M2R - Algèbre commutative Grégory Berhuy Table des matières partie I. Cours 5 Chapitre I. Rappels et compléments sur les modules . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . I.1. Rappels. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . I.2. Modules libres . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . I.3. Suites exactes . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . I.4. Modules de type fini, modules noethériens . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . I.5. Lemme de Nakayama . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . I.6. Modules projectifs . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 7 7 12 15 20 25 26 Chapitre II. Localisation . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . II.1. Localisation de modules . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . II.2. Localisation et suites exactes . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . II.3. L’application canonique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . II.4. Conservation de certaines propriétés par localisation . . . . . . . . . . . . . . . . II.5. Modules projectifs et localisation . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 33 33 47 50 55 57 Chapitre III.1. III.2. III.3. III.4. 63 63 68 76 78 III. Produit tensoriel de modules . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Définition et premiers exemples . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Propriétés élémentaires du produit tensoriel . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Produit tensoriel et suites exactes . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Extension des scalaires . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Chapitre IV. Extensions entières d’anneaux . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 89 IV.1. Éléments entiers . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 89 IV.2. Extensions entières d’anneaux . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 93 Chapitre V. Dimension de Krull d’un anneau . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 99 V.1. Espaces topologiques irréductibles . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 99 V.2. Spectre d’un anneau . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 103 V.3. Dimension de Krull . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 110 Chapitre VI.1. VI.2. VI.3. VI.4. VI. Modules stablement libres . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 117 Modules stablement libres . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 117 Vecteurs unimodulaires et modules stablement libres . . . . . . . . . . . . . . . 118 Le théorème de Quillen-Suslin . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 125 Modules projectifs sur un anneau de polynômes . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 131 partie II. Exercices 139 Rappels et compléments sur les modules . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 141 3 4 Table des matières Localisation . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 147 Produit tensoriel . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 153 Extensions entières d’anneaux . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 157 Dimension de Krull . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 161 Modules stablement libres . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 165 Index . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 171 Première partie Cours Chapitre I Rappels et compléments sur les modules Tous les anneaux considérés dans ce cours seront unitaires. I.1. Rappels Définition I.1.1. Un A-module est un ensemble M muni d’une loi interne M × M −→ M (x, y) 7−→ x + y et d’une loi externe A × M −→ M (a, x) 7−→ a·x appelée parfois multiplication par un scalaire, satisfaisant aux propriétés suivantes : (1) l’ensemble M , muni de la loi + , est un groupe abélien ; (2) pour tous x, y ∈ M, et tout a ∈ A, on a a·(x + y) = a·x + a·y ; (3) pour tout x ∈ M , on a 1A ·x = x ; (4) pour tout x ∈ M, et tous a, b ∈ A, on a (a + b)·x = a·x + b·x ; (5) pour tous a, b ∈ A, et tout x ∈ M , on a (ab)·x = a·(b·x). L’axiome (2) dit simplement que, pour tout a ∈ A, l’application `a : M −→ M x 7−→ a·x de multiplication à gauche par a doit être un morphisme de groupes. Remarquons que l’ensemble EndZ (M ) des endomorphismes M −→ M du groupe abélien M est un anneau. Les axiomes (3), (4) et (5) demandent alors que l’application ϕM : A −→ EndZ (M ) a 7−→ `a soit un morphisme d’anneaux. Exemples I.1.2. (1) Si A est un corps k, un module n’est rien d’autre qu’un k-espace vectoriel. (2) La loi de multiplication interne fait de tout anneau A un A-module. 7 8 I. RAPPELS ET COMPLÉMENTS SUR LES MODULES (3) Un groupe abélien G est un Z-module pour la loi externe Z × G −→ G (m, g) 7−→ mg . Rappelons que mg = g + ··· + g | {z } m fois 0 (−g) + · · · + (−g) {z } | −m fois si m > 0, si m = 0, si m < 0. (4) Soit (Mi )i∈I une famille de A-modules. On considère les deux ensembles suivants : Y Mi = {(xi )i∈I | xi ∈ Mi }, i∈I a Mi = {(xi )i∈I | xi ∈ Mi presque tous nuls}. i∈I On vérifie que la loi externe Y Y A× Mi −→ Mi i∈I i∈I a, (xi )i∈I 7−→ (a·xi )i∈I induit sur Y Mi une structure de A-module. De même, la loi externe i∈I A× a Mi −→ i∈I a Mi i∈I a, (xi )i∈I − 7 → (a·xi )i∈I induit sur a Mi une structure de A-module. i∈I Les vérifications des axiomes (1) − (5) sont laissées au lecteur. Les deux derniers exemples sont suffisamment importants pour mériter une définition. Y a Définition I.1.3. Les A-modules Mi et Mi sont appelés respectivement i∈I i∈I produit direct et somme directe externe des modules Mi . Si Mi = M pour tout i ∈ I, ils sont notés respectivement M I et M (I) . Enfin, le produit direct de n copies d’un A-module M sera simplement noté M n . Y a Remarque I.1.4. Si I est fini, on a Mi = Mi . i∈I i∈I Définition I.1.5. Soit M un A-module. Pour toute partie X de M , on note Ann(X) = {a ∈ A | a·x = 0 pour tout x ∈ X}. On l’appelle l’annulateur de X. Lorsque A est commutatif, c’est un idéal de A. I.1. RAPPELS 9 De même que l’on peut définir la notion de sous-groupe ou de sous-espace vectoriel, nous avons une notion de sous-module. Définition I.1.6. Soit M un A-module. Un sous-module de M est un sous-ensemble non vide N de M vérifiant les propriétés suivantes : (1) pour tous x, y ∈ N , on a x + y ∈ N ; (2) pour tout x ∈ N, et tout a ∈ A, on a a·x ∈ N . De manière équivalente, un sous-module de M est un sous-ensemble non vide N de M vérifiant a·x + b·y ∈ N pour tous x, y ∈ N, et tous a, b ∈ A. Donnons maintenant des exemples de sous-modules. Exemples I.1.7. (1) Si A est un corps k, on retrouve la notion de sous-espace vectoriel. (2) Considérons A comme A-module. Alors, un sous-module est simplement un idéal à gauche de A. (3) Si M est un A-module, l’ensemble {0M } est un sous-module de M , et souvent noté simplement 0 par abus de notation. (4) Si G est un groupe abélien, vu comme Z-module, alors un sous-module n’est rien d’autre qu’un sous-groupe de G. Comme dans le cas des espaces vectoriels, un sous-module N d’un module M est un A-module pour les lois induites. De même, l’intersection d’une famille de sousmodules de M est un sous-module de M . On peut donc poser la définition suivante. Définition I.1.8. Soit M un A-module, et soit X une partie de M . Le sous-module de M engendré par X, noté hXi, est l’intersection de tous les sous-modules de M contenant X. Comme en algèbre linéaire, on a une description précise du sous-module engendré par X. Lemme I.1.9. Soit M un A-module. Pour tout partie X de M , on a ( n ) X hXi = ai ·xi ai ∈ A, xi ∈ X, n ≥ 0 . i=1 Remarque I.1.10. Si X = {x1 , · · · , xm } est fini, on a (m ) X hXi = ai ·xi ai ∈ A , i=1 et on note parfois hXi par A·x1 + · · · + A·xm . Définition I.1.11. Un élément de hXi est appelé une combinaison A-linéaire d’éléments de X. On dira combinaison linéaire lorsque A est clairement défini par le contexte. 10 I. RAPPELS ET COMPLÉMENTS SUR LES MODULES Définition I.1.12. Soit M un A-module. On dit qu’une partie X de M est Agénératrice si M = hXi, c’est-à-dire si tout élément de M s’écrit comme combinaison linéaire d’éléments de X. On dit aussi que M est engendré par X, ou que X engendre M . On abrégera souvent en disant famille génératrice lorsque A est clairement défini par le contexte. On dira que M est de type fini s’il est engendré par un nombre fini d’éléments. On a aussi une notion de somme directe interne. Définition I.1.13. Soit M un A-module et soit M1 , . . . , Mn des sous-modules. On dit que M est la somme directe (interne) des sous-modules M1 , . . . , Mn si pour tout x ∈ M , il existe une unique décomposition x = x 1 + · · · + x n , x i ∈ Mi . n M Dans ce cas, on le note M = Mi . i=1 Définition I.1.14. Soit M un A-module. On dit que x ∈ M est un élément de torsion s’il existe a ∈ A, a 6= 0 tel que a·x = 0. L’ensemble des éléments de torsion de M est noté Tor(M ). On dit que M est sans torsion si Tor(M ) = 0 et que M est un module de torsion si Tor(M ) = M . Remarque I.1.15. Si G est un groupe abélien, un élément de torsion du Z-module G est un élément d’ordre fini. Lemme I.1.16. Soit A un anneau intègre, et soit M un A-module. Alors, Tor(M ) est un sous-module de M , et c’est un A-module de torsion. Démonstration. Soient x, y ∈ Tor(M ), et soient a, b ∈ A. Par hypothèse, on a c·x = d·y = 0 pour certains c, d ∈ A, c 6= 0, d 6= 0. Comme c et d sont non nuls et A est intègre, on a cd 6= 0. De plus, cd·(a·x + b·y) = cd·(a·x) + cd·(b·y) = cda·x + cdb·y. Comme A est supposé commutatif, on a cda·x = dac·x = da·(c·x) = da·0 = 0. De même, on a cdb·y = bc·(d·y) = 0. Par conséquent, cd·(a·x+b·y) = 0 et on obtient donc a·x + b·y ∈ Tor(M ) pour tous x, y ∈ Tor(M ), et tous a, b ∈ A. L’ensemble Tor(M ) est donc bien un sous-module de M . De plus, on a Tor(Tor(M )) = Tor(M ) par définition d’un élément de torsion, et Tor(M ) est donc un A-module de torsion. Définition I.1.17. Soit A un anneau intègre. Si M est un A-module, Tor(M ) est appelé le sous-module de torsion de M . Comme en algèbre linéaire, on a la notion d’application A-linéaire. Définition I.1.18. Une application A-linéaire est une application f : M −→ N satisfaisant les propriétés suivantes : I.1. RAPPELS 11 (1) pour tous x, y ∈ M , on a f (x + y) = f (x) + f (y) ; (2) pour tout a ∈ A, et tout x ∈ X, on a f (a·x) = a·f (x). Lorsque le contexte est clair, on parlera simplement d’ application linéaire . On vérifie sans peine que la somme, la différence et la composée d’applications linéaires est encore une application linéaire. En particulier, l’ensemble des applications linéaires de M vers N est un groupe additif, noté HomA (M, N ). Si M = N , on parle aussi d’endomorphisme de M , et on note EndA (M ) le groupe HomA (M, M ). C’est un anneau pour l’addition et la composition des endomorphismes. Un isomorphisme de A-modules est une application A-linéaire bijective. L’application inverse f −1 est alors aussi linéaire. L’ensemble des isomorphismes de M sur N est noté IsoA (M, N ). Un automorphisme de M est un isomorphisme de M sur lui-même. On vérifie que l’ensemble des automorphismes de M est un groupe pour la composition, appelé groupe linéaire de M , et que l’on note GLA (M ). Remarque I.1.19. Si A est un corps, on retrouve simplement la notion d’application k-linéaire, d’endomorphisme, d’isomorphisme et d’automorphisme d’espaces vectoriels. Remarque I.1.20. Lorsque A est commutatif, le groupe abélien HomA (M, N ) possède une structure naturelle de A-module. En effet, si f ∈ HomA (M, N ) et a ∈ A, on vérifie que l’application a·f : M −→ N pour tout x 7−→ a·f (x) est A-linéaire (cela utilise la commutativité de A). La loi externe A × HomA (M, N ) −→ HomA (M, N ) (a, f ) 7−→ a·f induit alors sur HomA (M, N ) une structure de A-module. Les détails sont laissés au lecteur. Comme en algèbre linéaire, on a le résultat suivant. Lemme I.1.21. Soit f : M −→ N une application linéaire. Alors : (1) pour tout sous-module M 0 de M , f (M 0 ) est un sous-module de N ; (2) pour tout sous-module N 0 de N , f −1 (N 0 ) est un sous-module de M . En particulier, les ensembles ker(f ) = f −1 ({0}) et im(f ) = f (M ) sont des sousmodules de M et N respectivement. Définition I.1.22. Si f : M −→ N est une application linéaire, les A-modules ker(f ) et im(f ) sont respectivement appelés noyau et image de f . On vérifie qu’ une application linéaire f : M −→ N est injective si et seulement si ker(f ) = 0. On finit ce paragraphe avec la notion de module quotient. 12 I. RAPPELS ET COMPLÉMENTS SUR LES MODULES Soit M un A-module et soit N un sous-module de M . Comme M est un groupe abélien et N est sous-groupe de M , on peut former le groupe quotient M/N . On vérifie alors que l’application A × M/N −→ M/N (a, x) 7−→ a·x est bien définie, et confère à M/N une structure de A-module. D’autre part, la projection canonique π : M −→ M/N est une application linéaire. Définition I.1.23. Le A-module M/N est appelé A-module quotient de M par N . Par définition, on a x+y = x+y = a·x a·x pour tous x, y ∈ M, et tout a ∈ A. On a alors les propriétés classiques du quotient. Théorème I.1.24. Soient M, M 0 deux A-modules, et soit N un sous-module de M . Enfin, soit f : M −→ M 0 une application linéaire vérifiant ker(f ) ⊃ N . Alors il existe une et une seule application linéaire f : M/N −→ M 0 telle que f = f ◦ π, où π : M −→ M/N désigne la projection canonique. Elle est définie par f (x) = f (x) pour tout x ∈ M/N. En particulier, toute application linéaire f : M −→ M 0 induit un isomorphisme de A-modules M/ ker(f ) ' im(f ). On a également une description des sous-modules d’un quotient. Proposition I.1.25. Soit M un A-module, soit N un sous-module, et soit π : M −→ M/N la projection canonique. Les deux applications M0 7 → − π −1 (M 00 ) ←−[ M 0 /N M 00 établissent une correspondance bijective croissante entre les sous-modules de M contenant N et les sous-modules de M/N . I.2. Modules libres On s’intéresse maintenant à la notion de module libre, qui généralise plutôt bien la notion d’espace vectoriel. Comme on le verra un peu plus loin, tous les A-modules ne sont pas libres. On commence par définir les notions de famille libre et de base. Définition I.2.1. Soit A un anneau, et soit M un A-module. Une famille (xi )i∈I d’éléments de M est dite A-libre si pour tout sous-ensemble fini J ⊂ I, et tout aj ∈ A, j ∈ J, on a X aj ·xj = 0 =⇒ aj = 0 pour tout j ∈ J. j∈J Une famille qui n’est pas A-libre est dite A-liée. On dira aussi famille liée , lorsque A est clairement défini par le contexte. libre ou I.2. MODULES LIBRES 13 Une A-base est une famille (ei )i∈I d’éléments de M qui à la fois libre et génératrice. Comme toujours, on parlera simplement de base lorsque le contexte est clair. De manière équivalente, (ei )i∈I est une base de M si tout élément x ∈ M s’écrit de manière unique sous la forme X x= ai ·xi , ai ∈ A presque tous nuls. i∈I On dit que M est un A-module libre s’il possède une base. Remarquons que, au vu des définitions, l’ensemble vide est une base du module nul. Exemples I.2.2. (1) Pour tout n ≥ 1, le A-module An est libre. En effet, pour tout i ∈ I, soit εi l’élément de An dont toutes les coordonnées sont nulles, sauf celle qui correspond à l’indice i, qui vaut 1. Il est alors facile de voir que la famille (ε1 , . . . , εn ) est une base de An , appelée base canonique. (2) Un k-espace vectoriel de dimension finie est un k-module libre, et tout sous-module d’un k-module libre est libre. (3) Soit maintenant A un anneau intègre, vu comme A-module, et soit I un sous-module de A, c’est-à-dire un idéal de A. Alors, I est libre si, et seulement si, il est principal. Supposons en effet que I soit principal. Si I est nul, alors il est libre de base ∅. Sinon I = (a), a ∈ A \ {0}, et a est une base de I. En effet, a engendre I, et de plus a est libre puisque par intégrité de A, on a a0 ·a = a0 a = 0 =⇒ a0 = 0. Réciproquement, supposons que I soit un A-module libre. Remarquons que deux éléments a, b ∈ I distincts sont A-liés (et donc en particulier un des deux éléments est non nul), puisque l’on a a·b − b·a = ab − ba = 0. Ainsi, une base de I possède au plus un élément. Comme une base est génératrice, on a soit I = (0) (si la base est vide), soit I = (a), a ∈ A, a 6= 0 et I est donc principal dans tous les cas. En particulier, si I est un idéal non principal, il n’est pas libre, bien qu’il soit sous-module du A-module libre A. Pour avoir un exemple concret, il suffit de prendre A = Z[X] et I = (2, X). Attention ! La plupart des résultats valables pour les espaces vectoriels ne le sont plus pour les A-modules libres si A est quelconque. Nous allons maintenant nous concentrer sur les modules libres de type fini. Lemme I.2.3. Soit A un anneau, et soit M un A-module libre de type fini. Alors, toutes les bases de M ont un cardinal fini. Démonstration. Soit (x1 , . . . , xn ) une famille génératrice et soit (ei )i∈I une base de M . Par hypothèse, chaque xi est une combinaison linéaire finie des ei . Il existe donc un ensemble fini d’indices J ⊂ I tel que pour tout 1 ≤ m ≤ n, xm est une combinaison linéaire des (ej )j∈J . Tout élément de M étant une combinaison linéaire 14 I. RAPPELS ET COMPLÉMENTS SUR LES MODULES de x1 , . . . , xn , il s’ensuit que la famille (ej )j∈J est également génératrice. Supposons maintenant que J 6= I, et soit i0 ∈ I \ J. Puisque (ej )j∈J est génératrice, ei0 est combinaison linéaire des ej , j ∈ J. En particulier, la famille (ei )i∈I est liée, d’où une contradiction. Ainsi, I = J, et donc toute base de M est de cardinal fini. Comme dans le cas des espaces vectoriels, les applications linéaires d’un module libre de type fini vers un module quelconque sont entièrement déterminées par le choix des images des éléments d’une base. Lemme I.2.4. Soit M un A-module libre de type fini, soit (e1 , . . . , en ) une base de M , et soit M 0 un A-module. Pour toute famille (y1 , . . . , yn ) d’éléments de M 0 , il existe une unique application linéaire f : M −→ M 0 telle que f (ei ) = yi pour tout i = 1, . . . , n. Elle est donnée par f( n X i=1 ai ·ei ) = X ai ·yi pour tout ai ∈ A. i=1n Corollaire I.2.5. Soit M un A-module. Alors, M est un A-module libre de type fini si, et seulement si, M ' An pour un certain n ≥ 1. Démonstration. Si M est un A-module libre de type fini, alors il admet une base finie e = (e1 , . . . , en ) par le lemme précédent. On vérifie alors que l’unique application linéaire f : An −→ M tell que f (εi ) = ei pour tout i est un isomorphisme. ∼ Inversement, si f : An −→ M est un isomorphisme, on vérifie que l’image de la n base canonique de A est une base de M . Corollaire I.2.6. Soit M un A-module de type fini. Alors, il existe n ≥ 1 et un sous-module de An tel que M ' An /N. Démonstration. Soit (x1 , . . . , xn ) une famille génératrice de M , et soit f : An −→ M l’unique application linéaire telle que f (εi ) = xi pour tout i. Alors, f est surjective. Il suffit de poser N = ker(f ) et d’appliquer le théorème de factorisation pour conclure. Soient M et M 0 deux A-modules libres de type fini, de bases e = (e1 , . . . , en ) et e 0 = (e01 , . . . , e0m ) (le fait que ces bases ont un nombre fini d’éléments provient du lemme I.2.3). Le résultat précédent implique alors qu’une application linéaire f : M −→ M 0 est entièrement déterminée par les coordonnées de f (e1 ), . . . , f (en ) dans la base e 0 , tout comme dans le cas des espaces vectoriels. On définit alors la matrice représentative Mat(f, e, e 0 ) de la manière usuelle. Lorssque A est commutatif, cette matrice a les propriétés usuelles. On a alors le théorème suivant : Théorème I.2.7. Soit A un anneau commutatif. Toutes les bases d’un A-module libre de type fini ont même cardinal. Démonstration. Soit M un A-module libre de type fini. Soient e = (e1 , . . . , en ), f = (f1 , . . . , fm ) deux bases de M . Soient P = Mat(IdM , e, f ) ∈ Mm×n (A), Q = Mat(IdM , f , e) ∈ Mn×m (A). I.3. SUITES EXACTES 15 Alors, on a P Q = In et QP = Im . Soit m un idéal maximal de A, et soit k = A/m. C’est un corps. Pour toute matrice C = (aij ) ∈ Mp×q (A) à coefficients dans A, notons C = (aij ) ∈ Mp×q (k). On vérifie sans mal que l’on a alors P Q = P Q = I n = In ∈ Mn (k), et de même Q P = Im ∈ Mm (k). Ainsi, P est une matrice inversible à coefficients dans un corps. Elle est donc carrée, et ainsi n = m, ce qui achève la démonstration. Définition I.2.8. Soit A un anneau commutatif, et soit M un A-module libre de type fini. Le cardinal d’une base de M est appelé le rang de M , et est noté rgA (M ). Par définition, rgA (An ) = n pour tout n ≥ 1. On a alors le résultat suivant. Théorème I.2.9. Soit A un anneau commutatif. Alors, les A-modules libres de type fini sont classés à isomorphisme près par leur rang. I.3. Suites exactes Dans ce paragraphe, nous introduisons la notion de suite exacte de modules, notion extrêmement importante en algèbre et dont l’utilité n’est plus à démontrer. Définition I.3.1. Une suite d’applications linéaires est la donnée de A-modules M0 , M1 et M2 et de deux applications linéaires f : M0 −→ M1 , et g : M1 −→ M2 . Cette situation est représentée ainsi M0 f / M1 g / M2 , pour souligner le fait que l’on peut composer f et g. Une suite d’applications linéaires M0 f / M1 g / M2 est dite exacte en M1 si im(f ) = ker(g). Plus généralement, si I est un intervalle de Z, une suite d’applications linéaires / Mi−1 ··· fi−1 / Mi fi / ··· / Mi+1 est dite exacte si elle est exacte en Mi pour tout i ∈ I (la suite pouvant être éventuellement infinie à gauche ou à droite), sauf aux éventuelles extrémités. Une suite exacte de la forme 0 / M0 f / M1 g / M2 /0 est parfois appelée une suite exacte courte. Remarque I.3.2. Lorsque A = Z, une application linéaire est simplement un morphisme de groupes abéliens, et l’on retrouve alors la notion de suite exacte de groupes abéliens. Exemples I.3.3. 16 I. RAPPELS ET COMPLÉMENTS SUR LES MODULES (1) La suite /M 0 /N f est exacte si, et seulement si, f est injective. (2) La suite g M /0 /N est exacte si, et seulement si, g est surjective. (3) La suite / M1 0 f / M2 g /0 / M3 est exacte si, et seulement si, f est injective, g est surjective et si l’égalité im(f ) = ker(g) est satisfaite. (4) Pour toute application linéaire f : M −→ N , la suite 0 / ker(f ) /M f / im(f ) /0 est exacte. (5) Pour tout A-module M et tout sous-module N , la suite 0 −→ N −→ M −→ M/N −→ 0 est exacte. Nous allons ci-après étudier le comportement des suites exactes vis-à-vis des espaces d’applications linéaires. Lemme I.3.4. Soit A un anneau, et soient M , M1 , M2 et M3 des A-modules. (1) Si f : M1 −→ M2 est une application linéaire, alors l’application f∗ : HomA (M, M1 ) −→ HomA (M, M2 ) ϕ 7−→ f ◦ ϕ est un morphisme de groupes abéliens. (2) Si la suite de A-modules 0 / M1 f / M2 g / M3 est exacte, alors la suite de groupes abéliens 0 / HomA (M, M1 ) f∗ / HomA (M, M2 ) g∗ / HomA (M, M3 ) est exacte. Si de plus A est commutatif, les groupes HomA (M, Mi ) sont des A-modules, f∗ est une application linéaire, et la suite exacte précédente est une suite exacte de A-modules. I.3. SUITES EXACTES 17 Démonstration. (1) Pour tout ϕ, ϕ0 ∈ HomA (M, M1 ) et tout x ∈ M , on a f∗ (ϕ + ϕ0 )(x) = f ϕ(x) + ϕ0 (x) = f ϕ(x) + f ϕ0 (x) , puisque f est linéaire. On a donc f∗ ϕ + ϕ0 (x) = f∗ ϕ (x) + f∗ ϕ0 (x) pour tout x ∈ M, c’est-à-dire f∗ (ϕ + ϕ0 ) = f∗ (ϕ) + f∗ (ϕ0 ). Ainsi, f∗ est un morphisme de groupes abéliens. (2) Soit 0 / M1 f / M2 g / M3 une suite exacte de A-modules, et soit M un A-module. Soit ϕ ∈ HomA (M, M1 ) une application linéaire telle que f∗ (ϕ) = 0. On a donc f ϕ(x) = 0 pour tout x ∈ M, et par injectivité de f , on obtient ϕ(x) = 0 pour tout x ∈ M , c’est-à-dire ϕ = 0. Ainsi, f∗ est injective. Montrons à présent que im(f∗ ) = ker(g∗ ). Pour tout ϕ ∈ HomA (M, M1 ), on a g∗ f∗ (ϕ) = g ◦ (f ◦ ϕ) = (g ◦ f ) ◦ ϕ = 0, car im(f ) = ker(g) par hypothèse. On a donc im(f∗ ) ⊂ ker(g∗ ). Établissons l’autre inclusion. Soit ψ ∈ HomA (M, M2 ) tel que g∗ (ψ) = 0. On a donc g ψ(x) = 0 pour tout x ∈ M, c’est-à-dire ψ(x) ∈ ker(g) = im(f ) pour tout x ∈ M . Par conséquent, pour tout x ∈ M , il existe y ∈ M1 tel que ψ(x) = f (y). Cet élément y ∈ M1 est unique, car f est injective. Notons-le ϕ(x). On a donc une application ϕ : M −→ M1 vérifiant ψ = f ◦ ϕ. Vérifions que ϕ est une application linéaire. Soient x, x0 ∈ M et soit a ∈ A. Par définition, ϕ(x + x0 ) est l’unique élément de M1 vérifiant ψ(x + x0 ) = f ϕ(x + x0 ) . Mais, on a ψ(x + x0 ) = ψ(x) + ψ(x0 ) = f ϕ(x) + f ϕ(x0 ) = f ϕ(x) + ϕ(x0 ) . On a donc ϕ(x + x0 ) = ϕ(x) + ϕ(x0 ), puisque f est injective. De plus, ϕ(a·x) est l’unique élément de M1 vérifiant ψ(a·x) = f (ϕ(a·x)). Mais, on a ψ(a·x) = a·ψ(x) = a·f ϕ(x) = f a·ϕ(x) . On a donc ϕ(a·x) = a·ϕ(x), par injectivité de f . Ainsi, ϕ ∈ HomA (M, M1 ) et vérifie ψ = f ◦ ϕ = f∗ (ϕ). On a donc ψ ∈ im(f∗ ), et par conséquent ker(g∗ ) ⊂ im(f∗ ), ce qu’il fallait vérifier. Enfin, supposons A commutatif. Il reste à montrer que pour toute application linéaire f : M1 −→ M2 , l’application f∗ : HomA (M, M1 ) −→ HomA (M, M2 ) 18 I. RAPPELS ET COMPLÉMENTS SUR LES MODULES est aussi linéaire. On sait déjà par (1) que f∗ est un morphisme de groupes abéliens. Il reste à voir que l’on a f∗ (a·ϕ) = a·f∗ (ϕ) pour tout a ∈ A, et tout ϕ ∈ HomA (M, M1 ). Rappelons que pour tout a ∈ A, on a (a·ϕ)(x) = a·ϕ(x) pour tout x ∈ M, par définition même de la structure de A-module sur le groupe abélien HomA (M, M2 ) (cf. remarque I.1.20). Pour tout a ∈ A et tout x ∈ M , on a donc f∗ (a·ϕ)(x) = f a·ϕ(x) = a·f ϕ(x) = a·f∗ ϕ (x) = a·f∗ (ϕ) (x). Ainsi, f∗ (a·ϕ) = a·f∗ (ϕ), et ceci achève la démonstration. Remarque I.3.5. Le résultat du lemme tombe en défaut si l’application f : M1 −→ M2 n’est plus injective, comme le montre l’exemple suivant. Exemple I.3.6. Soit A = Z. Considérons la suite exacte de groupes abéliens f Z /0, / Z/2Z où f est la projection canonique. Prenons maintenant M = Z/2Z. Alors, on a HomZ (Z/2Z, Z) = 0. En effet, pour tout morphisme de groupes abéliens ϕ : Z/2Z −→ Z, et pour tout m ∈ Z/2Z, on a 2·ϕ(m) = ϕ(2·m) = ϕ(2m) = ϕ(0) = 0 ∈ Z. Ainsi, ϕ est identiquement nulle. La suite exacte précédente induit alors une suite d’applications 0 f / EndZ (Z/2Z) /0. Si cette suite était exacte, EndZ (Z/2Z) serait nul, ce qui n’est pas le cas, puisqu’il contient IdZ/2Z . Remarques I.3.7. On pourrait se demander si, étant donné une application surjective g : M2 −→ M3 , l’application induite g∗ : HomA (M, M2 ) −→ HomA (M, M3 ) est surjective. Il n’en est rien en général, comme le montre l’exemple suivant (ce défaut de surjectivité est d’ailleurs le point de départ de l’algèbre homologique). Exemple I.3.8. Soit A = Z. Considérons la suite exacte 0 /Z f /Z g / Z/2Z /0, où f : Z −→ Z est la multiplication par 2 et g : Z −→ Z/2Z est la projection canonique. Prenons M = Z/2Z. Puisque HomZ (Z/2Z, Z) = 0 (cf. exemple I.3.6), on obtient que l’application g∗ : HomZ (Z/2Z, Z) −→ EndZ (Z/2Z) est nulle. Elle n’est donc pas surjective, puisque EndZ (Z/2Z) est non nul. Malgré tout, il existe des situations où les choses se passent mieux. C’est le cas lorsque la suite exacte est scindable. I.3. SUITES EXACTES 19 Définition I.3.9. Une suite exacte de A-modules / M1 ι / M2 π / M3 0 /0 est scindable s’il existe ε ∈ HomA (M3 , M2 ) (nécessairement injectif) vérifiant π ◦ ε = IdM3 . On dit alors que la suite exacte est scindée par ε. Une telle application linéaire ε est appelée un scindage de la suite exacte, ou une section de π. Exemple I.3.10. Pour tous A-modules M, M 0 , la suite exacte évidente /M 0 ι / M × M0 π / M0 /0 est scindée par l’injection canonique M 0 ,→ M × M 0 . Le lemme suivant montre que la réciproque est vraie. Lemme I.3.11. Soient M1 , M2 , M3 des A-modules tels que la suite 0 / M1 ι / M2 π / M3 /0 soit exacte et scindée par ε ∈ HomA (M3 , M2 ). Alors, on a M2 = ι(M1 ) ⊕ ε(M3 ). En particulier, M2 ' M1 × M3 . De plus, pour tout A-module M , la suite de groupes abéliens (de A-modules si A est commutatif ) 0 / HomA (M, M1 ) ι∗ / HomA (M, M2 ) π∗ / HomA (M, M3 ) /0 est exacte. Démonstration. Soit z ∈ M2 , et soit y = ε π(z) ∈ ε(M3 ). Alors, on a x0 = z − y ∈ ι(M1 ). En effet, π(x0 ) = π(z) − π(y) = π(z) − (π ◦ ε) π(z) = π(z) − π(z) = 0, puisque π ◦ ε = IdM3 . Ainsi, x0 ∈ ker(π) = Im(ι). Comme z = y + x0 , on a ainsi démontré l’égalité M2 = ε(M3 ) + ι(M1 ). Il reste à voir que la somme est directe. Supposons que l’on ait y + x0 = 0 pour y ∈ ε(M3 ) et x0 ∈ ι(M1 ). Soit y 0 ∈ M3 tel que y = ε(y 0 ). En appliquant π à l’égalité précédente, et en tenant compte du fait que π ◦ ι = 0 et π ◦ ε = IdM3 , on obtient y 0 = 0, et donc y = 0. Par suite, x0 = 0, et la somme est donc directe. En particulier, on a M ' ι(M1 ) × ε(M3 ) ' M1 × M3 , le dernier isomorphisme provenant du fait que ι et ε sont injectives. Pour montrer le dernier point, il reste à vérifier que l’application π∗ : HomA (M, M2 ) −→ HomA (M, M3 ) 20 I. RAPPELS ET COMPLÉMENTS SUR LES MODULES est surjective pour tout A-module M , puisque l’on sait déjà que la suite 0 / HomA (M, M1 ) ι∗ / HomA (M, M2 ) π∗ / HomA (M, M3 ) est exacte, d’après le lemme I.3.4. Or, pour toute application A-linéaire ϕ : M −→ M3 , on a ϕ = IdM3 ◦ ϕ = (π ◦ ε) ◦ ϕ = π ◦ (ε ◦ ϕ) = π∗ (ε ◦ ϕ). Ainsi, π∗ est surjective, et ceci achève la démonstration. I.4. Modules de type fini, modules noethériens Commençons par un lemme. Lemme I.4.1. Soit M un A-module de type fini. Alors, il existe n ≥ 1 et un sousmodule N de An tel que M ' An /N . Démonstration. Soient x1 , . . . , xn des générateurs de M (si M = 0, on prend n = 1 et x1 = 0), et soit u: An −→ M (a1 , . . . , an ) 7−→ a1 ·x1 + · · · + an ·xn . Il est facile de vérifier que u est une application linéaire. D’autre part, elle est surjective par choix des xi . Le théorème de factorisation nous donne alors l’isomorphisme de A-modules An / ker(u) ' M. Il suffit ainsi de poser N = ker(u). Lemme I.4.2. Soit M un A-module, et soit N un sous-module de M . (1) Si M est un A-module de type fini, alors M/N est un A-module de type fini. (2) Si N et M/N sont des A-modules de type fini, alors M est un A-module de type fini. Démonstration. Si M est engendré par x1 , . . . , xn ∈ M , il est facile de voir que x1 , . . . , xn engendrent M/N comme A-module. Supposons maintenant que N et M/N soient de type fini. Il existe donc x1 , . . . , xn ∈ M tels que x1 , . . . , xn engendrent M/N . Ainsi, pour tout x ∈ M , il existe des éléments a1 , . . . , an ∈ A tels que x = a1 ·x1 + . . . an ·xn = a1 ·x1 + · · · + an ·xn . Il existe donc z ∈ N tel que x = a1 ·x1 + · · · + an ·xn + z. Puisque N est de type fini, il existe alors des éléments z1 , . . . , zm ∈ N engendrant N . Ainsi, il existe b1 , . . . , bm ∈ A tels que z = b1 ·z1 + · · · + bm ·zm . On a donc finalement x = a1 ·x1 + · · · + an ·xn + b1 ·z1 + · · · + bm ·zm . Ceci montre que M est engendré par les éléments x1 , . . . , xn , z1 , . . . , zm . Par conséquent, M est de type fini. I.4. MODULES DE TYPE FINI, MODULES NOETHÉRIENS 21 Contrairement à ce qu’il se passe dans le cas des espaces vectoriels, si A est suffisamment général, il se peut qu’un sous-module d’un A-module de type fini ne soit pas de type fini, même si A est factoriel, comme le montre l’exemple suivant. [ Exemple I.4.3. Soit A = C[X1 , X2 , . . .] = C[X1 , . . . , Xn ], l’anneau des pon≥1 lynômes en une infinité d’indéterminées, et soit I l’idéal engendré par les Xi , i ≥ 1. Alors, A est de type fini comme A-module, engendré par 1. En revanche, nous affirmons que le sous-module I n’est pas de type fini sur A. Supposons le contraire, et soient P1 , . . . , Pn ∈ A des générateurs de I. Chaque Pj faisant intervenir un nombre fini d’indéterminées, il existe m ≥ 1 tel que Pj ∈ C[X1 , · · · , Xm ] pour tout j. Par définition de I, on a Xm+1 ∈ I, donc par hypothèse, nous avons une relation du type Xm+1 = Q1 P1 + · · · + Qn Pn , Qi ∈ A. Soit s ≥ m + 1 un entier tel que Qj , Pj ∈ C[X1 , . . . , Xs ] pour tout j. En substituant 1 à Xm+1 , on obtient 1 = R1 P1 + · · · + Rn Pn , Ri ∈ C[X1 , . . . , Xs ], puisque les polynômes Pi ne font intervenir que les variables X1 , . . . , Xm et que s ≥ m + 1. On a donc 1 ∈ I. Or, ceci est impossible car les éléments de I n’ont pas de terme constant, d’où une contradiction. Le contre-exemple précédent nous conduit naturellement à introduire la notion d’anneau et de modules noethériens, que nous définirons seulement pour les anneaux commutatifs, puisque nous n’en aurons besoin que dans ce cadre. Définition I.4.4. Soit A un anneau commutatif. On dit qu’un A-module M est noethérien si tout sous-module de M est de type fini. On dit qu’un anneau A est noethérien s’il est noethérien lorsqu’il est vu comme un A-module, c’est-à-dire si tous ses idéaux sont de type fini. Remarque I.4.5. Un A-module noethérien est en particulier de type fini. Le lemme suivant donne diverses caractérisations d’un A-module noethérien. Lemme I.4.6. Soit A un anneau commutatif, et soit M un A-module. Les propriétés suivantes sont équivalentes : (1) le A-module M est noethérien ; (2) toute suite croissante de sous-modules de M est stationnaire ; (3) toute famille non vide de sous-modules de M possède un élément maximal. Démonstration. (1) =⇒ (2). Supposons que M soit noethérien, et soit [ (Nk )k≥1 une suite croissante de sous-modules de M . Il est facile de voir que N = Nk est un sous-module de N . k≥1 Il est donc de type fini par hypothèse. Soit (x1 , . . . , xm ) une famille génératrice de N . Par définition de N , pour tout k = 1, . . . , m, il existe un indice jk tel que xk ∈ Njk . 