INTRODUCTION
L'histoire de l'islam en Asie Centrale est plus que millénaire. Moult fois recomposée
humainement au gré des invasions, l'Asie Centrale et l'islam connaissent une rupture au
vingtième siècle avec l'avènement des bolcheviks à la tête de l'empire tsariste qui a colonisé
cette région du monde depuis le siècle précédent. Alors que l'islam a toujours eu sa place au
niveau politique, les tsars vont strictement contrôler la sphère religieuse et les Soviétiques
lancer des campagnes très féroces contre l'islam. Pourtant, en dépit de soixante-dix années de
croisade anti-religieuse, l'islam « renaît » à partir de 1989 et s'impose même aux niveaux
identitaire, culturel, social et politique au moment de l'indépendance des républiques
centrasiatiques en 1991. Alors que le clergé prône un islam plutôt modéré, de jeunes
intellectuels et des mouvements islamistes apparaissent, et proposent une version moderne et
radicale. Ce mémoire a ainsi pour objet de réfléchir sur la nature du champ religieux en Asie
Centrale avant et au moment de l'indépendance, et de mettre en valeur son influence dans les
constructions nationales des nouvelles républiques.
Mais d'abord, qu'est-ce que l'Asie Centrale ? Il s'agit en fait d'un « concept à géographie
variable »1. En termes d'espace culturel, l'Asie Centrale a le sens très large de la civilisation
turco-persane, « matrice des langues et des cultures d'Istanbul à Delhi, d'Ispahan à Boukhara,
avec ses émirs turcs, son administration persane, et, jusqu'à la scission iranienne de 1501, son
sunnisme de rite hanafite »2. Mais elle peut aussi se réduire à la seule Transoxiane (région
s'étendant au-delà de l'Oxus, rebaptisé Amou-Darya) si l'on considère la vieille civilisation
urbaine et musulmane qui s'est développée autour des oasis du Zarafchan et du Syr-Darya, par
opposition aux steppes de l'actuel Kazakhstan, prolongées par les montagnes du Tian Shan,
domaine de tribus turcophones tardivement islamisées et seulement sédentarisées à la fin du
XIXe siècle. Au plan administratif et politique enfin, et c'est la définition que l'on retiendra,
l'Asie Centrale s'identifie aux cinq républiques du Kazakhstan, du Tadjikistan, du Kirghizstan,
de l'Ouzbékistan et du Turkménistan, créés de toutes pièces par les Soviétiques dans les
années 1920-1930.
1 O.Roy, La nouvelle Asie Centrale ou la fabrication des nations, Le Seuil, 1997, p. 29.