Douze années de suivi épileptologique et psychosocial d`un patient

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Échanges paramédicaux
Épilepsies 2009 ; 21 (2) : 204-6
Douze années de suivi
épileptologique et psychosocial
d’un patient du Centre de lutte
contre l’épilepsie à La Teppe
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Régine Vanoni, Gwenaëlle Le Moroux, Lydie Cellier,
Marielle Prevos-Morgant, Didier Tourniaire
CLE, établissement médical de la Teppe, 26602 Tain l’Hermitage cedex, France
<[email protected]>
licencié en raison de ses crises. Il présente des
troubles psychologiques importants, avec un
rituel de lavage des mains. Il néglige sa santé :
il fume deux paquets de cigarettes par jour,
consomme de l’alcool en excès, ainsi que du
café avec huit sucres par tasse. Il vit chez ses
parents.
Le parcours d’Hugo nous permet d’illustrer
l’intrication des difficultés médicales, psychologiques et sociales et les réadaptations du projet réalisées pendant 12 années par plusieurs
équipes devant la prise de conscience de ses
difficultés.
À son arrivée, les dosages médicamenteux
confirment l’intoxication au phénobarbital et à
la phénytoïne. La posologie est réadaptée, puis
du Tégrétol® est introduit. Nous assistons progressivement à son éveil et, en fin de séjour,
seules persistent quelques crises brèves.
Histoire médicale :
le premier séjour
Au cours de ce premier séjour, Hugo ne
souhaite pas participer aux ateliers thérapeutiques ; il est peu soucieux de son avenir et
donne la priorité au traitement médical.
Il repart donc ensuite au domicile de ses
parents.
Hugo est né prématuré, au septième mois
d’une grossesse gémellaire. Il a présenté une
première crise à l’âge d’un mois, et son enfance
a été ponctuée de crises généralisées tonicocloniques. À partir de l’âge de 22 ans, son traitement associe : Alepsal®, Di-Hydan®, Urbanyl®.
Il fait alors une à deux crises partielles complexes par semaine, avec parfois généralisation
secondaire. Hugo a été scolarisé jusqu’en cinquième. Il a travaillé en usine avant d’être
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Il est hospitalisé pour la première fois à
l’UON à l’âge de 34 ans. Cette hospitalisation
est nécessitée par une somnolence diurne
excessive qui a elle-même entraîné une brûlure
du membre supérieur droit. Il prend son traitement irrégulièrement, il peut dormir plusieurs
jours, puis rattrape tout son traitement en
retard en une seule prise …
Histoire psychosociale :
travail éducatif, restauration
de l’estime de soi et confrontation
à la réalité
Hugo est réhospitalisé à l’âge de 37 ans,
toujours à l’UON, avec une demande d’inser-
doi: 10.1684/epi.2009.0230
Tirés à part :
R. Vanoni
Le Centre de lutte contre l’épilepsie (CLE)
est la principale orientation de l’établissement
médical de la Teppe à Tain l’Hermitage
(Drôme) (figure 1). Il regroupe deux ensembles
de services : l’unité d’observation neurologique
(UON), service d’hospitalisation pour un ou
deux mois, qui inclut trois lits d’EEG-vidéo et
les services médico-éducatifs où le séjour peut
durer quatre ans. La prise en charge globale réalisée au sein du CLE permet d’explorer et de
traiter l’épilepsie puis d’élaborer un projet personnalisé pour chaque patient. La réalisation
de ce projet nécessite un accompagnement au
quotidien sur plusieurs années, poursuivi parfois après le départ du CLE.
Douze années de suivi d’un patient du CLE à la Teppe
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l’ESAT de La Teppe. Sa candidature est retenue, ce qui le stimule, et il accepte toutes les prises en charge qu’il avait refusé
auparavant : orthophonie, soins dentaires et psychothérapie
pendant quatre mois. Il accepte aussi la solution temporaire
d’hébergement au foyer de l’ESAT de la Teppe. Il admet de tenter de corriger son trouble articulatoire qui le handicape dans
sa communication. Les entretiens psychologiques lui permettent de retrouver confiance en lui après cet échec. Il reprend
conscience de la nécessité du suivi médical. Il peut enfin intégrer, à l’ESAT, la section jardinage-bio. Il y rencontre son amie.
Un an après, il peut emménager dans un appartement dans
la ville de Tain l’Hermitage. Il est suivi par le Service d’accompagnement à la vie sociale (SAVS). Il devient capable de construire des projets de vie commune.
Figure 1. Le centre La Teppe.
Recrudescence de crises et rechute de l’anxiété
Après deux ans de vie sans problème dans cet appartement,
à l’âge de 45 ans, Hugo présente chez lui un épisode de confusion avec agressivité envers son amie. Il n’en garde pas de souvenir. Il présente aussi des douleurs abdominales fréquentes
pour lesquelles de multiples investigations sont normales
(anxiété ?). Il entre donc à l’UON pour traiter ses problèmes
psychologiques. Dès l’entrée, il se sent soulagé d’être entouré.