22 I. RAPPELS ET COMPLÉMENTS SUR LES MODULES Soit alors j le plus grand de tous ces indices. On a alors xk ∈ Nj pour tout k = 1, . . . , m, et par suite N ⊂ Nj , puisque N est le plus petit sous-module de M contenant x1 , . . . , xm . On en déduit donc N = Nj . Mais alors, pour tout k ≥ j, on a N = Nj ⊂ Nk ⊂ N, et donc Nk = N = Nj . (2) =⇒ (3). Soit F une famille non vide de sous-modules de M . Supposons que F n’admette pas d’élément maximal et soit N1 ∈ F . Alors, puisque N1 n’est pas maximal, il existe N2 ∈ F tel que N1 ( N2 . De même, il existe N3 ∈ F tel que N2 ( N3 . Ainsi, on construit de proche en proche une suite croissante de sous-modules de M qui est non stationnaire, d’où une contradiction. (3) =⇒ (1). Soit N un sous-module de M , et considérons la famille F des sousmodules de N de type fini. Alors, F est une famille de sous-modules de M non vide, puisqu’elle contient le module nul. Par hypothèse, F possède un élément maximal N 0 . Par construction, on a N 0 ⊂ N . Supposons l’inclusion stricte, et soit x ∈ N \ N 0 . Alors, le sous-module de N engendré par N 0 et x est de type fini et contient strictement N 0 , ce qui contredit la maximalité de N 0 . Ainsi, N = N 0 , et N est de type fini. Exemples I.4.7. (1) Tout anneau principal est noethérien, puisque tout idéal est engendré par un élément. En particulier, Z est noethérien. (2) L’anneau C[X1 , X2 , . . .] n’est pas noethérien, d’après l’exemple I.4.3. Proposition I.4.8. Soit A un anneau, soit M un A-module, et soit N un sousmodule de M . Alors, M est noethérien si, et seulement si, les A-modules N et M/N sont noethériens. Démonstration. Supposons que M soit noethérien. Soit N 0 un sous-module de N . Alors, N 0 est aussi un sous-module de M , et est donc de type fini par hypothèse. D’après la proposition I.1.25, un sous-module de M/N est de la forme M 0 /N , où M 0 est un sous-module de M contenant N . Par hypothèse, M 0 est de type fini. D’après le point (1) du lemme I.4.2, M 0 /N est aussi de type fini. Ainsi, N et M/N sont noethériens. Réciproquement, supposons que N et M/N soient noethériens, et soit M 0 un sousmodule de M . L’application linéaire f : M 0 −→ (M 0 + N )/N x x 7−→ est surjective, car un élément de N a une classe d’équivalence triviale. De plus, ker(f ) = M 0 ∩ N , et donc le théorème de factorisation nous donne un isomorphisme de A-modules M 0 /(M 0 ∩ N ) ' (M 0 + N )/N. Par hypothèse, le sous-module (M 0 + N )/N de M/N est de type fini, et donc M 0 /(M 0 ∩ N ) est également de type fini. Puisque N est noethérien, le sous-module M 0 ∩ N est de type fini. D’après le lemme I.4.2 (2), M 0 est aussi de type fini. Ainsi, tout sous-module de M est de type fini, et M est donc noethérien. Proposition I.4.9. Soit A un anneau noethérien. Alors, tout A-module de type fini est noethérien. En particulier, tout sous-module d’un A-module de type fini est aussi de type fini. I.4. MODULES DE TYPE FINI, MODULES NOETHÉRIENS 23 Démonstration. Commençons par montrer, par récurrence sur n, que An est un A-module noethérien pour tout n ≥ 1. Pour n = 1, c’est vrai par hypothèse. Supposons maintenant que An soit noethérien pour n ≥ 1, et montrons que An+1 est noethérien. Le sous-module N de An+1 défini par N = {(0, . . . , 0, a) | a ∈ A} est isomorphe à A comme A-module, l’isomorphisme étant donné par A −→ N a 7−→ (0, . . . , 0, a). Il est donc noethérien. D’autre part, N est le noyau de l’application linéaire surjective f: An+1 −→ An (a1 , . . . , an+1 ) 7−→ (a1 , . . . , an ). On a donc un isomorphisme de A-modules An+1 /N ' An . Puisque An est noethérien par hypothèse de récurrence, An+1 /N est donc noethérien. Comme N est également noethérien (car il est isomorphe à A), la proposition I.4.8 montre que An+1 est noethérien, ce qui achève la récurrence. Soit maintenant M un A-module de type fini. D’après le lemme I.4.1, il existe n ≥ 1 et un sous-module N de An tels que M ' An /N . Puisque An est noethérien, le sens direct de la proposition I.4.8 entraı̂ne que An /N est noethérien. Par suite, M est aussi noethérien. Remarque I.4.10. Si A est un anneau noethérien et si M est un A-module de type fini engendré par n éléments, il n’est pas vrai que tout sous-module N de M peut être engendré par au plus n éléments. En effet, supposons que A soit un anneau noethérien non principal. Tout idéal non principal de A est alors nécessairement engendré par au moins deux éléments, alors que A peut être engendré par un seul élément. On démontre maintenant un théorème dû à Hilbert. Théorème I.4.11 (Hilbert). Soit A un anneau commutatif. Alors, A[X] est noethérien si, et seulement si, A est noethérien. Démonstration. Soit A un anneau noethérien. Si f ∈ A[X] \ {0}, on note δ(f ) ∈ A son coefficient dominant. Soit a un idéal de A[X]. Pour tout n ≥ 0, on pose Dn = {δ(f ) | f ∈ a, deg(f ) = n} ∪ {0}. Commençons par montrer que Dn est un idéal de A. Soient x, y ∈ Dn , et soit a ∈ A. Par définition, 0 ∈ Dn . Si x = 0, alors −x = 0 ∈ Dn . Si x 6= 0, alors il existe f ∈ a de degré n tel que x = δ(f ). Mais alors, −x = −δ(f ) = δ(−f ). Comme −f est un élément de a de degré n, on obtient encore −x ∈ Dn . Montrons maintenant que x + y ∈ Dn . Si un des éléments x, y ou x + y est nul, il n’y a rien à faire. On suppose donc que x, y et x + y sont tous les trois non nuls. Par définition, il existe f, g ∈ a de degré n tels que x = δ(f ) et y = δ(g). Puisque x + y est non nul, f +g est alors un élément de a de degré n et on a x+y = δ(f +g) ∈ Dn . 24 I. RAPPELS ET COMPLÉMENTS SUR LES MODULES Enfin, montrons que ax ∈ Dn . Encore une fois, si x = 0 ou ax = 0, il n’y a rien à faire. On suppose donc que x et ax sont non nuls, et on écrit x = δ(f ), où f ∈ a est de degré n. Comme ax 6= 0, af est un élément de a de degré n, et on a ax = δ(af ) ∈ Dn . Ainsi, Dn est bien un idéal de A. Remarquons maintenant que l’on Dn ⊂ Dn+1 pour tout n ≥ 0. En effet, soit x ∈ Dn . Si x = 0, il n’y a rien à faire. Si x 6= 0, on a x = δ(f ), où f ∈ a est de degré n. Mais alors, Xf est un élément de a de degré n + 1 vérifiant x = δ(Xf ), d’où l’inclusion souhaitée. Puisque A est noethérien, il existe donc un entier r ≥ 0 tel que Dn = Dr pour tout n ≥ r par le lemme I.4.6. On en déduit alors aisément l’égalité [ Dn = Dr . n≥0 D’autre part, l’idéal Dn est de type fini pour tout n ∈ J0, rK et il existe donc une famille finie de polynômes fn1 , . . . , fnjn ∈ a de degré n dont les coefficients dominants engendrent l’idéal Dn . Nous allons montrer par récurrence sur le degré d’un polynôme g ∈ a que la famille fnj , n ∈ J0, rK , j ∈ J1, jn K engendre a, i.e. que g peut s’écrire comme combinaison A[X]-linéaire des éléments de cette famille. On peut supposer g non nul. Supposons tout d’abord que deg(g) = 0. Alors, g est constant, donc égal à son propre coefficient dominant. Ainsi, g ∈ D0 et g est donc une combinaison A-linéaire (donc A[X]-linéaire) de f01 , . . . , f0,j0 , et on a fini. Supposons avoir démontré que tout élément de a de degré ≤ n était dans l’idéal engendré par la famille fnj , n ∈ J0, rK , j ∈ J1, jn K , et soit g ∈ a de degré n + 1. Alors, on a δ(g) ∈ Dn+1 ⊂ [ Dm = Dr . m≥0 On peut donc écrire δ(g) = a1 δ(fr1 ) + · · · + ajr δ(frjr ), ai ∈ A. Mais alors, le polynôme g − (a1 fr1 + · · · + ar frjr ) est un élément de a de degré ≤ n, et on utilise l’hypothèse de récurrence pour conclure. Si maintenant A[X] est noethérien, alors A[X]/(X) ' A est noethérien d’après la proposition I.4.8. Ceci achève la démonstration. Corollaire I.4.12. Soit A un anneau noethérien. Alors, pour tout n ≥ 0, l’anneau A[X1 , . . . , Xn ] est noethérien. I.5. LEMME DE NAKAYAMA 25 I.5. Lemme de Nakayama Soit A un anneau, et soit M un A-module. Si Z est une partie de A, on rappelle que Z·M est le sous-module de M engendré par les éléments de la forme z·x, avec z ∈ Z, x ∈ M. Autrement dit, X n Z·M = zi ·xi n ≥ 0, zi ∈ Z, xi ∈ M . i=1 Nous pouvons maintenant énoncer le résultat clé de ce paragraphe, qui est une source inépuisable d’applications. Théorème I.5.1. [Lemme de Nakayama] Soit A un anneau commutatif, soit I un idéal de A, et soit M un A-module de type fini. Si I·M = M , alors il existe a ∈ I tel que (1 + a)·M = 0. En particulier, si I est contenu dans tout idéal maximal de A, alors M = 0. Démonstration. Soient x1 , . . . , xn des éléments engendrant M . Par définition, on peut écrire n X −xj = aij ·xi , aij ∈ I, pour tout j ∈ J1, nK . i=1 Autrement dit, il existe C ∈ Mn (A), à coefficients dans I, telle que (In + C)X = 0, x1 où X = ... . En multipliant cette identité par la transposée de la comatrice de xn In + C, on obtient det(In + C)X = 0, 1 soit encore det(In + C)xi = 0 pour tout i ∈ J1, nK . On a alors le résultat voulu en développant le déterminant. Démontrons maintenant la dernière partie. Supposons que I soit contenu dans tout idéal maximal. Nous allons montrer alors que 1 + a est inversible. Si ce n’est pas le cas, alors l’idéal A(1 + a) est un idéal propre de A, et est donc contenu dans un idéal maximal m. Mais alors, on a 1 = (1 + a) − a ∈ m puisque m est un idéal et I ⊂ m par hypothèse. On a alors m = A, ce qui est impossible. En multipliant l’égalité (1 + a)·M = 0 par l’inverse de 1 + a, on obtient le résultat annoncé. Avant d’énoncer de continuer, rappelons la définition suivante. Définition I.5.2. Un anneau commutatif A est dit local s’il possède un unique idéal maximal. Exemples I.5.3. (1) Un corps est un anneau local. (2) Soit A un anneau principal, et soit π un élément irréductible. Alors, pour tout n ≥ 1, l’anneau A/(π n ) est un anneau local. 1. L’identité com(M)t M = det(M )In est en effet valable pour n’importe quelle matrice carrée à coefficients dans un anneau commutatif A. 26 I. RAPPELS ET COMPLÉMENTS SUR LES MODULES Corollaire I.5.4. [Lemme de Nakayama (version locale)] Soit A un anneau local commutatif, d’idéal maximal m, et soit M un A-module. Soit N un sous-module de M tel que M/N soit de type fini. Si m·M + N = M , alors M = N. En particulier, si M est de type fini et m·M = M , alors M = 0. Démonstration. On commence par le cas N = 0. Comme A possède un unique idéal maximal m, une application directe du théorème précédent montre que si M est de type fini, et si m·M = M , alors M = 0. Soit maintenant N un sous-module de M tel que M/N soit de type fini, et supposons que m·M + N = M . Montrons que m·M/N = M/N . Soit à cet effet x ∈ M . On note x son image dans M/N par la projection canonique. Par hypothèse, on peut écrire n X ai ·xi , y ∈ N, xi ∈ M, ai ∈ m. x=y+ i=1 On a alors x= n X ai ·xi = i=1 n X ai ·xi ∈ m·M/N, i=1 ce qu’il fallait vérifier. D’après le cas précédent, M/N = 0, i.e. M = N . I.6. Modules projectifs Nous allons ici introduire la notion de module projectif. Cette classe de modules est importante, et intervient naturellement en géométrie algébrique. En effet, lorsque X = Spec(A) est une variété affine, les fibrés vectoriels sur OX sont en correspondance bijective avec les A-modules projectifs. Plus prosaı̈quement, remarquons que, contrairement au cas des espaces vectoriels, un sous-module d’un module libre n’admet pas nécessairement de supplémentaire. Exemple I.6.1. Soit A = Z = M et soit N = 2Z. S’il existe un sous-module P de M tel que M = N ⊕ P , alors on aurait P ' Z/2Z. En particulier, M posséderait un élément x 6= 0 tel que 2x = 0, ce qui n’est pas le cas. Ceci motive la définition suivante. Définition I.6.2. Soit A un anneau (non nécessairement commutatif). Un Amodule P est dit projectif s’il est isomorphe à un facteur direct d’un module libre. Autrement dit, P est projectif s’il existe un A-module libre L et des sous-modules P 0 et Q de L tels que : (1) le A-module L est libre ; (2) on a un isomorphisme de A-modules P ' P 0 ; (3) on a L = P 0 ⊕ Q. Remarque I.6.3. Soit A un anneau, et soit P un A-module. Alors, P est projectif si, et seulement si, il existe un A-module libre L et un A-module N tel que L ' P × N . I.6. MODULES PROJECTIFS 27 En effet, supposons P projectif. Alors, il existe un A-module libre L et deux sousmodules P 0 et Q de L tel que P 0 ' P et L = P 0 ⊕ Q. Mais alors, on a L ' P 0 × Q ' P × Q. Réciproquement, supposons que l’on ait un isomorphisme de A-modules ∼ u : P × N −→ L, où L est un A-module libre. Posons P 0 = u(P ) et Q = u(N ). Alors, on a P 0 ' P et L = P 0 ⊕ Q. Ainsi, P est projectif. Exemples I.6.4. (1) Il provient de la définition que tout A-module libre est projectif. En particulier, le A-module nul est toujours projectif. (2) Soit A un anneau commutatif, et soit n ≥ 1. Soit (ε1 , . . . , εn ) la base canonique de An . On suppose qu’il existe a1 , . . . , an , y1 , . . . , yn ∈ A tels que a1 y1 + · · · + an yn = 1. Alors, le A-module n o n X xi ·εi ∈ An a1 x1 + · · · + an xn = 0 P = x= i=1 est projectif. En effet, soit L = An et soit Q = A·y, où y= n X yi ·εi . i=1 Montrons que l’on a alors L = P ⊕ Q, ce qui démontrera que P est projectif. n X zi ·εi ∈ An . Posons Soit z = i=1 λ= n X ai zi et x = z − λ·y. i=1 On a alors x ∈ P . En effet, on a x = n X (zi − λyi )·εi . Mais alors, i=1 n X i=1 ai (zi − λyi ) = n X ai zi − λ i=1 n X ai yi = n X i=1 ai zi − λ = 0. i=1 Ainsi, x ∈ P , et on a donc z = x+λ·y ∈ P +Q. Autrement dit, on a L = P +Q. Il reste donc à montrer que la somme est directe. Supposons que l’on ait x + x0 = 0, avec x ∈ P et x0 ∈ Q. Par définition de Q, il existe a ∈ A tel que x0 = a·y. On a alors xi + ayi = 0 pour tout i ∈ J1, nK . En multipliant par ai et en sommant les égalités, on obtient n X i=1 a i xi + a n X i=1 ai yi = 0. 28 I. RAPPELS ET COMPLÉMENTS SUR LES MODULES Puisque x ∈ P , on a n X ai xi = 0. D’autre part, on a i=1 n X ai yi = 1, et par i=1 suite, on obtient a = 0, et donc x0 = 0. On a alors x = 0, et la somme est donc directe. Remarquons au passage que l’application A −→ Q a 7−→ a·y est un isomorphisme de A-modules. En effet, la surjectivité est évidente. De plus, si a·y = 0, alors on a a=a n X a i yi = i=1 n X ai (ayi ) = 0. i=1 Ainsi, A est libre de base y, et on a A × P ' An . (3) Soit C ∈ Mn (A) vérifiant C 2 = C. On vérifie alors que An = ker(C) ⊕ Im(C). Ainsi, ker(C) et Im(C) sont projectifs. (4) Le Z-module Q n’est pas projectif. Supposons le contraire. Alors, Q serait isomorphe à un facteur direct P 0 d’un Z-module libre L. Comme L ' Z(I) , on obtiendrait une application Z-linéaire injective ϕ : Q ,→ Z(I) . Posons v = ϕ(1). Alors, pour tout q ∈ Z, q 6= 0, on a 1 1 · v = ϕ(1) = ϕ q· = q·ϕ q q Puisque 1 6= 0 et ϕ est injective, on a v 6= 0. Mais alors, n’importe quelle coordonnée non nulle de v est multiple de q pour tout q 6= 0, ce qui est impossible, d’où une contradiction. Nous allons donner ci-dessous un exemple de A-module projectif non libre. √ √ Exemple I.6.5. Soit A = Z[i 5], et soit I = (2, 1 + i 5). Alors, I est un A-module projectif non libre. √ Posons ω = i 5, et montrons tout d’abord que l’on a I 6= A. Supposons le contraire. Alors, il existe a, b, c, d ∈ Z tels que 1 = 2(a + bω) + (1 + ω)(c + dω). En tenant compte du fait que ω 2 = −5, on obtient 1 = 2a + c − 5d + (2b + c + d)ω. Or, (2a + c − 5d) et (2b + c + d) ont même parité, car l’entier (2a + c − 5d) − (2b + c + d) = 2(a − b − 3d) est pair. L’égalité précédente est donc impossible. On a donc bien I 6= A. I.6. MODULES PROJECTIFS 29 Supposons maintenant que I soit engendré par un élément α = m+nω ∈ I. Puisque 2 ∈ I, on a donc 2 = (m + nω)(a + bω), pour certains a, b ∈ Z. En prenant le carré du module, on obtient 4 = (m2 + 5n2 )(a2 + 5b2 ). Si n ≥ 1, cette égalité est impossible, car l’on aurait m2 +5n2 ≥ 5. On a donc n = 0, et ainsi 2 = ma. On a alors α = m ∈ {±1, ±2}. Comme I 6= A, on a m = ±2, et donc I = (2). Mais, puisque 1 + ω ∈ I, il existe c, d ∈ Z tels que 1 + ω = 2(c + dω). Cette égalité est impossible puisque c, d ∈ Z, et l’on obtient donc une contradiction. Comme I est non principal et A est intègre, I n’est pas libre. Par définition de I, l’application linéaire ϕ : A2 −→ I (z, z 0 ) 7−→ 2z + (1 + ω)z 0 est surjective. On a donc un isomorphisme A/ ker(ϕ) ' I. Des calculs faciles montrent que l’on a ker(ϕ) = a(1 + ω, −2) + d(−3ω, 5 + ω) a, d ∈ Z . On montre alors que l’application linéaire ρ : A2 −→ A2 (z, z 0 ) 7−→ z·(4, −1 + ω) + z 0 ·(2 + 2ω, −3) se factorise en une application A-linéaire ε: I −→ A2 0 2z + (1 + ω)z 7−→ z·(4, −1 + ω) + z 0 ·(2 + 2ω, −3). On vérifie aisément que ϕ ◦ ε = IdI , ce qui signifie que la suite exacte 0 −→ ker(ϕ) −→ A2 −→ I −→ 0 est scindée par ε. Par le lemme I.3.11, on obtient un isomorphisme A2 ' I × ker(ϕ), et I est donc projectif de type fini. Nous continuons par donner des caractérisations diverses de la projectivité. Théorème I.6.6. Soit P un A-module. Alors, les conditions suivantes sont équivalentes : (1) le A-module P est projectif ; (2) pour toute suite exacte de A-modules M1 f / M2 g / M3 , la suite de A-modules HomA (P, M1 ) est exacte ; f∗ / HomA (P, M2 ) g∗ / HomA (P, M3 ) 30 I. RAPPELS ET COMPLÉMENTS SUR LES MODULES (3) pour toute suite exacte de A-modules / M1 0 / M2 f g / M3 /0, la suite de A-modules 0 / HomA (P, M1 ) / HomA (P, M2 ) f∗ g∗ / HomA (P, M3 ) /0 est exacte ; (4) pour toute application A-linéaire u : M −→ N surjective, et toute application A-linéaire f : P −→ N , il existe une application A-linéaire f 0 : P −→ M telle que le diagramme P ∃ f0 f /N M commute, c’est-à-dire telle que f = u ◦ f 0 . Autrement dit, pour toute application A-linéaire u : M −→ N surjective, l’application u∗ : HomA (P, M ) −→ HomA (P, N ) est surjective ; ~ u (5) toute suite exacte de A-modules 0 / M1 ι / M2 π /P /0 est scindable. De plus, pour tout ε ∈ HomA (P, M2 ) vérifiant π ◦ ε = IdP , on a M2 = ε(P ) ⊕ ι(M1 ) ' P × M1 ; (6) pour tout A-module libre L, et toute application A-linéaire surjective u : L −→ P , il existe un sous-module P 0 de L tel que P0 ' P et L = P 0 ⊕ ker(u). Remarque I.6.7. La condition (6) n’est pas vide. Par exemple, si L = A(P ) et si (εx )x∈P est la base canonique de L, l’unique application A-linéaire u : L −→ P telle que u(εx ) = x pour tout x ∈ P est surjective. Démonstration. (1) =⇒ (2). On sait déjà que im(f∗ ) ⊂ ker(g∗ ), par définition de f∗ et g∗ . Soit maintenant ϕ ∈ HomA (P, M3 ) tel que g∗ (ϕ) = g ◦ ϕ = 0. Supposons tout d’abord que P est un A-module libre, de base (ei )i∈I . Par hypothèse, on a ϕ(ei ) ∈ ker(g) = im(f ) pour tout i ∈ I. On peut donc écrire ϕ(ei ) = f (xi ) pour tout i ∈ I. I.6. MODULES PROJECTIFS 31 Soit ψ : P −→ M2 l’unique application linéaire satisfaisant ψ(ei ) = xi pour tout i ∈ I. Alors, on a f ◦ ψ = ϕ, car ces deux applications coı̈ncident sur une base de P . Ainsi, ϕ = f∗ (ψ) ∈ im(f∗ ). On a donc bien im(f∗ ) = ker(g∗ ). Revenons maintenant au cas général. Puisque P est projectif, il existe un A-module libre L, et des sous-modules P 0 et Q de L tels que P ' P 0 et L = P 0 ⊕ Q. ∼ Soit θ : P 0 −→ P un isomorphisme de A-modules, et soit ϕ0 : L −→ M3 l’unique application linéaire vérifiant ϕ0|P 0 = ϕ ◦ θ, ϕ0|Q = 0. Alors, on a g∗ (ϕ0 )|P 0 = (g ◦ ϕ) ◦ θ = 0 et g∗ (ϕ0 )|Q = 0. Autrement dit, g∗ (ϕ0 ) = 0, et par le point précédent, il existe une application linéaire ψ 0 ∈ HomA (L, M2 ) telle que ϕ0 = f∗ (ψ 0 ) = f ◦ ψ 0 . En prenant la restriction à P 0 , on a donc ϕ ◦ θ = f ◦ ψ|0P 0 . Si l’on pose ψ = ψ|0 0 ◦θ−1 , on obtient alors ϕ = f∗ (ψ), ce que l’on voulait démontrer. P (2) =⇒ (3). Pour toute suite exacte de A-modules / M1 0 / M2 f / M3 g /0, on sait d’après le lemme I.3.4 que la suite de groupes abéliens 0 / HomA (P, M1 ) / HomA (P, M2 ) f∗ g∗ / HomA (P, M3 ) est exacte. Pour obtenir la surjectivité de g∗ , il suffit d’appliquer (2) à la suite exacte g / M3 /0. M2 (3) =⇒ (4). Le point (3) appliqué à la suite exacte /M / ker(u) 0 u /N /0 montre en particulier que l’application u∗ : HomA (P, M ) −→ HomA (P, N ) est surjective. (4) =⇒ (5). Considérons une suite exacte de A-modules / M1 0 ι / M2 π /P /0 Par hypothèse, l’application π∗ : HomA (P, M2 ) −→ HomA (P, P ) est surjective. Il suffit alors de prendre pour ε une préimage de IdP par u∗ . L’égalité M2 = ε(P ) ⊕ ι(M1 ) provient du lemme I.3.11. 32 I. RAPPELS ET COMPLÉMENTS SUR LES MODULES (5) =⇒ (6). Soit L un A-module libre, et soit u : L −→ P une application linéaire surjective. Par hypothèse, la suite exacte de A-modules 0 / ker(u) /L u /P /0 est scindable, et il existe donc ε ∈ HomA (P, L) tel que u ◦ ε = IdP . Remarquons que ε est en particulier injective. Posons alors P 0 = ε(P ). Puisque ε est injective, on a donc un isomorphisme de A-modules P ' P 0 induit par ε. D’après (5), on a alors L = P 0 ⊕ ker(u). (6) =⇒ (1). Cela provient de la définition d’un A-module projectif. Corollaire I.6.8. Soit A un anneau et soit P un A-module. Alors, P est un Amodule projectif de type fini si, et seulement si, il est isomorphe à un facteur direct d’un A-module libre de rang fini. Démonstration. Supposons que l’on ait L = P 0 ⊕ Q, où L est libre de rang fini, et P ' P 0 . Alors, P est projectif, et l’on a de plus P ' P 0 ' L/Q. Comme L est de type fini par hypothèse, P est aussi de type fini. Réciproquement, supposons que P soit projectif de type fini, et soient x1 , . . . , xn des générateurs de P . Il suffit d’appliquer la caractérisation (6) du théorème précédent à l’application linéaire surjective u: An −→ P n X (a1 , . . . , an ) 7−→ ai ·xi i=1 pour obtenir la conclusion. Dorénavant, tous les anneaux seront supposés commutatifs. Chapitre II Localisation Dans ce chapitre, on introduit la technique de la localisation. Cette technique se définit de façon très simple sur les anneaux commutatifs, mais est beaucoup plus délicate dans le cas général. On se restreindra donc au cas d’un anneau commutatif, cadre dans lequel on se placera dans les chapitres suivants. Dans la suite, A désignera donc un anneau commutatif. La technique de localisation est très importante en algèbre commutative et en géométrie algébrique. Elle est le pendant algébrique de l’étude d’une fonction au voisinage d’un point en analyse. De manière un peu moins vague, si V est une variété algébrique affine définie sur un corps k (par exemple, une courbe), d’anneau des fonctions régulières k[V], l’ensemble des points fermés de V (i.e. les points rationnels de V sur une extension de degré fini de k) est en correspondance bijective avec l’ensemble des idéaux maximaux m de k[V]. Localiser l’anneau en m revient alors à étudier V autour du point fermé P correspondant à m, et le localisé k[V]m correspond aux fonctions rationnelles sur V définies en P (cf. définition II.1.6 pour la définition du localisé d’un anneau). On verra dans ce chapitre et les suivants que la localisation permet de simplifier l’étude des A-modules. Par exemple, le lemme de délocalisation (cf. lemme II.1.19) dit, en substance, que pour comprendre un module, il suffit de comprendre tous ses localisés. De même, une application A-linéaire est injective/surjective/bijective si, et seulement si, c’est vrai après localisation en tout idéal maximal. Enfin, on verra aussi comment la localisation nous permet de donner une caractérisation des modules projectifs de type fini. II.1. Localisation de modules Nous introduirons ici la notion de localisation d’un anneau et d’un module. Nous commençons par définir une partie multiplicative. Définition II.1.1. Une partie S de A est dite multiplicative si 1 ∈ S et S est stable par multiplication. Exemples II.1.2. (1) Si A est intègre, alors S = A \ {0} est multiplicative. (2) Plus généralement, si A est un anneau et p est un idéal premier, alors S = A \ p est multiplicative. (3) Pour tout s ∈ A, la partie {sn | n ≥ 0} est multiplicative. 33 34 II. LOCALISATION On fixe maintenant une partie multiplicative S de A, et un A-module M . On définit une relation ∼ sur l’ensemble S × M de la façon suivante : (s, x) ∼ (s0 , x0 ) s’il existe t ∈ S tel que t·(s0 ·x − s·x0 ) = 0. Lemme II.1.3. La relation ∼ est une relation d’équivalence. Démonstration. On a (s, x) ∼ (s, x) pour tout (s, x) ∈ S × M , puisque l’on a les égalités 1·(s·x − s·x) = s·x − s·x = 0. Supposons maintenant que (s, x) ∼ (s0 , x0 ). Il existe donc t ∈ S tel que t·(s0 ·x − s·x0 ) = 0. On a alors 0 = − t·(s0 ·x − s·x0 ) = t· − (s0 ·x − s·x0 ) = t·(s·x0 − s0 ·x). Donc (s0 , x0 ) ∼ (s, x), et la relation est symétrique. Supposons enfin que (s, x) ∼ (s0 , x0 ) et (s0 , x0 ) ∼ (s00 , x00 ). Il existe donc t, u ∈ A tels que t·(s0 ·x − s·x0 ) = u·(s00 ·x0 − s0 ·x00 ) = 0. Nous allons montrer que l’on a (tus0 )·(s00 ·x − s·x00 ) = 0, ce qui prouvera que (x, s) ∼ (x00 , s00 ), puisque tus0 ∈ S (car S est multiplicative). Puisque A est commutatif, on a s0 ·(s00 ·x − s·x00 ) = = = = s0 s00 ·x − s0 s·x00 s0 s00 ·x − s00 s·x0 + s00 s·x0 − s0 s·x00 s00 s0 ·x − s00 s·x0 + ss00 ·x0 − ss0 ·x00 s00 ·(s0 ·x − s·x0 ) + s·(s00 ·x0 − s0 ·x). En faisant agir tu de part et d’autre de l’égalité, et en utilisant la commutativité de A, on en déduit tus0 ·(s00 ·x − s·x00 ) = = = = = tus00 ·(s0 ·x − s·x0 ) + tus·(s00 ·x0 − s0 ·x) us00 t·(s0 ·x − s·x0 ) +tsu·(s00 ·x0 − s0 ·x) us00 · t·(s0 ·x − s·x0 ) + ts· u·(s00 ·x0 − s0 ·x) us00 ·0 + ts·0 0. Ceci achève la démonstration. On note S −1 M l’ensemble quotient (S × M )/∼. La classe d’équivalence du couple x a (s, x) est notée . Si (s, a) ∈ S × A, on note également sa classe d’équivalence s s −1 dans S A. Remarques II.1.4. (1) Si 0 ∈ S, on a S −1 M = 0 , car pour tout (s, x) ∈ S × M , on a 1 0·(1·x − s·0) = 0·x = 0. 0 (2) On a S −1 A = si, et seulement si, 0 ∈ S. 1 II.1. LOCALISATION DE MODULES 35 En effet, 0 ∈ S, alors S −1 A = 0 par le point précédent. Réciproquement, si 0 0 1 si S −1 A = , alors = , et il existe s ∈ S tel que 1 1 1 s·(1·1 − 1·0) = 0, ce qui se récrit s = 0. Ainsi, 0 ∈ S. x s0 ·x x , car l’on a ∈ S −1 M , on a = s s ss0 1· ss0 ·x − s·(s0 ·x) = 1·0 = 0. (3) Pour tout s0 ∈ S, et tout Nous allons à présent définir une addition et une action de S −1 A sur S −1 M . La notation sous forme de fraction incite tout naturellement à poser x y u·x + t·y a x a·x + = et · = · t u tu s t st Il s’agit de vérifier que cela a bien un sens, c’est-à-dire que le résultat ne dépend pas du choix des représentants des classes d’équivalence. C’est l’objet du lemme suivant. Lemme II.1.5. Soit M un A-module, et soit S une partie multiplicative de A. Soient (t, x), (t0 , x0 ), (u, y) et (u0 , y 0 ) ∈ S ×M et soient (s, a) et (s0 , a0 ) ∈ S ×A satisfaisant (s, a) ∼ (s0 , a0 ), (t, x) ∼ (t0 , x0 ) et (u, y) ∼ (u0 , y 0 ). Alors : (1) (tu, u·x + t·y) ∼ (t0 u0 , u0 ·x0 + t0 ·y 0 ); (2) (st, a·x) ∼ (s0 t0 , a0 ·x0 ). Démonstration. (1) Par hypothèse, il existe v, w ∈ S tels que v·(t·x0 − t0 ·x) = w·(u·y 0 − u0 ·y) = 0. On a donc vt·x0 = vt0 ·x et wu·y 0 = wu0 ·y. On a alors vwu0 t0 ·(u·x + t·y) = = = = = vwu0 t0 u·x + vwu0 t0 t·y wu0 u·(vt0 ·x) + vt0 t·(wu0 ·y) wu0 u·(vt·x0 ) + vt0 t·(wu·y 0 ) wu0 uvt·x0 + vt0 twu·y 0 wuvt·(u0 ·x0 + t0 ·y 0 ), c’est-à-dire vw· t0 u0 ·(u·x + t·y) − tu·(u0 ·x0 + t0 ·y 0 ) = 0. Comme S est multiplicative, vw ∈ S, et par conséquent (tu, u·x + t·y) ∼ (t0 u0 , u0 ·x0 + t0 ·y 0 ). (2) Par hypothèse, il existe v, w ∈ S tels que v·(t·x0 − t0 ·x) = 0 et w·(s·a0 − s0 ·a) = 0. On a donc vt·x0 = vt0 ·x et ws·a0 = ws0 ·a. 36 II. LOCALISATION Alors, on a vw· s0 t0 ·(a·x) − st·(a0 ·x0 ) = ws0 a·(vt0 ·x) − wsa0 ·(vt·x0 ) = 0. Comme S est multiplicative, vw ∈ S, et par conséquent (st, a·x) ∼ (s0 t0 , a0 ·x0 ). Ceci achève la démonstration. Le lemme précédent nous dit que les applications S −1 M × S −1 M −→ S −1 M u·x + t·y x y , 7−→ t u tu et S −1 A × S −1 M −→ S −1 M a x a·x , 7−→ s t st sont bien définies. On pose alors u·x + t·y a x a·x x y + = et · = · t u tu s t st Prenons le cas particulier M = A. On obtient alors deux lois internes · définies par a a0 s0 a + sa0 a a0 aa0 + 0 = et · = · s s ss0 s s0 ss0 + et On peut montrer que ces deux lois munissent S −1 A d’une structure d’anneau commutatif unitaire. Les vérifications ne sont pas difficiles, mais plutôt longues et 0 pénibles, et sont laissées au lecteur courageux. Disons simplement que est le 1 1 −x neutre pour l’addition, que est le neutre pour la multiplication, et que est 1 s x l’opposé de · s On vérifie alors que les lois S −1 M × S −1 M −→ S −1 M x y u·x + t·y , 7−→ t u tu et S −1 A × S −1 M −→ S −1 M a x a·x , 7−→ s t st induisent sur S −1 M une structure de S −1 A-module. Là encore, les vérifications sont laissées au lecteur. Définition II.1.6. Soit A un anneau, et soit S une partie multiplicative. L’anneau S −1 A s’appelle le localisé de A en S. De même, le S −1 A-module S −1 M s’appelle le localisé de M en S. Remarques II.1.7. II.1. LOCALISATION DE MODULES 37 (1) Remarquons que l’on a une application naturelle ιS,M : M −→ S −1 M x x 7−→ · 1 Il est facile de voir que ιS,M est une application A-linéaire et que ιS,A est un morphisme d’anneaux, mais que ces deux applications ne sont pas injectives en général. En fait, on a x = 0 ∈ S −1 M ⇐⇒ il existe s ∈ S tel que s·x = 0. 1 En particulier, si 0 ∈ / S, le morphisme ιS,A est injectif si A est intègre. (2) Pour tout S −1 A-module N , on a une structure naturelle de A-module, donnée par A × N −→ N a (a, z) 7−→ ·z . 1 En particulier, pour tout A-module M , S −1 M possède une structure naturelle de A-module, donnée par A × S −1 M −→ S −1 M x a·x a, 7−→ · s s Nous allons maintenant caractériser le localisé d’un module comme solution d’une propriété universelle. Définition II.1.8. Soit A un anneau, soit S une partie multiplicative, et soit M un A-module. Un localisé de M en S est un couple (M 0 , ι), où M 0 est un S −1 A-module et ι : M −→ M 0 est une application A-linéaire vérifiant la propriété universelle suivante. Pour tout S −1 A-module N et toute application A-linéaire f : M −→ N où la structure de A-module sur N est celle décrite dans la remarque II.1.7 (2) , il existe une unique application S −1 A-linéaire f 0 : M 0 −→ N telle que le diagramme M /N = f ι ∃! f 0 M0 commute, c’est-à-dire telle que f = f 0 ◦ ι. Autrement dit, le couple (M 0 , ι) est un localisé de M en S si pour tout S −1 Amodule N , l’application A-linéaire HomS −1 A (M 0 , N ) −→ HomA (M, N ) ϕ est un isomorphisme de A-modules. 7−→ ϕ◦ι 38 II. LOCALISATION On dit que deux localisés (M10 , ι1 ) et (M20 , ι2 ) de M en S sont isomorphes s’il existe ∼ un isomorphisme de S −1 A-modules u : M10 −→ M20 tel que le diagramme M ι2 } M20 / M10 ι1 u commute, c’est-à-dire tel que ι2 = u ◦ ι1 . On le note (M10 , ι1 ) ' (M20 , ι2 ). Si un tel localisé existe, alors il est unique à unique isomorphisme près, comme le montre le lemme suivant. Lemme II.1.9. Soient (M10 , ι1 ) et (M20 , ι2 ) deux localisés de M en S. Alors, il existe un unique isomorphisme de localisés ∼ u : (M10 , ι1 ) −→ (M20 , ι2 ). Cet isomorphisme est l’unique application S −1 A-linéaire telle que ι2 = u ◦ ι1 . Démonstration. Puisque (M10 , ι1 ) est un localisé de M en S, que M20 est un S −1 Amodule et ι2 : M −→ M20 est A-linéaire, il existe une unique application S −1 Alinéaire u : M10 −→ M20 telle que ι2 = u ◦ ι1 . De même, il existe une unique application S −1 A-linéaire v : M20 −→ M10 telle que ι1 = v ◦ ι2 . On a alors ι1 = (v ◦ u) ◦ ι1 et ι2 = (u ◦ v) ◦ ι2 . Par définition d’un localisé de M en S, l’application IdM1 est l’unique application S −1 A-linéaire w : M10 −→ M10 telle que ι1 = w ◦ ι 1 . Ainsi, on a v◦u = IdM10 . De même, u◦v = IdM20 . Il s’ensuit que u est un isomorphisme de S −1 A-modules. Comme ι2 = u ◦ ι1 , cet isomorphisme u est un isomorphisme de localisés de M en S. ∼ Supposons maintenant que u0 : (M10 , ι1 ) −→ (M20 , ι2 ) est un autre isomorphisme de localisés. Alors, on a ι2 = u ◦ ι1 = u 0 ◦ ι1 . Par définition d’un localisé, on obtient u = u0 . La proposition suivante montre que le couple (S universel sus-cité. −1 M, ιS,M ) est solution du problème Proposition II.1.10. Soit S une partie multiplicative d’un anneau A, et soit M un A-module. Alors, (S −1 M, ιS,M ) est un localisé de M en S. II.1. LOCALISATION DE MODULES 39 Plus explicitement, pour tout S −1 A-module N , et pour toute application A-linéaire f : M −→ N, il existe une unique application S −1 A-linéaire fS : S −1 M −→ N vérifiant fS ◦ ιS,M = f. Autrement dit, l’application HomS −1 A (S −1 M, N ) −→ HomA (M, N ) ϕ 7−→ ϕ ◦ ιS,M est un isomorphisme de A-modules, d’inverse HomA (M, N ) −→ HomS −1 A (S −1 M, N ) f 7−→ fS . Cette application est définie par x 1 fS = ·f (x) pour tout x ∈ M, et tout s ∈ S. s s Démonstration. Démontrons en premier lieu la partie unicité. Supposons qu’il existe une application S −1 A- linéaire fS : S −1 M −→ N vérifiant fS ◦ ιS,M = f. x Alors, pour tout ∈ S −1 M , on a s x 1 x 1 x 1 fS = fS · = ·fS = ·f x . s s 1 s 1 s Ainsi, si une telle application existe, elle est unique, et définie par la formule précédente. Il reste à voir que l’application fS décrite dans l’énoncé est bien définie et convient. Remarquons avant tout que, pour tout s0 ∈ S, l’application hs0 : N −→ N 0 y 7−→ s1 ·y est bijective, d’inverse h−1 s0 : N −→ N y 7−→ s10 ·y. Rappelons aussi que la structure de A-module sur le S −1 A-module N est donnée par A × N −→ N a (a, y) 7−→ ·y. 1 Ainsi, la linéarité de f : M −→ N se traduit par a f (a·x) = ·f (x) pour tout x ∈ M, et tout a ∈ A. 1 Démontrons à présent que fS est bien une application bien définie. Pour cela, soient (s, x), (s0 , x0 ) ∈ S × M tels que (s, x) ∼ (s0 , x0 ). Démontrons que 1 1 ·f (x) = 0 ·f (x0 ). s s 40 II. LOCALISATION Puisque hss0 est bijective, cela revient à montrer que s0 s ·f (x) − ·f (x0 ) = 0. 