Peter Atkins ATKINSREA_V3_couv 07/08/12 17:32 Page1 L es réactions entre atomes constituent l’essence même de la chimie. De fait, lorsque les chimistes agitent, remuent et font bouillir des liquides, ils tentent en réalité de forcer divers atomes à former de nouvelles liaisons, bref à créer des substances qui, peut-être, n’ont jamais existé dans la nature. Mais que se passe-t-il en fait ? De quelle manière les atomes sont-ils appelés à réagir ? « Imaginons que nous rapetissions jusqu’à la taille d’une molécule, ce qui nous permettrait d’observer exactement ce qui se passe lorsque la solution de chlorure de sodium est mélangée à la solution de nitrate d’argent. » Au cœur des réactions chimiques - La vie privée des atomes Avec sa rigueur scientifique légendaire, Peter Atkins propose au lecteur de devenir le témoin direct des processus chimiques déclenchés : on observe des atomes qui décident de quitter leur partenaire pour aller s’accrocher à un autre selon des modalités les plus diverses. En explorant ainsi, dans un premier temps, les réactions chimiques les plus fondamentales, Atkins en arrive à décrire des phénomènes bien plus sophistiqués, comme la digestion ou la photosynthèse. Et en définitive, le lecteur découvrira les subtilités de la synthèse organique – véritablement assimilable à un art – qui permettent d’obtenir pratiquement n’importe quelle molécule souhaitée. PETER ATKINS ISBN : 978-2-8041-7161-2 9782804171612 ATKINSREA www.deboeck.com Conception graphique : Primo&Primo Paul Depovere est docteur en sciences chimiques, pharmacien et candidat en sciences médicales. Professeur émérite, il a enseigné la chimie à l’Université catholique de Louvain (UCL – Bruxelles) et à l’université Laval (Québec). Il est le traducteur réputé de trois grands traités : Chimie générale (McQuarrie/Rock), Chimie organique (Vollhardt/Schore) et Chimie pharmaceutique (Patrick). AU CŒUR DES RéACTIONS CHIMIQUES LA VIE PRIVéE DES ATOMES PETER ATKINS Chez le même éditeur DEPOVERE P., La fabuleuse histoire de la chimie moderne DEPOVERE P. La chimie dans tous ses états. Le bêtisier commenté de la chimie Dans la même collection ATKINS P. W., Les 4 grands principes qui régissent l’Univers Collectif, Biologie moderne et vision de l’humanité DEPOVERE P., La classification périodique des éléments. La merveille fondamentale de l’Univers FREDERICK J.E., Sciences de l’atmosphère. Une introduction SANDERS R., Á la recherche de la matière noire. Histoire d’une découverte fondamentale STANNARD R., Vers la fin des découvertes. Approchons-nous des limites de la science ? WAKEFORD T., Aux origines de la vie. Quand l’homme et le microbe s’apprivoisent WYNN C.M., WIGGINS A.W., Intuitions géniales. Le top 5 des meilleures idées scientifiques AU CŒUR DES RéACTIONS CHIMIQUES LA VIE PRIVéE DES ATOMES PETER ATKINS Traduction de l’édition américaine par Paul Depovere Ouvrage original : Peter Atkins, Reactions : The Private Life of Atoms, First Edition was originally published in English in 2011. Oxford University Press Inc., New York. © Peter Atkins limited 2011. All Rights Reserved This translation is published by arrangement with Oxford University Press Inc. Pour toute information sur notre fonds et les nouveautés dans votre domaine de spécialisation, consultez notre site web : www.deboeck.com © De Boeck Supérieur s.a., 2012 Rue des Minimes 39, B-1000 Bruxelles 1re édition Tous droits réservés pour tous pays. Il est interdit, sauf accord préalable et écrit de l’éditeur, de reproduire (notamment par photocopie) partiellement ou totalement le présent ouvrage, de le stocker dans une banque de données ou de le communiquer au public, sous quelque forme et de quelque manière que ce soit. Imprimé en Belgique Dépôt légal: Bibliothèque nationale, Paris : septembre 2012 Bibliothèque royale de Belgique, Bruxelles : 2012/0074/269 ISBN 978-2-8041-7161-2 TABLE DES matières Partie I Les outils de base Une remarque préliminaire : L’eau et ses amis privilégiés 1 3 1. De la matière devenue insoluble qui se dépose au fond d’une solution 11 2. L’un donne, l’autre prend 14 3. Des feux dans la nuit 26 4. Retour à des notions fondamentales 33 5. Une poignée de mains 37 6. L’intervention de l’électricité 47 7. La production d’un courant électrique 54 8. La mort d’un métal 61 9. Des associations civiles 67 10. Ôte-toi de là que je m’y mette ! 