Une psychiatre l’aide à réfléchir sur son mal-être actuel qu’il
attribue à des tensions relationnelles avec son responsable
d’atelier et certains camarades. Une simple aide médicamenteuse ponctuelle est prescrite. Il retourne chez lui 15 jours
plus tard, beaucoup plus serein. Quelques mois après, devant
un nouvel épisode de trouble comportemental, dans un grand
contexte de grand « ras-le-bol » de sa maladie, Hugo accepte de
passer deux semaines en EEG-vidéo pour comprendre ce qui
revient à l’anxiété et à l’épilepsie. Sur le tracé EEG, des pointeondes temporales droites apparaissent dès qu’il somnole. Deux
crises sont enregistrées. Elles sont initiées dans les régions temporales et frontales droites. Il existe une rapide propagation
temporale gauche. Cliniquement, il présente une vocalisation
intense, une dystonie du membre supérieur gauche, une rupture de contact et une aphasie. Il est très agité après la crise.
Hugo est alors rassuré de comprendre que l’épisode d’agressivité qu’il a eu envers son amie était postcritique. L’adjonction
de Keppra® se révèle très efficace. Il regagne son domicile, est
toujours épaulé par le SAVS et peut reprendre sa vie normale.
Actuellement, il ne fait plus de malaise. Il travaille à l’atelier
maraîchage et vit en appartement avec son amie. Il apprécie
son autonomie difficilement acquise.
tion professionnelle. Il participe aux ateliers thérapeutiques
pour évaluer ses capacités : il se montre rapidement motivé et
fournit un travail appréciable. Il a toutefois des difficultés ponctuelles d’orientation spatiale et d’inhibition comportementale.
En accord avec lui, la prise en charge se poursuit dans un service médico-éducatif. Il y reste 16 mois et confirme ses capacités d’adaptation et de travail en Établissement et service d’aide
par le travail (ESAT). Il refuse alors toutefois de vivre dans le
foyer de l’ESAT. L’observation de son comportement dans la
vie quotidienne et ses relations aux autres conduit l’équipe éducative à suivre son avis et rechercher une structure extérieure.
Un essai de stage en entreprise ordinaire conduit à un
échec : il se heurte aux problèmes de transport et à des problèmes relationnels. La confrontation à la réalité vient donc percuter le fragile équilibre qu’il construisait.
Un mois plus tard, il obtient sa notification COTOREP
(actuelle MDPH) pour travailler en atelier protégé. Sa candidature n’est pas retenue à La Teppe, faute de place disponible.
Il intègre un autre atelier protégé, à Avignon, à 150 km. Il n’y
restera que quatre mois. Les mêmes problèmes relationnels et
la solitude provoquent ce nouvel échec. Hugo a été dans
l’impossibilité de se construire un nouveau réseau social.
Il essaye alors d’intégrer un autre atelier protégé, mais malgré
le bon contrôle de l’épilepsie, la médecine du travail lui a
imposé des restrictions importantes pour l’utilisation des
machines agricoles en espaces verts. Il revient dans la région
sans emploi en nouvelle situation d’impasse psychosociale.
Deux ans après son départ de La Teppe, il est réadmis dans un
service médico-éducatif du CLE.
Conclusion
La « deuxième chance »
Le CLE a pris en charge un patient qui se trouvait dans une
situation initiale d’échec thérapeutique, puis dans une impasse
psychosociale. Seul un échec a permis l’acceptation de la
période transitionnelle de vie en foyer. L’accompagnement a
L’équipe lui propose de reprendre le projet initial (ESAT et
foyer). Cette fois, Hugo accepte : il se sent en confiance et
connaît mieux ses limites. Il fait un stage de trois mois à
205
Épilepsies, vol. 21, n° 2, avril-mai-juin 2009
R. Vanoni, et al.
disciplinarité du CLE est donc une richesse pour tous les
patients atteints d’épilepsie chez qui la non-prise en compte
des problèmes psychosociaux conduit à l’impasse comme l’a
vécue Hugo.
duré 12 ans jusqu’à l’obtention d’une situation psychosociale
stable. Tour à tour, Hugo a eu recours au neurologue pour adapter la thérapeutique de son épilepsie, et donc établir une relation
avec le CLE, puis aux éducateurs d’atelier et assistantes sociales
pour construire son projet. Après son échec en extérieur, le
travail éducatif a porté surtout sur sa vie relationnelle, aidé par
les psychiatres, la psychologue et l’orthophoniste. Pendant tout
son séjour, éducateurs et infirmiers l’ont entouré au quotidien
dans la gestion de l’anxiété et de l’hygiène de vie. La pluri-
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Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 25/05/2017.
Remerciements : Nous remercions Hugo d’avoir accepté
de nous donner son témoignage.
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