La philosophie de Masaryk n`est-elle qu`un .`" réalisme

La
philosophie
de
Masaryk n'est-elle qu'un
.'"
réalisme critique?
É.''
.,
Par
Daniel
Essertter
(Poitier
s).
( .
Comm
ent
définir
la philosophie
de
M.
Ma
saryk? .
Le
s
un
s y voient
un
f-
positivisme
et
encore
Je
mot
na-t-il
pas
le
même
se
n
s,
s'il est employé par
if.:
M.
Krejcf
ou
par
M.
Fajfr.
M.
Skrach
ne
nie
pa
s l'inspiration positivis
te,
m~is
~
.-
il
est
plus
fr
appé
par
l
es
conclu
sions,
qui
so
nt bien
différen
tes
de celles
de
Com
te:
::
:;
il
propo
se
timidement t r ans
pos
it
i visme, mais s'en tient finalement à hu
rn
a-
1:
niti
s
me.
M.
Blaha
forge
le
mot
synerg
i
sme
. ·
Enfin
M.
Radl
estime
que
le
~-
Pr
és
ident,
qui
fonda
le parti
réali
s
te,
est
aussi
réali
ste
en philo
so
phie, et M.
f
Ma
saryk
lui-m
ême
semble
avoir
une
prédilection pour le
term
e auqu
el
il
ajoute
~--
une
épithè
te
qui
ne
lui
est pas
moin
s
chère
: son système serait,
se
lon
lui,
un
' ..
réali
sme
cri
tiqu
e.
A mon
avis,
ces
deux
mo
ts caractérisent
un
aspect très
imp
ortant
de
la
:'
philo
sophie de M.
Ma
sar
yk,
mai
s
no
n l'ensemb
le
de
cette philosop
hi
e.
Il
s
: s'appliquent
parfa
i
te
ment à
ce
qui
en f
ut
la
pha
se ini
tiale,
m
ais
il
s
lais~ent
dan
s
:.
l'
om
bre la phase constructive.
Il
s
fo
rmen
t la
devi
se
avec
laquelle
le
jeune pro-
--p
esse
ur de l'
un
ive
rs
it
é
de
Prague a
ma
rché
au
com
bat, ils
ne
so
nt
pa
s l'
o:
et
1'(1)
·
de
sa
pen
sée.
Reportons-nous à l'
ep
oque lîéroique.
Nou
s sommes en 1
88
0.
·
M.
Masaryk vient
de
publier le Su ici d
e.
Th
èse
d'habilitation, étude technique.
··
Li
so
ns-la
de
plu
s
pr
ès: nous y
perc
e
vron
s
un
frémisse
ment.
L'
au
te
ur
y confesse son
·
.•
époque,
sa
nation,
sa
génération. C'est
le
drame
de
,l'homme moderne•
qu
i
.
se
dis
s
imule
dan
s ses pages hérissées
de
statisti
que
s: ,l'homme
mod
ern
e"
es
t
:
malade,
je ne sais
quo
i dans
les
ressorts
de
la
machine
in
dividuelle et collec-
tive
se détend, s'abandonn
e.
Las
situde sans cause appare
nte,
la
ssitude
éne
r
vée,
. · desenchantement
accom
pagné
de
f
vres
mal
sa
ines, expériences
tr
oub
le
s,
qui
.
minent
so
urnoi
se
ment
1
~
fo
r
ce
de
viv
re,
puis
le
gofite
de
vivre
.
~
.
Ce
m
auva
is
.
air
a
pa
ssé s
u.r
toute l'Europe,
mai
s
comm
ent ne se
fut-il
pas attardé en
Bo-
·.
hême?
Le
Slave
qu
i so
mm
eille
au
coeur
du
Tchèque le
plu
s occidentali
en
subit
plu
s
que
pe
rsonne l'aném
ia
nte
influence, et c'est dans
un
e sor
te
de
brouillard, d
an
·s
la
molle
fuite
de
ses énergies qu'il pensait néanmoins pour-
suivre la rude tâche
de
la
régénérati
on
nationale-!