1 1 Par hypothèse, il existe t ∈ S tel que t·(s0 ·x − s·x) = 0. On a alors t s0 s t · ·f (x) − ·f (x) = · f (s0 ·x) − f (s·x) 1 1 1 1 t = ·f (s0 ·x − s·x) 1 = f t·(s0 ·x − s·x) = f (0) = 0. L’application ht étant bijective, on en déduit le résultat. L’application fS : S −1 M −→ N x 1 7−→ ·f (x) s s est donc bien définie. Par définition, elle vérifie x 1 = ·f (x) = f (x) pour tout x ∈ M, fS 1 1 c’est-à-dire fS ◦ ιS,M = f. Il s’agit enfin de montrer qu’elle est S −1 A-linéaire. a x y Pour tout , ∈ S −1 M , et tout ∈ S −1 A, on a t u s x a·y su·x + t·(a·y) x a y + · = + = , t s u t su tsu et donc x a y su·x + ta·y + · = · t s u tsu Ainsi, on a x a y su·x + ta·y fS + · = fS t s u tsu 1 = ·f (su·x + ta·y) tsu 1 su ta = · ·f (x) + ·f (y) tsu 1 1 1 su 1 ta = · ·f (x) + · ·f (y) tsu 1 tsu 1 1 a = ·f (x) + ·f (y) t su 1 a 1 = ·f (x) + · ·f (y) t s u x a y = fS + ·fS , t s u II.1. LOCALISATION DE MODULES et fS est donc S −1 A-linéaire. Ceci achève la démonstration. Nous continuons en décrivant les sous-modules de S que si N est un sous-module de M , l’application −1 41 M . Remarquons tout d’abord S −1 N −→ S −1 M x x 7−→ s s est bien définie, linéaire et injective (la vérification facile de ce fait est laissée au lecteur). Ainsi, S −1 N s’identifie canoniquement à un sous-module de S −1 M , et nous confondrons S −1 N avec son image par l’application ci-dessus. Nous allons maintenant démontrer que, réciproquement, tout sous-module de S −1 M est de la forme précédente. Lemme II.1.11. Soit S une partie multiplicative d’un anneau A, et soit M un Amodule. Alors, tout sous-module de S −1 M est de la forme S −1 N , où N est un sous-module de M . Plus précisément, si N 0 est un sous-module de S −1 M , alors 0 N 0 = S −1 ι−1 S,M (N ) . Démonstration. Soit N 0 un sous-module de S −1 M . Posons x −1 N = ιS,M (N 0 ) = x ∈ M ∈ N 0 . 1 L’application ιS,M étant A-linéaire, N est un sous-module de M par le lemme I.1.21 (2). Nous allons montrer l’égalité N 0 = S −1 N . x x Soit ∈ S −1 N . On a ∈ N 0 , par définition de N , et donc s 1 x 1 x = · ∈ N 0, s s 1 x 0 −1 puisque N est un sous-module de S M . Réciproquement, si ∈ N 0 , alors on a s s x x 0 = · ∈N , 1 1 s 0 −1 puisque N est un sous-module de S M . Mais alors, par définition, x ∈ N , et donc x ∈ S −1 N . s Dans le cas de la localisation d’un anneau, nous allons énoncer un résultat un peu plus précis. Un résultat plus précis existe également pour les sous-modules de S −1 M , mais nous n’en aurons pas besoin. Proposition II.1.12. Soit S une partie multiplicative d’un anneau A. Alors, les applications I 7−→ S −1 I −1 ιS,A (J) ←−[ J induisent une correspondance bijective strictement croissante entre les trois couples d’ensembles suivants : (1) l’ensemble des idéaux I de A ne rencontrant pas S vérifiant la propriété (Sat) Pour tout s ∈ S, et tout x ∈ A, sx ∈ I =⇒ x ∈ I et l’ensemble des idéaux propres de S −1 A ; 42 II. LOCALISATION (2) l’ensemble des idéaux premiers de A ne rencontrant pas S et l’ensemble des idéaux premiers de S −1 A ; (3) l’ensemble des idéaux de A maximaux parmi les idéaux de A ne rencontrant pas S et l’ensemble des idéaux maximaux de S −1 A. Démonstration. Commençons par établir quelques résultats préliminaires. (a) Remarquons tout d’abord que pour tout idéal I de A, on a S −1 I = S −1 A ⇐⇒ I ∩ S 6= ∅. s 1 ∈ S −1 I est inversible (d’inverse ), et donc S −1 I = 1 s S −1 A. Réciproquement, si S −1 I = S −1 A, alors 1 ∈ S −1 I. Il existe donc x ∈ I et x s ∈ S tel que = 1. Il existe alors t ∈ S tel que t(x − s) = 0. Ainsi, tx = ts ∈ S, s car S est multiplicative. D’autre part, puisque I est un idéal, on a aussi tx ∈ I, et donc I ∩ S 6= ∅. En effet, si s ∈ I ∩ S, alors (b) Nous établissons maintenant le point suivant. Soit I un idéal de A vérifiant la propriété (Sat) ; alors, on a x I = x ∈ A ∈ S −1 I . 1 L’inclusion ⊂ est claire par définition de S −1 I. Soit maintenant x ∈ A tel que x y x ∈ S −1 I. Alors, il existe y ∈ I et s ∈ S tel que = . Il existe donc t ∈ S tel que 1 1 s t(sx − y) = 0. Puisque I est un idéal, on obtient donc tsx = ty ∈ I. Puisque S est multiplicative, on a ts ∈ S, et donc par la propriété (Sat), on a x ∈ I. (c) Un idéal premier p ne rencontrant pas S, ou un idéal m de A maximal parmi les idéaux de A ne rencontrant pas S vérifie la propriété (Sat). En effet, soit p un idéal premier ne rencontrant pas S. Si s ∈ S et x ∈ A vérifie sx ∈ p, alors x ∈ p, puisque p est premier et ne rencontre pas S. Enfin, soit m un idéal maximal parmi les idéaux propres ne rencontrant pas S, et soit s ∈ S et x ∈ A tels que sx ∈ m. Supposons que x ∈ / m, et soit m0 = m + Ax. C’est un idéal de A contenant strictement m. Nous allons maintenant montrer que m0 ∩ S = ∅, ce qui contredira la maximalité de m pour cette propriété. Supposons qu’il existe y ∈ m et a ∈ A tel que y + ax ∈ S. Puisque S est multiplicative, s(y + ax) ∈ S. Mais, m étant un idéal, on obtient que s(y + ax) = sy + a(sx) ∈ m ∩ S. Ceci est impossible par choix de m. Ainsi, m0 ∩ S = ∅. Passons à présent à la démonstration proprement dite. (1) Si I est un idéal de A ne rencontrant pas S et vérifiant (Sat), alors S −1 I −1 est un idéal propre de S −1 A, d’après (a). De plus, par (b), on a ι−1 I) = I. S,A (S −1 Si maintenant J est un idéal propre de S A, alors le lemme II.1.11 montre que J = S −1 I, où I = ι−1 S,A (J). De plus, comme J est un idéal propre, I ne rencontre II.1. LOCALISATION DE MODULES 43 pas S. Il reste donc à montrer que I vérifie la propriété (Sat). Supposons donc qu’il sx existe s ∈ S et x ∈ A tel que sx ∈ I. Alors, ∈ J. Puisque J est un idéal, on a 1 sx x 1 sx = = ∈ J. s 1 s 1 Ainsi, x ∈ I, et donc I vérifie (Sat). Les deux applications de l’énoncé sont donc bien inverses l’une de l’autre. Le fait qu’elles soient strictement croissantes est évident. (2) Au vu de (1), il reste à montrer que si p un idéal premier ne rencontrant pas S, alors S −1 p est un idéal premier de S −1 A, et que si p0 est un idéal premier de S −1 A 0 (donc nécessairement propre), alors ι−1 S,A (p ) est un idéal premier de A. Soit p un idéal premier ne rencontrant pas S. On a S −1 p 6= S −1 A, d’après la x y x y remarque (a). Soient maintenant , ∈ S −1 A tels que · ∈ S −1 p. Il existe donc s t s t z ∈ p et u ∈ S tels que z xy = · st u Par conséquent, il existe v ∈ S tel que v(uxy − stz) = 0. Ainsi, vu(xy) = vstz ∈ p, puisque p est un idéal. Comme S est multiplicative, vu ∈ S, et comme p est un idéal premier ne rencontrant pas S, on en déduit que x ∈ S −1 p ou xy ∈ p. Enfin, puisque p est premier, alors x ∈ p ou y ∈ p. Ainsi, s y ∈ S −1 p, ce qui démontre que S −1 p est un idéal premier. t 0 Soit maintenant p0 un idéal premier de S −1 A, et soit p = ι−1 S,A (p ). Par (a), l’idéal p ne rencontre pas S, donc p 6= A. Soient x, y ∈ A tels que xy ∈ p. Alors, on a xy xy = ∈ p0 . 1 11 x y L’idéal p0 étant premier, on en déduit que ∈ p0 ou ∈ p0 . Ainsi, on obtient x ∈ p 1 1 ou y ∈ p, ce qu’il fallait vérifier. (3) Soit maintenant m un idéal maximal parmi les idéaux ne rencontrant pas S. Montrons que S −1 m est un idéal maximal de S −1 A. C’est un idéal propre de S −1 A, d’après (a). Soit J un idéal de S −1 A contenant S −1 m. Alors, on a J = S −1 I, pour un certain idéal I de A vérifiant (Sat) par le point (1). On a donc S −1 m ( S −1 I. Puisque m et I vérifient (Sat) et que la bijection établie en (1) est croissante, on obtient alors m ⊂ I. Comme I ne rencontre pas S, on obtient I = m par maximalité de l’idéal m, et donc J = S −1 m. Supposons maintenant que m0 soit un idéal maximal de S −1 A. Il faut vérifier que 0 m = ι−1 S,A (m ) est un idéal de A qui est maximal parmi les idéaux propres de A ne rencontrant pas S. Puisque m0 = S −1 m par (1) (car m0 6= S −1 A), l’idéal m ne rencontre pas S par (a). Soit maintenant un idéal I de A ne rencontrant pas S et contenant m. En particulier S −1 I est un idéal propre de S −1 A, car I ne rencontre −1 pas S. Soit alors I 0 = ι−1 I). Le point (1) montre que I 0 est un idéal de A S,A (S ne rencontrant pas S vérifiant (Sat). De plus, on voit facilement que I ⊂ I 0 . On a donc m ⊂ I ⊂ I 0 . On a alors m0 = S −1 m ⊂ S −1 I ⊂ S −1 I 0 . 44 II. LOCALISATION Comme S −1 I 0 6= S −1 A, on en déduit que m0 = S −1 m = S −1 I 0 par maximalité de m0 . Par (1), on obtient m = I 0 , et comme m ⊂ I ⊂ I 0 , on a finalement m = I. Ainsi, m est maximal parmi les idéaux propres de A ne contenant pas S. Ceci achève la démonstration. On peut en déduire le théorème suivant. Théorème II.1.13. Soit A un anneau commutatif. Alors, Nil(A) est l’intersection des idéaux premiers de A. En particulier, Nil(A) est un idéal. Démonstration. Soit x ∈ Nil(A), et soit p un idéal premier. Par définition, il existe n ≥ 1 tel que xn = 0. En particulier, xn ∈ p. Supposons que x ∈ / p. Alors, par récurrence, on en déduit que xm ∈ / p pour tout m ≥ 1. En particulier, 0 = xn ∈ / p, d’où une contradiction. Ainsi, x ∈ p. Autrement dit, Nil(A) est contenu dans l’intersection des idéaux premiers de A. Soit maintenant s ∈ A \ Nil(A). Nous allons montrer qu’il existe un idéal premier p ne contenant pas s, ce qui montrera l’inclusion manquante. Soit S = {sn | n ≥ 0}. Remarquons que S est stable par multiplication, et que 0 ∈ / S, puisque s n’est pas nilpotent. Considérons l’anneau S −1 A. Si cet anneau était trivial, S contiendrait 0, d’où une contradiction. Ainsi, S −1 A contient un idéal maximal, donc premier. Le théorème précédent montre alors qu’il existe un idéal premier p disjoint de S. Comme s ∈ S, on a en particulier s ∈ / p. Une intersection d’idéaux étant un idéal, ceci achève la démonstration. Remarque II.1.14. Le fait que Nil(A) soit un idéal peut se démontrer de manière directe. Ceci est laissé en exercice au lecteur. Supposons maintenant que A soit un anneau quelconque, et que S = A \ p, où p est un idéal premier. On note l’anneau obtenu par Ap . Si M est un A-module, on note le module localisé par Mp . Dans ce cas précis, le terme localisation prend tout son sens, grâce au lemme suivant. Lemme II.1.15. Soit p un idéal premier d’un anneau A. Alors, Ap est un anneau local, d’unique idéal maximal pp . De plus, le corps Ap /pp est isomorphe au corps des fractions de A/p. Démonstration. Remarquons tout d’abord qu’un idéal I qui est maximal parmi les idéaux de A ne rencontrant pas S = A \ p est un idéal qui est maximal pour la propriété I ⊂ p . Ainsi, si I est maximal pour la propriété précédente, c’est nécessairement p. Or, p est bien un tel idéal, car si p ⊂ I, où I ∩ S = ∅, on a p⊂I⊂p par le point précédent, et donc I = p. Le premier point démontre alors que p est le seul idéal I maximal pour la propriété précédente. Ainsi, le seul idéal maximal de Ap est pp , d’après la proposition II.1.12. Soit K le corps des fractions de A/p. Le lecteur vérifiera sans peine que l’application fp : Ap −→ K a a s 7−→ s II.1. LOCALISATION DE MODULES 45 est un morphisme d’anneaux bien défini (cela provient en fait d’une propriété générale du localisé d’un anneau). Par définition même de K, le morphisme fp est surjectif. De plus, on a a a 0 a = 0 ⇐⇒ fp = ⇐⇒ a = 0 ⇐⇒ a ∈ p ⇐⇒ ∈ pp . s s s 1 On a donc ker(fp ) = pp , et l’on conclut grâce au théorème de factorisation pour les morphismes d’anneaux. Remarque II.1.16. Lorsque m est un idéal maximal, A/m est un corps, et l’isoa morphisme Am /mm ' A/m envoie la classe de modulo mm sur a s−1 . s Le lemme précédent montre en particulier que la localisation permet donc de ne conserver qu’un seul idéal maximal. Nous allons maintenant démontrer que l’on peut généraliser à un nombre fini d’idéaux maximaux. pour cela, on a besoin d’un lemme classique d’algèbre commutative. Lemme II.1.17 (Lemme d’évitement). Soit r ≥ 1, soient p1 , . . . , pr des idéaux de A, et soit a un idéal de A. Finalement, soit x ∈ A. (1) On suppose que tous les idéaux p1 , . . . , pr sont premiers, sauf au plus deux r [ pi , alors il existe i ∈ J1, rK tel que a ⊂ pi . d’entre eux. Si a ⊂ i=1 (2) On suppose que tous les idéaux p1 , . . . , pr sont premiers. Si x + a ⊂ r [ pi , i=1 alors il existe i ∈ J1, rK tel que Ax + a ⊂ pi . Démonstration. Montrons (1) par l’absurde. On suppose qu’il existe des idéaux p1 , . . . , pr , tous premiers sauf éventuellement au plus deux d’entre eux, et a un idéal r [ pi , mais a 6⊂ pi pour tout i ∈ J1, rK . En particulier, r ≥ 2. de A vérifiant a ⊂ i=1 Quitte à renuméroter, on peut supposer que p3 , . . . , pr sont des idéaux premiers (cette condition étant vide si r = 2). Choisissons ce contre-exemple avec r minimal. Supposons qu’il existe i ∈ J1, rK r [ tel que a ⊂ pj . Par minimalité de r, il existe j 6= i tel que a ⊂ pj , d’où une j6=i contradiction avec le choix de a. Par suite, pour tout i ∈ J1, rK, il existe yi ∈ r r [ [ a\ pj . Comme a ⊂ pi , on a yi ∈ pi et yi ∈ / pj pour tout j 6= i. Posons j6=i i=1 y = y1 · · · yr−1 + yr ∈ a, et montrons que y ∈ / r [ pi , ce qui fournira la contradiction i=1 recherchée. Si y ∈ pj avec j ∈ J1, r − 1K, puisque yj ∈ pj , on en déduit que yr ∈ pj , d’où une contradiction avec le choix de yr . Si y ∈ pr , on a alors y1 · · · yr−1 ∈ pr . Si r ≥ 3, pr est premier, et il existe j ∈ J1, r − 1K, tel que yj ∈ pr , d’où une contradiction. Si r = 2, on obtient la contradiction y1 ∈ p2 . Ceci démontre (1). 46 II. LOCALISATION Montrons (2). On suppose qu’il existe des idéaux premiers p1 , . . . , pr , un élément r [ x ∈ A et a un idéal de A vérifiant x + a ⊂ pi , mais Ax + a 6⊂ pi pour tout i=1 i ∈ J1, rK . Choisissons ce contre-exemple avec r minimal. Alors, r > 1 et pour tous i, j ∈ J1, rK avec i 6= j, on a pi 6⊂ pj . En effet, si r = 1 et si x + a ⊂ p1 , alors x = x + 0 ∈ p1 . Mais alors, on en déduit que a ⊂ p1 , puis Ax + a ∈ p1 . Ainsi, r > 1. Si on avait pi ⊂ pj pour certains indices i, j distincts, r ne serait pas minimal, puisque l’on aurait un contre-exemple en considérant les idéaux p1 , . . . , pi−1 , pi+1 , . . . , pr . Montrons que x ∈ r \ i=1 pi . Supposons en effet qu’il existe i ∈ J1, rK tel que x ∈ / pi . Alors, l’ensemble x + pi a est disjoint de pi , et donc x + pi a ⊂ r [ pj . j6=i Par minimalité de r, il existe j 6= i tel que Ax + pi a ⊂ pj . En particulier, x ∈ pj , ainsi que pi a ⊂ pj . Comme pi 6⊂ pj , il existe un élément zi ∈ pi tel que zi ∈ / pj . L’inclusion zi a ⊂ pj , et le fait que pj soit premier montrent alors que a ⊂ pj . Finalement, Ax + a ⊂ pj , d’où une contradiction. Puisque x ∈ r \ pi , on a donc a ⊂ i=1 pk . Mais r [ i=1 pi . Par le premier point, il existe k ∈ J1, rK tel que a ⊂ comme x ∈ pk , on obtient la contradiction Ax + a ∈ pk . Ceci achève la démonstration. Corollaire II.1.18. Soit A un anneau, soient p1 , . . . , pr des idéaux premiers tels r [ que pi 6⊂ pj pour tous i 6= j, et soit S = A \ pi . Alors, les idéaux maximaux de S −1 A sont exactement les idéaux i=1 S −1 p1 , . . . , S −1 pr . Démonstration. Soit a un idéal de A ne rencontrant pas S. On a donc a ⊂ r [ pi , et i=1 par le lemme d’évitement, il existe i ∈ J1, rK tel que a ⊂ pi . En particulier, comme chaque pi ne rencontre pas S, si I est maximal parmi les idéaux ne rencontrant pas S, alors I est un des idéaux p1 , . . . , pr . Montrons maintenant que chaque pj est maximal parmi les idéaux de A ne rencontrant pas S. Si a0 est un idéal ne rencontrant pas S tel que pj ⊂ a0 , ce qui précède montre qu’il existe i ∈ J1, rK tel que a0 ⊂ pi . On a alors pj ⊂ a0 ⊂ pi , et par hypothèse , on en déduit i = j et a0 = pj . On en déduit le résultat par la proposition II.1.12. II.2. LOCALISATION ET SUITES EXACTES 47 L’intérêt majeur de la localisation est de permettre de réduire l’étude d’une propriété d’un A-module au cas des modules sur les anneaux locaux, ce qui est souvent plus simple, et d’en déduire une information globale. Par exemple, on a le résultat suivant. Lemme II.1.19. [Lemme de délocalisation] Soit A un anneau, et soit M un Amodule. Les conditions suivantes sont équivalentes : (1) M = 0 ; (2) pour tout idéal premier p, Mp = 0 ; (3) pour tout idéal maximal m, Mm = 0 . Démonstration. Seule l’implication (3) =⇒ (1) est non triviale. Supposons que Mm = 0 pour tout idéal maximal m, mais que M 6= 0. Soit x ∈ M un élément non nul de M . Alors, I = {a ∈ A | a·x = 0} est un idéal propre de A, puisqu’il ne contient pas 1 (car x 6= 0). Il existe alors un idéal maximal m contenant I. Par hypothèse, on a x = 0 ∈ Mm , 1 et donc il existe s ∈ A \ m tel que s·x = 0. Mais alors, s ∈ I ⊂ m, ce qui contredit le choix de s. Nous verrons d’autres exemples de ce principe un peu plus loin. II.2. Localisation et suites exactes Dans ce paragraphe, nous étudions les propriétés de la localisation relatives aux suites exactes. On commence par un lemme. Lemme II.2.1. Soit S une partie multiplicative d’un anneau A, et soit f : M −→ M 0 une application linéaire entre deux A-modules M et M 0 . Alors, il existe une unique application S −1 A-linéaire S −1 (f ) : S −1 M −→ S −1 M 0 vérifiant S −1 (f ) x f (x) = pour tout x ∈ M. 1 1 Elle est définie par x f (x) = pour tout x ∈ M, et tout s ∈ S. s s De plus, elle vérifie les propriétés suivantes : (1) on a ker S −1 (f ) = S −1 ker(f ) et im S −1 (f ) = S −1 im(f ) ; S −1 (f ) (2) on a S −1 (IdM ) = IdS −1 M ; (3) si g : M 0 −→ M 00 est une autre application linéaire, on a S −1 (g ◦ f ) = S −1 (g) ◦ S −1 (f ). En particulier, si f est un isomorphisme de A-modules, alors S −1 (f ) est un isomorphisme de S −1 A-modules. 48 II. LOCALISATION Enfin, si la suite de A-modules M1 / M2 f g / M3 est exacte, alors la suite de S −1 A-modules S −1 M1 S −1 (f ) / S −1 M2 S −1 (g) / S −1 M3 est exacte. Démonstration. L’existence et l’unicité de S −1 (f ), ainsi que la formule explicite de S −1 (f ) découlent de la proposition II.1.10, appliquée à ιS,M 0 ◦ f : M −→ S −1 M 0 . L’égalité im S −1 (f ) = S −1 im(f ) provient alors de la définition même de S −1 (f ). x Soit ∈ S −1 ker(f ). On a s x f (x) 0 S −1 (f ) = = = 0, s s s et donc S −1 ker(f ) ⊂ ker S −1 (f ) . x f (x) Soit maintenant ∈ ker S −1 (f ) . On a donc = 0. Par définition du localisé, s s il existe t ∈ S tel que t·f (x) = 0. Puisque f est linéaire, on a alors f (t·x) = 0, et donc t·x ∈ ker(f ). Ainsi, nous avons t·x x = ∈ S −1 ker(f ). s ts Les égalités S −1 (IdM ) = IdS −1 M et S −1 (g ◦ f ) = S −1 g ◦ S −1 (f ) découlent des définitions. Il est alors clair que si f est un isomorphisme, alors S −1 (f ) est un isomorphisme, d’inverse S −1 (f −1 ). Supposons enfin que la suite de A-modules M1 / M2 f g / M3 soit exacte. Alors, on a im(f ) = ker(g), et donc im S −1 (f ) = S −1 im(f ) = S −1 ker(g) = ker S −1 (g) , et la suite de S −1 A-modules S −1 M1 S −1 f / S −1 M2 S −1 g / S −1 M3 est donc exacte. Corollaire II.2.2. Soit A un anneau, et soit S une partie multiplicative. Si la suite de A-modules 0 / M1 / M2 f g / M3 /0 est exacte, alors la suite de S −1 A-modules 0 / S −1 M1 S −1 (f ) / S −1 M2 S −1 (g) / S −1 M3 /0 II.2. LOCALISATION ET SUITES EXACTES 49 est exacte. En particulier, si M est un A-module, et si N est un sous-module de M , alors on a un isomorphisme canonique de S −1 A-modules S −1 M/S −1 N ' S −1 M/N. Démonstration. La première partie découle du dernier point de lemme précédent. Ce même lemme appliqué à la suite exacte /N 0 /M / M/N /0 nous donne une suite exacte 0 / S −1 N / S −1 M / S −1 M/N / 0. On a alors un isomorphisme de A-modules S −1 M/S −1 N ' S −1 M/N, d’où le résultat. Donnons une autre application de la localisation. Si p est un idéal premier et f : M −→ N est une application linéaire, on note fp : Mp −→ Np l’application Ap -linéaire correspondante. Proposition II.2.3. Soient A un anneau et f : M1 −→ M2 , g : M2 −→ M3 deux applications linéaires. Alors, les conditions suivantes sont équivalentes : (1) la suite de A-modules f M1 / M2 / M3 g est exacte ; (2) la suite de Ap -modules (M1 )p fp / (M2 )p gp / (M3 )p gm / (M3 )m est exacte pour tout idéal premier p ; (3) la suite de Am -modules (M1 )m fm / (M2 )m est exacte pour tout idéal maximal m. En particulier, pour toute application linéaire f : M −→ N , les conditions suivantes sont équivalentes : (a) l’application f est injective (resp. surjective, bijective) ; (b) l’application fp est injective (resp. surjective, bijective) pour tout idéal premier p ; (c) l’application fm est injective (resp. surjective, bijective) pour tout idéal maximal m. 50 II. LOCALISATION Démonstration. L’implication (1) =⇒ (2) est un cas particulier du dernier point du lemme II.2.1, et l’implication (2) =⇒ (3) est triviale. Supposons maintenant que la condition (3) soit vérifiée. Montrons tout d’abord que im(f ) ⊂ ker(g). Soit m un idéal maximal. Par les points (1) et (3) du lemme II.2.1 (3), on a im(g ◦ f ) m = im (g ◦ f )m = im(gm ◦ fm ), et comme, par hypothèse, on a ker(gm ) = im(fm ) par hypothèse, on obtient im(g ◦ f ) m = 0. Ceci étant vrai pour tout idéal maximal m, on en déduit que im(g ◦ f ) = 0 par le lemme de délocalisation, c’est-à-dire im(f ) ⊂ ker(g). On peut donc former le module quotient ker(g)/im(f ). Soit m un idéal maximal. D’après le corollaire II.2.2 et le lemme II.2.1 (1), on a ker(g)/im(f ) m ' ker(g)m /im(f )m ' ker(gm )/im(fm ). L’hypothèse entraı̂ne alors ker(g)/im(f ) m = 0. Par le lemme de délocalisation, on obtient ker(g)/im(f ) = 0, soit ker(g) = im(f ). Le dernier point découle alors de l’équivalence des propriétés (1), (2) et (3), et du fait que surjectivité et injectivité se traduisent en termes de suites exactes (cf. exemples I.3.3, (1) et (2)). Corollaire II.2.4. Soient f : M1 −→ M2 , g : M2 −→ M3 deux applications linéaires. Les conditions suivantes sont équivalentes : (1) la suite 0 / M1 f / M2 / M3 g /0 est exacte ; (2) la suite 0 / (M1 )p fp / (M2 )p gp / (M3 )p gm / (M3 )m /0 est exacte pour tout idéal premier p ; (3) la suite 0 / (M1 )m fm / (M2 )m /0 est exacte pour tout idéal maximal m. II.3. L’application canonique Nous allons maintenant définir une application S −1 A-linéaire canonique S −1 HomA (M, N ) −→ HomS −1 A (S −1 M, S −1 N ). Lemme II.3.1. Soit A un anneau et soit S une partie multiplicative. Pour tous A-modules M, N , il existe une unique application S −1 A-linéaire Θ : S −1 HomA (M, N ) −→ HomS −1 A (S −1 M, S −1 N ), vérifiant Θ f = S −1 (f ) 1 pour tout f ∈ HomA (M, N ). II.3. L’APPLICATION CANONIQUE 51 Pour tout f ∈ HomA (M, N ), tout x ∈ M et tous s, t ∈ S, on a f x f (x) Θ = · s t st Démonstration. On vérifie que l’application Ψ : HomA (M, N ) −→ HomS −1 A S −1 M, S −1 N f 7−→ S −1 (f ) est A-linéaire. On applique alors la proposition II.1.10, et l’on pose Θ = ΨS . Le dernier point provient juste de la définition de ΨS . Attention ! Cette application n’a aucune raison d’être injective ou surjective (cf. exercice 25). Nous allons maintenant établir des conditions suffisantes pour que l’application canonique Θ : S −1 HomA (M, N ) −→ HomS −1 A S −1 M, S −1 N soit injective ou surjective. Avant d’énoncer le résultat, nous avons besoin d’une définition. Définition II.3.2. Un A-module M est dit de présentation finie si M ' L/R, où L est un A-module libre de rang fini et R est un sous-module de L de type fini. Remarque II.3.3. Un A-module de présentation finie est de type fini. Exemple II.3.4. Si A est un anneau noethérien, alors tout A-module de type fini est de présentation finie. En effet, un A-module de type fini est isomorphe à An /N pour un certain n ≥ 1 par le lemme I.4.1. Comme A est noethérien et An de type fini, le A-module N est aussi de type fini par la proposition I.4.9. Nous pouvons maintenant énoncer le résultat suivant. Proposition II.3.5. Soit S une partie multiplicative d’un anneau A, et soient M et N des A-modules. Enfin, soit Θ : S −1 HomA (M, N ) −→ HomS −1 A S −1 M, S −1 N l’application canonique. On a alors les propriétés suivantes : (1) si M est de type fini, alors Θ est injective ; (2) si M est de présentation finie, alors Θ est bijective. Démonstration. Supposons que M soit de type fini. f Soit ∈ S −1 HomA (M, N ) tel que Θ fs = 0. Si (x1 , . . . , xn ) est une famille s génératrice de M , on a alors f xi f xi Θ = = 0 pour tout i = 1, . . . , n. s 1 s 52 II. LOCALISATION Il existe donc ti ∈ S tel que ti ·f xi = 0 pour tout i = 1, . . . , n. Posons alors t = t1 · · · tn . Puisque S est multiplicative, on a t ∈ S. De plus, les relations précédentes montrent que l’on a t·f xi = 0 pour tout i = 1, . . . , n. Puisque x1 , . . . , xn engendrent M et que f est linéaire, on en déduit que t·f = 0. Ainsi, on a t·f 0 f = = = 0. s st s L’application Θ est donc injective. Supposons maintenant que M ' L/R, où L est libre de rang n et R est un sousmodule de type fini de L. Si x ∈ L, on notera x son image dans L/R par la projection canonique. D’après le point précédent, il reste à démontrer que Θ est surjective. Nous allons tout d’abord vérifier que l’on peut supposer que M = L/R sans perte ∼ de généralité. Soit u : M −→ L/R un isomorphisme de A-modules. La composition à droite par u induit un isomorphisme de A-modules HomA (L/R, N ) ' HomA (M, N ). Par le lemme II.2.1, on obtient un isomorphisme de S −1 A-modules S −1 HomA (L/R, N ) ' S −1 HomA (M, N ). Par ce même lemme, u induit un isomorphisme de S −1 A-modules ∼ S −1 (u) : S −1 M −→ S −1 L/R, et la composition à droite par S −1 (u) fournit alors un isomorphisme de S −1 Amodules HomS −1 A (S −1 L/R, S −1 N ) ' HomS −1 A (S −1 M, S −1 N ). Le lecteur vérifiera sans peine que l’on a un diagramme commutatif S −1 HomA (L/R, N ) / HomS −1 A (S −1 L/R, S −1 N ) S −1 HomA (M, N ) / HomS −1 A (S −1 M, S −1 N ), où les deux flèches horizontales sont les applications canoniques correspondantes, et les flèches verticales sont les deux isomorphismes précédents. On en déduit aisément qu’il suffit d’établir la surjectivité de l’application canonique lorsque M = L/R. On supposera dorénavant, et jusqu’à la fin de la démonstration, que M = L/R. Soit g ∈ HomS −1 A S −1 M, S −1 N , et soit (e1 , . . . , en ) une base de L. Écrivons ei yi = pour tout i = 1, . . . , n. 1 si Posons alors s = s1 · · · sn et zi = s1 · · · si−1 si+1 · · · sn ·yi . On a alors g g ei zi = pour tout i = 1, . . . , n. 1 s II.3. L’APPLICATION CANONIQUE Si maintenant x = n X 53 ai ·ei ∈ L, on a i=1 n X n n n x X ai ei X ai ei X ai ·zi g = · = ·g = = g 1 1 1 1 1 s i=1 i=1 i=1 ai ·zi i=1 s · Soit h : L −→ N l’unique application linéaire telle que h(ei ) = zi pour tout i = 1, . . . , n. On a alors x h x = pour tout x ∈ L. 1 s Soit (r1 , . . . , rm ) une famille génératrice de R. Puisque rj = 0, on a donc h rj = 0 pour tout j = 1, . . . , m. s Il existe donc uj ∈ S tel que uj ·h rj = 0 pour tout j = 1, . . . , m. Si l’on pose u = u1 · · · um , on a donc u·h rj = u1 · · · uj−1 uj+1 · · · um · uj ·h(rj ) = 0 pour tout j = 1, . . . , m, et par suite u·h r = 0 pour tout r ∈ R. L’application u·h se factorise donc en une application linéaire f : M −→ N vérifiant f x = u·h x pour tout x ∈ L. g Mais alors, pour tout x ∈ M , on a u·h x h x f x f x x Θ = = = =g · su 1 su su s 1 On a alors enfin f x 1 x f x 1 x = ·Θ = ·g =g su t t su 1 t 1 t x f pour tout ∈ S −1 M . Ainsi, Θ = g, et Θ est donc surjective. t su Nous allons maintenant nous intéresser aux isomorphismes entre deux localisés. Θ Notation. Si M est un A-module, et s ∈ A, on note Ms le localisé de M par rapport à la partie multiplicative {sm | m ≥ 0}. Si f : M −→ N est A-linéaire, on note fS : Ms −→ Ms l’application As -linéaire correspondante. Si deux A-modules M, N vérifient S −1 M ' S −1 N , il n’y a aucune raison de croire que M ' N , même si M et N sont de présentation finie (penser à A = Z, M = Z, N = Z × Z/2Z et S = Z \ {0}). En revanche, le résultat suivant montre que M et N deviennent isomorphes après inversion d’un seul élément de A, sous des hypothèses raisonnables. 54 II. LOCALISATION Corollaire II.3.6. Soit S une partie multiplicative d’un anneau A, et soient M et N des A-modules. On suppose que M et N sont de présentation finie et que S −1 M ' S −1 N . Alors, il existe s ∈ S et des applications A-linéaires α : M −→ N et β : N −→ M tels que β ◦ α = s·IdM et α ◦ β = s·IdN . En particulier : (1) Ms ' Ns ; (2) s·M ⊂ β(N ) ⊂ M. ∼ Démonstration. Soit ϕ : S −1 M −→ S −1 N un isomorphisme de S −1 A-modules. D’après la proposition II.3.5, puisque M et N sont de présentation finie, les applications canoniques Θ : S −1 HomA (M, N ) −→ HomS −1 A S −1 M, S −1 N et Θ0 : S −1 HomA (N, M ) −→ HomS −1 A S −1 N, S −1 M sont des isomorphismes. Il existe donc deux applications linéaires f : M −→ N et g : N −→ M , et deux éléments s1 , s2 ∈ S tels que x f (x) x ϕ( ) = pour tout ∈ S −1 M, s ss1 s et g(x) y y ϕ−1 ( ) = pour tout ∈ S −1 N. s ss2 s On en déduit alors (g ◦ f )(x) x x pour tout ∈ S −1 M, = ss1 s2 s s soit encore g◦f IdM ) = Θ( ). s1 s2 1 IdM g◦f Par injectivité de Θ, on obtient = . Il existe donc s3 ∈ S tel que s1 s2 1 Θ( s3 ·(g ◦ f − s1 s2 IdM ) = 0. De même, il existe s4 ∈ S tel que s4 ·(f ◦ g − s1 s2 IdM ) = 0. Posons s = s1 s2 s3 s4 , α = s3 s4 ·f et β = g. En tenant compte du fait que f et g sont A-linéaires, et en multipliant les deux égalités précédentes par s4 et s3 respectivement, on obtient β ◦ α = s·IdM et α ◦ β = s·IdN . On a alors s·M = β(α(M )) ⊂ β(N ) ⊂ M. II.4. CONSERVATION DE CERTAINES PROPRIÉTÉS PAR LOCALISATION De plus, pour tout 55 x ∈ Ms , on a t 1 x βs ( ·αs ( )) s t 1 α(x) = βs ( · ) s t 1 β(α(x)) = · s t 1 s·x = · s t s·x = st x = . t 1 1 Ainsi, βs ◦ ( ·αs ) = IdMs , et de même ( ·αs ) ◦ βs = IdNs . Ainsi, Ms ' Ns . Ceci s s achève la démonstration. II.4. Conservation de certaines propriétés par localisation Nous allons maintenant montrer que certaines propriétés des modules sont conservées par passage à la localisation. On suppose dans tout la suite que S est une partie multiplicative de A ne contenant pas 0, de sorte que S −1 A n’est pas l’anneau trivial. Lemme II.4.1. Soit (ei )i∈I une famille d’éléments d’un A-module M . ei engendre S −1 M . (1) Si (ei )i∈I engendre M , alors la famille 1 i∈I (2) Si (ei )i∈I est libre, alors la famille ei est S −1 A-libre. 1 i∈I Démonstration. Gardons les notations de l’énoncé. x (1) Supposons que (ei )i∈I engendre M , et soit ∈ S −1 M . Par hypothèse, il existe s X des éléments ai ∈ A, i ∈ I presque tous nuls tels que x = ai ·ei . Par définition i∈I de la structure de S −1 A-module sur S −1 M , on a alors x X a i ei = · . s s 1 i∈I ei x est une combinaison linéaire des , i ∈ I, ce qu’il fallait vérifier. s 1 (2) Supposons que (ei )i∈I soit libre. Soit J ⊂ I un sous-ensemble fini de I, et aj supposons qu’il existe des éléments ∈ S −1 A, j ∈ J tels que sj Ainsi, X aj ej · = 0. sj 1 j∈J 56 II. LOCALISATION Soit s = Y sj . On peut donc écrire aj sj = bj s pour tout j ∈ J. L’équation précédente j∈J X s’écrit alors bj ·ej j∈J s = 0. Il existe donc t ∈ S tel que X X t· bj ·ej = tbj ·ej = 0. j∈J j∈J Par hypothèse, on en déduit que tbj = 0 pour tout j ∈ J. Ainsi, on obtient bj tbj 0 aj = = = = 0 pour tout j ∈ J. sj s ts ts Ceci achève la démonstration. Nous sommes prêts à démontrer la proposition suivante. Proposition II.4.2. Soit M un A-module. Supposons que M possède une des propriétés suivantes : (1) le module M est de type fini ; (2) le module M est noethérien ; (3) le module M est libre ; (4) le module M est libre de rang fini n ; (5) le module M est projectif. Alors, il en est de même du S −1 A-module S −1 M . Démonstration. La conservation des propriétés (1), (3) et (4) par localisation est claire, d’après le lemme précédent. Supposons maintenant que M soit noethérien. Soit N 0 un sous-module de S −1 M . Par le lemme II.1.11, il existe un sous-module N de M tel que N 0 = S −1 N . Puisque M est noethérien, le sous-module N est de type fini, et S −1 N est alors de type fini, par ce qui précède. Ainsi, S −1 M est noethérien. Enfin, supposons que M soit projectif. Nous allons utiliser la caractérisation (4) du théorème I.6.6 pour montrer que S −1 M est aussi projectif. Soient u : N −→ N 0 et f : S −1 M −→ N 0 deux applications S −1 A-linéaires, où u est surjective. Alors, u : N −→ N 0 est aussi A-linéaire surjective, et l’application f ◦ ιS,M : M −→ N 0 est A-linéaire. D’après la caractérisation (4) du théorème I.6.6, il existe une application A-linéaire g : M −→ N tel que f ◦ ιS,M = u ◦ g. Comme N est un S −1 A-module, il existe une application S −1 A-linéaire gS : S −1 M −→ N telle que g = gS ◦ ιS,M , par la propriété universelle du localisé (cf. proposition II.1.10). Ainsi, on obtient f ◦ ιS,M = u ◦ (gS ◦ ιS,M ) = (u ◦ gS ) ◦ ιS,M . Par la partie unicité de la propriété universelle du localisé, on en déduit que f = u ◦ gS . Pour conclure, on applique le théorème I.6.6 (4) avec f 0 = gS . II.5. MODULES PROJECTIFS ET LOCALISATION 57 II.5. Modules projectifs et localisation Comme application du lemme de Nakayama, nous allons décrire les modules projectifs de type fini sur un anneau local. Nous en déduirons alors une caractérisation des modules projectifs de type fini sur un anneau A commutatif. Commençons par une remarque préliminaire. Soit A un anneau local d’idéal maximal m, soit k = A/m. Si a ∈ A, on note ã ∈ k sa classe modulo m. Si maintenant M est un A-module et x ∈ M , on note x ∈ M/m·M sa classe modulo m.M . Remarquons que pour tout a ∈ m, et tout x ∈ M , on a a·x = 0 ∈ M/m·M. On en déduit facilement que l’application k × M/m·M −→ M/m·M (ã, x) 7−→ a·x est bien définie, et induit sur le groupe abélien M/m·M une structure de k-espace vectoriel. On a alors le théorème suivant. Théorème II.5.1. Soit A un anneau local, d’unique idéal maximal m, et soit k le corps A/m. Alors, tout A-module projectif P de type fini est libre. Plus précisément, une base de P est donnée par n’importe quelle famille (e1 , . . . , en ) d’éléments de P telle que (e1 , . . . , en ) soit une base du k-espace vectoriel P/m·P . Démonstration. Soit P un A-module projectif de type fini. Puisque P est de type fini, le k-espace vectoriel P/m·P de type fini, et il existe alors une base (e1 , . . . , en ). Montrons maintenant que (e1 , . . . , en ) est une base de P . Si x ∈ P , alors il existe ã1 , . . . , ãn ∈ k = A/m tels que x= n X ãi ·ei = i=1 n X ai ·ei , i=1 puisque (e1 , . . . , en ) est génératrice. Il existe donc y ∈ m·P tel que x=y+ n X ai ·ei . i=1 Ainsi, on a l’égalité P = m·P + (A·e1 + · · · + A·en ). Puisque P est de type fini, tout quotient de P est aussi de type fini, et d’après la version locale du lemme de Nakayama, on obtient P = A·e1 + · · · + A·en . Ainsi, la famille (e1 , . . . , en ) engendre P . Soit u : An −→ P l’application linéaire surjective u: An −→ P n X (a1 , . . . , an ) 7−→ ai ·ei . i=1 La caractérisation (6) du théorème I.6.6 implique l’existence d’un sous-module P 0 de An isomorphe à P tel que An = P 0 ⊕ ker(u). 