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Antoine BUISSON Séminaire de Monsieur KEPEL
Benoît DESTOUCHES Les Mouvements Islamistes des années 1970 à nos jours
Le champ religieux en Asie Centrale!:
L’islam et la construction des nations
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SOMMAIRE
INTRODUCTION 3
LE CHAMP RELIGIEUX EN ASIE CENTRALE : RÉPRESSION ET
INSTRUMENTALISATION JUSQU'AU REVIVALISME DE 1989-1991 5
LA GESTION DE L'ISLAM DANS LE CADRE DE LA POLITIQUE SOVIÉTIQUE DES NATIONALITÉS 5
STALINE OU LA FABRICATION DES NATIONS 5
LA RÉPRESSION DE L'ISLAM ET SON INSTRUMENTALISATION À PARTIR DE 1941 8
ECHEC DE LA POLITIQUE ANTI-RELIGIEUSE ET SURVIE DE L'ISLAM COMME PHÉNOMÈNE CULTUREL 11
HÉRITAGE DIRECT DE LA GESTION SOVIÉTIQUE DE L'ISLAM : LES TROIS ACTEURS ISLAMIQUES 12
ISLAM OFFICIEL, ISLAM PARALLÈLE ET LEURS LIENS 12
APPARITION DE JEUNES INTELLECTUELS ISLAMIQUES VÉHICULANT UN ISLAM MODERNE RADICAL 14
UN QUATRIÈME ACTEUR ISLAMIQUE : LES ORIENTALISTES CENTRASIATIQUES 16
1989-1991 OU LE REVIVALISME DE L'ISLAM 16
LE BASCULEMENT NATIONALISTE DE 1991 16
LE REVIVALISME DE L'ISLAM DANS SES DIMENSIONS IDENTITAIRE ET CULTURELLE 17
RACINES DOMESTIQUES ET INFLUENCES ÉTRANGÈRES DU REVIVALISME RELIGIEUX 18
UN REVIVALISME RELIGIEUX GÉNÉRALEMENT MODÉRÉ 20
LES DIMENSIONS POLITIQUE ET RADICALE DU REVIVALISME DE L'ISLAM 21
NATIONALISATION DE L'ISLAM OFFICIEL ET RÉPRESSION DES MOUVEMENTS ISLAMISTES 23
LA RADICALISATION DU DISCOURS ET LES MOUVEMENTS ISLAMIQUES 25
LE PRI OU LA LOGIQUE NATIONALE 25
NAISSANCE DU PARTI DE LA RENAISSANCE ISLAMIQUE (HIZB-I NEHZAT-I ISLAMI)25
LA GUERRE CIVILE AU TADJIKISTAN 27
LE PRI DANS LA GUERRE CIVILE 29
LE DÉCLIN DU PARTI DE LA RENAISSANCE ISLAMIQUE 31
L’IMU ET LA RÉPRESSION OUZBÈKE 33
LE CONTRÔLE DE LISLAM OFFICIEL 33
LA RÉPRESSION DE LISLAMISME 33
LA LUTTE POUR L’OUZBÉKISTAN 35
HIZB UT-TAHRIR AL-ISLAMII OU LINTERNATIONALISME 38
POUR UN CALIFAT ISLAMIQUE 38
« LES DERNIERS INTERNATIONALISTES ». 41
CONCLUSION 43
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INTRODUCTION
L'histoire de l'islam en Asie Centrale est plus que millénaire. Moult fois recomposée
humainement au gré des invasions, l'Asie Centrale et l'islam connaissent une rupture au
vingtième siècle avec l'avènement des bolcheviks à la tête de l'empire tsariste qui a colonisé
cette région du monde depuis le siècle précédent. Alors que l'islam a toujours eu sa place au
niveau politique, les tsars vont strictement contrôler la sphère religieuse et les Soviétiques
lancer des campagnes très féroces contre l'islam. Pourtant, en dépit de soixante-dix années de
croisade anti-religieuse, l'islam « renaît » à partir de 1989 et s'impose même aux niveaux
identitaire, culturel, social et politique au moment de l'indépendance des républiques
centrasiatiques en 1991. Alors que le clergé prône un islam plutôt modéré, de jeunes
intellectuels et des mouvements islamistes apparaissent, et proposent une version moderne et
radicale. Ce mémoire a ainsi pour objet de réfléchir sur la nature du champ religieux en Asie
Centrale avant et au moment de l'indépendance, et de mettre en valeur son influence dans les
constructions nationales des nouvelles républiques.
Mais d'abord, qu'est-ce que l'Asie Centrale ? Il s'agit en fait d'un « concept à géographie
variable »1. En termes d'espace culturel, l'Asie Centrale a le sens très large de la civilisation
turco-persane, « matrice des langues et des cultures d'Istanbul à Delhi, d'Ispahan à Boukhara,
avec ses émirs turcs, son administration persane, et, jusqu'à la scission iranienne de 1501, son
sunnisme de rite hanafite »2. Mais elle peut aussi se réduire à la seule Transoxiane (région
s'étendant au-delà de l'Oxus, rebaptisé Amou-Darya) si l'on considère la vieille civilisation
urbaine et musulmane qui s'est développée autour des oasis du Zarafchan et du Syr-Darya, par
opposition aux steppes de l'actuel Kazakhstan, prolongées par les montagnes du Tian Shan,
domaine de tribus turcophones tardivement islamisées et seulement sédentarisées à la fin du
XIXe siècle. Au plan administratif et politique enfin, et c'est la définition que l'on retiendra,
l'Asie Centrale s'identifie aux cinq républiques du Kazakhstan, du Tadjikistan, du Kirghizstan,
de l'Ouzbékistan et du Turkménistan, créés de toutes pièces par les Soviétiques dans les
années 1920-1930.
