). Le récit Le Chat n’implique pas de changement de lieu, tous les 111 événements spatiaux se déroulent autour de l’arbre, qui constitue le point de référence principal. Parmi les 22 productions orales, nous remarquons 3 types d’ancrage spatial pour commencer la narration : 6 étudiants n’ont pas mentionné l’arrière-plan dans l’introduction (cas 1 et 2), alors que la plupart des étudiants ont choisi de l’établir tout au début du récit (cas 3, 4, 5), il existe encore un cas particulier, une étudiante a inventé un arrière-plan pour situer la figure (cas 6). Nous allons examiner le parcours des référents animés (oiseau, chat et chien) dans ces 3 types d’arrière-plan. V.5.1 Parcours de l’oiseau Le parcours de l’oiseau est le suivant : l’oiseau se trouve dans le nid avec ses trois enfants, il s’envole et il revient à la fin avec de la nourriture pour les petits. V.5.1.1 Absence de l’arrière-plan Cas 1 et 2 : La localisation de l’oiseau faisant défaut, le parcours est composé du départ (sortir, quitter, aller, partir) et du retour (rentrer, retourner, revenir). Tableau V- 10 (parcours de l’oiseau : i) Alix 1 2 Localisation oiseau → oiseau ↔ - Sortir Rentrer 76 Cécile - Quitter (o) Rentrer Sophie - Partir Retourner David - Aller chercher Rentrer (chez) Eva - Aller chercher Rentrer (maison) Sylvie - Partir Revenir La différence réside plutôt dans la désignation du départ de l’oiseau : Alix a eu recours au prédicat sortir, qui implique un fond autorisant ce déplacement du dedans au dehors. Si l’absence de l’arrière-plan amène Cécile à relier le prédicat quitter avec un référent animé (les oisillons), dont la localisation est inconnue, elle conduit David et Eva à orienter le mouvement de l’oiseau (aller), en précisant la raison du départ, au lieu de la destination. Pour le retour de l’oiseau, David et Eva ont précisé le fond (chez lui, maison), qui 76 (o) représente le référent animé les oisillons. 112 rappelle le départ de l’oiseau depuis le nid. V.5.1.2 Arrière-plan dès l’introduction La majorité des étudiants ont introduit l’arbre en tant que fond tout au début du récit. Cas 3 : 9 étudiants ont situé l’oiseau (et/ou oisillons) par rapport à l’arbre. Tableau V- 11 (parcours de l’oiseau : ii) 3 Localisation oiseau → oiseau ↔ Adèle Oiseau – arbre Aller chercher arriver/apporter Clara Oiseaux - arbre Aller trouver Venir Delphine Oiseaux - arbre Ne pas être là Retourner/apporter Quinaut Oiseau - arbre Ne pas être là Retourner Hélène Oiseau - arbre Quitter (maison) Revenir Julia Oiseaux - arbre Quitter Retourner Mélanie Oiseaux - arbre Sortir Rentrer Laurent Oiseaux - arbre Sortir Rentrer (chez) Violette Oiseau - arbre Sortir (maison) Rentrer La description du départ de l’oiseau est diversifiée : Adèle et Clara ont choisi le verbe aller pour indiquer à la fois la direction et le but du déplacement ; Delphine et Quinaut, avec la relation spatiale précédemment établie, ont décrit l’absence de l’oiseau pour renvoyer au départ de l’oiseau qui n’est plus sur l’arbre ; Hélène a recouru au prédicat quitter pour évoquer la maison en tant que fond, lequel, absent chez Julia, pourrait impliquer soit l’arbre, soit les enfants, parus dans la localisation précédente ; les trois derniers étudiants (Mélanie, Laurent et Violette) ont employé le prédicat sortir qui implique un fond, il n’y a que Violette qui l’a précisé (maison). Le retour de l’oiseau est bien présent chez tout le monde, sauf Clara qui a employé le verbe déictique venir, lequel constitue une arrivée en scène déictique plutôt qu’un retour, l’inversion de trajectoire est ainsi incomplète chez Clara. Cas 4 : 4 étudiants ont choisi une figure qui fait référence à la fois aux oiseaux et au nid. Tableau V- 12 (parcours de l’oiseau : iii) 4 Localisation oiseau → oiseau ↔ Léon [Famille] habiter (arbre) Sortir - Lydie [Famille] habiter (arbre) Partir (arbre) Rentrer Claire Maison - arbre Partir Rentrer 113 Océane Maison - arbre Sortir - Léon et Lydie ont situé la famille d’oiseaux par rapport à l’arbre. Le statut de la figure famille et le prédicat habiter contribuent à une inférence sur la maison. Ainsi, chez Léon, le déplacement incarné par sortir renvoie à une trajectoire de l’oiseau à partir du nid. Et Lydie a marqué l’arbre en tant que point de départ. Chez Claire et Océane, la maison d’oiseaux, figure dans l’arrière-plan, marque le point de départ pour le déplacement de l’oiseau, et autorise le recours aux prédicats partir ou sortir. Le prédicat rentrer ont permis à Lydie et à Claire de compléter la double trajectoire de l’oiseau, alors que le retour est laissé de côté par Léon et Océane, le parcours de l’oiseau est ainsi incomplet. Cas 5 : Marie et Louise sont plus précises dans l’arrière-plan en fournissant au moins deux relations spatiales. Tableau V- 13 (parcours de l’oiseau : iv) 5 Localisation oiseau → oiseau ↔ Louise Arbre – bois, nid – branche, oiseaux - nid Aller (un autre bois) Revenir Marie Nid – arbre, Oiseaux - nid Sortir (nid) Revenir La description du départ de l’oiseau est ainsi devenue plus aisée : le bois servant de fond général, Louise a pu orienter l’oiseau vers une destination précise (un autre bois) dans un mouvement directionnel (aller). Et Marie a entamé la trajectoire de l’oiseau à partir du nid, entité à la fois fond et figure dans l’arrière-plan. Terminée par le prédicat revenir, la double trajectoire s’avère complète et cohérente chez les deux étudiantes. V.5.1.3 Arrière-plan élargi Tableau V- 14 (parcours de l’oiseau : v) 6 Théa Localisation Oiseau → oiseau ↔ Oiseau - bois Quitter (maison) Rentrer (maison) Cas 6 : Pour démarrer le récit, Théa a évoqué le bois, un fond qui semble trop élargi pour situer précisément l’oiseau. Pour les déplacements de l’oiseau, elle a recouru à quitter et à rentrer, avec chaque fois la maison en tant que fond, la trajectoire s’avère 114 claire alors que la localisation initiale de l’oiseau reste imprécise à cause d’un point de référence inventé. V.5.2 Parcours des intrus Le chat et le chien sont deux intrus dans le récit : le chat apparaît en bas de l’arbre et s’assied en regardant les oisillons, il monte sur l’arbre, pendant ce temps, un chien apparaît sous l’arbre, il mord/tire la queue du chat et le poursuit. Comme les parcours des deux animaux s’entremêlent à partir de l’intervention du chien, nous avons décidé d’illustrer les événements spatiaux relatifs aux intrus dans le même tableau, en marquant à côté des prédicats les référents animés concernés entre parenthèses77, lesquels aideraient aussi à mettre au clair les parcours des intrus. V.5.2.1 Absence de l’arrière-plan Cas 1 : Aucun point de référence n’est abordé dans le récit chez Alix, Cécile et Sophie. Tableau V- 15 ( parcours des intrus : i ) LOC chat ← Alix - Il y a Cécile - Sophie - - chat ↑ Essayer d’approcher (o) S’approcher (o) Il y a Vouloir manger chien ← chien ↕ chat Arriver ≠ laisser approcher (o) S’approcher (A) ≠ pouvoir s’approcher (o) Il y a Grâce à (E) (A) ≠ pouvoir manger chien→ chat → (A) sortir (A) courir devant (E) - Alix a décrit un chat qui a essayé d’avancer vers les oisillons, la tentative d’approchement a échoué à cause du chien, et le chat s’est mis à courir. Le parcours du chat est tracé par rapport à des référents animés (les oiseaux et le chien). Le dernier procès qui empaquette la trajectoire et la manière paraît bizarre : l’ancrage spatial étant totalement absent dans la narration, le fond impliqué dans le déplacement sortir s’avère mystérieux. D’ailleurs, la perspective du chat qui court devant le chien ne laisse pas entendre une poursuite qui les fait sortir de la scène. - La narration de Cécile s’avère plus stérile, car elle s’est contentée du prédicat 77 (E) renvoie au chien alors que (A), au chat et (O) représente le grand oiseau, (o), les oisillons. Les mêmes abréviations sont aussi utilisées dans les tableaux suivants. 115 s’approcher pour les déplacements des intrus : le référent animé existant servant de fond pour situer la nouvelle entité mise en scène. Le parcours n’est que relatif entre le chat, le chien et les oisillons. - Sophie a interprété les mouvements des intrus à travers des procès qui ne sont pas factuels : activité mentale (vouloir manger), prédicat visant le résultat (ne pas pouvoir manger), intervention du chien non précisée (grâce à). L’absence des procès spatiaux rend tout à fait invisible le parcours des deux animaux. Chez ces 3 étudiants, l’ancrage spatial qui fait défaut les amène à construire le parcours des intrus par rapport aux référents existants ou à contourner la formulation de la spatialité. Cas 2 : David, Eva et Sylvie ont choisi de n’introduire l’arbre que dans la montée du chat. Tableau V- 16 ( parcours des intrus : ii ) LOC chat ← David - Il y a Eva - Sylvie - - chat ↑ Monter (arbre) trouver Monter (maison) (arbre) Revenir Monter (arbre) chien ← Il y a (E) trouver Venir chien ↕ chat (E) Prendre la queue (A)≠ pouvoir monter, tomber (E) essayer de≠ laisser manger (o) (A) tomber (arbre) ≠ vouloir (A) manger (o) chien→ chat → (E) Suivre (A) (E, A) Sortir (A) Partir (E) Partir Chez David, l’apparition du chat comme celle du chien, incarnée par la structure existentielle, n’arrive pas à éclairer leur situation. Le fond rendu explicite dans la montée du chat, aide à situer les proies du chat et à indiquer un peu plus tard la localisation du chien près de l’arbre, grâce à son action de prendre la queue du chat. David a mis l’accent sur la chute du chat à travers le couple de verbes directionnels (monter/tomber), pourtant la fuite du chat fait défaut, parce que le seul prédicat suivre n’illustre pas la manière de la sortie de la scène des deux animaux. - Eva a introduit, avec le prédicat de perception (trouver), à la fois le chat et le nid d’oiseaux qui est situé, en règle générale, dans un arbre, ce qui est confirmé par le fond du déplacement vertical du chat (monter). Si elle n’a pas pu marquer 116 intervention précise du chien, elle en a décrit le résultat à travers la chute du chat depuis l’arbre. Le parcours du chien est obscur jusqu’au dernier procès renvoyant au départ des deux intrus, mais le prédicat sortir qui implique un fond nous intrigue, car ni le nid ni l’arbre ne servent de point de départ approprié pour cette trajectoire. - Chez Sylvie, le parcours du chat, composé de déplacements directionnels (revenir, venir, monter) et de départ (partir) s’avère complet et clair, alors que celui du chien se limite à l’arrivée en scène et à la sortie, aucune relation spatiale n’est établie entre le chien et l’arbre, d’autant que l’intervention du chien, incarnée par un prédicat intentionnel (ne pas vouloir), n’aide pas à illustrer sa situation. V.5.2.2 Arrière-plan dès l’introduction Cas 3 : Les étudiants qui avaient introduit l’arbre en tant que point de référence, ont recouru à différents moyens pour mettre en scène le chat, nous distinguons trois types de solutions. Tableau V- 17 ( parcours des intrus : iii ) LOC Adèle Julia (o)-arbre Laurent - chat ← chat ↑ chien ← chien ↕ chat chien→ chat → Il y a Monter (arbre) Il y a (E)≠ laisser manger - Il y a Monter (arbre) Il y a voir (o) Monter (arbre) Il y a (E) manger la queue (A) ≠ réussir (E) prendre (A) (E) courir après (A) (A) Sortir Adèle et Julia ont commencé le parcours du chat à partir de la montée sur l’arbre, car la structure existentielle il y a n’arrive pas à localiser la nouvelle entité. Julia a employé le prédicat manger la queue pour insinuer une localisation du chien près de l’arbre, avant de terminer le parcours des deux animaux par la course, que la préposition après a réussi à qualifier de poursuite. Alors qu’Adèle a utilisé le prédicat visant le but ne pas laisser manger afin d’englober l’intervention du chien et le départ des deux animaux. - Chez Laurent, la montée sur l’arbre et la sortie de la scène constituent le parcours du chat. Celui du chien n’est pas très clair : son action de prendre le chat, n’arrive pas à éclaircir la position des deux animaux. Dans le dernier procès, le 117 prédicat sortir fait référence à un départ à partir de l’arbre, seul fond dans la narration. Mais la relation spatiale entre sortir et arbre paraît inappropriée, surtout s’agissant d’un arbre dénué. Tableau V- 18 ( parcours des intrus : iv ) LOC Clara Hélène Quinaut - (o) -arbre chat ← chat ↑ chien ← chien ↕ chat Venir Monter (arbre) (E) derrière (A) (E) ≠ laisser monter Aller manger Venir monter (arbre) Venir Venir Voir (o) – (arbre) Venir, regarder (o) (E) ≠ laisser manger chien→ chat → (A) partir (E) courir derrière (A) (E,A) quitter (E) partir (A) Chez Clara, le parcours du chat est bien complet avec l’entrée en scène dans un mouvement directionnel (venir), la montée sur l’arbre (monter), la trajectoire interrompue par le chien et le départ (partir). Quant au chien, Clara a choisi de le situer toujours derrière le chat : apparition derrière un chat déjà sur l’arbre et sortie de scène en courant, derrière le chat qui était parti. - Hélène a recouru aux mêmes prédicats pour commencer et terminer le parcours du chat et du chien: mouvement déictique pour les introduire (venir) et mouvement de trajectoire pour les faire sortir de la scène (quitter). Dans la montée du chat, au lieu de recourir à monter comme la plupart des locuteurs, elle a choisi le procès aller manger pour combiner la direction (aller) et l’intention (manger) du chat, tout en établissant un déplacement vertical parce que les proies sont situées sur l’arbre, relation spatiale établie dans l’introduction et réitérée par l’observation du chat. Dans le dernier procès, si le prédicat quitter arrive à renvoyer au départ des deux animaux, il ne constitue pas une poursuite à cause du manque de manière, d’ailleurs l’absence du complément d’objet direct laisse entendre un départ depuis l’arbre. L’action du chien à travers un prédicat intentionnel (ne pas laisser manger) n’illustre non plus sa localisation. - Chez Quinaut, les parcours des deux intrus sont bien distincts jusqu’à l’intervention du chien, dont la formulation erronée (le chien part le chat) traduit son intention d’englober l’action du chien et la trajectoire suivante des deux 118 animaux. Tableau V- 19 ( parcours des intrus : v ) LOC chat ← chat ↑ chien ← Se promener Delphine (arbre) (o) -arbre Chat - arbre Violette Chat – maison - (E) manger la queue Aller (maison) (E) tomber (A) Trouver (O ≠ là) Mélanie Se diriger vers (o) Marcher (arbre) chien ↕ chat chien→ chat → (E, A) courir Il y a (E) manger la queue (A) sortir (arbre) Se trouver (E) crier (E) Faire quitter (A) Delphine a décrit la montée du chat d’une autre façon: entré en scène dans une promenade jusqu’à l’arbre (se promener), le chat s’est aperçu de l’absence de l’oiseau et s’est mis dans la direction de la maison des oiseaux, situés sur l’arbre, ainsi le mouvement déictique aller incarne en fait un déplacement vertical du chat sur l’arbre. L’entrée en scène du chien est réalisée par son intervention de manger la queue du chat, laissant entendre une localisation près de l’arbre, ainsi qu’un procès mal formulé (le chien tombe le chat), visant à combiner la cause et la trajectoire de la chute du chat. - Chez Mélanie, le parcours du chat est clair et complet avec une mise en scène par rapport à l’arbre, un mouvement dans la direction des oisillons et une sortie de l’arbre. La trajectoire se diriger vers ses proies renvoie bel et bien à une montée sur l’arbre, grâce à la localisation des oisillons déjà explicitée dans l’introduction. L’information spatiale relative au chien fait défaut, sauf l’action manger la queue qui pourrait aider à une localisation près de l’arbre. - Violette a choisi de faire raconter l’histoire par un petit oiseau dans l’arbre, cette perspective particulière lui a permis d’interpréter le parcours du chat sous un autre angle spatial : le chat est introduit par rapport à la maison au lieu de l’arbre et le déplacement du chat est incarné par la manière (marcher). Le dernier procès faire quitter, combine la cause et la trajectoire du chat à partir soit de la maison, soit de l’arbre, deux fonds mentionnés dans la narration, et cela, à cause du manque du complément d’objet direct. 119 Le parcours du chien fait défaut, surtout à cause du manque des moyens linguistiques qui permettent de préciser la localisation du chien et son intervention. Cas 4 : Dans l’introduction, 4 étudiants ont choisi une figure qui renvoie à la fois aux oiseaux (référent animé) et au nid (référent inanimé). Tableau V- 20 ( parcours des intrus : vi ) LOC Léon Famille- arbre Lydie Claire Maison - arbre Océane chat ↑ chien ← chien ↕ chat (A) – arbre Monter (arbre) Il y a (E) (E) attaquer ( A) (A) quitter Venir Monter (arbre) (E) voir (E) Manger (?) (E) courir à (A) Venir (arbre) Monter Venir (E) laisser tomber (A) Venir Vouloir manger (o) – (arbre) - chien→ chat ← chat → (A) courir (E) punir Avec sa bouche Monter Il y a (E) Faire tomber (A) - sur la terre Léon a construit un parcours complet pour le chat : l’apparition du chat par rapport à l’arbre, le déplacement vertical sur l’arbre et sa sortie de la scène, dont le fond reste à expliciter à cause du manque de complément d’objet. Alors que le parcours du chien est absent : l’intervention du chien qui aurait pu insinuer une localisation du chien par rapport à l’arbre, est incarnée par un prédicat factuel (attaquer), qui ne révèle pas d’information spatiale, et le départ du chien a aussi fait défaut. - Chez Lydie, le parcours du chat est constitué de déplacements directionnels (venir, monter) et de manière (courir). Le parcours du chien n’est marqué que par une course relative au chat. Ce qui manque chez Lydie, ce sont surtout les moyens linguistiques qui lui auraient permis d’expliciter l’intervention concrète du chien et la position du chien dans la poursuite contre le chat. - Chez Claire et Océane, le parcours du chat est identique, sauf la sortie de la scène (absente chez Océane) : la trajectoire est incarnée par des prédicats directionnels (venir, monter, tomber). Un autre point commun, la montée du chat sans référence à l’arbre, fond que les deux locutrices ont déjà évoqué dans le procès précédent : point d’arrivée de l’entrée en scène du chat chez la première, 120 localisation réitérée des oisillons chez Océane. La différence réside dans le parcours du chien : chez Claire, l’arrivée en scène incarnée par un déplacement déictique (venir) et la sortie, un prédicat intentionnel (punir), la localisation du chien reste toujours imprécise, surtout à cause du procès laisser tomber qui rend encore plus floue son intervention. Alors que Chez Océane, la relation spatiale relative au chien n’est impliquée que dans l’action du chien qui, avec sa bouche, fait tomber le chat de l’arbre. Cas 5 : Marie et Louise ont mentionné au moins deux fonds dans la construction de l’arrière-plan : le nid et l’arbre. Tableau V- 21 ( parcours des intrus : vii ) LOC Marie Nid – arbre (O) - nid Arbre – bois Louise Nid – branche (O) - nid chat ← chat ↑ (A) voir Monter (arbre) Arriver (arbre) Monter (arbre) chien ← (A) oublier (E) Venir (E) trouver (A) chien ↕ chat (A) – (nid) (E) arrêter (A) (A) prendre (nid) (E) couper la queue chien→ chat → (A)courir (E) suivre (A) (A) courir Chez Marie, le parcours du chat débute à partir de la montée sur l’arbre et se termine par la course. Louise est plus précise avec le détail de l’arrivée du chat au pied de l’arbre. Le parcours du chien est étroitement lié au chat chez Marie : entrée en scène (venir) par l’activité mentale du chat (oublier), action factuelle visant à arrêter le chat, et une poursuite contre le chat (suivre). L’intervention du chien incarnée par le prédicat visant le but (arrêter), ne précise pas sa localisation par rapport à l’arbre. Chez Louise, le parcours du chien est invisible, si ce n’est pas l’action de couper la queue, qui pourrait insinuer une localisation près de l’arbre. Il est à noter que le nid explicité dans l’arrière-plan a permis aux deux locutrices de préciser le moment de l’intervention du chien, en situant le chat près du nid, détail ignoré par la majorité des étudiants. V.5.2.3 Arrière-plan élargi Cas 6 : Chez Théa, le parcours des intrus est établi par rapport à un bois, point de 121 référence inventé au début du récit. Tableau V- 22 ( parcours des intrus : viii ) Théa LOC chat ← chat ↑ chien ← chien ↕ chat chien→chat → (O) - bois S’approcher Monter (arbre) (E) - arbre (A) avoir mal à la queue - Théa a introduit le chat par le mouvement de s’approcher, dont la destination est imprécise à cause du fond trop élargi, paru dans le procès précédent. La montée du chat est décrite avec l’arbre comme fond, et la trajectoire du chat est interrompue à la partir de la douleur sentie à la queue. La description relative au chien s’est limitée à une localisation par rapport à l’arbre. Le départ des deux intrus n’a pas été abordée chez Théa, le parcours des deux animaux s’avère ainsi incomplet. V.6. Constatations Les 6 images sur lesquelles se sont appuyés nos apprenants chinois pour raconter l’histoire Le Chat révèlent au moins 7 événements spatiaux, dont une localisation statique constituant l’arrière-plan et 6 déplacements importants pour le déroulement de la trame. L’image 5 qui illustre l’intervention du chien pourrait aussi impliquer de l’information spatiale. V.6.1 Les événements spatiaux Si nous examinons chaque événement, nous pouvons remarquer que celui qui attire le plus l’attention, c’est le départ de l’oiseau (22/22), ainsi que la montée du chat et le retour de l’oiseau (20/22). Viennent ensuite le départ des intrus et la localisation statique au début de l’histoire. Ce sont l’arrivée en scène des deux intrus qui intéressent relativement moins les apprenants, et dans la désignation de l’intervention du chien, événement éventuellement spatial, 9 apprenants ont essayé d’indiquer une trajectoire. Figure V - 1 (Evénements spatiaux : Le Chat) 122 Le Chat 25 20 15 Le Chat 10 5 0 Le Chat cadre spatial oiseau→ chat← chat↑ chien← chat↑chien chien→chat→ oiseau← 16 22 14 21 9 9 17 20 V.6.1.1 Evénements cruciaux S’appuyant sur les images, les locuteurs procèdent, avant de formuler le récit, à une sélection d’informations, en fonction principalement de deux facteurs : l’importance de l’information pour assurer une production cohérente et les moyens linguistiques disponibles. Nous constatons que les événements spatiaux à haute fréquence, sont aussi ceux qui sont indispensables pour un récit complet : la localisation statique illustre le scénario du récit, le départ de l’oiseau et la montée du chat déclenchent le développement, le retour de l’oiseau et la sortie de scène des intrus clôturent la narration. Les moyens linguistiques sont ensuite sollicités pour décrire les événements. Et là, la maîtrise de la langue pèse considérablement sur la formulation. Le manque de connaissances linguistiques amène à sacrifier certaines informations, et nous allons l’illustrer à travers les deux événements spatiaux relativement moins fréquents. - L’arrière-plan Dans le support, il existe deux référents inanimés : l’arbre et le nid. Pourtant, rares sont ceux qui ont mentionné le nid, ce qui serait lié à une double raison : d’une part, il s’agit d’un mot qui n’était pas accessible à tout le monde à l’époque, d’autre part, le nid est laissé implicite à cause des entités mises en scène qui permettent « des inférences fondées sur le processus de référence associative et/ou sur notre connaissance du monde » (Hickmann, Hendriks & Roland, 1998 : 107), car en général, les oiseaux habitent dans un arbre, où ils pondent des oeufs pour avoir des enfants, 123 donc la présence d’un oiseau auprès des oisillons laisse entendre qu’ils se trouvent dans un nid. Les moyens linguistiques et les connaissances non linguistiques contribuent ainsi à une focalisation sur l’arbre pour « sacrifier » l’information du nid, fond plus précis, voire à une absence totale de l’arrière-plan. Dans le sens inverse, quand les apprenants disposent d’un vocabulaire plus étendu, ils ont tendance à fournir plus d’informations, en vue d’élaborer un arrière-plan complexe, lequel est susceptible de rendre plus flexible la désignation d’autres procès, c’est surtout le cas de Marie et Louise (section V.2.1.2). Pourtant, une meilleure connaissance du lexique ne fait pas toujours leur bonheur, surtout quand elle amène à trop élargir le champ visuel pour perdre le point de référence pertinent, la production de Théa en est un bon exemple (section V. 2.1.3). - Le départ des intrus A l’époque de notre recueil de données, les apprenants ne disposaient pas encore des prédicats nécessaires qui englobent la manière et la trajectoire pour renvoyer au départ des intrus, tels que poursuivre, pourchasser ou chasser, la plupart des locuteurs sont ainsi amenés à insister sur la trajectoire (sortir, partir, quitter) et d’autres, sur la manière (courir). Mais les moyens linguistiques ne jouent pas tout seuls. A cela s’ajoute la relation entre le chien et le chat, deux animaux qui ne s’entendent jamais dans tous les pays. Une rencontre entre chien et chat finit toujours par une poursuite, c’est une connaissance universelle partagée par les Français et les Chinois, laquelle inviterait beaucoup d’apprenants à ne s’intéresser qu’à la trajectoire, en laissant implicite la manière du départ des deux intrus. Dans un autre sens, quelques apprenants, grâce à une meilleure maîtrise des prépositions, ont su combiner la manière et la trajectoire dans la sortie de scène, par le biais de la structure courir derrière, après78. V.6.1.2 Evénements spatiaux moins présentés - L’arrivée en scène du chat et du chien suscite moins d’intérêt chez les apprenants, 78 Ces expressions seront abordées dans VIII.2.2.2, p.208. 124 dont la plupart se contentent d’en mentionner l’existence, et là nos locuteurs se sont fait de nouveau guider par la connaissance universelle qui suppose le scénario suivant : quand un chat trouve des oisillons dans un arbre, il veut certainement les manger, et si un chien apparaît, il va sans aucun doute, empêcher le chat. Ainsi, avec la localisation des oisillons et le procès intermédiaire de la montée du chat sur l’arbre, même sans localiser les deux intrus, on pourrait inférer la présence du chat et du chien autour de l’arbre. Pour les apprenants qui ont décidé de présenter l’apparition sous l’angle spatial, ce sont les moyens linguistiques qui dictent : dans la formulation de l’arrivée en scène des deux intrus, le fond est souvent laissé implicite, à cause du manque d’expressions appropriées (sous, en bas de). Nous avons pourtant relevé des occurrences avec un fond, qui renvoient à une localisation vague (près de l’arbre, à côté de la maison), ou à une localisation concrète (au pied de l’arbre), sans compter les formulations erronées (après de l’arbre, [su] l’arbre). - Intervention du chien Après seulement 6 mois d’apprentissage, les apprenants ne disposaient pas encore des prédicats nécessaires (mordre/tirer la queue) pour désigner l’intervention du chien. Par conséquent, certains ont recouru aux verbes d’activité (manger, couper) ou à prendre, verbe nucléaire de haute fréquence, d’autres ont choisi de contourner l’action concrète pour se focaliser sur le résultat, par le biais des prédicats intentionnels ( ne pas laisser manger, ne pas vouloir), ou des prédicats factuels visant le but (punir, arrêter). Le manque de moyens linguistiques a conduit aussi quelques étudiants à interpréter l’intervention du chien à travers un procès impliquant une trajectoire (ne pas laisser approcher/monter, faire tomber, quitter), dont la formulation révèle des maladresses dans la construction de la causativité. V.6.1.3 Evénement oublié Nous remarquons que la 3e image, qui illustre l’activité d’observation du chat, est ignorée par la majorité des apprenants. La raison en est bien simple : à l’époque, les 125 étudiants n’ont pas encore appris le verbe s’asseoir, de plus, la préposition manque aussi pour marquer la situation du chat (comme dans l’apparition du chat). Cela pourrait aussi expliquer pourquoi parmi les 8 occurrences relatives au regard du chat, il y en a seulement 3 avec information spatiale et toutes concernent la localisation des oisillons ou de l’oiseau, et non celle du chat. V.6.2 La sélection de l’information spatiale L’examen plus détaillé du parcours des référents animés montre que la trajectoire de l’oiseau est bien établie, grâce aux moyens linguistiques à portée de main, et que l’itinéraire du chat s’avère plus saillant que celui du chien, très souvent dissimulé. Une hiérarchie de traitement des actants est établie dans le récit Le Chat. Importance de l’arrière-plan L’arrière-plan joue un rôle extrêmement important dans toute la narration parce qu’il constitue l’ancrage spatial des événements composants de la trame narrative. Si l’absence de la référence spatiale n’affecte pas la construction du parcours de l’oiseau, elle influe énormément sur celle du parcours des intrus, parce que quand l’arrière-plan fait défaut, les apprenants sont obligé de tracer la trajectoire du chat et celle du chien par rapport aux référents animés, ou de contourner la formulation de la spatialité (section 2.1.1), le récit Le Chat est devenu ainsi « passe-partout ». Formulation du déplacement vertical du chat Dans un arrière-plan élaboré, un bon agencement des événements spatiaux contribue à tracer de différentes façons, la trajectoire des référents animés. Prenons l’exemple du procès renvoyant au mouvement vertical du chat sur l’arbre, une localisation concrète basée sur l’arbre dans l’événement précédent (l’apparition du chat) a permis de varier la description de la montée du chat, avec focalisation sur la deixis (aller), la direction (se diriger), voire sur la manière (marcher), ou de conduire à une éclipse du fond (section 2.2.2, cas de Claire et Océane). Parcours dissimulé de l’antagoniste 126 Dans le récit Le Chat, le chat étant le protagoniste, le chien, son antagoniste, n’est qu’au second plan. Et les apprenants débutants essaient de rendre clair le parcours du chat, compromettant ainsi celui du chien, d’autant plus que l’événement où l’intervention du chien a mis en relation corporelle les deux animaux aide à illustrer la localisation du chien grâce à celle du chat. Pour y arriver, un prédicat factuel qui explicite le mouvement de l’antagoniste est obligatoire, parce que les prédicats intentionnels ou ceux visant le résultat n’arrivent pas à mettre en contact le chien avec un chat sur l’arbre (section V.2.2, parcours du chien). L’analyse du récit Le Chat nous révèle plusieurs facteurs qui pèsent sur la production à base d’un support d’images : moyens linguistiques, organisation d’événements, connaissances universelles qui pourraient inciter à négliger certaines informations, sans oublier la concurrence de référents animés mis en scène. Les 22 productions orales nous permettent d’observer une tendance à se focaliser sur la trajectoire quand les moyens linguistiques sont limités, d’autre part, de détecter des maladresses d’expressions : choix de préposition, confusion de prédicats (sortir, quitter, partir), structure inventée en vue d’englober la cause et la trajectoire (tomber/partir quelqu’un), etc. Mais nous sommes loin d’aboutir à des conclusions nettes, car un seul corpus ne sert pas de base solide. Pourtant, nous pouvons résumer les résultats de notre analyse sur Le Chat : au stade initial, les connaissances linguistiques conditionnent considérablement la sélection d’informations chez les apprenants qui sont confrontés à une production orale basée sur des images : - ils essaient toujours d’élaborer un arrière-plan pour introduire les nouvelles entités ; - ils s’intéressant avant tout sur la trajectoire des référents animés ; - ils se font guider par des connaissances universelles pour contourner certains événements dépassant les moyens linguistiques. 127 Chapitre VI VI.1. VI.2. VI.3. VI.4. Le Cheval L’entrée en scène du cheval VI.1.1 Le cadre spatial VI.1.2 La désignation de la « barrière » VI.1.3 La relation cheval – barrière – vache Le parcours du cheval VI.2.1 Le franchissement VI.2.2 La chute Les secours des animaux VI.3.1 L’intervention unilatérale de la vache VI.3.2 Les secours conjoints des deux animaux VI.3.3 L’action respective des deux animaux VI.3.4 Cas particulier de Delphine Constatations VI.4.1 Le développement des moyens linguistiques VI.4.2 L’organisation de l’information spatiale VI.4.3 Résultats 128 Le récit Le Cheval comprend 5 images. Les deux l’arrière-plan premières de illustrent l’histoire, en introduisant les référents, dont un inanimé et 3 animés: la barrière sépare le cheval et la vache, avec l’oiseau qui se pose dessus. Les deux images suivantes (images 3-4) constituent le développement de la trame : le cheval saute par-dessus la barrière et tombe sous les yeux des deux autres animaux. La 5e image met fin à toute l’histoire avec les secours assurés par les deux animaux : l’oiseau prend une trousse de secours dans les pattes et la vache met un pansement autour de la jambe blessée du cheval. Les événements qui contiennent nécessairement de l’information spatiale sont l’introduction des référents qui implique la localisation, et le mouvement du cheval (cheval ∩) qui comprend le saut et le résultat du déplacement. Les secours des deux animaux pourraient impliquer aussi des rapports spatiaux, surtout dans l’intervention de l’oiseau qui a quitté la barrière pour transporter la trousse. VI.1. L’entrée en scène du cheval L’introduction du récit implique deux référents inanimés (le pré et la barrière) qui constituent des points de référence pour l’ancrage spatial, disponible dès le début de l’histoire et servant à localiser les personnages relatifs à la trame narrative. Ce qui est particulier dans le récit Le Cheval, c’est que le cadre spatial ne se déploie complètement que sur deux images : la première ne montre qu’en partie le pré et la barrière, et la deuxième élargit l’arrière-plan en situant la barrière entre le cheval et la vache, avec un oiseau posé dessus. Ainsi, la façon de mettre en scène les référents se diversifie chez les locuteurs. VI.1.1 Le cadre spatial 129 A part 5 apprenants, les locuteurs ont tous établi un cadre spatial, en mobilisant, pour renvoyer au terrain couvert d’herbes illustré par les images, tout un éventail de mots : du plus concret (pré, prairie, plaine, champs, ferme), au moins approprié (jardin), en passant par des termes très généraux (herbes, place). Tableau VI-1 (Le cadre spatial) L’arrière-plan et la localisation du cheval ferme (6) champs (3) dans (5) sur (1) dans (2) sur (1) VI.1.1.1 prairie(2) herbes(2) pré(1) plaine(1) place (1) jardin(1) dans sur dans - - - Ø(5) Localisation du cheval Si nous examinons de plus près la localisation du cheval par rapport au fond, nous pouvons constater que les apprenants ont tous recouru à la préposition « dans » ou « sur » pour qualifier la situation. Ce qui est intéressant, c’est qu’il n’y a pas d’ambiguïté quand le fond est incarné par « herbes » (sur), « prairie/pré » (dans), mais quand il s’agit de la « ferme » ou des « champs », il existe quand même une concurrence entre « sur » et « dans ». Le choix des prépositions est lié aux termes qui désignent les objets et aux caractéristiques intrinsèques de ces objets avec lesquels rentrent en relation. Les concepts spatiaux qu’elles encodent sont étroitement liés aux caractéristiques spatiales propres aux objets. Le mot « champ » fait référence à ‘une parcelle de terre cultivable’79. Ainsi, les trois termes « pré » « prairie » et « champ » renvoient tous à un espace défini, et partagent le même trait sémantique physique, la différence réside dans ce qui y pousse (herbes vs plantes cultivées). Au sens propre, la « ferme » est une exploitation agricole, et désigne aussi ‘les bâtiments d’exploitation abritant les machines, les cheptels animaliers, les produits agricoles et l’habitat’. La « ferme » constitue ainsi un espace hétérogène, « dans » laquelle se situent les bâtiments relatifs, et très souvent un terrain destiné au pâturage. La conceptualisation du fond conditionne la relation spatiale de la figure à placer. 79 Comme dans le chapitre V, toutes les expressions lexicographiques, soulignées et présentées entre guillemets proviennent du dictionnaire Le Petit Robert. 130 Quand le fond est qualifié d’« herbes », tout référent peut être facilement situé « dessus », sauf pour les sujets minuscules, susceptibles d’être dissimulés « dans » les herbes. Mais quand il s’agit d’une étendue couverte d’herbes, on a tendance à le considérer comme un espace pour localiser la figure « dedans ». Cette conceptualisation d’un fond tridimensionnel semble largement acquise, sauf Léon qui a localisé le cheval « sur » le champ, ce qui pourrait s’expliquer par l’impact de la langue maternelle, où l’on perçoit souvent les termes relatifs au terrain comme une étendue bidimensionnelle, et marque en général la relation spatiale par 上-shàng (sur) de tout objet qui s’y situe. (Léon) *1a. euh un jour euh le petit cheval il joue sur le champ La « ferme », étant un fond connoté de multiples traits sémantiques, offre plus de possibilités spatiales: la figure est souvent « dans » cet espace, mais elle pourrait aussi être située « devant » la ferme, représentée par l’entrée principale. (Océane) 1b. euh dans une [fεr] euh sur une ferme euh + il y a + un [∫ə] un cheval L’énoncé d’Océane révèle la présence de « dans » et une trace d’hésitation. Si elle a choisi finalement de situer le cheval « sur » la ferme, c’est parce qu’elle a rétréci le champ sémantique, en associant la « ferme » au terrain de pâturage, visualisé comme une extension à deux dimensions par les Chinois. Cette perception réductrice du fond n’est pas un cas unique, car chez Mélanie, a été aussi observée la prononciation fugitive de la préposition « sur » ([sy]), avant le choix définitif de « dans ». (Mélanie) *1a. un cheval court [sy] dans un dans une ferme Ainsi, quand la désignation du fond correspond à l’usage prototypique (herbes), le choix de la préposition se révèle facile et pertinente (« sur »), mais quand le fond est plus difficile à délimiter, et surtout que la perception spatiale diffère entre la langue cible et la langue maternelle (pré, prairie, champ), le choix semble moins évident (« dans » vs « sur »). VI.1.1.2 Relation implicite entre le cheval et l’arrière-plan (David) *2a. ++ euh ++ il il est dans le chemin de chercher sa mère 131 2b. 2c. euh + et puis euh il il euh vient il vient une plaine + sur la plaine il y a une vache David a mis en scène le cheval (il) à travers un mouvement déictique (venir) par rapport à une ‘zone plane et basse’ (plaine), sans préciser la localisation par manque de préposition, pourtant l’introduction de la vache située « sur » la plaine permet d’inférer la position du cheval. Cette précision immédiate éclaire de façon implicite la situation du protagoniste, pourrait servir à compenser l’information manquante dans l’élaboration du cadre spatial. (Delphine) 2d. et euh il arrive il arrive un euh + une euh une + une place très inquiet très euh tranquille N’ayant pas réussi à recruter un mot précis pour le cadre spatial (une place tranquille), Delphine a introduit le cheval par un verbe de destination arriver, sans le localiser. L’omission de la préposition pourrait s’expliquer d’un côté par les efforts concentrés sur la désignation du fond, de l’autre côté, par l’item choisi (une place) dont les traits sémantiques abstraits rendent le choix de la préposition difficile pour la locutrice, qui a fini par s’en passer. (Adèle) 2b. il est euh rencontré euh une [baria] une barrière euh + au au milieu d’un grand d’un grand jardin A cause du moyen linguistique, la situation reste implicite entre le cheval et l’arrière-plan chez David et Delphine, mais elle s’avère inférable grâce à la structure syntaxique mobilisée par Adèle, qui a placé « le jardin » en tant que complément de lieu dans la proposition. Cette solution permet d’introduire d’un seul coup les deux référents inanimés à travers la perception du cheval, et de remplacer la localisation du cheval par la représentation spatiale de la barrière par rapport au « jardin ». VI.1.1.3 Types de prédicats Dans l’introduction du cheval, à part les verbes de deixis (venir) et de destination (arriver) mentionnés un peu plus haut, deux types de prédicats ont été employés : - prédicats statiques qui insistent sur la présence. (Clara) *1a. il y a un cheval 1b. qui s’appelle Henri (Hélène) 132 2a. 2b. euh il y a un cheval euh il y a un cheval un vache et un petit oiseau vivent ensemble dans ce dans ce ferme - prédicats dynamiques de manière du déplacement en impliquant une localisation générale. (Alix) *1a. un jour un [∫ə] euh un cheval court dans une prairie 1b. pour chercher son [zami] euh son ami (Eva) *1a. il y a un cheval 1b. euh qui s’appelle Pierre 1c. et il aime bien euh s’amuser et 1d. se promener en nature (Quinaut) *1. un jour un cheveu euh a fait une promenade sur sur des euh dans des sur des herbes Deux tendances se dégagent dans la mise en scène du cheval : la variation de prédicats dynamiques (courir, s’amuser, se promener, jouer, faire une promenade) et une description plus détaillée qui combine les deux types de prédicats, et cela, soit à travers des propositions juxtaposées ou coordonnées (Violette, Sophie), soit par le biais du pronom relatif qui (Julia, Laurent). (Violette) *1a. un [∫ə] + euh un cheval vit dans une ferme 1b. euh et tous les jours il court euh il court partout dans ce dans cette ferme (Sophie) *1a. il y a euh une grande ferme 1b. dans cette grande ferme il y a un cheval 1c. euh chaque jour il euh il s’amuse tout seul (Julia) 1a. il y a un cheval 1b. qui court (Laurent) *1a. un jour il y a un petit cheval 1b. qui court dans les champs tous les jours VI.1.2 La désignation de « la barrière » La barrière joue un rôle crucial dans les événements spatiaux : en tant que fond qui illustre la relation du cheval par rapport à la vache et/ou à l’oiseau, elle constitue aussi la raison du saut et la cause de la chute. Les choix lexicaux s’avèrent variés, des formes plus ou moins pertinentes (« barrière », « clôture », « grilles »), à des formes 133 sémantiquement dérivées («balustrade », « barricade », « porte »). Tableau VI-2 ( La désignation de « la barrière ») Les mots sollicités pour renvoyer à « la barrière » clôture grille balustrade barricade obstacle barrière porte [ɔbskyl] Ø 5 4 2 2 2 1 1 1 4 En s’appuyant sur l’image, les locuteurs élaborent dans une première étape, une représentation de ce qui est à décrire (dans notre cas, « la barrière »), sous différents angles : dimension physique (assemblage de piquets, de planches ou de perches), dimension fonction (qui enclot un espace), et dimension catégorie (qui appartient aux clôtures). Ensuite, ils entrent dans le processus d’activation sémantique où ils essaient de réunir, dans leur stock de lexique, les informations disponibles et récupérables en mémoire qui correspondent au mieux aux caractéristiques de la « barrière ». La réunion de toutes les propriétés permet d’accéder à la représentation sémantique la plus appropriée, alors que la lacune de certaines informations conduit à des substitutions qui focalisent sur une ou certaines dimensions. Ainsi, l’item « obstacle » (‘objet qui gêne le passage’) est recruté pour insister sur la dimension fonctionnelle, et le mot « balustrade » (‘petite barrière ajourée servant de protection, d’appui ou de décoration’), plutôt pour renvoyer à la dimension « physique », mais la fonction y joue aussi sa part, car la barrière et la balustrade pourraient servir toutes à « protéger ». De ce point de vue, l’item « barricade » (‘rempart de fortune fait de matériaux et d’objets divers’) semble moins incongru, car les apprenants y ont recouru pour faire référence à sa fonction d’entraver le passage, tout en essayant d’incorporer la dimension physique. Plus les traits sémantiques concernés coïncident, plus forte sera la concurrence entre les choix lexicaux, c’est la raison pour laquelle les apprenants ont sollicité « clôture » (5 occurrences), qui englobe toute barrière qui « entoure un terrain ou un espace intérieur », et « grille » (4 occurrences), qui désigne ‘l’assemblage à claire-voie de barreaux servant à fermer une ouverture ou à établir une séparation’, dont la forme, la fonction et la catégorie superposent au mieux aux traits sémantiques de la « barrière », sauf le matériau. 134 Le choix du mot « porte » (‘panneau qui permet de fermer une ouverture destinée au passage à l’intérieur ou à l’extérieur’), paraît moins surprenant car son champ sémantique couvre partiellement celui de la barrière, du point de vue physique (panneau) ou fonctionnel (fermer). Mais par rapport aux autres items sollicités, le mot « porte » possède moins de traits en commun, donc la représentation sémantique correspond moins à l’objet illustré, ce qui pourrait sans doute expliquer son apparition très tardive dans la narration et la pause avant l’activation articulatoire chez Delphine, qui a beaucoup hésité à mobiliser l’item « porte », loin d’être pertinent mais indispensable au mouvement sauter, parce qu’il s’agit d’un terme très fréquent dont « la récupération en mémoire est facile » (Fayol, 1997 : 15). (Delphine) *4a. euh donc euh + euh le cheval euh veut le cheval veut euh ++ euh sauter euh sauter cette +++ euh sauter cette [pɔr] porte Quand l’étape de la sélection lexicale à base sémantique et syntaxique est effectuée, s’enchaîne l’étape à base phonologique dans laquelle seuls les items précédemment sélectionnés sont phonologiquement encodés. (Lydie) *2a. 2b. 2c. donc euh + il ++++ euh mais + dans + la euh dans l’extérieur de la ferme il y a des + il y a des +++++++++ alors euh +++++ le cheval + va euh courir à travers euh + les + [obskyl] de de la ferme donc euh il +++ il a + tombé euh en [tra] à travers euh les [obskyl] La récupération du mot « obstacle » s’avère très longue chez Lydie, qui, après une pause de 22 secondes, a échoué à le prononcer dans la localisation (2a). Pour représenter le déplacement du cheval, la mention du référent s’avère incontournable, car le mouvement qui combine la manière et la trajectoire (courir à travers), demande la présence d’un fond. Lydie, non sans hésiter, est finalement tombée sur [ɔbskyl], phonologiquement proche du terme en anglais « obstacle » ([ɔbstəkl]). Quand l’accès lexical se révèle difficile dans la langue cible, les locuteurs tentent souvent de trouver une référence suggestive dans les autres langues qu’ils connaissent. Dans notre cas, ces apprenants chinois ont tous suivi au moins 6 ans d’études d’anglais dans l’école secondaire, et en disposent donc d’une bonne maîtrise. La langue maternelle étant très éloignée du français L3, ils recourent souvent à l’anglais 135 L2 pour trouver une issue, lequel fournit très souvent de bonnes réponses, surtout pour les mots empruntés. Ce processus est visible chez Lydie, qui, centrée sur la fonction de la barrière à l’étape conceptuelle, mais bloquée à la sélection lexicale, a fini par prononcer l’item choisi comme [ɔbskyl], une interprétation phonologique influencée par l’anglais. Autrement dit, quand le répertoire lexical en français n’a pas suffi, le terme en anglais est intervenu en premier dans le lexique mental de Lydie. Après un examen détaillé des termes sollicités pour renvoyer à « la barrière », nous pouvons aboutir à trois constatations : d’abord, il existe une concurrence entre les termes « grille », « barrière », « clôture », dont les traits sémantiques correspondent au mieux à l’objet à dénommer ; ensuite, les apprenants essaient avant tout d’insister sur l’aspect fonctionnel s’ils n’arrivent pas à rassembler toutes les caractéristiques concernées ; et finalement, la représentation la plus appropriée qui active simultanément plusieurs traits sémantiques, n’est pas accessible à tout le monde, ce qui pourrait expliquer l’omission de ce référent important chez 4 apprenants, qui, dans l’incapacité de le solliciter, ont choisi de l’esquiver. VI.1.3 La relation cheval – barrière – vache La présence de la barrière détermine la relation entre les deux quadrupèdes, et conduit au mouvement suivant du cheval, qui franchit la barrière, souvent pour rencontrer la vache. Tableau VI-3 (La relation cheval – barrière – vache) La relation spatiale cheval – barrière – vache 1. Relation absente (7/22) VI.1.3.1 a. 2. Relation indirecte (4/22) 3. Relation explicite (11/22) Relation absente Absence de « la barrière » (Mélanie) 1b. et il a vu une vache et un oiseau (Hélène) *2a. euh il y a un cheval euh il y a un cheval un vache et un petit oiseau 2b. vivent ensemble dans ce dans ce ferme N’ayant pas réussi à mobiliser le mot « barrière », les 4 apprenants ne disposent pas de point de référence pour spécifier la relation entre le cheval et la vache. Cette 136 dernière est introduite à travers la perception du cheval (Mélanie), ou localisée avec le cheval sans distinction par rapport à l’arrière-plan (Hélène, David80). (Clara) *1a. … *2a. 2b. 2c. il y a un cheval un jour il trouve un taureau qui habite à côté de lui et au milieu euh au milieu d’eux il y a un oiseau Etant la seule à ignorer tout référent inanimé, Clara a dû introduire les référents animés en illustrant leur position relative : le taureau « à côté » du cheval, avec l’oiseau « au milieu ». Il s’agit d’un paradoxe, car l’oiseau, étant mobile, ne peut pas servir de fond en général. Pourtant, en absence de l’arrière-plan, la présence de l’oiseau s’avère indispensable, en tant que fond pour marquer le rapport les deux quadrupèdes, à la place de la barrière. b) Apparition tardive de «la barrière » (Delphine) *3a. … *4a. euh euh ++ euh immédiatement euh il [rãkõt] euh + il rencontre euh une vache euh et un oiseau euh donc euh + euh le cheval euh veut le cheval veut euh ++ euh sauter euh sauter cette +++ euh sauter cette [pɔr] porte (Sophie) 2b. et soudain euh euh et soudain euh et qu’est et soudain il y a quelque chose là-bas 2e. ah c’est un bœuf … 3b. il [travεr] euh il traverse le euh grille Delphine et Sophie n’ont fait référence à la barrière que dans son franchissement par le cheval. La relation spatiale cheval-barrière-vache s’avère absente à cause de la mention trop tardive de la barrière, d’autant plus que la vache n’est pas localisée (3a chez Delphine) ou située trop vaguement (2b chez Sophie). D’ailleurs, l’emploi du déterminant défini (le grille, cette porte) est inattendu pour l’apparition du référent, et suppose une vision partagée avec l’auditeur virtuel. 80 Voir VI 1.1.2, p.132. 