58 II. LOCALISATION Posons Q = ker(u). On va démontrer que Q = 0 à l’aide du lemme de Nakayama. Remarquons que Q est de type fini, puisqu’il est isomorphe au A-module An /P 0 . Remarquons aussi que l’on a m·An = m·P 0 ⊕ m·Q. Considérons les applications linéaires surjectives f: An −→ k n (a1 , . . . , an ) 7−→ (a1 , . . . , an ) et g: An −→ P 0 /m·P 0 × Q/m·Q x + y 7−→ (x0 , y). 0 Montrons que ker(f ) = m·An . Soit (ε1 , . . . , εn ) la base canonique de An . On a An = A·ε1 + · · · + A·εn , et donc m·An = m·ε1 + · · · + m·εn = {(a1 , . . . , an ) | ai ∈ m}. L’égalité désirée en découle immédiatement. Le théorème de factorisation nous donne alors un isomorphisme de A-modules An /m·An ' k n . D’autre part, il est clair que ker(g) = m·P 0 ⊕ mQ = m·An . On a donc aussi un isomorphisme de A-modules An /m·An ' P 0 /m·P 0 × Q/m·Q. On voit aisément que ce sont également des isomorphismes de k-espaces vectoriels. Ainsi, les k-espaces vectoriels k n et P 0 /m·P 0 × Q/m·Q sont isomorphes. On a donc n = dimk (P 0 /m·P 0 × Q/m·Q) = dimk (P 0 /m·P 0 ) + dimk (Q/m·Q). Mais, P et P 0 étant isomorphes, on a P 0 /m·P 0 ' P/m·P. On obtient alors n = dimk (P/m·P ) + dimk (Q/m·Q), et donc dimk (Q/m·Q) = 0, puisque P/m·P est de dimension égale à n. On a donc Q/m·Q = 0, c’est-à-dire Q = m·Q. Puisque Q est de type fini, la version locale du lemme de Nakayama entraı̂ne Q = ker(u) = 0. Ainsi, u est aussi injective et est donc un isomorphisme. Ceci revient à dire que (e1 , . . . , en ) est une base de P . Nous allons maintenant caractériser les A-modules projectifs de type fini lorsque A est commutatif. Théorème II.5.2. Soit A un anneau commutatif, et soit P un A-module. Les conditions suivantes sont équivalentes : (1) le module P est un A-module projectif de type fini ; (2) le module P est un A-module de présentation finie, et le Ap -module Pp est libre pour tout idéal premier p de A ; (3) le module P est un A-module de présentation finie, et le Am -module Pm est libre pour tout idéal maximal m de A. II.5. MODULES PROJECTIFS ET LOCALISATION 59 Démonstration. (1) =⇒ (2). Supposons que P soit projectif de type fini. D’après le corollaire I.6.8, il existe un A-module libre L de rang fini et deux sous-modules P 0 et Q de L tels que L = P 0 ⊕ Q, où P 0 ' P. On a alors Q ' L/P 0 . Mais, L étant de type fini, Q est aussi de type fini. Puisque l’on a d’autre part P ' P 0 ' L/Q, et que L est libre de rang fini, on en déduit que P est de présentation finie. Soit maintenant p un idéal premier de A. Puisque P est de type fini, Pp est un Ap module projectif de type fini d’après les points (1) et (5) de la proposition II.4.2, et est donc libre d’après le théorème précédent. (2) =⇒ (3). Évident. (3) =⇒ (1). Puisque P est de présentation finie, il est aussi de type fini. Pour montrer que P est projectif, nous allons utiliser la caractérisation (4) du théorème I.6.6. Soit u : M −→ N une application linéaire surjective. Nous allons montrer que l’application u∗ : HomA (P, M ) −→ HomA (P, N ) est surjective. Pour tout idéal maximal m, on note um : Mm −→ Nm l’application Am -linéaire déduite de u par localisation. D’après le dernier point de la proposition II.2.3, cette application est surjective. Puisque Pm est libre par hypothèse, donc projectif, l’application (um )∗ : HomAm (Pm , Mm ) −→ HomAm (Pm , Nm ) est surjective. Comme P est de présentation finie, les applications canoniques Θ : HomA (P, M )m −→ HomAm (Pm , Mm ) et Θ0 : HomA (P, N )m −→ HomAm (Pm , Nm ) sont des isomorphismes de Am -modules, d’après la proposition II.3.5. D’autre part, le diagramme HomA (P, M )m Θ HomAm (Pm , Mm ) m / Hom(P, N )m Θ0 (um )∗ / HomA (Pm , Nm ) m f ∈ HomA (P, M )m , on a s f u∗ f u◦f = = · s s s est commutatif. En effet, pour tout u∗ (u∗ )m 60 II. LOCALISATION Ainsi, pour tout x ∈ Pm , on a t f x x u f (x) 0 0 u◦f Θ u∗ m =Θ = · s t s t st De plus, on a f x f x Θ = , s t st et donc f x f x = um Θ s t s t f (x) = um st u f (x) · = st On obtient donc la commutativité annoncée. Les applications Θ et Θ0 étant bijectives, la surjectivité de (um )∗ entraı̂ne celle de (u∗ )m . Ainsi, (u∗ )m est surjective pour tout idéal maximal m, et u∗ est donc surjective d’après le dernier point de la proposition II.2.3. um ∗ ◦Θ On peut maintenant introduire la notion de rang d’un module projectif de type fini. Définition II.5.3. Soit A un anneau commutatif, et soit P un A-module projectif de type fini. Pour tout p premier, le p-rang de P est le rang du Ap -module Pp . On le note rgp (P ). On dit que P est de rang constant r ≥ 0 si on a rgp (P ) = r pour tout idéal premier p, i.e. si le Ap -module libre Pp est de rang r pour tout p. Dans ce cas, l’entier est appelé le rang de P , et noté rgA (P ). Remarques II.5.4. (1) La localisation commutant au produit direct, pour tous modules projectifs de type fini P et Q, on a rgp (P × Q) = rgp (P ) + rgp (Q) pour tout p. En particulier, si P et Q sont de rang constant, alors P × Q aussi et , on a rgA (P × Q) = rgA (P ) + rgA (Q). (2) Lorsque P est un A-module libre de type fini, alors il est de rang constant, et son rang au sens précédent coı̈ncide bien entendu avec son rang en tant que module libre. En effet, si P ' An , n ≥ 0, pour tout p premier, on a Pp ' (An )p ' Anp , et donc rgp (P ) = n. (3) Supposons A intègre. Alors, tout A-module projectif de type fini est de rang constant. En effet, soit KA le corps des fractions de A, et soit KA P = P(0) . Alors, pour tout p, on a rgp (P ) = dimKA (KA P ). Ceci est laissé en exercice au lecteur. II.5. MODULES PROJECTIFS ET LOCALISATION 61 Pour finir ce paragraphe, nous donnons sans démonstration un exemple de module non projectif de type fini sur un anneau intègre. Exemple II.5.5. Soit A = Z[X], soit p un nombre premier, et soit f ∈ A un polynôme unitaire dont la réduction f modulo p est irréductible dans Fp [X]. Alors, on peut montrer que l’idéal m = (p, f ) est un A-module de présentation finie (donc de type fini) qui n’est pas projectif (cf. exercice 29). Chapitre III Produit tensoriel de modules Le chapitre qui suit peut paraı̂tre un peu difficile à digérer en première lecture, car il est rempli de constructions plutôt abstraites à coup de quotients et de démonstrations utilisant sans cesse des propriétés universelles. Il est aussi un peu difficile à motiver, car il est plus facile de se convaincre soi-même de l’indispensabilité du produit tensoriel en l’utilisant. Disons que s’il n’y a qu’une propriété du produit tensoriel à retenir, c’est bien sa propriété universelle (cf. lemme III.1.6), et certainement pas sa construction. L’avantage du produit tensoriel est qu’il permet de remplacer des applications n-linéaires, qui sont des objets compliqués, par des applications linéaires, qui sont des objets beaucoup plus simples à manier. Un autre usage fondamental du produit tensoriel est donné par la notion d’extension des scalaires à un anneau B (cf. paragraphe III.4). Elle généralise en un sens le complexifié d’un espace vectoriel réel. Elle permet d’étendre canoniquement les A-modules et les applications A-linéaires en B-modules et en applications B-linéaires. Cette notion d’extension des scalaires est très importante en mathématiques. Bien souvent, lorsque l’on veut étudier une structure algébrique définie sur un corps k (par exemple, une forme bilinéaire, une variété affine, un endomorphisme d’un k-espace vectoriel de dimension finie), on commence par étendre les scalaires à une clôture algébrique, car les structures algébriques définies sur un corps algébriquement clos sont souvent beaucoup plus simples à étudier. Enfin, il permet de construire de nouvelles algèbres à peu de frais, et permet de définir une algèbre associative unitaire universelle. Mentionnons également l’utilité du produit tensoriel en physique (et particulièrement en mécanique du solide). III.1. Définition et premiers exemples Nous allons maintenant introduire la notion de produit tensoriel de modules. Bien que l’on puisse définir cette notion pour les modules sur un anneau non commutatif, nous allons nous restreindre ici au cas commutatif, les propriétés du produit tensoriel devenant plus naturelles. Le cas d’un anneau non commutatif sera abordé dans les exercices. Nous supposerons dorénavant que A est un anneau commutatif, et commençons par définir la notion d’application n-linéaire. Définition III.1.1. Soient M1 , . . . , Mn et N des A-modules. Une application f : M1 × · · · × Mn −→ N est dite n-linéaire si elle est linéaire par rapport à chacun de ses arguments. 63 64 III. PRODUIT TENSORIEL DE MODULES L’ensemble des applications n-linéaires f : M1 × · · · × Mn −→ N possède une structure naturelle de A-module. On le note Multn (M1 , . . . , Mn ; N ). Définition III.1.2. Un produit tensoriel des A-modules M1 , . . . , Mn est un couple (T, τ ), où T est un A-module et τ : M1 × · · · × Mn −→ T est une application n-linéaire satisfaisant la propriété universelle suivante : pour tout A-module N et tout ϕ ∈ Multn (M1 , . . . , Mn ; N ), il existe une unique application linéaire f : T −→ N telle que le diagramme ϕ M 1 × · · · × Mn τ T 8/ N ∃! f commute, c’est-à-dire telle que ϕ = f ◦ τ. Autrement dit, (T, τ ) est un produit tensoriel de M1 , . . . , Mn si pour tout A-module N , l’application Θ : HomA (T, N ) −→ Multn (M1 , . . . , Mn ; N ) f 7−→ f ◦τ est un isomorphisme de A-modules. Deux produits tensoriels (T1 , τ1 ) et (T2 , τ2 ) de M1 , . . . , Mn sont dit isomorphes s’il ∼ existe un isomorphisme de A-modules f : T1 −→ T2 tel que le diagramme τ1 M1 × · · · × Mn / T1 τ2 x T2 f commute, c’est-à-dire tel que τ2 = f ◦ τ1 . On le note (T1 , τ1 ) ' (T2 , τ2 ). Le lemme suivant montre que si un tel produit tensoriel existe, alors il est unique. Lemme III.1.3. Soit n ≥ 1 un entier, et soient (T1 , τ1 ) et (T2 , τ2 ) deux produits tensoriels de M1 , . . . , Mn . Alors, il existe un unique isomorphisme de produits tensoriels ∼ f : (T1 , τ1 ) −→ (T2 , τ2 ). Cet isomorphisme est l’unique application linéaire f vérifiant τ2 = f ◦ τ1 . Démonstration. Puisque (T1 , τ1 ) est un produit tensoriel de M1 , . . . , Mn et que τ2 ∈ Multn (M1 , . . . , Mn , T2 ), il existe une application A-linéaire f : T1 −→ T2 telle que τ2 = f ◦ τ1 . De même, il existe une application A-linéaire g : T2 −→ T1 telle que τ1 = g ◦ τ2 . On a alors τ1 = (g ◦ f ) ◦ τ1 et τ2 = (f ◦ g) ◦ τ2 . Par définition d’un produit tensoriel, IdT1 est l’unique application linéaire h satisfaisant τ1 = h ◦ τ1 . Ainsi, on a g ◦ f = IdT1 . De même, on a f ◦ g = IdT2 . Il s’ensuit III.1. DÉFINITION ET PREMIERS EXEMPLES 65 que f est un isomorphisme de A-modules. Comme par définition, on a τ2 = f ◦ τ1 , l’application f est donc un isomorphisme de produits tensoriels. ∼ Supposons maintenant que f 0 : (T1 , τ1 ) −→ (T2 , τ2 ) soit un autre isomorphisme de produits tensoriels. Alors, on a τ2 = f ◦ τ1 = f 0 ◦ τ1 . Par définition d’un produit tensoriel, on obtient f = f 0 . Nous montrons à présent qu’un tel produit tensoriel existe effectivement. Soient M1 , . . . , Mn des A-modules, et soit E le A-module des applications de M1 ×· · ·×Mn à valeurs dans A. Pour tout (x1 , . . . , xn ) ∈ M1 × · · · × Mn , on note {x1 , . . . , xn } l’élément de E défini par 1 si (x01 , . . . , x0n ) = (x1 , . . . , xn ) 0 0 {x1 , . . . , xn }(x1 , . . . , xn ) = 0 sinon. On note M le sous-module de E engendré par les éléments ({x1 , . . . , xn })(x1 ,...,xn )∈M1 ×···×Mn . Remarque III.1.4. Il est facile de voir que la famille ({x1 , . . . , xn })(x1 ,...,xn )∈M1 ×···×Mn est libre. C’est donc une base de M, qui est ainsi un A-module libre. Soit N le sous-module de M engendré par les éléments {x1 , . . . , xi−1 , xi + yi , xi+1 , . . . , xn } − {x1 , . . . , xi−1 , xi , xi+1 , . . . , xn } − {x1 , . . . , xi−1 , yi , xi+1 , . . . , xn } et {x1 , . . . , xi−1 , ai ·xi , xi+1 , . . . , xn } − ai ·{x1 , . . . , xi−1 , xi , xi+1 , . . . , xn }, pour tout i = 1, . . . , n, tous xi , yi ∈ Mi et tout ai ∈ A. Soit maintenant M1 ⊗A · · · ⊗A Mn le module quotient M/N . Si u ∈ M, on note u la classe d’équivalence correspondante. Posons alors x1 ⊗ · · · ⊗ xn = {x1 , . . . , xn } ∈ M1 ⊗A · · · ⊗A Mn . Puisque les éléments de la forme {x1 , . . . , xn } engendrent M, tout élément du produit tensoriel M1 ⊗A · · · ⊗A Mn s’écrit comme combinaison linéaire des éléments x1 ⊗ · · · ⊗ xn , (x1 , . . . , xn ) ∈ M1 × · · · × Mn . Définition III.1.5. Les éléments de M1 ⊗A · · · ⊗A Mn de la forme x1 ⊗ · · · ⊗ xn sont appelés tenseurs élémentaires. Remarquons que, par définition du A-module M1 ⊗A · · · ⊗A Mn , on a a·{x1 , . . . , xn } = a·{x1 , . . . , xn } = {x1 , . . . , xi−1 , a·xi , xi+1 , . . . , xn }, pour tout i = 1, . . . , n, tous xi ∈ Mi , et tout a ∈ A. On a donc a·x1 ⊗ · · · ⊗ xn = x1 ⊗ · · · ⊗ xi−1 ⊗ (a·xi ) ⊗ xi+1 ⊗ · · · ⊗ xn , 66 III. PRODUIT TENSORIEL DE MODULES pour tout 1 ≤ i ≤ n, tous xi ∈ Mi , et tout a ∈ A. Ainsi, tout élément du A-module M1 ⊗A · · ·⊗A Mn est en fait une somme de tenseurs élémentaires. De plus, les relations définissant N assurent que l’application τ : M1 × · · · × Mn −→ M1 ⊗A · · · ⊗A Mn (x1 , . . . , xn ) 7−→ x1 ⊗ · · · ⊗ xn est n-linéaire. Lemme III.1.6. Le couple (M1 ⊗A · · · ⊗A Mn , τ ) est un produit tensoriel des Amodules M1 , . . . , Mn . Autrement dit, pour tout A-module N, et pour toute application n-linéaire ϕ : M1 × · · · × Mn −→ N, il existe une unique application A-linéaire f : M1 ⊗A · · · ⊗A Mn −→ N vérifiant f (x1 ⊗ · · · ⊗ xn ) = ϕ(x1 , . . . , xn ) pour tout xi ∈ Mi . Démonstration. Soit N un A-module, et soit ϕ ∈ Multn (M1 , . . . , Mn ; N ). Puisque M est un A-module libre de base ({x1 , . . . , xn })(x1 ,...,xn )∈M1 ×···×Mn , il existe une unique application linéaire ψ : M −→ N vérifiant ψ({x1 , . . . , xn }) = ϕ(x1 , . . . , xn ) pour tout (x1 , . . . , xn ) ∈ M1 × · · · × Mn , d’après le lemme I.2.4. L’application ϕ étant n-linéaire, on en déduit facilement que ker(ψ) contient N . D’après le théorème de factorisation, il existe une unique application linéaire f ∈ HomA (M1 ⊗A · · · ⊗A Mn , N ) satisfaisant f (u) = ψ(u) pour tout u ∈ M. En particulier, cette égalité appliquée à u = {x1 , . . . , xn } montre que l’application f vérifie f (x1 ⊗ · · · ⊗ xn ) = ϕ(x1 , . . . , xn ) pour tout (x1 , . . . , xn ) ∈ M1 × · · · × Mn . Autrement dit, on a ϕ = f ◦ τ . Supposons maintenant qu’il existe une autre application g ∈ HomA (M1 ⊗A · · · ⊗A Mn , N ) vérifiant ϕ = g ◦ τ. On a donc en particulier f (x1 ⊗ · · · ⊗ xn ) = ϕ(x1 , . . . , xn ) = g(x1 ⊗ · · · ⊗ xn ), pour tout (x1 , . . . , xn ) ∈ M1 × · · · × Mn . Mais, f et g étant linéaires, et M1 ⊗A · · · ⊗A Mn étant engendré par les tenseurs élémentaires, on en déduit que f = g. Ceci achève la démonstration. Remarques III.1.7. (1) Au vu du lemme III.1.3, on dira que (M1 ⊗A · · · ⊗A Mn , τ ) est le produit tensoriel des A-modules M1 , . . . , Mn . On omettra souvent de préciser l’application τ . (2) L’application τ étant n-linéaire, on a τ (x1 , . . . , xn ) = 0 si l’un des xi est nul. On a donc x1 ⊗ · · · ⊗ xn = 0 si l’un des xi est nul. (3) Comme on l’a déjà signalé, la propriété la plus importante du produit tensoriel est sa propriété universelle, et non pas la construction en elle-même. III.1. DÉFINITION ET PREMIERS EXEMPLES 67 Il est loin d’être évident que le module M1 ⊗A · · · ⊗A Mn est non nul. En fait, ce n’est pas toujours le cas, comme le montre l’exemple suivant. Exemple III.1.8. Soient n et m deux entiers premiers entre eux. Alors, on a Z/nZ ⊗Z Z/mZ = 0. Si r ∈ Z, on note r sa classe modulo n et r̃ sa classe modulo m. Par définition de la structure de Z-module sur le produit tensoriel, on a, pour tous r, s ∈ Z, r ⊗ s̃ = (r·1) ⊗ (s·1̃) = rs·1 ⊗ 1̃. Il suffit donc de vérifier que 1⊗1̃ = 0. Pour cela, soient u, v ∈ Z tels que un+vm = 1. On a alors 1 ⊗ 1̃ = 1·1 ⊗ 1̃ = (un + vm)·1 ⊗ 1̃ = u·n ⊗ 1̃ + v·1 ⊗ m̃ = 0, car n = 0 et m̃ = 0̃. On conclut ce paragraphe par le calcul de M ⊗A A. Lemme III.1.9. Soit M un A-module. Alors, il existe un unique isomorphisme de A-modules ∼ f : M ⊗A A −→ M vérifiant f (x ⊗ a) = a·x pour tout x ∈ M, et tout a ∈ A, l’isomorphisme inverse étant donné par f −1 : M −→ M ⊗A A x 7−→ x ⊗ 1. Démonstration. Considérons l’application bilinéaire τ : M × A −→ M (x, a) 7−→ a·x. Pour établir l’isomorphisme désiré, nous allons montrer que (M, τ ) vérifie la propriété universelle du produit tensoriel. Cette démarche sera utilisée fréquemment dans la suite. Soit N un A-module, et soit b : M × A −→ N une application bilinéaire. On doit démontrer l’existence d’une unique application linéaire ρ : M −→ N satisfaisant ρ ◦ τ = b, c’est-à-dire ρ(a·x) = b(x, a) pour tout x ∈ M, et tout a ∈ A. Supposons qu’une telle application ρ existe. Dans ce cas, on a ρ(x) = ρ(1·x) = b(x, 1) pour tout x ∈ M. Ainsi, si ρ existe, elle est unique. Réciproquement, soit ρ : M −→ N l’application précédente. Elle est linéaire, puisque b est bilinéaire. De plus, par bilinéarité de b, on a ρ(a·x) = b(a·x, 1) = b(x, a·1) = b(x, a) pour tout x ∈ M, et tout a ∈ A. 68 III. PRODUIT TENSORIEL DE MODULES Le lemme III.1.3 démontre alors l’existence d’un unique isomorphisme de A-modules f : M ⊗A A −→ M vérifiant f (x ⊗ a) = a·x pour tout x ∈ M, et tout a ∈ A. Posons g : M −→ M ⊗A A x 7−→ x ⊗ 1. La relation précédente entraı̂ne que l’on a (f ◦ g)(x) = 1·x = x pour tout x ∈ M. Ainsi, f ◦ g = IdM . Comme f est inversible, on en déduit que g = f −1 . Ceci achève la démonstration. III.2. Propriétés élémentaires du produit tensoriel Nous allons maintenant donner quelques propriétés de base du produit tensoriel. En particulier, nous montrerons que le produit tensoriel de modules libres est un module libre. Lemme III.2.1. Soient M1 , M10 , . . . , Mn , Mn0 des A-modules. Pour toutes applications linéaires fi : Mi −→ Mi0 , i = 1, . . . , n, il existe une unique application linéaire f1 ⊗ · · · ⊗ fn : M1 ⊗A · · · ⊗A Mn −→ M10 ⊗A · · · ⊗A Mn0 vérifiant (f1 ⊗ · · · ⊗ fn )(x1 ⊗ · · · ⊗ xn ) = f1 (x1 ) ⊗ · · · ⊗ fn (xn ) pour tout xi ∈ Mi . Si de plus f1 , . . . , fn sont des isomorphismes, alors f1 ⊗· · ·⊗fn est un isomorphisme. Démonstration. Il est facile de vérifier que l’application ϕ : M1 × · · · × Mn −→ M10 ⊗A · · · ⊗A Mn0 définie par ϕ(x1 , . . . , xn ) = f1 (x1 ) ⊗ · · · ⊗ fn (xn ) pour tout xi ∈ Mi est n-linéaire. On utilise maintenant la propriété universelle du produit tensoriel pour conclure à l’existence et l’unicité de f1 ⊗ · · · ⊗ fn . Supposons maintenant que chaque fi soit un isomorphisme. Alors, par définition, on a (f1 ⊗ · · · ⊗ fn ) ◦ (f1−1 ⊗ · · · ⊗ fn−1 ) (x01 ⊗ · · · ⊗ x0n ) = x01 ⊗ · · · ⊗ x0n et (f1−1 ⊗ · · · ⊗ fn−1 ) ◦ (f1 ⊗ · · · ⊗ fn ) (x1 ⊗ · · · ⊗ xn ) = x1 ⊗ · · · ⊗ xn , pour tout xi ∈ Mi , et tout x0i ∈ Mi0 . Les tenseurs élémentaires engendrant le produit tensoriel (ou par la propriété universelle du produit tensoriel), on en déduit facilement que f1 ⊗ · · · ⊗ fn et f1−1 ⊗ · · · ⊗ fn−1 sont inverses l’une de l’autre. Nous continuons par une propriété de commutativité. III.2. PROPRIÉTÉS ÉLÉMENTAIRES DU PRODUIT TENSORIEL 69 Lemme III.2.2. Soient M1 , . . . , Mn des A-modules, et soit σ ∈ Sn . Alors, il existe un unique isomorphisme de A-modules ∼ fσ : M1 ⊗A · · · ⊗A Mn −→ Mσ(1) ⊗A · · · ⊗A Mσ(n) vérifiant fσ (x1 ⊗ · · · ⊗ xn ) = xσ(1) ⊗ · · · ⊗ xσ(n) pour tout xi ∈ Mi . Démonstration. L’application ϕσ : M1 × · · · × Mn −→ Mσ(1) ⊗A · · · ⊗A Mσ(n) définie par ϕσ (x1 , . . . , xn ) = xσ(1) ⊗ · · · ⊗ xσ(n) pour tout xi ∈ Mi étant n-linéaire, l’existence et l’unicité de fσ est assurée par la propriété universelle du produit tensoriel. Pour voir que c’est un isomorphisme, il suffit de constater que les applications fσ ◦ fσ−1 et fσ−1 ◦ fσ coı̈ncident avec les applications identités sur les tenseurs élémentaires. On conclut par l’argument habituel. Nous allons maintenant étudier l’associativité du produit tensoriel. On commence par un lemme. Lemme III.2.3. Soient M1 , . . . , Mn des A-modules, et soit 1 ≤ r ≤ n. Alors, il existe une unique application A-bilinéaire µ : (M1 ⊗A · · · ⊗A Mr ) × (Mr+1 ⊗A · · · ⊗A Mn ) −→ M1 ⊗A · · · ⊗A Mn telle que µ(x1 ⊗ · · · ⊗ xr , xr+1 ⊗ · · · ⊗ xn ) = x1 ⊗ · · · ⊗ xn pour tout xi ∈ Mi . En particulier, pour tout A-module M , et pour tous m, n ≥ 1, il existe une unique application A-bilinéaire µm,n : M ⊗m × M ⊗n −→ M ⊗(m+n) vérifiant µm,n (x1 ⊗ · · · ⊗ xm , xm+1 ⊗ · · · ⊗ xm+n ) = x1 ⊗ · · · ⊗ xm+n pour tous x1 , . . . , xm+n ∈ M. Démonstration. Notons tout d’abord que si une telle application µ existe, elle est unique. Cela provient de la bilinéarité de µ et du fait que les tenseurs élémentaires engendrent le produit tensoriel. Il reste donc à démontrer son existence. Soit (x1 , . . . , xr ) ∈ M1 × · · · × Mr . On vérifie que l’application Mr+1 × · · · × Mn −→ M1 ⊗A · · · ⊗A Mn (xr+1 , . . . , xn ) 7−→ x1 ⊗ · · · ⊗ xr ⊗ xr+1 ⊗ · · · ⊗ xn est (n − r)-linéaire. Il existe donc une unique application linéaire fx1 ,...,xr : Mr+1 ⊗A · · · ⊗A Mn −→ M1 ⊗A · · · ⊗A Mn telle que fx1 ,...,xr (xr+1 ⊗ · · · ⊗ xn ) = x1 ⊗ · · · ⊗ xn pour tout (xr+1 , . . . , xn ) ∈ Mr+1 × · · · × Mn . 70 III. PRODUIT TENSORIEL DE MODULES Il est facile de voir que l’application M1 × · · · × Mr −→ HomA (Mr+1 ⊗A · · · ⊗A Mn , M1 ⊗A · · · ⊗A Mn ) (x1 , . . . , xr ) 7−→ fx1 ,...,xr est r-linéaire. Ainsi, il existe une unique application linéaire ϕ : M1 ⊗A · · · ⊗A Mr −→ HomA (Mr+1 ⊗A · · · ⊗A Mn , M1 ⊗A · · · ⊗A Mn ) vérifiant ϕ(x1 ⊗ · · · ⊗ xr ) = fx1 ,...,xr pour tout (x1 , . . . , xr ) ∈ M1 × · · · × Mr . En particulier, en appliquant cette égalité à xr+1 ⊗ · · · ⊗ xn , on obtient ϕ(x1 ⊗ · · · ⊗ xr )(xr+1 ⊗ · · · ⊗ xn ) = x1 ⊗ · · · ⊗ xn pour tous xi ∈ Mi . On constate alors que l’application µ : (M1 ⊗A · · · ⊗A Mr ) × (Mr+1 ⊗A · · · ⊗A Mn ) −→ M1 ⊗A · · · ⊗A Mn (z, z 0 ) 7−→ ϕ(z)(z 0 ) possède toutes les propriétés souhaitées. Le dernier point est immédiat. On peut maintenant établir l’associativité du produit tensoriel. Lemme III.2.4. Soient M1 , . . . , Mn des A-modules, et soit 1 ≤ r ≤ n. Alors, il existe un unique isomorphisme de A-modules ∼ ρ : M1 ⊗A · · · ⊗A Mn −→ (M1 ⊗A · · · ⊗A Mr ) ⊗A (Mr+1 ⊗A · · · ⊗A Mn ) vérifiant ρ(x1 ⊗ · · · ⊗ xn ) = (x1 ⊗ · · · ⊗ xr ) ⊗ (xr+1 ⊗ · · · ⊗ xn ) pour tout xi ∈ Mi . En particulier, on a des isomorphismes canoniques (M1 ⊗A M2 ) ⊗A M3 ' M1 ⊗A M2 ⊗A M3 ' M1 ⊗A (M2 ⊗A M3 ), et le produit tensoriel est associatif. Démonstration. Notons τ 0 l’application bilinéaire canonique associée au produit tensoriel (M1 ⊗A · · · ⊗A Mr ) ⊗A (Mr+1 ⊗A · · · ⊗A Mn ). Nous allons encore une fois utiliser l’unicité du produit tensoriel à unique isomorphisme près. D’après le lemme précédent, il existe une unique application bilinéaire µ : (M1 ⊗A · · · ⊗A Mr ) × (Mr+1 ⊗A · · · ⊗A Mn ) −→ M1 ⊗A · · · ⊗A Mn telle que µ(x1 ⊗ · · · ⊗ xr , xr+1 ⊗ · · · ⊗ xn ) = x1 ⊗ · · · ⊗ xn pour tous xi ∈ Mi . Soit N un A-module, et soit b : (M1 ⊗A · · · ⊗A Mr ) × (Mr+1 ⊗A · · · ⊗A Mn ) −→ N une application bilinéaire. En utilisant les propriétés du produit tensoriel et la bilinéarité de b, il est facile de constater que l’application ϕ : M1 × · · · × Mn −→ N (x1 , . . . , xn ) 7−→ b(x1 ⊗ · · · ⊗ xr , xr+1 ⊗ · · · ⊗ xn ) est n-linéaire. Il existe donc une unique application linéaire f ∈ HomA (M1 ⊗A · · · ⊗A Mn , N ) III.2. PROPRIÉTÉS ÉLÉMENTAIRES DU PRODUIT TENSORIEL 71 telle que f (x1 ⊗ · · · ⊗ xn ) = b(x1 ⊗ · · · ⊗ xr , xr+1 ⊗ · · · ⊗ xn ), pour tout xi ∈ Mi . Ceci se réécrit encore f µ(x1 ⊗ · · · ⊗ xr , xr+1 ⊗ · · · ⊗ xn ) = b(x1 ⊗ · · · ⊗ xr , xr+1 ⊗ · · · ⊗ xn ), pour tout xi ∈ Mi . En utilisant la bilinéarité de µ et b, la linéarité de f , et le fait que les tenseurs élémentaires engendrent le produit tensoriel, on en déduit que l’égalité précédente est équivalente à l’égalité f ◦ µ = b. Ainsi, le couple (M1 ⊗A · · ·⊗A Mn , µ) est un produit tensoriel des A-modules M1 ⊗A · · · ⊗A Mr et Mr+1 ⊗A · · · ⊗A Mn . Or, le couple (M1 ⊗A · · · ⊗A Mr ) ⊗A (Mr+1 ⊗A · · · ⊗A Mn ), τ 0 est aussi un produit tensoriel de M1 ⊗A · · · ⊗A Mr et Mr+1 ⊗A · · · ⊗A Mn . Par le lemme III.1.3, il existe donc un unique isomorphisme ρ : M1 ⊗A · · · ⊗A Mn −→ (M1 ⊗A · · · ⊗A Mr ) ⊗A (Mr+1 ⊗A · · · ⊗A Mn ). Cet isomorphisme est défini de manière unique par la relation τ 0 = ρ ◦ µ. En appliquant (x1 ⊗ · · · ⊗ xr , xr+1 ⊗ · · · ⊗ xn ) à cette égalité, on obtient ρ(x1 ⊗ · · · ⊗ xn ) = (x1 ⊗ · · · ⊗ xr ) ⊗ (xr+1 ⊗ · · · ⊗ xn ) pour tout xi ∈ Mi . Le dernier point du lemme étant clair, ceci achève la démonstration. Nous allons maintenant établir la distributivité du produit tensoriel par rapport à la somme directe. Lemme III.2.5. Soient M1 , . . . , Mn des A-modules, et soit (Ni )i∈I une famille de A-modules. Alors, il existe un unique isomorphisme de A-modules a a ∼ Θ : M 1 ⊗A · · · ⊗ A M n ⊗A Ni −→ M 1 ⊗ A · · · ⊗ A M n ⊗ A Ni i∈I i∈I vérifiant Θ x1 ⊗ · · · ⊗ xn ⊗ (yi )i∈I = (x1 ⊗ · · · ⊗ xn ⊗ yi )i∈I pour tout xj ∈ Mj , et tout yi ∈ Ni . Démonstration. Nous allons encore une fois utiliser l’unicité d’un produit tensoriel à unique isomorphisme près. Pour tout i ∈ I, considérons l’application (n+1)-linéaire ρi : M1 × · · · × Mn × Ni −→ M1 ⊗A · · · ⊗A Mn ⊗A Ni , a a et soit ρ : M1 × · · · × Mn × Ni −→ M1 ⊗A · · · ⊗A Mn ⊗A Ni l’application i∈I i∈I (n + 1)-linéaire définie par ρ(x1 , . . . , xn , (yi )i∈I ) = ρi (x1 , . . . , xn , yi ) i∈I = (x1 ⊗ · · · ⊗ xn ⊗ yi )i∈I . Soit N un A-module, et soit ϕ : M 1 × · · · × Mn × a i∈I Ni −→ N 72 III. PRODUIT TENSORIEL DE MODULES une application n-linéaire. Nous allons démontrer l’existence et l’unicité d’une unique application linéaire a f: M1 ⊗A · · · ⊗A Mn ⊗A Ni −→ N i∈I telle que f ◦ ρ = ϕ. a Soit ιi : Ni −→ Ni l’injection canonique. L’application ϕ induit par composition i∈I par ιi une application (n + 1)-linéaire ϕi : M1 × · · · × Mn × Ni −→ N, et donc une application linéaire fi : M1 ⊗A · · · ⊗A Mn ⊗A Ni −→ N telle que f (x1 ⊗ · · · ⊗ xn ⊗ yi ) = ϕi (x1 , . . . , xn , yi ) pour tout xj ∈ Mj , et tout yi ∈ Ni . On obtient alors une application linéaire a f: M1 ⊗A · · · ⊗A Mn ⊗A Ni −→ N i∈I vérifiant X f (zi )i∈I = fi (zi ) pour tout zi ∈ M1 ⊗A · · · ⊗A Mn ⊗A Ni . i∈I En particulier, pour tout xj ∈ Mj , et tout yi ∈ Ni , on a f ρ x1 , . . . , xn , (yi )i∈I = f ρi (x1 , . . . , xn , yi ) i∈I = f (x1 ⊗ · · · ⊗ xn ⊗ yi )i∈I X = fi (x1 ⊗ · · · ⊗ xn ⊗ yi ) i∈I = X ϕi (x1 , . . . , xn , yi ) i∈I = X ϕ x1 , . . . , xn , ιi (yi ) i∈I = ϕ x1 , . . . , xn , (yi )i∈I . Ainsi, on obtient l’égalité f ◦ ρ = ϕ. Démontrons maintenant l’unicité de f . Il est facile de voir que chaque élément a M 1 ⊗ A · · · ⊗ A M n ⊗ A Ni i∈I se décompose en somme finie d’éléments de la forme (0, . . . , 0, x01 ⊗ · · · ⊗ x0n ⊗ yk0 , 0, . . .), x0j ∈ Mj , yk ∈ Nk , k ∈ I. Ces éléments étant dans l’image de ρ par définition, on en déduit que f est entièrement déterminée par sa restriction à im(ρ), d’où l’unicité de f . III.2. PROPRIÉTÉS ÉLÉMENTAIRES DU PRODUIT TENSORIEL On a donc montré que le couple a 73 M1 ⊗A · · · ⊗A Mn ⊗A Ni , ρ est un produit i∈I tensoriel de M1 , . . . , Mn , a Ni . Il existe donc un unique isomorphisme i∈I Θ : M 1 ⊗A · · · ⊗ A M n ⊗A a ∼ Ni −→ i∈I a M1 ⊗A · · · ⊗A Mn ⊗A Ni i∈I vérifiant Θ x1 ⊗ · · · ⊗ xn ⊗ (yi )i∈I = ρ((x1 ⊗ · · · ⊗ xn ⊗ yi )i∈I ) = (x1 ⊗ · · · ⊗ xn ⊗ yi )i∈I . pour tout xj ∈ Mj , et tout yi ∈ Ni . On obtient alors la version interne du lemme précédent. Corollaire III.2.6. Soient M1 , . . . , Mn , M des A-modules, et supposons que M = M Ni . Pour tout i ∈ I, soit i∈I ηi : M1 ⊗A · · · ⊗A Mn ⊗A Ni −→ M1 ⊗A · · · ⊗A Mn ⊗A M l’application linéaire évidente. Alors, ηi est injective pour tout i ∈ I, et identifie M1 ⊗A · · · ⊗A Mn ⊗A Ni à un sous-module de M1 ⊗A · · · ⊗A Mn ⊗A M . De plus, via cette identification, on a M M1 ⊗A · · · ⊗A Mn ⊗A M = M1 ⊗A · · · ⊗A Mn ⊗A Ni . i∈I Démonstration. Pour démontrer le résultat, il suffit de vérifier que l’application linéaire a η: M1 ⊗A · · · ⊗A Mn ⊗A Ni −→ M1 ⊗A · · · ⊗A Mn ⊗A M i∈I définie par X η (zi )i∈I = ηi (zi ) i∈I est un isomorphisme de A-modules. a ∼ L’isomorphisme canonique u : Ni −→ M induit grâce au lemme III.2.1 un i∈I isomorphisme M1 ⊗A · · · ⊗A Mn ⊗A a ∼ Ni −→ M1 ⊗A · · · ⊗A Mn ⊗A M. i∈I En composant avec l’isomorphisme Θ du lemme précédent, on obtient un isomorphisme de A-modules a ∼ M1 ⊗A · · · ⊗A Mn ⊗A Ni −→ M1 ⊗A · · · ⊗A Mn ⊗A M, i∈I qui n’est rien d’autre que η, comme on le vérifie aisément. Ceci achève la démonstration. Remarques III.2.7. (1) Le lemme III.2.2 implique que le produit tensoriel respecte la somme directe par rapport à chaque facteur (et non pas seulement par rapport au dernier). 74 III. PRODUIT TENSORIEL DE MODULES (2) Le corollaire précédent peut sembler trivial au premier coup d’œil et ne pas mériter une démonstration. La difficulté cachée est la suivante. Si N est un sous-module de M , il se pourrait très bien qu’un élément non trivial dans M1 ⊗A · · · ⊗A Mn ⊗A N devienne trivial dans M1 ⊗A · · · ⊗A Mn ⊗A M , puisque l’on quotiente par plus de relations dans le deuxième produit tensoriel que dans le premier. Autrement dit, l’application naturelle M1 ⊗A · · · ⊗A Mn ⊗A N −→ M1 ⊗A · · · ⊗A Mn ⊗A M n’est pas nécessairement injective, comme le montre l’exemple suivant. Exemple III.2.8. Le Z-module Z est un sous-module de Q, et l’on a Z/nZ ⊗Z Z ' Z/nZ, d’après le lemme III.1.9. En revanche, on a Z/nZ ⊗Z Q = 0. Pour voir cela, il suffit de montrer que chaque tenseur élémentaire est nul dans le produit tensoriel. Or, pour tous m, p, q ∈ Z, q 6= 0, on a p np m⊗ = m⊗ q nq p = m ⊗ n· nq p = n·m ⊗ nq p = nm ⊗ nq p = 0⊗ nq = 0. Cet exemple peut sembler un peu sorti de nulle part. La raison cachée qui fait que le produit tensoriel précédent est nul est que Z/nZ ⊗Z Q peut être muni d’une structure naturelle de Q-espace vectoriel ; en particulier, il est sans Z-torsion. Or, ce produit tensoriel étant aussi un groupe abélien de torsion (puisque tout élément de ce produit tensoriel est tué par n), il est nécessairement nul. Tout ceci s’éclaircira dans la suite lorsque l’on introduira la notion d’extension des scalaires dans le prochain paragraphe. Continuons en donnant quelques conséquences du corollaire III.2.6. Corollaire III.2.9. Soient M et N des A-modules. (1) Supposons que N soit libre, et soit (fj )j∈J une base de N . Alors, l’application linéaire ϕ : M (J) −→ M X⊗A N (zj )j∈J 7−→ zj ⊗ fj j∈J est un isomorphisme de A-modules. (2) Supposons que M soit libre, et soit (ei )i∈I une base de M . Alors, l’application linéaire ϕ : N (I) −→ M X⊗A N (zi )i∈I 7−→ ei ⊗ zi i∈I est un isomorphisme de A-modules. III.2. PROPRIÉTÉS ÉLÉMENTAIRES DU PRODUIT TENSORIEL 75 En particulier, si M et N sont non nuls, et si l’un de ces deux modules est libre, alors M ⊗A N est non nul. Démonstration. On démontre seulement la première assertion, l’autre se démontrant exactement de la même manière. M Par hypothèse, on a N = A·fi , et l’on a donc i∈I M ⊗A N = M M ⊗A A·fi , i∈I d’après le corollaire III.2.6. Montrons que ϕ est injective. Supposons que l’on ait X zi ⊗ fi = 0. i∈I Puisque M ⊗A N = M M ⊗A A·fi , on obtient zi ⊗ fi = 0 pour tout i ∈ I. L’iso- i∈I morphisme φi : A·fi −→ A a·fi 7−→ a induit un isomorphisme IdM ⊗ φi : M ⊗A A·fi −→ M ⊗A A. On obtient alors un isomorphisme ψi : M ⊗A A·fi −→ M vérifiant ψi (x ⊗ a·fi ) = a·x pour tout x ∈ M, et tout a ∈ A, en composant par l’isomorphisme du lemme III.1.9. En particulier, zi = ψi (zi ⊗ fi ) = ψi (0) = 0. Ainsi, ϕ est injective. Passons à présent la surjectivité. Puisque M ⊗A N = z ∈ M ⊗ N s’écrit X z= zi ⊗ ai ·fi , M M ⊗A A·fi , tout élément i∈I i∈I pour certains zi ∈ M et ai ∈ I. Pardéfinition du produit tensoriel, on a zi ⊗ ai ·fi = ai ·zi ⊗ fi , et donc z = ϕ (ai ·zi )i∈I . Corollaire III.2.10. Soient M et N deux modules libres, de bases respectives (ei )i∈I et (fj )j∈J . Alors, M ⊗A N est libre, de base (ei ⊗fj )(i,j)∈I×J . En particulier, M ⊗A N est de rang fini si, et seulement si, M et N le sont, et dans ce cas, on a rgA (M ⊗A N ) = rgA (M )rgA (N ). Démonstration. D’après le corollaire III.2.6 et la remarque qui le suit, on a M M M ⊗A N = A·ei ⊗A A·fj = A·(ei ⊗ fj ), (i,j)∈I×J (i,j)∈I×J la dernière égalité provenant de la définition du produit tensoriel. Comme toute base est une famille libre, les éléments ei et fj ne sont pas de torsion. Ainsi, les A-modules A·ei et A·fj sont libres, et l’on a des isomorphismes A ' A·ei et A ' A·fj , 76 III. PRODUIT TENSORIEL DE MODULES qui envoient 1 sur ei et fj respectivement. Par les lemmes III.1.9 et III.2.1, on a alors des isomorphismes A ' A ⊗A A ' A·ei ⊗A A·fj = A·(ei ⊗ fj ). De plus, l’isomorphisme composé envoie 1 sur ei ⊗ fj . Ainsi, A·(ei ⊗ fj ) est un A-module libre de base ei ⊗ fj . Le corollaire s’en déduit immédiatement. III.3. Produit tensoriel et suites exactes Soient M1 , M2 et M des A-modules. Pour toute application A-linéaire f : M1 −→ M2 , l’application IdM ⊗ f : M ⊗A M1 −→ M ⊗A M2 sera simplement notée fM dans la suite. On s’intéresse ici à la conservation de l’exactitude des suites exactes par tensorisation. On commence par un lemme. Lemme III.3.1. Supposons que la suite de A-modules M1 f / M2 g / M3 /0 soit exacte. Alors, la suite de A-modules M ⊗A M 1 fM / M ⊗A M2 gM /0 / M ⊗A M 3 est exacte. Démonstration. Montrons la surjectivité de gM . Pour cela, il suffit de voir que son image contient les tenseurs élémentaires. Soit x ∈ M , et soit x3 ∈ M3 . Puisque g est surjective, il existe x2 ∈ M2 tel que g(x2 ) = x3 . Mais alors, on a gM (x ⊗ x2 ) = x ⊗ g(x2 ) = x ⊗ x3 , d’où le résultat. D’autre part, comme gM ◦ fM = (IdM ⊗ g) ◦ (IdM ⊗ g) = IdM ⊗ (g ◦ f ), on a Im(fM ) ⊂ ker(gM ), puisque ker(g) = Im(f ). L’application surjective gM : M ⊗A M2 −→ M ⊗A M3 induit alors par passage au quotient une application surjective ϕ : (M ⊗A M2 )/Im(fM ) −→ M ⊗A M3 . Soit x ∈ M , soit x3 ∈ M3 , et soient x2 , x02 ∈ M2 tels que x3 = g(x2 ) = g(x02 ). Alors, x02 − x2 ∈ ker(g) = Im(f ). Il existe donc x1 ∈ M1 tel que x02 = x2 + f (x1 ). On a alors x ⊗ x02 = x ⊗ x2 + fM (x ⊗ x1 ), et par conséquent x ⊗ x02 = x ⊗ x2 ∈ (M ⊗A M2 )/Im(fM ). Par conséquent, on a une application bien définie M × M3 −→ (M ⊗A M2 )/Im(fM ) (x, x3 ) 7−→ x ⊗ x∗3 , où x∗3 désigne un antécédent arbitraire de x3 . On vérifie aisément que ψ est Abilinéaire (cela provient du fait que si a ∈ A et x3 , y3 ∈ M3 , et si x∗3 et y3∗ sont des antécédents de x3 et y3 par g, alors a·x∗3 + y3∗ est un antécédent de a·x3 + y3 ). III.3. PRODUIT TENSORIEL ET SUITES EXACTES 77 Elle induit alors une application A-linéaire ψ : M ⊗A M3 −→ (M ⊗A M2 )/Im(fM ). On vérifie aisément que ϕ et ψ sont inverses l’une de l’autre. En particulier, ker(ϕ) = 0. Mais on a aussi ker(ϕ) = ker(gM )/Im(fM ) par définition, d’où ker(gM ) = Im(fM ). Ceci achève la démonstration. On s’intéresse maintenant au problème suivant : supposons que la suite de Amodules / M1 f / M2 g / M3 /0 0 soit exacte. La suite de A-modules / M ⊗A M 1 0 fM / M ⊗A M 2 gM / M ⊗A M 3 /0 est-elle exacte ? D’après le lemme précédent, cela revient à la question suivante : pour toute application f : M1 −→ M2 injective, et tout A-module M , l’application fM : M ⊗A M1 −→ M ⊗A M2 est-elle injective ? La réponse est négative, comme le montre l’exemple suivant. Exemple III.3.2. Soit A = Z, M1 = Z, M2 = 2Z et M = Z/2Z. L’application f : Z −→ 2Z de multiplication par 2 est injective. En revanche, fM est l’application nulle, et n’est pas injective car Z/2Z ⊗Z Z ' Z/2Z est non nul. Les A-modules qui préservent l’exactitude par tensorisation méritent un nom à eux. Définition III.3.3. Un A-module M est dit plat si pour toute application A-linéaire f : M1 −→ M2 injective, l’application fM : M ⊗A M1 −→ M ⊗A M2 est injective. Autrement dit, M est plat si pour tout suite exacte de A-modules 0 / M1 f / M2 g / M3 /0, la suite de A-modules 0 / M ⊗A M 1 fM / M ⊗A M 2 gM / M ⊗A M 3 /0 est exacte. On termine en donnant une famille de modules plats. Proposition III.3.4. Tout A-module projectif est plat. Démonstration. Soit f : M1 −→ M2 une application A-linéaire injective. Commençons par démontrer qu’un A-module libre L est plat. Soit (ei )i∈I une base de L. Le corollaire III.2.9 montre que tout élément x ∈ L ⊗A M1 s’écrit de manière unique sous la forme X x= ei ⊗ xi , xi ∈ M1 . i∈I Soit x = X ei ⊗ xi ∈ ker(fL ). Alors, on a i∈I fL (x) = 0 = X i∈I ei ⊗ f (xi ). 