Il
vivait paresseus
em
ent,
lit-
t
ér
a
ireme
nt
son
rêve
patriotiqu
e.
Il
s'e
nc
hantait
des
strophes
oss
ianiq
ues
des
·
manu
sc
rits
si
heureus
e
ment
,.
re
tro
u
vés"
p
ar
Ha
nka.
Le
glorieux passé ntait-
·il'pa·s garant d'un m
ag
nifi
que
aveni
r?
Ma
is
il
ne
faisait
ri
en
pou
r en hâter
l'avè
nem
en
t.
Il
éta
it, en
un
mot,
l_a proie
du
Mythe.
Masaryk aperçut, d'un c
ou
p,
le
danger, diagn
os
tiqua
la
malad
ie
.
Il
commença
par démolir
im
pi
to
yabl
ement
-
.. ,
188
ùanlel
esserHet
(2
.
le .
factice
décor: les
ma
nuscrits
eta
ient
des
f
aux,
la
preuv
e
de
va
it
êt
re
faite,
elle
le
fu
t.
Au
camp
des
r
êve
ur
s,
de
s pa
tri
ots à bon compte,
ce
fut
une
expl
os
i6n de
colère
qui
acheva
de
convaincre le jeune philosophe
de
la
profondeur
du
mal
et
du
réel
péril
que
cet
opi
um
f
ai
sa
it courir à toute
la
nation. A
vec
quelle
fermeté
il
débrida
la
plaie!
Il
savait bien
ce
qu
'il risquait.
Il
n'en .
avaif
cur
e.
11
possédait
ju
stement,
lui
, la qualité
qui
é
tai
t la
plus
rare autour
de
lui
et
dont
l'absence
cau
sait
tou
t
le
mal:
la
courage. C
ou
r
age
en
face
des
idées:
voir
les
choses telles qu'elles sont et
pou
r cela ne
pas
hésiter à dépister et à s
ou
mettre
à u
ne
sévère critique tous.
les
préjugés. Co
ura
ge en
face
des hommes:
re
st
er
dr
oit,
le
front haut, devant les maîtres
de
Vi
.enne et leurs
va
lets, risguer situ-
a
ti
o
n,
fortune, payer
de
sa
vie
s'il le fauUa
fid
élité à
un
grand id
éa
l.
Dès
ce
.
mo
me
nt,
Masaryk sut
ce
que serait sa philosophie: elle serait génératri
ce
de
courage intellectuel et
moral,
elle ser
ai
t
un
réalis
me,
en
ce
sens
qu'~lle
oppo
-
sait sans c
esse
la
réa
l
ité
non
pas
à l
'i
déal,
mais
à l'imaginaire, f
ru
it
d'une
lâche
complaisance pour
soi-m
ême;
et
elle
se
rait
un
réa
lisme
critique, car
elle
pa
s-
serait
au
cribl
e d'une taison intransigeante les no
ti
ons
mal
fo
rmées,
acceptées
de
toutes
main
s, trop
fa
vor
ables à l'éclosion
de
s
so
phismes.
Mais
ce
réalisme crit
iqu
e n'était qu'u
ne
préface.
Il
fallait d'abord qu'il
fut
bien établi qùe,
en
d
eho
rs
de
la
vérité
ou
contre e
ll
e,
r
ie
n n'était
viable.
Ce
la
p
osé
la t
âc
he était-elle terminée? Elle
ne
faisait que c
om
m
enc
er.
·
..
*
. .
L'
oe
vre
masar
yk
ienne n'est
pas
une
oeuvre pureme
nt
critique:
elle
veut
a
va
nt 'tout
con
str
uire. L'humanité a besoin d'
une
fo
i, d'un idéal; d'une
raison
de
vivre: la
tâch
e de la philosophie est
de
les l
ui
fou
rni
r.
