70 L’adolescence - © Cerveau & Psycho
Dans les médias audiovisuels,
on constate que l’alcool – ou
la cigarette – est souvent
valorisé dans les séries ou les
films. Les héros boivent de la
bière, du whisky ou fument, tout leur réus-
sit et ils sont respectés et admirés. Or une
telle mise en scène s’accompagne parfois
d’une augmentation des ventes d’alcool ! Par
exemple, dans Casino Royale et Quantum of
Solace, James Bond demande au serveur une
boisson comprenant trois doses de Gordon,
une de vodka et une demie de Kina Lillet.
Ce dernier est un alcool français démodé
constitué de vins de Bordeaux et de liqueurs
de fruits macérés. Mais grâce à cette recette,
inventée par Ian Fleming et décrite dans les
dernières aventures de l’agent de Sa Majesté,
cet alcool a bénéficié d’une publicité impré-
vue : le président directeur général de Lillet,
qui commercialise cette boisson, a même
reconnu que plusieurs pays qui, auparavant,
ne commercialisaient pas cet alcool, en ont
commandé et que les ventes ont explosé !
Des écrans partout
Ainsi, le cinéma, la télévision, les magazines,
les bandes dessinées, les jeux sur smartphone
ou tablette et la publicité proposent souvent
des contenus liés à l’alcool (ou à d’autres
substances rendant dépendant). D’ailleurs, la
législation française semble incohérente, car
elle a supprimé les publicités pour l’alcool
à la télévision, mais les autorise encore sur
d’autres supports, tel Internet. La plupart
du temps, les « écrans » mettent en avant
des comportements de consommation à
risques, en les présentant comme ordinaires,
sans conséquences et plaisants. Mais on sait
aujourd’hui que l’exposition à la consom-
mation d’alcool via des films influe sur les
pratiques des jeunes. En outre, non seulement
le contenu des productions médiatiques a un
effet, mais c’est aussi le cas de la façon dont il
est transmis. Examinons comment les écrans,
qui prennent une place importante chez
les adolescents, favorisent les consomma-
tions et augmentent le risque que les jeunes
deviennent dépendants, à l’alcool notam-
ment. Nous nous limiterons aux rôles des
écrans sur la consommation d’alcool, car nous
disposons de nombreuses études sur ce sujet.
En 2010, en France, plus de 90 pour cent
des adolescents passent plus de deux heures
par jour devant des écrans, la télévision essen-
tiellement. Or, on estime que pour chaque
heure supplémentaire passée devant cet
écran, le risque qu’un adolescent consomme
de l’alcool est augmenté de 17 pour cent. Et
les jeunes regardant plusieurs heures de clips
vidéo par jour – sur leur smartphone, sur
l’ordinateur ou à la télévision – ont plus de
risques de boire de d’alcool lors de soirées.
La publicité augmente
la consommation d’alcool
Les médias audiovisuels peuvent influer
sur la consommation d’alcool de deux
façons ; la première est directe, par exemple
via la publicité vantant explicitement les
mérites d’une marque ou d’un produit ; la
seconde est indirecte par le biais des films ou
des séries télévisées qui modèlent nos attentes
et notre attitude vis-à-vis de tel ou tel produit,
souvent sans que nous en ayons conscience.
Même si l’objectif premier d’une publi-
cité est de favoriser l’achat de tel produit
plutôt qu’un autre ou de telle marque,
plusieurs travaux montrent que l’exposi-
tion à des messages publicitaires est asso-
ciée à la consommation d’alcool. D’ailleurs,
on étudie surtout ces effets chez les enfants
et les adolescents, car les comportements
vis-à-vis de l’alcool se mettent en place dès
les premières étapes du développement,
pendant l’enfance et l’adolescence.
Les publicités pour l’alcool (et le tabac)
présentent la plupart du temps les consom-
mateurs sous des traits positifs et attrayants :
ce sont des personnes séduisantes, indépen-
dantes, à qui la vie sourit. Le contexte est festif
et on met rarement en avant une consomma-
tion « responsable ». L’alcool apparaît donc
comme un produit attractif, notamment pour
les jeunes, ce qui a des conséquences sur leur
consommation. La publicité expose l’indi-
vidu à des marques d’alcool, provoque une
préférence, puis crée une forme de « loyauté »
envers une marque. Toutefois, elle inscrit aussi
En bref
•La plupart des médias, de la presse et de l’audiovisuel,
ainsi que les publicités, proposent des scènes où l’on voit
des substances addictives, tel l’alcool, dans un contexte « agréable ».
•Les comportements de consommation à risques
apparaissent alors ordinaires et plaisants.
•Or l’exposition régulière à de telles images augmente,
chez les jeunes, le risque qu’ils consomment de l’alcool.
Oulmann Zerhouni
est doctorant
dans le Laboratoire
interuniversitaire
de psychologie :
personnalité,
cognition,
changement social
(EA 4145),
de l’Université
de Grenoble-Alpes.
Laurent Bègue,
professeur de
psychologie sociale
et alcoologue,
dirige ce laboratoire.