78 III. PRODUIT TENSORIEL DE MODULES Ce même corollaire implique que f (xi ) = 0 pour tout i ∈ I. Comme f est injective, xi = 0 pour tout i ∈ I, et ainsi x = 0. Autrement dit, fL est injective et L est plat. Revenons au cas général. Soit P un A-module projectif. Il est donc isomorphe à un facteur direct P 0 d’un A-module libre L. Par le corollaire III.2.6, l’inclusion ι : P 0 ⊂ L induit une application linéaire injective ι ⊗ IdMi : P 0 ⊗A Mi −→ L ⊗A Mi . ∼ De plus, un isomorphisme α : P −→ P 0 induit un isomorphisme ∼ α ⊗ IdMi : P ⊗A M1 −→ P 0 ⊗A Mi d’après le lemme III.2.1. L’application βi = (ι ⊗ IdMi ) ◦ (α ⊗ IdMi ) : P ⊗A Mi −→ L ⊗A Mi est alors injective. De plus, on a β2 ◦ fP = fL ◦ β1 . En effet, pour tout x ∈ P et tout x1 ∈ M1 , on a d’une part (β2 ◦ fP )(x ⊗ x1 ) = β2 (x ⊗ f (x1 )) = α(x) ⊗ f (x1 ), et d’autre part (fL ◦ β1 )(x ⊗ x1 ) = fL (α(x) ⊗ x1 ) = α(x) ⊗ f (x1 ). Puisque les tenseurs élémentaires engendre P ⊗A M1 , on a le résultat. Mais, fL est injective par le point précédent. Comme β1 et β2 sont aussi injectives, l’égalité β2 ◦ fP = fL ◦ β1 implique que fP est injective. Ceci achève la démonstration. III.4. Extension des scalaires Nous allons maintenant introduire la notion d’extension des scalaires. Commençons par quelques considérations sur les espaces vectoriels et complexes. Soit V un Respace vectoriel de dimension n, soit f ∈ End(V ) et soit C ∈ Mn (R) sa matrice représentative dans une base de V fixée. Il peut arriver que l’on ait envie de voir M comme une matrice à coefficients dans C, et que l’on ait envie alors d’interpréter M comme la matrice d’un endomorphisme fC d’un espace vectoriel complexe VC de dimension n. Lorsque V = Rn , on pose VC = Cn . On remarque qu’une base e de Rn peut être vue comme une famille de vecteurs de Cn , que l’on note eC , et que c’est une base de Cn . On définit alors fC comme étant l’unique endomorphisme de Cn dont la matrice dans la base eC est la matrice C. Remarquons alors que fC induit par restriction un endomorphisme de V qui n’est autre que l’endomorphisme f . Lorsque V est un R-espace vectoriel arbitraire, il n’est a priori pas très clair de savoir ce qu’il faut choisir pour VC . C’est ici qu’intervient le complexifié. Ce qui fait tout marcher dans le cas précédent, c’est que V = Rn est un sous-espace vectoriel réel de VC = Cn , et que l’on peut voir une base de V comme une base de VC . L’idée est donc de conserver ces propriétés dans le cas général. Pour ce faire, on part de l’espace vectoriel réel VC = V × V , et l’on va définir dessus une structure de C-espace vectoriel qui étend la structure de R-espace vectoriel de V . Cette démarche est plutôt naturelle, car si l’on veut avoir dimC (VC ) = dimR (V ), on doit nécessairement avoir dimR (VC ) = dimR (C) dimC (VC ) = 2 dimR (V ). Pour définir une structure de C-espace vectoriel sur VC , il suffit de savoir comment agissent 1 et i. Puisque l’on veut étendre la structure d’espace vectoriel de V , il est III.4. EXTENSION DES SCALAIRES 79 naturel de poser 1·(v, v 0 ) = (v, v 0 ) pour tous v, v 0 ∈ V. En ce qui concerne l’action de i, puisque i2 = −1, on doit avoir i· i·(v, v 0 ) = i2 ·(v, v 0 ) = −1·(v, v 0 ) = −(v, v 0 ) = (−v, −v 0 ). L’idée est donc de poser i·(v, v 0 ) = (−v 0 , v) pour tous v, v 0 ∈ V. Autrement dit, on pose (a + ib)·(v, v 0 ) = (av − bv 0 , av 0 + bv) pour tous v, v 0 ∈ V. On vérifie alors que VC est un C-espace vectoriel. Remarquons que l’application R-linéaire ιC : V −→ V × V v 7−→ (v, 0) identifie V à un sous-espace vectoriel réel de VC . De plus, son image engendre VC comme C-espace vectoriel. En effet, on a (v, v 0 ) = (v, 0) − i·(v 0 , 0) pour tous v, v 0 ∈ V. Si maintenant e = (e1 , . . . , en ) est une base de V , la famille eC = (e1 , 0), . . . , (en , 0) est une base de VC . Enfin, tout endomorphisme f : V −→ V s’étend en un endomorphisme fC : VC −→ VC en posant fC (v, v 0 ) = f (v), f (v 0 ) pour tous v, v 0 ∈ V. On vérifie que fC est bien C-linéaire et que Mat(fC , eC ) = Mat(f, e). En fait, on a bien mieux : pour tout C-espace vectoriel W , et toute application R-linéaire g : V −→ W , il existe une unique application C-linéaire g 0 : VC −→ W telle que g 0 (v, 0) = g(v) pour tout v ∈ V. Il suffit en effet de poser g 0 (ei , 0) = g(ei ) pour tout i = 1, . . . , n. Le but de ce qui suit est de généraliser ces considérations lorsque l’on remplace R et C par des anneaux, et les espaces vectoriels par des modules. Malheureusement, tous les modules n’ont pas nécessairement de bases, et il faut être un peu plus subtil. Dans tout le paragraphe, on fixe un morphisme d’anneaux (commutatifs) ρ : A −→ B. Tout B-module N possède alors une structure naturelle de A-module définie par A × N −→ N (a, x) 7−→ a ∗ x = ρ(a)·x Définition III.4.1. Soit M un A-module. Une extension des scalaires de M à B est un couple (E, ι), où E est un B-module et ι : M −→ E est une application A-linéaire vérifiant la propriété universelle suivante : pour tout B-module N et toute application A-linéaire ϕ : M −→ N (où N possède la structure naturelle de 80 III. PRODUIT TENSORIEL DE MODULES A-module induite par ρ), il existe une unique application B-linéaire f : E −→ N telle que le diagramme ϕ /N M > ι E commute, c’est-à-dire telle que ϕ = f ◦ ι. ∃! f Autrement dit, (E, ι) est une extension des scalaires de M si pour tout B-module N , l’application Θ : HomB (E, N ) −→ HomA (M, N ) f 7−→ f ◦ ι est un isomorphisme de B-modules, la structure de B-module sur le groupe abélien HomA (M, N ) étant donnée par B × HomA (M, N ) −→ HomA (M, N ) (b, f ) 7−→ x 7−→ b·f (x) . Deux extensions des scalaires (E1 , ι1 ) et (E2 , ι2 ) de M sont dites isomorphes s’il ∼ existe un isomorphisme de B-modules f : E1 −→ E2 tel que le diagramme M f ~ E2 ι1 / E1 ι2 commute, c’est-à-dire tel que ι2 = f ◦ ι1 . On le note (E1 , ι1 ) ' (E2 , ι2 ). Exemples III.4.2. (1) Si V est un R-espace vectoriel de dimension finie, le couple (VC , ιC ) est une extension des scalaires de V à C relativement à l’inclusion R ⊂ C. (2) Le couple (S −1 M, ιS,M ) est une extension des scalaires de M à S −1 A relativement au morphisme d’anneaux ιS,A : A −→ S −1 A. C’est en effet une simple reformulation de la proposition II.1.10. Comme dans le cas du produit tensoriel ou du localisé, si une telle extension des scalaires existe, alors elle est unique. Lemme III.4.3. Soient (E1 , ι1 ) et (E2 , ι2 ) deux extensions des scalaires de M . Alors, il existe un unique isomorphisme d’extensions des scalaires ∼ f : (E1 , ι1 ) −→ (E2 , ι2 ). Cet isomorphisme est l’unique application B-linéaire f vérifiant ι2 = f ◦ ι1 . La démonstration étant identique à celle de l’unicité d’un localisé ou d’un produit tensoriel, elle est laissée au lecteur. Nous allons maintenant démontrer un lemme qui justifie le nom d’extension des scalaires. III.4. EXTENSION DES SCALAIRES 81 Lemme III.4.4. Soit M un A-module, et soient ρ : A −→ B, ρ0 : B −→ C deux morphismes d’anneaux. (1) Si A = B et ρ = IdA , alors toute extension des scalaires (E, ι) est isomorphe à (M, IdM ). (2) Si (E, ι) est une extension des scalaires de M à B, et si (E 0 , ι0 ) est une extension des scalaires de E à C, alors (E 0 , ι0 ◦ ι) est une extension des scalaires de M à C. Démonstration. Pour montrer (1), il suffit de vérifier que (M, IdM ) est une extension des scalaires de M à A (d’après le lemme III.4.3), ce qui est immédiat. Montrons (2). Commençons par vérifier que ι0 ◦ ι : M −→ E 0 est A-linéaire (où E 0 est vu comme un A-module via ρ0 ◦ ρ.) Pour tout a ∈ A et tout x ∈ M , on a ι0 ι(a·x) = ι0 ρ(a)·ι(x) , car ι : M −→ E est A-linéaire lorsque E est vu comme un A-module via ρ. Puisque ι0 : E −→ E 0 est B-linéaire lorsque E 0 est vu comme un B-module via ρ0 , on obtient ι0 ι(a·x) = ρ0 ρ(a))·ι0 (ι(x) , ce qui montre la linéarité. Soit N un C-module, et soit ϕ : M −→ N une application linéaire (où N est vu comme A-module via ρ0 ◦ ρ). Puisque (E, ι) est une extension des scalaires de M à B et que N peut être vu comme B-module via ρ0 , il existe donc une unique application B-linéaire g : E 0 −→ N telle que ϕ = g ◦ ι. Étant donné que (E 0 , ι0 ) est une extension des scalaires de E à C, que N est un C-module et que g est Blinéaire, il existe une unique application C-linéaire f : E 0 −→ N telle que g = f ◦ ι0 . On a donc ϕ = f ◦ (ι0 ◦ ι). Soient f1 , f2 : E 0 −→ N deux applications C-linéaires vérifiant ϕ = f1 ◦ (ι0 ◦ ι) = f2 ◦ (ι0 ◦ ι). On a donc ϕ = (f1 ◦ ι0 ) ◦ ι = (f2 ◦ ι0 ) ◦ ι. Regardons maintenant N comme un B-module via ρ0 , et vérifions que l’application fi ◦ ι0 : E −→ N est B-linéaire. Pour tout b ∈ B et tout x ∈ E, on a fi ι0 (b·x) = fi ρ0 (b)·ι0 (x) = ρ0 (b)·fi ι0 (x) . car ι0 : E −→ E 0 est B-linéaire (lorsque E 0 est vu comme B-module via ρ0 ) et fi est C-linéaire. Puisque la structure de B-module sur N est celle induite par ρ0 , on obtient la B-linéarité annoncée. Comme (E, ι) est une extension des scalaires de M à B, on en déduit que f1 ◦ ι0 = f2 ◦ ι0 . Enfin, f1 , f2 : E 0 −→ N étant C-linéaires, et que (E 0 , ι0 ) est une extension des scalaires de E à C, on en déduit f1 = f2 . Nous allons à présent montrer qu’une telle extension des scalaires existe. Pour cela, on va munir le A-module M ⊗A B d’une structure de B-module convenable. 82 III. PRODUIT TENSORIEL DE MODULES Lemme III.4.5. Soit M un A-module. Pour tout b0 ∈ B, il existe une unique application A-linéaire µb0 : M ⊗A B −→ M ⊗A B vérifiant µb0 (x ⊗ b) = x ⊗ bb0 pour tout x ∈ M, et tout b ∈ B. Démonstration. D’après les propriétés du produit tensoriel, il suffit de vérifier que l’application ϕ : M × B −→ M ⊗A B (x, b) 7−→ x ⊗ bb0 est A-bilinéaire. Pour tous x1 , x2 , x ∈ M et tous b1 , b2 , b ∈ B, il est clair que l’on a ϕ(x1 + x2 , b) = ϕ(x1 , b) + ϕ(x2 , b) et ϕ(x, b1 + b2 ) = ϕ(x, b1 ) + ϕ(x, b2 ). Soient maintenant a ∈ A, x ∈ M et b ∈ B. On a ϕ(a·x, b) = a·x ⊗ bb0 = a·(x ⊗ bb0 ) = a·ϕ(x, b). D’autre part, on a également ϕ(x, a ∗ b) = = = = = = x ⊗ (a ∗ b)b0 x ⊗ ρ(a)b b0 x ⊗ ρ(a)(bb0 ) x ⊗ a ∗ (bb0 ) a·(x ⊗ bb0 ) a·ϕ(x ⊗ b). On a donc le résultat annoncé. Lemme III.4.6. La loi de multiplication externe B × (M ⊗A B) −→ M ⊗A B (b0 , z) 7−→ b0 • z = µb0 (z) munit le groupe abélien M ⊗A B d’une structure de B-module, vérifiant b0 • (x ⊗ b) = x ⊗ bb0 pour tout x ∈ M, et tous b, b0 ∈ B. De plus, pour tout a ∈ A et tout z ∈ M ⊗A B, on a a ∗ z = a·z. Démonstration. Par définition, on a µ1B (x ⊗ b) = x ⊗ b pour tout x ∈ M, et tout b ∈ B. Puisque les tenseurs élémentaires engendrent le produit tensoriel M ⊗A B, on en déduit µ1B = IdM ⊗A B , c’est-à-dire 1B • z = z pour tout z ∈ M ⊗A B. On doit maintenant montrer que pour tous b01 , b02 ∈ B et tout z ∈ M ⊗A B, on a (b01 b02 ) • z = b01 • (b02 • z). Autrement dit, on doit montrer que µb01 b02 = µb01 ◦ µb02 . Il suffit de le faire sur les tenseurs élémentaires, ce qui est immédiat. On doit ensuite vérifier que pour tout b0 ∈ B et tous z1 , z2 ∈ M ⊗A B, on a b0 • (z1 + z2 ) = b0 • z1 + b0 • z2 . III.4. EXTENSION DES SCALAIRES 83 On doit donc montrer µb0 (z1 + z2 ) = µb0 (z1 ) + µb0 (z2 ). Mais, µb0 étant linéaire, c’est un morphisme de groupes abéliens, et l’égalité cidessus est donc vérifiée. Il faut enfin vérifier que pour tous b01 , b02 ∈ B et tout z ∈ B, on a (b01 + b02 ) • z = b01 • z + b02 • z, c’est-à-dire µb01 +b02 = µb01 + µb02 . Il suffit encore une fois de le faire sur les tenseurs élémentaires, ce qui est immédiat. Par définition, on a b0 • (x ⊗ b) = µb0 (x ⊗ b) = x ⊗ bb0 pour tout x ∈ M, et tous b, b0 ∈ B. Pour montrer la dernière partie du lemme, il suffit de le faire sur les tenseurs élémentaires. Or, pour tout a ∈ A, tout b ∈ B, et tout x ∈ M , nous avons a ∗ (x ⊗ b) = = = = = ρ(a) • (x ⊗ b) x ⊗ bρ(a) x ⊗ ρ(a)b x⊗a∗b a·(x ⊗ b), la dernière égalité provenant de la définition de la structure de A-module sur un produit tensoriel. Ceci achève la démonstration du lemme. On a donc muni M ⊗A B d’une structure de B-module, et dont la structure de A-module induite par le morphisme ρ : A −→ B coı̈ncide avec la structure de A-module du produit tensoriel des A-modules M et B. Remarque III.4.7. Les tenseurs x ⊗ 1, avec x ∈ M , engendrent le B-module M ⊗A B. En effet, le groupe abélien M ⊗A B est engendré par les tenseurs élémentaires. Or, on a x ⊗ b = x ⊗ 1·b = b • (x ⊗ 1) pour tout x ∈ M, et tout b ∈ B, d’où le résultat. Remarquons que l’on a une application naturelle ι : M −→ M ⊗A B x 7−→ x ⊗ 1. Cette application est A-linéaire. En effet, pour tout a ∈ A et tout x ∈ M , on a ι(a·x) = a·x ⊗ 1 = a·(x ⊗ 1) = a ∗ (x ⊗ 1) = a ∗ ι(x). Lemme III.4.8. Le couple (M ⊗A B, ι) est une extension des scalaires de M à B. Autrement dit, pour tout B-module N , et toute application linéaire ϕ : M −→ N, il existe une unique application B-linéaire f : M ⊗A B −→ N vérifiant f (x ⊗ 1) = ϕ(x) pour tout x ∈ M. Démonstration. L’unicité de f provient du fait que les éléments x ⊗ 1 engendrent le B-module M ⊗A B, d’après la remarque III.4.7. Montrons maintenant l’existence d’un tel f . Montrons que l’application ψ : M × B −→ N (x, b) 7−→ b·ϕ(x) 84 III. PRODUIT TENSORIEL DE MODULES est A-bilinéaire. On voit facilement qu’elle est bi-additive. Soit a ∈ A. Pour tout x ∈ M , b ∈ B, on a ψ(a·x, b) = b·ϕ(a·x) = b· a ∗ ϕ(x) = b· ρ(a)·ϕ(x) = bρ(a)·ϕ(x) = ρ(a)b·ϕ(x) = ρ(a)· b·ϕ(x) = a ∗ ψ(x, b). D’autre part, on a ψ(x, a ∗ b) = ψ x, ρ(a)b = ρ(a)b·ϕ(x) = ρ(a)· b·ϕ(x) = a ∗ ψ(x, b), d’où la bilinéarité de ψ. Il existe donc une unique application A-linéaire f : M ⊗A B −→ N vérifiant f (x ⊗ b) = b·ϕ(x) pour tout x ∈ M, et tout b ∈ B. En particulier, on a f (x ⊗ 1) = ϕ(x) pour tout x ∈ M. Vérifions que f est B-linéaire. Puisque f est A-linéaire, f est un morphisme de groupes. Il reste donc à montrer que f (b • z) = b·f (z) pour tout z ∈ M ⊗A B, et tout b ∈ B. Il suffit de le faire pour les tenseurs élémentaires, puisqu’ils engendrent M ⊗A B comme groupe abélien. Mais alors, pour tous b, b0 ∈ B et tout x ∈ M , on a f b • (x ⊗ b0 ) = f (x ⊗ b0 b) = b0 b·ϕ(x) = bb0 ·ϕ(x) = b· b0 ·ϕ(x) = b·f (x ⊗ b0 ). Ceci achève la démonstration. L’exemple III.4.2 (2) et le lemme III.4.3 nous donnent alors immédiatement le résultat suivant. Lemme III.4.9. Soit S une partie multiplicative de A, et soit ρ : A −→ S −1 A l’application canonique associée. Pour tout A-module M , il existe un unique isomorphisme de S −1 A-modules ∼ f : M ⊗A S −1 A −→ S −1 M vérifiant x pour tout x ∈ M. 1 Remarque III.4.10. Soient ρ : A −→ B, ρ0 : B −→ C deux morphismes d’anneaux. L’unicité de l’extension des scalaires et le lemme III.4.4 montrent qu’il existe un unique isomorphisme de C-modules f (x ⊗ 1) = ∼ f : (M ⊗A B) ⊗B C −→ M ⊗A C vérifiant f (x ⊗ 1) ⊗ 1 = x ⊗ 1 pour tout x ∈ M. III.4. EXTENSION DES SCALAIRES 85 De même, puisque (M ⊗A A, ι) et (M, IdM ) sont deux extensions des scalaires de M à A, on retrouve l’isomorphisme de A-modules établi dans le lemme III.1.9. On continue par établir une propriété de fonctorialité de l’extension des scalaires. Lemme III.4.11. Soit ρ : A −→ B un morphisme d’anneaux (commutatifs), et soit f : M −→ N une application A-linéaire. Alors, il existe une unique application B-linéaire fB : M ⊗A B −→ N ⊗A B vérifiant fB (x ⊗ 1) = f (x) ⊗ 1 pour tout x ∈ M. De plus, on a (IdM )B = IdM ⊗A B , et si g : N −→ P est une autre application A-linéaire, on a (g ◦ f )B = gB ◦ fB . En particulier, si f est isomorphisme de A-modules, alors fB est un isomorphisme de B-modules. Démonstration. L’unicité d’une telle application B-linéaire provient du fait que les éléments x ⊗ 1 engendrent M ⊗A B comme B-module, par la remarque III.4.7. Pour montrer l’existence de fB , il suffit de remarquer que l’application ϕ : M −→ N ⊗A B x 7−→ f (x) ⊗ 1 est A-linéaire. On applique alors la propriété universelle de l’extension des scalaires. Pour établir la deuxième partie du lemme, il suffit de vérifier les égalités souhaitées sur les tenseurs x ⊗ 1, ce qui est immédiat. Il est alors clair que si f est un isomorphisme de A-modules, alors fB est un isomorphisme de B-modules, d’inverse (f −1 )B . Nous continuons en montrant que l’extension des scalaires d’un module libre est un module libre. Lemme III.4.12. Soit ρ : A −→ B un morphisme d’anneaux, et soit M un A-module libre, de base (ei )i∈I . Alors, M ⊗A B est un B-module libre, de base (ei ⊗ 1)i∈I . En particulier, rgB (M ⊗A B) est fini si, et seulement si, rgA (M ) est fini, et dans ce cas on a rgB (M ⊗A B) = rgA (M ). Démonstration. Puisque (ei )i∈I est une base de M , l’application linéaire f : A(I) −→ XM (xi )i∈I 7−→ xi ·ei i∈I est un isomorphisme de A-modules. Mais alors, fB : A(I) ⊗A B −→ M ⊗A B est un isomorphisme de B-modules d’après le lemme précédent, donc un isomorphisme de A-modules. Si (εi )i∈I la base canonique de A(I) , on a fB (εi ⊗ z) = ei ⊗ z pour tout i ∈ I, et tout z ∈ B. 86 III. PRODUIT TENSORIEL DE MODULES D’après le corollaire III.2.9, l’application A-linéaire g : B (I) −→ X A(I) ⊗A B (zi )i∈I 7−→ εi ⊗ zi i∈I est un isomorphisme de A-modules. Ainsi, l’application ϕ : B (I) −→ M X⊗A B (zi )i∈I 7−→ ei ⊗ zi i∈I est un isomorphisme de A-modules. Or, ϕ est B-linéaire. En effet, pour tout b ∈ B et tout (zi )i∈I , on a ϕ b·(zi )i∈I = X ϕ (bzi )i∈I = ei ⊗ bzi i∈I X = b • ei ⊗ zi i∈I X = b• ei ⊗ zi i∈I = b • ϕ (zi )i∈I . Par conséquent, ϕ est un isomorphisme de B-modules. Il envoie donc une base de B (I) sur une base de M ⊗A B. Comme ϕ envoie la base canonique de B (I) sur (ei ⊗ 1)i∈I , on en déduit le résultat. Remarque III.4.13. Soit M un A-module libre de rang n, de base e = (e1 , . . . , en ). Si f ∈ EndA (M ), et si eB = (e1 ⊗ 1, . . . , en ⊗ 1), on a Mat(fB , eB ) = Mat(f, e). Ainsi, l’extension des scalaires M ⊗A B peut se voir comme une généralisation du complexifié d’un espace vectoriel réel. Intéressons-nous à l’extension des scalaires obtenue via la projection canonique A −→ A/I, où I est un idéal de A. Pour tout A-module M , l’idéal I agit trivialement sur le A-module M/I·M par définition de I·M . Ainsi, le groupe abélien M/I·M possède une structure naturelle de A/I-module définie par A/I × M/I·M −→ M/I·M (ã, x) 7−→ a·x. Lemme III.4.14. Soit Iun idéal d’un anneau A, et soit ρ : A −→ A/I la surjection canonique. Pour tout A-module M , il existe un unique isomorphisme ∼ de A/I-modules f : M ⊗A A/I −→ M/I·M vérifiant f (x ⊗ 1̃) = x pour tout x ∈ M. Démonstration. Soit π : M −→ M/I·M la projection canonique. Nous allons montrer que (M/I·M, π) est une extension des scalaires M à A/I. Le résultat s’ensuivra en utilisant le lemme III.4.3. Soit N un A/I-module, et soit ϕ : M −→ N III.4. EXTENSION DES SCALAIRES 87 une application linéaire. Il faut montrer qu’il existe une unique application A/Ilinéaire f : M/I·M −→ N telle que ϕ = f ◦ π, c’est-à-dire telle que f (x) = ϕ(x) pour tout x ∈ M. Si une telle application existe, elle est nécessairement unique puisque tout élément de M/I·M est de la forme x, avec x ∈ M . Montrons maintenant l’existence de f . Pour cela, montrons que ker(ϕ) ⊂ I·M . Par définition de I·M , il suffit de vérifier que ϕ(a·x) = 0 pour tout a ∈ I, et tout x ∈ M , puisque ϕ est additive. Or, on a ϕ(a·x) = a ∗ ϕ(x) = ρ(a)·ϕ(x) = 0̃·ϕ(x) = 0. D’après le théorème I.1.24, il existe alors une unique application linéaire f : M/I·M −→ N telle que ϕ = f ◦ π. Vérifions que f est également A/I-linéaire : pour tout ã ∈ A/I et tout x ∈ M/I·M , on a f (ã·x) = f (a·x) = f (a·x) = ϕ(a·x) = ρ(a)·ϕ(x) = ã·ϕ(x). On a donc le résultat annoncé. Chapitre IV Extensions entières d’anneaux IV.1. Éléments entiers Définition IV.1.1. Soit A un anneau, et soit B contenant A comme sous-anneau. On dit que x ∈ B est entier sur A s’il existe un polynôme P ∈ A[X] unitaire tel que P (x) = 0. En particulier, tout élément de A est donc entier sur A. On dit que B est entier sur A si tout élément de B est entier sur A. √ 1+ 5 Exemple IV.1.2. Le réel φ = est entier sur Z, puisque l’on a 2 φ2 − φ − 1 = 0. Le lemme suivant donne diverses caractérisations des éléments entiers. Lemme IV.1.3. Soit A un anneau, et soit B contenant A comme sous-anneau. Pour tout x ∈ B, les conditions suivantes sont équivalentes : (1) l’élément x est entier sur A ; (2) le sous-anneau A[x] engendré par A et x est un A-module de type fini ; (3) le sous-anneau A[x] est contenu dans un sous-anneau M de B qui est un A-module de type fini ; (4) il existe un A[x]-module M d’annulateur trivial, et qui est de type fini comme A-module. Démonstration. (1) ⇒ (2). Soit f ∈ A[X] un polynôme unitaire tel que f (x) = 0. Tout élément de A[x] est de la forme P (x), avec P ∈ A[X]. Puisque f est unitaire, on peut effectuer la division euclidienne de P par f , et l’on peut donc écrire P = Qf + R, où Q, R ∈ A[X] et deg(R) ≤ deg(f ) − 1. On en déduit alors P (x) = R(x), et donc P (x) est combinaison linéaire des éléments 1, x, . . . , xn−1 , où n = deg(f ). Ainsi, A[x] est engendré comme A-module par 1, x, . . . , xn−1 , et est donc de type fini. (2) ⇒ (3). Évident. (3) ⇒ (4). Par hypothèse, M est un A-module de type fini. Puisque M est un sousanneau de B contenant A[x], la loi produit induit une structure de A[x]-module sur 89 90 IV. EXTENSIONS ENTIÈRES D’ANNEAUX M . Supposons maintenant que z ∈ A[x] vérifie z·M = 0. Comme M est un sous-anneau de B, il contient 1 et, en particulier, on a z·1 = z = 0. Ainsi, le A[x]-module M est d’annulateur trivial. (4) ⇒ (1). Remarquons tout d’abord que l’on munit le groupe abélien M n d’une structure de Mn (A[x])-module en posant n X z1j ·vj j=1 v1 .. .. (zij ) ∗ . = , n . X vn znj ·vj j=1 pour tout zij ∈ A[x] et tout vj ∈ M . Soient x1 , . . . , xn des générateurs du A-module M . On peut supposer qu’ils sont non nuls. Puisque M est un A[x]-module, on a x·xi ∈ M pour tout i = 1, . . . , n. On peut donc écrire x·xi = n X aij ·xj , aij ∈ A, pour tout i = 1, . . . , n. j=1 Soit C = (aij ) ∈ Mn (A). Les équations précédentes s’écrivent x1 (xIn − C) ∗ ... = 0. xn En faisant agir la transposée de la comatrice de xIn − C, on obtient x1 det(xIn − C)In ∗ ... = 0 pour tout i ∈ J1, nK . xn On a donc det(xIn − C)·xi = 0 pour tout i = 1, . . . , n. Puisque les xi engendrent M , on obtient det(xIn − C)·M = 0, et puisque l’annulateur de M est trivial, on obtient det(xIn − C) = 0. Autrement dit, χC (x) = 0. Or, χC ∈ A[X] est unitaire, et donc x ∈ B est entier sur A. Dans la suite, nous allons établir que l’ensemble des éléments de B entiers sur A forment un anneau. On commence par un lemme. IV.1. ÉLÉMENTS ENTIERS 91 Lemme IV.1.4. Soit A un anneau, et soit B contenant A comme sous-anneau. Soient x1 , . . . , xn ∈ B. Supposons que pour tout i ∈ J1, nK, l’élément xi est entier sur A[x1 , . . . , xi−1 ]. Alors, A[x1 , . . . , xn ] est un A-module de type fini, et tout élément de A[x1 , . . . , xn ] est entier sur A. Démonstration. Montrons par récurrence sur n que A[x1 , . . . , xn ] est un A-module de type fini. Le cas n = 1 provient du lemme précédent. Supposons maintenant que le résultat soit vrai au rang n ≥ 1, et montrons qu’il est vrai au rang n + 1. Par hypothèse, xn+1 est entier sur l’anneau M = A[x1 , . . . , xn ]. Alors, d’après le lemme précédent, M [xn+1 ] est un M -module de type fini. Soient y1 , . . . , yr des générateurs de ce M -module. Par hypothèse de récurrence, M est un A-module de type fini, engendré disons par s éléments z1 , . . . , zs . Il est alors facile de constater que la famille (yi zj )1≤i≤r,1≤j≤s est une famille génératrice de M [xn+1 ], ce qui achève la récurrence. Montrons la dernière partie. Si x ∈ A[x1 , . . . , xn ], alors A[x] est un sous-anneau de A[x1 , . . . , xn ]. Comme A[x1 , . . . , xn ] est un A-module de type fini, x est entier sur A (d’après le lemme précédent). Corollaire IV.1.5. Soit A un anneau, et soit B contenant A comme sous-anneau. Alors, l’ensemble des éléments de B entiers sur A est un sous-anneau de B contenant A. Démonstration. Soit C l’ensemble des éléments de B entiers sur A. Alors, C contient A. Soient maintenant x, y ∈ C. Puisque y est entier sur A, il est entier sur A[x]. D’après le lemme IV.1.4, tous les éléments de A[x, y] sont entiers sur A. En particulier, 0, 1, x ± y et xy sont entiers sur A, et C est donc un sous-anneau de B. Définition IV.1.6. Soit A un anneau, et soit B contenant A comme sous-anneau. On appelle fermeture intégrale de A dans B l’ensemble des éléments de B entiers sur A. D’après le corollaire précédent, c’est un sous-anneau de B contenant A. On dit que B est entier sur A si tout élément de B est entier sur A, c’est-à-dire si B est égal à la fermeture intégrale de A dans B. On dit que A est intégralement fermé dans B si les seuls éléments de B entiers sur A sont les éléments de A, c’est-à-dire si la fermeture intégrale de A dans B est égale à A. On démontre maintenant une propriété de transitivité de l’intégralité. Proposition IV.1.7. Soient C un anneau, B un sous-anneau de C et A un sousanneau de B. Si C est entier sur B, et B est entier sur A, alors C est entier sur A. Démonstration. Soit c ∈ C. Par hypothèse, il existe b0 , . . . , bn−1 ∈ B tels que cn + bn−1 cn−1 + · · · + b0 = 0. Ainsi, c est entier sur A[b0 , . . . , bn−1 ]. De plus, par hypothèse, chaque bi est entier sur A, donc sur A[b0 , . . . , bi−1 ], pour tout i ∈ J1, n − 1K . Par le lemme IV.1.4, tout élément de A[b0 , . . . , bn−1 , c] est entier sur A. En particulier, c est entier sur A. Ceci achève la démonstration. 92 IV. EXTENSIONS ENTIÈRES D’ANNEAUX On va maintenant introduire la notion d’anneau intégralement clos. Si A est un anneau intègre, le morphisme d’anneaux ιA : A −→ KA a 7−→ a1 est injectif. Pour éviter les lourdeurs de notation, on identifiera A à son image dans son corps des fractions. Définition IV.1.8. Soit A un anneau intègre. La clôture intégrale de A est la fermeture intégrale de A dans son corps des fractions. On dit que A est intégralement clos s’il est intègre et intégralement fermé dans son corps des fractions, autrement dit si tout élément de KA , entier sur A, appartient à A. Exemples IV.1.9. (1) Tout anneau factoriel est intégralement clos. a En effet, soit x = ∈ KA . Après simplification par un pgcd de a et b, on b peut supposer a et b premiers entre eux. Supposons que x soit entier sur A. Il existe donc a0 , . . . , an−1 ∈ A tels que xn + an−1 xn−1 + · · · + a1 x + a0 = 0. En multipliant cette équation par bn , on obtient an + an−1 an−1 b + · · · + a1 abn−1 + a0 bn = 0. Supposons que b possède un diviseur irréductible π. Alors, π divise an−1 an−1 b+ · · · + a0 bn . En utilisant l’équation précédente, on voit que π | an . Puisque π est irréductible et que A est factoriel, on en déduit que π | a. Or, ceci est impossible car a et b sont premiers entre eux. Donc b est inversible dans A, et x = ab−1 ∈ A. √ (2) L’anneau Z[ 5] n’est pas intégralement clos. √ √ √ 1+ 5 En effet, φ = ∈ KA = Q( 5) est entier sur Z, donc sur Z[ 5], 2 √ mais φ ∈ / Z[ 5]. Théorème IV.1.10. Soit A un anneau intégralement clos, et soit L/KA une extension de degré fini. Alors, x ∈ L est entier sur A si, et seulement si, son polynôme minimal sur KA est à coefficients dans A. Démonstration. Soit P le polynôme minimal de x sur KA . Si P ∈ A[X], alors x est entier sur A, par définition. Réciproquement, supposons que x ∈ L soit entier sur A. Il existe donc un polynôme unitaire Q ∈ A[X] non constant tel que Q(x) = 0. Soient x = x1 , . . . , xn les racines (non nécessairement distinctes) de P . Puisque P | Q par définition du polynôme minimal de x, Q(xi ) = 0 pour tout i ∈ J1, nK , et donc les xi sont entiers sur A. Comme les coefficients de P sont des sommes ou des différences de produits des xi , ce sont des éléments entiers sur A, car l’ensemble des éléments de L entiers sur A forment un sous-anneau de L par le corollaire IV.1.5. Ainsi, les coefficients de P sont des éléments de KA entiers sur A. Puisque A est intégralement clos, ils appartiennent à A, et donc P ∈ A[X]. IV.2. EXTENSIONS ENTIÈRES D’ANNEAUX 93 Remarque IV.1.11. Ce critère est surtout utile pour démontrer qu’un élément de √ √ 5 L n’est pas entier sur A. Par exemple, l’élément de Q( 5) n’est pas entier sur 2 5 Z, car son polynôme minimal sur Q est X 2 − . 4 En revanche, pour montrer qu’un élément de L est entier sur A, il n’est pas nécessaire de calculer son polynôme minimal. Il suffit pour cela d’exhiber un polynôme unitaire de A[X] annulant x. On finit ces considérations par une caractérisation des anneaux intégralement clos. Théorème IV.1.12. Soit A un anneau intègre. Alors, A est intégralement clos si, et seulement si, tout polynôme unitaire irréductible de A[X] est encore irréductible dans KA [X]. Démonstration. Supposons que tout polynôme unitaire irréductible de A[X] est encore irréductible dans KA [X], et soit x ∈ KA qui est entier sur A. Il existe donc P ∈ A[X] unitaire tel que P (x) = 0. Choisissons P de degré minimal. Alors, P est irréductible dans A[X]. En effet, P est non nul, et possède au moins une racine dans KA , donc P est non constant. Comme A est intègre, on a A[X]× = A× . En particulier, P est non inversible. Supposons maintenant que P = QR, avec Q, R ∈ A[X]. Comme P est unitaire, en comparant les coefficients dominants, on voit que les coefficients dominants sont inversibles, et inverses l’un de l’autre. Quitte à multiplier Q et R par un élément inversible, on peut les supposer unitaires. Par intégrité de A, on a Q(x) = 0 ou R(x) = 0, disons Q(x) = 0. Mais alors, R est constant, car sinon on aurait deg(Q) < deg(P ), ce qui contredirait le choix de P . Comme R est unitaire, R = 1 ∈ A[X]× , d’où l’irréductibilité de P dans A[X]. Par hypothèse, P est irréductible dans KA [X]. C’est donc le polynôme minimal de x sur KA , à savoir X − x. Comme P ∈ A[X], on a x ∈ A, et A est intégralement clos. Inversement, supposons A intégralement clos, et soit P ∈ A[X] un polynôme unitaire irréductible. Soit Q ∈ KA [X] un facteur irréductible unitaire de P. Soit x ∈ (KA )alg une racine de Q. Alors, P (x) = 0, et donc x est entier sur A. Par définition, Q est le polynôme minimal de x sur KA . Par le théorème IV.1.10, Q ∈ A[X]. Mais alors, Q est irréductible dans A[X]. En effet, Q est non constant car il est irréductible dans KA [X]. De plus, si Q est produit de deux polynômes de A[X], on peut comme précédemment les supposer unitaires. En regardant cette décomposition dans KA [X], on constate qu’un des deux polynômes est constant, et par conséquent égal à 1. Comme Q | P , et P et Q sont tous deux irréductibles unitaires, on a P = Q, et P est irréductible dans KA [X], ce qui achève la démonstration. IV.2. Extensions entières d’anneaux Définition IV.2.1. Un morphisme d’anneaux ϕ : A −→ B est dit entier si B est entier sur ϕ(A). Exemple IV.2.2. Soit ϕ : A −→ B un morphisme d’anneaux. Si B est de type fini comme A-module (pour la structure de A-module induite par ϕ), alors ϕ est entier. 