76 11. L’agent matrimonial 81 12. Divorce et réconciliation 88 Partie II L’installation de l’atelier 95 13. Des raccordements sans fin 97 14. Assemblages à l’aide de boutons-pression 102 15. Déploiement de missiles 106 16. La guerre électronique 113 17. Comme une fermeture Éclair : un va-et-vient incessant 120 18. Autre type de fermeture à glissière 129 19. Des atomes à ajouter 133 20. Des atomes à emporter 136 21. L’art de remplacer un oxygène carbonylique par un carbone 139 22. D’autres moyens pour complexifier des molécules carbonées 142 Partie III Des applications lumineuses 147 23. De la matière qui s’assombrit 149 24. Des milieux irritants 152 25. Percevoir la lumière 155 26. De la chimie verte 157 VI tabl e de s m at ière s Partie IV Concevoir la synthèse de molécules sophistiquées 161 27. Des enzymes qui méritent notre considération 163 28. Conceptions d’envergure 171 Partie V Une révision à la baisse des types de réactions 175 Glossaire179 Index186 Préface Les réactions entre atomes constituent l’essence même de la chimie. De fait, lorsque les chimistes agitent, remuent et font bouillir leurs diverses mixtures liquides, ils tentent en réalité de forcer gentiment divers atomes à former de nouvelles liaisons, bref à créer des substances qui, peut-être, n’ont jamais existé auparavant dans l’Univers. Mais que se passe-t-il en fait ? De quelle manière les atomes sont-ils appelés à réagir ? Comment, alors que l’on se sert au laboratoire de l’équivalent des pelles et des seaux, peut-on réussir à inciter individuellement ces atomes – submicroscopiques et donc invisibles – à envisager de nouvelles associations ? Bon nombre de personnes estiment que la chimie est un sujet ésotérique, qui ne peut être compris que par des initiés soumis à des règles monacales. Pour beaucoup en effet, il semble que cela a créé un sentiment d’aversion vis-à-vis de cette science, considérée comme trop abstraite puisque toutes les explications fournies n’ont finalement trait qu’à des atomes à peine imaginables. Et cependant, en fait, dès l’instant où vous acceptez que les atomes sont bel et bien réels et assimilables à des êtres qui mènent leur vie quotidienne, la pièce de théâtre que constituent les transformations chimiques est prête à se jouer devant vous. Dans ce livre, j’ai cherché à vous permettre de comprendre et visualiser la vie privée des atomes afin que vous puissiez imaginer ce qui se passe à l’échelle moléculaire lorsque vous songerez aux diverses transformations chimiques qui se déroulent tout autour de vous et même en vous. Il peut s’agir, par exemple, de la chute d’une feuille à partir d’un arbre, de la digestion de la nourriture ingérée, des battements d’un cœur, de l’élaboration d’une pensée, sans oublier les grandes entreprises industrielles qui synthétisent les matériaux de notre monde moderne. Dans les chapitres qui vont suivre, je vous inviterai à construire une boîte à outils de processus fondamentaux qui vous permettront d’imaginer comment un atome peut se dissocier de son partenaire en vue de se joindre à un autre. Ensuite, avec ces outils de base à l’esprit, je vous aiderai à concevoir un atelier dans lequel tous ces outils seront rassemblés afin de pouvoir en faire usage dans le cadre de divers projets. Enfin, je vous montrerai, dans les grandes lignes, comment de tels ateliers sont mis à profit pour mener à bien certains grands projets de construction. VIII préface La représentation d’atomes ou de molécules comporte pas mal de dangers et celle des transformations subies par ces entités est encore plus risquée. J’ai décidé de dessiner toutes les molécules concernées sous la forme de caricatures, exactement comparables à celles qu’emploient classiquement les chimistes pour illustrer leurs idées, ce qui permettra, je l’espère, de décrire divers processus assez compliqués d’une manière simple et assez directe. Si vous le souhaitez, vous pourrez obtenir plus tard des précisions et autres détails dans des ouvrages plus sophistiqués : je ne désirais aucunement que de tels renseignements viennent perturber ce périple introductif visant simplement à encourager la compréhension des réactions chimiques. Le but ici poursuivi n’est pas tant de vous montrer exactement ce qui se passe au cours d’une réaction chimique mais plutôt de vous inviter à réfléchir visuellement au sujet de la vie privée