« Plus que des mots : le discours impérial dans les papyrus grecs »
Cette communication analyse les papyrus grecs en tant qu’ils reflètent le discours impérial. Le terme
« discours » fait référence à plusieurs niveaux de signification, depuis la simple conversation jusqu’à un
ensemble de déclarations programmatiques ou idéologiques. Ce dernier sens est pertinent pour étudier la
représentation impériale : au travers d’images et de mots, les empereurs romains faisaient montre de leurs
qualités et vertus, qui constituaient ainsi le socle idéologique justifiant leur position de pouvoir, afin d’être
acceptés par des groupes de sujet différents en tant que l’homme idéal pour remplir cette fonction. De la
sorte, comment les empereurs romains apparaissent-ils dans les papyrus grecs ? Et comment peut-on
utiliser ces papyrus grecs pour étudier le discours impérial ? Durant cette intervention, je traiterai sous
divers angles la manière selon laquelle les papyrus révèlent le pouvoir impérial et son discours.
Dans certains types de documents, tels que les lettres impériales, l’empereur s’exprime lui-même
directement. Dans d’autres, tels que les formules de datation, il est seulement présent en tant que
référence. Pourtant, même dans ces formules, l’idéologie impériale est reflétée. De plus, d’autres
documents encore, comme les pétitions, donnent un aperçu de la façon dont l’idéologie impériale a été
reçue et interprétée par les sujets. Tous ces textes sont instructifs pour la compréhension du
fonctionnement du discours impérial. D’une part, écrits pour des raisons pratiques, ces documents
contenaient des messages concrets. D’autre part, l’utilisation de certains éléments ou mots pouvait donner
à un texte un sens plus profond, en exprimant des concepts en arrière-plan du message lui-même. En
tenant compte de ces différents niveaux du discours impérial, je vais examiner le rôle de ce dernier dans la
relation entre l’empereur et ses sujets.
Xavier DUPUIS, Université Paris Ouest-La Défense, THEMAM, UMR 7041 ArScan,
« L’écho des victoires impériales sur un milliaire du Sud tunisien »
Commémorant à l’origine des travaux routiers, les bornes milliaires apparaissent souvent ensuite
comme de simples hommages, érigées par les collectivités responsables de l’entretien des routes.
Cependant certaines particularités, par exemple les mentions d’empereurs éphémères, des allusions à des
situations politiques extrêmement brèves, et surtout des formulaires très particuliers ou originaux
montrent qu’elles servaient aussi à diffuser les nouvelles et à relayer les mots d’ordre envoyés par l’État
romain.
C’est le cas d’une borne connue depuis plus d’un siècle et retrouvée en 2002 par une équipe de
chercheurs français à une soixantaine de km à l’ouest de Gabès. Découverte par le commandant Donau et
éditée en son nom en 1905 par J. Toutain (MSAF, 64, 1905, p. 183), puis republié par P. Salama (ZPE,
149, 2004, p. 245), elle associe Carus Auguste, Carin César et Numérien Auguste.
Tel quel, le libellé de cette borne est aberrant comme l’a noté P. Salama. Redonner au texte une
cohérence implique d’admettre qu’il y en fait deux textes, le premier dédié dès l’avènement à Carus
Auguste et à Carin César peu après octobre/novembre 282 ; dans un second temps fut ajouté le nom de
Numérien devenu entretemps Auguste. Le premier état de la borne apporte un nouveau témoignage du
fait que le collège impérial ne comportait au début que deux membres ; comme sur d’autres bornes, le
nom de Numérien fut ajouté ensuite, mais ici bien après son association au pouvoir comme César. En
effet il est déjà clairement Imperator Caesar, donc après la mort de son père survenue en juillet-août 283, et
consul, théoriquement à partir du 1er janvier 284 (mais on peut admettre que ce titre lui a été donné de
façon anticipée).
Ce qui est surtout remarquable c’est que de façon exceptionnelle cette borne comporte une titulature
longue incluant non seulement puissances tribuniciennes et consulat mais aussi les surnoms triomphaux
de Germanicus maximus et de Gothicus maximus. Il est manifeste que des instructions ont été données pour
mettre en valeur les victoires de la dynastie dont nous avons un autre écho dans le monnayage comme
dans l’œuvre du poète Némésien. Les guerres germaniques sont signalées dès l’avènement de Carus
comme le montrent monnaies, inscriptions et papyrus ; Donau avait d’ailleurs déjà lu cette partie du texte,
qui a pourtant totalement échappé à l’attention pour diverses raisons.