94 IV. EXTENSIONS ENTIÈRES D’ANNEAUX En effet, soit A0 = ϕ(A). Par définition, B est un A0 -module de type fini. Mais alors, pour tout x ∈ B, on a A0 [x] ⊂ B, et x est entier sur A0 par le lemme IV.1.3. Le lemme suivant est crucial. Lemme IV.2.3. Soit ϕ : A −→ B un morphisme entier injectif, où A et B sont intègres. Alors, A est un corps si, et seulement si, B est un corps. Démonstration. Supposons que A soit un corps K. Alors, K 0 = ϕ(K) est aussi un corps. Soit b ∈ B \ {0}. Par hypothèse, b est entier sur K 0 , et donc K 0 [b] est un K 0 espace vectoriel de dimension finie. Par intégrité, la multiplication par b dans K 0 [b] est K 0 -linéaire et injective. Elle est donc surjective, et il existe alors b0 ∈ K 0 [b] ⊂ B tel que bb0 = 1. Ainsi, b est inversible, et B est un corps. Inversement, supposons que B soit un corps, et soit A0 = ϕ(A). Soit a ∈ A non nul. Comme ϕ est injectif, b = ϕ(a) ∈ A0 ⊂ B est non nul, et est donc inversible dans B. Soit c ∈ B l’inverse de b dans B. Par hypothèse, B est entier sur A0 . Il existe donc a00 , . . . , a0n−1 ∈ A0 tels que cn + a0n−1 cn−1 + · · · + a01 c + a00 = 0. En multipliant cette égalité par bn−1 , on obtient c = −a0n−1 − · · · − a01 bn−2 − a01 bn−1 ∈ A0 . Par conséquent, c est un inverse de b dans A0 . Par injectivité de ϕ, on en déduit aisément que a est inversible dans A. Ceci achève la démonstration. Nous allons nous intéresser dans la suite aux relations entre les idéaux premiers de A et ceux de B, lorsque ϕ : A −→ B est une extension entière. On commence par un lemme. Lemme IV.2.4. Soit ϕ : A −→ B un morphisme d’anneaux, et soit q un idéal premier de B. Alors, ϕ−1 (q) est un idéal premier de A. Si de plus ϕ : A −→ B est entier et injectif, alors q est un idéal maximal de B si, et seulement si, ϕ−1 (q) est un idéal maximal de A. Démonstration. Soit q un idéal premier de B, et soit p = ϕ−1 (q). Le noyau du morphisme A −→ B/q est par définition p. On a donc un morphisme injectif ϕ : A/p ,→ B/q. Comme q est premier, B/q est intègre, et par suite A/p est intègre. Ainsi, p est premier. Supposons maintenant que ϕ : A −→ B soit entier et injectif. Alors, ϕ : A/p ,→ B/q est un morphisme entier. Il suffit alors d’appliquer le lemme IV.2.3 pour conclure. On va maintenant démontrer un théorème de structure des K-algèbres de type fini, qui est un grand classique d’algèbre commutative. On commence par un lemme, dû à Nagata. IV.2. EXTENSIONS ENTIÈRES D’ANNEAUX 95 Lemme IV.2.5 (Nagata). Soit K un corps, soit r ≥ 1 un entier, et soit P ∈ K[X1 , . . . , Xr ] un polynôme non constant en Xr . Alors, il existe des entiers m1 , . . . , mr−1 ≥ 1 et λ ∈ K × tels que le polynôme Q = λP (Y1 + Yrm1 , . . . , Yr−1 + Yrmr−1 , Yr ) ∈ K[Y1 , . . . , Yr−1 ][Yr ] soit unitaire en Yr . Démonstration. Écrivons P (X1 , . . . , Xn ) = X aα X α , où aα 6= 0 pour tout α ∈ I, α∈I mr−1 et posons Q = λP (Y1 + Yrm1 , . . . , Yr−1 + Yr λ ∈ K × restent à déterminer. On a Q=λ X aα Yrαn α , Yr ), où les entiers m1 , . . . , mr et r−1 Y (Yi + Yrmi )αi . i=1 Si on pose m1 .. m = . , mr−1 1 on constate que le terme dominant en Yr du polynôme aα Yrαn r−1 Y (Yi + Yrmi )αi est i=1 aα Yrα·m , où · désigne le produit scalaire usuel. Le terme dominant en Yr dans le polynôme Q est donc le terme dominant de X λ aα Yrα·m . α∈I Choisissons un entier d > 1 strictement plus grand que toutes les coordonnées des éléments α ∈ I, et posons Alors, l’écriture mi = di pour tout i ∈ J1, r − 1K . α·m = r X αi mi = αr + i=1 r−1 X αi di i=1 est une écriture en base d, donc unique. En particulier, toutes les puissances présentes dans la somme précédente n’interviennent qu’une et une seule fois. Si on choisit α0 ∈ I tel que soit maximal, alors le coefficient dominant de Q est λaα0 , et il suffit de poser λ = a−1 α0 pour achever la démonstration. On en vient au théorème de normalisation de Noether. Rappelons tout d’abord une définition. Définition IV.2.6. Soit B un anneau, soit A un sous-anneau de B, et soient x1 , . . . , xn ∈ B. On dit que x1 , . . . , xn ∈ B sont algébriquement indépendants sur A si le morphisme d’évaluation A[X1 , . . . , Xn ] −→ B P 7−→ P (x1 , . . . , xn ) 96 IV. EXTENSIONS ENTIÈRES D’ANNEAUX est injectif. Dans ce cas, le morphisme d’évaluation induit un isomorphisme de A-algèbres A[X1 , . . . , Xn ] ' A[x1 , . . . , xn ]. Théorème IV.2.7 (de normalisation de Noether). Soit K un corps, et soit A une K-algèbre de type fini, engendrée par r éléments. Alors, il existe un entier m ≥ 0 et des éléments y1 , . . . , ym ∈ A vérifiant les propriétés suivantes : (1) les éléments y1 , . . . , ym sont algébriquement indépendants sur K ; (2) A est entier sur K[y1 , . . . , ym ]. Démonstration. Soient x1 , . . . , xr ∈ A des générateurs de A. Nous allons démontrer le résultat par récurrence sur r. Si r = 0, A = K et le résultat est trivial. Supposons avoir montré le résultat pour tout K-algèbre engendrée par r − 1 générateurs, pour un certain entier r ≥ 1, et soit A une K-algèbre engendrée par r éléments x1 , . . . , xr . Si x1 , . . . , xr sont algébriquement indépendants, on pose m = r et yi = xi pour tout i ∈ J1, rK , et on a fini. Si x1 , . . . , xr sont algébriquement liés, il existe un polynôme non constant P ∈ K[X1 , . . . , Xr ] tel que P (x1 , . . . , xr ) = 0. Quitte à changer la numérotation, on peut supposer que P est non constant en Xr . D’après le lemme de Nagata, il existe des entiers m1 , . . . , mr−1 ≥ 1 et λ ∈ K × tels que le polynôme Q = λP (Y1 + Yrm1 , . . . , Yr−1 + Yrmr−1 , Yr ) ∈ K[Y1 , . . . , Yr−1 ][Yr ] soit unitaire en Yr . Soit d ≥ 1 le degré de Q en Yr . Posons mr−1 1 yi = x1 − xm , yr = xr . r , . . . , yr−1 = xr−1 − xr On a donc Q(y1 , . . . , yr−1 , yr ) = λP (x1 , . . . , xr ) = 0. Alors, A = K[x1 , . . . , xr ] = K[y1 , . . . , yr ], et yr est entier sur B = K[y1 , . . . , yr−1 ] (car Q est unitaire en Yr . Par hypothèse de récurrence, il existe des éléments z1 , . . . , zs ∈ B algébriquement indépendants sur K tels que B soit entier sur C = K[z1 , . . . , zs ]. Comme A est entier sur B et B est entier sur C, A est entier sur C par la proposition IV.1.7. Ceci achève la récurrence, ainsi que la démonstration. On finit ce chapitre par un théorème dû à Cohen et Seidenberg. Auparavant, nous aurons besoin d’un petit lemme. Lemme IV.2.8. Soit B un anneau, que l’on suppose entier sur un sous-anneau A. Alors, pour tout idéal propre a de A, l’idéal aB est un idéal propre de B. Démonstration. Supposons que aB = B. On va montrer que a = A. Par hypothèse, il existe a1 , . . . , an ∈ a, et b1 , . . . , bn ∈ B tels que a1 b1 + · · · + an bn = 1. IV.2. EXTENSIONS ENTIÈRES D’ANNEAUX 97 D’après le lemme IV.1.4, C = A[b1 , . . . , bn ] est un A-module de type fini. De plus, on a aC = C. En effet, l’inclusion aC ⊂ C est claire. D’autre part, l’égalité ci-dessus montre que 1 ∈ aC, et donc que C = 1·C ⊂ (aC)C ⊂ aC. D’après le lemme de Nakayama, il existe a ∈ a tel que (1 + a)C = 0. Or, C contient 1, donc a = −1 ∈ a, et par conséquent a = A. Théorème IV.2.9 (Going up). Soit ϕ : A −→ B un morphisme entier et injectif. Alors : (1) pour tout idéal premier p de A, il existe un idéal premier q de B tel que ϕ−1 (q) = p; (2) soient p ⊂ p0 deux idéaux premiers de A. Pour tout idéal premier q de B tel que ϕ−1 (q) = p, il existe un idéal premier q0 de B tel que q ⊂ q0 et ϕ−1 (q0 ) = p0 ; (3) soient q ⊂ q0 deux idéaux premiers de B tels que ϕ−1 (q) = ϕ−1 (q0 ). Alors, q = q0 . Démonstration. Soit p un idéal premier de A. On commence par montrer (1) dans le cas où ϕ est l’inclusion. On note Ap et Bp les anneaux localisés en S = A \ p. Alors, Ap s’identifie canoniquement à un sous-anneau de Bp , et Bp est entier sur b Ap . En effet, soit x = ∈ Bp . Puisque B est entier sur A, il existe a0 , . . . , an−1 ∈ A s tels que bn + an−1 bn−1 + · · · + a0 = 0. Mais alors, on a an−1 n−1 a0 xn + x + · · · + n = 0, s s et x est entier sur Ap . L’idéal pp est maximal dans Ap donc propre. Le lemme précédent montre alors pp Bp est un idéal propre de Bp . Il est donc contenu dans un idéal maximal m de Bp . On a alors pp ⊂ pp Bp ∩ Ap ⊂ m ∩ Ap . Or, m ∩ Ap 6= Ap , car sinon, on aurait 1Ap = 1Bp ∈ m, ce qui n’est pas le cas puisque m est maximal. Comme pp est maximal dans Ap , on obtient pp = m ∩ Ap . Soient ιp,A : A −→ Ap et ιp,B : B −→ Bp les applications canoniques. Alors, on a ιp,B (a) = ιp,A (a) pour tout a ∈ A. Pour tout a ∈ A, on a alors −1 ι−1 p,A (pp ) = ιp,B (m) ∩ A. D’après le lemme IV.2.4, q = ι−1 p,B (m) est premier, puisque m est maximal, donc premier. Par la proposition II.1.12, on a p = ι−1 p,A (pp ), car p est premier, d’où le résultat si ϕ est l’inclusion. Si maintenant ϕ : A −→ B est un morphisme entier et injectif, alors p0 = ϕ(p) est un idéal premier de A0 = ϕ(A). Comme B est entier sur A0 , il existe un idéal premier q de B tel que q ∩ A0 = p0 . Mais alors, on a p = ϕ−1 (p0 ) = ϕ−1 (q ∩ ϕ(A)) = ϕ−1 (q). 98 IV. EXTENSIONS ENTIÈRES D’ANNEAUX Passons maintenant au point (2), dont on garde les notations. Alors, le morphisme ϕ : A/p −→ B/q est entier et injectif. Comme p0 /p est un idéal premier de A/p, il existe un idéal premier q0 de B contenant q tel que ϕ−1 (q0 /q) = p0 /p. Or, puisque ϕ−1 (q) = p, on vérifie aisément que ϕ−1 (q0 ) contient p et que ϕ−1 (q0 /q) = ϕ−1 (q0 )/p. Mais alors ϕ−1 (q0 ) = p0 . Il reste à démontrer (3). Soit p = ϕ−1 (q) = ϕ−1 (q0 ). On commence par le cas où ϕ est l’inclusion. Dans ce cas, on a p = q ∩ A = q0 ∩ A. En particulier,q et q0 n’intersectent pas B \ p, et les idéaux qp et q0p sont des idéaux premiers de Bp . On vérifie alors aisément que pp = qp ∩ Ap = q0p ∩ Ap . De plus, le morphisme ϕp : Ap −→ Bp induit par l’inclusion est entier et injectif. Puisque pp est maximal, qp et q0p sont maximaux d’après le lemme IV.2.4. Puisque q ⊂ q0 , on a qp ⊂ q0p , puis qp = q0p par maximalité. Comme q et q0 sont premiers, la proposition II.1.12 montre que q = q0 . Si maintenant ϕ : A −→ B est un morphisme entier et injectif, on a ϕ(p) = ϕ(ϕ−1 (q)) = q ∩ ϕ(A) = q0 ∩ ϕ(A). Comme ϕ(p) est un idéal premier de ϕ(A) et que B est entier sur ϕ(A), le premier point montre que q = q0 . Ceci achève la démonstration. Chapitre V Dimension de Krull d’un anneau V.1. Espaces topologiques irréductibles Définition V.1.1. Un espace topologique X est dit irréductible s’il est non vide, et s’il n’est pas réunion de deux fermés stricts. Une partie Y de X est dite irréductible si elle est irréductible pour la topologie induite. Une composante irréductible de X est un sous-espace Y irréductible qui est maximal pour l’inclusion. Exemple V.1.2. Soit X un espace topologique non vide. Alors, tout singleton est irréductible. Remarque V.1.3. Soit Y une partie fermée non vide de X, et soit F ⊂ Y ⊂ X. Alors, les fermés de F pour la topologie induite par X sont les mêmes que ceux de la topologie induite par Y . En effet, si Z est un fermé de Y , il existe un fermé F 0 de X tel que Z = F 0 ∩ Y . Mais alors, Z ∩ F = F 0 ∩ F est aussi un fermé de Y pour la topologie induite par X. Inversement, si Z est fermé dans X, on a Z ∩ F = Z ∩ Y ∩ F = (Z ∩ Y ) ∩ F. Comme Z ∩ Y est un fermé de Y , Z ∩ F est un fermé pour la topologie induite par Y. En particulier, F est fermé dans Y , si et seulement si, F est fermé dans X, et est irréductible pour la topologie induite par Y si, et seulement si, il est irréductible pour la topologie induite par X. Lemme V.1.4. Soit X un espace topologique non vide. Alors, les propriétés suivantes sont équivalentes : (1) X est irréductible ; (2) l’intersection de deux ouverts non vides de X est non vide ; (3) tout ouvert non vide de X est dense. Démonstration. (1) =⇒ (2) . Soient U1 , U2 deux ouverts non vides de X d’intersection vide, et soient F1 , F2 leurs complémentaires respectifs. Par hypothèse, F1 , F2 sont alors des fermés stricts de X tels que X = F1 ∪ F2 , et X n’est donc pas irréductible. (2) =⇒ (3) . Soit U un ouvert non vide. Alors, U et X \ U sont des ouverts disjoints, puisque U ⊂ U . Puisque U est non vide, X \ U est vide par hypothèse, c’est-à-dire U = X. 99 100 V. DIMENSION DE KRULL D’UN ANNEAU (3) =⇒ (1) . Soient F1 , F2 deux fermés stricts de X. Alors, X \ F1 et X \ F2 sont des ouverts non vides, donc denses. En particulier, leur intersection est non vide. Ainsi, F1 ∪ F2 6= X, et X est irréductible. Ceci achève la démonstration. Le théorème suivant montre l’existence de composantes irréductibles. Théorème V.1.5. Soit X un espace topologique non vide. Alors, toute partie irréductible de X est contenu dans une composante irréductible. En particulier, X possède au moins une composante irréductible, et X est la réunion de ses composantes irréductibles. Démonstration. Soit Y une partie irréductible de X, et soit F l’ensemble des parties irréductibles contenant Y , que l’on munit de la relation d’inclusion. Alors, F est non vide, car il contient Y . Montrons que F est inductif. Soit (I, ≤) un ensemble totalement ordonné, et soit (Fi )i∈I une famille d’éléments de F indexée part I et totalement ordonnée : pour tous i, j ∈ I tels que i ≤ j, on a Fi ⊂ Fj . [ Soit F = Fi . Clairement, F contient Y . Montrons que F est irréductible. Soient i∈I U10 , U20 deux ouverts non vides de F . Alors, il existe deux ouverts U1 , U2 de X tels que U10 = U1 ∩ F et U20 = U2 ∩ F . Il existe donc i, j ∈ I tels que U1 ∩ Fi 6= ∅ et U2 ∩ Fj 6= ∅. Si k = max(i, j), on a donc U1 ∩ Fk 6= ∅ et U2 ∩ Fk 6= ∅. Comme Fk est irréductible, d’après le lemme V.1.4 (3), on obtient (U1 ∩ Fk ) ∩ (U2 ∩ Fk ) 6= ∅, et puisque Fk ⊂ F , on en déduit alors que U10 ∩ U20 6= ∅. Ainsi, F est irréductible, toujours par ce même lemme. L’ensemble F est inductif, non vide, donc admet un élément maximal F0 . Si maintenant F 0 est une partie irréductible quelconque de X contenant F0 , alors, Y ⊂ F0 ⊂ F 0 , donc F 0 ∈ F . Par maximalité de F0 , on a F0 = F 0 . Ainsi, F0 est une composante irréductible de X, contenant Y . Montrons la dernière partie. Pour tout x ∈ X, {x} est irréductible, donc est contenue dans une composante irréductible Fx . Ainsi, X possède au moins une composante irréductible, et de plus, on a [ X= Fx . x∈X Ceci achève la démonstration. Le résultat qui suit montre qu’une composante irréductible est nécessairement fermée. Proposition V.1.6. Soit X un espace topologique, et soit Y une partie de X. Alors, Y est irréductible si, et seulement si, Y est irréductible. En particulier, toute composante irréductible de X est fermée. Démonstration. Remarquons tout d’abord que pour tout ouvert U de X, on a U ∩ Y = ∅ ⇐⇒ Y ⊂ X \ U ⇐⇒ Y ⊂ X \ U ⇐⇒ U ∩ Y = ∅. En particulier, Y est non vide si, et seulement si, Y est non vide. V.1. ESPACES TOPOLOGIQUES IRRÉDUCTIBLES 101 Pour tous ouverts U1 , U2 de X, on a alors (U1 ∩Y )∩(U2 ∩Y ) = (U1 ∩U2 )∩Y 6= ∅ ⇐⇒ (U1 ∩U2 )∩Y = (U1 ∩Y )∩(U2 ∩Y ) 6= ∅. Supposons que Y soit irréductible. Soient U10 , U20 deux ouverts non vides de Y . Alors, il existe deux ouverts U1 , U2 de X tels que U10 = U1 ∩ Y et U20 = U2 ∩ Y . Dans ce cas, U1 ∩ Y et U2 ∩ Y sont des ouverts de Y , non vides par le premier point. Les équivalences précédentes montrent alors que U10 et U20 sont d’intersection non vide. D’après le lemme V.1.4 (3), Y est irréductible. Inversement, supposons que Y soit irréductible. Soient U10 , U20 deux ouverts non vides de Y . Alors, il existe deux ouverts U1 , U2 de X tels que U10 = U1 ∩ Y et U20 = U2 ∩ Y . Dans ce cas, U1 ∩ Y et U2 ∩ Y sont des ouverts de Y , non vides par le premier point. Les équivalences précédentes montrent alors que U10 et U20 sont d’intersection non vide. D’après le lemme V.1.4 (3), Y est irréductible. Si maintenant Y est une composante irréductible de X, alors Y est un fermé irréductible contenant Y . Par maximalité de Y , on a Y = Y , et Y est fermée. Ceci achève la démonstration. En général, il n’y a aucune raison pour que X possède un nombre fini de composantes irréductibles (penser à R muni de la topologie discrète). Nous allons maintenant nous intéresser aux espaces noethériens, pour lesquels cela devient vrai. Définition V.1.7. Un espace topologique X est dit noethérien si toute suite décroissante de fermés est stationnaire. Comme pour les anneaux noethériens, on a une caractérisation des espaces topologiques noethériens. Lemme V.1.8. Soit X un espace topologique non vide. Alors, X est noethérien si, et seulement si, tout ensemble non vide de fermés de X possède un élément minimal pour l’inclusion. Démonstration. Supposons que X soit noethérien, et soit F un ensemble non vide de fermés de X. Supposons que F ne possède pas d’élément minimal, et soit Y0 ∈ F . Puisque Y0 n’est pas minimal, il existe Y1 ∈ F tel que Y0 ) Y1 . Par récurrence, on construit une famille de fermés de X strictement décroissante, ce qui contredit la noethérianité de X. Ainsi, F possède un élément minimal. Supposons maintenant que toute famille non vide de fermés de X possède un élément minimal pour l’inclusion. Soit Y0 ⊃ Y1 ⊃ · · · ⊃ Yn ⊃ Yn+1 ⊃ · · · une suite décroissante de fermés de X. L’ensemble F = {Yn | n ≥ 0} possède un élément minimal YN . Comme YN ⊂ Yn pour tout n ≥ N , par minimalité, on obtient Yn = YN , et la suite (Yn )n≥0 est stationnaire. Ceci achève la démonstration. Théorème V.1.9. Soit X un espace topologique noethérien non vide. Alors : (1) pour toute partie fermée Y non vide de X, il existe des fermés irréductibles Y1 , . . . , Yr tels que Y = Y1 ∪ · · · ∪ Yr 102 V. DIMENSION DE KRULL D’UN ANNEAU et Yi 6⊂ Yj pour tous i, j ∈ J1, rK , i 6= j; (2) si X1 , . . . , Xr sont des fermés irréductibles tels que X = X1 ∪ · · · ∪ Xr et Xi 6⊂ Xj pour tous i, j ∈ J1, rK , i 6= j, alors X1 , . . . , Xr sont les composantes irréductibles de l’espace topologique X. (3) l’ensemble des composantes irréductibles de X est fini et X est la réunion de ses composantes irréductibles. Démonstration. Soit F l’ensemble des parties fermées non vides Y de X ne s’écrivant pas comme réunion finie de fermés irréductibles de X. Supposons que F soit non vide. D’après le lemme V.1.8, F possède un élément minimal Y . Alors, Y n’est pas irréductible, sinon Y ∈ / F . Ainsi, Y est réunion de deux fermés stricts Y1 et Y2 de X (donc en particulier non vides). Par minimalité de Y , on a Y1 , Y2 ∈ / F. Par conséquent, Y1 et Y2 sont réunions finies de parties irréductibles, et il en est de même de Y , d’où une contradiction. Ainsi, F est vide. Ainsi, pour tout Y fermé dans X, Y est réunion d’un nombre fini de fermés irréductibles Y1 , . . . , Ys . Si Yi ⊂ Yj pour certains indices i 6= j, on peut retirer Yi sans changer la réunion. On obtient alors la décomposition voulue, d’où (1). Montrons (2). Soit X = X1 ∪ · · · ∪ Xr une décomposition vérifiant les conditions de l’énoncé. On commence par démontrer que X1 , . . . , Xr sont des composantes irréductibles. On sait déjà que X1 , . . . , Xr sont des fermés irréductibles. Soit i ∈ J1, rK, et soit Y une partie irréductible telle que Xi ⊂ Y. Alors, on a Y = (X1 ∩ Y ) ∪ · · · ∪ (Xr ∩ Y ). Montrons qu’il existe j ∈ J1, rK tel que Xj ∩ Y = Y par récurrence sur r. Si r = 1, le résultat est clair. Si r ≥ 2, soit X1 ∩Y = Y et dans ce cas, on a fini, soit X1 ∩Y 6= Y et par irréductibilité de Y , on a Y = (X2 ∩ Y ) ∪ · · · ∪ (Xr ∩ Y ). Par hypothèse de récurrence, il existe j ∈ J2, rK tel que Xj ∩ Y = Y , ce qui achève la récurrence. Ainsi, on a Y = Xj ∩ Y pour un certain j ∈ J1, rK. Mais alors, on a Xi ⊂ Y ⊂ Xj . Par hypothèse, on a i = j, d’où Y = Xi . Ainsi, Xi est maximal pour l’inclusion, et est donc une composante irréductible de X. Si maintenant Y est une composante irréductible de X, nous allons montrer que Y = Xi pour un certain i ∈ J1, rK . Comme précédemment, on a Y = (X1 ∩ Y ) ∪ · · · ∪ (Xr ∩ Y ), et il existe i ∈ J1, rK tel que Y ⊂ Xi . Par maximalité de Y , on a Y = Xi . Ceci démontre que l’ensemble des composantes irréductibles est contenu dans l’ensemble {X1 , . . . , Xr }. Comme X1 , . . . , Xr sont des composantes irréductibles, il y a en fait égalité, d’où (2). Le point (3) est alors immédiat, et ceci achève la démonstration. V.2. SPECTRE D’UN ANNEAU 103 Remarque V.1.10. L’énoncé montre que pour trouver les composantes irréductibles d’un espace topologique noethérien, il suffit d’écrire X comme réunion finie de fermés irréductibles, puis d’éliminer les parties inutiles, de façon à ce qu’aucun fermé de la décomposition ne soit contenu dans un autre. Les fermés irréductibles restants sont alors les composantes irréductibles de X. Le paragraphe suivant est consacré à l’étude d’un exemple. V.2. Spectre d’un anneau Commençons par définir l’objet principal de ce paragraphe. Définition V.2.1. Soit A un anneau commutatif. Le spectre de A est l’ensemble des idéaux premiers de A. On le note Spec(A). Il est vide si, et seulement si A est trivial (puisque tout anneau non trivial possède un idéal maximal, donc premier). Le lemme suivant va nous permettre de définir une topologie sur le spectre d’un anneau. Lemme V.2.2. Soit A un anneau commutatif non trivial. Pour tout idéal a de A, on pose V (a) = {p ∈ Spec(A) | a ⊂ p}. Alors, on a les propriétés suivantes : (1) V (A) = ∅ et V ((0)) = Spec(A) ; (2) on a V (a1 ) ∪ V (a2 ) = V (a1 a2 ) pour tous idéaux a1 , a2 ; \ X (3) pour toute famille (ai )i∈I d’idéaux, on a V (ai ) = V ( ai ). i∈I i∈I Démonstration. Le premier point est clair. Montrons (2). Cela revient à montrer que pour tout idéal premier p, on a a1 a2 ⊂ p ⇐⇒ a1 ⊂ p ou a2 ⊂ p. Supposons que a1 a2 ⊂ p, et que a1 6⊂ p. Il existe donc a1 ∈ a1 tel que a1 ∈ / p. Pour tout a2 ∈ a2 , on a a1 a2 ∈ p par hypothèse. Comme p est premier, on a a2 ∈ p, et ainsi a2 ⊂ p. Si maintenant a1 ⊂ p ou a2 ⊂ p, alors a1 a2 ∈ p pour tout a1 ∈ a1 et tout a2 ∈ a2 . Mais alors, a1 a2 ⊂ p. Il reste à vérifier (3). On doit montrer que pour tout idéal premier p, on a X ai ⊂ p pour tout i ∈ I ⇐⇒ ai ⊂ p, i∈I ce qui est clair. Ceci achève la démonstration. Le lemme précédent montre que les ensembles V (a), où a décrit l’ensemble des idéaux de A, vérifient les axiomes des fermés d’une topologie. Définition V.2.3. Soit A un anneau commutatif non trivial. La topologie sur Spec(A) dont les fermés sont les ensembles V (a), où a décrit l’ensemble des idéaux de A, s’appelle la topologie de Zariski. 104 V. DIMENSION DE KRULL D’UN ANNEAU Avant d’étudier plus en détail l’espace topologique Spec(A), nous avons besoin de la notion de radical d’un idéal. Lemme V.2.4. Soit A un anneau commutatif. Pour tout idéal a, on pose √ a = {a ∈ A | il existe n ≥ 1 tel que xn ∈ a}. √ Alors, a est un idéal de A contenant a, et on a \ √ a= p. p∈V (a) De plus, on a q √ a= √ a pour tout idéal a. Démonstration. Soit π : A −→ A/a la projection canonique. D’après le théorème II.1.13, Nil(A/a) est un idéal de A/a, et c’est l’intersection de tous les idéaux premiers de A/a. Alors, a0 = π −1 (Nil(A/a)) est un idéal de A contenant a. De plus, on a a0 = = = = {a ∈ A | a ∈ Nil(A/a)} {a ∈ A | il existe n ≥ 1 tel que an = 0} n {a √ ∈ A | il existe n ≥ 1 tel que a ∈ a} a. D’autre part, les idéaux premiers de A/a sont exactement les idéaux de la forme π(p), où p est un idéal premier de A contenant a. On a donc aussi \ \ \ a0 = π −1 ( π(p)) = π −1 (π(p)) = p. p∈V (a) p√ p∈V (a) p∈V (a) p√ √ Enfin, l’inégalité a⊂ a est claire. Inversement, si a ∈ a, il existe n ≥ 1√tel √ que an ∈ a. Mais alors, il existe m ≥ 1 tel que (an )m = anm ∈ a. Ainsi, a ∈ a, d’où l’égalité q √ √ a = a. Ceci achève la démonstration. √ Définition V.2.5. Soit A un anneau commutatif. Pour tout idéal a, a est appelé le radical de a . √ On dit qu’un idéal a est radical si a = a. Exemples V.2.6. (1) Tout idéal premier p est radical. En effet, si x ∈ / p, on a xn ∈ / p pour tout n ≥ 1. On obtient alors l’inclusion √ non triviale p ⊂ p par contraposée. √ (2) D’après le lemme V.2.4, a est un idéal radical pour tout idéal a. On donne maintenant quelques propriétés supplémentaires des fermés de Spec(A). Lemme V.2.7. Soit A un anneau commutatif non trivial. Alors : (1) pour tous idéaux a, b, on a a ⊃ b =⇒ V (a) ⊂ V (b); V.2. SPECTRE D’UN ANNEAU 105 √ (2) pour tout idéal a, on a V (a) = V ( a) ; (3) pour tous idéaux a, b, on a √ V (a) ⊂ V (b) ⇐⇒ En particulier, √ V (a) = V (b) ⇐⇒ a⊃ √ b. √ a= b. Démonstration. Soient a, b deux idéaux de A. Supposons que a ⊃ b. Si un idéal p contient a, il contient alors b, et ainsi V (a) ⊂ V (b), d’où (1). √ Le point (1) montre alors en particulier que V ( a) ⊂ V (a). √Supposons maintenant que p soit un idéal premier de A contenant a, et soit a ∈ a. Il existe donc n ≥ 1 tel que√an ∈ a. Mais alors, an ∈√p, et comme p est premier, on en déduit que a ∈ p. Ainsi, a ⊂ p, d’où V (a) ⊂ V ( a). Ceci démontre le point (2). √ √ Montrons (3). D’après les points (1) et (2), si a ⊃ b, on obtient √ √ V (a) = V ( a) ⊂ V ( b) = V (b). Inversement, supposons que V (a) ⊂ V (b). Alors, on a \ \ p⊃ p, p∈V (a) ce qui revient exactement à dire que partie est alors claire. √ p∈V (b) a⊃ √ b d’après le lemme V.2.4. La dernière On introduit maintenant une nouvelle notation. Notation. Pour toute partie S de Spec(A), on pose \ I(S) = p. p∈S On a alors le résultat suivant. Théorème V.2.8. Soit A un anneau commutatif non trivial. Alors : (1) pour tout S ⊂ Spec(A), I(S) est un idéal radical ; (2) pour tout S ⊂ Spec(A), on a V (I(S)) = S; √ (3) pour tout idéal a, on a I(V (a)) = a. En particulier, les applications a 7 → − I(S) ←−[ V (a) S induisent une correspondance bijective décroissante entre l’ensemble des idéaux radicaux de A et l’ensemble des parties fermées de Spec(A). Démonstration. Soit S ∈ Spec(A). Comme I(S) est une intersection d’idéaux premiers, donc d’idéaux radicaux, c’est un idéal radical. De plus, pour tout p ∈ S, on a I(S) ⊂ p , et donc p ∈ V (I(S)) pour tout p ∈ S. Autrement dit, S ⊂ V (I(S)), et comme V (I(S)) est fermé, on a S ⊂ V (I(S)). Par 106 V. DIMENSION DE KRULL D’UN ANNEAU conséquent, S ⊂ V (I(S)) pour toute partie fermée S de Spec(A). En particulier, pour tout idéal a de A, on a V (a) ⊂ V (I(V (a))). D’autre part, puisque tout élément de V (a) contient a, on a a ⊂ I(V (a)). On en déduit alors l’inclusion V (I(V (a))) ⊂ V (a). Par conséquent, pour tout idéal a de A, on a V (I(V (a))) = V (a). D’après le lemme V.2.7 (4), on en déduit en particulier que puisque I(V (a)) est un idéal radical, on obtient finalement √ I(V (a)) = a. p √ I(V (a)) = a. Mais Revenons aux considérations précédentes. Puisque S est fermé, il existe un idéal a tel que S = V (a). On a alors V (I(S)) = V (I(V (a))) = V (a) = S. Comme S ⊂ S, on a I(S) ⊃ I(S), puis V (I(S)) ⊂ V (I(S)), soit V (I(S)) ⊂ S. Finalement, V (I(S)) = S. La dernière partie découle alors des points précédents. Une application immédiate de ce théorème fournit le résultat suivant. Corollaire V.2.9. L’espace topologique Spec(A) est noethérien si, et seulement si, toute suite croissante d’idéaux radicaux de A est stationnaire. En particulier, si A est noethérien, Spec(A) est noethérien. On continue par des considérations sur les points fermés de Spec(A). Corollaire V.2.10. Soit A un anneau commutatif non trivial. Pour tout idéal premier p, on a {p} = V (p). En particulier : (1) p ∈ Spec(A) est un point fermé si, et seulement si, p est un idéal maximal. (2) Spec(A) possède un point dense p si, et seulement si, Nil(A) est premier. Dans ce cas, Nil(A) est l’unique point dense de Spec(A). (3) si A est intègre, (0) est l’unique point dense de Spec(A). Démonstration. Soit p un idéal premier de A. Alors, I({p}) = p. D’après le théorème V.2.8, on a alors V (p) = {p}. On en déduit alors que p est un point fermé si, et seulement si, V (p) = {p}, c’està-dire si pour tout idéal premier p0 , on a p ⊂ p0 =⇒ p0 = p. V.2. SPECTRE D’UN ANNEAU 107 Si p est maximal, cette condition est bien entendu vérifiée. Si p n’est pas maximal, comme p 6= A, il est contenu strictement dans un idéal maximal, donc premier. Ainsi, la condition ci-dessus est équivalente au fait que p est maximal. De plus, p est dense si, et seulement si p V (p) = Spec(A) = V ((0)) = V ( (0)), la dernière égalité découlant du p lemme V.2.7. Autrement, dit, p est dense si, et (0)). D’après le théorème précédent, comme p et seulement si, on a V (p) = V ( p (0) sont des idéaux radicaux, on en déduit p p = (0) = Nil(A). En particulier, si p est dense, alors p = Nil(A) et Nil(A) est premier. Inversement, si Nil(A) est premier, on a p V (Nil(A)) = V ( (0)) = V ((0)) = Spec(A), et Nil(A) est un point dense de Spec(A). Enfin, si A est intègre, on a Nil(A) = (0), qui est un idéal premier, et donc (0) est l’unique point dense de Spec(A) par le point précédent. On continue par les propriétés de fonctorialité du spectre d’un anneau. Lemme V.2.11. Soit f : A −→ B un morphisme d’anneaux. Alors, l’application f ∗ : Spec(B) −→ Spec(A) q 7−→ f −1 (q) est continue. De plus, si f : A −→ B est surjectif, alors f∗ : Spec(B) −→ Spec(A) induit un homéomorphisme entre Spec(B) et V (ker(f )). En particulier : (1) pour tout idéal a de A, V (a) est homéomorphe à Spec(A/a) ; (2) si f : A −→ B est un isomorphisme d’anneaux, f ∗ : Spec(B) −→ Spec(A) est un homéomorphisme. Démonstration. On sait déjà que si q est un idéal premier de B, f −1 (q) est un idéal premier de A d’après le lemme IV.2.4. Montrons que l’application f ∗ : Spec(B) −→ Spec(A) est continue. Soit a un idéal de A. On a (f ∗ )−1 (V (a)) = = = = = = {q ∈ Spec(B) | f ∗ (q) ∈ V (a)} {q ∈ Spec(B) | f −1 (q) ∈ V (a)} {q ∈ Spec(B) | a ⊂ f −1 (q)} {q ∈ Spec(B) | f (a) ⊂ q} {q ∈ Spec(B) | (f (a)) ⊂ q} V ((f (a))), où (f (a)) est l’idéal de B engendré par f (a). Ainsi, l’image réciproque d’un fermé est un fermé, et f ∗ est donc continue. 