137 c) Apparition tardive de « la vache » (Cécile) *2a. un jour euh il a [rãkõ] + il a rencontré euh une clôture … 3d. et monsieur Boeuf a donné des + a donné euh les premières secours Cécile s’est servie du verbe rencontrer pour introduire seulement la clôture. La relation spatiale entre les deux quadrupèdes manque, car la vache ne fait son apparition qu’après le déplacement du cheval par-dessus la clôture, dans l’intervention de secours (3d), et la désignation (Monsieur Bœuf) suppose une connaissance partagée avec l’auditoire imaginé. Ainsi, dans les trois cas susmentionnés, l’élaboration de lien spatial entre les deux animaux et la barrière s’avère impossible, à cause de l’absence du point de référence que les locuteurs n’ont pas pu désigner (a), ou de l’agencement de la mention des référents concernés, introduits tardivement et soudainement dans la narration (b, c). VI.1.3.2 Relation indirecte a) Un arrière-plan hétérogène (Claire) 2b. + quand il est tout près de la [gr] la grille 2c. c’est à dire euh dans la frontière de sa maison et de la maison d’un veau veau + d’une vache 2d. euh +++ il y a une découverte 2e. c’est qu’il y a plus de fleurs euh dans la [mε] euh dans l’autre côté + du grille 2f. et il est donc très jaloux *3a. euh et ce qui est encore pire 3b. c’est que les fleurs de l’autre côté sont beaucoup plus belles que que les siennes 3c. ++ euh et donc il pense 3d. + euh il me faut y aller 3e. pour cueillir tous les fleurs de la vache 3f. euh qu’il est méchant *4a. + et à ce moment-là la vache se euh la vache parle avec un oiseau Claire est la plus détaillée avec au total 40 propositions dans toute la narration. Pour représenter la relation cheval-barrière-vache, elle a commencé par une localisation du protagoniste vis-à-vis de la barrière, le déterminant défini auquel elle a recouru (la grille) semble moins conventionnel pour qualifier une nouvelle entité, mais ne choque pas grâce à la précision de fonction de la barrière qui suit immédiatement. Ensuite, elle continue avec la motivation psychologique du cheval qui, très jaloux, voulait 138 cueillir les fleurs dans l’autre côté de la barrière, laquelle, en tant que frontière, sépare la maison du cheval et celle de la vache. Ainsi, le rapport spatial, au lieu d’être abordé directement, est établi par le biais de l’organisation de l’information, qui autorise en même temps la mise en scène tardive mais effective de la vache. (Océane) *1a. 1b. 1c. *2a. … 3b. 3c. … *4a. il y a deux fermes euh dans une [fεr] euh sur une ferme euh + il y a + un [∫ə] un cheval ces deux fermes se séparent par quelques [ɔbs] euh obstacles et un jour le cheval + court au bord de sa [farm] euh de sa ferme et donc il se mit à courir pour franchir ces obstacles + et à l’autre ferme il y a une vache Océane, ayant dressé un arrière-plan composé de deux fermes, a pu mentionner la barrière en insistant sur sa fonction, ce qui lui a permis d’entrer directement dans la description de l’événement suivant en s’appuyant sur les deux fonds déjà sollicités, et de retarder l’introduction de la vache, qui ne fait apparition qu’après la chute du cheval sans compromettre la relation spatiale, car le cheval est localisé au bord de sa propre ferme, mais pas vis-à-vis de la vache (4a). Ce qui est commun chez Claire et Océane, c’est qu’elles ont eu recours à un arrière-plan non homogène (composé de deux maisons ou de deux fermes), d’où la présence quasi naturelle de la barrière, ce qui libère le cheval de sa dépendance spatiale vis-à-vis de la vache dont l’apparition pourrait être retardée sans nuire à la cohérence discursive. b) Relation spatiale à inférer (Lydie) 1b. et il rencontre euh euh + il rencontre + une vache euh une vache dans ++ dans l’extérieur de la ferme 1c. et il veut bien euh ++ euh + il veut bien euh ++++ euh il veut bien y va 1d. pour euh y va euh euh parler avec la vache *2a. donc euh + il ++++ euh mais + dans + la euh dans l’extérieur de la ferme il y a des + il y a des++++ 139 Dans la narration de Lydie, la vache et la barrière ([ɔbstəkl]81) ont été localisées respectivement vis-à-vis du même fond (la ferme). Le premier recours à la locution prépositionnelle dans l’extérieur laisse entendre qu’il existe, pour distinguer l’intérieur et l’extérieur de la ferme, une séparation, terme que Lydie a eu du mal à mobiliser, ce qui pourrait expliquer son second recours à la même locution, car il s’agit de la solution la moins coûteuse, quand toute la concentration porte sur la désignation de la barrière. Consciente que la relation barrière-vache reste floue, Lydie s’est servie de la conjonction « mais » afin d’insinuer le fait que la présence de la barrière empêche le cheval qui « veut bien y aller parler avec la vache ». (Julia) *2a. 2b. 2d. 2e. 2f. euh ++ et + soudain il trouve qu’il y a un vache devant lui donc il n’a pas trouvé qu’il y a un barricade devant lui et bien sûr il est tombé par terre Julia a emprunté aussi deux fois la même préposition devant pour situer la vache et la barrière, mais par rapport au référent animé qui est le cheval. La barrière (barricade) apparue de façon trop tardive, la relation barrière-vache reste aussi à supposer. La conjonction « donc », en exprimant une conséquence logique, suppose que l’existence de la barrière est naturelle et connue de l’auditoire imaginé. La proposition suivante commencée par « bien sûr » enchaîne une chute causée par la non-perception de la barrière surgie durant la course. Si les conjonctions permettent d’inférer plus ou moins le rapport spatial entre les référents abordés, elles rendent la narration trop dépendante des images, car les liens de conséquence logique (donc, bien sûr) font référence à des connaissances partagées par l’auditoire. VI.1.3.3 Relation explicite La relation cheval-barrière-vache est incarnée directement par des prépositions ou locutions prépositionnelles chez la moitié des apprenants. Quand l’introduction de la vache précède celle de la barrière, cette dernière se situe entre les deux quadrupèdes (6 occurrences). Quand c’est la barrière qui précède, l’expression spatiale s’avère plus 81 Voir VI.1.2, p.135. 140 variée, car la barrière servant de fond, la vache pourrait être située de différentes façons à travers la perception du cheval (5 occurrences). a) L’introduction de la vache avant celle de la barrière (Alix) 1c. 1d. et enfin il le trouve mais il y un obstacle entre euh + eux (Léon) 1c. 1d. (Eva) *2a. 2b. 2c. (Sylvie) *2a. 2d. et quand et puis il voit ses ses amis euh la vache et l’oiseau mais entre lui et lui et la vache il y a un balustrade et un jour euh il a vu + une vache euh euh tout près euh tout près de lui mais euh entre eux euh il y avait euh il y avait des ++ euh clôtures euh euh qui euh qui ont séparé les deux un jour il a euh il a rencontré une vache et un oiseau donc mais entre le entre la vache et lui-même il y avait une clôture Les apprenants ont tous d’abord indiqué la présence de la vache à travers la perception du cheval (rencontrer, voir, trouver), avant de recourir à la structure existentielle (il y a) pour situer la barrière « entre » les deux référents animés. (Quinaut) *2. et puis il a raconté une vache et euh un et une hirondelle euh dans euh sur des sur des herbes sur des herbes *3a. et puis mais a il y a aussi euh une clôture euh entre la va entre la vache et le cheveu A la différence des autres, Quinaut ne s’est pas contenté de la présence de la vache, il l’a localisée (2). Pourtant, si cette précision locative correspond bien à la situation de la vache, elle n’arrive pas à éclairer celle de l’oiseau, juxtaposé avec la vache « sur les herbes », car le locuteur a recouru au même rapport spatial pour situer deux référents positionnés de façon différente par rapport au fond mentionné. (Théa) *2a. *3a. 3b. euh et soudain il a vu un un vœu mais euh il y a des barrières qui se trouvaient parmi eux Chez Théa, le recours à parmi résulte de la confusion des traits sémantiques relatifs à « entre » et « parmi ». Dans l’enseignement, les professeurs utilisent toujours le nombre pour distinguer les deux prépositions : « parmi introduit des entités multiples alors que entre s’emploie 141 principalement lorsqu’il est suivi par deux entités » (KWON-PAR, 2006). Dans notre contexte, la préposition spatiale « entre » est sollicitée pour marquer la position intermédiaire de la barrière, le choix semble évident car le nombre de référents animés est au 2. Chez notre locutrice Théa, les référents désignés par un pronom tonique pluriel eux pourrait sans doute entraîner son choix « parmi » qui, en général, « ne se met qu’avec un nom pluriel» (ibid.). Cette explication semble peu plausible car dans toute la narration, elle n’a mentionné que deux animaux et ignoré complètement la présence de l’oiseau, la raison du recours à « parmi » est donc ailleurs. En fait, le nombre ne constitue pas un critère approprié pour distinguer « entre » et « parmi », car certains d’entre nous, parmi nous (nous > 3) sont tous des termes corrects. Les figures ci-dessous illustrent, mieux que le nombre, les traits sémantiques des deux prépositions. Selon Kwon-Par, « Entre est de façon exclusive marqué par le trait de réciprocité alors que parmi n’est pas marqué par cette relation binaire ». b) L’introduction de la barrière avant celle de la vache (Adèle) 2b. il est euh rencontré euh une [baria] une barrière euh + au au milieu d’un grand d’un grand jardin *3. et en face de la cette euh de cette grille et il y a un [∫əv] il y a un ++ euh +++ il y a un petit oiseau et et un vache aussi (Louise) *1a. un petit cheval qui est limité par des euh par des clôtures 1b. se promène sur les herbes *2a. un jour euh il il trouve à l’autre côté de des [klo] des clôtures 2b. il y a une vache euh (Marie) *1a. il y avait un petit chien 1b. [kɔ] [kɔltyre] dans dans une batterie par des grilles 1d. au-delà des brilles -grilles il voit un [do] euh une vache qui euh qui [brɔ] qui mange les herbes librement 142 (Laurent) 1c. mais il y a un euh [baly] une balustrade 1d. qui lui empêche de traverser *2a. mais au [də] euh mais au-delà de cette balustrade il y a ses il y a ses il y a les amis euh un vache euh un oiseau de de ce petit cheval Comment ces apprenants sont-ils arrivés à élaborer la relation spatiale avec tout un éventail d’expressions prépositionnelles, autres que « entre » ? Dans la construction du cadre spatial, ces 4 apprenants ont tous déjà mentionné la présence de la barrière (partie surlignée), ils peuvent ainsi, à partir de ce point de référence, percevoir (voir, trouver) l’existence (il y a) du (des) nouveau(x) référent(s) animé(s), situé(s) « en face », « à l’autre côté », ou « au-delà » de la barrière. L’existence de la barrière qui précède celle de la vache permet ainsi de changer de perspective d’observation, et de diversifier la représentation spatiale. (Violette) *2a. et euh près de cette ferme euh il y a une [plε] une une plaire - prairie 2b. +++ euh dans + euh ++ et à travers les barricades le cheval a trouvé un un veau et un oiseau Avant de faire entrer en scène la vache et l’oiseau, Violette a élargi l’arrière-plan (la ferme) avec une prairie, ainsi les « barricades » survenues dans la narration laissent entendre qu’elles constituent la séparation entre la prairie et la ferme, ce qui autorise le recours à la locution prépositionnelle « à travers » pour introduire les deux animaux aux yeux du cheval, et l’élargissement de l’arrière-plan composé dorénavant d’une ferme et d’une prairie semble pouvoir compenser l’apparition soudaine de la barrière, et rend le déterminant défini (les barricades) moins incongru. VI.2. Le parcours du cheval Le parcours du cheval est composé d’un déplacement en hauteur (le franchissement) et d’un mouvement vers le bas (la chute). VI.2.1 Le franchissement Le franchissement de la barrière par le cheval constitue le principal événement spatial dans le récit, et nous en distinguons trois solutions : ce mouvement en hauteur est totalement absent chez 5 apprenants, il est abordé par 9 apprenants mais incarné par une motivation psychologique, et le franchissement est explicité à travers différents 143 prédicats chez 8 apprenants. Tableau VI-4 (Le déplacement du cheval ∩) Le déplacement du cheval ∩ 1. Franchissement absent (5/22) VI.2.1.1 2. Déplacement implicite (9/22) 3. Franchissement (8/22) Franchissement absent a) Absence de la barrière (Clara) 3e. et il commence à courir 3f. pour se mettre à la poursuite du taureau 3g. et mais il est tombé (Hélène) *3a. euh ++ et puis un jour il leur arrive une chose euh très bizarre 3b. euh ce cheval euh en euh courant très vite 3c. ce cheval euh se casse se casse euh les jambes (Mélanie) 1c. et il veut les rejoindre 1d. pour s’amuser 1e. mais il est tombé La barrière s’avère incontournable pour représenter le saut du cheval, faute de laquelle les locuteurs doivent trouver une issue pour interpréter le déplacement du cheval, tout en fournissant une raison pour la chute : Clara a mis le cheval dans une poursuite de la vache, Hélène a décrit le mouvement comme un phénomène subit et étrange, alors que Mélanie s’est contentée de la volonté du cheval qui veut rejoindre les amis. Si la conjonction « mais » indique un mouvement vers le bas du cheval causé par inattention chez Clara et Mélanie, l’absence de connecteur dans les propositions juxtaposées et l’absence de la chute rendent la description d’Hélène moins plausible. (David) *4a. 4b. 4c. 4d. 4e. 4f. ++ mais la mais la vache elle ne sait pas la vérité euh elle est très étonnée de trouver un cheval si grand et si inconnu euh qui court vers euh qui court vers lui donc la vache fait fait tomber le cheval euh euh elle elle fait un choc contre le cheval David, le seul interlocuteur à interpréter la chute du cheval en tant que l’attaque de la vache, a pu englober la trajectoire et la cause par le biais de la structure faire tomber, 144 en insistant sur l’agentivité. b) Le mouvement en hauteur dissimulé (Julia) 2d. 2e. 2f. donc il n’a pas trouvé qu’il y a un barricade devant lui et bien sûr il est tombé par terre Si le saut du cheval fait défaut est dû à l’absence de la barrière dans les cas précédents, il est éclipsé chez Julia qui a introduit la barrière de façon tardive et brusque durant la course, dont l’inertie conduit au mouvement vers le bas du cheval. Julia, concentrée à décrire l’apparition inattendue la barrière, a choisi de simplifier le déplacement en hauteur pour aboutir directement à la chute, au lieu d’activer l’interprétation du franchissement. VI.2.1.2 Déplacement implicite Chez ces locuteurs, la description du procès se caractérise par la prédication du mouvement dans une tentative ou une intention, autrement dit, ce qui est prédiqué, ce n’est pas le mouvement même, mais l’acte psychologique concernant ce déplacement en tant qu’intention ou but, la réalisation de l’action est juste envisagée. a) Tentative : Essayer (4 occurrences), s’efforcer (1 occurrence) (Alix) 2c. et donc il euh il [sɔ] + il [es] euh il essaie de 2d. court euh [tra] à travers l’obstacle *3a. mais euh il a euh mais il échouer euh mais il a échoué (Léon) 4d. donc il a essayé de de sauter [sy] de sauter sur le balustrade *5a. euh mais il n’a pas réussi (Louise) 2e. donc euh il veut il veut enjamber euh les des clôtures *3a. euh il a essayé 3b. mais il n’a pas réussi (Quinaut) 5b. euh et il essaie de sauver de sauver la sauver sauter pardon il essaie de sauver sauter la clôture *6a. mais malheureusement il il n’a pas réussi 3 verbes de mouvement ont été sollicités : sauter (Léon et Quinaut), enjamber (Louise), courir à travers (Alix), tous encodent à la fois la manière et la trajectoire par 145 rapport au fond. Ce qui est commun chez ces 4 locuteurs, c’est qu’ils les ont intégrés dans une tentative, incarnée par essayer, qui génère l’inférence non seulement de la mise en application du mouvement, mais aussi du résultat, que tous les locuteurs ont explicité dans la proposition suivante (échouer, pas réussir). (Sylvie) *3a. euh donc il s’efforce il s’est et il s’efforce 3b. de la traverser 3c. mais malheureusement euh il a il a [kas] il a cassé il a cassé il a cassé son jambe Similairement, Sylvie a incorporé le verbe de trajectoire traverser dans les efforts du cheval, dont le résultat est représenté par la blessure. b) Intention : décider (2 occurrences), vouloir (1 occurrence) (Eva) 3e. et et puis euh elle a décidé de passer euh les [kloty] euh les clôtures 3f. et malheureusement euh il est tombé sur le terrain par les clôtures (Théa) 3c. et le cheveu a décidé de franchir les grilles *4a. malheureusement il est tombé par terre (Delphine) *4a. euh donc euh + euh le cheval euh veut le cheval veut euh ++ euh sauter euh sauter cette +++ euh sauter cette [pɔr] porte 4b. mais malheureusement euh il tombe Chez Eva, Théa et Delphine, le déplacement du cheval est représenté par une décision (décider) ou une volonté (vouloir) du cheval, ce qui invite à imaginer la mise en œuvre du mouvement pour réaliser la trajectoire par-dessus la barrière (passer, franchir, sauter), laquelle, « malheureusement », s’achève par une chute. c) Besoin + résultat (1 occurrence) (Violette) *3a. donc mais mais euh d’abord il il faut euh sauter + euh il faut sauter par euh ces barricades 3b. + donc euh mais le cheval est très petit 3c. et il n’ont il n’est pas capable 3d. de sauter euh si haut 3e. enfin euh il + il est tombé par terre Bien que recruté deux fois, le prédicat sauter sert plutôt à illustrer un besoin (3a), et un résultat (3d), l’accomplissement du mouvement est remplacé par une description physique du cheval (3b), ce qui conduit à une action échouée (3e). 146 VI.2.1.3 Le déplacement en hauteur réalisé Divers prédicats ont été utilisés pour renvoyer au saut du cheval, interprété comme un procès factuel : courir à travers, traverser, franchir, sauter, dépasser, passer, même s’envoler. a) à travers, traverser (2 occurrences) (Sophie) *3a. euh en pensant 3b. il [travεr] euh il traverse le euh grille 3c. mais euh en traversant 3d. il tombe par la terre (Lydie) 2b. 2c. +++++++ alors euh +++ le cheval + va euh courir à travers euh + les + [obskyr] de de la ferme donc euh il +++ il a + tombé euh en [tra] à travers euh les [obskyl] Pour tracer le parcours d’ aller d’‘un endroit à l’autre’, Sophie a eu recours au verbe traverser, et Lydie, à la locution prépositionnelle « à travers », structure qui lui permet de combiner d’autres informations : la deixis aller et la manière courir. Si ces moyens linguistiques permettent de représenter le changement de localisation, la trajectoire par-dessus de la barrière ressort moins, car à travers et traverser renvoient plutôt à un déplacement linéaire, sans hauteur. Il est à noter que toutes les deux ont repris les deux termes dans le résultat du déplacement afin d’expliciter la cause de la chute : Sophie s’est servie du gérondif du verbe traverser (3c, 3d), et Lydie, la même locution prépositionnelle « à travers » (2c). b) Sauter (2 occurrences) (Claire) 4c. + mais soudainement euh + le cheval + il saute 4d. et il dépasse la grille 4e. ++ euh pour euh pour euh aller à pour aller dans le champ de la vache Claire s’est servie de 3 prédicats différents en vue de tracer une trajectoire claire et complète avec plus d’informations: sauter comprenant la manière d’un mouvement ‘consistant à se projeter au-dessus du sol’ et le parcours ‘allant vers le haut et en avant’ ; dépasser désignant ‘aller au-delà, franchir’, suivi du fond du mouvement (la 147 grille), et aller, verbe déictique qui indique la destination du cheval (le champ). (Laurent) 3c. donc le petit cheval euh ++ euh s’encourage 3d. et puis euh décider de décider de euh essayer *4a. il il commence il commence à courir avec force 4b. + et puis euh sauter euh juste devant juste devant cette juste devant la balustrade 4c. et + mais comme + on a déjà dit 4d. cette balustrade est très haute pour le petit cheval 4e. il euh il il il il sauter par-dessus de cela Laurent a débuté par une motivation psychologique du cheval (3d), qui a effectué ensuite le franchissement, explicité par courir avec force ainsi que sauter, employé deux fois pour relier respectivement le point du décollage (juste devant la balustrade), et le parcours en hauteur (par-dessus). Par le biais d’une incise (4c), il a pu aussi reprendre la description de la barrière, dans le but d’anticiper la chute (4d). L’organisation de l’information spatiale permet à Laurent d’aboutir à une description très détaillée, sur le plan de la manière ainsi que de la trajectoire. c) franchir (2 occurrences) (Océane) 2b. et euh il croit 2c. qu’il peut franchir ces euh obstacles *3a. en effet c’est un cheval très orgueilleux 3b. et donc il se mit à courir 3c. pour franchir ces obstacles (Marie) *2a. ++ il confie son euh sa pensée à + à la vache et [ozwa] à le [wa] l’oiseau 2b. ils le [kura] il le couragent à franchir le brille - grille *3a. ++ euh aussi dit aussitôt dit aussitôt fait 3b. le petit chien le petit chien euh + [ku] court 3c. pour franchir le brille Chez Océane et Marie, franchir a été employé deux fois, d’abord intégré dans une motivation psychologique et ensuite marquant le but de la course. La trajectoire incarnée par franchir se situe au second plan, étant donné sa position subordonnée par rapport à courir, verbe de manière. d) S’envoler (1 occurrence) (Cécile) 2c. je peux + je peux + je peux la franchir facilement 148 2d. 2e. et un deux trois + et un deux trois euh + il s’envole Comme les deux locutrices précédentes, Cécile a aussi exprimé l’intention du cheval à travers le verbe franchir, mais au lieu de le répéter pour la mise en œuvre, elle a recouru à s’envoler pour illustrer le mouvement, transformé en vol par la métaphore, ce qui englobe l’information de la manière (vol) et celle de trajectoire en hauteur, dont le fond est avancé un peu plus tôt par un pronom personnel direct (la), dans la motivation psychologique du cheval (2c). e) passer (1 occurrence) (Adèle) 2c. 2d. 4d. 5c. *6a. 6b. et il veut savoir s’il peut passer euh par cette barrière parce que il est très haut elle est très haut (pardon) mais cheval mais ce cheval euh veut essayer quand même et une fois une fois passé et il a tombé par terre La narration d’Adèle se caractérise par une description psychologique détaillée et un double recours au verbe passer, dont le second, sous forme de participe passé, est destiné à marquer à la fois la trajectoire et l’accomplissement de l’action. VI.2.2 La chute Sauf 4 apprenants qui se sont focalisés sur la blessure pour représenter le résultat du déplacement, 18 apprenants ont tous choisi le verbe tomber pour indiquer la trajectoire de la chute, dont 9 ont abordé aussi la blessure. Si, pour renvoyer au mouvement vers le bas, le choix du verbe tomber s’avère convergent, tout le monde n’a pas indiqué le point d’arrivée, cela pourrait s’expliquer par le sémantisme du verbe tomber (‘être entraîné à terre en perdant équilibre’). Comme le verbe même implique déjà le terme du mouvement, il semblerait redondant d’expliciter encore le résultat « par terre ». Parmi les 13 apprenants qui ont explicité le terme de la chute, les expressions se sont diversifiées : 8 apprenants ont utilisé « par terre », 2 « par la terre », 3 ont choisi la préposition « sur » (sur terre, sur la terre, sur le terrain). La préférence pour le terme par terre chez les apprenants chinois reflète en effet la 149 trace de l’enseignement, car, afin d’éviter des formes erronées telles que tomber sur la terre, les enseignants demandent aux apprenants de retenir tomber par terre comme une expression toute faite. La mobilisation de la préposition sur reflète plutôt de l’impact de la langue maternelle selon laquelle si un objet est entraîné à terre en perdant équilibre, il est 落/摔到地上 ([luò/shuāi-dào-dì-shàng] : tomber-arriver-terre-sur). Dans la description de la chute du cheval, nous constatons aussi une tendance à expliciter la cause dans le procès, et cela, sous différentes formes : Lydie et Sophie l’ont combiné dans la représentation en reprenant le terme de trajectoire dans le déplacement (à travers, en traversant82), David a insisté sur l’agentivité par le biais de la structure faire tomber83. (Marie) 3d. 3e. (Eva) 3e. 3f. malheureusement il est il est ++ il est blessé en il est blessé en [Зyr] en [Зyrtã] aux grilles et et puis euh elle a décidé de passer euh les [kloty] euh les clôtures et malheureusement euh il est tombé sur le terrain par les clôtures Marie s’est servie d’un gérondif dont la prononciation n’est pas déchiffrable, et Eva, de par pour imputer la chute aux clôtures, les formes morphosyntaxique s’avèrent moins pertinentes, mais l’intention d’encoder la cause dans la représentation est manifeste. VI.3. Les secours des animaux La dernière image du récit montre la vache et l’oiseau qui se précipitent au sauvetage du cheval. L’information spatiale réside plutôt dans le mouvement de l’oiseau, pourtant, ont été relevées aussi quelques expressions spatiales relatives à la vache. Tableau VI-5 (Les secours des animaux) Les secours des animaux 82 83 1 Intervention unilatérale de la vache (3/22) 2 Secours conjoints des deux animaux(7/22) 3 Actions respectives de la vache et de l’oiseau(11/22) 4 Cas particulier de Delphine Voir VI.2.1.3, p.148. Voir VI.2.1.1, p.145. 150 VI.3.1 L’intervention unilatérale de la vache (Julia) *3a. 3b. (Sophie) *5a. 5b. (Théa) 5c. 5d. et à ce moment-là le vache il pose une euh des bandes autour de son pied et le le vache le le soigne euh très tendre et et et et en et puis euh le boeuf euh le boeuf euh va pour euh pour l’aide comme un médecin euh enfin il a il a aidé le cheveu euh + et il a pris soin du cheveu L’oiseau a été complètement ignoré dans la narration chez Julia, Sophie et Théa, toutes les informations relatives sont ainsi épargnées, et le récit prend fin avec l’action de la vache, laquelle se résume à un soin ou une aide. Pourtant, Sophie a englobé par le biais du verbe aller, l’information déictique de la vache qui s’approche du cheval, et Julia a combiné le mouvement et le fond (« autour de » son pied) dans un mouvement de placement. VI.3.2 Les secours conjoints des deux animaux (Adèle) 8b. et parce que euh à l’aide de ce petit oiseau et +++ de vache 8c. euh +++ euh euh euh le blessé de ce cheval est guéri (Alix) 4b. les euh son ami euh donne de euh + son ami euh lui donne euh le traitement euh + avec euh avec euh [lwaz] euh l’oiseau 4c. donc enfin euh le cheval a guéri (Laurent) *5a. ++ euh de là avec la avec l’aide de ses amis euh le petit cheval peut en peut se lever encore une fois (Léon) 6c. euh + ils ils ont aidé ce cheval (Violette) 4c. euh il a euh + euh + ils euh le veau et l’oiseau euh aident le [∫əva] euh euh le veau et l’oiseau aident le cheval 4d. et enfin ils sont ils sont devenus de bons amis L’intervention des deux animaux se résume à une aide fournie conjointement par l’oiseau et la vache (Adèle, Laurent, Léon, Violette) ou un traitement donné par la vache, assisté par l’oiseau (Alix). Si les locuteurs ont choisi de combiner les secours, 151 c’est que c’est une description peu coûteuse et efficace pour mettre fin au récit, en abordant les deux animaux sans entrer dans les détails. (Hélène) *4a. puis euh l’oiseau et le vache s’inquiètent beaucoup de ce cheval 4b. euh mais ils prend des mesures immédiatement 4c. 4e. 4f. *5. 84 euh euh ils cherchent partout et enfin euh ils ont trouvé des ils ont trouvé des médicaments pour sauver le cheval et enfin il a il a enfin il apporte euh les médicaments pour le cheval euh +++ euh +++ et puis euh et puis le cheval a guéri bientôt Dans la narration, Hélène a mobilisé des prédicats d’activité (chercher, trouver), tout en fournissant une information déictique (apporter). Les verbes sont conjugués tantôt au singulier (4b, 4f), tantôt au pluriel (4c, 4e), mais comme elle a pris l’oiseau et la vache pour sujet avant d’entamer une description détaillée, nous considérons qu’elle a réuni l’intervention des deux animaux. VI.3.3 L’action respective des deux animaux 11 apprenants ont distingué l’action de la vache et celle de l’oiseau. Nous nous contentons de relever les prédicats utilisés, pour examiner la formulation spatiale relative à l’oiseau, et à la vache. Tableau VI-6 (Intervention des deux animaux) Intervention Oiseau Vache Cécile apporter une boîte de médicaments Océane servir les médicaments aider Quinaut prendre une boîte réduire la douleur Claire porter une boîte aller chercher pour soigner Clara apporter la boîte aider à soigner David crier, apporter le sac médical décider de prendre soin, traiter soigneusement Mélanie amener un paquet de médicament aider le cheval à guérir Sylvie donner des médicaments Louise apporter une boîte faire un pansement sur la jambe Lydie apporter la boîte utiliser des bandes pour couvrir les blessures Marie apporter une boîte (o) instruire la vache pour faire le bandage VI.3.3.1 i ii donner les premiers secours aider, faire un pansement Oiseau Ce que les locuteurs conceptualisent pour la lexicalisation de ce procès, c’est un 84 Il se peut que le verbe chercher soit conjugué au singulier, car la prononciation n’aide pas à distinguer. Nous avons choisi la forme au pluriel en nous appuyant sur le sujet de la proposition précédente (4a). 152 mouvement qui peut relier l’oiseau et la trousse de secours. Ainsi, ceux qui ont pu solliciter les termes « boîte », « sac » ou « paquet », susceptibles d’être saisis ou transporté, ont eu recours aux prédicats pouvant réaliser ce geste, donc prendre, porter, tout essayant d’y ajouter l’information déictique, et cela, par le biais du préfixe « a- »: nous avons recensé 6 apporter et 1 amener. Cette précision de deixis résulterait de l’interprétation des locuteurs qui ont établi une logique dans les secours des animaux : c’est avec le médicament apporté par l’oiseau, que la vache soigne le cheval. C’est une conceptualisation partagée, car dans la narration des locuteurs qui ont distingué les actions des deux animaux, le mouvement de l’oiseau précède toujours l’intervention de la vache. VI.3.3.2 Vache (Claire) 7e. et la vache va chercher va chercher quelque chose d’utile 7f. pour soigner le cheval (Louise) 4d. 4e. la vache la vache fait un pansement euh sur la sur la jambe que le cheval le cheval a cassée Nous pouvons distinguer deux types de description relative à la vache : 7 locuteurs ont synthétisé l’intervention par une aide/un soin, ou un but (réduire la douleur), alors que 4 l’ont concrétisée en pansement où nous relevons 2 informations spatiales : déictique, incarnée par le verbe aller (chez Claire), locatif, indiquée par la préposition sur (Louise). (Marie) 3d. malheureusement il est il est ++ il est blessé en il est blessé … 4b. + il il instruit à la vache de faire le bondage (bandage) (Lydie) 2d. et + il a blessé … *4a. euh + le cheval utilise euh des ++++ utilise des ++ euh des des bandes des bandes des bandes Les termes « bandage » « bandes » et « pansement », difficiles à mobiliser, ne sont pas disponibles chez tout le monde, comme ce dont témoignent la forme erronée « bondage » chez Marie, ainsi que l’hésitation et la répétition de Lydie, ce qui pourrait 153 expliquer la description simplifiée en aide/soin chez la plupart des locuteurs. Pourquoi Louise est-elle la seule à préciser le bandage « sur le pied » ? Car la mention du fond dépend de la description antérieure relative à la chute du cheval : si la partie blessée est laissée de côté, le fond du pansement ne s’avère pas nécessaire (3d chez Marie et 2d chez Lydie), mais si la blessure est bien localisée, l’emplacement du pansement semble inférable, et donc facultatif (cas de Sylvie). (Sylvie) 3c. … 4b. 4c. VI.3.4 mais malheureusement euh il a il a [kas] il a cassé il a cassé il a cassé son jambe et la vache euh et la vache l’aider faire un pansement Cas particulier de Delphine (Delphine) *5a. euh + la vache est très inquiète 5b. euh donc euh il il il importe il importe euh euh son + boxe de euh euh médecine 5c. euh et euh +++++ et euh ++++ et le [∫ə] et le cheval est très touché *6a. euh avec l’aide de euh avec l’aide de euh de cet oiseau et euh la vache 6b. euh euh ce petit cheval euh euh peut euh peut marcher euh petit à petit Ce qui est particulier chez Delphine, c’est qu’elle a fait de la vache le principal acteur des secours, qui transporte la trousse de secours (5b85). Le recours au verbe importer relève une difficulté d’englober l’information déictique, à cause d’une confusion de préfixe, entre « a-» qui incarne la deixis du rapprochement, et « in(im)- » qui renvoie à la direction « vers l’intérieur ». Delphine a longtemps hésité avant de décrire le sentiment du cheval, ce qui pourrait s’expliquer par une conscience de la forme erronée (importer) ou pourrait aussi refléter un manque des moyens linguistiques pour continuer la narration, qui se simplifie en une action conjointe des deux animaux (aide). VI.4. Constatations Le corpus du récit Le Cheval comprend 22 productions orales recueilles auprès des apprenants au 20e mois d’apprentissage du français. L’examen détaillé des événements spatiaux que nous venons de faire permet de dégager les traces du 85 Bien qu’elle ait employé il, le sujet doit être la vache, en fonction de la proposition précédente. 154 développement acquisitionnel et les facteurs qui pèsent sur l’expression spatiale au niveau phrastique, et sur l’organisation de l’information spatiale dans le discours. VI.4.1 Le développement des moyens linguistiques Après 20 mois d’apprentissage du français, les apprenants ont acquis des moyens linguistiques qui autorisent une grande disponibilité quant au choix du lexique et aux structures syntaxiques. VI.4.1.1 Diversité lexicale a) La désignation des référents inanimés Pour renvoyer aux deux référents inanimés illustrés dans les images, les locuteurs ont sollicité tout un éventail de mots : pré, plaine, champ, prairie, jardin, place tranquille, herbes pour décrire le fond servant à localiser le protagoniste ; barrière, clôture, grille, barricade, obstacle, même porte pour désigner l’objet qui empêche le passage du protagoniste. La variété de mots reflète d’un côté l’enrichissement du vocabulaire grâce à l’apprentissage, révèle de l’autre côté des lacunes dans l’acquisition des propriétés intrinsèques relatives aux termes sollicités, ce qui est le cas dans la désignation du référent inanimé barrière ». Si « la les apprenants ne sont pas arrivés à distinguer les traits sémantiques des items « barrière », « grille », « clôture », c’est plutôt dû à l’influence de la langue maternelle où un seul terme 栅栏86 (zhàlán) renvoie en même temps à « la grille » et la « barrière ». Si l’on veut vraiment insister sur la distinction, il suffit de placer la matière devant l’item 栅 栏 , ainsi 木 栅 栏 (mù‘bois’)+zhàlán) correspond à la « barrière » et 铁栅栏 (tiě‘fer’+zhàlán), à la « grille », tous les deux appartiennent à la catégorie « clôture » 围栏87(wéilán). D’ailleurs, dans le manuel, on ne précise pas 86 87 Marqué par 2 dans le schéma. Marqué par 1 dans le schéma. 155 les différents traits sémantiques de ces trois termes, traduits de façon identique en chinois, d’où la confusion lors des choix lexicaux en français. Quand la mobilisation de la « barrière » a échoué, les locuteurs ont essayé d’insister avant tout sur la fonction, car c’est le trait le plus saillant, étroitement lié au développement de la trame, d’où les termes «obstacle » et « barricade », et le dernier traduit en chinois comme 路障88 (lùzhàng : route-obstacle). Le schéma ci-dessus pourrait illustrer les traits sémantiques représentés par les items mobilisés par les apprenants. B. Les expressions prépositionnelles C’est dans la représentation de la relation spatiale des deux herbivores par rapport à la barrière que nous observons le mieux la maîtrise des prépositions, dont le choix dépend aussi de l’organisation de l’information, car le moment de l’entrée en scène de la barrière conditionne la nature du rapport spatial : quand l’existence de la vache précède la présence de la barrière, celle-ci ne peut être placée que « entre » les deux quadrupèdes, alors que dans le sens inverse, soit la barrière mentionnée avant l’apparition de la vache, les apprenants peuvent se mettre à la place du cheval pour percevoir la vache depuis la barrière, en variant les locutions prépositionnelles (« en face de », « au-delà de », « à travers », « à l’autre côté de »), ce qui témoigne non seulement une étendue plus large du vocabulaire, mais aussi une flexibilité dans l’agencement de l’information, car bien des locuteurs s’en sont servis pour varier l’expression spatiale. VI.4.1.2 Structures syntaxiques complexes Le développement des moyens linguistiques ne se limite pas à l’étendue du vocabulaire, il réside aussi dans la construction phrastique qui s’avère plus complexe. Prenons la description de la mise en scène du cheval comme exemple : (Marie) *1a. il y avait un petit chien 1b. [ko] [koltyre]-clôturé dans dans une patterie - prairie par des brilles -grilles (Louise) *1a. un petit cheval qui est limité par des euh par des clôtures 88 Marqué par 3 dans le schéma. 156 1b. se promène sur les herbes Marie et Louise ont sollicité la voix passive susceptible de faire d’une pierre deux coups : le cheval est mis en scène dans un arrière-plan dont la barrière détermine les limites, le moyen linguistique autorise ainsi l’introduction des 3 entités dans le même procès. Il est à noter que Louise s’est servie de qui, pronom relatif servant à relier une autre proposition où elle a décrit la situation du cheval à travers le prédicat dynamique se promener. Cette structure syntaxique, susceptible de fournir plus d’informations qu’une phrase simple, constitue un moyen fréquemment employé par les apprenants dans la narration, surtout dans la mise en scène du protagoniste, en vue de combiner la présence et la manière89. Les apprenants sont capables de se servir de structures complexes dans le but d’englober diverses informations : le gérondif pour présenter la cause ou la simultanéité, le participe passé marquant une action accomplie, la structure faire+infinitif pour insister sur l’agentivité, et surtout le pronom sollicité pour faire référence au fond mentionné antérieurement (partie encadrée mise en gris). (Claire) 3d. + euh il me faut y aller 3e. pour cueillir tous les fleurs de la vache (Lydie) 1c. et il veut bien euh ++ euh + il veut bien euh ++++ euh il veut bien y va pour euh y va 1d. euh euh parler avec la vache (Cécile) 2b. euh ce n’est pas grave 2c. je peux + je peux + je peux la franchir facilement VI.4.2 L’organisation de l’information spatiale Avant d’entamer la narration, les apprenants procèdent avant tout à trier les informations fournies par les images. Avec les moyens linguistiques disponibles, ils mettent en scène les entités dans un certain ordre, en leur accordant différents degrés d’importance, et en laissant implicites des relations spatiales secondaires. VI.4.2.1 La barrière au premier rang Il existe deux référents inanimés dans le récit: le pré et la barrière. La majorité des 89 Cf. VI.1.1.3, p.134. 157 apprenants ont abordé ces deux référents (14/22), certains n’en ont évoqué qu’un : 4 apprenants ont pris la barrière pour point de repère, alors que 3 ont décrit l’arrière-plan. Une seule apprenante raconte l’histoire sans aucun référent inanimé (Cas de Clara90). Ainsi, dans le récit Le Cheval, la mention du pré (17/22) est quasiment aussi fréquente que celle de la barrière (18/22). Si le pré semble nécessaire pour introduire le protagoniste qui est le cheval, la barrière est indispensable à la localisation de la nouvelle entité – la vache, ainsi qu’au déplacement du cheval. Le fait que le pré est absent n’influence pas la représentation de l’information spatiale, car ce qui distingue la vache et le cheval situés dans le même arrière-plan, c’est la barrière qui les sépare. Néanmoins, le moment de l’entrée en scène y joue aussi car il s’agit de l’introduction du point de vue du mouvement référentiel : quand la vache ou la barrière est introduite tardivement par rapport à ce qu’illustre l’image, la relation spatiale risque d’être compromise (cas de Julia91, et ceux de Delphine, Sophie et Cécile92). Quand la barrière est laissée de côté, le rapport spatial entre le cheval et la vache est détourné sur une localisation générale par rapport au pré, ou bien il est relativisé entre les animaux si l’arrière-plan lui aussi fait défaut, et dans ce cas, la présence de l’oiseau est obligatoire pour remplacer le rôle de la barrière (cas de Clara93). Bien que la plupart des apprenants aient choisi d’aborder le pré et la barrière, rares sont ceux qui ont explicité la relation spatiale entre ces deux fonds. Si les apprenants ont négligé cette relation, c’est parce que dans le récit Le Cheval, l’arrière-plan ne sert qu’à introduire le protagoniste, et que sa présence n’aide pas à éclairer la relation cheval-barrière-vache, d’autant plus que la présence de la barrière s’avère totalement naturelle sur un terrain couvert d’herbe (le champ, le pré, la prairie) en fonction de connaissances générales. Ce n’est donc pas une relation qui nécessite une précision. VI.4.2.2 90 91 92 93 L’oiseau au second plan VI. 1.3.1, p.138. VI. 1.3.2, p.141. VI. 1.3.1, p.139. VI. 1.3.1, p.138. 158 La vache et l’oiseau sont entrés en scène simultanément, et sont situés différemment par rapport à la barrière, mais les apprenants se sont focalisés plutôt sur la présence de la vache, au détriment de celle de l’oiseau : beaucoup d’apprenants ont traité en même temps l’existence des deux animaux, souvent, sans les localiser (12/22), plusieurs apprenants ont retardé la présence de l’oiseau (7/22), certains, jusqu’à l’ignorer complètement (3/22). Nous avons pourtant recensé quelques propositions portant sur la localisation de l’oiseau, positionné sans différence avec la vache par rapport au même fond, le traitement identique de la relation n’arrive donc pas à éclairer la situation de l’oiseau (chez Hélène94 et Quinaut95). Pourquoi les apprenants n’ont-ils pas mis en valeur cette relation spatiale ? A cela deux raisons principales : d’un côté, la vache, animal de taille équivalente au cheval et moins mobile, semble plus appropriée et facile que l’oiseau pour établir le rapport spatial, d’autant plus que la présence de l’oiseau ne noue aucun lien apparent avec le mouvement du cheval, qui dépasse la barrière souvent pour rencontrer la vache. De l’autre côté, à partir de la 2e image, l’oiseau reste à la même place, le changement de localisation n’intervient qu’à la dernière image, c’est d’ailleurs un déplacement déictique dont le point de départ n’est pas à expliciter. A cela s’ajoute le moyen linguistique, car ce serait difficile de positionner l’oiseau par rapport à la « barrière », terme qui, n’étant pas accessible à tout le monde, s’avère difficile à recruter. Ainsi, les apprenants ont plutôt épargné les efforts dans l’entrée en scène de l’oiseau. La relation spatiale associée à l’oiseau réside dans la description du secours, incarné par le verbe apporter : un déplacement avec changement de localisation (quitter la barrière) a ainsi transformé en un mouvement déictique (apporter la trousse) par manque de la position source, inaccessibles à l’image et omise volontairement par les apprenants. VI.4.2.3 Le parcours du cheval a) L’interprétation du parcours 94 95 Cf.VI.1.1.3, p.134. Cf.VI.1.3.3, p.142. 159 Pour construire un récit, les locuteurs établissent, en s’appuyant sur les images, un but général qui finalise la séquence d’actions du protagoniste visant à l’atteindre. Dans notre corpus, le parcours du cheval est ainsi élaboré pour atteindre le but « passer la barrière », qui déclenche le mouvement du franchissement et la chute, entre l’état initial (localisation dans le pré) et l’état final (soigné par les deux animaux). Dans la narration, les apprenants ont tous explicité la raison du mouvement du cheval, qui franchit la barrière souvent pour rencontrer la vache, ou cueillir les fleurs de l’autre ferme, ou tout simplement se vanter de sa capacité. Même dans la production la plus courte (46 secondes, avec en tout 9 propositions), nous pouvons aussi constater cette clarification de l’intention. (Mélanie) *1a. un cheval court [sy] dans un dans une ferme 1b. et il a vu une vache et un oiseau 1c. et il veut les rejoindre 1d. pour s’amuser 1e. mais il est tombé 1f. il est gravement euh il a gravement blessé *2a. euh donc l’oiseau euh amène un paquet de médicaments 2b. avec l’aide de cet oiseau euh la vache euh a aidé ce cheval 2c. à guérir D’ailleurs, beaucoup d’apprenants ont prédiqué l’acte psychologique du mouvement franchir, ils ont ainsi recouru à une « intention préalable» (Denhière & Baudet, 1992), susceptible de faire référence à l’action à venir, qui permet d’aboutir directement au résultat (tomber, blesser). Cette interprétation reflète la perception du résultat chez les Chinois : « l’état final est voulu par l’agent, il est le résultat d’une action. Si le résultat est en accord avec l’intention de l’agent, l’action a réussi» (ibid.), mais si le résultat ne correspond pas à l’intention, c’est une action échouée, et sa mise en œuvre ne peut être interprétée que comme une tentative (essayer, s’efforcer), ou encore une volonté (décider, vouloir). Nos apprenants, étant des locuteurs adultes, font preuve d’une maturité cognitive pleinement développée, qui leur permet d’organiser le récit selon les principes déjà acquis dans la langue maternelle où on associe toujours une action à une intention, et qualifie de tentative une action non réussie. 160 b) Manière vs trajectoire Si nous examinons les prédicats relatifs au cheval, nous pouvons constater une forte fréquence du verbe courir, sollicité souvent dans l’entrée en scène du cheval, et aussi pour le franchissement de la barrière. La trajectoire joue un rôle important dans le procès relatif au franchissement, et les apprenants choisissent avant tout les prédicats qui encodent à la fois la manière et la trajectoire : sauter, franchir, enjamber, et ensuite des verbes de trajectoire : passer, traverser, dépasser, 2 étudiants ont sollicité courir à travers pour combiner la manière et la trajectoire, et 1 locutrice a désigné le procès par le biais du verbe de manière s’envoler. Pourtant, nous ne pouvons pas tirer de conclusion sur le privilège accordé à la manière ou à la trajectoire en nous appuyant sur un seul événement, car l’organisation de l’information y joue aussi un rôle : beaucoup d’apprenants ont introduit le cheval à travers le verbe courir, donc, logiquement, le cheval doit maintenir cet état de mouvement jusqu’à la prochaine action franchir, si aucun événement n’interrompt sa course. Le fait que la manière est déjà anticipée dans l’entrée en scène du cheval pourrait amener les locuteurs à orienter l’attention sur la trajectoire dans le déplacement par-dessus la barrière. VI.4.3 Résultats L’analyse du récit Le Cheval nous révèle qu’après 20 mois d’apprentissage du français, les locuteurs disposent d’un répertoire plus riche en vocabulaire, non seulement dans la désignation des référents inanimés, mais aussi dans la lexicalisation du procès de franchissement. Ils sont capables de mobiliser des structures syntaxiques complexes dans l’organisation phrastique en vue de fournir de multiples informations. Du point de vue discursif, les locuteurs tendent à interpréter le récit à partir de but ou sous-buts, pour finaliser la séquence d’actions à venir du protagoniste. Les moyens linguistiques pourraient peser sur l’organisation de l’information, lesquels ont, par exemple, conduit les apprenants incapables de recruter le terme « la barrière », à transformer le franchissement en déplacement sans changement de localisation. 161 Les 22 productions orales Le Cheval permettent de confirmer certaines tendances déjà détectées au stade initial : confrontés à une production orale basée sur des images, les apprenants essaient toujours d’élaborer un cadre spatial pour introduire les nouvelles entités, et ils s’intéressent avant tout à la trajectoire des référents animés, surtout quand la manière est abordée antérieurement dans la narration. A partir de ce corpus collecté au stade intermédiaire, nous pouvons aboutir aux résultats suivants : - Les moyens linguistiques sont enrichis, et permettent des structures plus complexes au niveau phrastique, et une organisation plus détaillée au niveau discursif. - Les apprenants prêtent plus attention à la trajectoire, notamment dans le déplacement avec changement de localisation, mais ils choisissent avant tout des prédicats ou des expressions qui encodent à la fois la manière et la trajectoire. - Quand l’accès au terme cible s’avère impossible, ils choisissent un item en insistant sur le trait sémantique le plus saillant, associable au développement de la trame. - L’impact du chinois ou de l’anglais peut être observé dans les choix lexicaux. - Certains choix de prépositions spatiales reflètent l’impact de la conceptualisation spatiale de la LM. 162 Chapitre VII Synthèse et hypothèses : Le Chat vs Le Cheval VII.1. L’élaboration du cadre spatial VII.1.1 Le choix du cadre VII.1.2 Le marquage de la nouvelle information dans le cadre spatial VII.1.3 Résumé et hypothèse à attester avec les récits La Grenouille VII.2. Les événements spatiaux VII.2.1 L’organisation des événements VII.2.2 L’empaquetage de l’information spatiale dans les déplacements VII.2.3 Les prépositions spatiales 163 Tout au long de l’apprentissage, les sujets observés manifestent une compétence linguistique particulière à un certain stade. Dans le présent chapitre, nous allons confronter les analyses des productions spontanées sur Le Chat et Le Cheval, recueillies aux stades initial et intermédiaire, en vue de dégager des tendances de développement et de détecter les facteurs affectant la représentation spatiale. Ces éléments, invariables ou variables, nous serviront d’appui pour formuler des hypothèses à attester dans le chapitre à suivre, qui consiste en une comparaison longitudinale des données du récit La Grenouille. « Pour construire un discours, un apprenant doit découvrir les moyens linguistiques qui lui permettent d’exprimer simultanément l’information grammaticale (genre, cas et nombre) et l’information discursive (information nouvelle ou ancienne), les catégories (temps et aspect) et la régulation de l’information entre trame et arrière-plan discursif » (Hendriks, 1998 : 148). Tout apprenant, en fonction de la langue qu’il acquiert et de la maturité cognitive, manifeste différente capacité à organiser les informations sur le plan phrastique et discursif. Notre recherche portant sur la référence spatiale dans la perspective conceptuelle, les données seront comparées et analysées sous un angle discursif, à deux niveaux : nous allons examiner d’abord l’organisation des événements spatiaux faisant partie de la trame, où interviennent des facteurs allant au-delà de la phrase indépendante et reliant les énoncés au contexte, avant de procéder ensuite au décodage des composantes de la référence spatiale (prépositions, prédicats) au sein même de la désignation du procès. VII.1. L’élaboration du cadre spatial Dans la communication, on est censé transmettre des informations relatives aux référents ( la personne, le temps et l’espace) et les événements où ils jouent un rôle. Il est nécessaire d’introduire les référents dans un cadre spatio-temporel, par le biais des mécanismes appropriés pour éviter toute ambiguïté chez l’auditeur, surtout dans les situations où les interlocuteurs n’ont pas de pas de connaissances partagées. Une tâche narrative diffère d’une tâche descriptive par le fait que cette dernière se 164 déroule souvent à partir des présuppositions de connaissances mutuelles entre le locuteur et l’auditeur. Par conséquent, pour réussir un discours narratif, il faut que le cadre spatio-temporel soit préparé avant que les protagonistes n’y soient introduits et que les événements principaux n’y commencent. Si nous avons choisi, non pas une tâche de description d’itinéraire, mais de faire raconter des récits à partir d’images sans texte, c’est que celles-ci, qui encadrent les protagonistes et les événements dans un espace donné, ont l’avantage d’impliquer des mouvements, fournissant ainsi des relations plus complexes et surtout dynamiques. Au cours des collectes de données à différents stades d’apprentissage, les apprenants ont été prévenus que leurs productions orales spontanées, faisant l’objet d’une étude internationale, seraient écoutées par des Français natifs censés ignorer l’histoire. Cette précision permet, en supposant l’absence de connaissances mutuelles entre le locuteur et l’auditeur imaginé, de pousser les apprenants à établir un cadre spatial aussi explicite que possible, susceptible d’ancrer les événements à rapporter qui se déroulent à l’intérieur même de ce cadre, afin d’assurer une compréhension chez l’audience virtuelle. Dans notre étude, les locuteurs s’appuient sur des images pour raconter des récits qui ne les impliquent pas en principe, le point qui sert d’origo96 ne coïncide donc pas avec celui déterminé par la situation d’énonciation, autrement dit, le ici dans la narration ne réfère pas à la localisation du locuteur, qui doit établir un cadre spatial pour localiser les entités avant d’entamer la trame. VII.1.1 Le choix du cadre « Dans le cas de l’absence de connaissances partagées, une narration devrait de façon préférable contenir des informations spatiales à son tout commencement » (Hendriks, ibid.). Car l’arrière-plan devrait être préparé afin de permettre à la trame de se développer. Le récit Le Chat débute par une situation statique, toute l’histoire se déroule autour de 96 Point d’observation d’origine, ou point de départ pour le système d’orientation. 165 l’arbre. Les protagonistes, n’étant pas représentés dès la première image, entrent en scène par rapport à ce fond (le chat, puis le chien), et ils n’y restent pas non plus dans la suite des événements. La description avant l’événement déclencheur proprement dit, soit le départ de la maman oiseau, soit l’arrivée du chat, appartient au cadre spatial de l’histoire. Deux choix se présentent : se centrer sur « le nid » pour localiser l’oiseau ainsi que ses petits, ou introduire « l’arbre » en tant qu’un cadre plus général, qui permet d’agencer les événements postérieurs. A la différence du Chat, le récit Le Cheval commence par un événement dynamique (le cheval qui court), évolue dans le cadre du pré, et les protagonistes (le cheval, la vache et l’oiseau) y restent pendant toute l’histoire. « Le pré » et « la barrière », présents avant l’événement déclencheur qu’est le saut du cheval, seraient deux candidats possibles dans l’installation du cadre spatial, « la barrière » en tant qu’un fond plus précis et « le pré », un ancrage plus général. L’inventaire des entités mentionnées dans les deux récits reflèterait la focalisation des locuteurs sur le cadre spatial : si « l’arbre » dans Le Chat est considéré comme fond général et « le nid », fond précis, nous qualifions de la même façon « le pré » (fond général) et « la barrière » (fond précis) dans Le Cheval. Quand les deux entités sont abordées dans l’élaboration de l’arrière-plan, celui-ci sera considéré comme « cadre complet ». Figure VII - 1 (cadre spatial : Le Chat vs Le Cheval) 15 10 Le Chat Le Cheval 5 0 Ø précis général complet Le Chat 3 0 13 6 Le Cheval 1 4 3 14 La figure montre que l’installation du cadre tend à devenir plus élaborée au fur à mesure de l’apprentissage, la description de l’arrière-plan est passée de globale (cadre 166 général) à plus détaillée (cadre complet) au stade intermédiaire. Nos apprenants, cognitivement matures, n’ont pas à acquérir le rôle du cadre spatial dans la narration, ce sont les ressources langagières qui conditionnent le choix du fond. Ainsi, le manque de l’item « le nid » a orienté l’attention sur un fond plus général qu’est « l’arbre » dans Le Chat (13 occ.), l’inaccessibilité à l’item « la barrière » a conduit 3 apprenants à choisir « le pré » dans Le Cheval. L’absence totale de l’arrière-plan masquant tout « ancrage réaliste ou non réaliste de l’histoire» (Reuter, 2007 : 35), les récits pourraient se passer n’importe où, et les déplacements qui requièrent des points de repère sont ainsi dissimulés, surtout ceux en hauteur, tels que la montée du chat sur « l’arbre », et le saut par-dessus « la barrière » du cheval, deux événements déclencheurs qui assurent le développement du récit (voir V.2 et VI.2.1.1). Les moyens linguistiques ne constituent pas le seul facteur à influencer la création de l’arrière-plan, à cela s’ajoute la concurrence entre les fonds potentiels: l’emporte l’entité susceptible de localiser les protagonistes, et plus impliquée dans les événements, « l’arbre » s’avère donc le cadre spatial incontestable dans Le Chat, et « la barrière » est ainsi privilégiée dans Le Cheval. Le cadre spatial fonctionne comme un arrière-plan d’informations pour ancrer la narration dans son ensemble. Les apprenants, dès que les moyens linguistiques le permettent, tendent à fournir un arrière-plan plus détaillé, c’est déjà le cas au stade initial (6 occ.), où deux locutrices (Louise et Théa) ont même créé un arrière-plan plus riche que les images ne l’illustrent. Et là, joue aussi la façon d’agencer les entités relatives au cadre. Tableau VII-1 (Cas de Louise et de Théa) Louise Théa 167 *1a. dans le dans les bois euh il y a un grand arbre un *1a. un oiseau grand arbre 1b. euh dans une bois euh il y a un [waz] il y a et sur une branche euh sur sur la la branche de cet arbre euh il y a un petit nid 1c. euh dans le nid euh il habite ils ils habitent dans le nid euh il y a euh 4 euh 4 oiseaux 1d. euh c’est euh c’est la ce sont euh la mère [zwa] oiseaux et trois petits [zwa] oiseaux *2a. et un jour euh la mère le mère [wazo] [zwa] oiseau *2a. un matin euh [lwa] le grand oiseau quitte son euh quitte sa euh quitte sa maison + aller à aller à autre aller à un autre autre bois … ... 