Le
s anciens
temps sont détruits,
il
lui appartient d'en bâtir de
no
u
veaux
. Méditer sur
les
ruin
es,
proclamer l'irrémédiabile
vani
de
tout, se
comp
l
aire
aux jeux
des
idées
est indigne d'elle.
La
philosophie est
un
sacerdoce.
Elle
est responsable
du
bonhe
ur
ou
du
malheur des
hommes
. Elle doit les sauver
du
désespoir et
de
la ruine morale. Elle
ne
combat pas
la
religion, elle l'épure: elle cherc
he
à
dégager
de
s religions historiqu
es,
fruit
de
l'expérience
hu
maine,
expres
si
on
d'
un
invi
nci
ble
beso
in,
la
religion
qui,
e
nfin
réconciliée
avec
la
science, est
la
se
ule
quf
pui
sse
sat
isfa
ire
l'
homme
moderne.
Ne
se
rait-elle pas,
en
dernière
a
na
ly
se,
cette religion
ell
e-mê
me
? ·
L'
oe
uv
re
de
Masaryk
me
parait sortie tout entière
de
la recont
re
de
sa
;,philosophie
de
l'histoire"
avec
la
profondeur de ses
conv
inctions
persol').nellès
Nou
s
so
mm
es
ici
en
pr
ésence d'une très haute conscience
qui
s'est c
ons
idér
ée
comme
le
point d'aboutissement normal et naturel d'une logique évolution
collective.
Ces grands id
éau
x,
qu
'e
lle
ne pourrait
pas,
elle
Je
sent bien, arracher
d'elle
me,
qui rég!ent impérieusement
sa
pensée et
sa
conduite, ont
été
élaborées par l'humanité
to
ut
entiè
re,
au
prix
de
qu
elles luttes et de
quelles
sou
ffra
nces
l
Dès
lo
rs
ne
sont-ils
pas
l
es
suprêmes réalités?
Ne
serait-
il
pas
va
in d'aller chercher ailleurs
les
pi
erres
su
r l
esq
uelles
il
cqnvient de bâtir l'Eglise
nouve
ll
e? L'erreur d'Auguste Comte a été
de
cro
ir
e que l'
human
ité pourrait
se
passer
de
Die
u,
à partir
du
j
our
- · d'ailleurs absolument
improbable-
elle
au
rait r
onnue qu'illui
es
t à tout j
ama
is
inacce
ss
ible.
Il
a
pri
s pour
un
e indi-
cation
de
l'avenir l'irreligion d'un moment: par une
incom
préhensible aber·
La
ph
llos~phie
de
Masa
ryk
n'est elle qu'
un
r
éa
li
sme critique? 189
r~ttion,
il
lui a donné le pas sur
une
expé
rie
nce
plu
si
eur
fois
millénaire. n n'a
pas
vu
que
si
Di
eu
n'existe pas et si l
me
n'
est
pas
im
mo
rtelle
la
vie
humaine
n'a
plus
de
sens, le devoir n'a
plu
s
de
base,
le
bien
s
ocial
se
r~lâche.
Mai
s
ce
n'est pas
pour
éviter c
es
con
quences qu'il
faut
ma
ntenir
les
i
déau
x tradition-
nels.
Ce
s idé
aux
ne
dépendant pas d'
un
décret
de
notre esprit. L'humanité les
a
forgés
dans la douleur, notre conscience les consacre.
trouverons
-n
ous
de
meill
eu
rs fondations? Par quel
moy
en
pouvons nous
es
rer
de
mieux
assurer
la communion
des
hommes?
R
éa
lism
e
criti
qu
e,
en ta
nt
que méthode, la philosophie
de
M.
Masaryk en
tant que sys
tèm
e,
nous parait
bien
être
un
idéalisme const
ru
cteu
r.
1 / 2 100%

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