108 V. DIMENSION DE KRULL D’UN ANNEAU Supposons maintenant que f soit surjective. Pour tout q ∈ Spec(B), f ∗ (q) = f −1 (q) est un idéal premier de A contenant ker(f ), puisque f (0) = 0 ∈ q. Autrement dit, Im(f ∗ ) ⊂ V (ker(f )). Si maintenant, p ∈ V (ker(f )), f (p) est un idéal de B car f est surjective. Montrons que c’est un idéal premier. Si on a avait f (p) = B, il existerait b ∈ p tel que f (b) = 1 = f (1). Mais alors, on aurait 1 − b ∈ ker(f ) ⊂ p, et donc 1 = 1 − b + b ∈ p. Mais alors, p = A, d’où une contradiction car p est premier. Soient b, b0 ∈ B vérifiant bb0 ∈ f (p). Comme f est surjective, il existe a, a0 ∈ A tels que b = f (a) et b0 = f (a0 ). Mais alors f (aa0 ) ∈ f (p), donc il existe a00 ∈ p tel que f (aa0 ) = f (a00 ). On a donc aa0 − a00 ∈ ker(f ) ⊂ p, et ainsi aa0 = a00 + (aa0 − a00 ) ∈ p. Puisque p est premier, on a a ∈ p ou a0 ∈ p, et ainsi b ∈ f (p) ou b0 ∈ f (p). Autrement dit, f (p) est premier. On obtient donc une application g : V (ker(f )) −→ Spec(B) p 7−→ f (p). Nous allons montrer que g est continue, et que g = (f ∗ )−1 . Soit b un idéal de B. Alors, g −1 (V (b)) = {p ∈ V (ker(f )) | f (p) ∈ V (b)} = {p ∈ V (ker(f )) | b ⊂ f (p)}. Mais, pour tout p ∈ V (ker(f )), on a b ⊂ f (p) ⇐⇒ f −1 (b) ⊂ p. En effet, si b ⊂ f (p), alors pour tout a ∈ f −1 (b), on a f (a) ∈ f (p). Comme précédemment, on a a ∈ p + ker(f ) ⊂ p, −1 c’est-à-dire f (b) ⊂ p. Réciproquement, si f −1 (b) ⊂ p, alors f (f −1 (b)) = b, car f est surjective, et alors b = f (f −1 (b)) ⊂ f (p). Finalement, on a g −1 (V (b)) = V (f −1 (b)) ∩ V (ker(f )), qui est fermé dans V (ker(f )). Ainsi, g est continue. Enfin, pour tout q ∈ Spec(B), on a g(f ∗ (q)) = f (f −1 (q)) = q, car f est surjective, et pour tout p ∈ V (ker(f )), on a f ∗ (g(p)) = f −1 (f (p)) = {a ∈ A | f (a) ∈ f (p)} = p + ker(f ) = p. Ainsi, g = (f ∗ )−1 , et puisque f ∗ et (f ∗ )−1 sont continues, f ∗ est un homéomorphisme. Le dernier point est alors clair. On détermine maintenant les fermés/composantes irréductibles de Spec(A). On commence par un lemme. Lemme V.2.12. Soit A un anneau commutatif non trivial. Alors : V.2. SPECTRE D’UN ANNEAU 109 (1) si A est intègre, Spec(A) est irréductible ; (2) pour tout p ∈ Spec(A), V (p) est un fermé irréductible de Spec(A). Démonstration. Supposons que A soit intègre. Alors, (0) est dense dans Spec(A) par le lemme V.2.10. Soit U un ouvert non vide de Spec(A). Il existe donc un idéal de a tel que U = Spec(A) \ V (a) = {p ∈ Spec(A) | a 6⊂ p}. Remarquons que (0) ∈ U. Sinon, on aurait a = (0) et par suite U = ∅. Comme (0) est dense, U est dense, et Spec(A) est irréductible par le lemme V.1.4. Si maintenant p ∈ Spec(A), alors V (p) est homéomorphe à Spec(A/p) par le lemme V.2.11. Or, A/p est intègre, donc Spec(A/p) est irréductible. Par conséquent, V (p) est irréductible. Ceci achève la démonstration. Théorème V.2.13. Soit A un anneau commutatif non trivial. Alors, les applications a 7−→ V (a) I(S) ←−[ S induisent une correspondance bijective décroissante entre les ensembles suivants : (1) l’ensemble des idéaux premiers de A et l’ensemble des fermés irréductibles de Spec(A). (2) l’ensemble des idéaux premiers minimaux de A et l’ensemble des composantes irréductibles de Spec(A). En particulier, Spec(A) est irréductible si, et seulement si, Nil(A) est premier. Démonstration. Montrons le premier point. Au vu du théorème V.2.8, il reste à montrer que pour tout idéal radical a, V (a) est irréductible si, et seulement si, a est premier. Si p est un idéal premier de A, V (p) est irréductible d’après le lemme V.2.12. Inversement, soit F un fermé de Spec(A). On a donc F = V (a), où a est un idéal radical d’après le théorème V.2.8. Posons B = A/a. Alors, on a Nil(B) = (0). En effet si a ∈ B vérifie an = 0 pour un certain n ≥ 1, alors an ∈ a et par conséquent a ∈ a car a est radical. On a donc a = 0. Supposons maintenant que F soit irréductible. Il est en particulier non vide. Puisque F est homéomorphe à Spec(B) par le lemme V.2.11, Spec(B) est irréductible. Remarquons que B est non trivial. Sinon, on aurait A = a et F = ∅. Soient b, b0 ∈ B tels que bb0 = 0. Alors, on a V ((b)) ∪ V ((b0 )) = V ((bb0 )) = V ((0)) = Spec(B), et par irréductibilité, on a par exemple V ((b)) = Spec(B) = V ((0)). Comme (0) = Nil(B), (0) p est un idéal radical, et par le théorème V.2.8, on obtient p (b) = (0). Puisque b ∈ (b), on a b = 0. Ainsi, B est intègre et a est premier, d’où le premier point. Comme une composante irréductible est fermée d’après le lemme V.1.6, il revient au même de dire qu’une composante irréductible est un fermé irréductible maximal 110 V. DIMENSION DE KRULL D’UN ANNEAU pour l’inclusion. Comme V et I sont décroissants, un fermé irréductible V (p) sera maximal si, et seulement si, p est minimal. Le dernier point provient du fait que Nil(A) est radical et que Spec(A) = V (Nil(A)). Corollaire V.2.14. Soit A un anneau commutatif non trivial. Alors : (1) A possède au moins un idéal premier minimal ; (2) tout idéal premier contient un idéal premier minimal ; (3) si de plus A est noethérien, A ne possède qu’un nombre fini d’idéaux premier minimaux. Démonstration. D’après le théorème V.1.5, Spec(A) possède au moins une composante irréductible, donc A possède au moins un idéal premier minimal d’après le théorème V.2.13. Soit p un idéal premier de A. Alors, V (p) est un fermé irréductible, et est donc contenu dans une composante irréductible V (p0 ), où p0 est minimal, toujours d’après ce même théorème. Comme la correspondance renverse les inclusions, p contient donc p0 . Enfin, si A est noethérien, Spec(A) est noethérien par le lemme V.2.9, et Spec(A) ne possède qu’une nombre fini de composantes irréductibles d’après le théorème V.1.9. Autrement dit, A n’a qu’un nombre fini d’idéaux premiers minimaux, et ceci achève la démonstration. V.3. Dimension de Krull Nous allons maintenant définir la dimension de Krull d’un espace topologique noethérien X non vide. Remarquons tout d’abord que toute suite strictement décroissante de fermés irréductibles est nécessairement finie par noethérianité. Définition V.3.1. Soit X un espace topologique non vide. On appelle dimension de Krull de X, la borne supérieure des entiers n ≥ 0 tels qu’il existe une chaı̂ne strictement décroissante de fermés irréductibles Fn ) Fn−1 ) · · · ) F1 ) F0 . On la note dim(X). Le lemme suivant montre qu’il suffit de considérer les composantes irréductibles de X, afin de calculer sa dimension. Lemme V.3.2. Soit X un espace topologique noethérien non vide, et soit C (X) l’ensemble de ses composantes irréductibles. Alors, tout fermé Y de X est noethérien, et on a dim(Y ) ≤ dim(X). De plus, on a dim(X) = max dim(Y ). Y ∈C (X) Démonstration. Soit Y un fermé de X. D’après la remarque V.1.3, une suite décroissante de fermés de Y est aussi une suite décroissante de fermés de X. Elle V.3. DIMENSION DE KRULL 111 est donc stationnaire, et Y est noethérien. Toujours d’après cette même remarque une chaı̂ne finie strictement décroissantes de fermés de Y irréductibles est aussi une chaı̂ne finie strictement décroissantes de fermés de Y irréductibles de X. Cela démontre que dim(Y ) ≤ dim(X). Si maintenant Y ∈ C (X), alors Y est fermé dans X par le lemme V.1.6. Le point précédent montre en particulier que max dim(Y ) ≤ dim(X). Y ∈C (X) Soit maintenant Fn ) Fn−1 ) · · · ) F1 ) F0 une chaı̂ne strictement décroissante de fermés irréductibles de X. D’après le théorème V.1.5, il existe Y ∈ C (X) telle que Y ⊃ Fn . Ainsi, tous les Fi sont des fermés de X contenus dans Y , donc des fermés de Y . On obtient alors une chaı̂ne Fn ) Fn−1 ) · · · ) F1 ) F0 , qui est de longueur n ou n+1, selons que Fn = Y ou non. Comme chaque F0 , . . . , Fn et Y sont irréductibles, on obtient dans les deux cas que n ≤ dim(Y ) ≤ max dim(Y ), Y ∈C (X) d’où l’inégalité manquante par passage au sup. Le lemme suivant est très utile pour les calculs. Lemme V.3.3. Soit X un espace topologique noethérien. Supposons que X = X1 ∪ X2 , où X1 , X2 sont fermés. Alors, on a dim(X) = max(dim(X1 ), dim(X2 )). Démonstration. D’après le lemme précédent, on a dim(Xi ) ≤ dim(X), d’où max(dim(X1 ), dim(X2 )) ≤ dim(X). D’autre part, en écrivant X1 et X2 comme réunion de composantes irréductibles, on obtient alors une décomposition de X en fermés irréductibles (on utilise ici le fait que X1 , X2 sont fermés, et la remarque V.1.3). D’après la remarque rem-compirr, en enlevant les redondances de sorte qu’aucun membre de la réunion ne soit contenu dans un autre, on voit que l’ensemble des composantes irréductibles est contenu dans la réunion des composantes irréductibles de X1 et de X2 . On déduit alors aisément du théorème V.1.9 l’inégalité dim(X) ≤ max(dim(X1 ), dim(X2 )). Regardons maintenant ce que donne cette notion pour le spectre d’un anneau. On commence par une définition. Définition V.3.4. Soit A un anneau commutatif noethérien non trivial. La dimension de Krull de A est la dimension de Krull de Spec(A). Autrement dit, c’est la borne sup des longueurs des chaı̂nes strictement croissantes d’idéaux premiers de A, au vu de la description des fermés irréductibles de Spec(A) (théorème V.2.13) Exemples V.3.5. 112 V. DIMENSION DE KRULL D’UN ANNEAU (1) Tout anneau intègre de dimension 0 est un corps. (2) On a dim(Z) = 1. Lemme V.3.6. Soit A un anneau commutatif noethérien non trivial et soit M (A) l’ensemble de ses idéaux premiers minimaux. Alors, on a dim(A) = sup dim(A/p) = sup p∈M (A) dim(A/p). p∈Spec(A) Démonstration. La première égalité est une retraduction de la définition et du lemme V.3.2, au vu de la description des fermés et composantes irréductibles de Spec(A) (théorème V.2.13), joint au fait que V (p) et Spec(A/p) sont homéomorphes d’après le lemme V.2.11. La seconde égalité est alors immédiate. On a aussi le lemme suivant. Lemme V.3.7. Soient A1 , A2 deux anneaux commutatifs noethériens non triviaux. Alors, dim(A1 × A2 ) = max(dim(A1 ), dim(A2 )). Démonstration. Soit a1 = (0) × A2 et soit a2 = A1 × (0). Alors, a1 a2 = (0), d’où V (a1 ) ∪ V (a2 ) = V (a1 a2 ) = V ((0)) = Spec(A1 × A2 ). Or, A/ai ' Ai . Puisque V (ai ) est homéomorphe à Spec(A/ai ), on obtient dim V (ai ) = dim(Ai ). Il suffit alors d’appliquer le lemme V.3.3 pour conclure. Le lemme suivant fait le lien entre la dimension d’un anneau et celles de ses localisations. Lemme V.3.8. Soit A un anneau commutatif noethérien non trivial, et soit Specm(A) l’ensemble des idéaux premiers maximaux de A. Alors, dim(A) = sup dim(Ap ) = p∈Spec(A) sup dim(Am ). m∈Specm(A) Démonstration. La proposition II.1.12 montre qu’il y a une correspondance bijective strictement croissante entre les idéaux premiers de Ap et les idéaux premiers de A contenus dans p. Si p0 ( · · · ( pn est une chaı̂ne strictement croissante d’idéaux premiers de A de longueur n, elle induit une chaı̂ne strictement croissante d’idéaux premiers de Apn de longueur n. On a donc n ≤ dim(Apn ) ≤ sup dim(Ap ), p∈Spec(A) et par conséquent dim(A) ≤ sup dim(Ap ). p∈Spec(A) Inversement, pour tout p premier, une chaı̂ne strictement croissante d’idéaux premiers de Ap de longueur n induit une chaı̂ne strictement croissante d’idéaux premiers de A de longueur n. On en déduit aisément que dim(A) ≥ dim(Ap ), d’où dim(A) ≥ sup p∈Spec(A) dim(Ap ). V.3. DIMENSION DE KRULL 113 On a ainsi la première égalité. Soit p un idéal premier, et soit m un idéal maximal tel que p ⊂ m. Une chaı̂ne strictement croissante d’idéaux premiers de Ap de longueur n induit une chaı̂ne strictement croissante d’idéaux premiers de A de longueur n, contenus dans p. Mais alors, ces idéaux premiers sont contenus dans m, et induisent par localisation une chaı̂ne strictement croissante d’idéaux premiers de Am , d’où dim(Ap ) ≤ dim(Am ), et la seconde égalité. On en vient maintenant à une conséquence intéressante du Going Up. Théorème V.3.9. Soit ϕ : A −→ B un morphisme d’anneaux entier, et injectif. Alors, dim(B) = dim(A). Démonstration. Soit p0 ( p1 ( · · · ( pn une chaı̂ne strictement croissante d’idéaux premiers de A. Une application répétée du point (2) du théorème IV.2.9 montre qu’il existe une chaı̂ne croissante d’idéaux premiers de B q0 ⊂ q1 ⊂ · · · ⊂ qn −1 telle que ϕ (qi ) = pi pour tout i ∈ J0, nK. Le point (3) de ce même théorème montre alors que cette chaı̂ne est strictement croissante, d’où dim(A) ≤ dim(B). Si maintenant q0 ( q1 ( · · · ( qn une chaı̂ne strictement croissante d’idéaux premiers de B, alors ϕ−1 (q0 ) ⊂ ϕ−1 (q1 ) ⊂ · · · ⊂ ϕ−1 (qn ) est une chaı̂ne croissante d’idéaux premiers de A. Mais cette chaı̂ne est strictement croissante d’après le point (3) du théorème IV.2.9, d’où dim(B) ≤ dim(A). Ceci achève la démonstration. Exemples V.3.10. L’anneau des entiers de C (i.e. l’anneau des nombres complexes entiers sur Z) est de dimension 1. Nous finissons ce chapitre en donnant un moyen pratique de calculer la dimension d’une K-algèbre de type fini. On commence par des considérations sur le degré de transcendance d’une extension. Définition V.3.11. Soit L/K une extension de corps. Une famille B d’éléments de L est appelée base de transcendance de L/K si les éléments de n’importe quelle sous-famille finie de B sont algébriquement indépendants sur K, et si L/K(B) est une extension algébrique. On a alors le lemme suivant. Lemme V.3.12. Soit L/K est une extension de corps de type fini, engendrée par r éléments. Alors : (1) l’extension L/K possède une base de transcendance de cardinal ≤ r ; 114 V. DIMENSION DE KRULL D’UN ANNEAU (2) soit A une famille finie d’éléments de L algébriquement indépendants sur K, et soit S une famille d’éléments de L telle que L/K(S ) soit algébrique. ALors, |S | ≥ |A |; (3) toutes les bases de transcendance sont finies et ont même cardinal. Démonstration. Soient x1 , . . . , xr ∈ L tels que L = K(x1 , . . . , xr ). Soit B un sousensemble (éventuellement vide) de E = {x1 , . . . , xr } dont tous les éléments sont algébriquement indépendants sur K, et de cardinal maximal. Quitte à renuméroter, on peut supposer que B = {x1 , . . . , xm }, avec m ∈ J0, nK. Mais alors, xm+1 , . . . , xm sont algébriques sur K(B) par maximalité de m, et ainsi L/K(x1 , . . . , xm ) est algébrique. Par conséquent, B est une base de transcendance de L/K, d’où (1). Notons maintenant A = {a1 , . . . , an }. On peut toujours supposer n ≥ 1 (sinon il n ’y a rien à faire). Supposons que tous les éléments de S soient algébriques sur K(a2 , . . . , an ). Alors, K(a2 , . . . , an )(S )/K(a2 , . . . , an ) est algébrique. Comme L/K(S ) est algébrique, L/K(a2 , . . . , an )(S ) est aussi algébrique. Par conséquent, L/K(a2 , . . . , an ) est algébrique. En particulier, a1 est algébrique sur K(a2 , . . . , an ), ce qui est absurde. Il existe donc un élément s1 ∈ S qui ne soit pas algébrique sur K(a2 , . . . , an ), si bien que s1 , a2 , . . . , an sont algébriquement indépendants. De proche en proche, on peut remplacer a1 , . . . , an par des éléments s1 , . . . , sn ∈ S algébriquement indépendants. En particulier, ils sont deux à deux distincts, d’où |S | ≥ |A |. Il reste à montrer (3). Par (1), L/K possède une base de transcendance B de cardinal ≤ r. Soit B 0 une autre base de transcendance. Comme L/K(B) est algébrique, et que tout sous-ensemble fini A de B est constitué d’éléments algébriquement indépendants sur K, on a |A | ≤ |B| par le point précédent. En particulier, on a |B 0 | ≤ |B| (sinon, en prenant un sous-ensemble de B 0 à |B| + 1 éléments , on obtiendrait une contradiction). Mais alors, en permutant les rôles de |B| et |B 0 |, on obtient |B| = |B 0 |. Ceci achève la démonstration. Définition V.3.13. Soit L/K une extension de corps de type fini. Le cardinal commun d’une base de transcendance s’appelle le degré de transcendance de L/K. Il est noté trdeg(L/K). Par le lemme précédent, si L/K est engendré par m éléments, alors trdeg(L/K) ≤ m. On a alors le théorème suivant. Théorème V.3.14. Soit K un corps, et soit A une K-algèbre intègre de type fini, de corps des fractions KA . Alors, KA /K est de type fini, et on a dim(A) = trdeg(KA /K). En particulier, on a dim(K[X1 , . . . , Kn ]) = n pour tout n ≥ 0. Démonstration. Notons que KA /K est de type fini, engendrée par les générateurs de A sur K. On commence par remarquer qu’on a l’équivalence entre les deux propriétés suivantes, pour un entier n ≥ 0 fixé : V.3. DIMENSION DE KRULL 115 (1) toute K-algèbre intègre de type fini telle que trdeg(KA /K) = n est de dimension n; (2) dim(K[X1 , . . . , Xn ]) = n. L’implication (1) =⇒ (2) découle du fait que si A = K[X1 , . . . , Xn ], alors trdeg(KA /K) = trdeg(K(X1 , . . . , Xn )/K) = n. Supposons maintenant que (2) soit vérifiée. Soit A une K-algèbre intègre de type fini telle que trdeg(KA /K) = n. D’après le théorème de normalisation de Noether, il existe des éléments y1 , . . . , yr ∈ A algébriquement indépendants sur K tels que A soit entier sur K[y1 , . . . , yr ]. Mais alors, KA /K(y1 , . . . , yr ) est en particulier algébrique, et r = trdeg(KA /K) = n. D’autre part, puisque K[y1 , . . . , yn ] ' K[X1 , . . . , Xn ], on en déduit l’existence d’un morphisme ϕ : K[X1 , . . . , Xn ] −→ A entier et injectif. D’après le théorème V.3.9, on a dim(A) = dim(K[X1 , . . . , Xn ]) = n. Montrons maintenant que dim(K[X1 , . . . , Xn ]) = n par récurrence sur n. La dimension d’un corps étant nulle, le résultat est vrai pour n = 0. Supposons avoir démontré que dim(K[X1 , . . . , Xk ]) = k pour tout k ≤ n − 1, avec n ≥ 1 fixé. Soit p0 ( p1 ( · · · ( pr une chaı̂ne strictement croissante d’idéaux premiers de K[X1 , . . . , Xn ]. On veut montrer que r ≤ n. Quitte à rajouter l’idéal premier (0) en bout de chaı̂ne, on peut toujour supposer que p0 = (0). En effet, si on montre le résultat pour les chaı̂nes commençant par (0), on aura alors r +1 ≤ n, et par conséquent r ≤ n−1 ≤ n. Dans ce cas, p1 contient un polynôme non nul f , non constant (car p1 est premier, donc ne contient pas d’éléments inversibles). Quitte à renuméroter, on peut supposer que f est non constant en Xn . Soit A = K[X1 , . . . , Xn ]/p1 . C’est une K-algèbre intègre de type fini. Posons xi = X i pour tout i ∈ J1, nK. Alors, f (x1 , . . . , xn ) = 0 et donc x1 , . . . , xn sont algébriquement liés. Ainsi, l’extension KA /K(x1 , . . . , xn−1 ) est algébrique. Comme le degré de transcendance de K(x1 , . . . , xn−1 )/K est au plus n−1, on en déduit que trdeg(KA /K) ≤ n−1. En utilisant l’hypothèse de récurrence et l’équivalence entre (1) et (2), on obtient dim(A) = trdeg(KA /K) ≤ n − 1. Mais, la chaı̂ne d’idéaux premiers précédente induit une chaı̂ne d’idéaux premiers (0) ( p2 ( · · · ( pr strictement croissante, d’où r − 1 ≤ dim(A) ≤ n − 1, soit r ≤ n. On a donc dim(K[X1 , . . . , Xn ]) ≤ n. Or, la chaı̂ne (0) ( (X1 ) ( (X1 , X2 ) ( · · · ( (X1 , . . . , Xn ) fournit l’inégalité dim(K[X1 , . . . , Xn ]) ≥ n, d’où finalement dim(K[X1 , . . . , Xn ]) = n, 116 V. DIMENSION DE KRULL D’UN ANNEAU ce qui achève la récurrence, et la démonstration. Chapitre VI Modules stablement libres Dans ce chapitre, on s’intéresse à une classe particulière de modules projectifs, à savoir les modules stablement libres. Cette classe de modules intervient naturellement en K-théorie. VI.1. Modules stablement libres Définition VI.1.1. Deux A-modules M et M 0 sont dit stablement isomorphes s’il existe deux A-module libres de de type fini L et L0 tels que M ×L ' M 0 ×L0 . Cela revient à dire qu’il existe m, n ≥ 0 tel que M × Am ' M 0 × An (avec la convention A0 = (0)). Un A-module M est dit stablement libre s’il est stablement isomorphe à un module libre. En particulier, tout A-module stablement libre est projectif. Exemple VI.1.2. Deux modules isomorphes sont bien entendu stablement isomorphes, et tout module libre est stablement libre. Remarque VI.1.3. Supposons que M soit stablement libre de type fini. Alors, il existe m, n ≥ 0 tels q ue M × Am ' An . En effet, il existe alors un A-module libre de type fini tel que M × L soit libre. Mais M × L est de type fini, et donc M × L ' An pour un certain n ≥ 0. Comme L est aussi libre de type fini, il existe m ≥ 0 tel que L ' Am , et on a le résultat voulu. Pour tout p premier, on a alors rg p (An ) = n = rg p (M × Am ) = rg p (M ) + rg p (Am ) = rg p (M ) + m. Ainsi, M est de rang constant n − m. Au passage, cela montre que nécessairement n ≥ m. On pourrait se demander pourquoi imposer aux modules libres d’être de type fini dans la définition précédente. La raison est donnée par le lemme suivant. Lemme VI.1.4. Soit M un A-module projectif. Alors, il existe un A-module libre L non de type fini tel que M × L ' L. Démonstration. Puisque M est projectif, il existe donc un A-module N tel que E = M × N soit libre. Posons L = E (N) ' M (N) × N (N) . Alors, on a M × L ' (M × M (N) ) × N (N) ' M (N) × N (N) ' L. Ceci achève la démonstration. 117 118 VI. MODULES STABLEMENT LIBRES Le résultat suivant montre que la notion de module stablement libre n’est intéressante que pour les modules de type fini. Théorème VI.1.5 (Gabel). Tout A-module stablement libre et non de type fini est libre. Démonstration. Soit m ≥ 0 tel que F = M ×Am soit libre. Soit e = (ei )i∈I une base de F. Comme la projection F −→ M est linéaire et surjective, si F était de type fini, M le serait aussi. Ainsi, I est infini. La projection π : F −→ Am est surjective, de noyau M . En choisissant une préimage de chaque vecteur de la base canonique de Am et en l’écrivant dans la base e, on voit qu’il existe un sous-ensemble fini J ⊂ I tel que π(hej , j ∈ Ji) = Am . Soit F 0 = hej , j ∈ Ji. Pour tout x ∈ F , il existe x0 ∈ F 0 tel que π(x) = π(x0 ) et ainsi x − x0 ∈ ker(π) = M . On a donc F = F 0 + M . Par conséquent, Am ' F/M = (F 0 + M )/M ' F 0 /F 0 ∩ M. Autrement dit, on a une suite exacte 0 −→ F 0 ∩ M −→ F 0 −→ Am −→ 0 qui est scindée (car Am est libre, donc projectif), d’où un isomorphisme F 0 ' N × Am , avec N = M ∩ F 0 . Mais alors, on a F/F 0 = (F 0 + M )/F 0 ' M/N. Remarquons maintenant que F 0 est libre de type fini et que F/F 0 ' M Aei . En i∈I\J choisissant arbitrairement m éléments distincts de I \ J, ce qui est possible car I \ J est infini, on obtient donc un isomorphisme F/F 0 ' Am × F 00 , où F 00 est libre. Bref, M/N ' Am ×F 00 , et on a une suite exacte 0 −→ N −→ M −→ Am ×F 00 −→ 0. Comme précédemment, cette suite est scindée, d’où M ' N × (Am × F 00 ) ' (N × Am ) × F 00 ' F 0 × F 00 , et M est donc libre. Nous allons maintenant examiner la question suivante : tout A-module de type fini stablement libre est-il libre ? Autrement dit, pour tout A-module M de type fini, et tout m ≥ 0, a-t-on M × Am est libre =⇒ M est libre ? Le cas m = 0 étant une tautologie, une récurrence évidente montre alors que la question se reformule comme suit : Question. Tout module M de type fini tel que M × A est libre est-il libre ? Nous allons maintenant caractériser les anneaux A tels que la réponse à la question précédente soit positive. VI.2. Vecteurs unimodulaires et modules stablement libres Commençons par une définition. VI.2. VECTEURS UNIMODULAIRES ET MODULES STABLEMENT LIBRES 119 a1 Définition VI.2.1. Soit A un anneau, et soit n ≥ 1. Un vecteur a = ... ∈ An an est dit unimodulaire si (a1 , . . . , an ) = A. On note Un (A) l’ensemble des vecteurs unimodulaires de An . Remarque VI.2.2. Si a ∈ Un (A), alors P a ∈ Un (A) pour tout P ∈ GLn (A). En particulier, GLn (A) agit sur Un (A). b1 .. En effet, soit b = . = P a. Par hypothèse, il existe x1 , . . . , xn ∈ A tels que bn a1 x1 +· · ·+an xn = 1. Comme a = P −1 b, a1 , . . . , an sont des combinaisons linéaires de b1 , . . . , bn , et on a donc une relation de la forme b1 y1 + . . . + bn yn = 1, yi ∈ A. Ainsi, b ∈ Un (A). L’énoncé suivant a donc un sens. Proposition VI.2.3. Soit A un anneau, et soit n ≥ 1 un entier. Les propriétés suivantes sont équivalentes : (1) tout A-module M tel que M × A ' An est libre ; (2) tout vecteur unimodulaire de An peut se compléter en une base de An ; (3) l’action de GLn (A) sur Un (A) est transitive. En particulier, toutes ces propriétés sont vraies si n = 1 ou 2. Démonstration. a1 . n (1) =⇒ (2) . Soit a = . ∈ A tel que (a1 , . . . , an ) = A. Il existe donc . an b1 , . . . , bn ∈ A tels que a1 b1 + · · · + an bn = 1. Soit f : An −→ A x1 n X .. − 7 → bi xi . . xn i=1 D’après l’exemple I.6.4 (2), on sait que An = A·a ⊕ ker(f ), que A·a est libre de base a, et que l’on a An ' A × ker(f ). Par hypothèse, ker(f ) est libre. En adjoignant à a une base de ker(f ), on obtient alors une base de An . 120 VI. MODULES STABLEMENT LIBRES ∼ (2) =⇒ (1) . Soit g : M × A −→ An un isomorphisme, et soit a1 .. a = g((0, 1)) = . ∈ An . an Montrons que (a1 , . . . , an ) = A. Si (xi , bi ) ∈ M × A est une préimage du i-ème vecteur de la base canonique, on a donc n n n n X X X X a= ai ·g((xi , bi )) = g( ai ·(xi , bi )) = g(( ai ·xi , ai bi )). i=1 i=1 i=1 i=1 n n X X Mais, a = g((0, 1)), et par injectivité de g, on obtient (0, 1) = ( ai ·xi , ai bi ). i=1 i=1 En particulier, on a n X ai bi = 1, i=1 d’où (a1 , . . . , an ) = A. Il existe alors une base e = (e1 , . . . , en ) avec e1 = a. Soit e0i = g −1 (ei ). Alors, e0 = (e01 , . . . , e0n ) est une base de M × A, avec e01 = (0, 1). Pour tout i ∈ J2, nK, écrivons e0i = (vi , αi ). Alors, (e01 , e02 − α2 ·e01 , . . . , e0n − αn ·e0n ) est encore une base de M × A. Autrement dit, la famille ((0, 1), (v2 , 0), . . . , (vn , 0)) est une base de M × A. On en déduit aisément que (v2 , . . . , vn ) est une base de M. (2) =⇒ (3) . Soit a ∈ Un (A). Par hypothèse, a peut se compléter en une base de An , ce qui revient à dire qu’il existe une matrice P ∈ GLn (A) dont la première 1 0 colonne est a. L’égalité P −1 P = In montre alors que P −1 a = . . .. 0 Autrement dit, tout vecteur unimodulaire est dans l’orbite du vecteur unimodulaire 1 0 .. , d’où la transitivité de l’action. . 0 (3) =⇒ (2) . Soit a ∈ Un (A). Par hypothèse, il existe une matrice P ∈ GLn (A) telle que 1 0 a = P . . .. 0 En particulier, la première colonne de P est a. Comme P est inversible, ses colonnes forment une base de An . VI.2. VECTEURS UNIMODULAIRES ET MODULES STABLEMENT LIBRES 121 Démontrons la dernière partie. Si n = 1 et (a1 ) = A, alors a1 ∈ A× et a1 est une base de A. Si = A, il existe u1 , u2 ∈ A tels que u1 a1 + u2 a2 = 1. Mais alors, la matrice (a1 , a2 ) a1 −u2 ∈ M2 (A) est de déterminant 1, donc inversible, et ses colonnes forment a2 u1 donc une base de A2 . Ceci achève la démonstration. Corollaire VI.2.4. Soit A un anneau, et soit d ≥ 0 un entier. Les propriétés suivantes sont équivalentes : (1) tout A-module M stablement libre de rang fini > d est libre ; (2) pour tout n ≥ d + 2, tout vecteur unimodulaire de An peut se compléter en une base de An ; (3) pour tout n ≥ d + 2, l’action de GLn (A) sur Un (A) est transitive. Démonstration. Démontrons tout d’abord que (1) est vérifiée si, et seulement si, pour tout n ≥ d + 2, tout A-module M tel que M × A ' An est libre. Si M est un A-module tel que M × A ' An , avec n ≥ d + 2, alors M est de rang n − 1 ≥ d + 1 par la remarque VI.1.3, donc libre par hypothèse. Inversement, supposons que pour tout n ≥ d+2, tout A-module M tel que M ×A ' An est libre. Soit M stablement libre de rang r > d. Il existe donc k, ` ≥ 0 tels que M ×Ak ' A` , et on a rg A (M ) = r = ` − k. Montrons par récurrence finie que, pour tout i ∈ J0, kK, on a M × Ak−i ' A`−i . C’est vrai pour i = 0 par hypothèse. Supposons que M × Ak−i ' A`−i pour un certain i ∈ J0, k − 1K. Remarquons que k − i − 1 ≥ 0. On a donc (M × Ak−i−1 ) × A ' A`−i . Mais alors, ` − i = (` − k) + (k − i) > ` − k > d. Par conséquent, ` − i ≥ d + 2, et M × Ak−i−1 est donc libre par hypothèse. Comme M × Ak−i−1 est de rang r + k − i − 1 = ` − i − 1, on a alors M × Ak−i−1 ' A`−i−1 . Ceci achève la récurrence. Pour i = k, on a obtient ainsi M ' A`−k , et M est donc libre. Il suffit alors d’appliquer la proposition VI.2.3 pour conclure. S’il existe un A-module stablement libre qui n’est pas libre, alors il existe un Amodule stablement libre M tel que M × A ' An avec n ≥ 1. La proposition VI.2.3 montre alors que nécessairement n ≥ 3. La proposition suivante montre qu’il existe déjà des exemples de tels modules pour n = 3. Proposition VI.2.5. Soit A = R[X, Y, Z]/(X 2 + Y 2 + Z 2 − 1), et soient x, y, z ∈ A les classes de X, Y, Z respectivement. Le A-module n f o T = g ∈ A3 | xf + yg + zh = 0 h 122 VI. MODULES STABLEMENT LIBRES vérifie T × A ' A3 et T 6' A2 . En particulier, T est un A-module libre de type fini stablement libre qui n’est pas libre. Démonstration. Considérons l’application linéaire ϕ : A3 −→ A f g 7−→ xf + yg + zh, h x et soit a = y . Remarquons que l’on a z x2 + y 2 + z 2 = 1A . D’après l’exemple I.6.4 (2), on a alors T × A ' A3 . Supposons maintenant que T ' A2 . Fixons (b, c) une base de T . Alors, (a, b, c) est une base de A3 . En particulier, ∆ = det(a, b, c) ∈ A× . Soit S2R la sphère unité. Tout élément de a = P ∈ A induit une application S2R −→ R v = (v1 , v2 , v3 ) 7−→ a(v) = P (v1 , v2 , v3 ) bien définie (i.e. ne dépendant pas du choix de P ), et continue. Pour tous a, a0 ∈ A et tout v ∈ S2R , on a (a + a0 )(v) = a(v) + a0 (v) et (aa0 )(v) = a(v)a0 (v). De plus 1A (v) = 1 pour tout v ∈ S2R . En particulier, si a ∈ A× , a(v) 6= 0 pour tout v∈ S2R . Par conséquent, ∆(v) 6= 0 f pour tout v ∈ S2R . Il s’ensuit que si on écrit b = g , l’application h S2R −→ R3 f (v) v 7−→ g(v) h(v) est continue et ne s’annule en aucun point. Comme b ∈ T , on a xf + yg + zh = 0. f (v) On en déduit alors que v et g(v) sont orthogonaux pour tout v ∈ S2R . Ceci h(v) contredit le théorème de la boule chevelue, d’où le résultat. Ainsi, T est stablement libre par définition, isomorphe à un quotient de A3 , donc de type fini. Si T était libre, alors on aurait T ' A2 d’après la remarque VI.1.3, ce qui n’est pas le cas. Ceci achève la démonstration. Nous allons maintenant étudier les A-modules stablement libres de grande dimension. On commence par introduire une définition. VI.2. VECTEURS UNIMODULAIRES ET MODULES STABLEMENT LIBRES 123 Définition VI.2.6. Soit n ≥ 1 un entier. On note En (A) le sous-groupe de de GLn (A) engendré par les matrices de transvections. Deux vecteurs a, b ∈ An sont dit équivalents s’ils sont dans la même orbite sous l’action de GLn (A). On le note a ∼ b. On dit que a et b sont élémentairement équivalents s’ils sont dans la même orbite sous l’action de En (A). On le note a ∼ b. E Remarque VI.2.7. Deux vecteurs a, b ∈ An sont élémentairement équivalents si on peut passer de a à b par une succession d’opérations élémentaires sur les lignes de a, i.e. des opérations du type Li ←− Li + aLj , i 6= j, a ∈ A. Lemme VI.2.8. Soit n ≥ 2. Soit a ∈ An un vecteur dont au moins une composante est inversible. Alors, on a 1 0 a ∼ . . E .. 0 Démonstration. Soit (e1 , . . . , en ) la base canonique de An . a1 .. Écrivons a = . . Soit i ∈ J1, rK tel que ai ∈ A× . Choisissons j 6= i, ce qui est an possible car n ≥ 2. En effectuant l’opération Lj ←− Lj − (aj − 1)a−1 i Li , on obtient a1 .. . aj−1 1 a∼ . E aj+1 . .. an En effectuant les opérations Lk ←− Lk − ak Lj pour tout k 6= j, on obtient a ∼ ej . E Si j = 1, on a fini, et si j ≥ 2, les opérations L1 ←− L1 + Lj , puis Lj ←− Lj − L1 donnent alors le résultat voulu. On peut maintenant démontrer un théorème de Bass. Théorème VI.2.9 (Bass). Soit A un anneau noethérien de dimension d. Alors, tout A-module stablement libre de rang > d est libre. Démonstration. D’après le corollaire VI.2.4, il suffit de démontrer que pour tout n ≥ d + 2, l’action de GLn (A) sur Un (A) est transitive. On va en fait démontrer un résultat plus fort, à savoir que pour tout n ≥ d + 2, l’action de En (A) sur 124 VI. MODULES STABLEMENT LIBRES Un (A) est transitive, ce qui revient à démontrer que tout vecteur unimodulaire est 1 0 élémentairement équivalent à e1 = . . .. 0 On commence par démontrer que pour tout n ≥ 2, tout vecteur unimodulaire de An est élémentairement équivalent à un vecteur unimodulaire dont la première coordonnée n’est contenue dans aucun idéal premier minimal de A. a1 .. Soit n ≥ 2 et soit a = . ∈ Un (A). Comme A est noethérien, d’après le an corollaire V.2.14, A possède un nombre fini d’idéaux premiers minimaux, que l’on note p1 , . . . , pr . Puisque a1 A + a2 A + · · · + an A = A, on a en particulier a1 A + a2 A + · · · + an A 6⊂ pi pour tout i ∈ J1, rK . En appliquant le lemme d’évitement (lemme II.1.17) à p1 , . . . , pr , x = a1 et a = (a2 , . . . , an ), on en déduit qu’il existe u2 , . . . , un ∈ A tel que α = a1 + u2 a2 + · · · + un an ∈ / r [ pi . i=1 En effectuant les opérations L1 ←− L1 + ui Li , i ∈ J2, rK , on en déduit que a est élémentairement équivalent à un vecteur unimodulaire dont la première coordonnée est α, d’où le résultat souhaité. On va maintenant démontrer le théorème par récurrence sur d. Plus précisément, pour tout k ≥ 0, soit (Hk ) la propriété suivante : (Hk ) Pour tout anneau A de dimension d ≤ k, et pour tout n ≥ d + 2, tout vecteur unimodulaire de An est élémentairement équivalent à e1 . Supposons tout d’abord que k = 0. Dans ce cas, A est de dimension 0. Comme tout idéal maximal de A est premier, il contient un idéal premier minimal d’après le corollaire V.2.14. Or, A étant de dimension 0, tout idéal premier est maximal. On en déduit que l’ensemble des idéaux maximaux et l’ensemble des idéaux premiers minimaux coı̈ncident. a1 .. Soit n ≥ 2, et soit a = . ∈ Un (A). D’après le premier point, on peut supposer an que a1 n’est contenu dans aucun idéal premier minimal, c’est-à-dire dans aucun idéal maximal d’après ce qui précède. Ainsi, a1 ∈ A× . Dans ce cas, on applique le lemme VI.2.8. Supposons maintenant que (Hk−1 ) est vraie pour un certain k ≥ 1. Montrons que (Hk ) est vraie. Soit A un anneau de dimension d ≤ k, et soit n ≥ d + 2. Si d ≤ k − 1, on applique l’hypothèse de récurrence. On suppose donc que A est de dimension VI.3. LE THÉORÈME DE QUILLEN-SUSLIN 125 a1 k. Soit a = ... ∈ Un (A). Comme précédemment, on peut supposer que a1 an n’est contenu dans aucun idéal premier minimal de A. Soit B = A/(a1 ), et soit ` sa dimension. Toute chaı̂ne strictement croissante d’idéaux premiers de longueur ` induit une chaı̂ne strictement croissante d’idéaux premiers q0 ( · · · ( q` , où chaque qj contient (a1 ). Comme q0 est premier, il contient un idéal premier minimal p de A par le corollaire V.2.14. Si on avait p = q0 , on aurait a1 ∈ q0 ⊂ p, d’où une contradiction. Ainsi, on obtient une chaı̂ne strictement croissante d’idéaux premiers p ( q0 ( · · · ( q` , de longueur ` + 1, d’où ` + 1 ≤ k. Puisque (a1 , . . . , an ) = A, on a (a2 , . . . , an ) = B. Or, n ≥ d+2, c’est-à-dire n ≥ k+2. On a a alors n − 1 ≥ (k − 1) + 2 ≥ ` + 2. Par hypothèse de récurrence, il existe des opérations sur les lignes Lik ←− Lik + αk Ljk , ik 6= jk 1 a2 0 a3 transformant . en . . .. .. an 0 En effectuant les opérations Lik ←− Lik + αk Ljk , ik 6= jk , on obtient que a est élémentairement équivalent à un vecteur unimodualaire de la forme a1 1 + a1 v2 a1 v3 , v3 , . . . , vn ∈ A. .. . a1 vn Les opérations Li ←− Li − vi L1 , i ∈ J2, nK, puis L1 ←− L1 − a1 L2 , montrent alors 0 1 que a est élémentairement équivalent à 0 , donc à e1 par le lemme VI.2.8. Ceci .. . 0 achève la récurrence, ainsi que la démonstration. On se consacre maintenant aux modules stablement libres sur un anneau de polynômes. VI.3. Le théorème de Quillen-Suslin Dans ce paragraphe, nous allons étudier d’un peu plus près les vecteurs unimodulaires sur les anneaux de polynômes. On commence par démontrer un théorème dû à Horrocks. 