2c. et ++ et et à ce temps-là en ce temps-là un un un chat un chat euh un chat arrive arrive euh au pied au pied de de *5. et et ensuite euh il commence à monter sur euh l’arbre euh d’arbre ... 3b. + et il il il monter il monter arbre euh l’arbre « Le fond d’informations (le cadre spatio-temporel) doit être présenté avant que les événements principaux ne commencent à se dérouler. Par la suite, cette information se retrouve souvent au début du texte/discours » (Hendriks, 1993). Tout au début de son récit, notre locutrice Louise a introduit méthodiquement quatre entités avant de situer l’oiseau (bois-arbre-branche-nid)97. Cette élaboration de lieux si minutieuse participe aussi à la cohésion du déroulement de l’histoire, qui permet d’orienter la maman oiseau par rapport à un autre « bois », et de localiser le chat « au pied de l’arbre », ce qui témoigne de l’étendue du répertoire lexical ainsi que de l’aisance de l’organisation d’informations chez Louise. Ce n’est pas le cas chez Théa, qui a indiqué aussi trois entités (bois-maison-arbre), mais de façon décalée dans la narration. « Une narration devrait de façon préférable contenir des informations spatiales à son tout commencement » (ibid.). Chez Théa, la mention tardive du « nid » et de « l’arbre » par rapport au moment propice à l’installation de l’arrière-plan, soit au commencement du récit, conduit à une rupture dans le fil de l’histoire : le départ de l’oiseau et le mouvement vertical du chat semblent trop subits, d’autant plus que « le nid » et « l’arbre » sont introduits par l’article défini, supposant un partage de connaissances mutuelles. Si, les deux locutrices manifestent quasiment la même 97 Voir V.2.1.3, p.86. 168 maîtrise linguistique du point de vue lexical, sur le plan de la création du cadre spatial, Louise s’avère une narratrice plus expérimentée, alors que Théa, est moins confirmée. VII.1.2 Le marquage de la nouvelle information dans le cadre spatial En l’absence de connaissances partagées, le locuteur doit effectuer la différenciation de l’information nouvelle et ancienne au cours de la mise en place du cadre spatial, en vue d’une cohérence discursive. Au niveau phrastique, il s’agit de recourir au marquage référentiel (indéfinis/définis) pour assurer cette distinction. Nous nous intéressons au statut de la nouvelle information dans l’introduction du cadre spatial. Il est nécessaire de distinguer « le marquage approprié » qui relève du niveau discursif, et « le marquage correct », qui relève du niveau grammatical. 1) Hélène 2) Delphine 3) Julia 4) Sophie il y a un grand [zwazo] à une à une arbre euh dans l’arbre euh il y il y a un [wa] il y a un il y a un oiseau + maman et beaucoup de oiseaux enfants donc il n’a pas trouvé qu’il y a un barricade devant lui euh en pensant il [travεr] euh il traverse le euh grille Dans nos exemples, les phrases 1 et 3 représentent des formes erronées du point de vue grammatical : le genre n’est pas correctement indiqué (une arbre, un barricade), et les traits sémantiques contenus par l’item « barricade » ne correspondent pas à l’entité illustrée dans l’image. Pourtant, du point de vue discursif, le marquage du statut de la nouvelle information est « approprié » grâce à l’emploi de l’article indéfini, alors que ce n’est pas le cas des phrases 2 et 4, où les locutrices ont marqué la nouvelle entité par l’article défini. Figure VII-2 ( Marquage de la nouvelle information) 50.00% 40.00% 30.00% Le Chat 20.00% Le Cheval 10.00% 0.00% incorrect inapproprié Le Chat 6.90% 41.38% Le Cheval 11.43% 22.86% En nous appuyant sur cette distinction, nous avons fait l’inventaire des marquages des 169 entités renvoyant aux deux fonds illustrés dans Le Chat (« arbre » et « nid ») et Le Cheval (« pré » et « barrière »), dont les proportions montrent que par rapport au nombre total des entités mobilisées dans chaque récit, les marquages «inappropriés» qui ont connu une baisse considérable (de 41,38% à 22,86%), l’emportent toujours sur ceux qui sont «incorrects», relativement peu nombreux à ces deux stades. Tableau VII- 2 (Marquage de la nouvelle information dans le cadre spatial) Le Chat (29) Le Cheval (35) Arbre (19) Nid (10) Pré (17) Barrière (18) Incorrect 1 1 1 3 Inapproprié 6 6 4 4 Un examen de plus près révèle deux raisons principales des marquages « inappropriés » : d’une part, par rapport au moment propice, soit tout au début de la narration, une introduction tardive et soudaine de l’entité qui aurait fait partie du cadre spatial, (4 occ. pour « l’arbre », 3 occ. pour « la barrière »), fait que dans le développement de la trame, les locuteurs, n’ayant plus le temps à consacrer à la « nouvelle entité », ne peuvent plus que l’intégrer directement dans le déplacement (dans la montée du chat, et le saut du cheval) en tant que fond déjà connu ; d’autre part, la connotation associée à l’item employé favorise le recours à l’article défini (6 occ. pour « la maison » et 3 occ. pour « les champs »), et cela, à cause de l’introduction très tôt des ces entités toujours liées à l’article défini dans des phrases toutes faites, telles que « ils travaillent aux champs », « je pars de la maison à X heures », présentées dans les supports ou l’enseignement. Dans le sens inverse, les marquages « inappropriés » ne choquent pas toujours, surtout dans Le Cheval, quand les locutrices ont élaboré un arrière-plan de façon assez hétérogène, formé de deux maisons séparées (voir VI.1.3.2 le récit de Claire) ou d’une ferme et d’une prairie (Chez Violette), « la barrière » est mentionnée en tant qu’objet de séparation évident. Autrement dit, au stade intermédiaire, la disponibilité des ressources langagières et une meilleure maîtrise de LE permettent aux locuteurs de préparer avec plus de précision le cadre spatial, ce qui aide à la construction d’une représentation de la situation d’ensemble et facilite la compréhension. 170 (Violette)*1a. un [∫ə] + euh un cheval vit dans une ferme 1b. euh et tous les jours il court euh il court partout dans ce dans cette ferme ... *2a. et euh près de cette ferme euh il y a une [plε] une une plaire 2b. +++ euh dans + euh ++ et à travers les barricades le cheval a trouvé un un veau et un oiseau Une autre tendance s’est dégagée de l’inventaire : l’enrichissement du répertoire lexical ne favorise pas forcément la mobilisation pertinente de l’entité correspondante, c’est ce que nous avons constaté dans Le Cheval, surtout pour la dénomination de la « barrière » (voir VI.1.2). « D’une langue à une autre, ce qui peut ou doit être lexicalisé change » (Fayol, 1997), en d’autres termes, vis-à-vis d’une même image, c’est le contenu du message à transmettre qui varie en fonction des langues. « Les processus qui sous-tendent la production de parole sont généralement divisés en trois étapes successives : conceptualisation, lexicalisation et articulation» (Alario, 2001 : 3). Dans l’étape de la conceptualisation, on définit les concepts et les idées qui doivent être exprimés verbalement. Dans notre cas, les productions orales s’appuyant sur des images, la conceptualisation est entamée visuellement par le dessin présenté, le message à transmettre est « la barrière », fond crucial de l’événement du saut du cheval : il faut activer le concept lexical approprié au dessin, avant de sélectionner le mot (le lemme) dans le lexical mental, l’encoder phonologiquement (récupérer le lexème) et phonétiquement, pour enfin commencer l’articulation. A la reconnaissance visuelle s’enchaîne la récupération du concept lexical, l’adressage conceptuel de l’information lexicale motive la sélection lexicale, une série d’unités dont les concepts sont proches peut être activée. Au locuteur de choisir l’item dont les traits sémantiques correspondent à l’information véhiculée par l’image. Ainsi, les items « la barrière », « la grille », « la balustrade », « la barricade », « l’obstacle » ou même « la porte » ont été mobilisés, ils possèdent une certaine similitude 171 fonctionnelle, sinon visuelle. L’approche pédagogique dans l’enseignement du vocabulaire, en tant qu’« entrée » (input) spécifique, pourrait influencer l’acquisition du lexique. En classe de langue, ce que les supports exposent et les enseignants transmettent aux apprenants, c’est le sens de l’unité lexicale traduit en chinois, sans que les propriétés sémantiques coïncident totalement à celles du terme en français. Si l’enseignant n’intervient pas pour éclaircir les champs sémantiques d’un item donné, les apprenants prendraient des termes dont la traduction est identique en LM comme synonyme sans distinction, c’est la raison pour laquelle « la grille » et « la barrière », censées renvoyer à la même image conceptuelle en chinois, ont été mobilisées (voir VI. 1.2). Au stade intermédiaire, le problème ne réside plus dans l’accessibilité lexicale, mais se situe plutôt au niveau du traitement sémantique. Lorsque plus d’un candidat lexical existe dans le stockage mental, correspondant à la même image conceptuelle, il en résulte une concurrence des items, d’où une possibilité de ralentissement de la production orale, ou éventuellement le recours à un terme erroné, comme la concurrence entre « la barrière » et « la grille ». Or, ce n’est pas le cas pour les items « la balustrade », « l’obstacle » ou « la barricade », mobilisés lorsque les locuteurs, incapables d’activer le mot approprié, ont choisi de cibler le trait fonctionnel du message à transmettre avec les items susceptibles d’assurer cette tâche. VII.1.3 Résumé et hypothèse à tester avec les récits La Grenouille La confrontation des données recueillies à deux stades différents d’apprentissage permet de dégager des tendances de l’évolution acquisitionnelle, et conduit à des hypothèses qui seront à étayer avec les corpus de La Grenouille. Les apprenants adultes, dotés d’un système cognitif déjà mature, sont conscients de la fonction du cadre spatial dans la narration orale, et choisissent ainsi de l’introduire dès le début du récit, tout en fournissant une description plus élaborée et détaillée au long de l’acquisition. Avec les moyens linguistiques, la concurrence entre les entités à mettre en scène, et l’agencement des fonds constituent les trois facteurs qui influent 172 sur la création du cadre spatial. Du point de vue discursif, la maturité cognitive fait que les Chinois apprenant le français marquent très systématiquement la nouvelle information avec des formes appropriées dans l’installation du cadre spatial, et cela, dès le premier niveau de compétence linguistique. Le moment de l’introduction de l’entité nouvelle et la façon de préparer l’arrière-plan affectent l’indication du marquage. Hypothèse 1 Le répertoire lexical s’élargit au fur et à mesure du développement des ressources langagières, ce qui ne facilite pas nécessairement la récupération de l’item approprié, surtout quand les locuteurs n’arrivent pas à acquérir la différenciation des champs sémantiques des items en concurrence. Nous pourrions ainsi anticiper qu’au stade avancé, les apprenants disposeraient de davantage de moyens linguistiques, sans savoir activer ou choisir tout le temps l’item approprié, et cela ne se limiterait pas qu’à la production des mots isolés, et pourrait aborder aussi la désignation du procès. VII.2. Les événements spatiaux Une fois le cadre spatial mis en place, s’y déroulent les événements spatiaux que les locuteurs considèrent comme nécessaires pour construire un récit cohésif. VII.2.1 L’organisation des événements Les deux figures suivantes montrent la fréquence de tous les événements spatiaux recensés dans les deux récits. Figure VII-3 ( Fréquence des événements spatiaux dans Le Chat et Le Cheval) 173 Le Chat 25 20 15 Le Chat 10 5 0 cadre spatial oiseau→ chat ← chat ↑ chien ← chat ↑chien chien →chat → oiseau← 16 22 14 21 9 9 17 20 Le Chat Le Cheval 20 15 Le Cheval 10 5 0 cadre spatial saut chute secours 21 17 18 11 Le Cheval Une lecture attentive des deux figures laisse voir que les événements spatiaux mentionnés par au moins la moitié des locuteurs (donc plus de 11 apprenants) sont des éléments indispensables à la cohésion de la trame : dans Le Chat, seules l’apparition et l’intervention du chien sont relativement laissées de côté (9 occ. respectivement), l’omission de l’information spatiale étant compensée par les présuppositions sur la relation entre le chien et le chat (voir V. 3) ; et dans Le Cheval, ce sont les secours de l’oiseau et de la vache (11 occ.), souvent synthétisés en « aide conjointe », qui reçoivent moins de précision du point de vue spatial (voir VI. 3). Les événements les moins relatés s’avèrent donc moins importants par rapport à la trame. Autrement dit, les apprenants ont choisi d’expliciter l’information spatiale pour les événements qu’ils jugent plus saillants par rapport à la trame. Quant aux événements moins importants, ils ont recouru à une solution plus économique, souvent en s’appuyant sur les connaissances universelles, dont le manque de la référence spatiale n’affecte point la cohésion du récit. 174 Visiblement, le premier récit fait intervenir deux fois plus d’événements que le second (Le Chat vs Le Cheval : 8 vs 4), mais la fréquence ne s’avère pourtant pas pour autant moins importante, car la proportion des événements listés est quasiment au même niveau : 72,7% 98 au stade initial contre 76,1% 99 au stade intermédiaire. Les apprenants adultes, malgré le peu de ressources linguistiques à leur disposition, font preuve d’une organisation discursive efficace dès la phase initiale de l’acquisition, la complexité apparente de la tâche et les moyens linguistiques ne constituent pas de vrais obstacles pour nos locuteurs. Les apprenants, qui sont déjà adultes lors de la collecte de données, ont déjà acquis les principes pragmatiques à travers la LM : ils savent communiquer et peuvent former des hypothèses sur ce que l’interlocuteur sait ou ne sait pas, et ils sont conscients des éléments indispensables à un discours cohésif. Cette maturité du système cognitif conduit nos apprenants, malgré les contraintes des moyens linguistiques, à procéder à une sélection conceptuelle à deux niveaux : d’abord, dans l’installation du cadre spatial, quelle(s) entité(s) sont à introduire afin de localiser les protagonistes et les événements à rapporter ; ensuite dans l’agencement des événements : ceux à expliciter prioritairement et ceux à mettre au second plan. Confrontés à une situation communicative, les apprenants adultes entament automatiquement cette procédure, et cela dès le premier niveau de compétence, les moyens linguistiques à disposition interviennent plutôt au niveau phrastique et grammatical. VII.2.2 L’empaquetage de l’information spatiale dans les déplacements Le décodage des informations spatiales comprend les verbes, les prépositions et les groupes nominaux. Nous nous focalisons plutôt sur les prédicats et les prépositions spatiales qui contribuent à la représentation de l’espace dans les déplacements. VII.2.2.1 Types de prédicats pour référer à l’espace « Les moyens linguistiques semblent imposer au locuteur d’expliciter certaines 98 99 Le nombre des événements réellement relatés (128) / 8 événements X 22 = 72,7% Le nombre des événements réellement relatés (67) / 4 événements X 22 = 76,1% 175 informations et d’en laisser d’autres implicites » (Hendriks, 1998 : 154). c’est pour cela que nous allons, dans cette partie, faire l’inventaire des différents types d’information spatiale empaquetés dans les prédicats, afin de mettre au clair l’attention prêtée à différentes informations chez les apprenants. Pour parvenir à cette analyse, tous les prédicats qui réfèrent intrinsèquement à l’espace ont été codés en indiquant pour chacun s’il encodait manière (MAN), trajectoire (TRA), deixis (DX), destination (DES), STA (statique) ou cause (CAU), séparément, ou en combinaison (MAN+TRA, MAN+DX, TRA+DX, etc.). On appellera « prédicats simples » les prédicats qui n’expriment qu’un seul type d’information spatiale, et « prédicats complexes », ceux qui expriment une combinaison d’informations. Les prédicats et les informations encodées pourraient se résumer comme suit : Tableau VII-3 ( Prédicats et les informations véhiculées) Information(s) encodée(s) Abréviation Prédicats Trajectoire TRA Manière MAN Trajectoire + deixis Trajectoire + trajectoire Manière + trajectoire Cause + trajectoire TRA + DX TRA+TRA MAN +TRA CAU + TRA Cause + deixis CAU +DX Destination + deixis DES+DX monter, partir, quitter, passer, s’approcher, se diriger vers, sortir, suivre, tomber, traverser courir, marcher, sauter, se promener revenir rentrer, retourner enjamber, s’envoler, franchir faire tomber, laisser tomber emmener, emporter, apporter, amener arriver + aller Pour effectuer nos analyses quantitatives et rendre possibles des comparaisons, les prédicats sont notés sous forme d’infinitif, et nous avons rendu compte de l’empaquetage d’informations impliquées dans tous les événements spatiaux des deux récits, sauf l’installation du cadre spatial, avec la fréquence de la mention de fond (mise entre parenthèses) pour chaque événement. Tableau VII-4 ( Encodage d’informations spatiales : Le Chat) TRA Oiseau→ chat← chat↑ chien← Chat↓ Chien→chat 15 (5) 2 (1) 18 (15) 1 (1) 3 (2) 8 (3) Oiseau← % 41,96 176 DX 5 (1) 6 (1) 2 (2) 5 TRA+TRA MAN STA 1 (1) 2 (2) 1 (1) 13 (4) 11,61 6,25 2 (2) CAU+TRA 6,25 6 (3) 1 1 6,25 3 MAN+TRA 3 (3) DES+CAU+DX 1 (1) 1 TRA+DX+CAU Fond 16,96 5 (2) 3 (3) TRA+DX 1 8 7 18 3 5 8 3,57 2,68 1 2,68 2 1,79 4 47,3 Tableau VII - 5 ( Encodage d’informations spatiales : Le Cheval) TRA cheval ∩ chute↓ 4 (4) 16 (12) CAU+DX secours % 43,48 9 19,56 MAN 7 (7) 15,22 MAN+TRA 6 (5) 13,04 CAU+TRA 2 (1) DX Fond 4,35 2 16 13 4,35 63,04 La lecture des deux tableaux permet de constater plusieurs tendances : i) Dans la désignation des procès, nos apprenants chinois prêtent avant tout l’attention à la trajectoire, qui, de l’ordre de 40% du total, dépasse de loin les autres informations, sans compter celle comprise dans la combinaison (TRA+TRA, CAU+TRA, TRA+DX, MAN+TRA, TRA+DX+CAU). ii) Vient ensuite la deixis, véhiculée surtout par les prédicats simples dans Le Chat, encodée par la combinaison plutôt dans Le Cheval. iii) L’information de la manière tend à attirer plus d’attention : si au stade initial, les verbes de manière sont moins mobilisés étant donné les moyens linguistiques restreints, au stade intermédiaire, ils ont connu une croissance pour atteindre jusqu’à 28% (y compris l’empaquetage de double information MAN+TRA) . iv) L’empaquetage de double information, déjà existant à la 1ère collecte, concentré surtout dans le retour de l’oiseau, représenté par la double trajectoire (des prédicats du type rentrer, retourner), a enregistré une augmentation quantitative à la 2e collecte, 177 répartis dans les trois événements décrits. v) La mention du fond a connu une nette hausse (47,3% contre 63,04%), ce qui pourrait refléter le fait que les apprenants cherchent à expliciter, dans chaque événement, non seulement l’information du mouvement, mais aussi le point de repérage pour mieux situer le protagoniste dans le cadre spatial précédemment établi. Le degré d’explicitation du fond reflète une meilleure organisation de l’information spatiale au stade intermédiaire. VII.2.2.2 - Remarques et hypothèses relatives aux prédicats De double prédicat à prédicat complexe Nous notons que la proportion de la désignation incarnant plus d’un type d’information manifeste non seulement une augmentation quantitative, mais aussi une variation : au stade initial, l’information spatiale est répartie dans plus d’une proposition, incarnée par deux verbes différents, par exemple, dans la sortie de la scène des deux intrus, les combinaisons courir+suivre, sortir+courir, partir+courir ont été mobilisées pour décrire en même temps la manière et la trajectoire, ou l’expression faire quitter en vue d’insister sur la cause et la trajectoire. Au stade intermédiaire, la stratégie semble changer, car les apprenants ont choisi plutôt un « prédicat complexe » exprimant différents types d’informations, tel que apporter (dans l’événement sur les secours), enjamber, franchir, s’envoler (dans le saut du cheval), sauf dans la chute du cheval, où le recours à un double prédicat semble une solution incontournable (faire tomber et tomber en traversant). Cette tendance à exprimer conjointement plusieurs types d’informations dans le procès, soit à travers la combinaison d’un double prédicat ou par le biais d’un prédicat complexe, reflète une plus grande disponibilité de moyens linguistiques, mais ressemble aussi à la désignation du procès en chinois, où la construction verbale sérielle est porteuse de différentes informations : la trajectoire, la manière, la deixis, etc. 178 Hypothèse 2 : au long de l’apprentissage de français, les apprenants, avec une meilleure maîtrise de la L2, poursuivraient cette tendance à concrétiser l’information spatiale, et la formulation approcherait davantage de celle en LM plutôt que de celle en LE. - Verbes cognitifs-modaux L’inventaire ci-dessus est réalisé sur la base des prédicats relatifs à l’espace, nous avons constaté que dans certains événements, ces prédicats sont souvent introduits par des verbes cognitifs-modaux, surtout dans Le Cheval, pour exprimer l’état mental du cheval en vue d’effectuer le saut par-dessus de la barrière (voir VI.2.1.2). Cette préférence pour l’acte psychologique qui renvoie indirectement à l’acte factuel, semble refléter l’habitude de l’expression en chinois dans le même récit 100 . En quelque sorte, les apprenants chinois ont « calqué » en français leur conceptualisation en chinois, en interprétant une action dont le résultat n’a pas réalisé le but prévu comme une volonté (décider, vouloir) ou une tentative (essayer, s’efforcer). Hypothèse 3 : nous nous attendrions à une présence générale des verbes cognitifs-modaux dans les données recueillies au stade avancé, où l’enrichissement des moyens linguistiques permettrait aux locuteurs de s’intéresser aussi à l’état mental des protagonistes, au-delà des actes factuels. VII.2.3 Les prépositions spatiales Dans l’expression de la relation de localisation statique, les prépositions utilisées rendent compte de position fixe entre des entités, objets ou lieux, et elles peuvent aussi décrire le déplacement d’un objet de nature mobile par rapport à une entité fixe (un lieu) ou mobile (un autre objet qui lui-même peut être en déplacement). VII.2.3.1 « dans » vs « sur » Une concurrence entre dans et sur est constatée dans les deux récits : pour localiser l’oiseau/nid par rapport à l’arbre, ou le cheval au pré, et pour décrire les déplacements 100 Constatation de la recherche de Hendriks (1998 : 170). 179 de hauteur, comme la montée du chat et le saut du cheval. Les différentes façons de percevoir la relation spatiale incarnée par « dans » et « sur » chez les Français et les Chinois seraient à l’origine de cette concurrence récurrente. En chinois, le locatif 上-shàng exprime la relation spatiale « sur ». Il s’agit d’un idéogramme dont l’évolution de l’écriture est illustrée par l’image ci-dessus (Li, 1993), suivie de l’interprétation du sens figuré par la graphie. Si l’idéogramme initial composé de deux traits décrivait seulement les rapports spatiaux horizontaux entre la cible et le site, l’écriture finale 上 englobe aussi la relation spatiale sur l’axe vertical. Ainsi, quand la cible présente la caractéristique de position « supérieur » vis-à-vis du site, elle peut être qualifiée de 上, que l’axe de perspective soit horizontal ou vertical. i) 书 在 床 上。 shū zài chuáng shàng livre – (être) à – lit – sur « Le livre est sur le lit. » ii) 飞机 从 桥 上 飞过。 fēijī cóng qiáo shàng fēiguò avion – de – pont – sur – voler traverser « L’avion vole au-dessus du pont. » 180 iii) 墙 上 有 钉子。 qiáng shàng yǒu dīngzi mur – sur – avoir – clou « Il y a un(des) clou(s) au mur. » iv) 他们 坐 在 公车 上。 tāmén zuò zài gōngchē shàng ils – assis – (être) à – autobus – sur « Ils sont assis dans l’autobus. » En fonction des contextes, les traits sémantiques du locatif 上-shàng s’avèrent beaucoup plus riches que la préposition « sur » : il incarne souvent la caractéristique « sur » (i), quelquefois celle de «au-dessus » où la cible n’entre pas en contact direct avec le site (ii) ; ainsi que « à » (iii) quand le site se situe à l’axe vertical, et même des fois celle de « dans » (iv). On peut ainsi dire que « sur » ne constitue qu’une signification prototypique ou canonique de 上-shàng , et l’utilisation du locatif dans un contexte particulier la dévie plus ou moins de ce prototype. Les caractéristiques du locatif 上-shàng pourraient se résumer comme la figure ci-dessus. Plus les sites sont faciles à identifier, plus évident s’avère le choix de la préposition. Pour le site à trois dimensions du point de vue topologique (maison, grotte ou forêt), les Chinois partagent la même conceptualisation que les Français en qualifiant 里-lǐ « dans » pour la cible incluse. 屋子 里 wūzi lǐ maison – dans « dans la maison » 山洞 里 shāndòng lǐ grotte – dans « dans la grotte » 森林 里 sēnlín lǐ forêt – dans « dans la forêt » Lorsque le site est susceptible de représenter des caractéristiques de deux dimensions ou trois dimensions à la fois, les choix entre 上 -shàng (« sur ») et 里-lǐ (« dans »), dépendant de la situation de la cible, sont possibles. Prenons « le lac » comme exemple, c’est un 181 site qui peut être considéré comme un support si l’on se focalise sur la surface, pour le cygne qui y nage, mais dans la plupart des cas, le lac, qui dispose d’une certaine profondeur, est plutôt un contenant, comme pour le poisson. En fait, en chinois, on dit : 湖 上 有 一只 天鹅。 hú shàng yǒu yì zhī tiān’é lac – sur – avoir – un – cygne « Il y a un cygne dans le lac. » 湖 里 有 一条 鱼。 hú lǐ yǒu yì tiáo yú lac – dans – avoir – un – poisson « Il y a un poisson dans le lac. » Quant à l’image ci-contre, les Chinois vont plutôt situer les maisons 在山上(zài-shān-shàng : être à –montagne – sur), parce qu’elles sont visibles sur le flanc des montagnes, alors que l’image renvoyant aux « maisons dans la montagne » suppose que celles-là sont situées au fin fond de la montagne, sous-entendant qu’elles ne se figurent pas sur l’image. Il est à noter que 上-shàng assume en même temps la fonction du verbe monter, s’élever, suivi directement le fond concerné. Par exemple : 上 车 shàng chē monter – voiture « monter dans l’autobus » 上 山 shàng shān monter – montagne « monter dans la montagne » 上 三 楼 shàng sān lóu monter – trois – étage « monter au 2e étage » En ce qui concerne l’image ci-contre qui implique deux relations spatiales, soit la localisation statique de la maisonnette par rapport à l’arbre, et la montée envisageable du garçon situé en bas, comment les Chinois expriment-ils en LM ? Etant donné la position supérieure, soit par rapport au sol, soit vis-à-vis des branches, la maisonnette est située 182 sûrement 上-shàng (sur) l’arbre aux yeux des Chinois, d’autant plus que ce dernier est visible. L’enseignant, anticipant cette conceptualisation qui pourrait conduire les apprenants à employer « sur », insiste sur le fait que chez les Français, la cabane est localisée dans un contenant tridimensionnel formé de branches et de feuillage, ainsi, il faut dire « dans l’arbre », au lieu de « sur ». A travers cette démarche pédagogique intentionnelle visant à éviter la production de « sur l’arbre », la production des apprenants est orientée avec succès vers « dans l’arbre », en effet, nous avons enregistré 10 occurrences de « dans l’arbre » pour marquer la localisation statique des oiseaux ou du nid. Quant au déplacement ascendant, en chinois, on s’exprime comme : 上 树 shàng shù monter – arbre « monter à (dans) l’arbre » Pour décrire le même déplacement en français LE, une double question se pose : faut-il mettre une préposition après monter qui exprime déjà le mouvement de 上 -shàng ? Si oui, comment déterminer la relation entre l’arbre et le garçon qui effectue le mouvement ? Et là on revient à la question du rapport entre l’arbre et le référent animé. Le trait sémantique de mouvement contenu par 上-shàng serait à l’origine de la présence de 5 occurrences où le prédicat monter est enchaîné directement avec le fond « arbre » dans la montée du chat (voir V.1.2.1), désignation influencée par la lexicalisation en L1, car il s’agit d’une traduction mot à mot de 上树 (monter – arbre). L’enseignant, capable d’anticiper d’autres expressions «inappropriées » à cause de l’impact de L1 chez les apprenants, impose souvent des expressions/tournures toutes faites en L2, tel est le cas dans la désignation du déplacement descendant (la chute du chat et celle du cheval), où la précision du point d’arrivée « sur (la) terre » (2 occ. dans Le Chat, 3 occ. dans Le Cheval) traduit l’impact du chinois 摔(落)到地上 -shuāi (luò) dào dì shàng (tomber/chuter-sur-terre), et celle de « par terre » reflète 183 l’intervention pédagogique pour éviter toute expression issue d’une traduction littérale de la LM (10 occ. pour la chute du cheval). Hypothèse 4 Les différents traits sémantiques de 上-shàng, renvoient à des relations spatiales variées, couvrant largement les champs sémantique de la préposition « sur », d’où un choix difficile lors de la description en contexte. Plus la perception de l’espace coïncide chez les Français et les Chinois, plus facile est l’expression de la référence spatiale. Même à un niveau très avancé, perdurerait ce genre de confusion de prépositions spatiales, car la conceptualisation de l’espace forgée en LM reste vivace. Par ailleurs, nous pourrions détecter davantage de traces de l’intervention de l’enseignement dans les productions du récit La Grenouille, qui fait intervenir plus d’événements spatiaux, localisations et déplacements tout compris, laquelle n’amènerait pas forcément les apprenants à s’approcher de l’expression des francophones. VII.2.3.2 A travers Dans la désignation du saut du cheval par rapport à la barrière, nous avons remarqué un phénomène assez curieux, il s’agit de l’utilisation de la locution prépositionnelle à travers ( 2 occ., voir VI 2.1), qui décrit, comme l’interprétation indiquée dans le dictionnaire, un déplacement soit « d’un endroit à l’autre d’un espace, une étendue ou un lieu » (i), soit au milieu (ii) ou de part en part (iii) d’un obstacle formé d’« un ensemble de personnes ou de choses», ou d’« un corps ou milieu intermédiaire » (iv), même « entre les espaces vides d’un corps ou d’un objet » (v). Pour résumer, à travers dessine une trajectoire transversale d’un côté à l’autre d’un site, laquelle fait penser, dans notre récit, au lieu d’un parcours de courbe par-dessus de la barrière, à un mouvement horizontal causant le choc du cheval. (avec plus ou moins franchissement de frontière) i) Elle a voyagé à travers le monde. ii) Il s’est frayé un chemin à travers la foule. 184 iii) Elle regarde à travers une vitre. iv) La balle lui est passée à travers la cuisse. v) Le poisson est passé à travers les mailles du filet. Le déplacement en hauteur dissimulé à cause de l’emploi de la locution prépositionnelle à travers est plutôt dû à l’impact de l’expression en LM, où on se sert de l’item 过-guò, pour renvoyer à un parcours d’un côté à l’autre, en hauteur (a) ou transversal (b). a) 穿 过 跑 过 chuān guò pǎo guò pénétrer – traverser courir – traverser « avoir traversé » « traverser en courant » b) 跃 过 跳 过 yuè guò tiào guò franchir – traverser sauter – traverser « avoir franchi » « traverser en sautant » 过-guò, peut être traduit comme « à travers » ou « traverser » en français. Au stade intermédiaire, le gérondif n’est pas à la disposition des apprenants pour englober deux prédicats dans le même énoncé, ainsi, la locution prépositionnelle « à travers » se présente comme un choix idéal, puisqu’en véhiculant le parcours de 过-guò, elle permet de combiner la manière au déplacement, d’où l’expression chez Alix et Lydie, ce qui correspond bien à la désignation en LM, dont la construction verbale sérielle encode à la fois la manière et la trajectoire, sauf le fait que le mouvement en hauteur est effacé. (Alix) 2c. 2d. (Lydie) 2b. 2c. et donc il euh il [so] + il [es] euh il essaie de court euh [tra] à travers l’obstacle +++++++ alors euh +++ le cheval + va euh courir à travers euh + les + [ɔbskyr] de de la ferme donc euh il +++ il a + tombé euh en [tra] à travers euh les [ɔbskyl] Pourtant, en chinois, la manière n’est pas tout le temps nécessaire pour marquer un déplacement, 过-guò tout seul peut aussi décrire la trajectoire. 过 河 guò hé traverser – rivière « traverser la rivière » 过 马路 guò mǎlù traverser – rue « traverser la rue » 185 C’est pour cela que nous avons relevé aussi chez Sophie, le recours au verbe traverser pour la trajectoire du cheval. (Sophie) il [travεr] euh il traverse le euh grille Hypothèse 5 Des difficultés se manifestent dans l’expression des déplacements, tels que le franchissement d’un obstacle par le haut, et cela, dû à l’impact de la lexicalisation du procès en LM, laquelle pourrait conduire à une concurrence entre manière et trajectoire. Même à un niveau très avancé, ce genre de problème existerait et marquerait la différence de la formulation entre les apprenants et les natifs. 186 Chapitre VIII Frog, where are you ? VIII.1. Les événements spatiaux impliqués VIII.2. Localisation - trame VIII.2.1 Localisation dynamique : recherche dans la maison VIII.2.2 Localisation statique VIII.3. Déplacements – trame VIII.3.1 Trajectoire avec franchissement de frontière VIII.3.2 Trajectoire directionnelle - trame VIII.3.3 Trajets entre deux lieux de référence - trame VIII.4. Evénements événements secondaires VIII.4.1 Localisation VIII.4.2 Déplacements VIII.4.3 Placement VIII.5. L’organisation des événements VIII.5.1 La différenciation des représentations des événements trame VIII.5.2 Les événements spatiaux secondaires VIII.6. Constatations de la comparaison longitudinale 187 VIII.1. Les événements spatiaux impliqués Si les récits Le Chat et Le Cheval se déroulent dans un cadre spatial déterminé, précisément autour de l’arbre et dans le pré, La Grenouille se caractérise par le changement de lieux (maison – forêt – étang) tout au long de la recherche de la grenouille, et par la rencontre de différents animaux (taupe, hibou et cerf) durant l’aventure du garçon, ce qui engendre toute une série de déplacements, et des localisations, statique ou dynamique. Dans le présent chapitre, nous allons procéder à un dépouillement de la description des événements spatiaux issus des productions spontanées La Grenouille, recueillies à différentes phases d’acquisition chez les mêmes apprenants. Les comparaisons longitudinales à l’issue de cet examen détaillé permettraient non seulement d’illustrer la capacité à représenter la relation spatiale en tenant compte de l’événement à interpréter et les moyens linguistiques disponibles, mais aussi d’observer l’écart de formulation entre la langue cible et les productions orales des apprenants. Pour parvenir à ces comparaisons, nous distinguons dans le récit La Grenouille, selon l’ordre des images, les événements spatiaux impliqués comme suit : Tableau VIII - 1 (Evénements spatiaux impliqués : La Grenouille) Evénement spatial – trame Image 1 1’. la grenouille placée dans le bocal Images 2-3 1. la fuite de la grenouille Images 4-5 2. la recherche dans la maison Images 6-7 3. le déplacement de la maison à la forêt Image 9 4. la localisation du trou Image 10 5. l’apparition de la taupe Image 12 Images 13-14 Images 15-16 Image 17 2’. la tête du chien coincée dans le bocal 3’. la chute du chien Images 8 Image 11 Evénement spatial secondaire 6. la localisation du trou d’arbre 7. la montée du garçon dans l’arbre 8. l’apparition du hibou 9. la chute du garçon de l’arbre 4’. la localisation du nid de guêpes 5’. la chute du nid 6’. la poursuite du chien par les guêpes 10. la montée du garçon sur le rocher 11. le déplacement du garçon sur le cerf du rocher au précipice 12. la chute du garçon dans la mare 188 Images 18-23 13. la retrouvaille de la grenouille Image 24 14. le retour du garçon Tout événement directement lié à la recherche de la grenouille est considéré comme événement spatial-trame (numérotés en chiffres), donc ceux relatifs au protagoniste le garçon mais aussi celui de la fuite de la grenouille, car la disparition de cette dernière constitue l’événement déclencheur du récit. Nous pouvons classer les événements spatiaux - trame en deux catégories : z z Localisation : - Dynamique : 2 - Statique : 4, 6, 13 Déplacements : - Avec franchissement de bornes : 1, 5, 8 - Directions : ascendante : 7, 10 descendante : 9, 12 - Trajets entre deux lieux de référence: 3, 11, 14 Le reste des événements portant sur la grenouille et le chien est qualifié, par rapport à la trame, d’événements spatiaux secondaires (numérotés par l’apostrophe « ‘ »), que nous classons en trois catégories : z Localisation : 4’ z Déplacement z - direction descendante : 3’, 5’ - sans franchissement de bornes : 6’ Placement : 1’, 2’ Les analyses en comparaison longitudinale qui suivent visent à rendre compte des solutions des apprenants pour les événements spatiaux (trame et secondaires) à différents stades d’apprentissage. Le dépouillement minutieux pourrait mieux illustrer l’évolution de la compétence des apprenants et dévoiler les problèmes qui méritent l’attention. Pour cela, chaque fois, nous allons faire le bilan des solutions des apprenants, avant de les confronter avec celles de natifs français, ou le cas échéant, avec celles des témoins chinois pour essayer de trouver l’origine des phénomènes 189 récurrents. VIII.2. Localisation – trame VIII.2.1 Localisation dynamique : la recherche dans la maison (2) Les recherches de la grenouille, effectuées par le garçon dans la maison (chambre), n’impliquent pas le changement de lieu, il s’agit ainsi d’une localisation dynamique. C’est un procès de haute fréquence, surtout au Localisation dynamique 22 20 21 niveau intermédiaire, où tous les locuteurs chinois 18 15 l’ont abordé. La formulation du procès comprend 10 5 deux 0 1ère VIII.2.1.1 2e 3e éléments : les prédicats renvoyant aux mouvements de la recherche, et la relation spatiale. Représentation spatiale Les sujets, chinois et français confondus, ont recouru à 5 types de structures dans la désignation du procès, lesquelles fournissent de façon croissante l’information spatiale. i) V+Ø A part les prédicats, aucune information spatiale n’est exprimée. 1ère (Quinaut) ii) euh elle elle va la chercher elle va la chercher euh + mais euh mais elle elle n’est mais il ne la pas il ne la trouvait il ne la trouve pas V+adv. Les sujets se servent de « partout », adverbe de lieu ou des locutions adverbiales telles que « en tous lieux », « dans tous les coins », pour localiser d’une manière très vague le mouvement de recherche. Dans cette formulation, les actions successives de recherche aux divers lieux d’un même espace sont manifestées entre autre par la répétition du verbe chercher. 1ère (Delphine) 1ère (Claire) iii) euh il [∫εr] euh il cherche il cherche partout + François et Jonas [∫ə] euh cherchent François et Jonas cherchent euh la petite grenouille en tous lieux V+[fond] 190 Les sujets précisent le fond : maison ou chambre. 1ère (Mélanie) iv) et il a cherché la grenouille dans sa maison V+adv.+ [fond] Les locutions adverbiales permettent d’englober les différents endroits dans le cadre de référence qui est la maison/chambre. Il s’agit d’une structure économe et efficace, sans entrer dans les détails. 1ère (Louise) 2e (Léon) euh il il [∫ə] il cherche il cherche euh il cherche partout dans la dans la chambre il cherche il cherche dans tous les coins de la chambre v) V + détails Les sujets mentionnent au moins un lieu de repère illustré par les images, autre que la maison/chambre: bottes, lit ou tabouret. Tableau VIII - 2 (Localisation dynamique – trame : 2) Constructions 1ère collecte 2e collecte 3e collecte Natifs Ø 4 1 1 2 i.) V 1 1 0 ii.) V+adv 6 6 3 iii.) V+[fond] 8 2 2 iv.) V+adv.+[fond] 2 6 10 v.) V+détails 1 6 6 9 La lecture du tableau 2 qui rend compte des structures relevées laisse voir d’un côté la solution quasi uniforme des natifs (v.), et de l’autre, malgré la diversité d’expressions à chaque phase, une tendance chez les apprenants à concrétiser l’information spatiale aux stades intermédiaire et avancé, confirmée d’un côté par la fréquence croissante de la structure (iv.), de l’autre, par le nombre des sujets qui ont recouru à une description détaillée (v.). VIII.2.1.2 Une description plus détaillée Aux stades intermédiaire et avancé, 6 apprenants ont concrétisé les recherches (vs 1 occ. au stade initial). z 1ère collecte 191 Cécile est la seule à fournir des détails, et cela, à travers une liste d’endroits. 1ère (Cécile) z Fili cherche la maison euh le lit et les bottes euh et la bouteille 2e collecte En plus du fond (chambre/maison), 4 étudiants ont explicité la recherche « dans la botte ». 2e (Louise) il la cherche partout dans sa chambre même dans sa botte Cécile, comme à la 1ère collecte, a abordé différents endroits en variant la relation spatiale (au fond, au-dessous, au-dessus). 2e (Cécile) il cherchait partout dans la chambre au fond des bottes rien au-dessous + de la chaise rien au-dessus du lit rien Et Océane, a explicité l’action de chercher à travers les conséquences renverser la chaise et la botte. 2e (Océane) z donc Pascal se met à chercher la grenouille il a renversé sa petite chaise et il a aussi euh renversé euh sa [but]-botte 3e collecte 4 étudiants ont mentionné en plus de « la botte », au moins un autre endroit. 3e (Louise) ils le cherchent partout dans la chambre dans le chapeau euh dans son botte Comme Cécile, qui a toujours accordé une attention fine aux différents lieux de la recherche (au-dessous, au fond), Claire a aussi varié la relation spatiale (sous, dans). 3e (Cécile) ils ont fouillé toute la maison ++ euh au-dessous du lit mais mais il n’y a rien peut-être au fond de des bottes mais il n’y a plus rien (Claire) ils ils fouilles partout sur sous le chapeau dans les bottes sous le lit partout mais ils n’arrivent pas à trouver Pascal z Natifs La formulation des natifs, qui ont tous abordé l’événement, s’avère bien convergente : 2 ont interprété l’image où le garçon tient la botte comme l’action de mettre les 192 chaussures pour la sortie (GIL et VER), donc l’activité de la recherche du garçon est absente, et d’autres ont recouru à la structure (v) pour préciser différents lieux (NIC et STE par exemple) : bottes (8 occ.), lit (4 occ.), tabouret (2 occ.), vêtement (1 occ.) et couverture (1 occ.), chaussons (1 occ.). GIL VER NIC 8a. 7b. 6a. 6b. 6c. 6d. 6. 7. 8. 9a. 9b. STE z il va mettre ses bottes il enfile ses grandes bottes, ils cherchent partout, [ils cherchent] dans les bottes [ils cherchent] sous le lit [ils cherchent] partout elle n’est pas non plus dans les bottes elle n’est pas sous le tabouret elle est, pas non plus dans les chaussons euh ils cherchent partout de fond en comble ils retournent <la> [/] la chambre Constatations Malgré une tendance à varier l’information spatiale dans le procès de la recherche dans la chambre, par le biais d’une concrétisation de points de repères concernés et d’une diversification des rapports spatiaux, la description détaillée n’est activée que par un nombre restreint des apprenants, à la différence des natifs qui tendent toujours à établir l’arrière-plan de la recherche (la maison ou la chambre), et à expliciter les divers lieux impliqués. Dans cet événement de localisation dynamique, les apprenants chinois préfèrent une description synthétique (structures ii, iii et iv), alors que les natifs optent pour une interprétation détaillée et concrète. VIII.2.1.3 Confusion entre chercher et trouver Nous avons remarqué une confusion entre les prédicats chercher et trouver, qui existe à toute étape d’acquisition. 1ère (Marie) 2e (Lydie) 3e (Delphine) euh euh d’abord le garçon euh le garçon [tru] [tru] [tru] trouve dans dans sa sa dans sa chambre mais il ne il n’est la il n’est la trouve pas il a cherché Dodo tout dans la maison mais il ne peut pas le chercher. euh Xiaoming est deçu et euh nerveux et trouve euh la grenouille partout euh dans [∫os] euh dans son chaussure 193 (Sylvie) euh la bouteille ils euh ils le trouvent partout dans la maison mais ils ne mais ils n’arrivent pas à le trouver Comment expliquer l’interférence des deux verbes qui ne partagent pas de caractéristiques phonologiques ? Les traits sémantiques du couple chercher/trouver, étroitement liés, sont pourtant faciles à distinguer : trouver indique le résultat de ‘réussir à obtenir ce que l’on cherchait’. La lexicalisation de ces deux verbes en chinois pourrait éclaircir ce phénomène. chercher : 找 zhǎo : chercher trouver : 找到 zhǎo-dào : chercher - arriver 到 -dào ‘arriver’ ,très fréquent en chinois, est un verbe grammaticalisé en complément résultatif101. Comme son nom l’indique, c’est une particule qui vise à expliciter le résultat d’une action, dans notre cas, celle de chercher. Il en est de même pour les verbes de perception. regarder : voir : écouter : entendre : 看 kàn 看到 kàn-dào : regarder- arriver 听 tīng 听到 tīng-dào : écouter - arriver En chinois, pour exprimer le résultat d’une action de chercher, de regarder, ou d’écouter, le procédé s’avère simple: il suffit de reprendre le verbe propre à l’activité en ajoutant 到-dào, situé après le verbe. Ainsi, il se peut que les apprenants chinois, qui s’habituent à une lexicalisation facile et sémantiquement plus logique des couples chercher/trouver, écouter/entendre, regarder/voir, aient plus de difficulté pour distinguer les formes correspondantes en français, d’autant plus que la morphologie n’aide pas à indiquer l’action ou le résultat en français, d’où la confusion qui perdure, même au stade avancé. En effet, dans notre corpus, nous avons aussi relevé une confusion de la même nature entre écouter et entendre, ce qui justifie notre hypothèse. 1ère (Delphine) 101 il [eku] il écoute euh quelque chose [kε] quelque chose parle Voir Chapitre IV.2.3, p.75. 194 2 e 3e (Mélanie) (Marie) (Sophie) (Claire) (David) (Eva) (Hélène) VIII.2.2 et il euh soudain il a écouté quelque chose soudain Luc écouta des + du bruit mais entend qu’est euh qu’est-ce qu’il y a il y a des bruits il entend très attentivement d’où vient ce bruit à ce moment-là le garçon a écouté la voix des grenouilles euh mais [gra] grâce à cela Pascal et son chien a écouté quelque bruit soudain il écoute quelques voix derrière une branche de l’arbre sur l’eau Localisation statique Dans cette section, seront examinés la localisation du trou par rapport à la terre et à l’arbre, ainsi que la relation spatiale entre les grenouilles et le tronc creux dans l’épisode de dénouement. VIII.2.2.1 Localisation : trou (trame : 4, 6) Le petit garçon a cherché la grenouille dans deux trous, situés par rapport à différents fonds (terre vs arbre). L’examen simultané de la localisation des deux trous permet de rendre compte des différents procédés de conceptualisation de ces deux localisations similaires chez les sujets. z Prédicats Les prédicats mobilisés dans la localisation du trou se regroupent en deux catégories : - dynamiques Les verbes de perception : trouver, regarder, voir, apercevoir, découvrir, rencontrer Les verbes d’activité : chercher Les verbes de communication : parler, crier, appeler Les verbes de cognition : croire, penser - statique Le prédicat se construit soit avec un « verbe locatif statique », tel que être, se trouver, se situer, se cacher (Borillo, 1998 : 15), soit avec le présentatif il y a. z Représentation spatiale 195 5 structures ont été employées dans la description du trou. i) Localisation absente : V+[trou] Les sujets se contentent de mentionner l’existence du trou, sans faire référence au fond. 1ère (Eva) ii) +++++ et l’enfant trouve un trou Localisation explicite : V+[trou+fond] La relation spatiale entre le trou et la terre/arbre est incarnée par une préposition. 1ère (Eva) (Quinaut) iii) et il y a aussi un trou euh dans l’arbre il regarde il regarde dans la dans le trou dans le trou de l’arbre Localisation implicite : [cadre spatial] + [V+trou] Cette construction n’est utilisée que pour situer le trou dans l’arbre : dans une première proposition, les sujets établissent le cadre spatial qui est l’arbre, avant d’introduire le trou dans la proposition suivante, laissant implicite la relation spatiale entre la figure et le fond. 2e (Lydie) iv) ensuite Pierre a monté dans un arbre où où un trou se situait se situe Métonymie Dans les corpus des apprenants, quelquefois, le trou est remplacé par « la maison de la souris » ou « le trou du hibou » par métonymie, le fond est ainsi laissé implicite. 1ère (David) (Laurent) + euh ils trouvent une maison de euh de la souris + euh il il il a ils ont ils ont ils ont trouvé un [Зεpr]s trouvé une [Зεpr]-guêpe et puis un trou de hibou de euh un trou de un trou de un hibou v) V + [trou identifié] Dans la description du trou par rapport à la terre, nous avons remarqué une solution majoritaire chez les natifs, c’est l’identification du trou par « terrier ». GIL 28a. LUC 16a. z tandis que Pierrot a trouvé un terrier il s’approche d’un, terrier à taupes Trou – terre Figure VIII - 1 (Localisation statique – trame : 4) 196 Localisation (trou - terre) 100.00% 80.00% 1ère collecte 60.00% 2e collecte 40.00% 3e collecte natifs 20.00% 0.00% Ø i:V+[trou] ii:V+[trou+fd] iv: métonymie 1ère collecte 4.50% 86.50% 4.50% 4.50% 2e collecte 18.20% 40.90% 40.90% 3e collecte 9.10% 27.30% 59.10% 27.30% 18.20% natifs v:trou identifié 4.50% 54.50% Chez les apprenants, nous pouvons constater une baisse de fréquence de la construction (i) en faveur de la construction (ii), autrement dit, un nombre croissant de sujets ont explicité le fond du trou (4,5% : 40,9% : 59,1%) . La plupart des natifs ont choisi de spécifier la nature du trou par « le terrier » dont le signifié ‘abri souterrain (creusé par un animal)’ explicite non seulement le fond (le sol ou la terre – souterrain), mais aussi anticipe le sujet impliqué dans l’événement suivant (l’animal qui sort), préparant ainsi la rencontre du garçon avec la marmotte (taupe ou raton). Cette solution très courante chez les natifs reste inaccessible aux apprenants chinois, car c’est un terme dont les traits sémantiques s’avèrent trop spécifiques pour être activé facilement. z Trou – arbre Figure VIII - 2 (Localisation statique – trame : 6) Localisation (trou - arbre) 80.00% 1ère collecte 60.00% 2e collecte 40.00% 3e collecte natifs 20.00% 0.00% Ø i:v+[trou] 1ère collecte 31.90% 4.50% 2e collecte 22.70% 9.10% 3e collecte 22.70% 0 natifs 9.10% 9.10% ii:v+[trou+fd] iii: implicite iv:métonymie 50% 4.50% 9.10% 54.60% 13.60% 0 59.10% 18.20% 0 72.70% 9.10% 0 La figure montre que la focalisation sur le fond (construction ii ) est maintenue au 197 cours des 3 collectes (50%: 54,6% : 59,1%) chez les apprenants, ce qui les rapproche des natifs qui ont aussi privilégié cette représentation (72,7%). Si nous examinons de plus près la construction (iii), en légère croissance chez les apprenants, un développement progressif peut être observé du point de vue syntaxique. De la 1ère collecte, où le fond et la figure introduits dans 2 propositions juxtaposées, la localisation du trou reste à inférer ; 1ère(Claire) +++ ensuite François se monte sur un arbre il trouve un il trouve un trou à la 2e collecte, où des moyens linguistiques ont été mobilisés pour relier les deux propositions : le recours à l’adverbe là pour renvoyer au fond tout juste désigné (1 occ.), ou le pronom relatif où pour construire un lien relationnel (2 occ.). 