des atomes. En somme, je cherche à vous convaincre que la chimie fait effectivement intervenir des entités tangibles, dotées de caractéristiques telles qu’on peut les assimiler à des personnalités et qui, comme les êtres humains, peuvent être amenées à s’associer de diverses manières. Ce texte, je l’ai écrit et illustré moi-même. J’ai également dû assurer la composition de chacune des pages afin que les illustrations figurent aux bons endroits. Dans cette tâche, j’ai bénéficié de l’aide du staff éditorial et des concepteurs appartenant à ma société éditrice, lesquels ont transformé mes esquisses, manifestement réalisées par un amateur sans grande expérience graphique, en la version plaisante actuelle. Je leur exprime toute ma gratitude ; ayant suivi l’entièreté des étapes de l’élaboration de ce livre, mis à part son impression définitive, j’apprécie encore davantage leur savoir-faire. PWA Mars 2011 Année internationale de la chimie I Les ou tils de base D ans cette partie, je vais vous présenter les marteaux, les clés à écrous ainsi que les ciseaux propres à la chimie. Ici, vous allez découvrir les variétés fondamentales de réactions chimiques qui sous-tendent tous les processus qui se déroulent autour de nous, qu’il s’agisse des procédés industriels, des phénomènes liés à la vie ou à la mort, voire encore des synthèses que les chimistes cherchent à réaliser dans leurs ballons bouillonnants. Ces réactions représentent tous les outils indispensables pour pouvoir fabriquer les différentes sortes de matière. La seule différence qui existe entre les outils ordinaires et les outils d’un chimiste est que ces derniers ont été minutieusement perfectionnés, étant donné que leur tâche consiste à déplacer des atomes d’un endroit vers un autre. Pour créer une nouvelle forme de matière qui, peut-être, n’existe nulle part dans l’Univers, ou tout simplement pour répondre à une demande précise, le au cœur de s ré ac t ions chimique s 2 chimiste doit être capable de cajoler, d’inciter, de tenter, de frapper, bref d’insister vivement pour que des atomes particuliers quittent leurs associés habituels au sein d’une substance afin de rejoindre certains atomes d’une autre substance. Les nouvelles liaisons doivent en outre être organisées selon des modalités précises, aboutissant ainsi parfois à des assemblages extrêmement complexes. C’est de cette façon que des substances nouvelles émergent à partir des matières premières. Bien entendu, les chimistes ne réalisent pas de tels démontages et remontages atome par atome, c’est-à-dire à une échelle individuelle : ces modifications sont exécutées en mélangeant, chauffant et agitant les substances voulues, qu’il s’agisse de liquides, de vapeurs ou autres solides aux couleurs multiples. Et cependant, en dessous de ces activités à grande échelle, il y a, dans ces mélanges, des myriades d’atomes qui répondent un par un à ces sollicitations. C’est dès lors en sachant ce qui se passe à l’échelle atomique que vous pourrez comprendre ce que le fait de mélanger, faire bouillir et agiter occasionne. Bref, dans chaque cas, je vous montrerai ce qu’il advient aux atomes lorsqu’un procédé courant, c’est-à-dire un outil de base, est mis en œuvre. Par la suite, je rassemblerai, en termes métaphoriques, chacun de ces outils usuels dans un atelier chimique pour vous amener à découvrir des constructions dont l’architecture révèle une extraordinaire beauté. Une remarque préliminaire L’eau et ses amis privilégiés L ’eau est le plus miraculeux de tous les fluides. Outre le fait d’être omniprésente sur Terre et, comme nous le savons, d’être indispensable à la vie, cette molécule fait preuve de propriétés remarquables qui, à première vue, ne semblent pas fort compatibles avec sa composition chimique ridiculement simple. Chaque molécule d’eau est en effet constituée d’un unique atome d’oxygène (O) et de deux atomes d’hydrogène (H). Sa formule chimique est donc, comme la plupart d’entre vous le savent déjà, H 2O. Voici déjà une propriété étrange, anormale mais ô combien importante ! Une molécule d’eau n’est qu’à peine plus lourde qu’une molécule de méthane (CH4, où C représente un atome de carbone) ou qu’une molécule d’ammoniac (NH3, où N représente un atome d’azote). Et cependant, alors que le méthane et l’ammoniac sont des gaz à la température ordinaire, l’eau est un liquide. L’eau est