Douze années de suivi épileptologique et psychosocial d`un patient

doi: 10.1684/epi.2009.0230
Douze années de suivi
épileptologique et psychosocial
dun patient du Centre de lutte
contre lépilepsie à La Teppe
Régine Vanoni, Gwenaëlle Le Moroux, Lydie Cellier,
Marielle Prevos-Morgant, Didier Tourniaire
CLE, établissement médical de la Teppe, 26602 Tain lHermitage cedex, France
Le Centre de lutte contre lépilepsie (CLE)
est la principale orientation de létablissement
médical de la Teppe à Tain lHermitage
(Drôme) (figure 1). Il regroupe deux ensembles
de services : lunité dobservation neurologique
(UON), service dhospitalisation pour un ou
deux mois, qui inclut trois lits dEEG-vidéo et
les services médico-éducatifs où le séjour peut
durer quatre ans. La prise en charge globale réa-
lisée au sein du CLE permet dexplorer et de
traiter lépilepsie puis délaborer un projet per-
sonnalisé pour chaque patient. La réalisation
de ce projet nécessite un accompagnement au
quotidien sur plusieurs années, poursuivi par-
fois après le départ du CLE.
Le parcours dHugo nous permet dillustrer
lintrication des difficultés médicales, psycho-
logiques et sociales et les réadaptations du pro-
jet réalisées pendant 12 années par plusieurs
équipes devant la prise de conscience de ses
difficultés.
Histoire médicale :
le premier séjour
Hugo est né prématuré, au septième mois
dune grossesse gémellaire. Il a présenté une
première crise à lâge dun mois, et son enfance
a été ponctuée de crises généralisées tonicoclo-
niques. À partir de lâge de 22 ans, son traite-
ment associe : Alepsal
®
, Di-Hydan
®
, Urbanyl
®
.
Il fait alors une à deux crises partielles com-
plexes par semaine, avec parfois généralisation
secondaire. Hugo a été scolarisé jusquen cin-
quième. Il a travaillé en usine avant dêtre
licencié en raison de ses crises. Il présente des
troubles psychologiques importants, avec un
rituel de lavage des mains. Il néglige sa santé :
il fume deux paquets de cigarettes par jour,
consomme de lalcool en excès, ainsi que du
café avec huit sucres par tasse. Il vit chez ses
parents.
Il est hospitalisé pour la première fois à
lUON à lâge de 34 ans. Cette hospitalisation
est nécessitée par une somnolence diurne
excessive qui a elle-même entraîné une brûlure
du membre supérieur droit. Il prend son traite-
ment irrégulièrement, il peut dormir plusieurs
jours, puis rattrape tout son traitement en
retard en une seule prise
À son arrivée, les dosages médicamenteux
confirment lintoxication au phénobarbital et à
la phénytoïne. La posologie est réadaptée, puis
du Tégrétol
®
est introduit. Nous assistons pro-
gressivement à son éveil et, en fin de séjour,
seules persistent quelques crises brèves.
Au cours de ce premier séjour, Hugo ne
souhaite pas participer aux ateliers thérapeuti-
ques ; il est peu soucieux de son avenir et
donne la priorité au traitement médical.
Il repart donc ensuite au domicile de ses
parents.
Histoire psychosociale :
travail éducatif, restauration
de lestime de soi et confrontation
à la réalité
Hugo est réhospitalisé à lâge de 37 ans,
toujours à lUON, avec une demande dinser-
Échanges paramédicaux
Échanges paramédicaux
Épilepsies 2009 ; 21 (2) : 204-6
Tirés à part :
R. Vanoni
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tion professionnelle. Il participe aux ateliers thérapeutiques
pour évaluer ses capacités : il se montre rapidement motivé et
fournit un travail appréciable. Il a toutefois des difficultés ponc-
tuelles dorientation spatiale et dinhibition comportementale.
En accord avec lui, la prise en charge se poursuit dans un ser-
vice médico-éducatif. Il y reste 16 mois et confirme ses capaci-
tés dadaptation et de travail en Établissement et service daide
par le travail (ESAT). Il refuse alors toutefois de vivre dans le
foyer de lESAT. Lobservation de son comportement dans la
vie quotidienne et ses relations aux autres conduit léquipe édu-
cative à suivre son avis et rechercher une structure extérieure.
Un essai de stage en entreprise ordinaire conduit à un
échec : il se heurte aux problèmes de transport et à des problè-
mes relationnels. La confrontation à la réalité vient donc per-
cuter le fragile équilibre quil construisait.
Un mois plus tard, il obtient sa notification COTOREP
(actuelle MDPH) pour travailler en atelier protégé. Sa candida-
ture nest pas retenue à La Teppe, faute de place disponible.