2e (Alix) et puis Julien monte dans euh monte + un arbre euh il a euh là il a [tru] il a trouvé un trou et euh il l’a grimpé dans une dans une grande branche euh où il y avait un petit trou euh (Eva) Au stade avancé, les deux solutions sont partagées : la juxtaposition paratactique (chez Lydie) et le pronom relatif « où » (3 occ.). Océane fait preuve d’une bonne organisation de l’empaquetage relationnel des informations de forte condensation : deux déplacements (quitter, grimper) et une localisation sont enchaînés dans le même énoncé par le biais de « pour » et « où ». 3e (Lydie) cette fois-ci Pierre se monte sur un grand arbre euh il veut regarde ce que dans le trou Julien quitte donc le trou pour grimper sur un arbre où se trouve un autre trou (Océane) z Fond : terre vs arbre 20 Dans la figure ci-contre qui rend compte des 17 15 15 13 12 trou-terre trou-arbre 9 10 occurrences mentionnant le fond (constructions ii et iii), nous pouvons remarquer que dans ces 5 1 deux localisations, la figure restant la même, les 0 1ère 2e 3e 198 deux fonds ne bénéficient pas de la même attention : à chaque étape, la fréquence de « l’arbre » dépasse toujours celle de « la terre ». L’explication réside plutôt dans nos connaissances générales sur le trou en tant que ‘cavité naturelle ou artificielle dans une surface’. En règle générale, à moins que l’on précise la surface impliquée, ce creux est situé dans le sol dans la plupart des cas, comme dans les deux exemples suivants : [La balle est tombée dans un trou.] vs [La lumière passe par un trou de mur.] Ainsi, par rapport à « l’arbre », « la terre » s’avère un fond évident, qui ne mérite pas une mise en valeur particulière. Au stade avancé, la plupart des sujets ont pourtant choisi d’expliciter « la terre » (13 occ.), en vue de distinguer le trou situé dans le tronc d’arbre, ce qui témoigne d’une intention de fournir plus de points de référence pour mieux marquer le parcours du protagoniste. z Concurrence entre « dans » et « sur » Dans le chapitre précédent, l’examen portant sur la localisation de l’oiseau–arbre et celle de cheval–pré nous a déjà révélé la concurrence entre « dans » et « sur », issue plutôt de la conceptualisation spatiale incarnée par le locatif 上-shàng en LM. Dans la localisation du trou par rapport à deux fonds différents, la même concurrence est observée. Tableau VIII - 3 (Localisation statique - trame : 4 et 6 : prépositions) Trou-terre Trou – arbre 1ère collecte 2e collecte 3e collecte Natifs sur (1) dans (3), sur (3), par (2), par (4), dans (4), sur (3), dans (2) souterrain (1) de (2) dans (7), sur (3), de (2) de (8), dans (2), sur (2), dans (4), de (2), au milieu (1), en (1) à l’intérieur (1) de (4), sur (3), dans (3), au milieu (1) Quel que soit le fond, les prépositions « dans » et « sur » sont sollicitées quasiment autant de fois, sauf dans la localisation du trou par rapport à l’arbre à la 2e collecte (« dans » 7 occ. vs « sur » 3 occ.). « dans » est la préposition spatiale appropriée en français pour indiquer la relation 199 spatiale trou - terre/arbre, comme ce que montrent les données des natifs français. Le recours à « sur » pourrait s’expliquer par l’influence du locatif en chinois d’après lequel cette relation est incarnée par 上-shàng ‘sur’. Le signifié du locatif 上 -shàng s’avère très riche. Comme son idéogramme l’indique (voir la figure ci-contre), par rapport au trait horizontal qui sert de référence, tout ce qui se situe par-dessus est qualifié de 上, quelle que soit sa position ou orientation. En fonction de différents contextes, 上 peut renvoyer à différentes prépositions spatiales en français : sur (dans la plupart des cas), au-dessus (souvent), dans (quelquefois), etc. La partie en noir renvoie aux cas tels que le trou dans la terre/l’arbre, les passants dans la rue. Aux yeux des Français, le trou est perçu comme dans la terre/l’arbre, c’est parce qu’il existe une relation contenant-contenu entre la cible (trou) et le site (terre/arbre) : a est dans b si les frontières du site incluent (partiellement) les frontières de la cible. (Vandeloise, 1986 : 214) Si les Chinois recourent à 上-shàng ‘sur’ pour évaluer la relation spatiale entre le trou et la terre/l’arbre, c’est parce qu’ils se focalisent sur l’entrée du trou perçue comme encadrée par la surface de la terre/l’arbre. La différence réside dans la perception du site : les francophones considèrent la terre comme un contenant, alors que les Chinois la perçoivent comme un support. Le traitement cognitif préside à l’application d’une préposition spatiale. Pourtant, la compréhension ne constitue pas la seule condition préalable de l’application de la préposition « dans ». Des conditions réelles du monde perçu déterminent en partie le choix d’une préposition. Si les sujets acceptent plus facilement la relation contenant-contenu entre l’arbre et le trou, surtout au stade intermédiaire (7 occ.), c’est parce que l’arbre, en tant qu’entité délimitable, est 200 susceptible d’être considéré comme un contenant. Pourtant, aux yeux des Chinois, la terre est une étendue sans bornes, il est difficile de la prendre comme une entité avec délimitation précise. La terre n’est alors pas un contenant idéal. Cela ne veut pas dire que les Chinois ne peuvent pas accepter la relation contenant-contenu entre la terre et le trou, mais cette relation renvoie plutôt à la figure A, au lieu de B. Autrement dit, l’énoncé il y a un trou dans la terre fait penser plus facilement à un trou qui se situe à une certaine profondeur de la terre. Ainsi, nous comprenons mieux pourquoi aux stades intermédiaire et avancé, certains apprenants continuent à penser que le trou se situe « sur » la terre (3 occ.). Etant donné les propriétés sémantiques du locatif 上-shàng qui correspondent à différents rapports spatiaux en français, nous pouvons anticiper une confusion entre « au-dessus », « sur » et « dans », quand les sujets essaient de représenter en français une relation spatiale incarnée sans distinction par 上 en chinois. z Relation d’appartenance L’inventaire des prépositions utilisées dans les deux localisations montre aussi que le rapport entre « le trou » et « la terre/l’arbre » est souvent incarné par une relation d’appartenance de, surtout au stade avancé (terre - 2 occ. ; arbre - 8 occ.). La structure syntaxique pourrait nous fournir une explication à la haute fréquence de l’appartenance. Tableau VIII-4 (Localisation statique – trame : 4 et 6 : 3e collecte) Trou-terre Trou – arbre Adèle il croit que la grenouille est dans le trou d’arbre David le garçon pense si la grenouille se cache dans le trou de l’arbre (Delphine) Alix grenouille dans euh au trou de l’arbre il crie vers le trou le trou de terre (Lydie) crie encore crie encore encore à crie encore euh la Delphine et puis pour Xiaoming vers vers vers le trou de l’arbre Pierre crie sur sur un trou de la terre Hélène il crie sur le trou sur le trou de ce grand arbre 201 Louise crie à ce trou de branche Quinaut pour pour crier vers un trou de cet arbre Violette crie Kilo vers le trou de l’arbre La représentation des deux procès pourrait se résumer comme suit : a) Crier vers/sur/à/dans + le trou (de) [terre/arbre] (10 occ.) C’est une structure qui implique deux relations spatiales : la direction de l’action de crier vis-à-vis du trou et la relation trou-terre/arbre. L’accent mis sur l’acte de communication, l’information spatiale sur le trou située au second plan, est ainsi simplifiée par la qualification de la nature du trou, qui semble la solution la plus économique, d’autant plus que la première relation reste difficile à définir, vu les différentes prépositions mobilisées. b) Penser/croire que la grenouille se cacher/être dans le trou d’arbre (2 occ.) Similairement, cette structure sert avant tout à supposer la localisation de la grenouille, qui ainsi, l’emporte sur celle du trou, qualifié par son appartenance à l’arbre. C’est aussi une solution que nous avons trouvée chez les témoins : NAT a mis l’accent sur l’acte d’activité (chercher), et LUC, a présenté le trou dans le déplacement du hibou (sortir), un traitement secondaire de la localisation du trou conduit ces deux natifs à simplifier la représentation spatiale par une relation d’appartenance. NAT 21. et, le petit garçon lui pendant ce temps, il est en train de chercher dans le trou d’un arbre LUC 22a. [il y a] la chouette, qui sort d’un trou de l’arbre VIII.2.2.2 z Localisation : grenouille (trame : 13) La désignation du procès L’épisode-dénouement implique la localisation de la (des) grenouille(s) que le garçon a trouvée(s). Les sujets l’ont décrite à travers les 3 constructions suivantes : i) Localisation vague (grenouille – mare) La grenouille est située dans la mare de façon explicite (chez Adèle) ou implicite (chez Laurent). 1ère (Adèle) (Laurent) mais au contraire il est très content parce que dans un lac il trouve euh il trouve le grenouille à cause de cerf ils sont [tru] ils sont tombés dans un lac dans un lac et 202 dans un lac et après le garçon en euh a euh entendu quelque chose ils ils continuer ils continuent cherchent et ils ils ont trouve ils ont trouve deux [grənyj] deux [grεnyj] grenouilles Nous classons dans cette catégorie les cas où aucun lien n’est établi entre l’arbre et la grenouille, malgré la mention de l’arbre, comme chez Violette ; 1ère (Violette) là-bas euh le garçon et le chien euh trouvent un l’arbre qui est qui était + euh dans le lac dans le lac le chien euh dans le lac le garçon entend entend euh un bruit euh il euh il chercher dans le dans le lac et enfin euh il trouve euh une famille de euh grenouilles mais aussi la narration de Sophie, qui n’a explicité ni le lieu cible dans la chute du garçon ni l’arbre couché, la localisation de la grenouille reste donc obscure car le fond est totalement absent. 1ère (Sophie) ii) le garçon et son chien euh sont tombés mais soudain le garçon euh [ã] entend un bruit et puis euh il cherche il cherche sa sa sa sa grenouille sa grenouille et sa et et la famille de sa grenouille Localisation par rapport à l’arbre (grenouille - arbre) Les sujets ont eu recours à différentes prépositions en vue d’établir le rapport spatial entre la grenouille et l’arbre couché dans l’eau. 1ère (Julia) 3e (Claire) iii) et euh + euh + il trouve il il trouve deux grenouilles euh dans euh près près d’une près d’un arbre il entend très attentivement d’où vient ce bruit ah c’est derrière le tronc oui derrière le tronc il y a deux grenouilles Description détaillée Dans le dénouement, le repérage de la grenouille est en effet précédé d’un mouvement de franchissement du tronc par le garçon. Ce détail, souvent laissé de côté, surtout dans la 1ère collecte, est relativement fréquent dans les deux collectes suivantes (Laurent, Marie). Nous avons regroupé dans cette catégorie, toute description qui a mentionné le déplacement du garçon, sans que la localisation de la grenouille soit 203 nécessairement explicitée (VER). 2e (Laurent) 3e (Marie) VER ++ mais euh grâce à cela ce petit garçon euh [etã]-entend euh quelque euh quelque chose derrière une une arbre mort un euh un arbre un arbre mort donc il essayer de il essaie euh il essaie de traverser + euh ce euh l’arbre mort en cachette et il trouve une famille de grenouilles + s’amusant sa s’amusant là-bas il approche il s’approche du tronc et trouve derrière le tronc il y a deux il y a deux grenouille qui [sa] qui s’appuie l’un sur l’autre et chantent des et chantent des chansons très très mélodieuses il monte, par dessus, un bout de bois qui est le long de la rive et découvre un couple de grenouilles et, un petit peu plus loin, [découvre] leurs enfants Figure VIII - 3 (Localisation statique – trame : 13 ) Localisation : grenouille - arbre 100.00% 90.00% 80.00% 70.00% 60.00% 1ère collecte 2e collecte 3e collecte natifs 50.00% 40.00% 30.00% 20.00% 10.00% 0.00% i:G-mare ii:G-arbre iii:détail 1ère collecte 63.60% 18.20% 18.20% 2e collecte 27.30% 31.80% 40.90% 3e collecte 13.60% 45.50% 40.90% 0 9.10% 90.90% natifs Nous pouvons constater que le nombre des apprenants qui ne précisent pas la localisation a diminué continuellement en faveur d’une description plus concrète (constructions ii et iii). Il semble qu’ils sont sur le chemin de s’approcher de la description des natifs, dont l’usage préférentiel (90,90%) consiste à décrire le mouvement du garçon avant la découverte de la grenouille. Un examen minutieux permet de trouver les éléments qui affectent la représentation, 204 et à quel niveau se situe l’écart d’expression de l’événement entre les apprenants et les natifs. z La lexicalisation du fond Comme l’illustre l’image, l’entité destinée à encadrer la localisation de la grenouille s’avère difficile à catégoriser : ce n’est pas un arbre car il n’est pas fixé au sol par les racines ; ce n’est ni une simple ‘partie d’un arbre depuis la naissance des racines jusqu’à une certaine hauteur’, ainsi un tronc, mais un tronc dont l’intérieur est creux, ni ‘une ramification des tiges d’un arbre ou d’un arbuste’, donc une branche, mais une branche énorme. De plus, quelle que soit la dénomination, il faut faire référence à la position de l’entité, car étant couchée, la figure (arbre/tronc/branche) n’est pas dans sa position canonique, définie comme « la position naturelle de l’objet si celui-ci est fixe » (Borillo, 1998 : 9). Les natifs ont identifié l’entité comme « un tronc » ( 8 occ.), « un bout de bois » (1 occ.), « une souche » (1 occ.) ou « un arbre » (1 occ.) combinée avec « creux », « gros », « mort » pour mieux expliciter la situation du fond. Ainsi, il s’agit d’un fond disposant de plusieurs propriétés, qu’un seul terme n’arrive pas à dénoter. Les apprenants doivent élaborer une représentation de ce qui est à décrire en prenant en considération les informations disponibles dans le contexte et celles qui sont récupérables en mémoire. Ils n’ont que deux choix : essayer de l’aborder ou s’en passer. - 1ère collecte Vu le vocabulaire très restreint, nombreux sont ceux qui ont choisi de le laisser de côté, et pour le reste, ils ont tous qualifié le fond d’«arbre», seul terme disponible à l’époque. Pourtant 2 locutrices ont essayé de préciser l’état de l’arbre à travers « tombé ». 1ère (Claire) (Louise) - et alors ils ont trouvé un tombé arbre et dernier - [derrière] le euh un arbre tombé euh il y a euh il trouve euh la famille la famille de grenouilles 2e collecte 205 Les items sollicités sont plus variés : en plus de l’arbre (4 occ.), nos apprenants tendent à indiquer l’état de l’arbre : arbre mort (3 occ.), arbre tombé (4 occ). Le terme « tronc » a été aussi utilisé (3 occ.), ainsi que « tronc mort » visant à faire référence à l’intérieur creux du fond (1 occ.). 2e (Alix) (Julia) (Marie) (Océane) ++ euh et ensuite il euh il découvre un bruit derrière un arbre mort ++ et près d’un arbre [nabr] [nabr] qui qui est tombé ils trouvent deux grands grenouilles sur l’eau il y avait il y avait un tronc un tronc derrière le tronc euh mort dans cet étang euh il y a quelque chose « Plus un terme est fréquent et plus sa récupération en mémoire est facile » (Denhière & Baudet, 1992 : 15). L’« arbre » étant le seul choix au stade précédent, il reste le terme privilégié par rapport au « tronc », car il s’agit d’un mot fréquent, en plus déjà utilisé dans l’épisode-hibou, donc susceptible d’être récupéré plus rapidement. Pourtant, l’ajout de « tombé » ou « mort » reflète l’intention de distinguer le fond d’un arbre proprement dit. - 3e collecte L’arbre étant totalement absent à ce stade, les sujets ont eu recours à « branche » (9 occ.), « tronc » (10 occ.), ce qui traduit une focalisation sur la forme du référent servant de fond qui, n’étant pas l’arbre, « faisait partie » de ce dernier. La lexicalisation s’avère plus pertinente et affinée du point de vue de la forme physique. D’ailleurs, les sujets s’efforcent de concrétiser la description par l’ajout d’un adjectif, dans le but de renvoyer à la forme (grosse branche), ou à l’état (vieille branche, tronc perdu/mort). 3e (David) (Quinaut) ++ et derrière un un tronc perdu le garçon et le chien ont trouvé la grenouille qui est près de qui est près de sa mère l’air très content finalement il trouve il trouve derrière une tranche derrière une branche grosse un groupe de grenouilles Ainsi, le bilan ci-dessus dressé permet d’observer une meilleure maîtrise des connaissances linguistiques quant à la dénomination d’une entité à plusieurs traits sémantiques, confirmée non seulement quantitativement avec de moins en moins de 206 sujets qui s’en sont passés (63,6 %:27,3% :13,6%), mais aussi et surtout qualitativement, à travers des termes plus proches de l’entité à dénommer et la mobilisation de différents adjectifs renvoyant à l’état du fond, comme ce qu’ont fait les natifs. z Prépositions spatiales Tableau VIII - 5 (Prépositions spatiales – trame : 13) Grenouille(s) – arbre mort (étang) Constructions 1ère collecte 2e collecte ii : Localisation - arbre 4 7 derrière (3) 4 avant (1) après (1) Natifs 10 1 près de (3) près de (3) iii: Description détaillée derrière (8) 3e collecte 9 Ø (3) en arrière (1) après (1) derrière (13) Ø (6) Ø (4) 9 après de (1) après (1) 10 derrière (3) de l’autre côté (2) La convergence du choix de « derrière » (3 : 8 : 13) reflète une perception partagée sur la relation spatiale entre la grenouille et le tronc chez les apprenants, alors que cette préposition n’est activée que par 3 natifs, la plupart ayant choisi de laisser implicite la localisation de la grenouille. - 1ère collecte « près de »: Le terme « dernier » utilisé par Louise, l’un des trois sujets à identifier la relation comme « derrière », confirme que cette préposition n’était pas maîtrisée au stade initial. L’insuffisance des moyens linguistiques pourrait conduire à une omission de la localisation, ou à une simple relation de voisinage, incarné par « près de », au lieu de relation sagittale. 1ère (Eva) (Julia) et près près de l’arbre euh il trouve deux grenouilles et euh + euh + il trouve il il trouve deux grenouilles euh dans euh près près d’une près d’un arbre « après » : Chez Océane, la sollicitation de « après » pourrait être considérée comme une substitution de « près », vu les similitudes phonologiques des deux items, mais 207 s’explique plus plausiblement par l’influence du chinois102. 1ère (Océane) c’était ta c’était après l’arbre sur + sur103 l’eau de l’étang En chinois, un seul locatif 后-hòu permet d’exprimer la postériorité à la fois temporelle et spatiale, dont les traits sémantiques pourraient renvoyer respectivement à « dans »(i), ou « après » (i’), et à « derrière » (ii), selon les cas. i) 他三天后回来。 i’)他说 他 三 tā sān tiān hòu huílái. il – trois – jours –dans – [renter-venir] « Il rentrera dans trois jours. » ii)笤帚 在 门 后。 tiáochu zài mén hòu balai – (être) à – porte – derrière « Le balai est derrière la porte. » 天 后 回来 tā shuō tā sān tiān hòu huílái. il-dire- il-trois-jour- après -[renter-venir] « Il a dit qu’il rentrerait trois jours après .» Ainsi, quand il faut exprimer en français le locatif 后-hòu , un terme riche en propriétés sémantiques, dont les équivalents en français sont multiples, un problème de décision se pose, car les choix varient en fonction de différents contextes. Quand le terme « derrière » n’est pas facilement accessible, le choix tombe naturellement sur « après » qui est le terme le plus général. (Delphine) [ã] enfin euh il enfin il trouve beaucoup de grenouilles + avant le avant le avant [zarbr] avant l’arbre « avant » : Le recours à « avant » pourrait surprendre à première vue. A cela deux raisons éventuelles qui interagissent. La première réside dans la ressemblance phonologique entre « devant » et « avant », il est à noter que ces deux termes correspondent au même locatif 前-qián qui renvoie à l’antériorité dans le temps et dans l’espace en chinois, d’où la confusion. La seconde raison consiste en un changement de perspective : au lieu de continuer le point de vue du protagoniste, à la place duquel le narrateur se met en général dans le récit, Delphine a changé de point de référence en tant qu’observatrice extérieure à l’image. Ce phénomène peut être observé aussi chez 102 Si c’était une substitution erronée de « près de », nous aurions relevé « après de » (que nous relevé au stade avancé), au lieu de « après ». 103 Une confusion entre «dans» et «sur», que nous avons déjà commentée dans la section VIII.2.2.1, p.200. 208 Alix, qui, avant de choisir « derrière », a mentionné « devant ». 1ère (Alix) - parce parce qu’il y a d’autres grenouilles devant euh derrière euh l’arbre 2e collecte « Derrière » est plus accessible pour représenter la relation entre la grenouille et le tronc d’arbre couché (8 occ.). Ce qui est intéressant, c’est que parmi les 3 sujets qui avaient recouru à « près de » dans la 1ère collecte, Julia et Lydie ont gardé la même conceptualisation spatiale, alors qu’Eva se sert de « après », en tant que substitution de « derrière », cause que nous venons de le voir. 2e (Eva) - le le son des grenouilles était euh venue après une grande arbre euh tombée sur le terrain 3e collecte Le choix de préposition est plus unanime, avec 13 sujets employant « derrière ». Le terme « après », utilisé deux fois, n’est pourtant pas de même nature : le recours à « après de » chez Eva est lié à la ressemblance phonologique entre « après » et « près », l’occurrence d’« après » chez Laurent, est surtout une substitution de « derrière ». 3e (Eva) (Laurent) ils ont commencé euh ils sont ils ont commencé de trouver le bruit et puis tout après d’une grande bruche heureusement le garçon a entendu le cri le cri de la grenouille après après un branche Du point de vue longitudinal, après 3 ans d’études, Eva n’a toujours pas acquis les moyens linguistiques nécessaires à une localisation pertinente : elle a, soit situé de façon imprécise la grenouille (« près de », « après de »), soit employé un terme dérivé (« après »). Ainsi, le bilan des prépositions permet de constater que, cognitivement, les sujets partagent la même perception spatiale selon laquelle la grenouille est « derrière » le tronc d’arbre, et ils ont acquis progressivement le moyen d’y faire référence. L’item interférent « après », sollicité à tous les stades, contient les caractéristiques 209 susceptibles de conduire à des substitutions : les associations phonologique et graphémique avec « près », et le trait sémantique de postériorité partagé avec « derrière », ce qui fait que son impact reste ineffaçable, même au stade avancé. Pourtant, les prépositions « derrière » (3 occ.) et « de l’autre côté » (2 occ.) ne constituent pas le choix préférentiel des natifs qui ont fait référence à la situation des grenouilles plutôt par le biais de la trajectoire du garçon, c’est ce que nous allons traiter dans la partie suivante. z Une description détaillée Nous entendons par « description détaillée » toute désignation comprenant le déplacement du garçon par rapport au tronc. Plus de sujets ont choisi de décrire ce détail aux stades intermédiaire et avancé (40,90% contre 18,20% au stade initial). Tableau VIII - 6 (Localisation statique – trame : 13 : détail ∩) 1ère collecte (4/22) 2e collecte (9/22) 3e collecte (9/22) Natifs (10/11) VDX : aller (2) VTRA+MAN : franchir, grimper VTRA : s’approcher (2) monter (2) VTRA : s’approcher (2) VTRA : s’approcher VDX : aller (2) VDX : aller (2) se hisser sur VTRA : traverser VTRA+VTRA+MAN : monter par dessus VMAN : marcher s’approcher+grimper s’approcher+se hisser Vperception : voir (2) VTRA+MAN : franchir s’approcher+passer par-dessus Vactivité : chercher VMAN : marcher VDES +VTRA+MAN : arriver+escalader monter Vplacement : se réfugier sur +se pencher se mettre par dessus Vlocalisation : être à cheval sur Le bilan des prédicats utilisés montre que les natifs ont avant tout choisi de mettre en évidence le mouvement de franchissement du garçon, et cela grâce à la direction ascendante incarnée par se hisser, escalader, monter, ou par la locution prépositionnelle par-dessus, combinée avec passer (verbe de trajectoire), se réfugier, se mettre (verbes de posture) ou encore à travers une localisation statique, être à cheval. Le mouvement du garçon par-dessus du tronc est ainsi mis en valeur. Côté apprenants chinois, les expressions se caractérisent par toute une batterie de prédicats dynamiques, sans que ces derniers contribuent tous à renvoyer au déplacement du garçon par-dessus du tronc (∩), surtout le verbe déictique aller et le 210 verbe de trajectoire s’approcher, lesquels n’indiquent que la direction du mouvement du garçon vers le tronc. Quant au verbe marcher, il revoie à la manière du déplacement, dont le parcours dépend de la préposition qui s’ensuit : 2e (Violette) 3e (Léon) et ils ont marché à quatre pattes sur un sur un arbre mort il il marche vers vers la direction dont il a entendu quelque chose c’est près d’un d’un tronc Ainsi, la position du garçon « sur » l’arbre mort est bien ressortie chez Violette, qui a d’ailleurs précisé la manière de la marche « à quatre pattes », alors que nous ne pouvons imaginer qu’une trajectoire horizontale du garçon vers le tronc chez Léon. Le recours à traverser chez Laurent fait plutôt penser à un déplacement par l’intérieur du tronc, car le parcours impliqué renvoie à un mouvement horizontal allant d’un bout à l’autre de l’arbre. C’est une solution peu surprenante, car dans le chapitre VI, nous avons déjà constaté que les apprenants chinois s’appuyaient souvent sur un prédicat impliquant un déplacement horizontal pour un mouvement au-dessus d’un obstacle104. 2e (Laurent) donc il essayer de il essaie euh il essaie de traverser + euh ce euh l’arbre mort en cachette Comme il s’agit d’une trajectoire de franchissement, il faut que les traits sémantiques des prédicats impliquent une direction vers le haut pour représenter le parcours par-dessus du tronc. C’est plutôt à la 3e collecte que nous avons remarqué des verbes de ce type (monter, franchir, grimper). 3e (Delphine) (Laurent) (Lydie) (Louise) il monte dans dans il monte dans une branche donc et il il il a monté ce branche et tous les deux tous les deux ont franchi le tronc il s’approche silencieusement euh silencieusement de d’une branche d’arbre où euh ++ derrière derrière le derrière laquelle il entend le cri sort + et puis il grimpe il grimpe Au stade avancé, les sujets manifestent non seulement une plus grande attention aux détails, mais aussi une meilleure maîtrise des choix lexicaux. 104 Dans le saut du cheval par-dessus la barrière, voir VI.2.1, p.144. 211 Si nous retraçons le parcours du garçon, il se décompose de l’approche au tronc d’arbre (I) et de l’escalade du tronc (II), comme ce qu’illustre la figure ci-contre. Pour établir une trajectoire claire et complète du protagoniste, deux verbes semblent nécessaires. Les données des francophones reflètent une attention privilégiée sur l’étape II (5 occ.) par le biais de la description de l’action même, ou l’état final qui en résulte, et trois témoins ont précisé toute la trajectoire (étapes I+II) avec un double prédicat (s’approcher+passer par-dessus/se hisser, ou arriver+escalader), seuls deux d’entre eux ne s’intéressent qu’à l’étape I (s’approcher). Alors que chez les apprenants, c’est plutôt l’étape I qui est mise en relief, beaucoup plus saillante que l’étape II (grimper, monter, franchir). Tout au long de notre étude, une seule formulation à deux prédicats destinée à tracer toute la trajectoire (I+II) est relevée (s’approcher+grimper), et pour cela il faut attendre jusqu’au stade avancé. A tout niveau de compétence, on trouve les verbes qui font référence à un déplacement horizontal (aller, s’approcher, marcher, même traverser), le mouvement par-dessus du tronc s’avère dissimulé ou négligé chez les apprenants chinois. Il s’ensuit de cette nuance de focalisation sur la trajectoire du garçon (les francophones pour l’étape II, et les apprenants, l’étape I) des descriptions variées de la localisation de la grenouille : une fois le garçon situé « par-dessus » ou « à cheval » du tronc, cette position plus haute lui permet d’orienter le regard vers la grenouille « derrière » ou « à l’autre côté » de l’arbre mort (A), et cette relation spatiale semble tellement évidente et naturelle, que 6 natifs sur 11 se sont contentés de mentionner la découverte de la grenouille sans la situer. Tandis que les apprenants, intéressés davantage par le déplacement I, qui place le garçon au pied du tronc, au lieu de « par-dessus », ne peuvent que changer de perspective pour observer la grenouille à partir de l’autre côté du tronc (B), d’où la vision « derrière » largement partagée. De l’examen de la localisation de la grenouille, nous pouvons constater que : 212 - il existe une confusion sur les prépositions « derrière » et « après », dont les propriétés sémantiques renvoient à un même locatif en LM, ce qui confirme notre hypothèse 4 issue de la synthèse de comparaison entre Le Chat et Le Cheval. - quand le déplacement s’avère cognitivement plus compliqué, composé de plus d’un mouvement, rares sont les apprenants qui peuvent décrire une trajectoire complète, dont le mouvement par-dessus un obstacle est moins bien caractérisé. - La description de la trajectoire pourrait influer sur la relation spatiale impliquée dans l’événement spatial qui s’ensuit, dont la perspective dépend du lieu cible de la trajectoire effectuée. VIII.3. Déplacements – trame Cette partie est consacrée à la formulation de différents déplacements : trajectoires avec franchissement de bornes, mouvements directionnels ou trajets entre deux lieux de référence. VIII.3.1 Trajectoires avec franchissement de bornes 3 événements sont impliqués : la fuite de la grenouille, l’apparition de la taupe et celle du hibou. VIII.3.1.1 La fuite de grenouille (1) C’est un procès de haute fréquence. Quel fuite de la grenouille 20 20 22 21 que soit le niveau de compétence, les sujets 15 fuite de la grenouille 10 5 dynamiques pour décrire la fuite de la grenouille. La différence se situe au niveau 0 1ère - recourent presque toujours aux prédicats 2e 3e des prédicats. 1ère collecte La 1ère collecte effectuée au stade initial d’apprentissage du français, les événements impliqués dans le récit dépassent visiblement les ressources linguistiques des apprenants après seulement 6 mois d’études, ce qui affecte la mention du fond et 213 l’utilisation des verbes. Tableau VIII - 7 (Déplacement – trame : 1 : 1ère collecte) Trajectoire (16) Manière (2) Trajectoire+manière Unité obscure (1) (1) Fond Sortir (11) Quitter (4) Monter (1) Courir (2) Sauter +sortir (1) [lã] (1) [Bocal] (8) 4 0 1 1 1 1 Maison (6) 4 2 Famille (2) 1 1 Amis (1) 0 1 Ø (3) 2 z 1 Fond : bocal vs maison Les termes utilisés pour faire référence à l’endroit où se trouve la grenouille (bouteille : 3 occ. ; boîte : 3 occ. ; carafe : 1 occ. ; même cage de glace : 1 occ.) révélant l’inaccessibilité à la dénomination de l’entité (le bocal), pourraient aussi expliquer pourquoi les autres apprenants ont choisi un fond plus général (maison : 6 occ. ; famille : 2 occ.) dans ce déplacement. z Prédicats : trajectoire vs manière A part Quinaut et Sophie qui ont laissé de côté la fuite de la grenouille pour aboutir directement à son absence, les autres apprenants (20/22) l’ont décrite par le biais des prédicats dynamiques. 1ère (Quinaut) (Sophie) ++ après le garçon se couche le garçon s’est couché mais la [grə] la grenouille la grenouille euh ++++ la grenouille est + la la grenouille n’est pas là mais un jour euh quand il s’est couché euh la grenouille euh n’est pas plus Prédicats dynamiques 20 Le déplacement de la grenouille implique la 17 15 Prédicats dynamiques 10 5 3 1 0 TRA MAN ? trajectoire de quitter l’endroit où elle se trouve (bocal et/ou maison) et la manière de la fuite. A part le prédicat indéchiffrable de Marie (?), parmi les 21 verbes utilisés, les verbes de trajectoire (17 occ.) l’emportent sur ceux de manière (3 occ.). (Marie) le la la grenouille la grenouille euh euh essaie essaie de essaie de essaie de 214 (soupir +++) essaie de euh [lã] la boîte ¾ Trajectoire Nous ne pouvons pourtant pas nous y appuyer pour dévoiler la tendance à privilégier une certaine information spatiale, car cet écart évident entre la trajectoire et la manière résulte plutôt du vocabulaire restreint lors de la 1ère collecte, où les apprenants, ne disposant pas de moyens pour exprimer la manière, ont choisi sortir ou quitter, prédicats de trajectoire, mais avant tout verbes très fréquents et donc facilement accessibles. Claire a eu recours à monter dans la désignation du procès, le prédicat, peu pertinent ici, sert à indiquer un parcours vertical à partir du fond de la bouteille. 1ère (Claire) Claire se monte de haut de haut de la bouteille ¾ Manière Le recours au verbe courir qui pourrait paraître étrange, est dû effectivement à l’influence de la LM, langue verbale sérielle, selon laquelle le terme 逃跑-táopǎo : échapper-courir correspond à s’enfuir ou s’évader en français, que Lydie et Delphine n’ont pas pu mobiliser, et c’est pour cela qu’elles ont traduit directement le deuxième verbe 跑-pǎo en courir, verbe disponible à l’époque. 1ère (Lydie) (Delphine) le petite grenouille a couru a court a court de la boîte le grenouille court ¾ Double information spatiale : cas de Louise 1ère (Louise) et euh il il saute il il saute de de la carafe et il il il sort il sort Bien que les verbes lexicalisant trajectoire et manière n’étaient pas accessibles lors du recueil des données, Louise a réussi à fournir les deux informations, en mobilisant deux verbes : sauter et sortir. Comme dans le récit Le Chat, elle a manifesté une plus grande aisance dans le vocabulaire ainsi que l’organisation de l’information. - 2e collecte La 2e collecte a eu lieu au 20e mois d’apprentissage du français. Grâce aux moyens linguistiques acquis, la description du déplacement de la grenouille s’avère plus riche 215 et variée chez les locuteurs. 2 solutions ont été constatées : 15 apprenants ont eu recours à un prédicat dynamique pour décrire la fuite de la grenouille (i), alors que 7 apprenants y ont mobilisé deux prédicats ou encore plus (ii). i) un seul prédicat Tableau VIII - 8 (Déplacement – trame : 1 : 2e collecte : i) TRA+MAN S’enfuir (8) Bocal (7) 3 Maison (1) 1 Ø (6) 4 Echapper (1) TRA S’évader (1) Sortir (3) Quitter (1) 3 1 Partir (1) ? (y) 1 1 Par rapport aux verbes sortir, quitter, partir, porteurs de la trajectoire, la majorité des locuteurs ont préféré les verbes s’enfuir, échapper, s’évader, qui expriment à la fois le parcours de quitter l’endroit où se trouve la grenouille et la manière de ne pas se faire remarquer. ii) ≥ 2 prédicats Tableau VIII - 9 (Déplacement – trame : 1 : 2e collecte : ii) Empaquetage de l’information Prédicats utilisés VMAN +VMAN+TRA (2) Sauter (bouteille) + s’enfuir/ s’esquiver : Quinaut+David VTRA+ VMAN+TRA (1) Sortir (bouteille) + s’évader (maison) : Marie VMAN+TRA+VTRA (1) S’échapper (bouteille) + sortir (maison) : Alix VMAN+TRA+VDX (1) Se sauver (botte) + aller (forêt) : Louise VMAN +VTRA (1) VMAN +VTRA + VTRA +VMAN (1) Sauter (bouteille) +quitter (maison) : Violette Sauter + arriver à sortir (bouteille) +essayer de sortir (maison) + réussir à sauter (fenêtre) : Claire 7 apprenants ont fourni plus d’informations dans la désignation du procès et montré une préférence pour les verbes qui combinent la manière et la trajectoire, dont le choix se révèle plus varié : s’enfuir, s’esquiver, s’échapper, s’évader et se sauver. ¾ Fond : bocal vs maison Si à la 2e collecte, le fond est mentionné presque autant de fois qu’à la 1ère collecte (15 occ. au stade intermédiaire vs 16 occ. au stade initial), la nature est autre, car plus d’apprenants ont choisi « le bocal » pour marquer la fuite de la grenouille, au lieu de « maison », surtout dans la solution (i). 216 Cependant, dans la narration de Sophie, aucune localisation n’étant explicitée dans la description précédente, le pronom adverbial « y » n’aide pas à éclairer le fond. 2e (Sophie) un soir euh alors que [lɔrk]-lorsque Pierre et Tata euh s’en s’endorment euh Sisi si euh Sisi s’y [vad]- s’en évade Dans la solution (ii), les apprenants ont mobilisé deux prédicats différents pour représenter le parcours de la grenouille, constitué de la sortie du bocal et de la fuite depuis la maison. Deux cas intéressants méritent notre attention : chez Claire qui est très détaillée dans la narration, le recours à sauter (deux fois) et à sortir (deux fois) lui a permis de varier le fond, en traçant le déplacement de la grenouille de la bouteille vers le dehors de la maison par la fenêtre, 2e (Claire) et donc il saute et il [ã] il arrive enfin à sortir de la bouteille et + il a envie euh euh de sortir et de euh découvrir le monde [εte] extérieur euh il essaie de sortir de la maison euh et le grenouille euh réussit enfin à à sauter par la fenêtre Louise, étant la seule à préciser la manière et la trajectoire du mouvement de la grenouille lors de la 1ère collecte, le décrit différemment à la 2e collecte : tandis que tous les autres se sont concentrés sur le fond source de la fuite (bouteille ou maison), elle y a ajouté une nouvelle information par le biais du verbe déictique aller: la destination de la grenouille (forêt). 2e (Louise) mais à ce moment euh la grenouille se sauver de de cette botte botte en verre et aller et va à la forêt ¾ Prédicats : variété 15 Dans ce procès, nous avons recensé au total 10 31 prédicats, dont la répartition pourrait se résumer comme la figure ci-contre. 5 0 MAN+TRA TRA MAN DX 217 Ce que nous pouvons constater, c’est que les apprenants, disposant des moyens linguistiques nécessaires, choisissent d’abord les prédicats lexicalisant la manière et la trajectoire (15 occ.), avant les verbes de trajectoire (10 occ.). Le choix du verbe de manière s’avère unanime, à savoir sauter, sollicité 5 fois, n’est d’ailleurs pas utilisé indépendamment. Par rapport à la 1ère collecte, nous pouvons constater une diversification des choix lexicaux et une plus grande disponibilité quant à l’empaquetage de la trajectoire et la manière, et cela, par le biais d’un prédicat complexe. - 3e collecte Etant donné la 2e collecte qui témoigne d’une acquisition des moyens linguistiques très variés, nous nous attendions à une description plus riche de l’événement à ce stade avancé. En plus des deux types de solution constatés lors de la 2e collecte, dont la différence réside dans le nombre de prédicats (i et ii), nous avons relevé un autre type de désignation, déplacement abordé indirectement, incarné par la mobilisation psychologique (iii). i) un seul prédicat Tableau VIII -10 (Déplacement – trame : 1 : 3e collecte : i) Trajectoire Sortir (7) Trajectoire+manière Partir (1) S’enfuir (3) S’échapper (2) Bocal (5) 4 1 Maison (3) 2 1 Ø (5) 1 1 3 13 locuteurs ont recouru à un seul prédicat pour décrire la scène. Sur le plan du fond, il n’y a pas de grande différence entre le bocal et la maison, au niveau des verbes mobilisés, ceux de trajectoire l’emportent sur ceux combinant la trajectoire et la manière (8 occ. contre 4 occ.). Par rapport à la 2e collecte où un fond est associé à un prédicat, nous avons relevé cette fois deux cas où un double fond est relié au même prédicat: 3e (Violette) le [grə] la grenouille euh sort + de la bouteille 218 (Léon) et il sort de la maison la grenouille échappe de la maison euh échappe échappe de la et puis euh du seau et et puis de la maison de la maison euh de garçon Violette a répété sortir pour enchaîner la bouteille et la maison, alors que Léon les a reliés au même prédicat s’échapper, une solution économe et efficace, car la mobilisation d’un prédicat permet de constituer un parcours précis et complet de la grenouille, en marquant deux lieux de repères. i) ≥ 2 prédicats Tableau VIII -11 (Déplacement – trame : 1 : 3e collecte : ii) Empaquetage de l’information Prédicats utilisés VTRA+ VTRA+MAN (2) Sortir (bouteille) + s’enfuir : Alix + Océane VMAN +VTRA+MAN (2) Sauter (boîte) + s’échapper : David (la même solution) Trembler (jarre) + s’enfuir : Lydie VMAN +VTRA+MAN+ VMAN (1) Sauter (boîte) + se sauver + sauter (chambre + fenêtre) : Quinaut VMAN+VTRA+MAN+VTRA+MAN (1) glisser (boîte) + s’évader+ s’échapper (fenêtre): Marie Nous nous attendions à plus de locuteurs qui varieraient les prédicats dans la description, or ce n’est pas le cas (6 occ. contre 7 occ. à la 2e collecte). La diversification réside plutôt dans les prédicats de manière. 3e (Lydie) (Marie) + euh elle se [tr] euh elle tremble la jarre et enfin euh s’enfuit s’enfuir la grenouille le grenouille glisse + glisse de la boîte et s’évade + à travers la fenêtre ouverte euh semi-ouverte il + il s’échappe s’échappe Comme dans les deux collectes précédentes, le prédicat de manière n’est pas utilisé de façon indépendante, mais en plus de sauter, verbe de manière conventionnel, deux autres verbes ont été relevés : si Marie veut insister sur le mouvement du corps de la grenouille à travers glisser, Lydie s’intéresse surtout à l’astuce utilisée par la grenouille afin de faire bouger la bouteille. La formulation qui ne correspond à l’image, reflète une tendance à conceptualiser de façon plus personnelle le récit, étant donné une meilleure maîtrise du français. 3e (Quinaut) la grenouille saute la grenouille saute de de la bouteille euh il se [sof] il se [sof] – se sauve et il il saute de la chambre par la fenêtre 219 Quinaut et Marie ont décrit la fuite par la fenêtre, Marie a même ajouté le détail de l’état entrouvert de la fenêtre, afin de rendre le départ de la grenouille plus plausible. ii) Déplacement abordé indirectement 3e (Adèle) (Delphine) (Théa) et il veut il veut sortir euh dans la nuit euh quand le quand ils se couchaient la grenouille commence à agir et ++ euh le lendemain Jean euh Jean a trouvé que la grenouille n’est pas là euh mais mais pour la [grə] pour la grenouille il veut s’enfuir maintenant et euh et puis et puis euh + [ørø] heureusement Xiaoming et son chien euh + ne euh ne l’ont pas vu le deuxième jour euh euh trouve euh trouvé que que la grenouille est disparue donc elle a décidé de euh de rentrer dans la forêt pour trouver ses amis et ses parents peut-être et le lendemain matin Jacques et Boubou ont découvert la disparition de de la grenouille Chez Adèle, Delphine et Théa, le départ de la grenouille est exprimé par une volonté (vouloir) ou une décision (décider). Entre cette mobilisation psychologique et la découverte de la disparition de la grenouille, l’action en vue de sortir, s’enfuir ou rentrer dans la forêt, réservée à l’imagination de l’auditoire, reste ainsi implicite, car la mise en mouvement est abordée de façon vague (commencer à agir), ou remplacée par un détail favorable (chez Delphine), une raison du mouvement (chez Théa). 3e (Laurent) mais le lendemain le garçon a a trouve que + sa grenouille s’est déjà s’en s’est déjà enfuie de la bouteille de la bouteille Chez Laurent, la fuite de la grenouille est exprimée à travers la découverte du garçon, il a donc a simplifié la formulation de l’événement en combinant la mise en mouvement et l’effet qui en résulte. 3e (Claire) ++++ il essaie de euh sortir de la bouteille mais sans euh faire beaucoup de bruit pour ne pas réveiller Pierre et Joseph ++ le lendemain euh Joseph et Pierre se se réveillent ils sont très étonnés de trouver que Pascal n’est plus dans la bouteille et la fenêtre est déjà et la fenêtre est ouverte 220 Bien que Claire ait décrit la manière (sans faire beaucoup de bruit) et la trajectoire (sortir de la bouteille) du déplacement, en tant qu’essai, le mouvement effectué par la grenouille reste implicite, et le détail de la fenêtre ouverte fait imaginer un parcours à travers la fenêtre. Les formulations ci-dessus attestent en quelque sorte notre anticipation sur une présence plus accusée de prédicats cognitifs-modaux et de perception dans les productions spontanées (hypothèse 3). Une meilleure maîtrise des ressources langagières en LC autorise une description personnalisée, sans se focaliser nécessairement sur les actes factuels illustrés dans les images. ¾ Variété des prédicats 15 Si nous faisons le bilan des prédicats 10 relatifs au déplacement de la grenouille, qu’ils sont abordés directement ou pas, 5 nous pouvons en relever 30, ainsi le 0 TRA MAN+TRA MAN nombre est au même niveau qu’au stade intermédiaire (30 vs 31) . Un examen plus minutieux révèle, à notre surprise, une légère supériorité des verbes de trajectoire à ceux englobant la trajectoire et la manière (13 vs 12), lesquels ont été privilégiés par les locuteurs lors de la 2e collecte (15 vs 10). - Natifs Tableau VIII -12 ( Déplacement - trame : 1 : natifs) La fuite de la grenouille (natifs 10/11) Empaquetage de l’information spatiale I VTRA(5) VMAN+TRA (2) ii VTRA+ VMAN+TRA (2) VMAN+TRA+VMAN+TRA(1) Prédicats utilisés Sortir (bocal) : HEN, STE, VER, YVE Quitter (bocal): SAM S’échapper : GIL, NAT Sortir (bocal) + s’échapper : LUC Sortir (bocal) + s’enfuir : NIC Enjamber (le bord du bocal)+se sauver : PAT Parmi les 11 natifs, 10 ont décrit la fuite de la grenouille, les prédicats dynamiques mobilisés sont de deux types: verbes porteurs de trajectoire (sortir, partir) et ceux qui 221 lexicalisent manière et trajectoire (s’échapper, s’enfuir, enjamber, se sauver). Nous avons remarqué que quand le verbe de trajectoire est mobilisé (sortir, partir), il est toujours suivi du point de départ de la fuite (bocal), et il semble que les francophones n’explicitent pas le fond quand il s’agit de s’échapper, s’enfuir et se sauver. Les natifs n’insistent pas sur la manière, sauf le recours à des verbes qui combinent la manière avec la trajectoire, ou aux adverbes pour insister sur la façon de ne pas se faire marquer (2 occ. chez STE et VER), alors qu’il arrive aux apprenants de s’intéresser au mouvement sauter, associé à la nature du déplacement de grenouille. STE VER 4b. et la grenouille en profite donc 4c. pour sortir du bocal, discrètement 3d. et la grenouille sort délicatement de son bocal # Les natifs choisissent de décrire les actes factuels de la grenouille, au lieu d’acte psychologique, sauf pour préciser le but de la fuite. YVE 9a. la grenouille, (9b,9c) sort de son bocal, 9b. (qui, elle, euh a des envies,) 9c. (de se promener,) A travers les 3 collectes, nous avons relevé chez les apprenants, 82 prédicats portant sur la fuite de la grenouille, lesquels sont repartis comme suit, confrontés aux 13 prédicats utilisés par les natifs : Figure VIII - 4 (Déplacement – trame : 1 : pourcentage) 60,00% 50,00% 40,00% apprenants 30,00% natifs français 20,00% 10,00% 0,00% T RA T RA+MAN MAN DX ? apprenants 48,80% 32,90% 15,90% 1,20% 1,20% natifs français 53,80% 46,20% Nous pouvons constater que dans ce déplacement avec franchissement de borne, les 222 sujets (apprenants et natifs confondus) ont privilégié la trajectoire (48,8, et 53,8%), et ils ont aussi une préférence pour les prédicats lexicalisant manière et trajectoire, surtout quand les moyens linguistiques sont disponibles chez les apprenants. VIII.3.1.2 L’apparition de la taupe et celle du hibou L’apparition du hibou s’avère similaire à celle de la taupe: bien que la figure soit différente, elle effectue la même trajectoire allant à l’extérieur du trou où elle se trouve, c’est pourquoi nous avons décidé de traiter simultanément ces deux déplacements. Nous distinguons deux types de solutions chez les apprenants: les sujets se contentent d’indiquer l’existence des deux animaux (i) ou bien les sujets recourent à des prédicats dynamiques pour représenter cette trajectoire avec franchissement de frontière (ii). z Existence de l’animal (i) - Les structures présentatives servent à introduire de nouveaux référents dans le discours : c’est, il y a, voilà, habiter. 1ère (Adèle) (Théa) (Cécile) 3 (Mélanie) (Océane) e il y a un petit animal et enfin c’est une souris dans c’est une souris dans le trou dans le trou mais c’est la maison de la euh c’est la maison de de le hibou mais voilà une souris dans l’arbre dans le trou sur l’arbre habite un hibou Avec « il y a », on ajoute en général le référent animé, alors qu’après « c’est », est suivie soit la dénomination de l’animal concerné (Théa), soit la qualification du trou (Cécile). - Les animaux sont introduits par les verbes de perception (voir, trouver, rencontrer) ; 1ère (David) (Sylvie) e 2 (Quinaut) + euh ils trouvent une maison de euh de la souris ensuite il a raconté-rencontré un un hibou il a il a vu un [idu] un hibou il a vu un hibou 223 - Ou, par des verbes de communication (répondre, crier), et cela, souvent à travers une interprétation de personnification. 2e (Marie) 3e (Cécile) - Luc sa Luc crie à Luc crie à la souris tu as vu une grenouille ah mon mon mon Rond ma Ronde il ma Ronde tu es là mon Tintin mais non dit Monsieur Hibou Le hibou est introduit en tant que déclencheur la chute/fuite du garçon. 1ère (Lydie) mais cette fois un hibou est en aussi colère + et il il met il met le petit Nicolas tomber de tomber de de d’arbre Aux stades intermédiaire et avancé, cette tendance est plus accusée, avec une interprétation plus variée (choqué, dirigé, attrapé, attaqué par le hibou). 2e (Clara) ++ et à ce moment-là Gandin est arrivé devant une petite [mõ] montagne par dirigé par un hibou (Laurent) mais il a choqué par une par un hibou e 3 (Laurent) après attraper après être attrapé par les guêpes par le rat aussi aussi par le hibou il n’a pas il ne trouve pas encore (Louise) puis ce garçon euh pour échapper un hibou qui lui fait peur (Sylvie) et en même temps euh Jean est attaqué par un hibou Malgré la présence de différents prédicats qui permettent aux sujets de varier et de personnaliser la narration, aucun lien n’étant dressé entre la présence du hibou et le trou, la trajectoire est ici totalement absente. z Prédicats spatiaux (ii) Divers prédicats dynamiques ont été mobilisés pour renvoyer à un déplacement par rapport au trou. Tableau VIII -13 (Déplacement – trame : 5 et 8 : occurrence) L’apparition de la taupe et celle du hibou Constructions 1ère collecte 2e collecte 3e collecte taupe↑ hibou↑ taupe↑ hibou↑ taupe↑ hibou↑ - 9 0 6 0 4 0 i) Existence de l’animal 8 16 5 11 5 11 ii) prédicats dynamiques 5 6 11 11 13 11 224 A travers ce bilan, nous pouvons constater que : - Le nombre des sujets qui se sont passés de l’apparition de la taupe est en baisse constante, alors que celle du hibou est toujours abordée, quelle que soit la forme de désignation. Il y a une double raison pour cette attention maintenue au hibou, d’un côté, le rôle de l’oiseau dans le développement de la trame, lequel a causé la chute du garçon de l’arbre ou l’a conduit près du rocher, de l’autre, l’accessibilité du mot « hibou » qui figure déjà sur la liste des noms nécessaires, donnée aux sujets lors de leur préparation. L’intérêt portant sur l’apparition de la taupe semble connaître une croissance, surtout au stade avancé, cela correspond à une accessibilité progressive à la dénomination du référent animé : 1ère collecte : souris (5 occ.), rat (1 occ.), un autre/petit animal (8 occ.) 2e collecte : souris (8 occ.), rat (5 occ.), un autre/petit animal (3 occ.) 3e collecte : souris (6 occ.), rat (7 occ.), taupe (1 occ.), un autre/petit animal (4 occ.) - Au stade initial, peu nombreux sont les sujets qui ont recouru aux prédicats de déplacement (5 et 6 occ.), alors que dans les étapes suivantes, c’est une solution dont s’est servie la moitié des sujets. Tableau VIII -14 (Déplacement – trame : 5 et 8 : prédicats) taupe↑ 1ère collecte 2e collecte 3e collecte Sortir (2) Sortir (4) Soritr (6) Quitter hibou↑ Monter Montrer Apparaître (4) Apparaître (3) Arriver Se présenter Paraître Paraître Surgir Venir Se jeter Sortir (5) Sortir (5) [fle] Apparaître (4) Apparaître (2) Arriver Voler Paraître Venir Venir Voler(2) Sortir (2) Partir Surgir 225 Nous examinons de plus près les prédicats employés: - Sortir, qui indique une trajectoire avec franchissement du trou, reste le prédicat privilégié aux stades successifs. - Montrer, apparaître, paraître, se présenter, constituent une autre solution bien fréquente, surtout aux stades intermédiaire et avancé : ces verbes destinés à marquer la présence de l’animal, dont le parcours par rapport au trou s’avère moins évident. - Voler dont la présence peut être observée à chaque stade, renvoie à la manière de « se déplacer en air » du hibou. 1ère (Delphine) 2e (Delphine) + le garçon crie à un trou tout à coup + hibou un euh un hibou un hibou [fle] ++ il crie euh à cette à cette à ce euh à ce trou mais + un hibou euh vole + un hibou y vole Delphine étant la seule à se focaliser sur la manière pendant les deux premières collectes, s’est servie tout d’abord d’un terme [fle] qui, phonologiquement, ressemble à fly, équivalent de voler en anglais. Autrement dit, quand les moyens linguistiques n’étaient pas disponibles, elle a eu recours à l’anglais, la langue étrangère mieux maîtrisée que le français à l’époque. Ce qui peut être confirmé par la désignation du même procès à la 2e collecte, où les structures s’avèrent similaires (crier au trou, voler), mais cette fois, Delphine a réussi à solliciter le mot voler, en essayant de combinant le lieu source avec « y ». Au stade avancé, Lydie et Quinaut se sont aussi focalisés sur la manière, à travers le prédicat voler et aussi l’adverbe (brusquement, soudainement), dans le but d’indiquer la façon rapide, brutale et inattendue du déplacement de l’oiseau. 