également une substance unique en son genre, en ce sens que sa forme solide, la glace, est moins dense que sa forme liquide, de sorte que la glace flotte sur l’eau. Les icebergs évoluent à la surface de l’eau. Dans un monde étranger, extraterrestre, des blocs de méthane ou d’ammoniac congelés couleraient tous deux dans leurs liquides respectifs, y rendant leurs Titanic (mais pas leurs Nautilus) plus sûrs que le nôtre. Autre propriété très importante : l’eau est un excellent solvant, étant capable de dissoudre des gaz et bon nombre de composés solides. Ceci a pour conséquence que l’eau constitue un milieu idéal pour réaliser des réactions chimiques. Dès que des substances ont pu y être dissoutes, leurs molécules peuvent se déplacer assez librement dans ce solvant et rencontrer des molécules d’autres substances dissoutes, ce qui se traduit éventuellement par une réaction chimique. De ce fait, il sera souvent question de l’eau dans ce livre, de sorte que ce commentaire préliminaire est important pour bien saisir ce qui va suivre. 4 au cœur de s ré ac t ions chimique s La molécule d’eau 1 Il est indispensable que vous connaissiez la molécule d’eau dans ses moindres détails car c’est d’elle que découlent toutes les propriétés qui rendent cette molécule si miraculeuse et, plus prosaïquement, si utile. La plupart du temps, l’allure de cette molécule ressemble au modèle 1, dans lequel la sphère rouge représente un atome d’oxygène tandis que les sphères en gris pâle représentent des atomes d’hydrogène. Bien sûr, dans la réalité, de telles molécules ne sont pas colorées et ne contiennent pas de sphères aussi nettement délimitées. De ce fait, l’illustration 2 est peut-être une meilleure description, bien qu’elle soit moins instructive. Je ne ferai donc appel à cette dernière représentation que lorsque je voudrai attirer votre attention sur la manière dont les électrons se répartissent parmi les atomes afin d’assurer la cohésion de l’ensemble. Chaque atome est constitué d’un minuscule noyau, porteur de charge(s) positive(s), entouré d’un nuage d’électron(s) négatif(s). Ces nuages électroniques, propres à chacun des atomes, fusionnent et s’étendent sur l’ensemble de la molé2 cule, comme on le montre en 2. Ils assurent ainsi le maintien de la molécule entière dans une forme géométrique qui lui est caractéristique. Un détail qui revêtira énormément d’importance tout au long de ce livre est le fait qu’une liaison entre un atome O et un atome H, que l’on représente par O–H, est constituée d’exactement deux électrons. Cette présence de deux électrons est une caractéristique propre à toutes les liaisons chimiques. En raison de l’attraction qui se manifeste entre des charges opposées – fussent-elles partielles –, une molécule H 2O peut coller (lâchement, pas de manière rigide) à d’autres molécules H 2O voisines et cet ensemble peut à son tour s’accoler à d’autres molécules voisines. C’est cet essaim mobile de molécules ainsi rassemblées qui constitue le fluide mouillant que nous appelons familièrement « eau ». Le comportement de telles molécules contraste avec celui des molécules de méthane. En premier lieu, la molécule de méthane (CH4, 4) affiche des charges partielles beaucoup moins prononcées, étant donné que le noyau d’un atome de carbone est plus faiblement chargé que celui d’un atome d’oxygène. Mais en outre, la charge partielle de l’atome de carbone est cachée derrière les quatre atomes d’hydrogène qui l’entourent (voir 5). Il en résulte que les molécules CH4 n’adhèrent que très faiblement l’une à l’autre, de sorte qu’à la température ordinaire le méthane se présente sous la forme d’un gaz, étant constitué de molécules indépendantes, largement séparées et libres de se 5 déplacer librement. 