Société française d’études épigraphiques sur Rome et le monde romain (S.F.E.R.) Journée d’études du 8 juin 2013 organisée par Stéphane Benoist, président de la SFER (2011-2012) INHA – Carré Colbert Auditorium 2 rue Vivienne ou 6 rue des Petits Champs 75002 Paris (M° Bourse, Palais-Royal, Pyramides) 9 heures – 17 heures 30 Épigraphie et discours impérial : mettre en scène les mots pour le dire 9h. – accueil à l’INHA par Monique DONDIN-PAYRE, CNRS, présidente de la SFER 9h.10 – Introduction par Stéphane BENOIST, Université Lille-Nord de France, Halma-Ipel (CNRS, Lille 3, MCC), « Rhétorique, politique et pratique épigraphique monumentale » Présidence de session et modération : Anne DAGUET-GAGEY, Université d’Artois, CREHS, viceprésidente de la SFER 9h.30 – Alison COOLEY, University of Warwick, « A paratextual analysis of the Res Gestae Divi Augusti » 10h.15 – Pierre COSME, Université de Rouen, GRHis, « Des mots pour les braves » Pause (11h. – 11h.30) 11h.30 – Xavier DUPUIS, Université Paris Ouest-La Défense, THEMAM, UMR 7041 ArScAn, « L’écho des victoires impériales sur un milliaire du Sud tunisien » 12h.15 – Claude BRENOT, CNRS, « Un discours monétaire sur la Concorde au IIIe siècle » Buffet-déjeuner en Aby Warbur (13h. – 14h.30) Présidence de session et modération : Ségolène DEMOUGIN, CNRS, EPHE Sciences Historiques et Philologiques 14h.30 – Janneke DE JONG, Universiteit Leiden, « More than words: imperial discourse in Greek papyri » 15h.15 – Jean-Baptiste YON, CNRS, HiSoMA, Lyon, « L’expression des hiérarchies dans les inscriptions du Proche-Orient à l’époque romaine » Pause (16h. – 16h.15) 16h.15 – Rudolf HAENSCH, Kommission für Alte Geschichte und Epigraphik des Deutschen Archaeologischen Instituts, Munich, « Un discours épigraphique sur les faiblesses de l’Imperium Romanum ? Le regard des princes et de leurs sujets » 17h. – Conclusions par Patrick LE ROUX, Université Paris 13–Paris Nord, L’Année Épigraphique Résumés des communications Claude BRENOT, CNRS, « Un discours monétaire sur la Concorde au IIIe siècle » La Concordia est évoquée pour la première fois sur la monnaie en 62 avant notre ère. Elle est alors représentée sous les traits d’une tête diadémée et voilée que l’on retrouve vingt ans plus tard, associée, au cours d’une même émission, à la dextrarum iunctio. Sous l’empire, son image prend une forme beaucoup plus élaborée. Debout ou assise, elle peut tenir des objets aussi divers qu’une patère et un sceptre, une corne d’abondance simple ou double et des épis de blé associés à des pavots, un étendard et une enseigne, une fleur ou une baguette désignant un globe… elle peut être représentée relevant le bord de sa tunique, s’appuyant sur une colonne, sur une statuette de Spes ou tenant une petite Victoire, attributs ou attitudes qu’elle partage avec Prouidentia ou Felicitas, Fides ou Securitas, Pax ou Spes… Les images déclinent ainsi les bienfaits qu’elle engendre ou garantit. En même temps, la légende qui les accompagne la définit sans ambiguïté comme Concordia. Mais, son image peut aussi s’effacer devant celle de deux princes ou encore de l’empereur et de son épouse s’étreignant la main droite. Ainsi, par le biais des articulations plus ou moins subtiles entre le texte et l’image, le message sur la Concordia, véhiculé par les revers monétaires, revêt-il bien des nuances. Pourtant, considérer ces revers isolément les uns des autres est assurément réducteur. Ils prennent, en effet, tout leur sens intégrés à l’émission dont ils font partie. À cet égard, le monnayage de Balbin et de Pupien, dont les règnes conjoints n’ont pas excédé les quatre premiers mois de 238, est particulièrement significatif. Leurs antoniniani se divisent en deux groupes parfaitement symétriques : autour du type commun de la dextrarum iunctio, trois légendes sont propres à Balbin, trois autres sont propres à Pupien. À travers ces six textes se déploie la profession de foi sur la Concorde qui unit les deux empereurs. Mais, inversement à ce schéma, celui adopté pour les dénominations d’or, d’argent ou de bronze est commun aux deux princes. Les mêmes légendes associées aux mêmes types forment un ensemble de revers dont il semble bien que la signification globale soit éclairée par l’un d’eux célébrant précisément la Concordia augg(ustorum), celle-ci représentée assise à gauche, tenant une patère et une corne d’abondance. Plaidoyer pour la Concorde, cet éphémère monnayage a aussi le mérite de mettre en évidence, mieux que d’autres peut-être, des procédés d’expression d’un message relevant de ce que l’on nomme aujourd’hui la communication. Alison COOLEY, University of Warwick, « A paratextual analysis of the Res Gestae Divi Augusti » It has long been clear that to understand Roman epigraphic culture we need to examine inscriptions not just as texts, but also as monuments. The monumentality and public display of texts inscribed on bronze and stone in