Les troubles des ados Ces images qui font boire les jeunes © Blu-ray Skyfall 2012 Danjaq, LLC United Artists Corporation / Distribution FPE Les adolescents sont des cibles privilégiées des publicitaires et regardent beaucoup de films où leur héros boit de l’alcool. Cela augmenterait le risque qu’ils consomment trop d’alcool... © L’Essentiel n° 15 août - octobre 2013 1. James Bond, ici dans Skyfall, sorti en 2012, est un héros séduisant et admiré, qui boit souvent de l’alcool à l’écran. 69 Oulmann Zerhouni est doctorant dans le Laboratoire interuniversitaire de psychologie : personnalité, cognition, changement social (ea 4145), de l’Université de Grenoble-Alpes. Laurent Bègue, professeur de psychologie sociale et alcoologue, dirige ce laboratoire. D ans les médias audiovisuels, on constate que l’alcool – ou la cigarette – est souvent valorisé dans les séries ou les films. Les héros boivent de la bière, du whisky ou fument, tout leur réussit et ils sont respectés et admirés. Or une telle mise en scène s’accompagne parfois d’une augmentation des ventes d’alcool ! Par exemple, dans Casino Royale et Quantum of Solace, James Bond demande au serveur une boisson comprenant trois doses de Gordon, une de vodka et une demie de Kina Lillet. Ce dernier est un alcool français démodé constitué de vins de Bordeaux et de liqueurs de fruits macérés. Mais grâce à cette recette, inventée par Ian Fleming et décrite dans les dernières aventures de l’agent de Sa Majesté, cet alcool a bénéficié d’une publicité imprévue : le président directeur général de Lillet, qui commercialise cette boisson, a même reconnu que plusieurs pays qui, auparavant, ne commercialisaient pas cet alcool, en ont commandé et que les ventes ont explosé ! Des écrans partout Ainsi, le cinéma, la télévision, les magazines, les bandes dessinées, les jeux sur smartphone ou tablette et la publicité proposent souvent des contenus liés à l’alcool (ou à d’autres substances rendant dépendant). D’ailleurs, la législation française semble incohérente, car elle a supprimé les publicités pour l’alcool à la télévision, mais les autorise encore sur d’autres supports, tel Internet. La plupart du temps, les « écrans » mettent en avant des comportements de consommation à risques, en les présentant comme ordinaires, sans conséquences et plaisants. Mais on sait aujourd’hui que l’exposition à la consommation d’alcool via des films influe sur les pratiques des jeunes. En outre, non seulement le contenu des productions médiatiques a un effet, mais c’est aussi le cas de la façon dont il En bref ••La plupart des médias, de la presse et de l’audiovisuel, ainsi que les publicités, proposent des scènes où l’on voit des substances addictives, tel l’alcool, dans un contexte « agréable ». ••Les comportements de consommation à risques apparaissent alors ordinaires et plaisants. ••Or l’exposition régulière à de telles images augmente, chez les jeunes, le risque qu’ils consomment de l’alcool. 70 est transmis. Examinons comment les écrans, qui prennent une place importante chez les adolescents, favorisent les consommations et augmentent le risque que les jeunes deviennent dépendants, à l’alcool notamment. Nous nous limiterons aux rôles des écrans sur la consommation d’alcool, car nous disposons de nombreuses études sur ce sujet. En 2010, en France, plus de 90 pour cent des adolescents passent plus de deux heures par jour devant des écrans, la télévision essentiellement. Or, on estime que pour chaque heure supplémentaire passée devant cet écran, le risque qu’un adolescent consomme de l’alcool est augmenté de 17 pour cent. Et les jeunes regardant plusieurs heures de clips vidéo par jour – sur leur smartphone, sur l’ordinateur ou à la télévision – ont plus de risques de boire de d’alcool lors de soirées. La publicité augmente la consommation d’alcool Les médias audiovisuels peuvent influer sur la consommation d’alcool de deux façons ; la première est directe, par exemple via la publicité vantant explicitement les mérites d’une marque ou d’un produit ; la seconde est indirecte par le biais des films ou des séries télévisées qui modèlent nos attentes et notre attitude vis-à-vis de tel ou tel produit, souvent sans que nous en ayons conscience. Même si l’objectif premier d’une publicité est de favoriser l’achat de tel produit plutôt qu’un autre ou de telle marque, plusieurs travaux montrent que l’exposition à des messages publicitaires est associée à la consommation d’alcool. D’ailleurs, on étudie surtout ces effets chez les enfants et les adolescents, car les comportements vis-à-vis de l’alcool se mettent en place dès les premières