4 une rem arque prél iminaire Dans le cadre de ce qui va suivre, la caractéristique la plus importante d’une molécule H 2O est que, bien que celle-ci soit globalement électriquement neutre, la charge électrique n’y est pas distribuée de manière uniforme. Il s’avère que l’atome d’oxygène est porteur d’une légère charge négative, 3 tandis que les atomes d’hydrogène sont, chacun, légèrement positivés (voir 3). Tout au long de cet ouvrage, chaque fois qu’il faudra décrire des charges électriques, je représenterai les charges positives en bleu et les charges négatives en rouge. Il vous appartiendra de faire la distinction entre ce code de couleurs relatif aux charges et celui qui permet de représenter les atomes des divers éléments, comme le rouge pour l’oxygène et le bleu pour l’azote ! Le surplus de charge négative propre à l’atome d’oxygène, qu’on appelle une « charge partielle » est dû à une accumulation du nuage électronique à ce niveau. Les électrons sont attirés vers cet endroit à cause de la charge relativement élevée du noyau d’oxygène. Ce déplacement se fait au détriment des atomes d’hydrogène, dont les noyaux sont, quant à eux, relativement faiblement chargés. À leurs niveaux, le nuage est appauvri, de sorte que la charge positive de leurs noyaux transparaît à travers ce nuage allégé, ce qui se traduit par l’apparition d’une charge positive partielle sur chacun de ceux-ci. 5 L’eau à l’état liquide et à l’état solide 6 au cœur de s ré ac t ions chimique s Figure 1 Reconsidérons l’essaim de molécules dont est constituée l’eau liquide. Un coup d’œil sur la figure 1 vous permet d’entrevoir la manière dont les molécules s’y disposent et vous devrez avoir à l’esprit cet arrangement lorsqu’il s’agira de ce liquide pur. En fait, cette image doit être considérée comme n’étant qu’un L’eau à l’état liquide. simple cliché faisant partie de tout un film : les molécules d’eau se meuvent en effet constamment, se renversant sans cesse et gigotant parmi leurs voisines. Lorsque l’eau se transforme en glace, ce mouvement se calme et les molécules se rangent et se disposent quasiment à l’arrêt, de façon hautement ordonnée (figure 2). Chaque molécule est encore toujours attirée par ses voisines grâce aux forces s’exerçant entre les charges partielles opposées, mais ici ces molécules adoptent une structure en nids-d’abeilles, se contentant de se balancer gentiment sur place et non plus de se mouvoir afin de dépasser leur voisine. La fusion n’est rien d’autre que la dislocation d’une telle structure lorsque, sous l’effet d’une augmentation de la température, les mouvements d’oscillation deviennent si vigoureux que les molécules se mettent à dépasser leurs voisines. Bref, la structure régulière et aérée s’effondre sur elle-même ! Par ailleurs, en comparaison avec l’eau liquide dont l’agencement des molécules rappelle plutôt des débris provenant d’une démolition, la glace est dotée d’une structure dans laquelle les molécules sont relativement plus espacées. De ce fait, la glace est moins dense que l’eau, de sorte qu’elle peut flotter sur son propre liquide. La dissolution d’une substance dans l’eau Vous avez tous déjà remarqué que l’eau est un solvant particulièrement efficace. Des substances aussi différentes que du sel de table ou du sucre s’y dissolvent aisément. Les océans regorgent de substances dissoutes, comprenant en cela les gaz qui entrent dans la composition de notre atmosphère. Cette aptitude de l’eau à dissoudre toutes sortes de substances découle également de la présence des charges électriques partielles sur ses molécules. Figure 2 L’eau à l’état solide. Les molécules d’eau sont capables de former une « cinquième colonne », c’est-à-dire des agents qui cherchent à s’infiltrer subversivement entre ces ions de manière à provoquer l’effondrement du solide ionique (figure 4). Les charges positives partielles situées sur les atomes d’hydrogène peuvent simuler la charge positive entière d’un ion sodium, en particulier lorsque plusieurs molécules d’eau sont présentes et, de ce fait, un ion chlorure peut être amené à quitter ses voisins sodium. De la même façon, les charges négatives partielles situées sur chacun des atomes d’oxygène de plusieurs molécules d’eau peuvent simuler la charge négative entière d’un ion chlorure, ce qui peut également amener un ion sodium à quitter ses voisins chlorure. Bref, les ions sodium et chlorure peuvent être incités à se laisser emporter par les molécules d’eau environnantes. La dissolution n’est donc rien d’autre qu’une séduction par duperie électrique. Mais certains ions peuvent ne pas se laisser berner de la sorte par des molécules d’eau. Dans certains cas en effet, l’attraction électrique qui s’exerce entre les ions voisins est un rien trop forte pour que les interactions relativement faibles dues aux charges partielles de quelques molécules d’eau puissent s’imposer. C’est pourquoi lesdits ions restent fidèles l’un à l’autre et Figure 4 Du chlorure de sodium