1 O.Roy, La nouvelle Asie Centrale ou la fabrication des nations, Le Seuil, 1997, p. 29.
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L'islam est apparu progressivement dans une Asie Centrale se côtoient
Zoroastrisme, Bouddhisme et Manichéisme, ainsi que des chrétiens nestoriens et des juifs,
principalement dans les grandes villes comme Samarkand et Boukhara3. Cette pénétration
commence à la mi-septième siècle de notre ère avec la conquête arabe du Khorasan, et continue
avec celle de la Transoxiane au XVIIIe siècle. La conséquence de ces conquêtes, du
développement du commerce et du prosélytisme, forcé ou plus modéré, est l'apparition de la
première dynastie musulmane indépendante à la fin du IXe siècle, les Samanides. Ensuite
toutes les dynasties comme celle des Mongoles qui s'établiront en Asie Centrale
adopteront l'islam comme religion. Par conséquent, après le schisme chiite de l'Iran, les
musulmans d'Asie Centrale sont à 98% sunnites de rite hanafite c'est-à-dire plutôt
conservateur et non chiites dont le clergé d'Iran est plus radical. L'islam sunnite d'Asie
Centrale ne se comprend toutefois que si l'on prend en compte sa dimension soufie qui atténue
son côté fondamentaliste par le mysticisme et la philosophie4.
L'islam fait donc partie intégrante de la culture politique et culturelle de l'Asie Centrale
et de l'identité de ses populations. Si les Soviétiques tentent de supprimer purement et
simplement cette réalité pour la remplacer par un contenu socialiste et obtenir à terme la fusion
des peuples dans l'homo sovieticus, ils vont échouer. C'est cet échec, aboutissant à un
revivalisme culturel et politique de l'islam à la fin des années 1980, qu'il convient maintenant
d'analyser avant de considérer les raisons et les évolutions de la radicalisation du discours
islamiste dans les années 19905.
2 O. Roy, opus cité, p. 30.
3 Tout ce paragraphe est tiré de S. Akiner, "Islam, the State and Ethnicity in Central Asia in Historical
Perspective", in Religion, State & Society, vol 24 nbs 2/3, 1996.
4 O. Roy, opus cité.
5 Si la première partie analyse le champ religieux dans l'ensemble des républiques centrasiatiques, la seconde
s'oriente vers une analyse comparative des mouvements islamistes et de leur discours entre le Tadjikistan et
l'Ouzbékistan avant de conclure sur le mouvement plus transnational de l'Hizb ut-Tahrir.
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LE CHAMP RELIGIEUX EN ASIE CENTRALE : REPRESSION ET
INSTRUMENTALISATION JUSQU'AU REVIVALISME DE 1989-1991
La gestion de l'islam dans le cadre de la politique soviétique des nationalités
Staline ou la fabrication des nations
Dans La nouvelle Asie Centrale ou la fabrication des nations, Olivier Roy développe la
thèse suivant laquelle l'Union soviétique a été "une formidable machine à créer des nations". Le
projet à terme de Moscou étant de faire fusionner tous les peuples de l'empire dans l'homo
sovieticus et "l'internationalisme", il lui fallait d'abord éliminer les nationalismes existant ainsi
que tout panislamisme et panturquisme en cassant les grands ensemble linguistiques et
culturels fondés sur la langue (le turc) ou la religion (l'islam); ce faisant, il a paradoxalement
suscité des nationalismes qui n'existaient pas auparavant et qui se sont exprimés en 1991.
Staline est le maître d'œuvre de ce processus, fondé sur sa "politique des nationalités".
Elle correspond à une conception du peuple héritière du romantisme allemand (systématisé au
XIXe siècle par les théoriciens allemands et russes) à laquelle se juxtapose une interprétation
marxiste simplifiée. Le peuple ne se définit pas par le contrat politique mais par un ensemble
de caractéristiques objectives et "naturelles" : il est "une communauté stable, historiquement
formée, de langue, de territoire, de vie économique et de formation psychologique, manifestée
par une culture commune"6. La langue marque la permanence historique du peuple. Ensuite,
selon la vision marxiste, chaque peuple passe par différents stades d'organisation politique liés
au mode de production, allant de la tribu (communauté primitive) au stade capitaliste
(existence d'un marché et donc d'un territoire) auquel correspond la nation. Ainsi à chaque
"nationalité" -définie comme "une communauté ethnique qui conserve, à travers tous les
processus historiques, une identité fondée sur la langue"- doit correspondre une entité
politique nationale correspondant à son état de développement. Ceci se traduit entre 1924 et
1936 par la grande division nationale, c'est-à-dire le découpage administratif des Républiques
socialistes soviétiques d'Asie Centrale (ainsi que des territoires nationaux, des régions
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