étapes du développement, pendant l’enfance et l’adolescence. Les publicités pour l’alcool (et le tabac) présentent la plupart du temps les consommateurs sous des traits positifs et attrayants : ce sont des personnes séduisantes, indépendantes, à qui la vie sourit. Le contexte est festif et on met rarement en avant une consommation « responsable ». L’alcool apparaît donc comme un produit attractif, notamment pour les jeunes, ce qui a des conséquences sur leur consommation. La publicité expose l’individu à des marques d’alcool, provoque une préférence, puis crée une forme de « loyauté » envers une marque. Toutefois, elle inscrit aussi L’adolescence - © Cerveau & Psycho le produit dans un contexte social « normal » en l’associant à des comportements stéréotypés. Elle n’incite pas directement à la consommation (elle conseille même, non sans hypocrisie, la « modération »), mais met en scène un style de vie « cool » et décontracté, où l’alcool est un élément clé. En 2004, Alan Stacy et ses collègues, de l’Université de Californie, ont suivi 2 000 jeunes âgés de 12 à 13 ans et ont montré que le fait qu’ils soient souvent exposés à de la publicité pour de l’alcool augmente de 44 pour cent le risque qu’ils consomment de la bière un an plus tard. Les chercheurs ont obtenu ce résultat en contrôlant d’autres variables socio-économiques (activité sportive, éducation, milieu de vie, etc.), de sorte qu’il ne correspond qu’à l’influence stricte de l’exposition à la publicité. En outre, Gary Connolly, de l’Université d’Auckland en Nouvelle-Zélande, et ses collègues ont mesuré l’exposition aux publicités télévisées et aux contenus médiatiques concernant l’alcool chez des jeunes âgés de 13 à 15 ans. Ils ont ensuite évalué la consommation d’alcool de ces mêmes adolescents quand ils ont eu 18 ans, ainsi que leur degré d’appréciation de la publicité. Ils ont montré que plus les jeunes avaient mémorisé de publicités entre 13 et 15 ans, plus leur consommation d’alcool à 18 ans était élevée. De nouvelles mesures réalisées huit ans plus tard ont montré que ceux qui appréciaient davantage la publicité à l’âge de 18 ans avaient aussi plus de risques de consommer beaucoup d’alcool à l’âge de 26 ans, comparé à ceux qui l’appréciaient moins. Ainsi, les effets de la publicité seraient un facteur clé pour expliquer l’ensemble des attitudes et des attentes que l’on a vis-à-vis de l’alcool. Mais comment ces préférences sont-elles intégrées sur un plan cognitif et comment influent-elles sur les comportements ? Plusieurs facteurs peuvent renforcer la préférence pour l’alcool suite à une exposition à des messages publicitaires. Par exemple, les croyances que l’on a concernant les conséquences de l’alcool sur le comportement modifient la façon dont on traite les messages publicitaires. C’est aussi le cas si l’on s’identifie aux personnages de la publicité, si l’on accorde du crédit à ce qui est présenté et si l’on a confiance. Sans ces conditions, l’effet direct d’une exposition à la publicité sur la consommation d’alcool subsiste, mais il est plus faible. Les jeunes et les écrans La plupart des jeunes de 11 à 15 ans (91,5 pour cent) passent plus de deux heures par jour devant des écrans, d’après le rapport de l’Inpes (l’Institut national de prévention et d’éducation pour la santé) de 2012. Parmi eux, 61 pour cent consacrent plus de deux heures par jour à la télévision, 45 pour cent à leur ordinateur et 40 pour cent aux jeux vidéo. L’effet logo Qui plus est, chez les adolescents âgés de 15 à 18 ans, un autre facteur est mis en évidence dans les études : les produits accompagnés d’un logo sont plus appréciés, et permettent aux chercheurs de mieux prévoir la consommation ultérieure d’alcool. D’autres études, plus rares, soutiennent que la publicité pour l’alcool n’influe pas directement sur la quantité consommée, mais renforce – auprès des plus jeunes notamment – les normes sociales qui dicteraient les conditions où consommer de l’alcool serait L’attitude des enfants vis-à-vis de l’alcool esurer l’attirance que les enfants ont pour l’alcool est difficile, M car ils n’ont pas toujours les capacités verbales pour répondre à des questionnaires et sont influencés par la façon dont on pose les © L’Essentiel n° 15 août - octobre 2013 © Jean-Michel Thiriet questions. En outre, l’enfant répond en essayant d’ajuster ses réponses à ce qu’il croit être les attentes des adultes. Pour éviter ces biais, Madeline Dalton et ses collègues, de l’Université Darthmouth, ont proposé à 120 enfants âgés de deux à six ans un jeu de rôle, où ils devaient manipuler des poupées représentant des adultes qui se rendaient à une fête. Avant la soirée, les « adultes » faisaient des courses dans un magasin miniature qui comportait 133 répliques de produits, dont neuf alcools (des bouteilles de vin et de bière). Les enfants pouvaient ensuite utiliser les objets qu’ils venaient d’acheter dans le jeu. Ainsi, les chercheurs ont constaté que les enfants ayant regardé des films pour la jeunesse n’achetaient pas plus de produits alcoolisés que ceux ne les ayant pas vus. Mais l’exposition à des films interdits aux moins de 13 ans ou déconseillés aux mineurs multipliait par cinq la probabilité qu’ils choisissent une bouteille d’alcool. 