dissous dans de l’eau. une rem arque prél iminaire Pour comprendre le rôle joué à ce propos par ces charges électriques, vous devez savoir qu’une substance aussi courante que le sel de table, autrement dit du chlorure de sodium (NaCl), est constituée de myriades d’ions, c’est-à-dire d’atomes électriquement chargés. Ces ions sont empilés les uns contre les autres et forment ainsi un vaste réseau tridimensionnel dans lequel ils sont maintenus grâce à l’attraction puissante qui Figure 3 Du chlorure de sodium à l’état solide. s’exerce entre leurs charges opposées (figure 3). Le sel de table est donc un exemple de ce qu’on appelle un « composé ionique ». Dans le cas présent, chaque ion sodium (en bleu) est porteur d’une seule charge positive, ce qui correspond à Na. Quant à chaque ion chlore (en rouge), il est porteur d’une seule charge négative, de sorte qu’on le représente par Cl–. Un ion sodium se forme à la suite de la perte d’un électron périphérique d’un atome de sodium, tandis qu’un ion chlore (plus précisément un ion « chlorure ») résulte de l’acquisition de cet électron par un atome de chlore. Lorsque vous ramassez un grain de sel, vous prenez plus d’ions qu’il y a d’étoiles dans l’Univers visible. 7 8 au cœur de s ré ac t ions chimique s résistent à la séduction exercée par les charges partielles, de sorte que la substance en question reste insoluble. Tel est le cas du chlorure d’argent (AgCl, figure 5 ; Ag est le symbole de l’argent, argentum) qui est un solide blanc, insoluble dans l’eau. La plupart des paysages qui nous sont familiers demeurent inchangés au cours du temps parce que l’eau est incapable de dissoudre les roches. Toutes les roches, cependant, sont légèrement solubles, de sorte que l’eau les érode progressivement, ce qui explique qu’elle a pu transformer ces merveilleux paysages en diverses vallées et autres profonds canyons. Les substances chimiques ne sont pas toutes des composés ioniques. L’eau est précisément un exemple de « composé covalent » dans lequel les atomes sont maintenus l’un à l’autre grâce au nuage électronique qui s’étend entre eux, comme je l’ai expliqué ci-dessus. Plus loin dans 6 ce livre, je vous présenterai de manière plus explicite ce que l’on appelle des « molécules organiques », lesquelles constituent les composés covalents bâtis essentiellement – mais pas uniquement – à partir du carbone. Les molécules organiques, qui ont été ainsi appelées parce que l’on pensait jadis à tort qu’elles ne pouvaient être produites que par des organismes vivants, contiennent également typiquement de l’hydrogène ainsi que très souvent aussi de l’oxygène et de l’azote. On peut citer en guise d’exemple l’ éthanol, c’est-à-dire l’« alcool » ordinaire, CH3CH 2OH, 6. Soit dit en passant, cette formule montre comment les chimistes indiquent la composition d’une molécule autrement qu’en signalant simplement combien d’atomes de chaque élément y sont présents, comme dans C2H6O (ce qui en est la formule moléculaire, NdTr). Dans CH3CH 2OH, on peut identifier le mode d’enchaînement de certains groupements d’atomes intéressants. Ainsi, la structure de l’éthanol laisse entrevoir un groupe CH3, suivi d’un groupe CH 2 auquel est attaché un groupe OH. S’il est bien vrai que bon nombre de molécules organiques se dissolvent parfaitement dans l’eau (pensez au sucre), d’autres ne sont pas 7 du tout hydrosolubles (pensez au pétrole). Cette différence de comportement se justifie dans une large mesure par le fait que si des atomes autres que C et H sont présents, il s’ensuit que les molécules affichent des charges partielles qui peuvent être imitées par les molécules d’eau. Tel est Figure 5 Du chlorure d’argent à l’état solide. Les éléments dont il a été question dans cet exposé et leur localisation dans le tableau périodique Index 186 inde x A Acide 16 acétique 18, 19, 20, 70, 121, 122 aminé 126 aspartique 167, 169 benzènesulfonique 118 carbonique 72 chlorhydrique 18, 23 de Lewis 143 faible 18 fort 18 selon Arrhenius 17 selon Brønsted 19 selon Lewis 69 stéarique 131 spécial 36 Activité enzymatique 163 Acylation 142, 145 Addition en anti 135 Adsorption d’hydrogène 83 Affinage du cuivre 48 Alcali 16, 17 Alcoolate 131 Alkylation 142, 143 Alliages 36 Aluminium 27, 52 Amatol 117 Amide 126 Ammoniac 19, 24, 68, 81 Amorçage de la polymérisation de l’éthylène 99 Aniline 119 Anode 48, 49 