3e (Lydie) (Quinaut) mais brusquement un hibou vole vers le trou et fait fait tomber Pierre fait tomber Pierre et soudainement un hibou vole de ce trou et il fait peur au garçon Ce qui est intéressant, c’est que quand la manière est mise en relief, les apprenants essaient aussi de décrire la trajectoire, et cela, à travers des prépositions « de » « vers », aucun apprenant n’a pu activer le prédicat s’envoler lexicalisant la manière et la trajectoire, verbe pourtant disponible dans leur lexique, surtout à la 3e collecte. 226 - Se jeter (‘s’élancer avec précipitation sur’), surgir (‘apparaître ou naître brusquement en s’élevant, en sortant de’), prédicats impliquant à la fois la trajectoire et la manière ont été relevés au stade avancé, chez Lydie et Marie. 3e (Lydie) mais un grand rat se jette vers Pierre (Marie) - mais surgit une souris et et avec avec une odeur odieuse … mais un hibou un hibou surgit Si partir, quitter arrivent à faire référence au parcours de l’animal sortant du trou, venir, monter, arriver, qui véhiculent une information autre que trajectoire, sont moins adéquats. 1ère (Alix) mais un un petit animal arrive … mais mais euh un hibou arrive Arriver indiquant la destination, la direction du parcours de l’animal (tauper/hibou) par rapport au trou reste à supposer: un déplacement plutôt vers le trou qu’à partir du trou. 2e (Léon) (Océane) euh ++ et puis un hibou + un hibou +++++ un hibou a venu mais c’est le euh du trou euh vient un rat de champs mais de ce trou encore euh ne vient pas sa grenouille … mais un hibou qui a euh qui a aussi beaucoup surpris Pascal Léon et Océan ont employé venir pour insister sur une direction déictique vers le garçon, ils se mettent alors à la place du protagoniste dans la description. 3e (Julia) il trouve un trou dans le terre dans la terre un animal monte Monter représentant une trajectoire verticale du bas vers le haut, dont la direction coïncide avec celle du mouvement de l’animal, il ne s’avère pas compatible avec la nature des propriétés spatiales du trou. z La description des natifs La description des natifs se montre bien similaire: dans les deux procès, ils se focalisent sur la trajectoire dans la plupart des cas (9 occ. pour la taupe, et 7 pour le hibou), ou ils décrivent directement l’attaque de l’animal à travers un verbe 227 d’activité . Tableau VIII -15 (Déplacement – trame : 5 et 8 : prédicats - natifs) Natifs Sortir : 9 (trou : 5) taupe↑ Se faire avoir : NIC Se faire mordre : STE Sortir : 7 (trou : 6) Déployer ses ailes : MIC hibou↑ faire partir le garçon : NAT Se trouver effrayer : NIC Se faire dénicher : VER Quant au choix du prédicat pour incarner la trajectoire, il s’avère unanime chez les natifs qui ont tous choisi sortir, en ajoutent d’ailleurs systématiquement le fond (le trou) en tant que lieu source. Il n’est pas vrai que les francophones ne s’intéressent qu’à la trajectoire, car la manière est aussi abordée, mais elle se situe au second plan, véhiculée par des structures périphériques : adverbe (rapidement), ou locution adverbiale (à toute allure), et cela seulement dans l’apparition du hibou (2 occ.) STE YVE z 27b. alors que justement <le> [/] le hibou (27c,27d) sort # très rapidement <d’un seul> [/] d’un seul jet 27c. (qui était caché dans le trou) 27d. (dans lequel il cherchait <sa> [/] sa grenouille) 43c. une chouette, sort à toute allure, de ce trou Bilan 57 prédicats dynamiques incarnant l’information spatiale sont employés par les apprenants pour décrire l’apparition de la taupe et celle du hibou, et chez les natifs, nous en avons relevé 22. Ils sont répartis comme suit : Figure VIII - 5 (Déplacement – trame : 5 et 8 : pourcentage) 228 taupe - hibou 80.00% 60.00% apprenants natifs 40.00% 20.00% 0.00% TRA autre M AN TRA+M AN DX DES apprenants 47.30% 31.60% 7% 5.30% 5.30% 3.50% natifs 72.70% 27.30% Les apprenants tendent à décrire avant tout la trajectoire (47,3%) ou à insister sur la visibilité de l’animal en tant que résultat du déplacement (autre : 31,6%). L’intérêt portant sur la manière reste présent au cours des collectes (7%), mais ne s’avère pas manifeste. Alors que dans un déplacement avec franchissement de frontière, les natifs choisissent de mettre en évidence la trajectoire, comme dans la fuite de la grenouille, et cela, souvent par le biais du verbe sortir suivi du lieu source du déplacement. VIII.3.2 Trajectoire directionnelle Il s’agit des mouvements de direction ascendante (montée) ou descendante (chute). VIII.3.2.1 Mouvement de bas en haut (7, 10) L’histoire de la grenouille comprend deux procès relatifs au mouvement de bas en haut : les déplacements du garçon par rapport à l’arbre et au rocher, deux mouvements dont la direction est similaire, que nous avons décidé de traiter en même temps. Nous allons prélever dans les désignations concernées, les prédicats qui font référence au mouvement ascendant. z Les apprenants Tableau VIII -16 (Déplacement – trame : 7 et 10 : prédicats ) La montée sur l’arbre et sur le rocher VTRA 1ère collecte (7/22) 2e collecte (12/22) 3e collecte (13/22) Monter (5) Monter (6) Monter (4) Grimper (5) Grimper (6) VTRA+MAN ↑arbre VDX Aller VMAN Ramper Arriver VDES Localisation Etre Etre Se trouver 229 1ère collecte (7/22) 2e collecte (15/22) Monter (6) Monter (12) VTRA ↑rocher VTRA+MAN Localisation Grimper (2) Crier sur Se dresser 3e collecte (18/22) Monter (9) S’avancer Grimper (6) S’enfuir Se reposer L’inventaire des prédicats employés permet d’observer que : - Les sujets manifestent plus d’intérêt aux déplacements ascendants aux stades intermédiaire et avancé, plus d’attention est attribuée au mouvement par rapport au rocher. - Monter et grimper restant les prédicats privilégiés, la représentation s’avère plus variés au stade avancé. z Monter vs grimper Monter indique le mouvement allant de bas en haut. Il reste le prédicat le plus fréquent, suivi par grimper, dont l’occurrence ne le dépasse qu’une fois, au stade avancé, dans la montée de l’arbre. Si le prédicat grimper est absent à la 1ère collecte, c’est que ce terme n’est pas disponible à l’époque. Par rapport à monter, grimper encode à la fois la manière (‘en s’aidant des pieds et des mains’, donc ramper) et la trajectoire verticale de bas en haut (donc monter). En nous appuyant sur la désignation des mêmes procès en chinois, nous comprendrons mieux la fréquence de grimper, laquelle résulte plutôt de l’impact de la langue maternelle. Tableau VIII -17 (Déplacements – trame : 7 et 10 : désignation en chinois) Garçon ↑arbre Garçon↑rocher Qi [ramper + arriver + arbre + sur] [ramper + arriver+rocher+sur] Mo [ramper + arriver + arbre + sur] [se cacher + arriver+rocher+sur] Wenjing [ramper + monter + arbre] [ramper + monter+pierre] Rui [ramper + s’éloigner] [ramper + monter+ pierre + sur + aller] Xiyan [ramper + arriver + arbre + sur] [ramper + monter+ pierre] YUK [ramper + monter + arbre] [venir + arriver + arbre] YIN [ramper + monter + arbre] [ramper + arriver+rocher+sur] 230 PEN [ramper + arriver + arbre + sur] Ø YIW [ramper + monter + arbre] Ø ZHI [ramper + arriver + arbre + sur] Ø WEI [ramper + monter + tronc] Ø Dans ces deux procès relatifs au mouvement de bas en haut, tous les natifs chinois (sauf l’absence de la montée au rocher chez 4 sujets chinois) ont décrit la manière du déplacement (pá ‘ramper’ ou ‘se déplacer à quatre pattes’), avant d’indiquer soit le terme de la trajectoire introduit par le verbe résultatif dào ‘arriver’, soit l’orientation du mouvement à travers le verbe directionnel shàng ‘monter’. Les données en chinois montrent que pour la trajectoire verticale de bas en haut, les Chinois s’intéressent avant tout à la manière. Cela pourrait expliquer le recours fréquent au verbe grimper, car celui-ci, incarnant la manière du mouvement (ramper), mais aussi implique la direction ascendante (monter), correspond exactement à la désignation du procès en chinois. z Prépositions spatiales Monter et grimper en tant que verbes intransitifs, assurent la même trajectoire verticale, et les prépositions qui suivent indiquent la position finale du garçon par rapport au fond (arbre/rocher). ¾ ↑arbre « Dans » : 2e (David) (Théa) et puis le garçon monte dans un arbre et ensuite Luc a grimpé dans un arbre 1ère (Claire) 3e (Claire) +++ ensuite François se monte sur un arbre Pierre grimpe même sur un arbre « Sur » : « à » : préposition neutre servant à relier la figure et le fond, ne fournit pas une information locative précise, atteinte de la cible non mentionnée. Nous n’en révélons que 2 occurrences, et cela, seulement à la 1ère collecte. 1ère (Quinaut) (Lydie) après elle se [mõ] après il s’est monté à l’arbre et ensuite le petit Nicolas [mã] euh petit Nicolas [mãt] à au au un 231 arbre Ø (fd) : la préposition fait défaut, le prédicat (monter ou grimper) suivi directement du fond. Tableau VIII -18 (Déplacement – trame : 7 : prépositions) ↑ arbre Monter 1 ère Dans Sur à Ø (fd) 2 2 collecte 1 1 e 2 collecte 3 2 e 3 1 3 collecte Grimper 1 Dans Sur 2 1 Ø (fd) 3 2 3 « Dans », « sur », « à », étant 3 prépositions possibles, ont été employés aux stades successifs. L’absence de la préposition, en tant que représentation inappropriée, reste pourtant récurrente, surtout quand le prédicat est grimper. La raison réside plutôt dans l’impact du chinois qu’une simple omission de préposition. Il faut revenir à la double identité dont dispose 上-shàng, comme ce que nous avons abordé dans le chapitre VII. Verbe : monter ( la trajectoire ascendante) 上-shàng Locatif : sur, au-dessus ou dans105 Nous revenons à la désignation du procès en chinois, ce qui pourrait se résumer à deux structures : a) 爬到树上[ramper + arriver (R) + arbre + sur] b) 爬上树 [ramper + monter (D) + arbre] Notons qu’à la structure (b), la structure sérielle verbale 爬上 englobant la manière (爬 ramper) et la trajectoire verticale (上 monter), équivalente au prédicat grimper en français, est reliée directement au fond. Depuis la 2e collecte, nous avons relevé en tout 6 occurrences où grimper est suivi de « l’arbre ». 105 Voir VIII.2.2.1, p.193. 232 2e (Claire) (Clara) (Louise) e 3 (Cécile) (Louise) (Marie) et donc il euh il grimpe l’arbre alors Gandin grimpe l’arbre et le petit garçon euh [õ] euh grimpe un grand arbre François François a grimpé l’arbre donc il grimpe cet arbre le garçon est grimpe l’arbre La fréquence se révèle assez haute, car les sujets ont recouru à une structure similaire à celle en langue maternelle. Cela aiderait aussi à comprendre pourquoi avec monter, il existe aussi l’omission de préposition. En chinois, dans les structures verbales sérielles, le premier prédicat indique la manière, et le deuxième, la trajectoire. C’est une construction qui permet de mettre en relief la manière, laquelle n’est pourtant pas un élément indispensable. Autrement dit, les versions simplifiées (parties surlignées) sont tout à fait acceptables. 游-过-河 yóu-guò-hé (nager – traverser – rivière) 过-河 guò-hé (traverser – rivière) 跑-出-教室 pǎo-chū-jiàoshǐ (courir – sortir – bureau) 出-教室 chū-jiàoshǐ (sortir – bureau) 飞-进-森林 fēi-jìn-sēnlín (voler – entrer – forêt) 进-森林 jìn-sēnlín (entrer – forêt) Il en est de même pour le déplacement par rapport à l’arbre, 爬上树 [ramper + monter (D) + arbre] pourrait bel et bien être abrégé comme 上树[monter (D) + arbre], le fond est suivi directement de monter. Comme dans les désignations relevées aux 1ère collecte et 2e collecte. 1ère (Léon) + et puis le garçon euh le garçon +++++ le garçon monte euh monte + monte euh un arbre et puis le garçon le garçon euh mont monte une arbre et puis Julien monte dans euh monte + un arbre (David) 2 (Alix) e ¾ ↑rocher Tableau VIII -19 (Déplacement – trame 10 : prépositions) ↑ rocher Monter Sur 1 ère dans collecte 2 e 2 collecte 8 3 e 4 5 3 collecte Grimper à Ø (fd) Ø 2 1 1 1 Sur Ø (fd) 1 1 3 2 Au-dessus 1 233 L’impact des propriétés sémantiques de 上-shàng, à la fois locatif et verbe de direction, pourrait expliquer d’un côté l’omission de la préposition dans le déplacement ascendant du garçon par rapport au rocher, et de l’autre, la confusion entre « sur » et « au-dessus », relevée à la 3e collecte, ce qui confirme aussi l’hypothèse 3 dans le chapitre VII. Comment expliquer le recours à « dans » (8 occ.), vis-à-vis d’un fond qui n’est pas un contenant propice à la figure qui est le garçon. Nous pouvons avancer deux hypothèses: - Transfert de relation spatiale (3 occ.) Dans deux procès similaires, les apprenants chinois tendant à se servir de la même structure, en reprenant le même prédicat et/ou la même préposition, car c’est d’une solution moins coûteuse et plus facilement récupérable106, une simple modification de fond suffit. Ainsi, les trois sujets ont transféré la relation « dans » sur le rocher. 2e (David) (Eva) 3e (Violette) - et puis le garçon monte dans un arbre … donc il monte dans le rocher et euh il a grimpé dans une dans une grande branche … et euh euh ++ il a monté euh il a monté dans une grande euh pierre donc il s’est il monte dans un arbre Tintin monte dans une pierre Dénomination du fond (3 occ.) La dénomination du fond varie au cours des 3 collectes : 1ère collecte : pierre 2e collecte : pierre, rocher, roche, roc 3e collecte : pierre, rocher, roche, montagne, colline La qualification du fond pourrait conditionner la relation entre le garçon et le fond : « montagne » et « colline » s’avèrent deux contenants tout à fait possibles. Ce qui 106 En fait, nous avons remarqué ce phénomène: dans l’apparition de la taupe et celle du hibou, Alix et Océane ont répété respectivement arriver et venir. Voir plus haut, section VIII 3.1.2, p.224. 234 pourrait expliquer le recours à « dans » des trois sujets suivants. 3e (Clara) (Eva) (Théa) z il regarde François qui est monté dans une petite montagne et puis Pascal est monté dans une grande dans une grande euh dans un petit montagne ensuite Jacques s’est monté dans une petite colline Autres solutions A part grimper et monter, nous avons relevé d’autres désignations du procès : - Localisation spatiale La localisation du garçon est incarnée par des prédicats statiques : être ou se reposer. 1ère (Louise) 2e (Julia) 3e (Julia) (Quinaut) et le garçon euh qui euh qui est dans dans un arbre à ce moment-là Pascal est dans l’arbre il est sur un arbre euh et il se repose sur une pierre Se dresser, employé par Marie, comporte des traits « orientationnels se rapportant au sujet » (Borillo : 15), et fait référence à un garçon qui se met sur la pointe des pieds. Ainsi, la désignation revient à la localisation du garçon sur la pierre. 2e (Marie) il il se dresse sur sur le roc Quel que soit le prédicat (être, se reposer, se dresser), la localisation statique du garçon par rapport à l’arbre/au rocher permet d’inférer un déplacement ascendant effectué antérieurement, qui conduit à la position décrite. - Deixis, trajectoire ou destination 1ère (Marie) 3e (David) le garçon et garçon euh garçon va va à la maison de le hibou + et quand quand il euh arrive à quand il arrive à la porte du trou Le recours à aller permet d’indiquer non seulement la deixis du mouvement, mais aussi la destination, le même rôle que arriver. La maison du hibou/la porte du trou servant de lieu cible, située de façon imprécise par rapport à l’arbre, la description renvoie difficilement à un déplacement du bas en haut sans les images. 3e (Cécile) (Léon) François et le petit chien se sont enfuis jusqu’à un grand rocher le garçon s’avance vers un grand une une grande pierre pour monter en haut voir plus loin 235 Chez Cécile et Léon, la trajectoire de s’enfuir et s’avancer s’arrête au rocher. Les deux prépositions « jusqu’à », « vers », intrinsèquement dynamiques (Borillo, ibid.), incarnent respectivement « une perspective d’un point d’arrivée » et un « parcours », ne révèlent aucune information illustrant la situation finale du garçon. Le déplacement vertical, précisé en tant qu’objectif dans la désignation de Léon, n’est pas effectué explicitement. - Manière 3e (Quinaut) quant au garçon il il rampe dans un arbre pour pour crier vers un trou de cet arbre Quinaut est le seul à insister sur la manière du mouvement, mais ce déplacement lent « à plat ventre et en s’aidant de ses quatre membres », ainsi horizontal, ne s’avère pas compatible avec l’arbre dont la position canonique est verticale, ce qui rend la représentation du procès peu pertinente. z Les natifs Tableau VIII - 20 (Déplacement – trame : 7 et 10 : natifs) Natifs : déplacement ascendant Ø Localisation ↑ arbre ↑ rocher 4 0 2 : sur (branche) 2 : en haut de dans (arbre) sur le haut de monter (5) : sur grimper (4) : dans (3), à (1) Déplacement grimper (2) : sur monter (1) : dans se hisser (2) : sur Sous l’angle de prédicats, nous avons marqué la présence de grimper, se hisser qui indiquent non seulement la direction, mais aussi la manière (‘en utilisant les mains et les pieds’, donc, avec effort physique), autrement dit, dans un mouvement qui s’avère cognitivement plus complexe qu’un simple déplacement directionnel, les francophones pourraient bien mobiliser des verbes lexicalisant en même temps trajectoire et manière. Quant au choix des prépositions, il se montre aussi bien homogène, le garçon est souvent localisé « dans » l’arbre (5 occ.), et toujours « sur » ou situé par rapport au 236 « haut » du rocher. z Bilan Ainsi, en ce qui concerne les deux procès du mouvement ascendant du garçon, nous avons recensé en tout 72 prédicats chez les apprenants et 18 chez les natifs, répartis comme suit : Figure VIII -6 (Déplacement – trame : 7 et 10 : pourcentage) Déplacement ascendant 80.00% 60.00% apprenants natifs 40.00% 20.00% 0.00% T RA T RA+MAN LOC DES DX MAN apprenants 61.60% 27.80% 6.90% 1.40% 1.40% 1.40% natifs 33.30% 44.50% 22.20% Dans un déplacement de bas en haut, qui, dans son essence demande plus d’effort qu’un simple changement de place, comme ce que l’on a vu dans ce récit, les natifs préfèrent les verbes lexicalisant trajectoire et manière (44,5%), ce qui inverse, pour la première fois, la tendance de la lexicalisation à privilégier la trajectoire, alors que le recours à la trajectoire l’emporte de loin sur celui combinant la manière et la trajectoire chez les apprenants (61,1% contre 27,8%). La localisation, beaucoup moins utilisée (6,9%) permet aussi d’inférer cette montée précédemment accomplie, comme ce que font aussi les natifs (22,2%). VIII.3.2.2 Mouvement du haut vers le bas (9, 12) La trame contient deux déplacements de direction descendante, dont la figure et le fond sont : 1) le garçon – l’arbre ; 2) le garçon – la mare. 22 22 Les deux procès n’ont pas mérité la même 22 20 attention : la chute du garçon dans la mare est 15 11 10 11 7 5 arbre mare décrite par tout le monde, car il s’agit d’un maillon crucial conduisant directement à la 0 1ère 2e 3e 237 découverte de la grenouille, alors que ce n’est pas la chute de l’arbre, abordé à peine par la moitié des sujets, puisque c’est une trajectoire tout à fait prévisible : la grenouille n’étant pas dans l’arbre, le garçon devra le quitter pour continuer sa recherche. z Garçon ↓arbre Dans ce déplacement du haut vers le bas, incarné par tomber, nous nous intéressons plutôt aux lieux de référence impliqués dans la trajectoire. Tableau VIII -21 (Déplacement – trame : 9 : fond) 1ère collecte (7/22) 2e collecte (11/22) 3e collecte (11/22) lieusource 3 3 4 lieucible 1 7 4 Ø 1 Causalité 2 1 2 garçon↓arbre tomber Trajectoire complète 1 Dans la chute du garçon de l’arbre, l’attention portant sur le lieu source et le lieu cible semble partagée, sauf à la 2e collecte. Lors de la 1ère collecte, étant la seule à indiquer le lieu cible, Claire a recouru à « sur » pour marquer le rapport spatial entre le garçon et la terre, ce qui est compréhensible, étant donné la relation incarnée par le locatif 上-shàng. En effet, pour le même procès, on dit en chinois 摔到地上 shuāi-dào-dì-shàng [tomber + arriver + terre + sur]. 1ère (Claire) ++++++ son il y a un hibou ++ et François est surpris il tombe sur terre Etant conscients de l’impact du chinois, les enseignants demandent souvent aux apprenants de retenir tomber par terre/à terre comme une expression toute faite, afin d’éviter les formes erronées telles que tomber sur la terre. L’enseignement imposé a fait son effet, l’occurrence de «par terre/à terre » aux stades intermédiaire (6 occ.) et avancé (3 occ.) est parlante. Mais l’impact de 上 shàng existe toujours. 2e (Eva) 3e (Alix) et puis soudain euh son chien a tombé euh sur le terrain et son chien est tombé euh sur terre 238 Or, nous remarquons que dans les productions des natifs, la chute du garçon est plutôt marquée par le lieu source du mouvement descendant, sinon, totalement absent. Cela pourrait s’expliquer par le sémantisme du verbe tomber : ‘être entraîné à terre en perdant équilibre’. Comme le verbe même implique déjà le terme du mouvement, il semblerait redondant d’expliciter encore le résultat « par terre », à moins que le lieu cible soit un endroit autre que la terre (comme la chute du garçon dans la mare). Tableau VIII -22 (Déplacement – trame : 9 : fond : natifs) Natifs : déplacement descendant Garçon ↓arbre Ø (2) VER, NIC Tomber (7) lieusource (4) : HEN, LUC, STE, YVE Ø : GIL, NAT, YVE Causalité (2) MIC, SAM Ainsi, à cause de l’enseignement, dans la production en français, l’attention des apprenants est orientée de l’origine de la trajectoire vers le lieu cible de la chute. La désignation de la causalité révèle aussi une différence : elle est exprimée chez les natifs par la voix passive, et véhiculée par la structure faire tomber chez les apprenants. SAM MIC 24a. 24b. 24c. 23b. et <le> [/] <le> [//] l’enfant se retrouve finalement à terre, euh <re> [//] renversé <par> euh [/] par son chien et <de> [//] effrayé par le hibou # il est envoyé par terre, par un énorme hibou Mais les occurrences ne sont pas suffisantes pour justifier la tendance à décrire la causalité, c’est ce que nous allons traiter dans la chute du garçon vers la mare, événement qui implique de façon explicite une relation cause-effet. z Garçon ↓ mare Dans la chute du garçon dans la mare, les prédicats mobilisés s’avèrent plus variés chez les apprenants. Tableau VIII -23 (Déplacement – trame : 12 : prédicats) Garçon ↓mare 1ère collecte (22/22) 2e collecte (22/22) 3e collecte (22/22) Trajectoire Tomber (11) Tomber (10) Tomber (7) 239 Descendre (1) Se plonger (1) CAU Pousser (1) Jeter (5) Jeter (7) [CAU+TRA] Faire tomber (5) Faire tomber (2) Faire tomber (3) Donner un coup de Chasser+tomber (1) Causalité CAU+TRA Construction inappropriée pied +tomber (1) Attaquer+faire tomber (1) Pousser+tomber (1) Pousser + tomber (1) 2 2 4 Nous pouvons constater que l’attention portant sur la trajectoire a connu une baisse en faveur de la causalité, la tendance à insister sur à la fois cause et trajectoire est inversée à la cause à partir de la 2e collecte, souvent incarnée par jeter. Les constructions inappropriées ont diminué. ¾ Trajectoire Dans la plupart des cas, tomber est employé pour décrire la chute du garçon. Le recours à descendre chez Adèle, bien qu’il ne corresponde pas à l’image, reflète son intention d’indiquer la direction de haut vers le bas. 1ère (Adèle) euh et puis euh le euh euh le [kεrf] le cerf et ce garçon et son chien euh descend un petit euh petit petit lac euh de euh ces grand place Il en est de même pour le prédicat se plonger chez Julia, lequel sert à indiquer une direction descendante. Entamé par la course du cerf, qui « s’arrête brutalement », la chute du garçon est provoquée par la force d’inertie. 2e (Julia) et tout à coup + le grand cerf commence à courir le cerf s’arrête brutalement près d’un rocher parce que devant le rocher il y a un lac il y a un lac donc Pascal et le chien se plongent dans dans le lac Si, à la 1ère collecte, la moitié des sujets (11/22) ont choisi tomber pour exprimer avant tout la trajectoire de la chute, c’est parce que les moyens linguistiques permettant d’indiquer d’autres informations étaient moins accessibles. La fréquence relativement haute de la trajectoire dans les deux collectes suivantes est aussi liée à l’interprétation du déplacement qui résulte de l’inertie causée par un arrêt brusque du cerf durant la course. La chute étant une résistance que le corps oppose à l’arrêt soudain, la direction de 240 haut vers le bas s’avère un mouvement naturel, plus besoin d’ajouter d’autre information que la trajectoire. 1ère (Claire) (Delphine) euh +++++ et il courit vers vers une rivière + le cerf s’arrête et François et Jonas tombent dans la rivière ++ le cerf court avec avec il et un chien et le chien + soudain le [sεr] le cerf + ne court pas et il le garçon et le chien tombent + tombent dans l’eau dans tombent dans le [ri] dans le rivière Au stade initial, 2 apprenantes ont décrit de façon explicite la chute par inertie : Claire a utilisé s’arrêter, un prédicat que tout le monde ne maîtrise pas à l’époque, ainsi Delphine a dû recourir à la négation pour marquer le changement d’état « soudain » du cerf. A partir de la 2e collecte, s’arrêter étant accessible à tout le monde, l’occurrence de l’interprétation basée sur l’inertie a connu une fréquence plus importante. Nous remarquons d’ailleurs que 5 sujets ont recouru aux stades intermédiaire et avancé, à la même représentation, que Delphine a maintenue dès le premier recueil. 1ère : Claire, Delphine 2e : Alix, Claire, Delphine, Julia, Océane, Sophie, Théa 3 : Alix, David, Delphine, Julia, Océane, Sophie ¾ Causalité : en insistant sur l’agentivité du cerf dans la chute, les sujets ont choisi d’englober d’autres informations dont la combinaison est très influencée par la disponibilité des ressources linguistiques. 1ère collecte Faire tomber est une solution économique comprenant une double information: le cerf en tant qu’agent, tomber indiquant la trajectoire. C’est surtout un moyen linguistique disponible, car les prédicats qui combinent la cause et la manière n’étaient pas disponibles, sauf chez Louise dont le lexique est plus étendu que les autres107. 1ère (Louise) 107 et + et après il euh il pousse le garçon euh dans dans la dans la montagne Dans l’analyse du récit Le Chat, chapitre V.2.1.3, p.85. 241 2e collecte Equipés de plus de moyens linguistiques, les sujets ont pu varier l’expression en se focalisant sur la manière. Le choix du prédicat dépend de l’information véhiculée : jeter décrit le mouvement du cerf qui lance au loin le garçon avec ses bois, le trait sémantique ‘envoyer loin en lançant’ du verbe implique un parcours parabolique de l’objet, qui finit automatiquement par tomber. Or, ce n’est pas le cas pour le verbe pousser qui, renvoyant à un mouvement visant à ‘faire bouger ou faire avancer’, implique plutôt une pression horizontale. Le recours simple à pousser ne suffirait pas à faire référence à la chute du garçon, ainsi Marie a ajouté par la suite le verbe tomber, consciente que si les traits sémantiques du verbe permettent d’exprimer la manière, ils n’arrivent pas à tracer de façon explicite la trajectoire descendante du garçon. 2e (Marie) il le il le met il le met dans euh il leur + poussait et il les il les poussa et Luc et Dodo tomba à tomba à l’eau L’interprétation de David est spécifique et unique dans le corpus : la chute du garçon est causée par le coup de pied donné par le cerf. 2e (David) et il le [[∫erf]-cerf donne un pied au chien et il euh il il ++ il donne un pied aussi au garçon donc ils sont tombés du rocher du roche 3e collecte Jeter reste le choix privilégié (7 sur 15 occurrences relatives à la cause), car c’est une solution économique et surtout efficace : le recours à un seul prédicat permet d’insister sur l’agentivité du cerf tout en impliquant le parcours de la chute. Quand les prédicats utilisés n’arrivent pas à renvoyer à la direction descendante, tels que chasser et attaquer, un ajout de trajectoire verticale semble nécessaire. 3e (Hélène) (Laurent) il chasse ce garçon et son chien tomber dans l’eau le cerf attaquer attaquer le cerf le cerf fait le tomber dans le lac La constitution de l’arrière-plan y joue aussi : Marie est très détaillée dans la 242 description du procès en marquant le lieu cible du parcours déictique du cerf par « falaise », les caractéristiques physiques du fond (‘escarpement rocheux, descendant presque à la verticale dans la mer’ ) prévoient déjà une éventuelle chute qui semble la seule issue, provoquée par le mouvement du cerf (pousser) et confirmée plus tard par l’état du garçon (tombé à l’eau). (Marie) le cerf le cerf apporte le petit garçon jusque jusque jusque jusqu’à la falaise et le chien le suit le suit le suit avec inquiétude pousse il pousse le petit garçon et le chien à l’étang là-bas peut-être vous pouvez trouver la grenouille tombé à l’eau tombé à l’eau le garçon se sent très très triste ¾ Les constructions inappropriées Les désignations inappropriées relevées nous révèlent aussi différentes focalisations. Trajectoire 1ère (Mélanie) (Océane) 2e (Lydie) 3e (Adèle) et il a ++ et il a tombé le garçon + le cerf a tombé le garçon et son chien dans l’étang le cerf lui a lui a tombé dans fleuve, dans un fleuve et le cerf la le cerf le tomber dans l’eau C’est une structure sollicitée à tous les stades. Visiblement, les sujets ont envie d’englober la cause avec le cerf comme sujet et la trajectoire incarnée par tomber. Pourtant elles ont cru que tomber pourrait aussi être utilisé en tant que verbe transitif, comme descendre, dans le sens de ‘déplacer quelque chose de haut vers le bas’. Les sujets ont transféré l’emploi transitif de descendre sur tomber, tous les deux porteurs de la direction descendante. Cause 1ère (Marie) puis le cerf le cerf euh a fait les les deux les deux a fait les deux a fait les deux sur sur un sac-[lac] un sac-[lac] Le sujet (cerf) et le recours à faire révèlent que Marie a voulu insister sur la causalité dans le procès. L’omission de la trajectoire est plutôt causée par le doute sur le fond (sac – [lac]), répété deux fois. La concentration sur la dénomination du fond pourrait perturber la construction prédicative, d’où l’oubli de tomber. 243 Eva est la seule à échouer trois fois de suite à formuler une désignation appropriée. 1ère (Eva) 2e (Eva) 3e (Eva) euh ++++++ et le cerf euh met l’enfant et son chien euh + dans une fleuve et enfin euh ce cerf a donné Pascal et son chien dans une [ri] rivière rivière euh enfin il le cerf a pris Pascal et son chien dans une rivière Durant les 3 collectes, Eva reste fidèle à la structure [V+ le garçon et le chien+dans la rivière]. Au stade intermédiaire, le recours à donner pourrait paraître bizarre, mais si nous remontons un peu plus haut, nous pouvons retrouver le même prédicat employé pour le mouvement gestuel du garçon, dans le sens de « mettre ses mains sur une branche ». En effet, Eva s’est servie de donner à la place de mettre. 2e (Eva) et et et + et il euh il a donné ses ses mains euh en un en une une branche d’un arbre Autrement dit, l’interprétation d’Eva reste la même : la mobilisation du verbe mettre, donner ou prendre, destinée à mettre l’accent sur le cerf qui conduit l’enfant et le chien dans le fleuve. Du point de vue linguistique, Eva se contente du lexème au niveau de base, sans pouvoir activer des prédicats « sémiquement plus chargés ». z Bilan Nous avons relevé dans la désignation de la chute du garçon dans la mare, 70 prédicats108. Tableau VIII - 24 (Déplacement – trame : 12 : pourcentage) Occurrences 100% TRA (tomber, descendre, se plonger) 34 48,6 [CAU+MAN] (jeter, pousser, attaquer, chasser) 18 25,7 [CAU+TRA] (faire tomber) 10 14,3 TRA 4 5,7 CAU 4 5,7 Dans ce déplacement descendant causé par le cerf, le verbe de trajectoire reste privilégié (48,6%), mais les sujets ont aussi manifesté une préférence pour la cause 108 Les prédicats dans les structures inappropriées sont aussi pris en compte (surlignés en gris). 244 par le biais des prédicats sémantiquement plus chargés, dont l’information véhiculée varie en fonction des ressources linguistiques disponibles : à la 1ère collecte, faire tomber est employé pour combiner la cause et la trajectoire, alors qu’aux deux collectes suivantes, l’emploi de jeter est massif au prélèvement, car il représente la manière mais implique aussi une direction du haut vers le bas. VIII.3.3 Trajets entre deux lieux de références – trame Trois trajets de ce type sont abordés dans le corpus : le déplacement du garçon de la maison à la forêt, celui du cerf du rocher au précipice, le retour du garçon de la mare à la maison. VIII.3.3.1 Déplacement de la maison à la forêt (3) La représentation de ce trajet implique trois éléments : lieu source, lieu cible et le prédicat exprimant le parcours. z Lieu source : la maison 2e (Sophie) et euh Pierre euh Pierre et Tata Pierre et Tata euh quittent euh quittent sa maison Quand il s’agit du verbe sortir ou partir, le lieu source est souvent facultatif, car les traits sémantiques du partir (‘quitter le lieu où on se trouve’) ou sortir (‘aller à l’extérieur du lieu où l’on se trouve’) impliquent déjà le point de départ de la trajectoire. 1ère (Laurent) 2e (Marie) z euh mais ils ne euh ils ne sont pas ils ne ils ne euh ils ne la ils ne la pas trouver dans la dans la maison donc il sortir euh ils euh ils sont sortis [o] il il partit pour trouver pour trouver leur [grənu] grenouille Ronde Lieu cible 1ère collecte : bois (5 occ.), forêt (3 occ.), place (3), arbres(2), fleuve/rivière (2), dehors, région 2e collecte : forêt (13), bois (2), rivière (2), parc, près de sa maison 3e collecte : forêt (19), bois, rivière Le bilan des entités relevées dans trois collectes témoigne d’une diversification à une 245 convergence alliée quant à l’identification du fond. Quand les sujets n’arrivent pas à solliciter « forêt », « bois », termes renvoyant à ‘une grande étendue de terrain plantée d’arbres’, ils ont recouru à deux solutions : une entité faisant partie du fond, donc « arbres », ou un terme plus général dénotant des entités matérielles moins précises, telles que « parc », « place », « région », ou encore plus vague, « dehors », voire « près de sa maison ». Moins sont disponibles les ressources linguistiques, plus généraux et diversifiés sont les termes sollicités, car les sujets doivent chercher des solutions compensatoires. Au stade avancé, la convergence du fond (« forêt », «bois ») reflète le fait que les sujets, après 3 ans d’études, acquièrent les moyens linguistiques nécessaires pour dénommer les entités de façon appropriée. Le recours à « fleuve/rivière » chez Océane et Sylvie est d’une autre nature : c’est plutôt un choix volontaire qu’une solution compensatoire. Chez Sylvie, le fleuve/rivière assure une double fonction : il sert de destination du déplacement du garçon, mais aussi de terme de la chute. 1ère (Sylvie) 2e (Sylvie) il est parti pour trouver son pour trouver sa grenouille avec avec son chien ils sont allés au bord du fleuve … et le garçon et son petit chien tomber au fleuve d’abord ils ont arrivés au au bord de la [ri] [ri] rivière … malheureusement le petit garçon et son petit chien sont tombés dans la [rjεv] Ce n’est pas le cas chez Océane, qui s’est servie trois fois de suite de la même construction pour organiser le déplacement du garçon : la destination étant toujours la rivière, le point de départ est de plus en plus précisé, de « dehors » à « la maison », en passant par « hors de la maison ». 1ère (Océane) 2e (Océane) ++++ euh le garçon ++++ et son chien alors ils partaient pour chercher la grenouille [da] dehors euh d’abord ++++ ils étaient long de la rivière euh et ils se mettent à chercher la grenouille hors de la maison euh ils viennent d’abord au bord euh d’un rivière d’une rivière 246 et + il y a euh une bande de [grεp]-guêpes euh à l’autre à l’autre à l’autre côté de la rivière et Pascal et son chien traversent la rivière Julien et son chien quittent leur maison pour aller à la rivière d’hier + et chercher leur grenouille 3e (Océane) A la différence des autres, Océane a toujours pris « la rivière » pour point de repère, ce qui a été d’ailleurs concrétisé au stade intermédiaire : « la rivière » destiné à situer les guêpes (à l’autre côté) et aussi à tracer le parcours du garçon (traverser). Ainsi, elle reste fidèle à la conceptualisation tout au long des collectes des données. z Prédicats Nous rendons compte dans le tableau ci-dessous des prédicats employés dans la désignation du procès. Tableau VIII - 25 (Déplacement – trame : 3 : prédicats) Maison → forêt 1ère collecte (19/22) Lieu source Partir (2) 2e collecte (22/22) 3e collecte (21/22) Partir (1) Quitter (1) Aller (3) Lieu cible Aller (6) Chercher (1) Aller (8) Chercher, trouver (6) Entrer (3) Chercher (5) Arriver (2) Arriver (1) Venir (1) Venir (1) Localisation (2) Existence (1) S’approcher (1) Venir (1) Partir (1) Lieu source - cible Sortir+arriver (1) Sortir/partir+chercher (2) Partir + aller (1) Partir +arriver (1) Partir+localisation (1) Chercher + venir (1) Sortir+chercher (3) Sortir +entrer/avancer (2) Sortir+aller (1) Partir+localisation statique (1) Quitter +aller (1) La lecture du bilan permet de constater que les prédicats destinés à introduire le lieu cible ont connu une diversification au stade avancé. Aux deux premières collectes, les prédicats employés véhiculent les informations suivantes : Deixis : aller, venir109 109 Nous aborderons l’occurrence de venir un plus tard dans VIII. 3.3.4, p.256. 247 1ère (Quinaut) euh après le le petit garçon et le chien vont à la forêt Destination : arriver 1ère (Laurent) et après il arriver un place qui que il y a beaucoup de [zarbr] beaucoup de [zarbr] Activité : chercher 1ère (Alix) [ã] euh ensuite euh il euh cherche son grenouille dans un bois Au stade avancé, la fréquence de ces trois types de prédicats baisse en faveur de la trajectoire : S’approcher 3e (Lydie) Pierre et Loulou commencent euh commencent à [sa] s’approche vers vers le bois S’avancer 3e (Léon) + et puis ils ils ils avancent vers le forêt 3e (Mélanie) (Théa) (Laurent) donc le garçon et le garçon entre encore une fois dans la forêt donc ils sont entrés dans la forêt pour trouver la grenouille donc il a décidé de sortir de la maison et d’entrer dans la forêt Entrer Ou de la localisation 3e (David) 3e (Marie) + et le garçon est le chemin de trouver la grenouille avec le chien + devant un petit devant un un forêt + euh il s’arrête ils partent pour le rechercher + près de la maison il y a un forêt Le même intérêt à la trajectoire peut être observé à travers les verbes (partir, sortir, quitter) qui impliquent le lieu source, dont l’occurrence est passée de 5 (aux deux premières collectes) à 9 au stade avancé. Si les sujets ont toujours privilégié le lieu cible, c’est que celui-ci amène le garçon dans un autre ancrage spatial qui est la forêt, assure ainsi le développement de la trame. Pourtant, les prédicats relevés au stade avancé ont révélé une plus grande attention à la trajectoire, avec plus de sujets qui ont choisi de faire référence au lieu source et de préciser le lieu cible, dans le but de tracer un parcours complet du garçon. 248 z Natifs Tableau VIII - 26 (Déplacement – trame : 3 : prédicats : natifs) Maison → forêt Natifs (10/11) Ø LUC Partir : MIC, VER Aller : NAT, SAM, STE Lieu cible (6) Prendre la direction : PAT S’en aller +arriver : GIL Lieu source – cible (4) Partir+arriver : HEN Emmener+rechercher : NIC Partir+se promener : YVE Si l’intérêt pour le lieu cible est partagé chez les apprenants (14 : 15 : 12) et les natifs (6/11), pour la raison que nous venons d’aborder, la différence se situe au niveau des prédicats : parmi les verbes sollicités pour indiquer le lieu cible, aucun apprenant n’a recouru à partir, or, c’est un verbe courant chez les natifs, utilisé presque autant de fois que le verbe aller. MIC VER 14a. 12a. et les voilà qui partent dans la forêt puis ils partent ensemble dans la campagne Chez les apprenants, partir n’est activé pour indiquer de façon implicite ou explicite que le lieu source, comme en LM, le prédicat 离开-líkāi (partir), est souvent lié au lieu source de la trajectoire. Pour expliciter le lieu cible, il faut y ajouter un autre verbe. 离开 家 去 学校 líkāi jiā qù xuéxiào partir – maison – aller – école « Partir de la maison pour l’école » 离开 北京 前往 巴黎 líkāi Běijīng qiángwǎng bālí partir – Pékin – se rendre – Paris « Partir de Pékin pour Paris » Ainsi, l’idée que partir, lié avec le lieu source est imprégnée dans la conceptualisation des apprenants, qui « calquent » cette expression en LC, bien que ne manquant pas des expressions « partir pour la France », « partir pour Grenoble » en français dans l’enseignement reçu. Autrement dit, l’emploi de partir pour exprimer une trajectoire 249 avec la destination n’est toujours pas acquis, même au stade avancé. VIII.3.3.2 Déplacement du rocher au précipice (11) Le procès relatif au déplacement du cerf contient deux informations spatiales : la localisation du garçon et les prédicats décrivant le déplacement jusqu’au précipice. z La position du garçon La position du garçon implique deux éléments : le fond et la relation spatiale. La plupart des apprenants ont choisi de situer le garçon par rapport à la tête du cerf. A cela une double raison : d’un côté, le répertoire lexical, car le terme « les bois », qui pourrait mieux encadrer la position du garçon, est peu familier et donc inaccessible, de l’autre côté, la relation spécifique impliquée : si quelques apprenants ont essayé de dénommer l’entité (les cornes), personne n’y a eu recours pour représenter la situation, parce que le garçon est plus facilement situé par rapport à la tête qu’aux bois. Le fond étant particulier, la relation spatiale impliquée s’avère plus spécifique (entre/au milieu ou dans). Ainsi, les sujets ont tous choisi un fond moins précis (la tête), voire encore plus vague (cerf). Tableau VIII -27 (Déplacement – trame : 11 : prépositions) Rocher→ précipice 1ère collecte (10/22) 2e collecte (13/22) 3e collecte (9/22) bois Tête Sur (4), à (3), en (1) Sur (7), dans (3), en (2) Sur (2), à (3), dans (3) Cerf Sur (2) au-dessus Sur le dos (1) Natifs (11/11) Entre (3) Dans (1) Entre + sur (2) Sur (3), En haut (1) Au milieu+sur (1) Alors, l’accessibilité à l’item « bois » permet aux natifs de se focaliser sur une localisation plus précise du garçon, par rapport à aux bois (4. occ.) ou à la tête du cerf (4 occ.), sinon, en précisant les deux informations (3 occ.). - Garçon – tête du cerf La plupart des sujets ont choisi la tête du cerf en tant que fond, et là, les prépositions se différencient: « sur » : illustre la relation porteur-porté entre le cerf et le garçon. 250 « à » et « en » : incarnent une relation spatiale imprécise. « En », relevé aux stades initial et intermédiaire, résulterait probablement de la préposition « on » en anglais. 1ère (Hélène) (Océane) euh il a en il a en le euh il a en le tête de une une euh une cerf et il euh apporte Pascal en sa tête La narration d’Eva, qui a recouru successivement à « en » et « à », reflète au mieux le fait qu’elle a du mal à situer de façon précise le garçon par rapport au cerf. Nous avons remarqué plusieurs fois que la locutrice Eva manifeste une moins bonne maîtrise de LE du point de vue acquisitionnel. 1ère (Eva) euh mais euh soudain euh il trouve euh ++ il trouve qu’il est qu’il est euh qu’il est ++ en la tête de un cerf et le cerf est en colère euh il court euh + avec avec euh avec l’enfant euh + à euh à la tête 2e (Eva) et ++ euh ce [∫] ce cerf était euh est a commencé à courir avec Pascal en sa tête « dans » : la mobilisation de cette préposition pourrait surprendre à première vue, car la tête du cerf n’est pas un contenant possible pour le garçon. « La tête » servant de fond à la place des «bois/cornes» que les sujets n’arrivent pas à solliciter, « dans » paraît plus compréhensible. C’est d’ailleurs une solution que nous avons observé chez une native française. VER 21b. - qui finit par l’emporter dans ses bois Garçon – cerf Quelques sujets ont choisi de situer le garçon « sur le cerf », sans préciser la partie en contact, ce qui renvoie plutôt à la posture du garçon assis sur le dos du cerf, comme ce que décrit Adèle. 3e (Adèle) Jean sur son dos et le cerf la le cerf le tomber dans l’eau Théa a confondu « au-dessus » avec « sur », car si selon sa description, le garçon est « au-dessus » du cerf, « l’intersection de leurs projections verticales est généralement vide » (Vandeloise, 1986 : 99). 2e (Théa) et Luc euh se trouvait au-dessus de la du cerf Cela montre encore une fois que les apprenants n’ont pas acquis la propriété sémantique de « au-dessus », laquelle est englobée aussi par le locatif 上-shang. z Prédicats 251 - Manière Courir représentant ‘un déplacement rapide par un mouvement accéléré des jambes’, est le prédicat privilégié dans ce procès. 1ère (Louise) euh le cerf court vers vers un vers une petite montagne Marcher indiquant un déplacement ‘en posant un pied devant l’autre’, distingue de courir par la vitesse, c’est pourquoi notre locutrice Julia a ajouté « très vite » pour accentuer la manière. 3e (Julia) la cerf lever son corps et commence commencer à marcher très vite Rouler renvoyant à la manière de ‘déplacer en faisant tourner sur lui-même’. 2e (Delphine) (Julia) euh donc euh donc ce cerf est euh très en colère euh il roule euh + il roule euh avec euh Xiaoming euh il est très euh il est très en colère et euh il roule avec avec avec lui La propriété sémantique de déplacement, les ressemblances phonologiques (voyelle [u] et consonne[r]) pourraient conduire à une confusion entre courir et rouler, ce qui expliquerait le choix du dernier, visiblement moins pertinent, pourtant deux fois utilisé au stade intermédiaire. - [Cause+deixis] Apporter, amener ou emmener sont des verbes qui fusionnent la cause (le cerf qui porte le garçon) et une trajectoire déictique. 1ère (Cécile) 2e (Hélène) (Mélanie) - Deixis : aller, venir 2e (Quinaut) 3e (Clara) - euh il + il la euh il l’apporte euh ++ au bout de la terre +++++ et ++++ et le cerf euh [a] amène euh le petit garçon sur sur un rivière le cerf [ã] emmène le garçon et son chien euh près d’un étang et il s’en il il il est allé il est allé en courant au bord au bord de la rivière puis le cerf commence à courir et le chien suive le cerf et puis ils sont venus près près de l’eau Destination : arriver introduit le terme de la trajectoire. 252 3e (David) + enfin le cerf euh arrive au bord d’un abîme Tableau VIII - 28 (Déplacement – trame : 11 : prédicats) Rocher → précipice 1ère collecte (13/22) 2e collecte (20/22) 3e collecte (12/22) Courir (9) MAN Courir (11) Rouler (2) Chasser (1) Natifs (11/11) Courir (7) Courir (2) : GIL, SAM marcher très vite (1) TRA Se diriger (1) : STE, YVE MAN+DES Courir + arriver (1) Courir + arriver (2) MAN+DX Courir +aller (1) Courir + venir (1) MAN+[CAU+DX] Courir+apporter (2) Apporter (1) [CAU+DX] Apporter (2) Amener (1) Apporter (1) Emporter (1) : VER Emmener (1) [CAU+DX]+TRA Apporter+s’avancer (1) Partir au galop+courir : [TRA+MAN]+MAN LUC S’échapper + courir : NAT S’enfuir+se précipiter : PAT Partit au galop+arriver : [TRA+MAN]+DES HEN MAN+DES DX+MAN+DES Courir+arriver : MIC S’en aller+courir+arriver : NIC Dans ce déplacement du rocher au précipice : - Les natifs choisissent avant tout de décrire la manière du mouvement (8 occ.), à travers courir, se précipiter, ou par le biais de la structure périphérique (au galop), voire d’accentuer la manière par deux verbes (LUC, NAT, PAT), autrement dit, dans ce déplacement qui implique non seulement la vitesse, mais aussi la cause (la fuite ou un mouvement intentionnel du cerf), les natifs tendent à fournir plus de détails, la trajectoire ou la destination étant placée au second plan. - La plupart du temps, les apprenants mettent l’accent avant tout sur la manière, incarnée surtout par courir, utilisé de façon indépendante ou intégrée dans le procès. A la 2e collecte, la désignation du procès a connu un net accroissement et l’empaquetage de l’information, une diversification. - Une confusion sur l’information déictique peut être observée : aller vs venir, apporter/amener vs emmener. 253 VIII.3.3.3 Déplacement de la mare à la maison La dernière image illustre le garçon qui quitte la mare pour rentrer avec le chien et la grenouille. Les prédicats relevés véhiculent les informations suivantes - [Trajectoire-trajectoire] : rentrer, retourner exprimant « revenir/se rendre de nouveau dans le lieu qu’on a quitter) impliquent ainsi une double trajectoire. - Trajectoire : quitter, partir, sortir, entrer Sortir, employé par Mélanie, fait référence à une trajectoire hors de la mare. Et chez Hélène, le recours à entrer est plutôt une substitution de rentrer, à cause de l’influence phonologique. 1ère (Mélanie) 2e (Hélène) et euh + il le euh la grenouille euh il euh le garçon enfin le garçon est sorti avec euh une petite grenouille et enfin + avec sa grenouille ce petit garçon et son chien entrent ensemble dans leur maison - [Cause+deixis] : apporter, amener, emporter - Deixis : aller, s’en aller 2e (Alix) 3e (Clara) - et Julien euh + va chez euh va chez lui avec ses copains il s’en est allé chez lui [Trajectoire + deixis] : revenir 3e (Océane) ils reviennent chez lui avec son chien ++ très satisfait Tableau VIII – 29 (Déplacement – trame : 14 : prédicats) Maison ↔ Mare 1ère collecte (16/22) 2e collecte (15/22) 3e collecte (14/22) Natifs (10/11) Retourner (1) : MIC Repartir (2) : LUC, YVE [TRA+TRA] Rentrer (5) Retourner (3) Renter (7) Rentrer (8) Repartir+retraverser (2) : GIL, Retourner (1) STE Repartir+traverser (1) PAT S’éloigner+retraverser (1) : SAM TRA Partir (2) Sortir (1) Partir (1) Quitter (1) entrer (1) [TRA+DX] [CAU+DX]+[TRA+TRA] [CAU+DX] Partir (2) Revenir (1) Apporter+rentrer Emporter + rentrer (1) (1) Apporter (4) Apporter (2) Amener (1) Emmener (1) 254 DX Aller (1) S’en aller (1) Aller (1) : NAT [CAU+TRA+DX] Remporter (1) : VER [TRA+TRA]+[CAU+TRA+DX] Repartir+remporter (1): HEN Dans ce procès : - Quand la désignation contient l’information déictique, il existe toujours une confusion chez les apprenants: apporter vs emporter, amener vs emmener, aller/s’en aller vs revenir. - Si les sujets (apprenants et français confondus) se préoccupent de la trajectoire et privilégient les prédicats impliquant une double trajectoire, ces derniers ne sont pas de la même nature du point de vue de la perspective : les natifs se servent de repartir, retraverser, pour faire référence à l’endroit même où se trouve le garçon, c’est-à-dire la mare, ces deux verbes, très récurrents chez les témoins, n’ont été utilisés par aucun apprenant, c’est plutôt retourner, rentrer dont la double trajectoire conduit au lieu où a été le garçon avant toute cette série d’aventures, soit la maison, qui ont été mobilisés. VIII.3.3.4 L’information déictique Quand le procès véhicule une direction déictique, il existe toujours une concurrence entre les couples aller/venir, apporter/emporter, amener/emmener, c’est ce que nous avons remarqué dans les désignations des 3 trajets entre deux lieux de référence qui viennent d’être abordés. - Aller vs venir : prenons en exemple le déplacement de la maison à la forêt. 1ère (Clara) 2e (David) (Océane) e 3 (Quinaut) enfin ils sont venus à à un à à une place très belle il y a beaucoup d’arbres et beaucoup de + fleurs là-bas ils [i] ils viennent dans un forêt euh ils viennent d’abord au bord euh d’un rivière d’une rivière ensuite le garçon et le chien viennent dans ce forêt pour chercher la grenouille Dans le trajet entre la maison et la forêt, le recours à venir résulte d’un changement de point de référence : les sujets se mettent « dans la forêt » pour continuer la narration. - Apporter vs emporter, amener vs emmener Ces deux couples de prédicats incarnent la deixis à travers le préfixe : « a –» indique un approchement vers le site (l’énonciateur), « en(m) –», un éloignement à partir du 255 site (l’énonciateur). Or, en chinois, l’information déictique est marquée par 来 lái (venir) et 去 qù (aller) dans la construction verbale sérielle (CVS). 带-来 dài-lái (porter – venir) 带-去 dài-qù (porter – aller) 带-回-来 dài-huí-lái (porter – rentrer – venir) 带-回-去 dài-huí-qù (porter – rentrer – aller) En chinois, l’information déictique se situe en position finale de la CVS. Lors de la production en français, les apprenants chinois, habitués à un traitement tardif de la deixis, sont obligés d’inverser le procédé de réflexion pour mettre en premier l’information déictique qui commence le prédicat. L’opposition morphologique, position initiale ou finale) rend le traitement cognitif plus compliqué et pourrait ainsi entraîner des confusions. Cela pourrait expliquer pourquoi dans le procès du retour du garçon, aucun apprenant n’a pu solliciter le prédicat remporter, comme chez les natifs (HEN, VER), car ce dernier incarne une double trajectoire en plus de l’information déictique, dont la mobilisation demande encore plus d’effort. HEN 65a. 65b. … 67a. VER 25b. VIII.4. en tout cas le petit garçon repart # dit au revoir de la main et le petit gaçon, (67b) remporte dans la main, un bébé grenouille et la remporte chez lui (25c) avec son chien Evénements spatiaux secondaires Nous allons examiner dans cette partie, les événements spatiaux relatifs au chien et à la grenouille, situés au second plan par rapport à la trame. 