71 acceptable. Cette position, bien qu’intéressante, est toutefois minoritaire et contredit les données recueillies en psychologie et en épidémiologie depuis des décennies. Le second point expliquant comment les écrans influent sur la consommation d’alcool est indirect : quel est l’effet de n’importe quelle production médiatique où de l’alcool est présenté sans qu’il ne s’agisse d’une publicité ? Il a été établi que les séries, films, programmes télévisés, journaux, etc., modèlent l’imaginaire des individus, adultes et enfants. Ces productions médiatiques forment un environnement culturel qui modifie et oriente les attitudes : elles dictent ce qui est acceptable, ce qui est désirable et ce qui ne l’est pas. Les Peut-on diminuer la consommation d’alcool par conditionnement ? est exposé à des scènes où des héros admirés boivent Pbanalelusde onl’alcool, plus on considère cette consommation comme et « normale » en société. Une équipe de psychologues © Hannes Eichinger / Shutterstock.com hollandais de l’Université de Maastricht a donc eu l’idée inverse : peut-on « conditionner » un individu à détester l’alcool ? Ils ont exposé plusieurs hommes, consommateurs réguliers d’alcool, à des images présentant de l’alcool (diverses marques de bière) et associées à des scènes à connotation négatives (voir ci-dessous). Un autre groupe d’hommes regardaient les images d’alcool associées à des scènes neutres. On faisait croire aux participants qu’il s’agissait d’une tâche d’attention visuelle où ils devaient distinguer des mots et des pseudomots apparaissant sur un écran. Puis, dans une seconde étude – censée n’avoir aucun lien avec la première –, les chercheurs ont mesuré l’attitude des participants vis-à-vis de la bière et leur consommation immédiate. Les hommes exposés aux images d’alcool associées à des scènes négatives avaient des attitudes plus négatives vis-àvis de l’alcool et consommaient en moyenne moins d’alcool lors d’une (fausse) tâche de dégustation. 72 produits alcoolisés présentés à l’écran ne sont pas la cible de ce que l’on regarde, mais ils apparaissent naturels et socialement valorisés. En conséquence, les publicitaires utilisent des stratégies subtiles pour faire une promotion indirecte de leurs produits. Ainsi, un publicitaire peut investir de l’argent dans un film ou une émission télévisuelle pour que ses produits apparaissent à l’écran. Les cinéphiles ayant vu Superman II lors de sa sortie au cinéma dans les années 1980 ont constaté que leur superhéros faisait une sortie fracassante à travers un camion portant bien en évidence le logo de la marque Marlboro. Plus récemment, les films American Pie présentent de jeunes adultes consommant des quantités très importantes d’alcool, dont les marques sont bien visibles. Boire, c’est cool... En analysant le contenu des films hollywoodiens, on se rend compte que la plupart des films (entre 80 et 95 pour cent) mettent en scène des événements positifs liés à l’alcool, et que les personnages à l’écran sont dépeints de façon positive et valorisante. En revanche, les effets négatifs de l’alcool sont rarement évoqués ou mis en scène. On a montré que, sur un échantillon de 100 films sortis entre 1940 et 1990, les personnages consommant de l’alcool ont davantage de relations sociales positives et d’histoires romantiques et sexuelles. À force de voir cette association, le spectateur acquiert une vision positive de l’alcool et des personnes qui en consomment. En 2012, nous avons même montré que des individus buvant un « placebo » d’alcool – ils pensaient que la boisson était alcoolisée, alors que ce n’était pas le cas – se trouvaient aussi plus attractifs ! Le spectateur peut ainsi penser qu’un événement où l’on boit de l’alcool est normal. Les enfants sont autant exposés que les adultes : sur les 24 films d’animation « tout public » sortis par les studios Walt Disney entre 1937 et 2000, on compte 275 scènes où de l’alcool est consommé, avec seulement trois personnages ne buvant pas. Dans une synthèse