Anode sacrifiée 65 Argent 8, 12, 73, 74, 150 Arginine 166 Arrhenius 17, 18, 19 Atmosphère 152 Attaque nucléophile 122 Auge électrolytique 48 Auto-ionisation de l’eau 22 B Base 17 de Lewis 69 selon Arrhenius 18 selon Brønsted 20 Bâtonnets 155 Batteries 56 Bauxite 52 Benzène 113, 118 Biradical 31, 89 Bosch 82 Brome 93, 118, 134 Bromure d’alkyle 107 Brønsted 19, 21 C Carlisle 50 Carotène 156, 158 Carothers 102 Catalyse 81, 120 hétérogène 83 homogène 86 par des acides 120 par des bases 129, 169 Catalyseur 81, 83, 120 biologique 163 de Ziegler-Natta 101 hétérogène 82 homogène 82 Cathode 48 Caventou 172 Cendre de bois 17 Chaîne respiratoire 75 Charge partielle 5 Chaux vive 73 Chimie verte 157 Chlorométhane 86 Chlorophylle 77, 158, 159 Chloroplaste 158 Chlorure d’acyle 142 Cuivre 48 Cyanure 75 Cycle tétrapyrrolique 159 Cyclohexène 134 Cytochrome-oxydase 75 D Daniell 55 Déconnexion d’un diholoside 125 Désassemblage des esters 124 d’une protéine 127 d’un ester 125 Destruction de l’ozone 86 Digestion 124 Diholoside 125 Dioxyde de carbone 42, 72, 157 Dioxyde d’azote 85, 152 Dipeptide 126 Dissolution 6 Doering 172, 173 E E1 137 E2 138 Eau 3, 5, 6, 48, 70, 91 Électroattracteur 118, 119, 145 Électrochimie 54 Électrodes 48 Électrodonneur 118, 119 Électrolyse 47 de la bauxite 52 Électrométallurgie de l’aluminium 53 Électron 14, 88 en tant que base 175 Électrophile 113, 121 Élimination 136 bimoléculaire 138 unimoléculaire 137 Énergie de Gibbs 96 Entropie 96 Enzymes 82, 163 Époxyde 111 Ester 123 Estérification 122 Éthane 29, 83, 89 Éthanol 8, 122 Éthylène 83, 98, 101 inde x d’alkyle 110, 142 d’aluminium 143 d’ammonium 25 d’argent 8, 12 de méthyle 86 de sodium 7, 12, 16 d’hydrogène 18, 20, 24 Chromate de plomb 13 Chymotrypsine 164, 165 Chymotrypsinogène 164, 165 Cinchona officinalis 172, 174 Cis 156 Claisen 174 Cognement 93 Coke 35 Comburant 26 Combustible 26 Combustion 26 du magnésium 28, 39 du méthane 29, 42, 44 Complexe 69 , 75 de coordination 77 Composé covalent 8 ionique 7 Condensation 104 Cônes 155 Conformation active 165 anti 138 Contrôle cinétique 96 stéréochimique 134 thermodynamique 96 Conversion des oxydes d’azote en azote 85 du monoxyde de carbone en dioxyde de carbone 85 Coordination 76 Corrosion 61 du fer 61 Couleur 77, 79 Courant électrique 56 Crafts 142 Craquage 83 Création d’une double liaison 137 Cristallites 149 Cryolithe 52 187 Exothermique 27 Explosion du TNT 116 Explosions 32, 92 Extraction de l’aluminium 52 F Feuille-amorce 48 Feux d’artifice 27 Flammes 31, 89 Fondant 34 Formation d’eau 91 de rouille 61 d’hydrogène 51 d’oxygène 51 d’ozone 153 Formule moléculaire 8 Friedel 142 Fructose 125, 126 188 inde x G Gain d’électrons 38, 40, 47 Galvanisation 65 Gaz naturel 26 Glucides 45, 157 Glucose 9, 45, 125, 126 Glycérol 131 Glycine 170 Graphite 57 Groupe protecteur 119 Grove 58 Gueulard 34 H Haber 81, 82 Hall 52 Haut-fourneau 34, 35, 36, 40, 41, 71 Hématite 33, 40 Hémoglobine 75, 77, 159 Héroult 52 Histidine 167, 169 Homolytique 29 Hydrogénation de l’éthène 83 Hydrogène 91 Hydrolyse 124, 127, 166 basique d’un ester 132 d’un amide 127 d’un ester 125, 130 d’une protéine 132 Hydrophile 131 Hydroxyde de sodium 23 I Iceberg 3 Intermédiaire tétraédrique 170 Inversion de la configuration 109, 110 de Walden 110 du parapluie 109 Ion 7 acétate 18, 70 bromonium cyclique 135 carbonate 72 carbonium 108, 112 chlorure 7 cuivre 149 cyanure 75 hydronium 20, 50 hydroxyde 18 nitronium 114, 115 phosphorium 140 silicate 57 sulfate 48 Ionisation 149 J Jaune de chrome 13 L Laitier 34 Levure 163 Lewis 67, 74, 75 Liaison 4 double 98, 133 hydrogène 165 peptidique 127, 164 simple 133 triple 133 Liens peptidiques 126 Ligands 77 Lipides 45, 131 Lipophiles 131 Lithium-ion 56 Lowry 20, 21 Lumière 147, 149, 155 visible 158 Lutte contre la corrosion 64 Lysine 166 M Magnésium 27, 28, 38, 159 Malaria 172 Mauvéine 172 Mécanisme de la vision 155 Métal coordinateur 78 de transition 76 Méthane 26 Minerai de fer 33 Monomères 97 Monoxyde de carbone 34, 35, 72, 75, 85 Moseley 16 Myoglobine 159 N O Octane 26 Oléum 117 Olivine 57, 58 Onde de choc 32, 116 Opsine 155, 156 Ortho 115 Oxydation 27, 38, 47, 48, 56 du zinc 44, 55 Oxyde de magnésium 29, 39 de triphénylphosphine 141 nitrique 84, 152 Oxygène 27, 91, 153 Ozone 86, 153 Paludisme 172 Para 115 Pelletier 172 Perkin 172 Peroxydes 90 Perte d’électrons 38, 39 Phase obscure 158 