particular reflect an important investment by the person or body that chose to set them up. There has been a lot of important research, particularly by Mireille Corbier and Werner Eck, illustrating the complementarity of text and context. This paper sets out to explore a new approach to Roman epigraphy by examining inscriptions from the perspective of paratexts. This theoretical approach was outlined by Gérard Genette in 1987 as a means of understanding literary texts, but my paper explores the extent to which the idea of inscriptions as paratexts could offer useful insights into their structure and appearance. The texts of some inscriptions have rhetorical and literary qualities that justify exploring them in similar ways to literary texts. Indeed, arguably inscriptions are the supreme example of paratexts since by their very nature they bear meaning through their physical appearance and context as much as through their actual words. By looking at copies of the Res Gestae from a paratextual perspective, this paper will consider how paratextual features of the inscriptions may have had an impact upon the ways in which they were read by their audiences, reflecting how the original version of the RGDA at Rome was constructed and interpreted by those who set it up in the province of Galatia. 2 « Une analyse paratextuelle des Res Gestae Divi Augusti » Il est établi depuis longtemps que l’on ne peut comprendre la culture épigraphique romaine sans examiner les inscriptions, non seulement en tant que textes mais également en tant que monuments. La monumentalité et l’affichage public des inscriptions gravées sur bronze ou pierre traduisent tout particulièrement l’investissement important de la part de l’individu ou de la collectivité qui a choisi de les ériger. De nombreuses recherches, en particulier celles de Mireille Corbier et de Werner Eck, ont illustré cette complémentarité entre texte et contexte. Cette intervention a pour but d’envisager une nouvelle approche de l’épigraphie romaine par l’étude des inscriptions en tant que paratextes. Cette approche théorique a été esquissée par Gérard Genette en 1987 comme un moyen de comprendre les textes littéraires, mais mon propos envisage de l’étendre aux inscriptions en tant que paratextes, afin d’offrir des aperçus utiles sur leur structure et leur apparence. Les textes de certaines inscriptions ont des qualités rhétoriques et littéraires qui justifient de les étudier comme n’importe quel texte littéraire. En effet, les inscriptions sont, de manière indiscutable, l’exemple ultime des paratextes, en ce que par leur nature même elles délivrent un message au travers de leur apparence physique et de leur contexte autant qu’à travers les mots qu’elles portent. En regardant les copies des Res Gestae selon une perspective paratextuelle, cette intervention entend étudier comment les caractéristiques paratextuelles des inscriptions peuvent avoir eu un impact sur la façon dont elles ont été lues par leurs audiences, ce qui reflète comment la version originelle des RGDA à Rome fut construite et interprétée par ceux qui érigèrent les versions dans la province de Galatie. Pierre Cosme, Université de Rouen, GRHis « Des mots pour les braves » Le discours du prince à ses soldats constitue un thème récurrent dans les œuvres des historiens anciens, mais aussi sur les bas-reliefs ou les monnaies. Il est en revanche peu présent dans la documentation épigraphique. On connaît ainsi beaucoup d’inscriptions où les soldats parlent d’euxmêmes, mais celles où l’empereur s’adresse à eux sont plus rares, à deux exceptions notables. Il s’agit d’abord du discours d’Hadrien aux différentes catégories de troupes qui défilèrent devant lui à Lambèse. Dans un registre différent, les diplômes militaires représentaient une autre forme de message impérial adressé individuellement à un auxiliaire recevant la citoyenneté à l’issue de son temps de service. Sans méconnaître les différences de contexte, on peut tenter de définir les caractéristiques de la communication épigraphique entre le prince et ses soldats, sur la base de ces témoignages. Janneke DE JONG, Universiteit Leiden, « More than words: imperial discourse in Greek papyri » This paper discusses how Roman imperial discourse is encountered in Greek papyri. The term ‘discourse’ covers several levels of meaning, ranging from a simple conversation to a set of programmatic or ideological statements. This latter sense is relevant for imperial self-presentation: through images and words Roman emperors communicated their qualities, which served as an ideological basis for their power position, in order to be accepted as the right man for the job by different groups of subjects. How, then, are Roman emperors present in Greek papyri? And how can Greek papyri be used for the study of imperial discourse? In my paper, I will discuss how papyri reveal imperial power and its