parue en 2005, on a aussi établi que 35 pour cent des films interdits aux moins de 13 ans et 17 pour cent de ceux interdits aux moins de 17 ans présentent un adolescent buvant de l’alcool. Revenons à James Bond. Des statistiques réalisées par The Economist montrent que dans la période où Pierce Brosnan incarnait l’agent secret, il consommait près d’une vingtaine de L’adolescence - © Cerveau & Psycho James Bond : Martini ou Heineken ? En fait, la mise en scène systématique d’une consommation d’alcool ou de tabac par le héros ou les personnages principaux est susceptible d’augmenter la consommation des spectateurs, et ce de façon chronique. Ainsi, Sonya Dal Cin et ses collègues, de l’Université du Michigan, ont exposé des adolescents âgés de 10 à 14 ans à des films récents et populaires (choisis aléatoirement parmi les films ayant eu le plus de succès entre 1998 et 2002). Puis ils ont mesuré trois fois leur consommation d’alcool à huit mois d’intervalle. Ils ont montré que plus le jeune a regardé de films, plus sa consommation d’alcool a augmenté, probablement par un effet d’identification inconsciente. Nous aimons nous considérer rationnels : nous mettons en avant de multiples raisons pour expliquer nos comportements et nos opinions, et si nous admettons parfois être influençables, nous argumentons encore... Cependant, comme nous venons de le voir, plusieurs phénomènes – qui échappent à notre contrôle – peuvent modifier notre comportement. Par exemple, le spectateur n’a pas connaissance des intentions du financier ou du publicitaire et ne remarque pas forcément qu’il est exposé à un produit, mais les effets sur la consommation sont réels. Comment la publicité altère-t-elle notre comportement ? Plusieurs expériences en laboratoire et sur le terrain ont établi les conséquences des publicités sur le fonctionnement cognitif. La première, la plus connue, est l’effet de simple exposition : plus on est exposé à un objet, plus on l’apprécie, car on l’a progressivement mémorisé. Plus précisément, la perception et le traitement de cet objet sont facilités à chaque exposition, de sorte qu’il devient de plus en plus familier. Un deuxième effet est le phénomène de transfert affectif, également nommé conditionnement évaluatif. Ce processus est proche du conditionnement de Pavlov : l’exposition conjointe et répétée à deux stimulus, l’un affectivement neutre (nommé stimulus conditionné, par exemple une bouteille d’al- © L’Essentiel n° 15 août - octobre 2013 © Blu-ray Skyfall 2012 Danjaq, LLC United Artists Corporation / Distribution FPE Martini par film. Pour Skyfall, sorti en 2012, la société Heineken a « réglé » ce problème en finançant le film : James Bond n’y boit que de la bière de la marque éponyme… Boire cette bière devient un acte valorisé. cool) et l’autre chargé affectivement (nommé stimulus non conditionné, par exemple un héros de film), aboutit à un transfert affectif du stimulus non conditionné vers le stimulus conditionné. Ce principe s’applique aussi à des représentations ou des concepts mémorisés, qui sont associés : si l’un d’entre eux est « réactivé » (par exemple, car un élément extérieur l’a déclenché), le stimulus associé l’est aussi. Ces associations en mémoire peuvent apparaître à partir d’un petit nombre d’expositions conjointes aux stimulus, la probabilité d’activation de l’un à la présentation de l’autre augmentant avec le nombre d’expositions. 2. Encore un verre pour James Bond, dans Skyfall ! Il semble que ce qu’il consomme intéresse tout son entourage... On n’en a pas conscience Ainsi, se retrouver dans une situation impliquant des éléments liés à un film active automatiquement le souvenir d’un certain nombre d’idées et de représentations. On s’appuie alors sur ces souvenirs pour juger l’événement et les personnes impliquées. S’exposer à des publicités ou à des films montrant des personnages héroïques et séduisants qui aiment boire engendre des associations chez le spectateur. Toutefois, des facteurs sociaux et cognitifs modulent cette relation entre exposition et consommation. Prenons le cas des séries télévisées. Une étude a analysé plusieurs séries destinées à la jeunesse et montré qu’une plus grande exposition renforce la mémorisation des messages négatifs envers l’alcool. 