4.1 Localisation (4’) Il s’agit d’une localisation portant sur le nid et l’arbre/la branche. Evénement peu abordé (4 occ. :1 occ. : 5 occ.), nous nous contentons d’examiner les structures qui impliquent de l’information spatiale, avant d’expliquer les raisons de sa fréquence. 256 VIII.4.1.1 La représentation de l’information spatiale z 1ère collecte (4 occ.) - Relation spatiale explicite (2 occ.) Claire a précisé la relation entre le nid et l’arbre à travers la préposition « dans ». 1ère (Claire) +++ dans un [abr] dans un arbre il y a une maison de guêpes Louise a présenté la même relation, sauf qu’elle ait pris le nouveau mot « guêpe110 » pour l’essaim, en tant que sujet dans le procès de la chute. 1ère (Louise) - et le chien euh il trouve il trouve un grosse un un grand un grande + guêpe un grande guêpe dans le dans le dans un arbre Relation spatiale implicite (2 occ.) Cécile a introduit la ruche comme une nouvelle entité sans la localiser, pourtant dans les propositions juxtaposées, elle a enchaîné successivement une intention de monter dans l’arbre et la chute de la maison des guêpes, ce qui laisse supposer que le nid, situé dans l’arbre, est tombé avant la montée du chien. La relation entre le nid et l’arbre, implicite, peut être établie par la logique discursive. 1ère (Cécile) et le chien voit euh voit la maison des guêpes euh il veut monter sur euh l’arbre mais soudain la maison des guêpes est tombée Ce n’est pas le cas de Léon, qui s’est servi du pronom relatif où pour introduire les arbres et la maison des guêpes, la localisation du nid reste pourtant mystérieuse car celui-ci est situé par rapport à un fond trop vague. Ce que Léon a décrit, c’est plutôt l’image 5, où l’on voit des arbres, deux trous et un nid suspendu sous la branche. 1ère (Léon) z 2e collecte (1 occ.) 2e (Océane) 110 ++++++ euh + ils ont +++ ils ils ont ils ont cherché la grenouille +++ euh à chercher euh dans la région où où il y a beaucoup d’arbres euh et une maison de de de guêpes le chien euh ébrandit l’arbre Mot figuré sur la liste des noms inconnus. 257 où où le nid de [grεp]-guêpes où est le nid de [grεp]-guêpes Océane est la seule à aborder le rapport spatial entre le nid et l’arbre, pourtant, le pronom relatif où ne pouvant pas expliciter l’état du nid, ne sert qu’à l’encadrer par rapport à l’arbre. z 3e collecte (5 occ.) Ces trois locutrices ont toutes choisi de qualifier la relation spatiale, Julia, par le biais du pronom relatif où, et Lydie et Océane, la préposition « sur ». 3e (Julia) (Lydie) (Océane) il s’amusait tout près autour d’un arbre où se trouve la maison des guêpes Loulou a a trouvé des guêpes a trouvé des guêpes et et euh Loulou a trouvé des guêpes sur sur un arbre euh c’est le nid d’abeilles cependant son chien euh [de] découvre une [damjεr] de guêpes sur un arbre A la différence des trois autres, David et Violette ont choisi la branche pour situer le nid, or ils ne partagent pas la même perception, sous la branche d’après David, mais dans la branche aux yeux de Violette. 3e (David) (Violette) z le chien a trouvé euh a trouvé une maison très bizarre et la maison est sous sous la sous une branche d’un arbre et en ce moment et en même temps son chien Xiaobai s’intéresse à la maison des guêpes euh qui se situe dans la branche d’un arbre Natifs Parmi les 11 natifs, seuls trois ont mentionné de façon explicite la localisation de la ruche, par le biais de prépositions « à » ou « sur », le reste se sont contentés d’identifier l’existence de la figure par « ruche » ou « essaim d’abeille » sans faire référence au fond. PAT SAM STE 30b : qu'il y a un essaim d’abeilles qui est accroché à un arbre 16e : <pendant que son> [/] pendant que son petit chien lui est complètement fasciné par une ruche 16f.: suspendue euh à l’arbre, 17b: <et>, [/] et ils s’approchent d’un arbre 17c: <où> [//] sur lequel il y a un essaim d’abeilles VIII.4.1.2 Evénement négligé 258 La localisation de la ruche est très peu abordée dans les productions orales, à cela des raisons discursive, conceptuelle et linguistique. - Du point de vue discursif Au cours de la recherche dans la forêt, s’imbriquent deux aventures : celle du petit garçon qui rencontre successivement une taupe, un hibou et un cerf; et celle du petit chien qui s’amuse avec les guêpes. L’événement relatif au chien se situe au second plan car il constitue un sous-épisode, parallèle à la recherche du protagoniste, composante de la trame narrative. - Du point de vue conceptuel Selon les connaissances générales, les guêpes sont des insectes qui vivent par groupes dans l’essaim, et cette dernière se situe soit dans un arbre, soit sous un toit. Ainsi, la mention du nid implique déjà la localisation, d’autant plus que la recherche se déroule dans la forêt. Cela explique aussi pourquoi la localisation est rarement abordée aussi par les natifs, car la ruche se situe à l’arbre est un fait est évident. - Du point de vue linguistique « Guêpe» étant un nouveau mot que l’on propose lors de la collecte, la dénomination du nid de guêpes s’avère encore plus difficile à activer, à cela s’ajoute la relation spatiale entre le nid et l’arbre/la branche, qui rend la représentation de la localisation plus coûteuse, dont la majorité des sujets ont choisi de se passer. VIII.4.2 Déplacements Il s’agit de deux mouvements descendants et la poursuite du chien par les guêpes. VIII.4.2.1 Direction descendante (3’, 5’) La chute du chien par la fenêtre et celle de la ruche renvoient à une même direction du haut vers le bas, indiquée par tomber. Tableau VIII - 30 (Déplacement – 3’, 5’) 1ère collecte (10/22) ↓chien lieusource tomber lieucible Ø lieusource+ lieucible 4 2 4 2e collecte (13/22) 3e collecte (18/22) Natifs (11/11) 7 5 9 3 9 1 4 2 259 Sauter lieusource 1ère collecte(9/22) ↓nid tomber décrocher 2 2e collecte (7/22) lieusource 1 lieucible 1 3 Ø 5 1 Causalité 2 3 3e collecte (8/22) Natifs (11/11) 1 4 1 5 4 CAU 3 1 Dans ces deux mouvements similaires : - Les natifs marquent souvent la chute par le lieu source, comme pour le chien qui tombe par la fenêtre (9 occ.), ou laisse absent le lieu cible quand il s’agit du sol, comme dans la chute de la ruche (5 occ.) - Chez les apprenants, le mouvement relatif au chien a connu une attention croissante, alors que la majorité des sujets se sont passés de la chute de la ruche, car ce n’est pas un événement indispensable, dont l’absence ne porte pas atteinte à la poursuite du chien par les guêpes, qui, de nature agressive, se mettent à l’attaque à la moindre irritation. - Dans la chute du chien, les sujets insistent plutôt sur le lieu source aux deux premières collectes, mais cette tendance a été inversée à la 3e collecte, ce qui correspond à notre anticipation111. D’ailleurs, au stade avancé, plus de sujets ont fourni un parcours complet (4 occ.). - Quand la chute est interprétée comme un mouvement initial du chien, incarné par sauter, c’est le lieu source qui est indiqué. - Dans la chute du nid, nous pouvons aussi observer une préférence pour le lieu de cible, et une tendance à englober la cause dans la désignation. VIII.4.2.2 La poursuite du chien par les guêpes (6’) Nous rendons compte de la représentation sous deux angles : les guêpes et le chien, deux référents animés impliqués dans le procès. Tableau VIII - 31 (Déplacement : 6’ : prédicats) Guêpes→ chien 111 1ère collecte (13/22) 2e collecte (20/22) 3e collecte (19/22) Voir VIII.3.2.2, p.239, l’analyse sur la chute du garçon de l’arbre. 260 MAN Courir (3) Courir (3) Courir (5) Marcher (1) Battre (1) Attaquer (4) Attaquer (1) TRA Suivre (2) Piquer (1) Suivre (1) Suivre (1) Chasser (5) Guêpes S’envoler (1) TRA+MAN Poursuivre (1) Pourchasser (1) Chasser (2) Se mettre à la poursuite (1) Se mettre à la poursuite (2) Autre Chien Guêpes + Chien Chercher(1) Localisation (1) Localisation (1) Courir (3) courir (ch) +Localisation (g) (1) Etre attaqué (2) Etre chassé (1) Etre attaqué (1) Suivre (g)+courir-s’enfuir(ch) (1) S’enfuir (chien)+voler/suivre (2) S’enfuir (g)+être suivi (ch) (1) Chasser (g)+courir (ch) (1) Les sujets ont accordé beaucoup d’attention à la manière, dont l’expression est privilégiée par rapport à celle des prédicats incarnant à la fois la manière et la trajectoire, sauf au stade intermédiaire. Etant donné les caractéristiques naturelles des guêpes : facilement irritables, susceptibles d’attaquer en se servant de l’aiguillon, certains prédicats utilisés sont pertinents (attaquer, piquer), d’autres ne le sont pas (courir, battre, marcher). Comment expliquer le recours à courir, dont la manière de déplacement n’est pas compatible avec les guêpes. 1ère (Adèle) 2e (Claire) 3e (Théa) euh euh euh à ce moment-là des des guêpes euh [ku] courent euh son chien euh et + ils courent après le [po] le pauvre chien et donc les guêpes ont couru vers vers Boubou Les prédicats renvoient à la poursuite du chien (pourchasser, poursuivre) partagent le trait sémantique ‘rechercher avec ardeur et obstination dans le but d’atteindre’, dont le mouvement ‘prototypique’ est de ‘courir après’ selon les connaissances générales. Ainsi, les sujets, sans pouvoir mobiliser une désignation englobant le mouvement des guêpes et la trajectoire de suivre le chien, ont choisi de transférer « la manière prototypique » sur les guêpes. Chez deux natifs, la même solution est aussi relevée : 261 MIC STE. VIII.4.3 19b. 25a. 25b. parce que les guêpes, (19c,19d,19e) se mettent à lui courir après et elles sont tellement pas contentes les abeilles qu’elles courent après le chien Les placements Le placement renvoie à un mouvement affiché par un agent pour mettre une entité à une certaine place. Si, dans les analyses précédentes portant sur le déplacement, c’est la figure même qui se déplace pour parcourir la trajectoire, ici, il s’agit plutôt d’un déplacement de l’entité provoqué par l’agent (4.3.1) ou une partie de l’entité qui subit l’action de placement (4.3.2). VIII.4.3.1 La grenouille - bocal C’est un procès dont l’occurrence est en croissance 20 10 constante. L’importance de l’événement et la 15 15 10 occurrence 7 5 disponibilité des moyens linguistiques conditionnent la formulation. 0 1ère 2e 3e Dans le récit, la disparition de la grenouille constitue le déclencheur de la trame, que la grenouille soit localisée ou pas n’influence point le développement, d’autant plus que le lieu source n’est qu’un élément facultatif dans le départ de la grenouille. z Fond A cela, s’ajoute la difficulté de la désignation du fond, surtout au stade initial. Tableau VIII - 32 (Placement – 1’ : fond) 1ère collecte (7/22) Bouteille (2) Boîte (3) 2e collecte (11/22) 3e collecte (16/22) Bouteille (7) Bouteille (13) Boîte en verre (1) Boîte (1) Boîte (1) Carafe (1) Verre (1) Jarre en verre (1) Cage de glace (1) Botte en verre (1) Botte en verre (1) Nous pouvons constater que le choix du fond converge au fur à mesure vers « bouteille », mais l’existence des termes dérivés tels que « boîte », « botte », « verre », « jarre », voire « cage » révèle que les sujets éprouvent toujours de la difficulté à trouver le mot approprié pour définir le bocal, même au niveau avancé, ce qui pourrait constituer une autre raison pour laquelle certains apprenants ont évité la 262 localisation de la grenouille. Pourtant, de 7 au stade initial à 15 au stade avancé, de plus en plus d’apprenants ont choisi de préciser la localisation de la grenouille « dans le bocal », dans le but de constituer un point de repère pour le procès suivant. Certains sujets ont même essayé de fournir plus de détails, lesquels permettent de mieux anticiper la fuite de la grenouille comme chez Océane et Lydie. 2e (Océane) 3e(Lydie) z ce jour il a pris euh une grenouille qu’il a mise dans un verre euh qui n’était pas très profond un soir comme d’habitude Pierre met euh ce petite grenouille Joujou dans une dans une jarre en verre sans [ku] - sans couvercle avant se dormir Relation spatiale Les sujets ont recouru à deux constructions pour exprimer la localisation de la grenouille, à travers un prédicat statique (i) ou par le biais d’une action du garçon (ii). Construction i) : [grenouille+Vstatique+dans+bocal] Les verbes utilisés sont habiter, rester, dormir, la structure existentielle il y a n’est sollicitée qu’une fois. Construction ii) : Garçon+V+[grenouille+dans+bocal] Nous observons un enrichissement des prédicats renvoyant à l’action du garçon au cours des recueils: du verbe courant mettre, voir relevés dans la 1ère collecte, à des verbes plus spécifiques tels que apprivoiser, garder au stade intermédiaire, et installer, enfermer au stade avancé. Quelle que soit la construction, la qualification de la relation spatiale entre le bocal et la grenouille incarnée par la préposition « dans » est quasiment unanime, à moins qu’elle soit précisée (Claire à la 1ère collecte), ou remplacée par le pronom relatif où. 1ère (Claire) 3e (Claire) (Marie) qu’est-ce que c’est du fond de la bouteille il y a une grenouille Pierre [tru] euh trouve une bouteille euh où Pascal peut dormir dans le chambre dans sa chambre un petit garçon regarde regarde joyeuse une [bwa] une boîte 263 où il où il il enferme une grenouille VIII.4.3.2 La tête du chien - le bocal Dans cet événement, le chien a effectué un Placement : tête-bocal mouvement en allongeant la tête afin d’entrer, non 20 15 10 5 9 9 occurrence 5 sans difficulté, dans le bocal sans pouvoir l’en retirer. Il s’agit ainsi d’un positionnement qui implique la 0 1ère 2e 3e manière (avec force), la trajectoire (de passer dans le bocal) et l’état final (coincé). Sur le plan cognitif, ce placement est plus riche que le précédent, et il réserve beaucoup de possibilités de désignation. Ainsi, la composition du répertoire lexical change et se diversifie au cours de la l’acquisition. z 1ère collecte : mettre (5 occ.) Le vocabulaire étant très restreint, 5 apprenants ont choisi mettre, lexème de base. L’état final de la tête n’est abordé que par Alix. 1ère (Alix) z euh le + à ce temps-là le chien met la tête dans la bouteille et il ne peut pas euh et il ne peut pas euh et la tête ne peut pas sorti de la bouteille 2e collecte : mettre (5 occ.), entrer (2 occ.), faire, rendre Le développement se caractérise quantitativement par le nombre de désignations (9 occ.), mais surtout qualitativement, à travers une tendance à expliciter la trajectoire par le biais de rendre, entrer, autres que mettre. D’ailleurs, nous pouvons constater une intention d’insister sur la cause chez Alix qui a recouru à faire, bien que la formulation s’avère inappropriée. 2e (Alix) euh en même temps le chien + fait + euh +++ euh fait euh +++ le chien est euh +++ se [З] +++ euh le chien fait la euh sa tête dans la bouteille et il ne peut pas le euh la faire sortir Comme Alix, plus d’apprenants ont enchaîné le mouvement sur le résultat. 2e (Julia) (Lydie) (Marie) + et la tête du chien entre dans la [bu] dans la bouteille mais il ne peut pas euh sortir sa tête il a il a entrer son il entrer la tête dans la boîte que Dodo habitait mais malheureusement il ne peut pas repartir la tête euh [do] Dodo Dodo mit son trou-cou dans dans [na]-la boîte 264 … [o] le Dodo Dodo a son son cou Dodo le cou était euh ++ était était bouché Julia et Lydie ont eu recours à un verbe (sortir, repartir) pour indiquer une trajectoire opposée à celle représentée par entrer, et Marie a l’intention de préciser l’état du cou, en tant que la raison de la chute du chien. z 3e collecte : mettre(2), mettre+se pincer, regarder+se faire coincer, chercher, prendre, tendre, avancer, pousser Nous constatons une mobilisation plus générale de lexèmes spécifiques. Les choix lexicaux s’avèrent riches et différenciés, véhiculant différentes informations. - Trajectoire : avancer, tendre Louise et Lydie ont explicité la trajectoire du mouvement de ‘porter en avant’ par le biais des verbes avancer et tendre. 3e (Louise) (Lydie) - le chien euh atteint de myope il euh il même mettre son sa tête avance son tête sa tête au fond du botte en verre mais parce qu’il qu’il a il n’arrive pas à sortir sa tête il a tend il a tendu sa tête dans la jarre mais malheureusement et sa tête est bloquée là-dedans Manière : pousser Marie a choisi d’insister sur la manière de déplacer la tête ‘avec effort ou en exerçant une pression’. 3e (Marie) - le chien d’un point de vue c’est pour pour pour sentir l’odeur de la grenouille il pousse sa tête dans la boîte mais il ne sa tête ne peut pas sortir Cause : se faire coiner, se pincer Les structures se faire coincer et se pincer permettent de combiner la cause et le résultat. 3e (Théa) (Cécile) euh quand il il a essayé de regarder à à l’intérieur de la verre il s’est fait coincer la tête le chien Tonton a mis sa tête dans la bouteille peut-être la grenouille est là-dedans mais non ah je me suis pincé par par la bouteille 265 z Bilan Après avoir examiné les prédicats mobilisés au cours des 3 collectes, nous pouvons constater que le répertoire lexical s’enrichit et tend à remplacer des unités lexicales de base (mettre) par des lexèmes spécifiques (avancer, tendre) et que les structures s’avèrent plus compliquées (se faire coincer, se pincer). Les sujets, conscients de la spécificité de ce placement, tendent à l’incarner dans la formulation du procès à travers un prédicat dont le sémantisme est plus riche, de « granularité sémique » plus fine : [...]il s’agit du degré de spécificité de la désignation, entre général et particulier, qui n’implique pas un découpage plus ou moins fin du désignatum en sous-parties, mais son rattachement global à une catégorie plus ou moins vaste, ou au contraire particularisée donc étroite. (Noyau & Paprocka, 2000 : 89) Selon cette notion, parmi les procès renvoyant à une situation d’expérience identique, occupant un même intervalle temporel, plus un prédicat est spécifique, plus sa granularité sémique est fine. Et dans ce procès de placement, si le verbe mettre s’avère sémiquement plus dépouillée, avancer, tendre, se faire coincer et se pincer, sémiquement plus chargés, correspondent à des catégories plus particularisées. Du point de vue discursif, la représentation du procès se montre plus complète et détaillée au stade avancé, avec un renforcement des structures relationnelles : l’état final de la tête du chien est mentionné par plus de sujets, et ils ont aussi essayé de préciser l’origine de l’action du chien (la myopie ou pour sentir l’odeur de la grenouille), dans le but de rendre la narration plus cohérente. VIII.5. L’organisation des événements Dans cette section, nous essayerons de rendre compte du développement des apprenants dans l’organisation discursive durant les 3 collectes, puis, de cerner les facteurs qui affecteraient les sujets dans le choix des événements spatiaux lors de la narration. VIII.5.1 La différenciation des représentations des événements - trame 266 Selon le degré de l’explicitation de l’information spatiale, nous pouvons distinguer 3 solutions pour les 14 événements impliqués dans la trame : Ø : L’événement est absent de la narration. + : L’événement est représenté avec l’information spatiale correspondante. - : L’événement est présent mais l’information spatiale qui aurait dû être dénotée soit fait défaut, soit prend une forme simplifiée. Plus précisément, pour les déplacements censés être incarnés par des prédicats dynamiques, les sujets ont recouru à la localisation (statique ou dynamique), qui constitue une solution compensatoire pour faire référence à une position consécutive à un déplacement déjà effectué ; quant à la localisation (statique ou dynamique), les sujets se contentent de la présence de la figure sans mentionner le fond. Tableau VIII - 33 (Représentation simplifiée : événements-trame) Localisation Désignation simplifiée (-) Recherche Sans mentionner la dans la maison maison/chambre. 4 Trou- terre Sans mentionner le fond en 6 Trou - arbre 2. 13 question. Grenouille – Sans mentionner le tronc tronc/l’arbre/la branche VIII.5.1.1 Déplacements Désignation simplifiée (-) 1 Fuite de la grenouille L’absence de la grenouille 3 Maison →forêt 5, 8 ↑taupe ↑hibou 10 ↑rocher Localisation par rapport à la forêt L’existence de l’animal Localisation par rapport au rocher La classification à différents stades Selon la grille du nombre des événements lacunaires (Ø), nous classons les sujets en 3 niveaux : Groupe I ‘avancé’ : 0-1 événement absent Groupe II ‘moyen’ :2-4 événements absents Groupe III ‘le moins avancé’ : plus de 4 événements absents Figure 7 (classification 14 12 12 12 10 8 8 des 10 9 événements - trame) 8 1ère 6 4 2 2 2 0 I II apprenants : III 3 2e 3e La figure ci-contre 267 reflète le nombre de locuteurs de chaque groupe à différentes phases d’apprentissage. Il existe un écart évident entre la 1ère collecte et les deux suivantes. La baisse du nombre de sujet du groupe III (les moins avancés) montre que les apprenants ont tendance à fournir une narration plus complète. Si le nombre de sujets du groupe I est en croissance constante, celui des groupes II et III ont connu une légère baisse au stade avancé. Ainsi, c’est au stade intermédiaire que nous remarquons une meilleure organisation discursive du point de vue global. Le tableau ci-dessous regroupe les sujets selon l’occurrence des événements manquants, avec le nombre des représentations simplifiées 112 (-), ce qui permet d’observer de plus près l’évolution de chaque sujet. Tableau VIII - 34 (Classification des sujets à chaque stade : événements - trame) I 1ère collecte 2e collecte 3e collecte 0Ø Claire3 Claire1, Cécile1, Lydie1, Violette1 Claire, Lydie, Marie1, Océane1 1Ø Marie4 Océane, Louise1, Eva2, Alix3 Clara1, 2Ø Louise2, Lydie3, Océane3, Cécile5 Julia2, Mélanie2, Théa3, Marie4, Sylvie4 David1, Hélène1, Quinaut1, Eva2 3Ø Mélanie2, Alix3, Violette3, Eva4 Hélène2, Léon2, Clara3, David3 Cécile2, Adèle5 Julia2, Alix2, Louise2, Violette2 II Théa5 III 4Ø Quinaut3, Léon3, Adèle5 Quinaut1, Sophie3, Adèle4, Delphine1,Théa2,Sophie3,Mélanie4 5Ø David3, Delphine3, Laurent4 Delphine3 Léon0, Laurent3 6Ø Clara2, Sylvie3, Sophie4 Laurent2 Sylvie1 7Ø Julia4 9Ø Hélène3 50 (-) 37 (-) 74 (-) La diminution constante des désignations compensatoires113 confirme qualitativement un développement progressif de l’organisation des événements spatiaux, déjà justifié quantitativement un peu plus haut par l’évolution du nombre de sujets de chaque groupe. Nous pouvons distinguer 5 types de développement: i) Progression remarquable (2): Julia et Clara (III-II-I) ont fait d’importants progrès qui les font passer du groupe III au groupe I, elles ont réalisé une 112 113 Le chiffre à côté de chaque prénom indique le nombre des événements représentés de façon simplifiée. Le nombre total est marqué à la dernière ligne du tableau. 268 montée en grade à chaque stade. ii) Progression évidente (9): Rapide : les sujets sont passés au niveau supérieur au stade intermédiaire et y sont restés. Océane, Alix, Louise, Lydie, Violette (II-I-I) Hélène, David, Sophie (III-II-II) Lente : la montée en grade n’a eu lieu qu’au stade avancé. Delphine (III-III-II) iii) Fluctuation (4): les sujets ont eu une dégradation ou la gradation au stade intermédiaire, avant de retourner au niveau initial. iv) - Marie (I-II-I). - Cécile, Eva (II-I-II), Sylvie (III-II-III). Dégradation (1): Léon a fait un recul à la dernière collecte, en passant du niveau moyen au niveau le moins avancé (II-II-III). v) Maintien du niveau (6) : Claire (I), Adèle, Quinaut, Mélanie, Théa (II) et Laurent (III) sont restés au même niveau durant les 3 collectes. Tableau VIII - 35 (Les solutions des sujets : maintien du niveau) Progression Groupe Sujets 1ère collecte 2e collecte 3e collecte I Claire 0Ø, 3- 0Ø, 1- 0Ø, 0- Adèle 4 Ø, 5- 4Ø, 4- 3Ø, 5- Quinaut 4 Ø, 3- 4Ø, 1- 2Ø, 1- Mélanie 3Ø, 2- 2Ø, 2- 4Ø, 4- Théa 3Ø, 5- 2Ø, 3- 4Ø, 2- Laurent 5Ø, 4- 6Ø, 2- 5Ø, 3- constante II Fluctuation III Bien que classés dans le même groupe, ces sujets ont aussi réalisé une progression constante ou un parcours fluctuant. Nous pouvons ainsi constater: - Durant leurs 3 ans d’études, la majorité des sujets ont accompli un développement constant (i, ii et v) du point de vue de l’organisation discursive. - C’est au stade intermédiaire que nous observons le plus de variabilité, dans la progression évidente rapide (ii) et les parcours fluctuants (iii et v). 269 VIII.5.1.2 La fréquence des événements (+) L’occurrence des événements véhiculant une information spatiale (+) permet de dévoiler d’un côté l’évolution durant les 3 collectes, de l’autre, les événements que les sujets ont privilégiés. Figure VIII - 8 (Fréquence des événements – trame : La Grenouille) 20 15 1ère 2e 3e 10 5 0 z 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 13 14 1ère 20 11 14 1 5 12 6 6 7 6 13 22 8 16 2e 22 14 16 9 11 16 11 11 11 14 21 22 16 15 3e 21 18 18 13 13 17 12 11 11 17 13 22 19 14 Dans l’ensemble, la croissance des occurrences s’avère constante aux stades intermédiaire et avancé. Autrement dit, l’organisation des événements spatiaux se développe dans le même sens que l’enrichissement des moyens linguistiques. z La fréquence de ces événements reflète leur importance discursive, nous pouvons distinguer: - Les événements de haute fréquence : ceux dont l’occurrence dépasse la moitié dès la 1ère collecte. la fuite de la grenouille (1) la recherche dans la maison (2) le déplacement entre la maison et la forêt (3) la localisation du trou par rapport à l’arbre (6) le déplacement entre le rocher et le précipice (11) 270 la chute dans la mare (12) le retour du garçon (14) A part la fuite de la grenouille, déclencheur du récit, tous les événements de haute fréquence sont en relation avec le garçon, et impliquent tous un lieu différent servant à marquer le parcours du protagoniste (maison → forêt → précipice → mare → maison). Autrement dit, les sujets ont privilégié les événements de changement de lieu qui « propulsent » le développement de la trame. - Les événements d’importance secondaire : ceux dont le nombre dépasse la moyenne depuis la 2e collecte. L’apparition de la taupe (5) La montée du garçon dans l’arbre (7) L’apparition du hibou (8) La chute du garçon de l’arbre (9) La montée du garçon sur le rocher (10) La localisation de la grenouille par rapport au tronc (13) A part la localisation de la grenouille (13), tous les autres événements ont lieu dans la forêt. Pourtant, les sujets n’y ont pas accordé la même attention : les événements surlignés en gris n’ont connu une occurrence qu’aux alentours de la moyenne, même au niveau avancé. Ces 4 événements impliquant la même région, malgré l’existence d’un lieu de référence (l’arbre), cela n’aide pas à faire avancer la trame, alors que la montée sur le rocher (10) est directement liée aux événements relatifs au cerf, qui emmène le protagoniste à s’approcher de la mare, lieu crucial pour le dénouement, d’où une fréquence plus importance du déplacement ascendant du garçon. - L’événement le moins important : la fréquence de la localisation du trou dans la terre (4) est mentionnée par un peu plus de la moitié des sujets seulement au stade avancé. Entre deux localisations similaires dont seul le fond se diffère, les sujets ont choisi de mettre en valeur le fond plus particulier (l’arbre), et ont négligé la terre, fond 271 quasi-naturel selon les propriétés sémantiques du trou. z A part les petites fluctuations (événements 1 et 14), pendant que les autres événements ont connu une croissance d’occurrence, un événement a connu une chute au stade avancé (11) : certains sujets ont choisi de se passer du déplacement sur le cerf pour aboutir directement à la chute du garçon. L’enchaînement des événements s’avère identique chez eux : le cerf est fâché d’être dérangé et il jette le garçon dans la mare. Si à la 2e collecte, la quasi-totalité des sujets (21/22) ont choisi de représenter le parcours du cerf en suivant les images (le déplacement illustré par les images 15-16), 8 sujets ont décidé de combiner la course du cerf avec son mouvement causant la chute du garçon à la 3e collecte, c’est une opération qui accélère le parcours du garçon sans porter atteinte au développement de la trame. VIII.5.1.3 Les événements implicites (-) Le bilan des événements dont la désignation est simplifiée permet de révéler l’évolution de la description de chaque événement, et de refléter la conceptualisation sur certains événements. Figure VIII - 9 (Fréquence des événements implicites - trame : La Grenouille) 20 15 1ère 2e 3e 10 5 0 z 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 13 14 1ère 2 7 5 19 8 3 1 14 0 1 0 0 14 0 2e 0 7 6 9 5 2 1 11 0 3 0 0 6 0 3e 1 3 3 7 5 0 3 11 0 1 0 0 3 0 Pour la plupart des événements, l’évolution n’est pas accentuée (1, 2, 3, 5, 6, 7, 272 10). z La baisse des occurrences pour la localisation du trou par rapport à la terre (4) et celle de la grenouille vis-à-vis du tronc (13) montrent que ces deux événements ont connu une concrétisation depuis la 2e collecte. Autrement dit, les sujets ressentent un besoin croissant d’expliciter l’information spatiale dans la localisation quand les moyens linguistiques le permettent. z La représentation de l’apparition du hibou n’a pas connu de changement : sauf à la 1ère collecte où plus de sujets ont recouru à l’existence du hibou, les choix entre le déplacement et la présence du hibou sont partagés. Tableau VIII - 36 (Représentation de l’apparition du hibou) 1ère collecte 2e collecte 3e collecte 2 0 0 + 6 11 11 - 14 11 11 Ø ↑hibou VIII.5.2 Les événements spatiaux secondaires VIII.5.2.1 L’importance des événements Nous réunissons dans la figure ci-dessous la fréquence des événements secondaires qui font défaut dans les corpus. Figure VIII -10 (Fréquence des événements secondaires : La Grenouille) 16 12 1ère 2e 8 3e 4 0 1' 2' 3' 4' 5' 6' 1ère 15 15 12 8 13 9 2e 11 12 9 11 15 2 3e 6 11 4 9 14 3 Les 6 événements secondaires portent sur 3 référents: la grenouille, le chien et le nid. 273 z Grenouille (1’) : de plus en plus de sujets ont abordé la situation de la grenouille (à travers le placement ou la localisation) au commencement du récit. L’établissement de cet ancrage spatial faciliterait la référence au parcours de la grenouille, même si le fond fait défaut dans l’énoncé de la fuite de cette dernière. z Chien : les événements concernés (2’, 3’, 6’) ont connu une baisse, ce qui reflète une attention croissante accordée au chien, l’ami fidèle du protagoniste. Et les sujets s’intéressent avant tout aux déplacements (la chute 3’ et la poursuite par les guêpes 6’), qui contribue à constituer la trajectoire du chien. z Ruche : moins d’attention est accordée à la ruche (4’, 5’). Entre la présence du nid et la poursuite du chien par les guêpes, il existe certes un lien, mais celui-ci est plutôt utile qu’indispensable. La présence des guêpes suffira pour introduire une attaque contre le chien, c’est en fait la solution de la plupart de nos apprenants. Il est à noter que dans l’épisode de la recherche dans la forêt, s’imbriquent deux aventures parallèles : celle du petit garçon qui rencontre successivement une taupe, un hibou et un cerf; et celle du petit chien qui s’amuse avec les guêpes. Traiter en même temps deux parcours représente une difficulté énorme dans l’organisation discursive, ce qui mène les sujets à faire des choix selon l’importance des événements par rapport à la trame. Les mêmes images illustrent le nid et sa chute, ainsi que le mouvement du garçon qui quitte le trou pour monter dans l’arbre, ainsi, les sujets ont choisi de se focaliser sur les activités du protagoniste au détriment des événements relatifs au nid, d’autant plus que ceux-ci n’impliquent pas de déplacement du chien. L’accent sera remis sur le chien dès qu’il effectuera un mouvement impliquant un changement d’emplacement, c’est pour cela que la poursuite du chien constitue l’événement secondaire le plus fréquent. VIII.5.2.2 La classification des sujets Nous allons adopter la même grille utilisée pour les événements-trame, pour classer les sujets en trois niveaux selon la fréquence des événements secondaires. Tableau VIII - 37 (Classification des sujets à chaque stade : événements secondaires) 274 I II III 1ère collecte 2e collecte 3e collecte 0Ø Cécile Violette Cécile, Julia, Louise, Marie, Océane 1Ø Louise, Marie David, Louise, Lydie, Océane, Quinaut Clara, Lydie, Sophie (3) (6) (8) 2Ø Alix, Eva, Julia, Lydie, Océane Alix, Cécile, Julia, Marie Alix, Claire, David, Eva, Théa, Violette 3Ø Claire, Clara, David, Violette Adèle, Claire, Clara, Eva, Léon, Sophie Adèle, Delphine, Quinaut 4Ø Delphine, Léon, Quinaut, Sophie Delphine, Laurent, Théa Hélène, Laurent (13) (13) (11) 5Ø Adèle, Hélène, Laurent, Sylvie, Théa Hélène, Sylvie Mélanie, Léon, Sylvie 6Ø Mélanie Mélanie (6) (3) (3) La variation du nombre des sujets reflète une progression continue durant les 3 collectes, surtout dans le groupe du ‘niveau avancé’ (I: 3 ;6 ; 8). Au stade avancé, 5 sujets ont fourni une production plus complète en abordant tous les événements secondaires. Ce qui a attiré notre attention, c’est le cas de Mélanie qui s’est passée deux fois de tous les événements secondaires : A la 1ère collecte, le chien n’a été mentionné qu’au début du récit, qui se développe tout autour du protagoniste. 1ère (Mélanie) il y a un garçon un chien et une grenouille … euh une nuit le garçon le [gar] quand le garçon se couchait avec son chien dans son lit A la 2e collecte, Mélanie a été un peu plus détaillée : mais entre le début de la recherche et la chute dans la mare, le parcours du chien reste toujours mystérieux. 2e (Mélanie) donc euh il a décidé de la chercher avec son chien … le cerf [ã] emmène le garçon et son chien euh près d’un étang et il les jette dans ce dans cet étang A la 3e collecte, elle a simplifié davantage la description sur le chien qui, absent tout au long du récit, n’a été mentionné qu’à la fin du récit. 3e (Mélanie) euh le garçon tait son chien … enfin le garçon rentre avec cette grenouille et son chien Durant les 3 collectes, Mélanie a accordé une place primordiale au garçon dans la 275 construction événementielle, au détriment au chien dont les traces ont été négligées, voire complètement dissimulées. Nous avons réuni les énoncés relatifs à la rencontre des animaux (taupe, hibou, cerf), produits par Mélanie durant les trois collectes, pour montrer que l’omission des événements secondaires n’est pas un hasard chez cette locutrice. Tableau VIII - 38 (Recherche dans la forêt : productions de Mélanie) Recherche dans la forêt 1ère collecte 2e collecte Rf - taupe *6a. euh ++ il a euh quand quand il euh quand il parlait à un trou 6b. euh euh un sou souci un sourit euh euh ++ euh sort un sourit a sorti de le trou Rf – hibou *7a. et puis il a + par il a parlé à un trou sur un sur un arbre 7b. mais cette fois un un hibou est sorti Rf - cerf *8a. + et puis il euh ++ il i il a encore parlé à un cerf un cerf 8b. euh ++ cette fois cette fois il y a un cerf *9a. un cerf euh + [apor] [apor] apportait le garçon + à euh le cerf a apporté le garçon à un endroit 9b. et il a ++ et il a tombé le garçon *12a. et il [∫] il trouve 12b. qu’il y a un trou dans euh la euh dans la terre *13a. il crie vers le trou 13b. mais cette fois ++ une souris se présente 13c. et il est étonné *14. et puis il a trouvé un trou dans un arbre *15a. et il croit que 15b. la grenouille euh + soit dans ce trou *16a. il crie vers le trou 16b. mais cette fois c’est c’est un hibon hibou *17. et puis euh il est monté sur un sur une grande pierre *18a. et il crie encore une fois 18b. euh cette fois c’est un cerf 18c. qui se présente *19a. le cerf le cerf [ã] emmène le garçon et son chien euh près d’un étang 19b. et il les jette dans ce dans cet étang 3e collecte *7a. il chercher dans un trou 7b. mais voilà une souris 7c. c’est pas le grenouille *8a. il cherche dans un tronc 8b. mais c’est pas le grenouille 8c. c’est le hibou *9. donc le garçon son grenouille partout dans le forêt *10a. voilà un cerf 10b. le cerf jette le garçon dans un étang Nous pouvons constater qu’au niveau avancé, la description de Mélanie est considérablement simplifiée par rapport aux deux premières collectes : le mouvement dynamique de la taupe et du hibou se réduit à un simple fait de l’existence (1ère : sortir ; 2e : se présenter/c’est ; 3e : voilà, c’est), et le mouvement déictique du cerf vers l’étang est omis (1ère : apporter + tomber ; 2e : emmener+jeter ; 3e : jeter). Les 276 informations spatiales sont éclipsées, et la construction en moyens linguistiques est devenue plus économe (prédicats dynamiques vs prédicats existentiels). La narration de Mélanie, produite au stade avancé, reflète « le mode de traitement minimal d’une tâche verbale complexe par un apprenant adulte » (Watorek, 1998 : 232), autrement dit, c’est qu’elle s’acquitte de cette production orale de façon minimale. Ce « traitement prototypique » influe sur la production langagière, la sélection et l’organisation de l’information, et conduit Mélanie à hiérarchiser l’information dans le discours, elle a donc choisi de ne s’intéresser qu’au protagoniste (le garçon) au détriment du chien, et de raconter une histoire simple et courte114, dans l’ordre chronologique des événements (rencontre avec la taupe, le hibou, et le cerf), en se servant de structures existentielles avec ellipse des informations référant à l’« intervalle spatial ». Même si Mélanie est censée disposer d’un répertoire langagier enrichi à ce stade, elle a choisi de construire le discours de façon prototypique, par une narration plus économe en moyens linguistiques, ce qui correspond aussi aux remarques de Watorek sur les descriptions spatiales produites par des apprenants avancés (1998 : 233). VIII.5.2.3 Le développement individuel La classification ci-dessus nous permet de confronter l’évolution de chaque sujet dans l’organisation des événements secondaires avec le développement individuel manifesté dans la représentation des événements-trame. Tableau VIII-38 (Développement individuel : événements – trame + secondaires) Evénements spatiaux-trame Evénements secondaires Progression remarquable Clara, Julia (III-II-I) Progression Océane, Lydie, Violette, Alix, Louise (II-I-I) Lydie, Océane, Violette (II-I-I) Hélène, David, Sophie (III-II-II) Théa, Adèle, Laurent (III-II-II) - Julia, Clara, Sophie (II-II-I) Delphine (III-III-II) Hélène (III-III-II) Marie (I-II-I) Cécile, Marie (I-II-I) Cécile, Eva (II-I-II), Sylvie (III-II-III) David, Quinaut (II-I-II) rapide évidente lente fluctuation 114 La durée du récit est passée de 6’48 min au stade initial à 2’23 min au stade avancé, ce qui fait de Mélanie la narratrice la plus « concise » dans les récits La Grenouille. Ce « traitement prototypique » est déjà appliqué par Mélanie dans son récit Le Cheval au stade intermédiaire, lequel, constitué de 9 propositions seulement, est la production orale la plus courte. 277 Maintien Dégradation Claire (I) Louise (I) Adèle, Quinaut, Mélanie, Théa (II) Alix, Eva, Claire, Delphine (II) Laurent (III) Sylvie, Mélanie (III) Léon (II-II-III) Léon (II-II-III) Par rapport aux événements-trame, nous remarquons, en calculants tous les événements (ceux relatifs à la trame et ceux qui sont secondaires), les mêmes tendances développementales individuelles: progression évidente ou fluctuation ou dégradation ou maintien du niveau. Une évolution similaire peut être observée chez les sujets suivants: - Océane, Lydie, Violette ont réalisé une progression évidente à partir du stade intermédiaire. - Marie et Cécile ont connu des fluctuations, en suivant différentes courbes. - Claire et Mélanie ont maintenu le niveau, mais elles ont accordé visiblement plus d’attention à la narration de la trame qu’au reste. - Léon a eu une dégradation au stade avancé, c’est le seul sujet qui ait fait « un pas en arrière », dans l’organisation des événements-trame ainsi que celle des événements secondaires. VIII.6. Constatations des comparaisons longitudinales - La représentation spatiale Dans la localisation statique ou dynamique, les francophones tendent à consacrer plus de détails au fond (la recherche dans la chambre au début du récit, ou la localisation de la grenouille par rapport au tronc dans le dénouement), ce qui permet de situer la figure dans un cadre spatial explicite, alors que les apprenants fournissent souvent une description synthétique, et cela, souvent à cause de la disponibilité limitée des ressources langagières. Quant aux prépositions spatiales, la confusion entre « dans » et « sur », « derrière » et « après » est observée et elle existe même au stade avancé, ce qui est déjà envisagé dans l’hypothèse 4 selon laquelle la conceptualisation de LM pourrait affecter la représentation spatiale en LS. Pour les déplacements, les francophones insistent avant tout sur la trajectoire, surtout 278 dans ceux avec franchissement de bornes, et ceux qui sont directionnels, mais si le mouvement montre une complexité à la vision du locuteur, impliquant, en plus de la trajectoire, l’information de manière (dans la montée de l’arbre) ou de cause (course du cerf vers la mare), il se peut que les natifs choisissent des prédicats exprimant plus d’une information, tels que grimper, jeter, projeter, remporter ; pour un événement où la façon de se déplacer joue un rôle primordial dans le développement de la trame, les natifs soulignent l’information de la manière (la course du cerf causant la chute du garçon). Dans tous les déplacements relatifs à la trame, les apprenants ont presque tout le temps privilégié la trajectoire, comme ce qu’expriment les natifs. La différence de représentation spatiale se situe à d’autres niveaux que le choix de prédicat : le marquage du fond (dans les déplacements de franchissement de bornes ou les déplacements descendants), la description d’un mouvement en hauteur par-dessus d’un obstacle (le déplacement par-dessus le tronc du garçon) et le choix de préposition (dans les déplacements ascendants), et là, l’intervention pédagogique et l’impact de la lexicalisation de la langue maternelle pourraient jouer un rôle important. - Le chinois, « langue à codage sur le satellite » ? Partie de la typologie dichotomique de Talmy, nous nous attendions à une concurrence entre manière et trajectoire dans la lexicalisation des procès en français chez les apprenants, surtout au stade avancé. Or, les résultats ont contesté les hypothèses (1, 2 et 5), car dans tout stade d’acquisition, c’est la trajectoire qui est mentionnée en premier par les apprenants dans tout type de déplacement (figures 4-6). « La trajectoire constitue en effet l’aspect le plus basique des déplacements, qui a le plus de conséquences pour l’organisation discursive, en ce qu’elle est indispensable pour situer les référents pendant le déroulement du discours » (Hickmann, 2008 : 163). En fait, notre anticipation se base sur la description du chinois en tant que langue centrée sur les satellites, mais elle est surtout une langue de constructions verbales sérielles (CVS), «une construction syntaxique dans laquelle plusieurs verbes sont accolés en séquence mais se comportent comme une seule unité verbale» (Frawley, 1992 : 344). 279 La structure de la CVS pourrait se résumer comme suit [Figure + (verbemanière + verbetrajectoire+V...) + Fond] La manière et la trajectoire sont toutes deux incarnées par un verbe, il est difficile de distinguer le verbe principal. C’est pour cela que Slobin a proposé dans son article « The many ways to search for a frog, linguistic typology and the expression motion events » (2004), de classer le chinois en tant que Equipollently-framed language, « in which both manner and path are expressed by “equipollent” elements – that is, elements that are equal in formal linguistic terms, and appear to be equal in force or significance». Par ailleurs, les CVS ne sont pas tout le temps mobilisées pour décrire les déplacements, comme ce que nous avons montré dans VIII. 3.2.1. Dans ces cas-là, c’est plutôt un verbe de trajectoire qui véhicule l’information spatiale, ce qui montre que la manière n’est pas toujours un composant indispensable dans la lexicalisation du procès. Si les Chinois ont l’habitude de décrire la manière du mouvement, c’est parce que la CVS rend plus facile l’empaquetage de manière et de trajectoire, dans la production en français, les apprenants manifestent une préférence pour les prédicats lexicalisant manière et trajectoire (grimper, s’échapper, etc.), mais quand les moyens linguistiques sont moins disponibles, ils choisissent prioritairement la trajectoire. Ainsi, nous pourrions peut-être même dire que le chinois est une langue CVS plutôt à cadrage verbal, ce qui pourrait aussi expliquer pourquoi l’influence de la LM dans la production en LS ne s’avère pas manifeste dans notre corpus. - Dans la perspective acquisitionnelle Nous avons remarqué un enrichissement des moyens linguistiques, au niveau de la dénomination des entités, de la mobilisation des prédicats, ainsi que dans la description des événements spatiaux. Dans d’ailleurs, une meilleure organisation discursive est observée chez l’ensemble des apprenants, malgré quelques fluctuations individuelles (VIII. 5). Ces comparaisons longitudinales issues des analyses détaillées permettent non seulement de dévoiler l’écart de formulation entre les apprenants et les natifs, mais aussi d’en trouver les origines, sous l’angle linguistique ou cognitif. Ce qui nous a surprise, c’est que cette étude basée sur des productions orales spontanées nous a donné la possibilité d’observer la capacité langagière des apprenants 280 manifestée en temps réel, laquelle pourrait bien être éloignée de la « compétence linguistique » qualifiée par des examens écrits : certains apprenants très « brillants » en écrit, sont beaucoup moins remarquables dans la représentation spatiale, au niveau de l’organisation de l’information spatiale ou celle des événements. Cela nous conduit, d’un côté, à des réflexions sur la méthode d’évaluation, jusqu’ici basée surtout sur l’écrit, qui pourrait masquer la véritable compétence langagière, et de l’autre, à des applications visant à modifier ou à améliorer l’intervention pédagogique, en faveur d’une meilleure acquisition des moyens linguistiques. 281 TROISIÈME PARTIE APPLICATIONS DANS L’ENSEIGNEMENT Chapitre IX Enseignement/acquisition de la spatialité en français IX.1. L’enseignement de la spatialité IX.1.1 Matériaux langagiers IX.1.2 Approche pédagogique IX.2. De l’acquisition à l’enseignement de la référence spatiale IX.2.1 L’acquisition de la spatialité en français IX.2.2 Vers un enseignement « visualisé » de la référence spatiale IX.3. Evaluation IX.3.1 Aperçu sur l’évaluation du français en milieu institutionnel IX.3.2 Vers un nouveau système d’évaluation basé sur Le Cadre européen IX.3.3 L’évaluation de l’acquisition de la spatialité 282 Nous avons choisi d’effectuer une étude sur la référence spatiale, car « être capable d’exprimer où se situe ceci ou cela, où s’est passé ceci ou cela, d’où vient ceci, où va cela, fait partie des aptitudes les plus élémentaires de tout locuteur. Toutes les langues naturelles ont développé un riche répertoire de moyens permettant d’exprimer la référence spatiale » (Klein, 1997 : 1). La représentation spatiale, fondée sur l’interaction complexe d’une multitude de facteurs eux-mêmes complexes, fournit un éclairage sur la façon dont les êtres humains perçoivent l’espace, et constitue ainsi une catégorie fondamentale de la cognition humaine. « Le langage comme véhicule de l’information spatiale doit être considéré à la fois comme moyen d’acquérir et comme moyen de transmettre des connaissances spatiales» (Denis, 1997 : x). Notre étude longitudinale a pour objet des étudiants qui, ayant déjà acquis le système de référence spatiale dans la langue maternelle, doivent apprendre à maîtriser les moyens linguistiques pour décrire l’espace dans une autre langue. Ces apprenants adultes, matures cognitivement parlant, se distinguent de jeunes apprenants par le fait qu’ils sont capables de raisonner de façon abstraite, de procéder à des classifications et des généralisations, ce qui les aiderait à formuler et à appliquer consciemment certaines règles de la langue étrangère à acquérir. Les résultats de nos analyses basées sur les corpus recueillis tout au long de l’apprentissage du français chez les étudiants, donnent lieu aux constatations suivantes : - premièrement, malgré la répétition et l’imitation, approches pédagogiques les plus courantes, les apprenants semblent restés « attachés » à certaines expressions spatiales tenaces (dans la localisation surtout), où nous pourrions trouver l’impact de la formulation en L1 ; - deuxièmement, la stratégie de précaution de l’enseignant, souvent appliquée afin d’éviter des formes condamnables, ne conduit pas nécessairement à une expression qui s’aligne sur celle des natifs ; - troisièmement, à notre grande surprise, les productions orales des apprenants 283 révèlent d’un côté une compréhension insuffisante des champs sémantiques des prédicats (principalement dans les déplacements), de l’autre, le fait que certains moyens linguistiques, censés être disponibles, ne peuvent pas être facilement activés par les apprenants, qui se contentent d’expressions très courantes, sémantiquement moins chargées ; - Finalement, ces phénomènes ont été détectés durant notre étude empirique sur le terrain, et les productions orales ont démasqué des zones de difficultés d’acquisition, que l’on croyait pouvoir franchir par l’enseignement. Tout cela est foncièrement hors de la prévision de l’enquêtrice, elle-même enseignante. Etre équipé d’un riche répertoire linguistique et savoir le mobiliser de façon pertinente sont deux choses différentes. « Qui apprend une seconde langue doit acquérir des formes nouvelles pour des idées et des usages déjà connus » (John-Steiner, 1990 : 103). Mais, l’acquisition de ces formes nouvelles n’équivaut pas à une simple transformation de code entre L1 et L2. Le processus acquisitionnel s’avère beaucoup plus profond qu’une traduction littérale, apprendre une langue étrangère, c’est aussi apprendre à interpréter le monde sous un autre angle. Dans la représentation spatiale, les Français et les Chinois ne partagent pas constamment leur conceptualisation de l’espace, tant dans la localisation que dans le déplacement, ce qui engendre des difficultés dans l’acquisition de la spatialité en français. Les résultats issus de nos analyses invitent à nous interroger sur le rôle de l’enseignant et à envisager des interventions plus appropriées pour favoriser l’acquisition des moyens linguistiques, compte tenu du fait que les restructurations à opérer ne sont pas seulement linguistiques, mais aussi conceptuelles. IX.1. L’enseignement de la spatialité Nous commençons par exposer le sort qui est fait à la référence spatiale dans les matériaux linguistiques, ainsi que le traitement de la spatialité en classe, pour fournir une caractérisation de l’exposition aux données relatives à l’espace en français. IX.1.1 Matériaux langagiers 284 Les matériaux linguistiques, beaucoup plus faciles à décrire, permettent de mieux observer l’entrée des données relatives à la référence spatiale en français (input), par rapport à l’approche pédagogique, matérialisés par les comportements mêmes de l’enseignant durant la transmission de connaissances langagières. Dans notre cas, c’est le manuel employé en milieu institutionnel qui constitue le principal support que nous allons analyser. Dans l’enseignement du français, les manuels rédigés en Chine sont préférés en milieu institutionnel chinois, parce qu’ils s’avèrent « plus appropriés et plus adaptés aux apprenants chinois » (Pu, Lu & Xu, 2005 : 72). L’Université des Langues étrangères de Pékin (Beiwai), ayant pris en compte les conditions subjectives des apprenants (LM, LE déjà apprise, niveau d’éducation), les exigences objectives de l’enseignement (objectif à atteindre, durée des études), ainsi que les difficultés des apprenants chinois, a conçu elle-même le manuel intitulé Le français, destiné aux étudiants de français de spécialité pendant les deux premières années d’études universitaires. Il s’agit du fruit d’un travail collectif basé sur des observations faites et des expériences accumulées durant l’enseignement, positives ou négatives. Le manuel Le français composé de quatre tomes dont chacun correspond à un semestre, est centré sur la grammaire : chaque leçon débute par un(des) texte(s) chargé(s) de points grammaticaux, suivie d’un vocabulaire avec sa traduction en chinois sur la page en vis-à-vis115. Le manuel a pour tâche principale l’explicitation et la consolidation des connaissances grammaticales, qui occupent évidemment la place primordiale dans la leçon : une grande partie est réservée à l’explication détaillée en chinois, couplée à des exercices structuraux visant à mettre en pratique les règles grammaticales ainsi que des expressions utiles de la leçon. Ce sont surtout des exercices écrits (exercices à trous, questions-réponses, thème et version, etc.). La leçon se termine souvent par une lecture, dotée aussi d’un vocabulaire des mots inconnus. 