concomitant discourse in several ways. In certain types of documents, such as imperial letters, the emperor speaks directly. In others, the emperor is present merely as a point of reference, for instance in dating formulas. Nevertheless, even within these dating parts imperial ideology is reflected. Moreover, still other documents, such as petitions, give insight in the way in which imperial ideology was received and taken over by subjects. All of these texts are instructive for the functioning of imperial discourse. On the one hand, these documents convey a concrete message, as they all were written for a practical reason. On the other hand, the use of certain elements or words could convey a deeper meaning to a text, by expressing concepts ‘behind’ the message itself. By taking into account these different levels of imperial discourse, I will investigate the role of imperial discourse in the relation between emperor and subjects. 3 « Plus que des mots : le discours impérial dans les papyrus grecs » Cette communication analyse les papyrus grecs en tant qu’ils reflètent le discours impérial. Le terme « discours » fait référence à plusieurs niveaux de signification, depuis la simple conversation jusqu’à un ensemble de déclarations programmatiques ou idéologiques. Ce dernier sens est pertinent pour étudier la représentation impériale : au travers d’images et de mots, les empereurs romains faisaient montre de leurs qualités et vertus, qui constituaient ainsi le socle idéologique justifiant leur position de pouvoir, afin d’être acceptés par des groupes de sujet différents en tant que l’homme idéal pour remplir cette fonction. De la sorte, comment les empereurs romains apparaissent-ils dans les papyrus grecs ? Et comment peut-on utiliser ces papyrus grecs pour étudier le discours impérial ? Durant cette intervention, je traiterai sous divers angles la manière selon laquelle les papyrus révèlent le pouvoir impérial et son discours. Dans certains types de documents, tels que les lettres impériales, l’empereur s’exprime lui-même directement. Dans d’autres, tels que les formules de datation, il est seulement présent en tant que référence. Pourtant, même dans ces formules, l’idéologie impériale est reflétée. De plus, d’autres documents encore, comme les pétitions, donnent un aperçu de la façon dont l’idéologie impériale a été reçue et interprétée par les sujets. Tous ces textes sont instructifs pour la compréhension du fonctionnement du discours impérial. D’une part, écrits pour des raisons pratiques, ces documents contenaient des messages concrets. D’autre part, l’utilisation de certains éléments ou mots pouvait donner à un texte un sens plus profond, en exprimant des concepts en arrière-plan du message lui-même. En tenant compte de ces différents niveaux du discours impérial, je vais examiner le rôle de ce dernier dans la relation entre l’empereur et ses sujets. Xavier DUPUIS, Université Paris Ouest-La Défense, THEMAM, UMR 7041 ArScan, « L’écho des victoires impériales sur un milliaire du Sud tunisien » Commémorant à l’origine des travaux routiers, les bornes milliaires apparaissent souvent ensuite comme de simples hommages, érigées par les collectivités responsables de l’entretien des routes. Cependant certaines particularités, par exemple les mentions d’empereurs éphémères, des allusions à des situations politiques extrêmement brèves, et surtout des formulaires très particuliers ou originaux montrent qu’elles servaient aussi à diffuser les nouvelles et à relayer les mots d’ordre envoyés par l’État romain. C’est le cas d’une borne connue depuis plus d’un siècle et retrouvée en 2002 par une équipe de chercheurs français à une soixantaine de km à l’ouest de Gabès. Découverte par le commandant Donau et éditée en son nom en 1905 par J. Toutain (MSAF, 64, 1905, p. 183), puis republié par P. Salama (ZPE, 149, 2004, p. 245), elle associe Carus Auguste, Carin César et Numérien Auguste. Tel quel, le libellé de cette borne est aberrant comme l’a noté P. Salama. Redonner au texte une cohérence implique d’admettre qu’il y en fait deux textes, le premier dédié dès l’avènement à Carus Auguste et à Carin César peu après octobre/novembre 282 ; dans un second temps fut ajouté le nom de Numérien devenu entretemps Auguste. Le premier état de la borne apporte un nouveau témoignage du fait que le collège impérial ne comportait au début que deux membres ; comme sur d’autres bornes, le nom de Numérien fut ajouté ensuite, mais ici bien après son association au pouvoir comme César. En effet il est déjà clairement Imperator Caesar, donc après la mort de son père survenue en juillet-août 283, et consul, théoriquement à partir du 1er janvier 284 (mais on peut admettre que ce titre lui a été donné de façon anticipée). Ce qui est surtout remarquable c’est que de façon exceptionnelle cette borne comporte une titulature longue incluant non seulement puissances tribuniciennes et consulat mais aussi les surnoms triomphaux de Germanicus maximus et de Gothicus maximus. Il est manifeste que des instructions ont été données pour mettre en valeur les victoires de la dynastie dont nous avons un autre écho dans le monnayage comme dans l’œuvre du poète Némésien. Les guerres germaniques sont signalées dès l’avènement de Carus comme le montrent monnaies, inscriptions et papyrus ; Donau avait d’ailleurs déjà lu cette partie du texte, qui a pourtant totalement échappé à l’attention pour diverses raisons. 