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proprement parler, le droit ne l’évoque pas, il ne se contente pas d’y renvoyer en
laissant à la biologie le soin d’en donner une claire définition. Il la prend au contraire
en charge et la revendique comme notion juridique fondamentale et en garantit la
protection. Aussi, depuis son introduction, l’espèce humaine est-elle ce au nom de
quoi le droit s’élabore, et ce pour quoi il est fait. Elle n’est pas en effet simplement un
objet du droit qui ne peut la considérer uniquement comme une chose, elle se présente
plus volontiers comme une entité comparable à la personne juridique. Autrement dit,
l’espèce humaine est peu à peu devenue une nouvelle figure du sujet de droit,
concurrençant dans sa primauté la personne.
On pourrait s’en tenir là et se contenter de pointer le fait que l’introduction de
l’espèce humaine a modifié en profondeur le droit dans sa fonction, sa destination et
sa raison d’être. Une fois repérée une telle mutation, il faudrait alors en énumérer les
conséquences et en déterminer la portée. Toutefois, dans la lettre même du droit, la
référence à l’espèce humaine renvoie explicitement à une notion biologique. Nous
sommes donc invité, par le droit lui-même et les dispositions qui se réfèrent à
l’espèce, à interroger le concept biologique d’espèce. Or, précisément, du point de
vue de la biologie elle-même, l’espèce est un concept pour le moins problématique :
ne connaissant pas de définition univoque et fixe, il est avant tout un enjeu théorique
suscitant de nombreuses polémiques épistémologiques. En aucun cas, il ne se
présente comme un objet clairement circonscrit et parfaitement identifié. Quant à
« l’espèce humaine », il ne s’agit, biologiquement, que d’une expression
approximative et non rigoureuse qui désigne, en termes plus stricts, le taxon Homo
sapiens.
Un tel constat complique redoutablement la problématique de l’introduction de la
notion d’espèce humaine au sein du droit. Face à l’impossibilité de cerner de manière
satisfaisante cet objet, tant du point de vue juridique (puisqu’elle n’est ni une
personne ni une chose) que biologique (puisque, à proprement parler, elle n’existe pas
pour le biologiste), nous nous retrouvons nécessairement face à ce qu’il faut bien
appeler un problème, parmi les plus aigus qui soient. Que faire en effet d’une entité
non définie et ne se laissant pas appréhender par aucune discipline, mais que le droit
protège néanmoins fermement ? La question se fait d’autant plus pressante que les
sanctions prévues par le droit pour les infractions à l’endroit de l’espèce humaine sont