115 En Chine, le vocabulaire constitue une approche très courante des rédacteurs de manuels, un moyen considéré comme direct et efficace d’étendre le lexique de l’apprenant, celui-ci, à la rencontre d’un mot inconnu dans le texte, pourra l’identifier selon la traduction en chinois. 285 Les auteurs expliquent dans l’avant-propos : « Ce manuel a un caractère à la fois original et vivant. Nous essayons dans la rédaction du manuel de nous débarrasser de la méthode traditionnelle qui néglige la pratique et de créer un style novateur aussi bien dans la structure des textes que dans les exercices et les notes ». Durant la documentation, les auteurs se sont beaucoup appuyés sur des manuels étrangers, tels que Sans frontière, Nouveau sans frontière, la Civilisation française, Espaces, etc. Des textes originaux ou authentiques ont été employés, mais avec des adaptations « pour qu’ils soient cohérents avec la progression grammaticale». En chinois, la référence au temps est assurée par les adverbes, et n’implique pas les variations morphologiques de verbes, ainsi la temporalité occupe une place centrale de la grammaire, et la spatialité ne mérite pas une attention particulière : ni la localisation ni le déplacement n’ont fait l’objet d’une explicitation spécifique, les prépositions de lieu et les verbes de mouvements sont introduits dans les dialogues ou textes, avec la traduction en chinois dans le vocabulaire. La spatialité est enseignée non pas en tant qu’un système linguistique pour exprimer un domaine d’expériences (sur l’espace), mais seulement comme des éléments de vocabulaire, comme si la référence spatiale n’était que dans le lexique. IX.1.1.1 Prépositions de lieu Le tableau ci-dessous réunit les prépositions qui font l’objet de notre étude longitudinale (« sur », « dans », « devant », « derrière », « entre ») ainsi que celle qui est très courante (« sous »), avec les contextes de leur apparition dans Le français. Tableau IX - 1 ( Prépositions de lieu dans Le français) Préposition Contexte - C’est bien meublé, votre chambre ? sur - Oui, d’ailleurs, notre chambre donne sur un joli jardin, avec des Leçon 12 (tome 1) arbres. - Combien êtes-vous dans votre classe ? dans - Nous sommes quinze dans notre classe, il y a sept filles et 8 Leçon 10 (tome 1) garçons. devant - Puis, vous continuez avec le bus 332. Il passe devant l’Université de Beijing. Leçon 1 (tome 2) 286 derrière Au rez-de-chaussée, c’est une immense porte, haute, large, derrière Leçon 4 (tome 2) la porte on doit se sentir en sécurité. - Est-ce que vous avez parlé français entre vous ? entre - Oui, oui, la plupart du temps, nous avons essayé de parler entre Leçon 15 (tome 1) nous. - Nous t’écoutons. sous - Eh bien, grosso modo, la France se présente sous la forme d’un Leçon 7 (tome 2) hexagone presque régulier de 1000 kilomètres à peu près. Les prépositions en question sont réparties dans différentes leçons, souvent introduites dans des situations qui ne portent pas sur l’espace (c’est le cas de « dans », « entre » et « sous »), ce n’est qu’au 2e semestre que les apprenants rencontrent des prépositions renvoyant à un rapport spatial proprement dit (« derrière », « devant »). - C’est une belle chambre. Oui, je la trouve très bien. Tu vois, il y a deux tables, deux lits, deux chaises, deux étagères et deux grands placards. C’est bien meublé, votre chambre. Dans Le français, les illustrations ne sont pas nombreuses. Dans la leçon 12 (tome 1), l’image représentant l’espace de l’intérieur d’une chambre, est accompagnée d’une pure description qui liste les objets, sans aucune relation spatiale. Cette façon de décrire pourrait conduire les apprenants à adopter la même présentation dans l’exercice oral de la même leçon (ci-dessus, exercice 10, jeu de dialogue), autrement, cet exercice pourrait bien se réduire à une énumération de meubles dans le jeu de dialogue, qui aurait pu être un exercice invitant à une description spatiale détaillée. Les exercices sur les prépositions se présentent souvent sous forme d’exercices à trous, 287 et ne renvoient pas particulièrement à la spatialité, ainsi, nous l’avons remarqué dans les phrases 1, 2, 3 et 6. (ci-contre Le français Tome 1, leçon 15). Ce bref aperçu montre qu’il existe un vrai hiatus entre la présentation des prépositions et leurs traits sémantiques. Les auteurs, en étant conscients, ont apporté des modifications dans la version révisée du manuel, parue en 2004. Nous revenons sur les six prépositions qui nous intéressent en particulier. Tableau IX - 2 (Prépositions de lieu dans Le français – version révisée) Préposition Sur Sous Dans Devant Contexte - Sur ton bureau, qu’est-ce que c’est ? - Ce sont mes cahiers et mes livres. - Et sous la table, qu’est-ce que c’est ? - Ce sont mes affaires. Leçon 8 (Dans la rue) : comme description de l’arrière-plan Leçon 4 - L’Université des Langues étrangères, c’est bien ici ? - Oui, c’est devant vous. Derrière116 - Entre - Malgré Leçon 9 l’absence prépositions « derrière », constater des « entre » nous une et pouvons meilleure contextualisation spatiale pour les prépositions, surtout pour « sous » et « sur » (tome 1, leçon 8, version révisée), lesquelles sont d’ailleurs accompagnées d’une image permettant de visualiser plus ou moins les relations spatiales incarnées. 116 La version révisée du français (tomes 1 et 2) n’a pas présenté les prépositions « derrière » et « entre », celle des tomes 3 et 4 sont à paraître. 288 Par ailleurs, des exercices d’audition sont intégrés dans la nouvelle version, nous en avons relevé un dans la même leçon 8, qui porte sur la localisation (ci-contre, exercice 3). Pourtant, l’exercice consistant à identifier les endroits concernés, ne met pas en relief les rapports spatiaux. De même, l’exercice oral dans la même leçon, ayant pour but d’inciter les apprenants à décrire l’image avec les mots et expressions donnés, ne met pas en priorité la spatialité. IX.1.1.2 Verbes de déplacement Comme les prépositions de lieu, les verbes de déplacement n’ont pas mérité non plus une attention particulière dans le manuel. Ils sont introduits ou présentés « un peu au hasard », selon les besoins du texte ou au service de la grammaire, et les traits spatiaux incarnés par le déplacement ne sont pas mis en valeur. Par exemple, les verbes arriver, partir, venir, tomber et revenir sont introduits dans la leçon 13 (tome 1), mais ces verbes de base pour les déplacements sont introduits, non pas pour illustrer un événement, mais pour aborder les 4 saisons, dans une acceptation métaphorique ! Bien que 12 verbes de déplacement soient réunis dans la leçon 16 (tome 1), ils figurent parmi les verbes avec être comme auxiliaire au passé composé, destinés aux règles grammaticales, le 289 trait dynamique du mouvement se réduit à de simples flèches dans la figure. Dans l’expression du mouvement, le français encode la trajectoire et le mouvement dans la racine verbale, la manière du mouvement est indiquée par une structure périphérique, attachée au noyau verbal. Les verbes de déplacement s’avèrent des candidats idéals pour caractériser la fonction du gérondif qui exprime souvent la manière dans la lexicalisation du procès. Dans Le français (tome 3), nous avons relevé en effet des exemples de structure [Vtrajectoire+Vmanière en gérondif ](tomber en courant), répétés d’ailleurs trois fois, mais pour insister sur la relation temporelle, avec courir en tant que cause plutôt que manière. La formulation destinée avant tout à l’explication grammaticale, la valeur de la lexicalisation du procès est laissée de côté. IX.1.2 Approche pédagogique Les comportements tant des enseignants que des élèves sont en partie conditionnés par leurs représentations linguistiques. Non seulement les choix pédagogiques fondamentaux qui sous-tendent une méthode, mais aussi (et peut-être surtout) l’ensemble des petits choix limités et spontanés que l’enseignant ou l’élève effectuent au cours de leur travail (par exemple en donnant une explication ou en formulant une question) renvoient à une conception plus ou moins élaborée et explicite du langage en général et de la langue enseignée en particulier. (Berthoud & Py, 1993 : 5) Si dans le milieu institutionnel chinois, les données langagières sont fondamentalement déterminées par le manuel, l’ensemble des processus est soumis à l’intervention pédagogique : le langage de l’enseignant et son approche pédagogique jouent un rôle important dans la transmission des connaissances. L’enseignement du 290 français est celui de la grammaire et du vocabulaire : toute la procédure en classe est planifiée et organisée en vue de mettre en valeur la grammaire et d’apprendre des mots, des formes et des tournures. Dans tout ce processus, la L1 est largement employée par l’enseignant dans l’explication des règles grammaticales et des structures (donc sur les connaissances métalinguistiques), afin d’éviter toute ambiguïté, surtout au stade initial. Il est à noter qu’au fur et à mesure de l’apprentissage, l’enseignant tend à renforcer le dosage de français en cours, dans l’explication des règles grammaticales ainsi que celle des textes, et au niveau avancé, le cours est censé se dérouler tout en français. Néanmoins, pendant les deux premières années d’apprentissage à partir du manuel Le français, le recours au chinois est conçu comme un processus nécessaire pour construire les connaissances métalinguistiques sur le français, c’est ce que nous avons constaté dans les relevés des données du manuel et observé dans l’intervention de l’enseignant. Les activités d’apprentissage sont pratiquées dans ce contexte éducatif fondé essentiellement sur la grammaire et le vocabulaire : la première est « consolidée » par d’abondants exercices de structures grammaticales, et le second, souvent sous forme de phrases à traduire, à l’oral ou à l’écrit, dont les propositions des apprenants sont jugées par l’enseignant (« correct / faux »). Ainsi, le cours du français se réduit, dans la plupart des cas, à cet apprentissage basé sur la grammaire et à un nombre important d’exercices de traduction. L’enseignant s’interroge rarement sur l’organisation du manuel et l’approche pédagogique mise en oeuvre. Pourtant, avec la mise en service de l’équipement informatique (ordinateur + projecteur), et la publication de la nouvelle version du manuel (tomes 1 et 2), l’enseignant est mené aussi à mobiliser des approches pour présenter les données linguistiques de façon dynamique et en favoriser ainsi l’apprentissage à travers l’interaction. Prenons comme exemple la leçon 8 intitulée « Faire du rangement » (tome 1, version révisée), dont les textes sont rédigés pour enseigner les adjectifs possessifs. Dans cette 291 leçon, qui s’avère propice pour introduire la relation spatiale, l’enseignant recourt au diaporama, fait pour les contenus de la méthode, en voici une page PowerPoint: C’est une chambre Qu’est-ce qu’il y a dans cette chambre? un lit des chaises des peintures une table La peinture « La chambre de Van Gogh à Arles » est choisie pour présenter les objets : lit, chaise, tableaux, table, dont l’identification est passée directement de l’image à la représentation verbale117, cette présentation par le biais d’une oeuvre d’art connue mondialement, révèle donc un double avantage, pédagogique et culturel118, et suscite par ailleurs l’attention et l’intérêt des apprenants. Pourtant, l’enseignant pourrait bel et bien aller un peu plus loin pour aborder les rapports spatiaux dans cette leçon, nous allons en donner notre proposition un peu plus tard119. Avec la leçon 17 « Le rythme de la vie » qui porte sur les verbes avec être comme auxiliaire au passé composé, l’enseignant se sert d’un diaporama qui réunit les verbes, Les verbes avec « être » comme auxiliaire dans le but de faciliter la mémorisation des verbes concernés 120 . Nous pouvons remarquer dans ce diaporama destiné à transmettre les informations grammaticales, une combinaison de la temporalité avec la spatialité : le passé composé est bien relié à une trajectoire composée de plusieurs déplacements. L’enseignant, pour mieux montrer les mouvements impliqués, enchaîne l’image 117 L’enseignant pointe les objets concernés en les identifiant, et demande aux apprenants de répéter avant de faire apparaître l’écriture des items introduits. 118 L’enseignant en profite pour parler du peintre Van Gogh, de sa vie, de la réalisation de cette peinture, dont la présentation est en partie en français, suivant le niveau de compréhension des apprenants. 119 voir IX.2.2.1, p.303. 120 Après, les apprenants sont invités à recopier l’image, la plupart ont pu bien la reproduire. 292 statique ci-dessus avec un autre diaporama qui contient des images animées (pour naître, aller et revenir, partir, monter et descendre), lesquelles, destinées à « réitérer » l’emploi du passé composé, illustrent les traits dynamiques des verbes. Il est né. Il est allé et il est revenu. Il est arrivé et il est entré. Il est monté et il est descendu. Il est parti. Il est resté et il est devenu très triste. Il est tombé. Il est sorti. Il est mort. Grâce à l’assistance informatique, l’enseignant s’appuie sur des images prototypiques pour créer des contextes favorables à la transmission des données, mais cela, pour parler en priorité de la grammaire, plus précisément, de la morphosyntaxe. Cette approche pédagogique, bien appréciée par les apprenants, a montré aussi des effets sur l’efficacité de l’enseignement. Néanmoins, une meilleure application pourra être envisagée, en vue d’inciter une participation encore plus active des apprenants dans la description spatiale, c’est ce que nous allons aborder dans la section suivante. IX.2 De l’acquisition à l’enseignement de la référence spatiale A partir des relevés effectués sur le manuel en vigueur, et de l’approche pédagogique pratiquée en cours, nous avons caractérisé l’entrée (input) des données relatives au domaine spatial dans l’enseignement du français en Chine, ce qui conduit à la constatation que les apprenants chinois apprennent le français dans un milieu surtout « captif », et que « leur système linguistique s’est développé à partir des informations sélectionnées, ordonnées et massées sur la LC, fourni par l’apprentissage guidé.» (Paprocka-Piotrowska, 1998 : 73) Il résulte de ce système de transmission de données linguistiques que pour de nombreux apprenants, apprendre le français, c’est avant tout mémoriser les règles grammaticales et les mots, et pratiquer le français, c’est une 293 traduction de mots entre le chinois et le français. « Tout se passe comme si le vocabulaire d’une langue était un répertoire d’étiquettes collées sur des objets (concrets et abstraits) d’un monde qui précède le langage. Dans cette perspective, apprendre une langue étrangère, c’est substituer un répertoire d’étiquettes à un autre ». (Py, 1993 :13) Dans la perspective acquisitionnelle, l’enseignement du français en Chine révèle une double faiblesse : d’un côté, les manuels centrés sur la grammaire, et l’intervention pédagogique basée surtout sur les descriptions métalinguistiques, laissent de côté l’aspect communicatif et pragmatique de la langue ; de l’autre, façonnées comme « prêts à porter », les démarches pédagogiques en classe semblent ignorer le fait que tous les apprenants disposent chacun de leur propre mécanisme pour s’approprier de connaissances linguistiques, les situant ainsi au second plan par rapport à la place dominante de l’enseignant. Sur le plan de la spatialité, l’enseignement du français étant davantage centré sur la grammaire dont une grande partie est réservée à la temporalité, domaine considéré comme privilégié à cause de l’absence des moyens de morphologie temporo-aspectuelle en chinois, la spatialité, censée être un concept cognitif déjà « acquis », fait rarement l’objet d’un enseignement explicite. Ainsi, dans la représentation de l’espace, les apprenants se contentent de « plaquer » sur le français les catégories et des schémas propres au chinois. Une étude sur le terrain a pour avantage d’observer de façon objective le processus d’acquisition des apprenants à travers des données produites, les énoncés en L2 où on voit les résultats de l’apprentissage. Notre étude empirique sur la référence spatiale en français a donc, en révélant les zones de difficultés dans l’acquisition, éclairé le fait que le processus de transmission de données linguistiques n’en assure pas l’acquisition, et que la possession des moyens linguistiques ne suffit pas à garantir la capacité de l’apprenant à communiquer hors de la classe. C’est cette constatation qui nous pousse à consacrer cette dernière partie à des propositions visant à trouver « les angles d’attaque » possibles de l’enseignement, en vue d’optimiser le processus 294 d’acquisition de la spatialité en français. IX. 2.1 L’acquisition de la spatialité en français Apprendre une langue suppose donc bien autre chose que l’application d’un nouveau répertoire d’étiquettes à une réalité préexistante, elle signifie une remise en question d’une conception du monde, des relations entre des valeurs et des formes linguistiques. (Berthoud & Py, 1993 : 91) L’acquisition d’une L2 est un cheminement qui va d’un système de signes à un autre, mais il s’agit d’un processus cognitif beaucoup plus profond qu’un simple changement de code, cela ne se limite pas à appliquer des formes spécifiques et nouvelles de la L2 à des fonctions familières de la L1. Selon Berthoud, c’est une procédure qui « implique une reconstruction du mode d’appréhension du réel, une restructuration, une transformation du rapport langage/connaissance » (ibid.). La langue véhicule les interprétations du monde partagées par les membres d’une communauté linguistique, et les structures cognitives sont déjà filtrées par la langue et la pratique langagière lorsqu’elles infléchissent les structures linguistiques. Autrement dit, la langue sert de filtre qui canalise l’information, incitant les locuteurs à prêter plus ou moins d’attention à différents aspects de la réalité. La démarche de l’enseignement du français en Chine, qui semble partir d’une conception de la langue comme un répertoire d’étiquettes, reste discutable sous les angles linguistique et acquisitionnel, car les connaissances en français sont beaucoup plus riches et variées qu’un réseau composé de vocabulaire et d’un système grammatical, réversible par un simple changement de code. Il s’agit de « regrouper autrement les objets du monde et de construire de nouveaux modèles de la réalité » (Berthoud & Py, 1993 : 14). A partir du modèle de Levelt (1989), nous pouvons mieux comprendre l’impact de l’enseignement sur la production orale en français. Il s’agit d’un traitement composé de 3 étapes majeures, comme ce qu’illustre la figure ci-dessus : la conceptualisation, 295 la lexicalisation et l’articulation. Schéma IX -1 (Traitement au cours de la production de la parole – modèle de Levelt) Préparation conceptuelle Lexicalisation Encodage sémantique et syntaxique Lexique Mental Encodage morpho-phonologique Système articulatoire Les productions linguistiques chez les apprenants chinois révèlent que les difficultés se trouvent plus au niveau sémantique que syntaxique, le choix de l’information par rapport au contexte à décrire cause plus de problèmes : préposition, verbes dynamiques ou la combinaison entre ces deux éléments. Etant donné la situation actuelle de l’enseignement du français en Chine, laquelle se caractérise par le recours récurrent du chinois dans la transmission de données linguistiques (input), lors de la production, orale ainsi qu’écrite, les apprenants prennent souvent l’habitude de chercher à traduire ce qu’ils ont à dire en français, ce qui conduit à une double conséquence : d’un côté, l’étape de lexicalisation prend plus de temps car s’ajoute à l’accès lexical, composé de codage sémantique et syntaxique et de codage morpho-phonologique, un changement de codage entre lemmes en chinois et lemmes en français ; Schéma IX-2 (Traitement au cours de la production de la parole chez les apprenants 296 chinois) Préparation conceptuelle Lexicalisation Encodage sémantique et syntaxique Lexique mental Lemmes en français Lemmes en chinois Encodage morpho-phonologique Système articulatoire La seconde conséquence est que la récupération du lexique mental semble plus risquée, car la réussite du changement de codage dépend de la cohérence de propriétés sémantiques entre l’item en LM et l’item en LE, ce qui n’est pas toujours le cas. Nous pouvons distinguer au moins trois cas, basés sur les analyses des données de nos corpus : i) Lorsque les traits sémantiques de l’item en chinois coïncident avec ceux de l’item en français, la traduction conduit à l’accès lexical pertinent. 297 ii) Quand l’item en chinois correspond à plus d’un item en français (comme le mot 栅栏-zhàlán peut être traduit comme « barrière » et « grille ») dont les traits sémantiques se superposent, la récupération s’avère plus risquée, car il faut savoir activer le bon terme en français. iii) Il arrive que le message à verbaliser renvoie à une propriété sémantique qui constitue l’intersection de propriétés sémantiques d’un item en chinois et un item français, qui n’est pas sa traduction littérale (c’est le cas de concurrence entre 上-shàng et 里-lǐ), dans ce cas, la mobilisation de l’item en français est encore plus périlleuse par le biais de la traduction. La stratégie de traduction, massivement utilisée lors de la production, écrite comme orale, trouve son origine dans l’environnement de l’enseignement. Ce repli sur le chinois repose pourtant sur l’hypothèse que le chinois et le français partagent une même conceptualisation de l’espace. Si c’était le cas, la traduction « mot à mot » se montrerait une solution possible et pertinente, mais dans le cas contraire, quand la représentation des deux langues traduit une pensée différenciée, une traduction littérale peut engendrer des problèmes, tels que ceux relevés dans notre étude. Afin d’éviter ce genre de traitement par le biais de la traduction durant l’étape de lexicalisation, coûteux et risqué, sera mise en application une approche dite « visualisée » dans l’enseignement, composée de deux étapes : lors de l’entrée des données, des images « prototypiques » ou « typiques » établiront une connexion directe entre les concepts et les idées à exprimer et la représentation verbale en français, à travers des entraînements, toujours basés sur message des supports visuels, celle-ci sera stockée en mémoire dans le lexique mental, dont l’activation sera vérifiée au cours de la seconde étape visant à en vérifier l’appropriation dans des activités langagières. Pour ce Lemmes en français faire, il nécessaire d’élaborer tout un système basé sur le stimulus visuel servant de support pour que la représentation mentale (message) aboutisse à la représentation lexicale dans la langue cible (lemmes en français), sans 298 intermédiaire de la LM - le chinois, les relations conceptuelles deviennent ainsi des associations directes entre items lexicaux, et la perception assure donc le passage de la fonction à la forme. IX.2.2 Vers un enseignement « visualisé » de la référence spatiale Nous avons la possibilité d’influencer le processus acquisitionnel sous l’angle de l’entrée des données linguistiques. Etant donné la situation actuelle de l’enseignement du français en Chine, il serait illusoire de changer radicalement le manuel basé sur la grammaire à brève échéance. Ce que nous pourrions modifier, c’est l’autre aspect déterminant de l’entrée, les approches pédagogiques, car elles sont plus aisées à manipuler. En Chine, aujourd’hui encore, l’enseignant s’avère la figure centrale en classe de LE : il est « meneur du jeu, porteur de connaissances et juge des prestations » (Coste, 2002 : 17). Et nous envisagerons un changement de rôle de l’enseignant qui, au lieu d’un simple « transmetteur » de données métalinguistiques, deviendra déclencheur du dispositif d’acquisition chez les apprenants, en créant les conditions adéquates pour que soit mis en oeuvre le talent inné de ceux-ci, et en fournissant le matériel linguistique nécessaire à cet effet. Il étudiera et prendra en considération les circonstances dans lesquelles les apprenants seront amenés à mettre en pratique leurs connaissances, en vue d’optimaliser le processus d’acquisition. En bref, l’enseignant fournira en classe, les outils aux apprenants pour appréhender et interroger la langue à apprendre, au lieu de leur proposer simplement des échantillons de langue. Les résultats issus de nos analyses détaillées sur l’acquisition de la spatialité en français, l’état des lieux de l’enseignement du français en Chine, permettent de suggérer quelques principes, concrétisables au plan pédagogique, visant à créer un contexte d’acquisition plus favorable. - Les apprenants seront mis au coeur de l’enseignement, en jouant pleinement le rôle d’acteurs de l’apprentissage et utilisateurs de la langue. L’enseignant qui déclenche le processus d’apprentissage, sera à l’écoute des apprenants, qui ont 299 l’habitude d’être soumis à l’écoute de ce dernier. - A partir des données linguistiques déterminées par le manuel, l’enseignant envisagera des « contextes visuels » dont la représentation conceptuelle aidera les apprenants à appréhender et structurer les connaissances linguistiques en champs sémantiques, tout en résistant au recours solitaire au chinois dans l’explication et au penchant habituel sur de pures descriptions métalinguistiques. - Accorder une attention privilégiée à la mise en application des moyens linguistiques, surtout à l’oral. Pour ce faire, seront proposées en classe des activités langagières pragmatiques et interactives, lesquelles permettront d’établir et de densifier les liens entre éléments des champs sémantiques. Cette approche pédagogique dite « visualisée » consiste à préparer les conditions nécessaires au déclenchement du processus d’acquisition, et à laisser les apprenants interpréter eux-mêmes le fonctionnement des données linguistiques qu’ils sont en train d’acquérir à un moment de l’apprentissage. Nous allons nous appuyer sur les prépositions et les prédicats qui font l’objet des difficultés dans notre étude longitudinale, pour illustrer cette approche basée sur l’image. Ce sont des matériaux élaborés par nous-même, l’auteur de la présente thèse, lesquels sont disponibles pour être utilisés dans l’enseignement du français à venir. IX.2.2.1 - Prépositions de lieu 1ère étape : Matériaux pédagogiques (sensibilisation) 300 Un document est conçu121 pour réunir les prépositions de lieu usuelles : « sur », « sous », « dans », « devant », « derrière », et « entre », celles-ci ne sont pas associées à la traduction en chinois dans le vocabulaire, mais aux propriétés sémantiques illustrées par des images « prototypiques ». Cette première étape vise à mettre en valeur différentes relations spatiales à travers la perception, lesquelles sont reliées directement à leur représentation en français. - 2e étape : intervention pédagogique (transmission → consolidation) Maintenant, à l’enseignant de jouer son rôle de « déclencheur» de l’apprentissage de données linguistiques pour qu’elles soient appropriées (consolidation) et le cas échéant, le rôle de guide dans le développement linguistique (l’extension et la comparaison). Au lieu de recourir au chinois pour expliquer « le signifié » de chaque préposition, l’enseignant s’appuie sur des images (i) ou des activités langagières en classe (ii et iii) pour faire incorporer les rapports spatiaux qu’incarne chaque préposition. Tableau IX - 3 (Intervention pédagogique : prépositions de lieu) Public Objectifs Durée estimée Fonctionnel : Débutants 1. localiser les objets 2. exprimer les relations spatiales Nombre de séance : 1 Notionnel : Durée totale : 50 minutes 1. les prépositions de lieu : sous, sur, dans, devant, i) introduction (10 minutes) derrière, entre (éventuellement en face, à côté, près ii) exercices (20) de) et les adverbes de lieu : là-bas, ici iii) travail en équipe (20) des objets courants de la vie : crayon, stylo, cahier, Production attendue : orale (stade initial) 2. feuilles de papier, règle, table, chaise, tasse, etc. 3. structure avec le pronom interrogatif « où » : où est... Déroulement de la séance i) Clip « Où es-tu ? 122» ( 10 minutes) L’enseignant fait passer le clip « Où es-tu ? » pour introduire les prépositions qui servent à marquer la relation entre le petit bonhomme et la boîte. Ce clip a un double 121 Qui pourrait être présenté dans la leçon 8 « Faire du rangement » (Le français, tome 1 – version révisée), distribué aux apprenants avant la séance. 122 Clip d’où on a retiré les images, présentées en page précédente. 301 avantage : il illustre de façon claire et dynamique les rapports spatiaux, déjà présentés dans le matériel langagier, et de l’autre, il aborde aussi les adverbes de lieu « là-bas » et « ici ». Après avoir passé deux ou trois fois le clip, trois tours de questions-réponses seront entamés autour du même clip dont le son est enlevé: - On répète les mêmes questions du clip, les apprenants sont censés pouvoir identifier les rapports spatiaux et répéter les mêmes réponses. Où es-tu ? - Sous la boîte - Sur la boîte - Dans la boîte - Devant la boîte - Derrière la boîte - Entre les boîtes. Mais où est la boîte ? - Elle est là-bas. - Elle est ici. - On demande aux apprenants de répondre avec une phrase complète. Où es-tu ? - - Je suis sous/sur/dans/devant/derrière/la boîte, entre les boîtes. On change le sujet dans la question, avec « où est l’homme ? » Où est l’homme ? – L’homme(Il) est sous/sur/dans/devant/derrière/la boîte, entre les boîtes. ii) Activités langagières (20 minutes) - L’enseignant introduit des objets courants (crayon, stylo, cahier, feuilles de papier, règle, table, chaise, tasse, etc.) en les présentant aux apprenants avant de jouer cache-cache avec tous ces objets en posant la question « où est... ? » Où est le crayon ? - Le crayon est sous les feuilles de papiers. Où est le stylo ? - Le stylo est dans la tasse. Où est la règle ? - La règle est sous la table. (...) - L’enseignant continue cette activité en interaction, mais cette fois avec la 302 localisation de personnes, afin d’appliquer « devant », « derrière » et « entre », et d’aborder d’autres expressions spatiales telles que « à gauche », « à droite », « en face », « à côté », « près de », etc. Où suis-je ? - Vous êtes devant/derrière la table. Où est X (apprenant A)? - Elle est entre Y (apprenant B) et Z (apprenant C). (...) iii) : Travail en équipe (20 minutes) La peinture de Van Gogh sera présentée pour aborder la relation spatiale sur l’axe verticale, incarnée par « à », avant de faire l’objet d’un travail en équipe. Schéma IX-3 (Travail en équipe : « La chambre de Van Gogh à Arles ») 303 Introduction des objets Un tableau, des tableaux Un miroir Une porte Un torchon Un coussin Une table Un lit Une chaise Une couverture Présentation des rapports spatiaux Le miroir est au mur. Les tableaux sont au mur. Le torchon est au mur. La chaise est devant la porte. Il y a une chaise entre la table et le lit. ... Application : présenter le tableau Un travail collectif, à l’issue duquel, chaque groupe présente à l’oral « La chambre de Van Gogh à Arles ». Ce genre d’activité langagière est l’occasion idéale aux apprenants de mettre en oeuvre les moyens linguistiques. D’après Krashen (1980), quand les adultes apprennent une L2, « toute connaissance formelle de la langue ne leur sert, que si elle est associée à des occasions de l’utiliser dans des situations de communication dont ils tirent une satisfaction personnelle123». - 3e étape : extension et comparaison Il s’agit d’une étape où l’enseignant, par expérience et observation en classe, anticipe 123 Cité par John-Steiner (1990 : 105). 304 des zones de difficultés et se sert de supports en images pour solliciter la réflexion chez les apprenants, qui procèdent à une comparaison des champs sémantiques des prépositions qui font souvent l’objet de la confusion. z Sur / à / au-dessus Les relations en question sont réunies dans la même image qui contrastent les nuances des traits sémantiques des prépositions : chat – table (1), ventilateur – plafond (2), tableau – mur (3), mouche – tableau (4), ventilateur – chat (5). Il s’agit de 5 rapports spatiaux différents incarnés par trois prépositions en français, alors qu’en chinois, ils sont représentés sans distinction par le locatif 上-shàng, d’où la difficulté de choix pour les apprenants chinois (voir chapitres VII et VIII). 1) Le chat est sur la table. Selon Vandeloise, « si a est sur b, la cible est généralement plus haut que le site » (1986 : 187), cette relation correspond à l’image prototypique du locatif 上. 2) Le ventilateur est (suspendu) au plafond. (Il y a un ventilateur au plafond.) Les apprenants chinois interpréteraient facilement cette relation comme « sur le plafond ». Ici, on a affaire à une concurrence entre « sur » et « à » : le ventilateur est considéré comme suspendu « au » plafond, car le porteur (le plafond) s’oppose à la pesanteur, et la relation porteur/porté est passive, le ventilateur maintenu fixé au plafond grâce aux vis. Par extension, lorsque le porteur se situe sur l’axe vertical (le mur, par exemple), et que le porté joue un rôle actif, une mouche, par exemple, le porté est plutôt « sur » le porteur (5) ; quand la relation est « intermédiaire » entre porteur/porté, comme celle entre le mur et un tableau (4), « sur » et « à » sont deux choix possibles. 3) Il y a un tableau au/sur le mur. 4) Il y a une mouche sur le tableau. 305 Les différents types de relation porteur/porté et les prépositions correspondantes pourraient être résumés dans le tableau ci-dessous. (Vandeloise, 1986 : 202) Tableau IX - 4 ( Prépositions : sur/à) Sur À X - X - intermédiaire X X passive - X Support horizontal Support vertical Relation porteur /porté active Ainsi, dans le récit La Grenouille, quand on décrit l’image où le chien s’amuse avec les abeilles, la ruche est plutôt « à » que « sur » l’arbre. C’est d’ailleurs une image idéale que l’on pourra utiliser pour illustrer le rapport spatial d’une cible par rapport à un support vertical. 5) Le ventilateur est au-dessus du chat. Les apprenants pourraient bien décrire le ventilateur « sur » le chat, car en chinois, le contact impliqué par la relation porteur/porté qui motive l’emploi de la préposition « sur » n’est pas nécessaire pour activer le locatif 上. Pourtant, en français, cette relation doit être jugée «au-dessus » étant donné l’absence de contact entre le chat et le ventilateur. Cinq différents rapports réunis dans la même image, les apprenants, par l’observation, réflexion et la comparaison, aboutiront à la distinction des valeurs entre « sur », « à » et « au-dessus », qui correspondent aux champs référentiels couverts en chinois par le locatif 上. z Sur vs dans Quant à la préposition « dans » qui incarne la relation contenant/contenu, les apprenants en manifestent une assez bonne maîtrise, sauf pour des situations où le fond s’avère atypique en tant qu’un contenant pour activer « dans » aux yeux des Chinois, tel que l’arbre, le tronc ou la terre. Dans ces cas, les apprenants chinois qualifient souvent la relation spatiale de « sur » (Il y a un trou « sur » la terre/l’arbre), 306 vu l’influence des propriétés sémantiques du locatif 上. Moins les sites sont typiques, moins évident est le choix de préposition. Quand la conception en français diffère celle en chinois, l’intervention de l’enseignant se montre donc nécessaire et efficace : il pourra expliciter aux apprenants qu’aux yeux de Français, le feuillage de l’arbre forme un volume contenant des pommes qui sont localisées « dedans », et le tronc d’arbre, vu sa forme cylindrique et volumineuse, est aussi un volume pouvant « contenir » le trou, l’oiseau fait un trou donc « dans » l’arbre/le tronc. Selon Vandeloise, « plus la concavité diminue, moins le choix des prépositions dans/sur devient clair.» (1986 : 230) La terre, malgré son étendue, s’avère un contenant pour le trou : le chien fait ainsi un trou « dans la terre ». Avec l’image qui expose les conditions contenant/contenu pour motiver la préposition « dans », et les apprenants apprendront à s’habituer peu à peu à des sites moins typiques, conventionnalisés en chinois plutôt comme porteur que contenant, tels que le sol, la surface du lac, la montagne, etc. Dans le sens inverse, on pourra recourir à des images pour illustrer le fait que le même site peut être porteur ou contenant selon les circonstances. Prenons l’exemple du « lit » : en général, on s’allonge « sur » le lit (a), mais avec « dans le lit », on pourra bel et bien imaginer un lit de bébé (b) ou un dormeur couché sous une couverture douillette (c). a z b c Derrière vs après « Derrière » et « après », deux prépositions dont l’orthographe ne révèle aucune 307 ressemblance, renvoient au même item 后-hòu en chinois, d’où la confusion (voir VIII. 2.2.2124). Il s’avère nécessaire de distinguer ces deux prépositions dès qu’elles sont à la disposition des apprenants. Les deux prépositions renferment un même trait de postériorité, « derrière » sur le plan spatial et « après », plutôt dans le domaine temporel. Voilà l’intérêt de réfléchir à des circonstances où les deux prépositions sont acceptables. L’enseignant pourra par exemple, profiter de l’introduction du proverbe français « Rien ne sert à courir, il faut partir à point. » pour présenter l’image ci-contre de la fable de La Fontaine Le lièvre et la tortue, familière aux Français ainsi qu’aux Chinois. Les apprenants seront invités à décrire la position du lièvre par rapport à la tortue. On pourra imaginer les formulations suivantes : (1) (2) (3) (4) Le lièvre se trouve derrière la tortue. Le lièvre arrive au terminus après la tortue. La tortue se trouve devant le lièvre. La tortue arrive au terminus avant le lièvre. Si « derrière » et « après » (1 et 2) peuvent s’appliquer à la même scène, elles en présentent pourtant des aspects différents : « derrière » est motivée pour justifier de façon statique la localisation des deux animaux dans l’orientation générale, alors que « après » renvoie plutôt au résultat de la course dans la direction du mouvement, en impliquant donc un ordre temporel inféré à partir de l’image statique. Il en est de même pour les antonymes de ces deux prépositions, « devant »/ « avant » (3 et 4), un couple analogue susceptible de susciter aussi la confusion. Si ces prépositions sont simultanément utilisables, c’est parce que la scène implique deux référents animés mobiles et orientés. Dans cette étape de sensibilisation, les apprenants sont menés, à travers un support qui leur est familier, à la distinction 124 p.203. 308 temporo-spatiale dans les deux couples de prépositions avant/devant et après/derrière, lesquelles ne sont pas synonymes mais reflètent des aspects différents de la même scène objective. Ensuite, on passe à l’étape « application » : on demande aux apprenants d’imaginer des scènes de la vie quotidienne (faire la queue par exemple) en utilisant respectivement « derrière » et « après ». Il s’agit d’un travail par équipe, à la fin duquel chaque groupe joue la scène devant tout le monde. Cette activité vise à vérifier la compréhension et consolider la différenciation à travers la mobilisation des connaissances à acquérir. Et deux scènes des supports de notre étude pourront aussi être utilisées pour tester la maîtrise de la préposition. Le chien court après le chat. (Le Chat) Les guêpes courent après le chien. (La Grenouille) Finalement, on pourra se servir de la formulation suivante pour contraster la conception différente du même événement entre les Français et les Chinois. 您 先 请 nín xiān qǐng vous – d’abord – s’il vous plaît « Après vous. » Si dans les deux langues, on essaie de référer au mouvement éventuel que l’on demande de faire « après vous » ( 先 -d’abord vs après), la perspective s’avère différente : en chinois, on insiste sur l’interlocuteur, « vous » invitant « à faire cela d’abord », alors qu’en français, on se focalise sur soi-même, sous-tendant que « je vais faire cela après vous ». Cet exemple illustre au mieux le choix de perspective pour interpréter le même événement, et aide les apprenants à comprendre le fait que la traduction mot à mot ne constitue pas constamment la meilleure solution car la façon de penser n’est pas tout le temps partagée entre locuteurs de différentes langues. 309 2.2.2 Expressions du déplacement Notre approche dite « enseignement visualisé » a pour but d’inciter les apprenants à élaborer eux-mêmes le lien entre un concept et sa description verbale en français à partir du support visuel, un peu comme un retour à la période de l’apprentissage de la LM, où un jeune enfant construit ses connaissances sur la première langue en apprenant à « nommer » les objets, les actions, avec tout ce qu’il a vu. Mais notre approche consiste à présenter de façon plus structurée les données linguistiques, à travers des séries ou des contrastes de situations qui permettant d’induire les valeurs sémantiques prototypiques. A la différence des jeunes apprenants qui « captent » les données linguistiques transmises par l’entourage, les apprenants adultes ont l’avantage de mener activement des réflexions personnelles sur les différences conceptuelles entre la L1 et la L2, c’est cette caractéristique de maturité cognitive que met en valeur notre approche basée sur l’image : le traitement des données linguistiques est réservé en priorité aux apprenants, qui sont menés à les découvrir et appréhender avant de les acquérir. L’enseignant qui « prépare le terrain » et déclenche le processus d’acquisition, n’intervient qu’au moment d’une éventuelle surgénéralisation, ou de l’apparition de difficultés chez les apprenants. Nous montrons maintenant l’application de cette approche dans l’apprentissage de l’expression du déplacement, avec comme exemple les prédicats qui constituent des difficultés résistantes à l’apprentissage chez les sujets de notre étude. z Sortir/partir Sortir et partir sont deux verbes que les apprenants confondent souvent, ce qui est tout à fait normal vu leurs ressemblances morphologique (la conjugaison et le même auxiliaire dans le temps composé) et surtout sémantique (le même mouvement d’aller à l’extérieur en quittant le lieu où on se trouve). Sortir et partir, étant deux verbes de déplacement, tous avec franchissement de frontière, dénotent une transition à partir d’un point initial (début du déplacement) pour atteindre un point final (fin du déplacement), ils sont aussi appelés « verbes de 310 changement de lieu ». Pourtant, sortir implique un mouvement à l’extérieur d’un espace fermé, alors que partir, un mouvement ‘pour une destination, une activité ou une action’. Ainsi, le premier est souvent suivi de lieu source (tridimensionnel), et le second, s’enchaîne avec le lieu cible. Des images prototypiques facilitent la conceptualisation du signifié du prédicat, associé directement à un mouvement visualisé. De cette façon, l’enseignant pourra guider les apprenants vers une divergence sémantique entre sortir et partir, et les conduire au bon choix sans passer par la traduction. Un site typiquement tridimensionnel sera idéal pour introduire le verbe sortir, la maison par exemple: L’oiseau est sorti de sa maison125. Une autre image illustrant un départ sera présentée. Plusieurs expressions sont possibles avec le verbe partir : Ils partent en vacances. Ils partent en voiture. Ils partent pour la mer. On pourra imaginer ou concevoir une scène impliquant simultanément les deux mouvements (sortir et partir), par exemple, l’image de l’oiseau (sortir) pourrait être complétée par une destination : « L’oiseau est sorti de la maison, et parti dans la forêt. » . 125 Cette image pourrait être utilisée pour introduire le prédicat s’envoler, qui incarne à la fois la manière et la trajectoire du déplacement, verbe qui semble ne pas être maîtrisé selon notre étude. 311 La trajectoire de l’oiseau sera illustrée au mieux par un dessin animé ou un clip, car les images dynamiques aideront les apprenants à mieux distinguer la nature des deux mouvements. Par ailleurs, les apprenants chinois doivent aussi apprendre à marquer le lieu cible dans le mouvement partir, dont l’expression apparemment, n’est pas encore acquise chez nos apprenants chinois, qui tendent plutôt à expliciter le lieu source, même au stade avancé (Voir VIII.3.3.1126). Pour ce faire, nous pourrons présenter des images référant respectivement à des déplacements liés à une destination (partir pour Paris, dans la forêt, dans la campagne, etc.), à une activité ou une action (partir au travail, partir à la pêche). z Monter/ grimper L’enseignant introduira d’abord les traits sémantiques du verbe directionnel monter avant d’aboutir à ceux de grimper, la différenciation des deux déplacements ascendants réside dans le fait que ce dernier implique un effort physique, ‘parfois en utilisant les pieds et les mains’, contient donc la manière du mouvement. Commençons avec monter, l’idée est de faire comprendre la direction du mouvement ‘aller de bas en haut’ à travers différents exemples. a 126 b c d e p.246. 312 a. Le facteur a dû monter à pied, car l’ascenseur est en panne. b. Il est monté à l’échelle pour cueillir les fruits. c. Il est monté à cheval. d. Il est monté au ciel. e. Il est monté dans le bus. Ensuite, l’enseignant présentera une image acceptable pour monter et grimper. Les apprenants seront invités à décrire le mouvement du garçon. Et là, le choix de la préposition à suivre le verbe monter poserait des problèmes, les apprenants pourraient hésiter entre « à », « dans », et « sur », comme ce que nous avons constaté dans les corpus à tout stade, surtout dans le récit La Grenouille. C’est à ce moment que l’intervention de l’enseignant s’avère nécessaire pour distinguer les trois prépositions : « monter à l’arbre » prédique la montée sans préciser l’aboutissement, alors que « monter dans l’arbre » suppose que le garçon a réalisé une trajectoire ascendante dont le point final se situe dans l’arbre, l’expression « monter sur l’arbre » est déconseillée, car on se trouve rarement en haut d’un arbre, sauf « sur une branche ». Une fois que les apprenants auront compris l’inacceptabilité de « sur », préposition qui constitue pourtant le choix idéal si l’on recourt à la traduction en chinois, l’enseignant pourra passer à introduire le verbe grimper, qui s’adapte mieux à l’image car le petit garçon semble arriver à sa position avec difficulté : «Il a grimpé à l’arbre/dans l’arbre ». Dans l’analyse du récit La Grenouille, nous avons remarqué que les apprenants oublient souvent la préposition après grimper, phénomène qui, probablement provient de l’interférence de la CVS du chinois (爬上-树 : ramper+monter-arbre), car la manière ramper et la trajectoire monter englobées par grimper, l’expression grimper l’arbre s’aligne au mieux sur celle en chinois. C’est le moment où l’enseignant, par 313 « stratégie de précaution », devra solliciter l’attention des apprenants sur la préposition lors de l’introduction de grimper. (a). Monter à la Tour Eiffel. (b). Grimper sur une falaise. Dans la description de l’image (a), grimper est écarté car quand on visite la Tour Eiffel, on prend en général l’ascenseur ou l’escalier (à pied donc), on aura du mal à imaginer les touristes qui montent avec les mains et les pieds, sauf s’il s’agit de Spider Man. Alors que pour une falaise, comme ce que montre l’image (b), la situation va motiver le verbe grimper car ce genre de sport demande d’énormes efforts physiques. Sinon, le recours au verbe transitif escalader sera plus pertinent, car les gens qui pratiquent l’escalade se servent souvent de matériels professionnels pour y arriver. Ainsi, en s’appuyant sur cette série d’images typiques et distinctives qui servent de « stimulus », l’enseignant pourra conduire les apprenants à découvrir l’expression des déplacements ascendants, tout en les sensibilisant à la différenciation des champs sémantiques entre monter, grimper et escalader. z Tomber Les prédicats référant à une trajectoire descendante, incarnée par descendre, tomber sont en général mieux acquis chez les apprenants chinois, sauf le fait que dans leur expression, l’attention du parcours est orientée vers le terme à cause de l’intervention pédagogique, phénomène que nous avons traité dans l’analyse du récit La Grenouille. (Cf. VIII.3.2.2127) L’enseignant pourra entraîner les apprenants à se focaliser sur le lieu source, et cela, avec une série d’images impliquant toutes une chute mais par rapport à différents 127 p.238. 314 sites. Si l’image (a) illustre une simple chute, il faut expliciter d’où la chute a lieu pour les images (b) et (c) a. Il est tombé. b. Il est tombé de (dans) l’escalier. c. Il est tombé de l’échelle. Une fois l’attention des apprenants orientée vers l’origine de la chute, on pourra continuer avec des images dont le déplacement descendant aboutit à un lieu non canonique, un endroit autre que la terre (d. trou ; e. puits ; f. rivière.), et là, la précision du lieu cible semble indispensable. d. e. f. d. Le monsieur va tomber dans le trou. e. Le chien est tombé dans le puits. f. Les feuilles sont tombées dans la rivière. Après la sensibilisation, ce serait souhaitable d’inciter les apprenants à faire le bilan de l’expression du déplacement descendant, en vue d’une consolidation des connaissances chez les apprenant qui arrivent à distinguer les situations où soit explicité le terme ou l’origine de la trajectoire. 315 z Verbes déictiques Les verbes déictiques constituent une zone de difficultés majeure dans l’expression du déplacement : aller/venir, apporter/emporter, amener/emmener, etc. La confusion provient du fait que l’information déictique se situe à la place initiale de l’encodage morphologique en français (préfixes a-, em-), entraînant un traitement cognitif dans un sens inverse de celui en chinois où la deixis est placée à la fin de la CVS, ce qui rend le processus cognitif plus complexe, d’où la maîtrise mal assurée, même au stade avancé (Cf. VIII. 3.3.4128). Voilà la raison pour laquelle l’acquisition de l’expression déictique s’avère extrêmement difficile chez les apprenants chinois. Ce sera impossible de résoudre ces problèmes à travers de simples images, mais on pourra toujours s’y appuyer pour entraîner les apprenants. Prenons comme exemple le couple de verbes apporter/emporter, lesquels, proches par le sens et la prononciation, sont souvent confondus. Apporter signifie ‘porter un objet quelque part ou à quelqu’un’, et met l’accent sur le point d’arrivée, l’aboutissement et le rapprochement. Le préfixe a-, par son origine latine « ad- », indique ‘une direction ou un but à atteindre’, et assure la direction vers le sujet abordé dans l’énoncé. Emporter signifie ‘prendre avec soi un objet en partant d’un lieu’, contrairement à apporter, le verbe emporter met l’accent sur le point de départ, sur le lieu que l’on quitte et l’éloignement, ce qui est réalisé par le préfixe em-, qui vient du mot latin « inde » signifiant ‘de là’ ou ‘de ce lieu’. 128 p.256. 316 L’enseignant invitera les apprenants à décrire le mouvement de l’homme en imaginant que l’on se situe dans la petite maison. Plusieurs couples de prédicats pourront être mobilisés : entrer/sortir, arriver/partir, venir/aller (déictique), et l’enseignant pourra, après le bilan de toutes les possibilités, introduire le couple ciblé, qui permet de décrire le rapprochement et l’éloignement de l’homme qui apporte une boîte (i) et qui emporte ensuite un ballon (ii). On continuera avec d’autres images ou, encore mieux, des dessins animés pour montrer des déplacements relatifs à apporter (a), emporter (b), ou une situation acceptable pour les deux prédicats (c). Et là, les expressions varient en fonction des personnages qui parlent, c’est à dire de la perspective de chacun, avec son origo. a. b. c. a) Le garçon a apporté le colis à la poste. b) L’ambulance a emporté le malade. c) - Je vous ai apporté le livre avec trois jours de retard, car je l’avais emporté quand j’étais en voyage. Après l’étape de sensibilisation par images, on mettra en application ces deux verbes avec des tâches pratiques et immédiates, comme des demandes adressées aux apprenants : « Apportez-moi les cahiers ! », « Emportez ces revues à la salle de lecture !» L’encodage de l’information déictique se trouve ainsi associé à un mouvement directionnel par des déplacements ayant du sens dans la situation et réellement réalisés, qui aideront les apprenants à mieux incorporer les traits sémantiques du couple apporter/emporter. z Manière vs trajectoire Nous n’avons pas détecté une concurrence manifeste entre l’information de manière 317 et celle de trajectoire dans la représentation du déplacement. Pourtant, des exercices bien planifiés basés sur des images pourraient optimaliser la lexicalisation des procès en français chez les apprenants. On exposera d’abord la trajectoire de traverser effectuée par la même personne par rapport à divers sites (a et b), à l’aide des dessins animés au mieux, pour que les apprenants assistent à la réalisation dynamique de la trajectoire. a. L’homme traverse la rue. b. L’homme traverse la rivière (à la nage). L’image b) sert surtout à attirer l’attention des apprenants sur la place secondaire de la manière (à la nage) par rapport à la trajectoire traverser. Et pour renforcer davantage cette sensibilisation, on continuera avec des images illustrant la trajectoire traverser la forêt réalisée par différents référents animés (c. l’oiseau ; e. cheval ; d,f. le garçon), avec diverses manières de déplacement. 