Il intègre un autre atelier protégé, à Avignon, à 150 km. Il ny
restera que quatre mois. Les mêmes problèmes relationnels et
la solitude provoquent ce nouvel échec. Hugo a été dans
limpossibilité de se construire un nouveau réseau social.
Il essaye alors dintégrer un autre atelier protégé, mais malgré
le bon contrôle de lépilepsie, la médecine du travail lui a
imposé des restrictions importantes pour lutilisation des
machines agricoles en espaces verts. Il revient dans la région
sans emploi en nouvelle situation dimpasse psychosociale.
Deux ans après son départ de La Teppe, il est réadmis dans un
service médico-éducatif du CLE.
La « deuxième chance »
Léquipe lui propose de reprendre le projet initial (ESAT et
foyer). Cette fois, Hugo accepte : il se sent en confiance et
connaît mieux ses limites. Il fait un stage de trois mois à
lESAT de La Teppe. Sa candidature est retenue, ce qui le sti-
mule, et il accepte toutes les prises en charge quil avait refusé
auparavant : orthophonie, soins dentaires et psychothérapie
pendant quatre mois. Il accepte aussi la solution temporaire
dhébergement au foyer de lESAT de la Teppe. Il admet de ten-
ter de corriger son trouble articulatoire qui le handicape dans
sa communication. Les entretiens psychologiques lui permet-
tent de retrouver confiance en lui après cet échec. Il reprend
conscience de la nécessité du suivi médical. Il peut enfin inté-
grer, à lESAT, la section jardinage-bio. Il y rencontre son amie.
Un an après, il peut emménager dans un appartement dans
la ville de Tain lHermitage. Il est suivi par le Service daccom-
pagnement à la vie sociale (SAVS). Il devient capable de cons-
truire des projets de vie commune.
Recrudescence de crises et rechute de lanxiété
Après deux ans de vie sans problème dans cet appartement,
àlâge de 45 ans, Hugo présente chez lui un épisode de confu-
sion avec agressivité envers son amie. Il nen garde pas de sou-
venir. Il présente aussi des douleurs abdominales fréquentes
pour lesquelles de multiples investigations sont normales
(anxiété ?). Il entre donc à lUON pour traiter ses problèmes
psychologiques. Dès lentrée, il se sent soulagé dêtre entouré.
Une psychiatre laide à réfléchir sur son mal-être actuel quil
attribue à des tensions relationnelles avec son responsable
datelier et certains camarades. Une simple aide médicamen-
teuse ponctuelle est prescrite. Il retourne chez lui 15 jours
plus tard, beaucoup plus serein. Quelques mois après, devant
un nouvel épisode de trouble comportemental, dans un grand
contexte de grand « ras-le-bol » de sa maladie, Hugo accepte de
passer deux semaines en EEG-vidéo pour comprendre ce qui
revient à lanxiété et à lépilepsie. Sur le tracé EEG, des pointe-
ondes temporales droites apparaissent dès quil somnole. Deux
crises sont enregistrées. Elles sont initiées dans les régions tem-
porales et frontales droites. Il existe une rapide propagation
temporale gauche. Cliniquement, il présente une vocalisation
intense, une dystonie du membre supérieur gauche, une rup-
ture de contact et une aphasie. Il est très agité après la crise.
Hugo est alors rassuré de comprendre que lépisode dagressi-
vité quil a eu envers son amie était postcritique. Ladjonction
de Keppra
®
se révèle très efficace. Il regagne son domicile, est
toujours épaulé par le SAVS et peut reprendre sa vie normale.
Actuellement, il ne fait plus de malaise. Il travaille à latelier
maraîchage et vit en appartement avec son amie. Il apprécie
son autonomie difficilement acquise.
Conclusion
Le CLE a pris en charge un patient qui se trouvait dans une
situation initiale déchec thérapeutique, puis dans une impasse
psychosociale. Seul un échec a permis lacceptation de la
période transitionnelle de vie en foyer. Laccompagnement a
Figure 1. Le centre La Teppe.
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duré 12 ans jusquàlobtention dune situation psychosociale
stable. Tour à tour, Hugo a eu recours au neurologue pour adap-
ter la thérapeutique de son épilepsie, et donc établir une relation
avec le CLE, puis aux éducateurs datelier et assistantes sociales
pour construire son projet. Après son échec en extérieur, le
travail éducatif a porté surtout sur sa vie relationnelle, aidé par
les psychiatres, la psychologue et lorthophoniste. Pendant tout
son séjour, éducateurs et infirmiers lont entouré au quotidien
dans la gestion de lanxiété et de lhygiène de vie. La pluri-
disciplinarité du CLE est donc une richesse pour tous les
patients atteints dépilepsie chez qui la non-prise en compte
des problèmes psychosociaux conduit à limpasse comme la
vécue Hugo.
Remerciements : Nous remercions Hugo davoir accepté
de nous donner son témoignage.
R. Vanoni, et al.
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