Phénol 118 Phénylalanine 165, 166 Phosphine 140 Photochromisme 149 Photons 147, 156, 158 Photosynthèse 157 Photosystèmes 159 Pierre à chaux 73 Pile à combustible 58, 59 de Daniell 55, 57 Plomb tétraéthyle 93 Polyalkylation 144 Polycarbonates 150 Polychlorure de vinyle 98 Polyéthylène 98 Polymères 97 Polymérisation par condensation 102 radicalaire 97 Polystyrène 98 Polytétrafluoroéthylène 98 Potentiel électrique 156 Pots catalytiques 84 Précipitation 11 du chlorure d’argent 73 Procédé Haber 81 Procédé Héroult-Hall 52 Propagation 99, 154 Propane 30 Protéases 164 Protection 65, 111, 119 Protéines 45, 126, 127 Proton 14, 15 PTFE 98 PVC 98 Q Quarks 15 Quinine 172, 173, 174 Quinotoxine 173 Quinquina 172 inde x Napoléon III 52 Natta 101 Neutralisation 14, 23, 70 Nicholson 50 Nickel 83 Nitrate d’ammonium 117 d’argent 12 de peroxyacétyle 154 Nitration 114, 115 Nitrure de magnésium 40 Noyau 15 NPA 154 Nucléophile 106, 121, 122, 167, 168, 169 Numéro atomique 16 Nylon 97, 102, 104 P 189 190 inde x R Rabe 173 Racémisation 109 Radical 29, 154 amorceur 99 chlore 30 hydroxyle 30, 88 méthyle 29, 88 Ramification 92 Réactif électrophile 114 Réaction acido-basiques au sens de Lewis 67, 175 d’addition 133 d’élimination 136 de Friedel-Crafts 142 de Wittig 139 en chaîne 90 photochimiques 152 redox 37, 38, 44, 45, 60, 61 Recombinaison de radicaux 88 Recyclage de l’aluminium 53 Réduction 33, 47, 48, 56 de Clemmensen 145 de l’argent 150 de Wolff-Kishner 145 du minerai de fer 33 d’un ion cuivrique 44, 56 Reformage 83 Résidu d’acide aminé 167 Retardateurs de flamme 93 Rétention 108 Réticulation 100 Rétinal 155, 156 Rétinal-isomérase 156 Rhodopsine 155, 156 Rouille 61, 62 Rutherford 15 S Saccharose 125, 126 Savon 17, 130, 131 Schönbein 58 Sel 16, 24 de table 6, 12, 16 Sérine 167, 168 Smog photochimique 84, 154 SN1 108, 109 SN2 110, 111 Solvant 4 Spiropyrannes 150 Stork 172 Structure de la glace 6 Substitution 78 au sein des complexes 76 électrophile 113 nucléophile 106 nucléophile bimoléculaire 109 nucléophile unimoléculaire 108 Sucre de canne 125 Suie 32 Sulfate de cuivre 77 Sulfonation 117 T Téflon 98 Terminaison 92, 100 TNT (trinitrotoluène) 114, 116 Toluène 114, 115 Trans 156 Transfert d’électrons 37 d’un proton 15, 20, 24, 121 Trifluorure de bore 68 Trioxyde de soufre 117 Trypsine 166 Tryptophane 165 Tyrosine 165 U Usanovich 176 Uskokovic 172 V Verres photochromiques 149 Vinaigre 18 Vision 155 Volta 50, 55 W Wittig 139 Woodward 172, 173 Z Ziegler 101 Peter Atkins ATKINSREA_V3_couv 07/08/12 17:32 Page1 L es réactions entre atomes constituent l’essence même de la chimie. De fait, lorsque les chimistes agitent, remuent et font bouillir des liquides, ils tentent en réalité de forcer divers atomes à former de nouvelles liaisons, bref à créer des substances qui, peut-être, n’ont jamais existé dans la nature. Mais que se passe-t-il en fait ? De quelle manière les atomes sont-ils appelés à réagir ? « Imaginons que nous rapetissions jusqu’à la taille d’une molécule, ce qui nous permettrait d’observer exactement ce qui se passe lorsque la solution de chlorure de sodium est mélangée à la solution de nitrate d’argent. » Au cœur des réactions chimiques - La vie privée des atomes Avec sa rigueur scientifique légendaire, Peter Atkins propose au lecteur de devenir le témoin direct des processus chimiques déclenchés : on observe des atomes qui décident de quitter leur partenaire pour aller s’accrocher à un autre selon des modalités les plus diverses. En explorant ainsi, dans un premier temps, les réactions chimiques les plus fondamentales, Atkins en arrive à décrire des phénomènes bien plus sophistiqués, comme la digestion ou la photosynthèse. Et en définitive, le lecteur découvrira les subtilités de la synthèse organique – véritablement assimilable à un art – qui permettent d’obtenir pratiquement n’importe quelle molécule souhaitée. PETER ATKINS ISBN : 978-2-8041-7161-2 9782804171612 ATKINSREA www.deboeck.com Conception graphique : Primo&Primo Paul Depovere est docteur en sciences chimiques, pharmacien et candidat en sciences médicales. Professeur émérite, il a enseigné la chimie à l’Université catholique de Louvain (UCL – Bruxelles) et à l’université Laval (Québec). Il est le traducteur réputé de trois grands traités : Chimie générale (McQuarrie/Rock), Chimie organique (Vollhardt/Schore) et Chimie pharmaceutique (Patrick).