318 c. L’oiseau traverse la forêt. d. Le garçon traverse la forêt (à vélo). e. Le cheval traverse la forêt (au galop). f. L’homme traverse la forêt (en courant). A l’aide de cette série d’exercices, l’enseignant orientera progressivement l’attention des apprenants vers la trajectoire qui est à mettre en relief dans la formulation du déplacement, par rapport à la manière, composante parfois facultative (a. c. On pourra d’ailleurs 129 ). profiter de l’introduction du prédicat traverser, pour aborder le prédicat franchir ou sauter/passer par-dessus, dans le but d’empêcher un emploi abusif de traverser, comme ce que nous avons détecté dans Le Cheval (courir à travers, traverser) pour décrire le saut en hauteur. L’image ci-contre renvoie donc à la description « La chèvre franchit la barrière (en sautant) » ou « La chèvre saute/passe 129 Surtout quand il s’agit d’un déplacement effectué par la figure de sa façon habituelle (a : à pied, l’homme, c. voler, l’oiseau), la manière n’est pas à préciser. 319 par-dessus la barrière ». « Le mouton traverse la barrière (en sautant) », « Le mouton saute à travers la barrière.» sont des formulations inappropriées, ainsi, à éviter. z Application Quand ces verbes de déplacement, présentés antérieurement à travers cette modalité « visualisée », seront à la disposition des apprenants, on envisagera des activités langagières susceptibles d’inciter les apprenants à les mobiliser. On pourra, par exemple, concevoir une séquence d’images en s’inspirant de l’image réunissant « les verbes avec être comme auxiliaire dans le passé composé », et en y incorporant plus de déplacements (la figure ci-dessus). Les apprenants, divisés en équipes, travailleront sur ces images pour élaborer un récit. Cette tâche a un triple avantage : d’abord, il s’agit d’une production orale à partir des images, qui réserve beaucoup de possibilités quant à l’interprétation de l’histoire; ensuite, le scénario encadre pourtant les mouvements, que les apprenants doivent décrire en activant différents prédicats de déplacement : trajectoires sans (5,6) ou avec franchissement de frontière (2, 3, 8), déplacements directionnels (1,4,7). Finalement, un travail collectif est un processus composé de questionnements, de discussion avant d’aboutir à la solution, lequel permet de favoriser la consolidation des moyens linguistiques dans l’application. 320 IX.3. Evaluation IX.3.1 Aperçu sur l’évaluation du français en milieu institutionnel Dans l’enseignement du français en Chine, l’évaluation se base essentiellement sur l’écrit, sous différentes formes : dictée, devoirs à la maison, rédaction, traduction entre la L1 et L2, examens, etc. Les problèmes détectés sont ensuite transformés en réitération de règles grammaticales de la part de l’enseignant, dans le but de faire disparaître les formes douteuses ou inappropriées, tout cela se déroule en chinois évidemment, pour que l’explication soit plus claire et comprise par tout le monde. L’oral n’est pas exclu pourtant. En classe, en plus de l’interprétation des phrases de chinois en français en vue d’appliquer les moyens linguistiques requis, les apprenants ont aussi l’occasion de jouer des saynètes en français, souvent en reconstruisant la scène du texte/dialogue, parfois en inventant eux-mêmes le scénario, mais avec des consignes toujours de nature métalinguistique, telles que : « Essayer d’utiliser le plus possible de mots et expressions que l’on a appris dans la leçon ». Par rapport à l’écrit, l’évaluation orale formelle s’avère peu fréquente et varie à chaque phase d’apprentissage. En 1ère année, sous forme d’examen oral en fin du semestre, les apprenants sont confrontés à un texte choisi au tirage au sort. Après une préparation de 5 minutes, ils lisent le(s) paragraphe(s) demandé(s) par le professeur (pour contrôler l’intonation et la prononciation) et répondent aux questions sur le texte (pour vérifier la compréhension), avant de faire un exposé plus personnalisé sur un thème parmi un éventail de sujets proposés bien avant l’examen130. Après le stade initial, les apprenants suivent des cours visant à développer la compétence orale. En 2e année, le cours est assumé par un lecteur français, qui évalue la performance des apprenants qui, divisés en équipe, doivent préparer des discours oraux en fonction de la tâche assignée. En 3e année, les apprenants ont deux heures d’interprétation par semaine, et l’examen oral en fin du semestre a lieu dans le laboratoire. Suivant les 130 Les étudiants ont ainsi le temps de rédiger le texte et de le mémoriser avant l’examen, les productions orales n’ont donc rien de « spontané ». 321 consignes, ils produisent des discours autour de sujets déjà abordés en cours, lesquels sont enregistrés sur cassette et notés par l’enseignant. En 4e année, en plus de l’examen oral au laboratoire, les étudiants doivent s’expriment lors de la soutenance du mémoire, évaluation finale qui met un terme à 4 ans d’études du français. Les examens à l’oral se déroulent souvent à partir de tâches peu vraisemblables. Les contextes sont ciblés et envisagés pour mettre en oeuvre les moyens linguistiques enseignés en classe. Les apprenants, souvent prévenus d’un éventail de sujets possibles, peuvent s’y préparer à l’avance. L’évaluation, tant écrite qu’orale, étant destinée à rendre compte de l’efficacité de l’enseignement, se réduit à un examen où on compte selon une certaine grille les formes erronées. Rares sont les réflexions qui s’ensuivent de la part de l’enseignant, sauf quelques remarques personnelles en vue d’améliorer l’enseignement à venir. IX.3.2 Vers un nouveau système d’évaluation basé sur Le Cadre européen Dans la perspective acquisitionnelle, il est grand temps de modifier ce système d’évaluation, qui, basé en priorité sur les examens écrits, est loin de pouvoir refléter la véritable compétence langagière des apprenants. Ainsi, nous avons décidé de nous appuyer sur le Cadre européen de référence pour les langues (désormais le Cadre)131 pour envisager un nouveau système d’évaluation, qui mettra en valeur l’apprenant en tant qu’acteur de l’apprentissage et utilisateur de langue, au lieu d’être un simple élève recevant les données linguistiques, ensuite noté par les examens. Dans le Cadre, on a distingué 13 couples de types d’évaluation, que réunit le tableau ci-dessous, nous y avons surligné ceux à mettre en oeuvre, ou à privilégier en fonction de la situation actuelle de l’enseignement du français dans le supérieur en Chine. Tableau IX-4 (Différents types d’évaluation) 131 1 Évaluation du savoir Évaluation de la capacité 2 Évaluation normative Évaluation critériée Nous l’avons choisi comme base car son importance, « au niveau national et européen n’a cessé de s’accroître depuis sa publication en 2001 » (Arslangul, 2006 : 599), et son influence s’étend aussi en Chine : la version en chinois est publiée en 2009. 322 3 Maîtrise Continuum ou suivi 4 Évaluation continue Évaluation ponctuelle 5 Évaluation formative Évaluation sommative 6 Évaluation directe Évaluation indirecte 7 Évaluation de la performance Évaluation des connaissances 8 Évaluation subjective Évaluation objective 9 Évaluation sur une échelle Évaluation sur une liste de contrôle 10 Jugement fondé sur l’impression Jugement guidé 11 Évaluation holistique ou globale Évaluation analytique 12 Évaluation par série Évaluation par catégorie 13 Évaluation mutuelle Auto-évaluation 1. Evaluation de la capacité : par rapport à l’évaluation du savoir, qui, centrée sur le cours, porte sur ce qui a été enseigné, l’évaluation de la capacité évalue « ce que l’on peut faire ou ce que l’on sait en rapport avec son application au monde réel 132». 2. Évaluation critériée : au lieu de classer les apprenants les uns par rapport aux autres (évaluation normative), on évalue « l’apprenant uniquement en fonction de sa capacité propre dans le domaine et quelle que soit celle de ses pairs ». 3. Continuum ou suivi : dans cette approche, « une capacité donnée est classée en référence à la suite continue de tous les niveaux de capacité possibles dans le domaine en question » (la spatialité par exemple), il s’agit d’une évaluation qui rend compte des compétences en cours d’acquisition. 4. Évaluation continue : l’enseignant évalue les travaux ou projets réalisés pendant le cours, et « la note finale reflète ainsi la compétence linguistique de l’apprenant dans l’ensemble du cours, de l’année ou du semestre ». C’est une approche que l’on pourra adopter dans l’enseignement du français en Chine, car jusqu’ici, on a plutôt privilégié l’évaluation qui a lieu à une date donnée, généralement à la fin du cours (évaluation ponctuelle). 5. Évaluation formative : « un processus continu qui permet de recueillir des informations sur les points forts et les points faibles », dont l’enseignant pourra se servir pour l’organisation de son cours et les renvoyer aussi aux apprenants. Selon 132 Dans cette partie, les parties en italique, mises entre guillemets sont issues du Cadre (Chapitre 9.3.1.-9.3.13). 323 Huver & Springer, en pratiquant l’évaluation formative, « on considère l’apprenant comme un acteur social impliqué dans son apprentissage, et donc soucieux de comprendre comment il progresse et comment il peut s’améliorer » (2011 : 322). 6. Évaluation directe : à la différence de l’évaluation indirecte qui utilise souvent le test écrit, l’enseignant « évalue ce que le candidat est en train de faire », en fonction des critères d’une grille. 7. Évaluation de la performance : la performance est au centre de ce genre de l’évaluation qui demande une production d’un échantillon de discours oral ou écrit. 8. Évaluation subjective : basée sur le jugement d’examinateur, cette approche vise avant tout « sur la qualité de la performance », contrairement aux tests dits « objectifs » où une seule réponse est possible (l’évaluation objective). 9. Évaluation sur une liste de contrôle : par rapport à la place d’un apprenant sur une échelle donnée constituée de plusieurs niveaux (évaluation sur échelle), le jugement « selon une liste de points censés être pertinents pour un niveau ou un module » donné semble une évaluation plus intéressante et mieux adaptée. 10. Jugement guidé : par rapport au jugement fondé sur l’impression, l’enseignant/l’examinateur évalue l’apprenant en fonction des critères spécifiques. 11. Évaluation analytique : comme son nom l’indique, l’évaluation analytique encourage l’examinateur à une observation minutieuse en vue d’un feed-back aux apprenants, à la différence d’un jugement synthétique global. 12. Évaluation par catégorie : on penche sur l’évaluation par catégorie, qui « porte sur une seule tâche à partir de laquelle la performance est évaluée en fonction des catégories d’une grille d’évaluation ». 13. Évaluation mutuelle/Auto-évaluation : l’acteur qui porte jugement varie dans ces deux évaluations, la première, réalisée par l’examinateur/l’enseignant, est très appliquée en Chine, alors que la seconde, réalisée par l’apprenant même, est à mettre en oeuvre. L’auto-évaluation, constituant une motivation et prise de conscience chez l’apprenant, aide ce dernier à connaître ses points forts, reconnaître ses points faibles 324 et à mieux gérer ainsi l’apprentissage. Notre intérêt ne se situe pas dans la différenciation de tous ces types d’évaluation, qui ne constituent pas des catégories disjointes, car une évaluation peut être à la fois formative, directe, analytique, par catégorie et portant sur la capacité. Notre but est de faire évoluer progressivement les modes d’évaluation actuels dans le supérieur en Chine, qui se caractérisent par la dominance de l’enseignant, des règles grammaticales, ainsi que de l’écrit, vers un nouveau système d’évaluation qui se focalisera davantage sur l’apprenant, la compétence langagière et l’oral. IX.3.3 L’évaluation de l’acquisition de la spatialité Le manuel Le français, recommandé à l’échelle nationale par le Ministère de l’Education chinois, est utilisé dans la plupart des départements des écoles supérieures chinoises, il sert aussi de référence au concours national de français qui a lieu chaque année. Il est donc difficile d’y apporter un changement immédiat et profond sur le plan du contenu pour mettre en valeur la référence spatiale en français, ce n’est d’ailleurs pas le but de notre étude. Pourtant, nous pouvons proposer d’intégrer dans le cursus de français des « séances finalisées sur l’espace » à différents stades d’apprentissage (comme ce que nous avons proposé dans la section précédente), pour que les apprenants puissent systématiquement acquérir la référence spatiale en français, domaine, qui a jusqu’ici, échappé à l’attention pédagogique. Dans la perspective acquisitionnelle, il s’agit de séances où les apprenants pourront non seulement acquérir des connaissances sur la spatialité en français, et aussi les mobiliser dans des activités langagières. Il s’avère nécessaire d’élaborer une procédure susceptible d’évaluer la mise en oeuvre des moyens linguistiques de la spatialité. - Production orale La production orale est privilégiée dans l’évaluation. Le discours oral n’est pas réversible. Confronté à une tâche de production orale, le locuteur ne peut pas, comme un rédacteur, construire son discours au rythme qui lui convient. « Les utilisateurs de 325 l’oralité sont soumis au temps, à la fois dans sa nature unidirectionnelle (retour en arrière impossible) et rythmique (débit imposé) » (Py, 1993 : 23). La spécialité de l’oralité en fait le moyen le plus « fiable » d’observer la compétence linguistique de l’apprenant. - Support Les apprenants décrivent une image ou racontent une histoire en français à partir des stimulus visuels que l’enseignant choisit pour mettre la référence spatiale au coeur de la production orale : plans, photos, dessin, séquence d’images, document vidéo, etc. La description et la narration s’avèrent des tâches plus pertinentes, que les dialogues, les jeux de rôles, qui, étant discours oral libre, sont plus difficiles à orienter vers la représentation de l’espace. Nous pouvons envisager des tâches calibrées basées sur les productions en temps réel en fonction de la phase d’apprentissage133. Dans l’ensemble, il s’agit d’une évaluation analytique qui se focalise sur la capacité, dans la catégorie spatiale. A chaque stade, l’enseignant détermine un mode d’évaluation qui lui convient en fonction de différents paramètres : objectif à atteindre, apprenants à évaluer, et tâche à réaliser. Tableau IX-5 (Evaluation de l’acquisition de la spatialité en français) Stade d’apprentissage Types de tâches (support) Objectif à maîtriser Décrire des itinéraires, présenter Etre capable d’exprimer une localisation l’intérieur d’une pièce, commenter statique ou dynamique, et d’activer les des images. prépositions pertinentes selon contextes. Raconter à partir d’une séquence Etre capable d’élaborer l’arrière-plan Intermédiaire : d’images qui n’implique pas le pour 2e année changement de lieu (Le Chat, Le élémentaires dans l’organisation d’un Cheval, etc.). récit. Raconter ou décrire à partir d’une Etre séquence d’images ou de dessins déplacements compliqués (qui impliquent animés dont le scénario implique diverses plusieurs manière, deixis, cause), par rapport à Initial : 1ère année Avancé : 3e – 4e années référents animés et endroits (La Grenouille, Les temps situer capable des déplacements d’exprimer informations : des trajectoire, différents lieux du même récit. 133 Nous avons décidé d’organiser l’évaluation en fonction du stade d’apprentissage, au lieu des six niveaux communs de référence, proposés par le Cadre, car, ceux-ci, souvent utilisés dans le TEF, DELF, organisés par l’ambassade de France en Chine pour les apprenants qui comptent faire des études en France, ne sont pas encore généralisés dans le supérieur en Chine. 326 modernes, etc.) - Evaluation L’évaluation constitue aussi un outil important pour observer et influencer le processus d’acquisition, mais à condition qu’elle mène à une rétroaction chez les apprenants. S’il s’agit d’un test ou un examen pour contrôler les acquis d’un cours, comme ce qui se passe en Chine la plupart du temps (évaluation sommative), il n’y a aucune chance pour que l’information retourne à l’apprenant. Nous devons procéder à une évaluation formative, qui permet de recueillir les informations et de les renvoyer aux apprenants. Dans la perspective acquisitionnelle, il faut offrir à l’apprenant la possibilité de témoigner de ses comportements langagiers pour qu’il puisse se rendre compte de sa compétence linguistique, en vue de s’approprier ce qu’il n’a pas encore maîtrisé. Pour ce faire, l’enseignant doit préparer les conditions nécessaires pour que l’apprenant puisse revenir sur sa propre action langagière et de découvrir ses points forts et faibles. L’enregistrement est un outil idéal : l’enseignant enregistre les productions orales, pour les exposer ultérieurement aux apprenants, en tant que sources de rétroaction. Dans une séance suivante, un peu décalée pour que l’enseignant ait le temps d’analyser les données et y détecter les difficultés et les lieux de résistance, des échantillons d’enregistrement sélectionnés seront confrontés avec les productions des natifs pour la même tâche. Après cette exposition qui invite à la comparaison et à la réflexion, l’enseignant conduit les apprenants à découvrir ce qui reste à acquérir, à travers la discussion, en évitant de faire la liste des fautes. Nous prenons comme exemple le récit Le Cheval pour mieux illustrer le déroulement de la discussion: l’enseignant pourra mener une série de questions-réponses, après l’exposition successive des deux types de productions (des natifs et des apprenants) : Tableau IX-6 (Evaluation : Le Cheval) Evaluation (enseignant-apprenant) : Récit Le Cheval Sujets de discussion Objectifs à maîtriser L’arrière-plan 327 Où se passe l’histoire ? Savoir établir l’arrière-plan, et choisir le référent approprié Qu’est-ce que le cheval est en train de faire ? Savoir décrire la manière du déplacement du cheval et le situer par rapport à l’arrière-plan Comment nommer l’objet qui sépare le Savoir solliciter le bon terme (être capable de distinguer les traits cheval et la vache ? sémantiques de «la barrière » et de « la grille ») Savoir situer l’oiseau par rapport à la barrière (localisation Où se trouve l’oiseau ? statique) Comment situer le cheval par rapport à la vache ? Savoir expliciter la relation cheval – vache à patir de la barrière Déroulement de l’histoire Comment décrivez-vous l’action du cheval par rapport à la barrière ? (Pourquoi ne peut-on pas dire « courir à travers la barrière » ou « traverser la barrière » ? Savoir décrire un franchissement (être capable de distinguer les deux mouvements « franchir la barrière » et « traverser la barrière ».) Qu’est-ce qui est arrivé au cheval après son Savoir décrire la trajectoire descendante (le lieu cible n’est pas à action ? expliciter). Comment décrivez-vous l’action de l’oiseau Savoir intégrer l’information déictique dans l’expression du pour le cheval ? déplacement. Ainsi, dans cette évaluation formative, l’enseignant réussit à : - préparer les conditions nécessaires pour que les apprenants puissent recevoir l’information rétroactive ; - rendre l’apprenant plus motivé pour tenir compte de l’information, et cela, à travers la confrontation des productions entre natifs et apprenants ; - aider l’apprenant à interpréter l’information en vue de se l’approprier. Une auto-évaluation pourrait être envisagée après la discussion, en vue de renforcer la rétroaction chez l’apprenant, car « elle est un facteur de motivation et de prise de conscience » (Le Cadre, p.145). Prenons l’exemple du récit Le Chat : les apprenants doivent remplir le formulaire suivant, qui affiche toute une série de descripteurs relatifs à la référence spatiale du récit. Tableau IX-7 (Auto-évaluation : Le Chat) Auto-évaluation : Récit Le Chat Oui Non L’arrière-plan Partie réservée à l’enseignant Être capable de Je peux dire où se passe l’histoire Etablir l’arrière-plan avec un point d’ancrage Je peux situer approprié, et d’y situer le référent animé. le nid - l’arbre 328 l’oiseau - l’arbre l’oiseau – nid Déroulement de l’histoire Je peux situer/ décrire le mouvement Être capable d’exprimer dans le déplacement oiseau → Trajectoire avec franchissement de frontière chat ← Déixis (localisation chat – arbre) chat ↑ arbre Trajectoire directionnelle chien ← Deixis chat↕chien Trajectoire + Cause chien→ chat → Manière+cause oiseau↔ Double trajectoire (deixis) Remarque personnelle Schéma IX-4 (L’évaluation et l’auto-évaluation) Apprentissage Rétroaction apprenant enseignant Rétroaction : Evaluation Auto-évaluation Cette procédure élaborée dans une perspective acquisitionnelle pourra se résumer comme dans le schéma ci-dessus : l’évaluation ne sera plus considérée comme un simple moyen d’examiner les apprenants, mais comme un outil permettant à l’enseignant d’observer la mise en oeuvre de la compétence linguistique par les apprenants, et comme une plate-forme permettant d’apporter des rétroactions aux apprenants, qui auront le temps, l’orientation et les ressources appropriées pour réfléchir à l’information rétroactive, l’intégrer et la mémoriser. En même temps, par le biais d’une auto-évaluation, les apprenants seront motivés et orientés vers l’autonomie, en vue de mieux gérer leur propre apprentissage. Cette tâche d’auto-évaluation pose le problème des différents niveaux de savoir, 329 entre compétence et métalinguistique, entre conscience et prise de conscience chez l’apprenant. Ainsi, ce cycle d’apprentissage, accompagné d’évaluation et d’auto-évaluation, constitue une sorte d’échafaudage posé par l’enseignant pour favoriser l’évolution du système linguistique, et fournit constamment des outils à l’apprenant pour interroger la langue, permettant donc d’activer le dispositif d’acquistion de l’apprenant, et de « développer sa capacité à devenir un quêteur inlassable plutôt qu’un consommateur passif » (Berthoud & Py, 1993 : 76) dans le processus acquisitionnel vers la L2. 330 Conclusion Cette étude longitudinale portant sur l’acquisition de la spatialité en français, avait pour but de présenter et commenter un ensemble d’observations sur l’appropriation de la référence spatiale par des étudiants chinois pendant les trois premières années des études universitaires, période où ils acquièrent de façon guidée des connaissances linguistiques de langue française, de la phase initiale à la phase avancée. L’objectif de cette recherche empirique est double : d’une part, nous avons voulu examiner et décrire comment se développe dans le temps une maîtrise partielle des moyens linguistiques de la référence spatiale, et comment elle paraît se construire et se structurer, à différents paliers longitudinaux et dans le parcours même de ce développement ; d’autre part, nous avons essayé de découvrir les facteurs qui interviennent dans l’acquisition de la référence spatiale chez les apprenants chinois, et de cerner l’impact de la conceptualisation de la langue maternelle sur la représentation spatiale en français langue étrangère. Dans ce but, nous avons adopté à une démarche permettant non seulement d’observer l’expression de la spatialité chez les apprenants à un moment donné, mais aussi de mettre en lumière la progression acquisitionnelle de la spatialité au cours des trois ans en question : à trois reprises, vingt-deux apprenants chinois ont été invités (à des intervalles de 14 mois) à construire oralement des histoires fictives en français à partir de trois séquences d’images, supports souvent utilisés dans les recherches acquisitionnelles : Le Chat, Le Cheval aux stades initial et intermédiaire, et le récit La Grenouille à chaque stade, tout au long de l’apprentissage du français. Les productions orales enregistrées ont ensuite été transcrites et segmentées, de façon à faciliter les analyses comparatives. Etant donné le nombre important des productions (22 X 5 = 110 récits), nous avons décortiqué les données en deux étapes : dans un premier temps, nous avons confronté les données relatives à l’espace à partir de deux supports différents (Le Chat et Le Cheval), laquelle vise à dégager des tendances de développement et à détecter les 331 facteurs affectant la représentation aux stades initial et intermédiaire (cf. chapitres V-VII) ; ensuite, une comparaison longitudinale des productions sur un même support (La Grenouille), collectées à chaque stade, qui nous a permis de tester les hypothèses issues de la première confrontation, et d’éclairer le développement acquisitionnel à travers la comparaison des différents traitements du même événement spatial. Sur la base de ces corpus oraux de récits de fiction, nous avons réalisé une description de l’expression de la spatialité en français langue étrangère aux niveaux phrastique, conceptuel et discursif, ce qui a donné lieu aux constatations suivantes : Au niveau discursif Dans l’organisation des événements spatiaux, la maturité cognitive joue un rôle important. Nos apprenants adultes ont déjà acquis les principes pragmatiques à travers la L1 : ils savent communiquer et peuvent former des hypothèses sur ce que l’interlocuteur sait ou ne sait pas, même si celui-ci n’est que virtuel. Ils sont conscients des éléments indispensables à un discours cohésif. Malgré les contraintes sur les moyens linguistiques en L2, cette maturité du système cognitif conduit nos apprenants à procéder à une sélection conceptuelle à deux niveaux : d’abord, dans l’installation du cadre spatial, quelle(s) entité(s) sont à introduire afin de localiser les protagonistes et les événements à rapporter (surtout dans les récits Le Chat et Le Cheval) ; ensuite, dans l’agencement des événements, ceux à expliciter prioritairement et ceux à mettre au second plan (dans les trois récits). Il s’agit d’une procédure qui se déclenche toute seule dans une situation communicative, et cela, dès le premier niveau de compétence. Comme dans la 1ère collecte du récit La Grenouille, tâche qui dépasse manifestement les ressources langagières disponibles à l’époque, les apprenants ont déjà tenté de fournir une histoire cohésive et compréhensible, et le choix s’est effectué autour de la trame : les événements spatiaux relatifs au protagoniste (le garçon) et révélant des changements de lieu qui « propulsent » le développement de l’histoire ont été privilégiés (cf. Chapitre VIII.5). Au fur et à mesure de l’enrichissement du répertoire linguistique, une meilleure organisation discursive a été observée aux stades intermédiaire et avancé, avec un développement 332 confirmé, tant quantitativement avec un nombre croissant d’événements spatiaux décrits, que qualitativement étant donné la diminution constante des désignations compensatoires dans la narration. Ainsi, l’organisation discursive des événements spatiaux, étant une compétence déjà acquise chez les apprenants chinois, ne constitue pas un obstacle dans l’expression de l’information spatiale. C’est plutôt au niveau phrastique et conceptuel que nous avons constaté des divergences de formulation entre les apprenants chinois et les natifs français. Au niveau phrastique Selon la typologie de Talmy, le français est une langue « à cadrage verbal », autrement dit, dans l’expression du mouvement, le français encode la trajectoire et le mouvement dans la racine verbale, la manière du mouvement étant indiquée par une structure périphérique optionnelle, attachée au noyau verbal. En effet, dans la lexicalisation des procès spatiaux, les francophones insistent avant tout sur la trajectoire, surtout dans les déplacements avec franchissement de bornes et les déplacements directionnels. Pourtant, quand le mouvement même manifeste de la complexité aux yeux du locuteur et implique, en plus de la trajectoire, une information de manière ou de cause, il arrive que les natifs choisissent des prédicats englobant plus d’une information, comme dans la montée de l’arbre (grimper) ou le mouvement du cerf contre le garçon (jeter, projeter, remporter, balancer). Et si un événement où la manière du déplacement joue un rôle primordial dans le développement de la trame, les natifs soulignent l’information de la manière (par exemple, dans la course du cerf vers la mare). Le chinois est considéré par Talmy comme « a strongly satellite-framed language » (une forte langue à cadrage satellitaire). Selon notre hypothèse, les apprenants chinois auraient insisté sur la manière dans l’expression des procès en français, comme dans la désignation en chinois. Pourtant, les analyses révèlent que dans tous les déplacements relatifs à la trame, les apprenants ont presque tout le temps privilégié la trajectoire (surtout dans le récit La Grenouille), comme ce qu’expriment les natifs. La 333 divergence de la représentation spatiale se situe à d’autres niveaux que le choix de prédicats : le marquage du fond (dans les déplacements de franchissement de bornes ou les déplacements descendants), la description d’un mouvement en hauteur par-dessus un obstacle et le choix de la préposition (dans les déplacements ascendants), et là, les modalités d’intervention pédagogique et l’impact de la lexicalisation de la langue maternelle pourront jouer des rôles importants. Partie de la typologie dichotomique de Talmy, nous nous attendions à une concurrence entre manière et trajectoire dans la lexicalisation des procès en français chez les apprenants. Or, les résultats ont montré que c’est toujours la trajectoire qui est mentionnée en premier par les apprenants, et cela, dans tout type de déplacement. Ce qui nous pousse à une double réflexion : d’un côté, sur le rôle de la trajectoire, qui, selon Hickmann, représente l’aspect le plus fondamental des déplacements, « a le plus de conséquences pour l’organisation discursive, en ce qu’elle est indispensable pour situer les référents pendant le déroulement du discours » (2008 : 163) ; de l’autre, sur la description de Talmy du chinois en tant que langue centrée sur les satellites. Grâce à la construction verbale sérielle (CVS), le chinois peut amalgamer, dans une même proposition relative au mouvement, plusieurs verbes véhiculant différentes informations telles que trajectoire, manière, cause, deixis, etc., il s’agit d’«une construction syntaxique dans laquelle plusieurs verbes sont accolés en séquence mais se comportent comme une seule unité verbale» (Frawley, 1992 : 344). Ainsi, dans une CVS, la manière et la trajectoire étant toutes les deux incarnées par un verbe, il est impossible de distinguer le verbe principal. Si les Chinois ont l’habitude de décrire la manière du mouvement, c’est parce que la CVS rend plus facile l’empaquetage de manière et de trajectoire. C’est pourquoi dans la production en français, les apprenants manifestent une préférence pour les prédicats lexicalisant manière et trajectoire (grimper, s’échapper, etc.), mais quand les moyens linguistiques sont moins disponibles, ils choisissent en priorité la trajectoire. En 2004, Slobin a proposé de classer le chinois en tant que Equipollently-framed language. La présente recherche nous permet d’avancer une hypothèse plus précise : le chinois serait peut-être une 334 langue CVS plutôt à cadrage verbal, ce qui pourrait aussi expliquer pourquoi l’influence de la L1 dans la production en L2 ne s’avère pas manifeste dans notre corpus, contrairement à notre anticipation. Au niveau conceptuel Pour Kant, « l’espace n’est pas une propriété inhérente aux choses et ne se définit que par la relation entre les choses et les hommes qui les perçoivent » (Dervillez-Bastuji, 1982 : 198). Autrement dit, un rapport spatial pour un individu est le résultat de la somme des expériences que cet individu a eues avec l’espace dans une communauté linguistique donnée. Il se peut donc que les Français et les Chinois ne visualisent pas de la même façon une même relation spatiale, d’où les difficultés dans l’acquisition. La conceptualisation de la L1 pourrait affecter la représentation spatiale en L2, c’est ce que nous avons constaté à travers la concurrence récurrente entre les prépositions spatiales « dans » et « sur » (dans les trois récits). Le locatif 上–shàng en chinois couvrent largement les champs sémantiques de la préposition « sur » , avec des traits sémantiques renvoyant à des relations spatiales variées : « sur » quand il s’agit d’un rapport entre porteur/porté en contact ; « au-dessus » si c’est une position supérieure sans contact entre la figure et le fond ; « à » quand les deux référents se situent sur l’axe vertical ; même « dans » dans certains cas (trou-arbre, trou-terre). Le locatif 上 –shàng à lui seul correspond à plusieurs rapports spatiaux, d’où un choix difficile lors de la description en français : plus la perception de l’espace coïncide chez les Français et les Chinois, plus l’expression de la référence facile est. Même à un niveau très avancé, existe toujours ce genre de confusion entre prépositions spatiales, car la conceptualisation de l’espace forgée en L1 reste vivace. L’apprenant adulte s’approprie déjà le système de l’espace dans la langue maternelle. Lors de l’apprentissage de la spatialité en français, quand l’apprenant n’arrive pas à s’empêcher de recourir à la traduction, il s’appuie inconsciemment sur le système spatial de la L1 pour interpréter la référence spatiale dans la L2. Des représentations inappropriées se produisent, car l’apprenant a fait passer les rapports spatiaux par le 335 « crible conceptuel » de sa propre langue. Synthèses des résultats Cette étude « sur le terrain » basée sur des productions spontanées nous a révélé les points suivants de l’acquisition de la spatialité en français : - Au niveau de conceptualisation, les formes inappropriées sont principalement imputables à l’influence de la L1. « Apprendre une L2, c’est aussi apprendre une manière nouvelle d’appréhender le monde, c’est la construction d’un nouveau système de signification » (Gaonac’h, 1992 : 49). - Avoir un répertoire linguistique varié n’est pas la même chose que pouvoir l’activer de façon pertinente en communication. A notre grande surprise, les productions orales des apprenants illustrent, d’un côté, une maîtrise insuffisante des champs sémantiques des prédicats (principalement dans les déplacements), de l’autre, le fait que certains moyens linguistiques, censés disponibles, ne peuvent pas être facilement mobilisés par les apprenants, qui se contentent d’expressions très courantes, sémantiquement moins chargées. - L’intervention pédagogique n’assure pas toujours de succès : corriger des erreurs de performances isolément s’avère normalement peu efficace pour changer le comportement langagier de l’apprenant, et la stratégie de précaution de l’enseignant, souvent appliquée afin d’éviter des formes inappropriées, ne conduit pas nécessairement à une expression qui s’aligne sur celle des natifs. Les principaux résultats nous ont conduite à nous interroger, d’un côté, sur l’origine de tous ces phénomènes détectés durant cette étude « sur le terrain », et de l’autre, sur notre propre rôle en tant qu’enseignante. « Dans l’acquisition guidée, les données de la langue à apprendre sont plus ou moins préparées pour l’apprenant » (Klein, 1989 : 35). En Chine, l’enseignement du français dans le supérieur est régi par la forte présence des activités métalinguistiques, et par la présence de nombreux exercices d’application, oraux ou écrits. Les matériaux linguistiques et les approches pédagogiques mettent en relief l’apprentissage délibéré 336 des règles grammaticales et celui des mots et expressions. Dans les matériaux linguistiques présentés aux apprenants, par rapport à la temporalité qui est introduite systématiquement dans le manuel, la spatialité qui est aussi un domaine cognitif complexe, n’a pas mérité autant d’attention : les prépositions spatiales et les prédicats dynamiques sont introduits de façon arbitraire au fil du manuel, avec leur traduction en chinois dans le vocabulaire. La localisation et le déplacement ne sont pas traités de façon méthodique, comme si la référence spatiale, faisant l’objet d’une connaissance déjà acquise dans la langue maternelle, ne nécessitait plus d’explicitation, un simple changement de code par la traduction faisait l’affaire. Dans un environnement formel institutionnellement dédié à l’apprentissage, comment ce travail peut-il, à sa mesure, contribuer à l’acquisition ? Dans le cadre de l’enseignement du français en Chine, deux éléments sont susceptibles d’être réajustés plus facilement pour favoriser le processus acquistionnel : celui qui assure le déroulement de l’apprentissage du français (l’enseignant), et le contexte où a lieu l’apprentissage (la classe de langue). Rôle de l’enseignant - Déclencheur du processus d’acquisition L’enseignant pourra intervenir à deux niveaux dans l’input des données relatives à l’espace : dans la préparation des matériaux linguistiques, et dans l’intervention pédagogique en classe. Selon Krashen (1985), l’input, autrement dit l’exposition de l’apprenant à des données de la langue cible, constitue le facteur le plus important dans le développement de la compétence en L2. S’il s’avère difficile d’envisager de donner sa juste place à la spatialité dans le manuel à court terme, l’enseignant pourra toujours, au cours de son intervention pédagogique, créer des conditions favorisant le processus d’acquisition de la référence spatiale. Il 337 pourra commencer par préparer des matériaux : en s’appuyant sur les études déjà effectuées sur la spatialité, avec la connaissance et les expériences qu’il a en tant que concepteur du matériel, il prévoira la façon dont les éléments linguistiques s’organisent, et les démarches à suivre dans la classe de langue. Dans la présente recherche, nous avons ainsi proposé des démarches illustrées, baptisées « l’enseignement visualisé » : les données relevant de la spatialité en français seront introduites dans des séances particulières au moment propice de l’apprentissage. Si nous avons choisi les images en tant que vecteur de la méthode, c’est qu’elles sont les supports idéaux pour illustrer les rapports spatiaux, lesquels, visualisés par les apprenants, sont associés directement à la représentation en français, sans passer par le retour à la L1. Cette méthode dite « visualisée » a une orientation à la fois linguistique et cognitive : l’enseignant sortira en quelque sorte de l’activité métalinguistique qui vise à « faire comprendre le français» aux apprenants à travers le chinois, tout en facilitant un éveil de la prise de conscience chez les apprenants, qui sont menés progressivement à une meilleure compréhension du fonctionnement de langue, et à une comparaison des représentations entre le français et le chinois. « L’activité didactique est le vecteur obligé de l’appropriation » (Cicurel, 2002 : 153). Dans le déroulement de l’enseignement du français, l’enseignant accomplira une triple tâche : premièrement, il guidera les apprenants à la rencontre des données linguistiques à acquérir, en s’appuyant sur des outils pertinents, préparés à l’avance (supports, documents, équipement nécessaire) ; deuxièmement, il déclenchera le processus d’acquisition au cours duquel les apprenants seront menés à appréhender et interroger la langue à apprendre, en induisant les valeurs sémantiques fonctionnelles, et il organisera des activités langagières pour consolider dans la pratique les connaissances linguistiques chez les apprenants; troisièmement, lors de l’apparition d’une éventuelle surgénéralisation ou d’une difficulté, l’enseignant choisira d’intervenir par anticipation avant que le phénomène ne se produise. - Régulateur dans l’évaluation 338 Entre la matière à apprendre, le maniement de support et l’appropriation, l’enseignant inscrit sa médiation par la progression qu’il contrôle en partie, par l’évaluation qu’il exprime : il joue un rôle régulateur de l’appropriation. (Cicurel, 2002 : 154) L’enseignant aura aussi son rôle à jouer dans l’évaluation, qui est, dans l’enseignement supérieur en Chine, basée sur l’écrit et vise essentiellement à noter les apprenants dans le supérieur en Chine. La production orale sera mise en valeur, car il s’agit d’un moyen plus fiable d’observer la compétence linguistique des apprenants que l’écrit. L’évaluation, au lieu d’être un simple outil de notation, servira de plate-forme de rétroaction chez les apprenants (cf. Chapitre IX.3). Pour ce faire, l’enseignant devra d’abord collecter les productions orales des apprenants par l’enregistrement et mener des analyses pour déclencher sur un bilan indiquant clairement les objectifs maîtrisés, ceux qui sont en cours d’acquisition, et ceux qui ne sont pas encore acquis, possibles angles d’attaque dans la procédure de rétroaction. Ensuite, il organisera une séance où l’apprenant puisse comparer ses propres comportements linguistiques avec ceux de la langue cible 134 . Finalement, la perception des divergences réelles est une condition préalable, mais elle n’est pas suffisante : l’apprenant peut percevoir clairement que sa représentation se distingue de celle des natifs, mais ne pas pouvoir la modifier dans ce sens, c’est le moment de l’intervention de l’enseignant qui mettra au clair l’information rétroactive. De cette façon, l’évaluation deviendra, pour l’enseignant, lieu d’observation de la compétence des apprenants, source de réflexion sur l’organisation des données linguistiques, sur la conduite pédagogique à suivre, ce qui lui permettrait de réajuster en permanence ses propositions didactiques. En même temps, l’évaluation formera une plate-forme de rétroaction chez les apprenants qui, confrontés aux interprétations des natifs sur la même tâche, pourraient mesurer les efforts qui restent à faire. Ainsi, de l’enseignement à l’évaluation, le tandem enseignant/apprenant pourra progresser à 134 l’enseignant a l’intérêt de préparer les versions possibles des natifs, car l’évaluation a pour but de conduire l’apprenant à percevoir la distance de son comportement linguistique avec celui des locuteurs français à une même tâche, plutôt que de pointer sur les « erreurs » . 339 merveille et optimaliser l’acquisition linguistique. Perspectives Notre recherche sur l’acquisition de la spatialité en français ne s’arrête pas là, elle se poursuivra sous différents angles : - Dans les deux études déjà effectuées (transversale et longitudinale), nous nous sommes servie de trois séquences d’images. Il sera intéressant de nous appuyer sur d’autres supports visuels pour observer les comportements langagiers des apprenants en fonction du stade d’apprentissage : par exemple, des descriptions scéniques à la phase initiale aux récits de film à la phase avancée, (cf. chapitre IX 3.) Un changement d’optique pourrait aussi être envisagé : de l’oral à l’écrit, de la production à la compréhension. Des tâches variées enrichiront les données et nous conduiront à une meilleure connaissance sur le processus d’acquisition de la référence spatiale chez les apprenants. - Nous appliquerons « la méthode visualisée de la spatialité » dans une classe, avant de procéder à des analyses comparatives des productions entre les apprenants ayant suivi cette méthode et ceux qui suivront l’enseignement traditionnel. Cette confrontation permettra de mesurer l’efficacité de notre approche didactique élaborée dans la perspective acquisitionnelle, en vue de la réajuster ou de l’améliorer, pour qu’elle puisse être pratiquée au sein de l’établissement. - Dans l’établissement, nous pourrons, en plus des propositions pédagogiques basées sur la méthode « visualisée », essayer de sensibiliser les collègues à une meilleure connaissance de l’acquisition des langues étrangères, domaine peu exploré en Chine, surtout dans l’enseignement du français. Nous commencerons par les recherches « sur le terrain » déjà effectuées. La présentation jouera un triple rôle : aborder l’acquisition de la référence spatiale en français chez les apprenants à différents stades pour mieux appréhender, sous l’angle de la conceptualisation, les problèmes « récurrents » relatifs à l’espace, souvent considérés comme « erreurs » ; révéler le manque de traitement de la spatialité 340 dans l’enseignement en vigueur, laquelle se réduit souvent à l’apprentissage erratique des prépositions spatiales ; introduire la méthode « visualisée », élaborée à partir des constatations principales de nos deux études acquisitionnelles, ayant au coeur du déroulement l’apprenant en tant que l’acteur de l’apprentissage. L’application de cette méthode n’amènera pas nécessairement à une réussite « phénoménale », mais elle permettra aux enseignants de mieux suivre le processus d’acquisition de l’apprenant. De cette façon, nous espérons que les enseignants, sensibilisés, pourront conjuguer leurs efforts pour réfléchir à des approches didactiques dans la perspective acquisitionnelle, ce qui conduira éventuellement à une réforme complète des supports pédagogiques, en vue d’améliorer l’enseignement du français, et de favoriser le processus acquisitionnel des apprenants, qui, d’un point de vue psycholinguistique, est déterminé dans son développement, son rythme et son état final par divers facteurs. L’acquisition d’une L2 « implique une reconstruction du mode d’appréhension du réel, une restructuration, une transformation du rapport langage/connaissance» (Berthoud & Py, 1993 : 91). Dans cette perspective cognitive, comment contribuer, en tant qu’enseignant, à repenser les fonctions et les formes d’intervention pédagogiques destinées à guider l’apprenant dans l’acquisition du français ? Notre étude portant sur la spatialité nous a menée vers les champs de recherche de l’acquisition des langues étrangères, qui permettent de refonder l’intervention didactique : un univers immense et fascinant, le chemin est encore long à parcourir ! 341 BIBLIOGRAPHIE Références en langues occidentales z ADAM, J.-M. (1984) : Le récit, Paris, PUF. z ALARIO, X. (2001) : « Aspect sémantique de l’accès au lexique au cours de la production de parole », Psychologie française 46(1), 17-26. z ALLETON, V. (2008) : L’écriture chinoise, le défi de la modernité, Paris, Albin Michel. z BERMAN, R.A. & D.I.SLOBIN (1994) : Relating events in narrative : a crosslinguistic developmental study, New Jersey, Lawrence Erlbaum Associates. z BERTHOUD, A.-C. & B. 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(1993) : Le français tome 4, Pékin, Edition de l’enseignement et des recherches des Langues étrangères. 354 LISTE DES TABLEAUX/SCHEMAS/FIGURES Première partie Chapitre I Schéma I-1 (Acquisition des langues) Schéma I-2 (A computational model of L2 acquisition) Chapitre II Tableau II-1 (Propriétés de la figure et du fond) Tableau II-2 (Locatifs chinois) Tableau II-3 (Verbes directionnels composés en chinois) Schéma II-1 (Référence spatiale) Chapitre III Tableau III-1 (Eléments grammaticaux de la méthode Le français) Tableau III-2 (Morphologie : le français vs le chinois) Schéma III - 1 (Expressions temporelles en chinois) Chapitre IV Tableau IV-1 (Organisation des collectes de données) Tableau IV-2 (Episode-développement du récit La Grenouille) Tableau IV-3 (Présentation des données) Tableau IV-4 (Les quatre tons en chinois) Tableau IV-5 (Les abréviations dans la glose morphémique) Deuxième partie Chapitre V Tableau V-1 (Evénements spatiaux impliqués dans le récit Le Chat) Tableau V-2 (Localisation statique : introduction) Tableau V-3 (Déplacement de l’oiseau : introduction) Tableau V-4 (Déplacement du chat : introduction) Tableau V-5 (Déplacement du chat : développement) Tableau V-6 (Déplacement du chien : développement) Tableau V-7 (Evénement spatial éventuel : développement) Tableau V-8 (Déplacement du chien et du chat : dénouement) Tableau V-9 (Déplacement de l’oiseau : dénouement) Tableau V-10 (parcours de l’oiseau : i) Tableau V-11 (parcours de l’oiseau : ii) Tableau V-12 (parcours de l’oiseau : iii) Tableau V-13 (parcours de l’oiseau : iv) Tableau V-14 (parcours de l’oiseau : iv) Tableau V-15 ( parcours des intrus : i ) Tableau V-16 ( parcours des intrus : ii ) 355 Tableau V-17 ( parcours des intrus : iii ) Tableau V-18 ( parcours des intrus : iv ) Tableau V-19 ( parcours des intrus : v ) Tableau V-20 ( parcours des intrus : vi ) Tableau V-21 ( parcours des intrus : vii ) Tableau V-22 ( parcours des intrus : viii ) Figure V-1 (Evénements spatiaux : Le Chat) Chapitre VI Tableau VI-1 (Le cadre spatial) Tableau VI-2 ( La désignation de « la barrière ») Tableau VI-3 (La relation cheval – barrière – vache) Tableau VI-4 (Le déplacement du cheval ∩) Tableau VI-5 (Les secours des animaux) Tableau VI-6 (Intervention des deux animaux) Chapitre VII Tableau VII-1 (Cas de Louise et de Théa) Tableau VII-2 (Marquage de la nouvelle information dans le cadre spatial) Tableau VII-3 (Prédicats et les informations véhiculées) Tableau VII-4 (Encodage d’informations spatiales : Le Chat) Tableau VII-5 (Encodage d’informations spatiales : Le Cheval) Figure VII-1 (Cadre spatial : Le Chat vs Le Cheval) Figure VII-2 (Marquage de la nouvelle information) Figure VII-3 (Fréquence des événements spatiaux dans Le Chat et Le Cheval) Chapitre VIII Tableau VIII - 1 (Evénements spatiaux impliqués : La Grenouille) Tableau VIII - 2 (Localisation dynamique – trame : 2) Tableau VIII - 3 (Localisation statique - trame : 4 et 6 : prépositions) Tableau VIII - 4 (Localisation statique – trame : 4 et 6 : 3e collecte) Tableau VIII - 5 (Prépositions spatiales – trame : 13) Tableau VIII - 6 (Localisation statique – trame : 13 : détail ∩) Tableau VIII - 7 (Déplacement – trame : 1 : 1ère collecte) Tableau VIII - 8 (Déplacement – trame : 1 : 2e collecte : i) Tableau VIII - 9 (Déplacement – trame : 1 : 2e collecte : ii) Tableau VIII - 10 (Déplacement – trame : 1 : 3e collecte : i) Tableau VIII - 11 (Déplacement – trame : 1 : 3e collecte : ii) Tableau VIII - 12 ( Déplacement - trame : 1 : natifs) Tableau VIII - 13 (Déplacement – trame : 5 et 8 : occurrence) Tableau VIII - 14 (Déplacement – trame : 5 et 8 : prédicats) Tableau VIII - 15 (Déplacement – trame : 5 et 8 : prédicats - natifs) Tableau VIII - 16 (Déplacement – trame : 7 et 10 : prédicats ) Tableau VIII - 17 (Déplacements – trame : 7 et 10 : désignation en chinois) Tableau VIII - 18 (Déplacement – trame : 7 : prépositions) Tableau VIII - 19 (Déplacement – trame 10 : prépositions) 356 Tableau VIII - 20 (Déplacement – trame : 7 et 10 : natifs) Tableau VIII - 21 (Déplacement – trame : 9 : fond) Tableau VIII - 22 (Déplacement – trame : 9 : fond : natifs) Tableau VIII - 23 (Déplacement – trame : 12 : prédicats) Tableau VIII - 24 (Déplacement – trame : 12 : pourcentage) Tableau VIII - 25 (Déplacement – trame : 3 : prédicats) Tableau VIII - 26 (Déplacement – trame : 3 : prédicats : natifs) Tableau VIII - 27 (Déplacement – trame : 11 : prépositions) Tableau VIII - 28 (Déplacement – trame : 11 : prédicats) Tableau VIII - 29 (Déplacement – trame : 14 : prédicats) Tableau VIII - 30 (Déplacement – 3’, 5’) Tableau VIII - 31 (Déplacement : 6’ : prédicats) Tableau VIII - 32 (Placement – 1’ : fond) Tableau VIII - 33 (Représentation simplifiée : événements-trame) Tableau VIII - 34 (Classification des sujets à chaque stade : événements - trame) Tableau VIII - 35 (Les solutions des sujets : maintien du niveau) Tableau VIII - 36 (Représentation de l’apparition du hibou) Tableau VIII - 37 (Classification des sujets à chaque stade : événements secondaires) Tableau VIII - 38 (Recherche dans la forêt : productions de Mélanie) Tableau VIII - 39 (Développement individuel : événements – trame + secondaires) Figure VIII - 1 (Localisation statique – trame : 4) Figure VIII - 2 (Localisation statique – trame : 6) Figure VIII - 3 (Localisation statique – trame : 13 ) Figure VIII - 4 (Déplacement – trame : 1 : pourcentage) Figure VIII - 5 (Déplacement – trame : 5 et 8 : pourcentage) Figure VIII - 6 (Déplacement – trame : 7 et 10 : pourcentage) Figure VIII - 8 (Fréquence des événements – trame : La Grenouille) Figure VIII - 9 (Fréquence des événements implicites - trame : La Grenouille) Figure VIII -10 (Fréquence des événements secondaires : La Grenouille) Troisième partie Chapitre IX Tableau IX-1 (Prépositions de lieu dans Le français) Tableau IX-2 (Prépositions de lieu dans Le français – version révisée) Tableau IX-3 (Prépositions : sur/à) Tableau IX-4 (Différents types d’évaluation) Tableau IX-5 (Evaluation de l’acquisition de la spatialité en français) Tableau IX-6 (Evaluation : Le Cheval) Tableau IX-7 (Auto-évaluation : Le Chat) Figure IX-1 (Traitement de la production de la parole – modèle de Levelt) Figure IX-2 (Traitement au cours de la production de la parole chez les apprenants chinois) Figure IX-3 (Travail en équipe : « La chambre de Van Gogh à Arles ») 357 ANNEXES SUPPORTS EN IMAGES Le Chat Le Cheval Frog, where are you ? 358 Le Chat 359 Le Cheval 360 Frog, where are you ? (Mercer Mayer, 1969) 361 362 363 364 365 366 367 368