4 La lecture améliorée de P. Salama, déjà pressentie par Donau, donne en revanche la première mention épigraphique d’une victoire gothique, qui peut être rapprochée du triomphe sur les Quades connu par un médaillon de Siscia à la légende Triunfu(s) Quador(um). Surtout il s’avère que la restitution Gothicus maximus proposée par J. Marcillet-Jaubert sur un fragment de Lambèse attribuable à ces empereurs paraît maintenant quasi-sûre, comme sur une autre base inédite de Lambèse dédiée à Carin où il faut probablement aussi lire [Go]th(icus) plutôt que [Par]th(icus). Sans parler des allusions de Némésien, trois documents épigraphiques attestent donc peut-être clairement de la réalité d’une victoire gothique remportée pendant la seconde moitié de 283. À la date du rajout du nom de Numérien, une omission étonne, celle du surnom de Persicus maximus, bien attesté par ailleurs et allusion claire aux victoires de Carus contre les Perses. Le problème est peutêtre plus complexe. Les monnaies de consécration de Carus lui attribuent sans discussion le surnom de Parthicus ou Persicus. Cependant, un papyrus de septembre 283 ne donne toujours à Carin Auguste et à Numérien César que la seule épithète de Germanicus maximus, attestée dès l’automne 282, ce qui implique que la victoire persique ne fut reconnue qu’après la mort de Carus. Peut-être faut-il penser qu’il fut bien acclamé par ses soldats du surnom de Persicus mais que sa disparition – il fut foudroyé pendant les opérations militaires – ne permit pas de l’officialiser. C’est son fils Numérien, pourtant toujours considéré comme un personnage effacé, ou un brillant poète sans aucun talent militaire, qui aurait poursuivi la guerre et remporté les succès qui lui ont valu ainsi qu’à son frère Carin le surnom prestigieux de Persicus Maximus. Sans nier les succès de Carus, Némésien lorsqu’il évoque à l’été 284 le retour proche de Numérien à Rome, annonce du triomphe prochain des deux frères, lui attribue d’ailleurs explicitement la victoire en évoquant la vengeance du désastre de Valérien dans une image inversée de la redoutable flèche du parthe devenue le symbole d’une lamentable déroute. Par son texte, qui montre que le pouvoir romain savait utiliser les bornes routières pour en faire plus que de simples hommages, comme par ses silences, ce document remarquable permet de mieux apprécier l’activité militaire de ces empereurs que des monnaies de l’atelier de Rome proclament Vndique uictores. Rudolf HAENSCH, Kommission für Alte Geschichte und Epigraphik des Deutschen Archaeologischen Instituts, Munich, « Un discours épigraphique sur les faiblesses de l’Imperium Romanum ? Le regard des princes et de leurs sujets » Comme les brochures publicitaires des ministères contemporains, les inscriptions offrent normalement une image extrêmement positive du monde. Chacun était censé vivre dans les temps les plus heureux – quels qu’ils soient. De manière générale, on ne parlait normalement pas des empereurs ayant échoué, on les faisait simplement disparaître sous le manteau de l’application de la procédure d’abolitio memoriae, et il en allait de même pour les faiblesses du gouvernement romain. Mais il y a des exceptions : sous certaines conditions, on pouvait néanmoins évoquer des points faibles, comme par exemple en cas de dysfonctionnements éclatants ou lorsque l’autorité suprême souhaitait fustiger les négligences des fonctionnaires inférieurs et les encourager à plus de retenue dans leurs exigences. Cette communication se propose d’analyser les caractéristiques les plus typiques des situations durant lesquelles les princes ou leurs sujets traitaient des problèmes du gouvernement romain. Jean-Baptiste YON, CNRS, HiSoMA, Lyon, « L’expression des hiérarchies dans les inscriptions du Proche-Orient à l’époque romaine » À partir de la période romaine, le Proche-Orient a connu une floraison épigraphique importante, principalement en grec, mais aussi dans des langues locales (araméen dans ses divers dialectes). Les élites locales en particulier ont utilisé à leur profit le discours épigraphique, comme ce qui l’accompagnait dans les cités de type classique (jusqu’aux statues des grands personnages qu’on honorait). En reprenant également à leur compte leurs propres traditions, elles tenaient à marquer leur supériorité hiérarchique par divers moyens qu’on tentera de mettre en lumière. 5