73 Au contraire, quand les jeunes se sentent liés à une série, à un personnage ou aux caractéristiques sociales mises en avant, ils détectent et mémorisent alors plus facilement les messages positifs vis-à-vis de l’alcool. De surcroît, les enfants sont exposés aux publicités pour des marques d’alcool dès leur plus jeune âge et ils en mémorisent très bien le contenu. Aux États-Unis, près de huit enfants sur dix en maternelle reconnaissent le logo de Budweiser, une marque de bière américaine, et cette proportion atteint 100 pour cent au début de l’école primaire. En revanche, quand on interroge des enfants Plus on est exposé à un objet, plus on l’apprécie, car on l’a progressivement mémorisé. Bibliographie L. Bègue et al., Beauty is in the eye of the beer holder : People who think they are drunk also think they are attractive, in British Journal of Psychology, vol. 104, pp. 225-234, 2013. R. Koordeman et al., Alcohol portrayals in movies, music videos and soap operas and alcohol use of young people : current status and future challenges, in Alcohol and alcoholism, vol. 47, pp. 612-623, 2012. P. Anderson et al., Impact of alcohol advertising and media exposure on adolescent alcohol use : a systematic review of longitudinal studies, in Alcohol and alcoholism, vol. 44, pp. 229-243, 2009. 74 âgés de 7 à 12 ans sur leurs perceptions de l’alcool, par exemple s’ils pensent que boire de l’alcool les rendrait plus « cool », on remarque qu’ils ont des attitudes négatives vis-à-vis de l’alcool (près de neuf enfants sur dix pensent que boire de l’alcool n’est pas amusant). Mais d’autres études ont souligné qu’après avoir été exposés à des films, les enfants peuvent avoir un comportement plutôt positif envers l’alcool (voir l’encadré page 71). Les enfants sont influençables Ainsi, quand on interroge des adolescents (âgés d’environ 13 ans), on remarque que plus ils ont vu de films contenant des scènes d’alcool dans leur enfance, plus ils ont l’intention de consommer de l’alcool. De même, les enfants qui reconnaissaient plus de logos quand ils avaient entre 7 et 12 ans ont plus de risques de consommer de l’alcool à l’âge adulte. Ainsi, en cherchant à préciser les phénomènes psychologiques responsables de la formation des préférences et des attitudes, Avril Nash et ses collègues, de l’Université du Herstfordshire, ont montré que les enfants âgés de sept à huit ans ont davantage tendance que leurs aînés à employer un vocabulaire positif pour décrire des publicités pour l’alcool, et ils les apprécient davantage. En revanche, les enfants plus âgés (à partir de 9 ans, mais surtout au-delà de 12 ans) consi- dèrent négativement les publicités en rapport avec l’alcool. Comment expliquer ces différences ? En grandissant, l’image de l’alcool qu’ont les enfants devient plus complexe et peut intégrer des éléments concernant les effets négatifs de la consommation d’alcool. L’alcool laisse une empreinte cognitive Pour confirmer cette hypothèse, dans une autre étude, A. Nash et ses collègues ont utilisé une tâche de catégorisation pour déterminer à quelle vitesse les enfants classent des messages publicitaires qu’ils viennent de voir dans des catégories telles que « bon / mauvais », « amusant / ennuyeux », etc. L’objectif est de savoir si les préférences observées dans la première étude se manifestent aussi quand les enfants n’ont pas le temps d’élaborer une réponse, mais qu’ils doivent réagir vite, d’un simple clic de souris. Les résultats montrent alors que les publicités pour l’alcool sont jugées plus positivement que les autres, et ce quel que soit l’âge des enfants. Le fait d’être exposé à la publicité pour de l’alcool laisse donc une empreinte cognitive et mnésique, qui augmente le risque d’une consommation ultérieure. À la lumière de ces résultats, ne doit-on pas changer la réglementation de la publicité pour des produits dont on sait qu’ils peuvent avoir des effets néfastes ? Réduirait-on la consommation d’alcool si l’on supprimait toute forme de publicité pour ces produits ? Des économistes américains ont montré qu’une suppression complète engendrerait une diminution de la consommation d’alcool mensuelle chez les jeunes de 24 pour cent et du binge drinking (c’est-à-dire le fait de boire une grande quantité d’alcool en très peu de temps) de 42 pour cent. De même, les outils et les connaissances développés en psychologie et en épidémiologie ont déjà permis de mettre en place des programmes de prévention efficaces aux États-Unis. En France, selon le Bulletin épidémiologique hebdomadaire de mai 2013, 36 500 décès par an sont attribuables à l’alcool chez les hommes et 12 500 chez les femmes ; et la proportion des décès liée à l’alcool chez les 15-34 ans est de 22 pour cent. L’alcool représente la deuxième cause de mortalité évitable en France. Aujourd’hui, il ne fait aucun doute que la publicité pour l’alcool et sa valorisation constante dans les films participent à ces statistiques. n L’adolescence - © Cerveau & Psycho