126 VI. MODULES STABLEMENT LIBRES Dans toute la suite, si B est un anneau, (e1 , . . . , en ) désignera la base canonique de Bn. Théorème VI.3.1 (Horrocks). Soit A un anneau local, et soit f ∈ Un (A[X]) (avec n ≥ 1) dont au moins une des composantes est un polynôme unitaire. Alors, f ∼ e1 . Démonstration. Le résultat étant vrai sans hypothèse pour n = 1 ou 2 par la proposition VI.2.3, on peut supposer que n ≥ 3. f1 Soit f = ... ∈ Un (A[X]) possédant au moins une composante unitaire. Quitte à fn échanger les lignes, on peut supposer que f1 est unitaire, de degré d. On va montrer le résultat par récurrence sur d. Soit (Hd ) la propriété : f1 .. (Hd ) Pour tout n ≥ 3, et tout f = . ∈ Un (A[X]), avec f1 unitaire de degré d, fn on a f ∼ e1 . Si d = 0, cela signifie que f possède une composante égale à 1. Dans ce cas, le résultat est vrai, par exemple d’après le lemme VI.2.8. Ainsi, (H0 ) est vraie. f1 .. Soit d ≥ 1. Supposons que (Hd−1 ) soit vraie. Soit f = . ∈ Un (A[X]) avec f1 fn unitaire de degré d. Pour i ≥ 2, écrivons fi = Qi f1 + Ri , Qi , Ri ∈ A[X], avec deg(Ri ) ≤ d − 1. L’opération L1 ←− Li − Qi L1 remplace fi par Ri . On peut donc supposer sans perte de généralité que deg(fi ) ≤ d − 1 pour tout i ≥ 2. Soit m l’unique idéal maximal de A. Supposons que f2 , . . . , fm ∈ m[X]. Comme f est unimodulaire, en réduisant modulo m, on obtient que f 1 ∈ (A/m)[X]× . Mais alors, f 1 ∈ (A/m)× car A/m est un corps. Comme f1 est unitaire, on obtient deg(f1 ) = deg(f 1 ) = 0. On en déduit que f1 ∈ A \ m. Comme A est local, cela revient à dire que f1 ∈ A× . En particulier, f1 ∈ A[X]× , et le résultat est vrai par le lemme VI.2.8. On peut donc supposer qu’au moins un polynôme parmi f2 , . . . , fm possède un coefficient qui n’est pas dans m. Quitte à permuter les lignes, on peut supposer que c’est f2 . Puisque A est local, l’hypothèse sur f2 revient à dire que f2 possède un coefficient inversible. Montrons qu’il existe g, h ∈ A[X] tel que gf1 + hf2 soit unitaire de degré d − 1. Pour k ∈ J0, d − 1K, soit (Pk ) la propriété suivante : (Pk ) Pour tout f˜ = bd−1 X d−1 + · · · + b1 X + b0 ∈ (f1 , f2 ) de degré ≤ d − 1 tel que bd−1−k ∈ A× , il existe g, h ∈ A[X] tel que gf1 + hf˜ soit unitaire de degré d − 1. Si k = 0, bd−1 ∈ A× . Ainsi, g = 0 et h = b−1 d−1 conviennent et (P0 ) est vraie. Supposons que (Pk−1 ) soit vraie pour un certain k ∈ J1, d − 1K, et soit f˜ = bd−1 X d−1 + · · · + b1 X + b0 ∈ (f1 , f2 ) VI.3. LE THÉORÈME DE QUILLEN-SUSLIN 127 de degré ≤ d − 1 tel que bd−1−k ∈ A× . Si bd−1 ∈ A× , g = 0 et h = b−1 d−1 conviennent. On peut donc supposer que bd−1 n’est pas inversible, i.e. bd−1 ∈ m puisque A est local. Écrivons f1 = X d + ad−1 X d−1 + · · · + a1 X + a0 , et posons r = X f˜ − bd−1 f1 . Alors, on a d−1 X r = −bd−1 a0 + (bk−1 − bd−1 ak )X k . k=1 Ainsi, r est de degré ≤ d − 1 et son coefficient en X d−k est bd−1−k − bd−1 ad−k . Comme bd−1 ∈ m et que bd−1−k ∈ / m, (puisque bd−1−k est inversible), on a bd−1−k − bd−1 ad−k ∈ / m. Ainsi, r est de degré ≤ d − 1 et son coefficient en X d−k = X d−1−(k−1) est inversible, puisque A est local. De plus, r ∈ (f1 , f2 ) puisque f˜ ∈ (f1 , f2 ). Par hypothèse de récurrence, il existe g, h ∈ A[X] tel que gf1 + hr soit unitaire de degré d − 1. Autrement dit, (g − bd−1 h)f1 + Xhf˜ est unitaire de degré d − 1. Ceci achève la récurrence. En appliquant (Pd−1 ) à f˜ = f2 , on a le résultat voulu. Soient donc g, h ∈ A[X] tels que gf1 + hf2 soit unitaire de degré d − 1. On écrit la division euclidienne f3 = Q3 (gf1 + hf2 ) + R3 , avec deg(R3 ) ≤ d − 2. Quitte à faire l’opération L3 ←− L3 −Q3 gL1 −Q3 hL2 , on peut donc supposer que deg(f3 ) ≤ d−2. L’opération L3 ←− L3 + gL1 + hL2 remplace alors f3 par un polynôme unitaire de degré d − 1. En échangeant L1 et L3 , on est ramené au cas où f1 est unitaire de degré d − 1. On applique alors l’hypothèse de récurrence pour conclure que f ∼ e1 . Ceci achève la récurrence, et la démonstration. Avant de poursuivre, remarquons que tout morphisme d’anneaux ϕ : A −→ B induit un morphisme de A-modules Mp×q (A) −→ Mp×q (B) M = (mij ) 7−→ ϕ(M ) = (ϕ(mij )) . Ce morphisme sera encore noté ϕ. On vérifie aisément que ce morphisme est compatible avec la multiplication matricielle : pour tous p, q, r ≥ 1, tout M ∈ Mp×q (A) et tout M ∈ Mq×r (A), on a ϕ(M N ) = ϕ(M )ϕ(N ). En particulier, ϕ : A −→ B induit un morphisme d’anneaux Mn (A) −→ Mn (B), et donc un morphisme de groupes GLn (A) −→ GL(B). Il s’ensuit que pour tous a, b ∈ An , on a a ∼ b =⇒ ϕ(a) ∼ ϕ(b). Enfin, remarquons que si a ∈ Un (A), alors ϕ(a) ∈ Un (B). Notation. Si evb : A[X] −→ B est le morphisme d’évaluation en b, et si f (X) ∈ A[X]n , on note f (b) son image par le morphisme induit. C’est en fait simplement le vecteur formé des évaluations des coordonnées de f en b. Corollaire VI.3.2. Soit A un anneau local, et soit f ∈ Un (A[X]) (avec n ≥ 1) dont au moins une des composantes est un polynôme unitaire. Alors, f ∼ f (0). 128 VI. MODULES STABLEMENT LIBRES f1 Démonstration. Soit f = ... ∈ Un (A[X]) possédant au moins une composante fn unitaire. Par hypothèse, il existe g1 , . . . , gn ∈ A[X] tels que g1 f1 + · · · + gn fn = 1. Mais alors, g1 (0)f1 (0) + · · · + gn (0)fn (0) = 1. Alors, au moins un des éléments fi (0) n’est pas dans m (sinon on aurait la contradiction 1 ∈ m). Comme A est local, cela revient à dire que f (0) a une composante inversible. Par le lemme VI.2.8, f (0) ∼ e1 sous l’action de GLn (A), et donc aussi sous l’action de GLn (A[X]). On applique alors le théorème précédent pour conclure. On continue par quelques résultats qui nous permettront ensuite de généraliser le théorème de Horrocks à un anneau quelconque. Lemme VI.3.3. Soit A un anneau, et soit S une partie multiplicative de A ne contenant pas 0. Soit ι : A[X] −→ S −1 A[X] le morphisme évident. Enfin, soit M0 ∈ Mp×q (A). (1) Si M ∈ Mp×q (S −1 A[X]) telle que M (0) = ι(M0 ), il existe M1 ∈ Mp×q (A[X]) et s ∈ S tels que que ι(M1 ) = M (sX) et M1 (0) = M0 . (2) Si M1 ∈ Mp×q (A[X]) vérifie ι(M1 ) = 0 et M1 (0) = 0, il existe s ∈ S tel que M1 (sX) = 0. Démonstration. Montrons (1). Soit N ∈ Mp×q (S −1 A[X]) telle que M = M (0) + XN. Soit s ∈ S un dénominateur commun de tous les coefficients de N . Alors, sN = ι(N 0 ), avec N 0 ∈ Mp×q (A[X]). Mais ι et le morphisme induit par la substitution X ←− sX commutent, et donc sN (sX) = ι(N 0 (sX)). Ainsi, M (sX) = ι(M0 + XN 0 (sX)). La matrice M1 = M0 + XN 0 (sX) convient. Supposons maintenant que M1 ∈ Mp×q (A[X]) vérifie ι(M1 ) = 0 et M1 (0) = 0. Il existe donc M2 ∈ Mp×q (A[X]) tel que M1 = XM2 . On a alors ι(M1 ) = Xι(M2 ) = 0. Comme la multiplication par X est injective, on a ι(M2 ) = 0. Chaque coefficient de M2 est donc dans le noyau de la multiplication par un certain élément de S. Soit s ∈ S le produit de tous ces éléments. Alors, sM2 = 0. Par conséquent, on a aussi sM2 (sX) = 0 et ainsi, M1 (sX) = sXM2 (sX) = 0. Ceci achève la démonstration. Lemme VI.3.4. Soit A un anneau, et soit S une partie multiplicative de A ne contenant pas 0. Soit ι : A[X] −→ S −1 A[X] le morphisme évident, et soit P ∈ GLn (S −1 A[X]) telle que P (0) = In . Alors, il existe une matrice P̂ ∈ GLn (A[X]) et un élément s ∈ S tels que P̂ (0) = In et ι(P̂ ) = P (sX). Démonstration. Supposons que P Q = In . Comme P (0) = In , on a aussi Q(0) = In . Par le lemme VI.3.3 (1), il existe P1 , Q1 ∈ Mn (A[X]) et s1 , s2 ∈ S tels que P1 (0) = Q1 (0) = In , ι(P1 ) = P (s1 X), ι(Q1 ) = Q(s2 X). Posons s = s1 s2 , P̃ = P1 (s2 X) et Q̃ = Q1 (s1 X). Alors, ι(P̃ ) = P (sX), ι(Q̃) = Q(sX) et P̃ (0) = Q̃(0) = In . VI.3. LE THÉORÈME DE QUILLEN-SUSLIN 129 Soit R = P̃ Q̃. On a ι(R) = ι(P̃ )ι(Q̃) = P (sX)Q(sX) = In . De plus, R(0) = In . On a donc (R − In )(0) = 0, ainsi que ι(R − In ) = ι(R) − In = 0. Par le lemme VI.3.3 (2), il existe t ∈ S tel que (R − In )(tX) = 0, soit R(tX) = P̃ (tX)Q̃(tX) = In . On a alors P̂ = P̃ (tX) ∈ GLn (A[X]). De plus, P̂ (0) = P̃ (0) = In , et ι(P̂ ) = ι(P̃ (tX)) = P (stX), d’où le résultat. Dorénavant, nous ferons l’abus de notation suivant : si ϕ : A −→ B est un morphisme d’anneaux, et si a, b ∈ Mp×q (A), on écrira a = b ∈ Mp×q (B), ou a ∼ b ∈ Mp×q (B), au lieu de ϕ(a) = ϕ(b) ou ϕ(a) ∼ ϕ(b). Lemme VI.3.5. Soit A un anneau, et soit S une partie multiplicative de A ne contenant pas 0. Soit f (X) ∈ A[X]n . Alors, f ∼ f (0) dans (S −1 A[X])n si, et seulement si, il existe s ∈ S tel que f (X + sY ) ∼ f dans A[X, Y ]n . Démonstration. Soit M ∈ GLn (S −1 A[X]) telle que f (X) = M (X)f (0). On a donc M (X)−1 f (X) = f (0). En appliquant le morphisme induit par S −1 A[X] −→ S −1 A[X, Y ] P (X) 7−→ P (X + Y ), on obtient M (X + Y )−1 f (X + Y ) = f (0). Posons G(X, Y ) = M (X)M (X + Y )−1 ∈ GLn (S −1 A[X + Y ]). On a alors G(X, Y )f (X + Y ) = M (X)(M (X + Y )−1 f (X + Y )) = M (X)f (0) = f (X). En appliquant le morphisme induit par S −1 A[X, Y ] −→ S −1 A[X] P (X, Y ) 7−→ P (X, 0), on obtient également G(X, 0) = M (X)M (X)−1 = In . Puisque S est une partie multiplicative de A, donc de A[X], d’après le lemme précédent, il existe Ĝ(X, Y ) ∈ GLn (A[X, Y ]) et s ∈ S tels que Ĝ(X, 0) = In , et l’image de Ĝ(X, Y ) par le morphisme induit par ι : A[X, Y ] −→ S −1 A[X, Y ] est G(X, sY ). En appliquant le morphisme induit par la substitution Y ← sY à l’égalité G(X, Y )f (X + Y ) = f (X), on obtient G(X, sY )f (X + sY ) = f (X) ∈ (S −1 A[X, Y ])n . Posons v(X, Y ) = Ĝ(X, Y )f (X + sY ) − f (X) ∈ A[X, Y ]n . L’égalité précédente montre que v = 0 ∈ (S −1 A[X, Y ])n . D’autre part, puisque Ĝ(X, 0) = In , on a v(X, 0) = 0. Par le lemme VI.3.3 (2), il existe t ∈ S tel que v(X, tY ) = 0, i.e. Ĝ(X, tY )f (X + tY ) = f (X). Comme Ĝ est inversible, Ĝ(X, tY ) l’est également, d’où le résultat voulu. 130 VI. MODULES STABLEMENT LIBRES Inversement, supposons que f (X + sY ) ∼ f dans A[X, Y ]n . En appliquant le morphisme induit par le morphisme d’anneaux A[X, Y ] −→ S −1 A[X] P 7−→ P (0, s−1 X), on obtient f (0) ∼ f dans S −1 A[X]n . Ceci achève la démonstration. On en déduit le principe local-global suivant. Proposition VI.3.6 (Principe local-global). Soit A un anneau, et soit f ∈ Un (A[X]). Si f ∼ f (0) dans Am [X]n pour tout idéal maximal m, alors f ∼ f (0) dans A[X]. Démonstration. Soit a = {α ∈ A | f (X + αY ) ∼ f (X)}. Montrons que a est un idéal de A. Clairement, 0 ∈ A. Soient α, β ∈ a et soit a ∈ A. Par hypothèse, on a f (X + βY ) ∼ f (X). En appliquant le morphisme induit par A[X, Y ] −→ A[X, Y ] P (X, Y ) 7−→ P (X + αY, aY ), ainsi que le fait que β ∈ a, on obtient f (X + αY + β(aY )) ∼ f (X + αY ) ∼ f (X), ce qui revient à dire que f (X + (α + aβ)Y ) ∼ f (X). Par conséquent, α + aβ ∈ a, et a est bien un idéal de A. Soit m un idéal maximal de A. Par hypothèse, on a f ∼ f (0) dans Am [X]n . D’après le lemme VI.3.5, il existe donc α ∈ A \ m tel que f (X + αY ) ∼ f (X) dans A[X]n . Cet élément est par définition dans a. Autrement dit, a n’est contenu dans aucun idéal maximal de A. Ainsi, a = A. En particulier, 1 ∈ a, et f (X + Y ) ∼ f (X). En appliquant le morphisme induit par A[X, Y ] −→ A[X, Y ] P (X, Y ) 7−→ P (0, X), on obtient f (X) ∼ f (0) dans A[X]n , ce qui achève la démonstration. On peut maintenant généraliser le corollaire VI.3.2. Théorème VI.3.7. Soit A un anneau, et soit f ∈ Un (A[X]) (avec n ≥ 1) dont au moins une des composantes est un polynôme unitaire. Alors, f ∼ f (0). Démonstration. Pour tout idéal maximal m, l’anneau Am est un anneau local. Il suffit alors d’appliquer le corollaire VI.3.2 et la proposition VI.3.6 pour conclure. Nous en arrivons au point culminant de ce chapitre, à savoir le théorème de QuillenSuslin. Théorème VI.3.8 (Quillen-Suslin). Soit K un corps, et soit m ≥ 0 un entier. Alors, tout K[X1 , . . . , Xm ]-module stablement libre de type fini est libre. Démonstration. D’après le corollaire VI.2.4, il suffit de montrer que pour tout n ≥ 2, l’action de GLn (K[X1 , . . . , Xm ]) sur Un (K[X1 , . . . , Xm ]) est transitive, ou encore que tout élément de Un (K[X1 , . . . , Xm ]) est équivalent à e1 . On procède par récurrence sur m. Si m = 0 ou 1, l’anneau K[X1 , . . . , Xm ] est principal et le résultat est vrai. Supposons maintenant que le résultat soit vrai VI.4. MODULES PROJECTIFS SUR UN ANNEAU DE POLYNÔMES 131 pour m − 1 variables, pour un certain m ≥ 2, et soit f ∈ Un (K[X1 , . . . , Xm ]). Si toutes les composantes de f sont à coefficients dans K[X1 , . . . , Xm−1 ], on applique l’hypothèse de récurrence. Supposons maintenant que f possède au moins une composante qui soit un polynôme non constant en Xm . Quitte à échanger des lignes, on peut supposer que c’est f1 . D’après le lemme de Nagata, il existe des entiers k k1 , . . . , km−1 ≥ 1 et α ∈ K × tel que αf1 (Y1 + Ymk1 , . . . , Ym−1 + Ymm−1 , Ym ) soit unitaire en Ym . Remarquons que le morphisme ϕ : K[X1 , . . . , Xm ] −→ K[Y1 , . . . , Ym ] k P (X1 , . . . , Xm ) 7−→ αP (Y1 + Ymk1 , . . . , Ym−1 + Ymm−1 , Ym ) est un automorphisme de K-algèbres. k Puisque f est unimodulaire, αf (Y1 +Ymk1 , . . . , Ym−1 +Ymm−1 , Ym ) l’est aussi. D’après le théorème VI.3.7, on a αf (Y1 + Ymk1 , . . . , Ym−1 + Ymkm−1 , Ym ) ∼ αf (Y1 , . . . , Ym−1 , 0). Comme Y1 , . . . , Ym−1 sont algébriquement indépendantes et que αf (Y1 , . . . , Ym−1 , 0) est un vecteur unimodulaire de K[Y1 , . . . , Ym−1 ]n , l’hypothèse de récurrence nous permet de conclure que αf (Y1 + Ymk1 , . . . , Ym−1 + Ymkm−1 , Ym ) ∼ e1 . En appliquant le morphisme induit par ϕ−1 , on obtient f (X1 , . . . , Xm ) ∼ ϕ−1 (e1 ) = α−1 e1 ∼ e1 . Ceci achève la récurrence, et la démonstration. Nous allons maintenant étudier les K[X1 , . . . , Xn ]-modules projectifs de type fini. VI.4. Modules projectifs sur un anneau de polynômes On commence par quelques compléments sur les A-modules projectifs. Lemme VI.4.1. Soit ρ : A −→ B un morphisme d’anneaux. On suppose que B est un A-module projectif (pour la structure de A-module induite par ρ). Alors, tout B-module projectif est aussi un A-module projectif. Démonstration. Soit P un B-module projectif. Il existe un B-module Q et un ensemble I tels que P × Q 'B B (I) . Cet isomorphisme est aussi un isomorphisme de A-modules. Par hypothèse, il existe un A-module R et un A-module libre L tels que B × R 'A L. Mais alors, on a B (I) × R(I) 'A (B × R)(I) 'A L(I) . Par conséquent, on obtient P × (Q × R(I) ) 'A B (I) × R(I) 'A L(I) . Comme L(I) est un A-module libre, P est un A-module projectif, d’où le résultat. 132 VI. MODULES STABLEMENT LIBRES Lemme VI.4.2. Soit ρ : A −→ B un morphisme d’anneaux. Si P est un A-module projectif (de type fini), alors P ⊗A B est un B-module projectif (de type fini). En particulier, pour tout idéal a de A, P/a·P est un A/a-module projectif (de type fini). Démonstration. Soit P un A-module projectif (de type fini). Il existe donc un Amodule Q et un A-module libre L (de type fini) tel que P × Q 'A L. On vérifie aisément que l’isomorphisme de A-modules (P ⊗A B) × (Q ⊗A B) 'A (P × Q) ⊗A B est un isomorphisme de B-modules. On a alors un isomorphisme de B-modules (P ⊗A B) × (Q ⊗A B) 'B L ⊗A B. D’après le lemme III.4.12, L⊗A B est un B-module libre (de type fini), et P ⊗A B est donc projectif (de type fini). La dernière partie provient d’une application directe de ce qui précède et du lemme III.4.14. Lemme VI.4.3. Soit P un A-module projectif. Pour tout s ∈ A non nul qui n’est pas diviseur de zéro, l’application f : P −→ P x 7−→ s·x est injective. Démonstration. Puisque P est projectif, il est isomorphe à un facteur direct d’un A-module libre. En particulier, il existe un ensemble I et une application A-linaire injective u : P ,→ A(I) . Soit x ∈ P tel que s·x = 0, et écrivons u(x) = (ai )i∈I . Alors, on a u(s·x) = 0 = s·u(x) = (sai )i∈I . Puisque s n’est pas diviseur de zéro et est non nul, on en déduit que ai = 0 pour tout i ∈ I. Par injectivité de u, on en déduit x = 0. Ainsi, f est injective. On continue par un lemme de Schanuel. Lemme VI.4.4 (Schanuel). Supposons que l’on ait deux suites exactes de A-modules 0 /K ι /P π /Q /0 0 / K0 ι0 / P0 π0 / Q0 /0 avec P et P 0 projectifs. Si Q et Q0 sont isomorphes, alors P × K 0 ' P 0 × K. ∼ Démonstration. Choisissons un isomorphisme de A-modules γ : Q −→ Q0 , et soit α = γ ◦ π : P −→ Q0 . Comme π 0 : P 0 −→ Q0 est surjective et P est projectif, VI.4. MODULES PROJECTIFS SUR UN ANNEAU DE POLYNÔMES 133 d’après le théorème I.6.6, il existe un morphisme de A-modules α b : P −→ P 0 tel que le diagramme P ∃α b P0 ~ α π / Q0 0 commute, i.e. tel que π 0 ◦ α b = α = γ ◦ π. Soit x ∈ K. On a π 0 (b α(ι(x))) = α(ι(x)) = γ((π ◦ ι)(x)) = γ(0) = 0. Ainsi, ι(x) ∈ ker(π 0 ) = Im(ι0 ), et il existe donc un unique élément x0 ∈ K 0 tel que α b(ι(x)) = ι0 (x0 ). On le note β(x). On a donc par construction α b ◦ ι = ι0 ◦ β. La linéarité de α b ◦ ι et ι0 , et l’injectivité de ι0 impliquent aisément que β : K −→ K 0 est A-linéaire. On a donc un diagramme commutatif 0 /K /P ι β 0 / K0 α α b 0 ι /Q π / P0 π /0 γ / Q0 0 /0 Considérons les applications linéaires f : K −→ P × K 0 x 7−→ (ι(x), β(x)) et g : P × K 0 −→ P 0 (y, x0 ) 7−→ α b(y) − ι0 (x0 ). Nous allons montrer que la suite 0 /K f / P × K0 g / P0 /0 est exacte, ce qui permettra de conclure que P × K 0 ' P 0 × K en utilisant la projectivité de P 0 et le théorème I.6.6 (5). Clairement, f est injective, car ι est injective. De plus, pour tout x ∈ K, on a g(f (x)) = α b(ι(x)) − ι0 (β(x)) = (b α ◦ ι − ι0 ◦ β)(x) = 0. Ainsi, Im(f ) ⊂ ker(g). Inversement, soit (y, x0 ) ∈ P × K 0 tel que g((y, x0 )) = 0. On a donc α b(y) = ι0 (x0 ), et par conséquent π 0 (b α(y)) = π 0 (ι0 (x0 )) = 0 = α(y) = γ(π(y)). Comme γ est injective, on a π(y) = 0, d’où y ∈ ker(π) = Im(ι). Il existe donc x ∈ K tel que y = ι(x). Mais alors, on a ι0 (x0 ) = α b(ι(x)) = ι0 (β(x)), d’où x0 = β(x) par injectivité de ι0 . Ainsi, (y, x0 ) = (ι(x), β(x)) = f (x) ∈ Im(f ). Finalement, ker(g) = Im(f ). Montrons enfin que g est surjective. Soit y 0 ∈ P 0 . Comme π et γ sont surjectives, α est surjective. Il existe donc y ∈ P tel que α(y) = π 0 (y 0 ). Mais alors, on a π 0 (y 0 ) = π 0 (b α(y)), 134 VI. MODULES STABLEMENT LIBRES et donc α b(y)−y 0 ∈ ker(π 0 ) = Im(ι0 ). Il existe alors x0 ∈ K 0 tel que α b(y)−y 0 = ι0 (x0 ). 0 0 Autrement dit, on a y = g((y, x )), et g est bien surjective. Ceci achève la démonstration de l’exactitude de la suite, ainsi que celle du lemme. Passons à un lemme de Swan. Lemme VI.4.5 (Swan). Soit ρ : A −→ B un morphisme d’anneaux. Soient P, Q deux B-modules projectifs, et soient f : P −→ Q et g : Q −→ P deux applications B-linéaires injectives. On suppose que B, P/(g ◦ f )(P ) et Q/(f ◦ g)(Q) sont des A-modules projectifs. Alors, P/g(Q) et Q/f (P ) sont des A-modules projectifs. Démonstration. On a une suite exacte de B-modules évidente 0 −→ Q −→ P −→ P/g(Q) −→ 0. D’autre part, la projection canonique P −→ P/g(Q) se factorise en une application surjective P/(g ◦ f )(P ) −→ P/g(Q), de noyau g(Q)/(g ◦ f )(P ). Mais, l’application Q −→ P/(g ◦ f )(P ) y 7−→ g(y) est d’image g(Q)/(g ◦ f )(P ), et de noyau f (P ) (car g est injective). On en déduit alors une application B-linéaire injective Q/f (P ) −→ P/(g ◦ f )(P ), et d’image g(Q)/(g ◦ f )(P ). On a donc aussi une suite exacte de B-modules 0 −→ Q/f (P ) −→ P/(g ◦ f )(P ) −→ P/g(Q) −→ 0. Ces deux suites exactes sont aussi des suites exactes de A-modules. Puisque P et B sont des A-modules projectifs, P est un A-module projectif d’après le lemme VI.4.1. Comme par hypothèse P/(g ◦ f )(P ) est un A-module projectif, le lemme de Schanuel donne un isomorphisme de A-modules P/(g ◦ f )(P ) × Q ' P × Q/f (P ). Comme Q est projectif, P/(g ◦f )(P )×Q est aussi projectif, et il existe un A-module R et un A-module libre L tel que (P/(g ◦ f )(P ) × Q) × R 'A L. Par conséquent, (R × P ) × Q/f (P ) 'A L, et Q/f (P ) est un A-module projectif. De même, on montre que P/g(Q) est un A-module projectif. Ceci achève la démonstration. Corollaire VI.4.6. Soit ρ : A −→ B un morphisme d’anneaux, et soit s ∈ B \{0}. On suppose que s n’est pas un diviseur de zéro. Soient P, Q des B-modules projectifs tels que s·P ⊂ Q ⊂ P. Si B et B/(s) sont des A-modules projectifs, il en est de même de P/Q. Démonstration. Soit g : Q −→ P l’inclusion. D’après le lemme VI.4.3, l’application f : P −→ P x 7−→ s·x est injective, et par hypothèse son image est contenue dans Q. Elle induit alors une application injective f : P −→ Q. VI.4. MODULES PROJECTIFS SUR UN ANNEAU DE POLYNÔMES 135 Or, on a P/(g ◦ f )(P ) = P/s·P et Q/(f ◦ g)(Q) = Q/s·Q. Comme P et Q sont des B-module projectifs, P/s·P et Q/s·Q sont des B/(s)-modules projectifs par le lemme VI.4.2. Comme B/(s) est un A-module projectif, on en déduit que P/s·P et Q/s·Q sont des A-modules projectifs par le lemme VI.4.1. Comme de plus B est un A-module projectif, d’après le lemme de Swan, P/g(Q) = P/Q est un A-module projectif. On peut maintenant démontrer le premier résultat important de ce paragraphe. Théorème VI.4.7 (Murthy-Pedrini). Soit A un anneau, et soient P, Q deux A[X]modules projectifs de type fini. Supposons qu’il existe un polynôme unitaire non constant f ∈ A[X] tel que f ·P ⊂ Q ⊂ P. Alors, P et Q sont stablement isomorphes. Démonstration. Soit M = P/Q. Puisque f est unitaire non constant, on a A[X]/(f ) 'A An , où n = deg(f ). En particulier, A[X] et A[X]/(f ) sont des A-module libres, donc projectifs. Comme f est unitaire, f est non nul et n’est pas un diviseur de zéro (si f g = 0 dans A[X], et g est non nul, on en déduit que le coefficient dominant de g est nul, d’où une contradiction). Par le corollaire VI.4.6, M est un A-module projectif. Soit α : A[X] −→ A[X] la multiplication par X, et soit β : A[X] −→ A l’évaluation en 0. Clairement, on a une suite exacte de A-modules α β 0 −→ A[X] −→ A[X] −→ A −→ 0. Comme M est A-projectif, il est plat d’après la proposition III.3.4, et on a donc une suite exacte de A-modules βM α M 0 −→ M ⊗A A[X] −→ M ⊗A A[X] −→ M ⊗A A −→ 0. En tenant compte de l’isomorphisme M ⊗A A ' M , on obtient une suite exacte de A-modules α β0 M 0 −→ M ⊗A A[X] −→ M ⊗A A[X] −→ M −→ 0, où β 0 est définie de manière unique par β 0 (x ⊗ g) = g(0)x pour tout x ∈ M, et tout g ∈ A[X]. En munissant M ⊗A A[X] de la structure de A[X]-modules induite par l’extension des scalaires A −→ A[X], on obtient alors une suite exacte de A[X]-modules. Mais alors, M ⊗A A[X] est un A[X]-module projectif de type fini par le lemme VI.4.2. Comme P est projectif par hypothèse, le lemme de Schanuel appliqué à la suite exacte précédente et à la suite exacte 0 −→ Q −→ P −→ M −→ 0 montre que l’on a un isomorphisme de A[X]-modules P × (M ⊗A A[X]) ' Q × (M ⊗A A[X]). 136 VI. MODULES STABLEMENT LIBRES Comme M ⊗A A[X] est un A[X]-module projectif de type fini, il existe un A[X]module R et un A[X]-module libre de type fini tel que (M ⊗A A[X]) × R ' L. On en déduit alors aisément que l’on a un isomorphisme de A[X]-modules P × L ' Q × L. En particulier, P et Q sont stablement isomorphes. Ceci achève la démonstration. On en déduit alors un théorème de Hilbert. Théorème VI.4.8 (Serre). Soit K un corps, et soit n ≥ 0 un entier. Alors, tout K[X1 , . . . , Xn ]-module projectif de type fini est stablement libre. Démonstration. On procède par récurrence sur n. Soit (Hn ) propriété suivante : (Hn ) Pour tout corps K, tout K[X1 , . . . , Xn ]-module projectif est stablement libre. Si n = 0, un K-module projectif de type fini est un K-espace vectoriel de type fini. Il est donc libre. En particulier, il est stablement libre et (H0 ) est donc vraie. Supposons que (Hn ) soit vraie, pour un certain entier n ≥ 0. Soit K un corps, soit A = K[X1 , . . . , Xn+1 ], et soit P un K[X1 , . . . , Xn+1 ]-module projectif de type fini. Soit S = K[Xn+1 ] \ {0}. C’est une partie multiplicative de A, et S −1 A est canoniquement isomorphe à K(Xn+1 )[X1 , . . . , Xn ]. Or,S −1 P est un S −1 A-module projectif de type fini. Par hypothèse de récurrence, S −1 P est stablement libre. Il existe donc r, s ≥ 0 tels que S −1 P × (S −1 A)r ' (S −1 A)s . On a alors S −1 (P × Ar ) ' (S −1 A)s ' S −1 (As ). Posons M = P × Ar et N = As . Comme P est projectif de type fini, M aussi. De plus, N est libre de type fini, donc projectif de type fini. En particulier, M et N sont de présentation finie. D’après le corollaire II.3.6, il existe un polynôme f ∈ S et des applications A-linéaires α : M −→ N et β : N −→ M tels que β ◦ α = f ·IdM et α ◦ β = f ·IdN , et on a f ·M ⊂ β(N ) ⊂ M. Puisqu’un élément de K non nul est inversible, on peut supposer sans perte de généralité que f est unitaire, quitte à remplacer par λf et α par λα pour un λ ∈ K × bien choisi. Comme f est non nul et non diviseur de zéro, par le lemme VI.4.3, la multiplication par f dans N est injective. La relation α◦β = f ·IdN montre alors que β est injective. Ainsi, on a β(N ) ' N , et β(N ) est aussi projectif. Par le théorème VI.4.7, M et β(N ) sont stablement isomorphes, et comme β(N ) ' N , M et N sont aussi stablement isomorphes. Il existe donc des entiers k, ` ≥ 0 tels que M × Ak ' N × A` , soit encore P × Ar+k ' As+` . Par conséquent, P est stablement libre, ce qui achève la récurrence, ainsi que la démonstration. VI.4. MODULES PROJECTIFS SUR UN ANNEAU DE POLYNÔMES 137 On peut maintenant donner une reformulation extrêment frappante du théorème de Quillen-Suslin. Théorème VI.4.9 (Quillen-Suslin). Soit K un corps, et soit n ≥ 0 un entier. Alors, tout K[X1 , . . . , Xn ]-module projectif de type fini est libre. Démonstration. Soit P un K[X1 , . . . , Xn ]-module projectif de type fini. D’après le théorème de Hilbert, P est stablement libre. D’après le théorème de Quillen-Suslin (théorème VI.3.8), P est libre. Deuxième partie Exercices Rappels et compléments sur les modules Exo 1. Soit ρ : A −→ B un morphisme d’anneaux, et soit M un B-module. Montrer que la loi externe A × M −→ M (a, x) 7−→ ρ(a)·x munit M d’une structure de A-module. Exo 2. Soit A un anneau. Rappelons qu’un A-module M est simple s’il est non nul et n’admet pas de sous-modules non triviaux. 1. Montrer que si M est un A-module simple, alors tout endomorphisme f : M −→ M est soit nul, soit un isomorphisme. 2. Soit m un idéal maximal de A. Montrer que le A-module A/m est simple. 3. Montrer qu’un A-module simple est isomorphe à A/m, pour un certain idéal à gauche m maximal pour l’inclusion. 4. Soit I un idéal de A. Montrer que A/I est simple si, et seulement si, I est maximal. 5. Décrire tous les modules simples sur un anneau principal à isomorphisme près. Exo 3. Soit A un anneau commutatif, et soit M un A-module. Soit I un idéal de A, et soit N un sous-module de M tel que a·x ∈ N pour tout a ∈ I, et tout x ∈ M. Montrer alors que M/N possède une structure naturelle de A/I-module. Exo 4. (Lemme du serpent) Soit A un anneau. Si f : M −→ N est une application linéaire, on pose coker(f ) = N/im(f ). Supposons que l’on ait un diagramme commutatif d’applications linéaires f / M2 g / M3 /0 M1 d1 0 / N1 d2 f0 / N2 141 d3 g0 / N3 142 RAPPELS ET COMPLÉMENTS SUR LES MODULES tel que les deux lignes soient exactes. 1. Montrer que l’on peut définir une application linéaire δ : ker(d3 ) −→ coker(d1 ) telle que la suite d’applications linéaires ker(d1 ) → ker(d2 ) → ker(d3 ) → coker(d1 ) → coker(d2 ) → coker(d3 ) soit exacte. 2. Montrer que si d1 et d3 sont injectives, d2 est injective. 3. Montrer que si d1 et d3 sont surjectives, d2 est surjective. 4. On suppose de plus que f est injective et g 0 est surjective. Montrer que si deux des applications d1 , d2 , d3 sont des isomorphismes, il en est de même de la troisième. Exo 5. (Lemme des cinq) Soit A un anneau. Supposons que l’on ait un diagramme commutatif d’applications linéaires / M2 M1 f1 N1 / M3 f2 f3 / N2 / N3 / M4 f4 / N4 / M5 f5 / N5 tel que les deux lignes soient exactes. 1. Si f1 est surjective et f2 , f4 sont injectives, montrer que f3 est injective. 2. Si f5 est injective et f2 , f4 sont surjectives, montrer que f3 est surjective. Exo 6. Soit k un corps, et soient V1 , . . . , Vn des k-espaces vectoriels de dimension finie. On suppose que l’on a une suite exacte 0 −→ V1 −→ V2 −→ · · · −→ Vn −→ 0 Montrer alors que n X (−1)i dimk Vi = 0. i=1 Exo 7. Soit A un anneau commutatif non nécessairement intègre. Décrire tous les sous-modules libres de A. Exo 8. Soit B un anneau commutatif, et soit M un B-module. Une dérivation de M sur B est une application D : B −→ M vérifiant les propriétés suivantes : (1) pour tous b, b0 ∈ B, D(b + b0 ) = D(b) + D(b0 ); (2) pour tous b, b0 ∈ B, D(bb0 ) = b·D(b0 ) + b0 ·D(b). RAPPELS ET COMPLÉMENTS SUR LES MODULES 143 Si A est un sous-anneau de B, une A-dérivation de M sur B est une dérivation D : B −→ M telle que D(a) = 0 pour tout a ∈ A. En particulier, une A-dérivation est A-linéaire. 1. Montrer que l’ensemble Der(B, M ) des dérivations de M sur B admet une structure naturelle de B-module, et que l’ensemble DerA (B, M ) des A-dérivations de M sur B est un sous-module de Der(B, M ). 2. Montrer que toute dérivation sur M est une Z·1B -dérivation, (où Z·1B est le sous-anneau de B engendré par 1B ). On fixe maintenant un sous-anneau A de B. Un B-module différentiel est un couple (M, D), où M est un B-module, et D est une A-dérivation de M sur B. 3. Soit b = (b1 , . . . , bn ) ∈ B n (avec n ≥ 1), et soit P ∈ A[X1 , . . . , Xn ]. Pour tout B-module différentiel (M, D), montrer que l’on a ∂P ∂P D P (b) = (b)·D(b1 ) + · · · + (b)·D(bn ). ∂X1 ∂Xn 4. Soit L/K une extension de corps. On pose B = L et A = K. Soit b = (b1 , . . . , bn ) ∈ Ln (avec n ≥ 1), et soit f ∈ K(X1 , . . . , Xn ). Pour tout L-module différentiel (M, D), montrer que l’on a ∂f ∂f (b)·D(b1 ) + · · · + (b)·D(bn ). D f (b) = ∂X1 ∂Xn Un morphisme de modules différentiels f : (M1 , D1 ) −→ (M2 , D2 ) est une application B-linéaire f : M1 −→ M2 telle que D2 = f ◦ D1 . Un B-module différentiel (Ω, d) est dit universel si pour tout B-module différentiel (M, D), il existe un unique morphisme f : (Ω, d) −→ (M, ∆). 5. Montrer que si (Ω1 , d1 ) et (Ω2 , d2 ) sont deux B-modules différentiels universels, alors il existe un unique isomorphisme de B-modules ∼ u : (Ω1 , d1 ) −→ (Ω2 , d2 ). On se propose maintenant de construire un B-module différentiel universel. 6. On note le E B-module de toutes les applications de B de B. Pour tout b ∈ B, on note χb ∈ E l’application définie par 1 si b0 = b 0 χb (b ) = 0 sinon. Montrer que la famille (χb )b∈B est une famille B-libre de E. On note M le B-module de E engendré par la famille (χb )b∈B . Soit N le sousmodule de M engendré par les éléments χa , a ∈ A, 144 RAPPELS ET COMPLÉMENTS SUR LES MODULES et χb+b0 − χb − χb0 , χbb0 − b·χb0 − b0 ·χb , b, b0 ∈ B. On pose Ω1B/A = M/N , et si b ∈ B, on note db sa classe d’équivalence dans Ω1B/A . On a donc une application d : B −→ Ω1B/A b 7−→ db. 7. Montrer que (Ω1B/A , d) est un B-module différentiel universel, engendré par la famille (db)b∈B . 8. Soient b1 , β1 , . . . , bn , βn ∈ B. Montrer que β1 ·db1 + · · · + βn ·dbn = 0 ∈ Ω1B/A si, et seulement si, pour tout B-module différentiel (M, D), on a l’égalité β1 ·D(b1 ) + · · · + βn ·D(bn ) = 0 ∈ M. 9. Soit (Xi )i∈I une famille d’indéterminées indépendantes. En utilisant les questions précédentes, montrer que Ω1A[(Xi )i∈I ]/A est un A[(Xi )i∈I ]-module libre, de base (dXi )i∈I . Montrer que ce résultat reste valable si B = K (Xi )i∈I et A = K. 10. Montrer que Ω1L/K = 0 pour toute extension de corps L/K séparable. Indication : si α ∈ L, et si P = Irr(α, K), alors P et P 0 sont premiers entre eux. 11. Soit A un anneau de caractéristique 2, et soit B = A[X]/(X 2 − a), avec a ∈ A. On pose α = X. a. Vérifier que (1, α) est une base de B, vu comme A-module. b. Montrer que l’application D: B −→ B a1 + a2 ·α 7−→ a2 est un élément de DerA (B, B). c. En utilisant 8., en déduire que Ω1B/A est un B-module libre, de base dα. 12. Soit A = C, et soit B = C[X]/(X 2 ). Montrer que le C[X]-module Ω1B/A est non nul, et de torsion. Exo 9. Montrer qu’un produit direct d’un nombre fini de modules noethériens est noethérien. Exo 10. Montrer que dans un anneau noethérien intègre, tout élément non nul se décompose en produit d’un élément inversible et d’éléments irréductibles. La décomposition est-elle unique à association et permutation des facteurs près ? √ (considérer A = Z[i 5] et décomposer 6 ∈ A). RAPPELS ET COMPLÉMENTS SUR LES MODULES Exo 11. 145 Soit H l’anneau des fonctions entières (i.e. holomorphes sur C). 1. En utilisant le principe du prolongement analytique, montrer que H est un anneau intègre. 2. Montrer que les éléments inversibles de H sont les fonctions entières ne s’annulant pas. 3. Montrer que pour tout z0 ∈ C, z − z0 est irréductible. Réciproquement, montrer que les fonctions z − z0 , z0 ∈ C sont les seuls éléments irréductibles de H, à association près. Indication : une fonction irréductible n’est pas inversible, donc s’annule en un point. 4. En déduire que f ∈ H possède une factorisation en produit d’irréductibles et d’une unité si, et seulement si, la fonction entière f possède un nombre fini de zéros. 5. Donner un exemple d’une fonction f ∈ H qui ne possède pas de factorisation, et en déduire que H n’est pas noethérien. 6. En considérant l’idéal engendré par les fonctions fn : C −→ z 7−→ C sin(πz) z(z−1)···(z−n) , montrer directement que H n’est pas noethérien. Exo 12. Soit G un groupe, et soit A un anneau commutatif. On note A[G] le Amodule des fonctions de G dans A. Pour tout g ∈ G, on note [g] ∈ A[G] la fonction définie par 1 si h = g [g](h) = 0 sinon. 1. Montrer que A[G] est un A-module libre, de base ([g])g∈G . 2. Soit µ : A[G] × A[G] −→ A[G] l’unique application A-bilinéaire définie par µ([g], [g 0 ]) = [gg 0 ] pour tous g, g 0 ∈ G. Si f, f 0 ∈ A[G], on écrira dans la suite f f 0 au lieu de µ(f, f 0 ). Montrer que A[G], muni de ce produit, est un anneau. 3. Soit k un corps. On suppose que G est fini d’ordre n, et que car(k) - n. Soit P un k[G]-module, et soit 0 / M1 ι / M2 π /P /0 une suite exacte de k[G]-modules. a. Justifier l’existence d’une application k-linéaire j : P −→ M2 telle que π◦j = IdP . 146 RAPPELS ET COMPLÉMENTS SUR LES MODULES b. Pour tout x ∈ P , on pose ε(x) = 1 X −1 g ·j(g·x). n g∈G Montrer que l’application ε : P −→ M2 est k[G]-linéaire et vérifie π ◦ ε = IdP . c. En déduire que tout k[G]-module est projectif. Exo 13. Soit A un anneau commutatif, et soit I un idéal de type fini vérifiant I 2 = I. Montrer qu’il existe e ∈ A tel que e2 = e et I = (e). Exo 14. Soit A un anneau commutatif et soient M et N deux A-modules, où N est de type fini. Soit J l’intersection de tous les idéaux maximaux de A. Enfin, soit u : M −→ N une application linéaire. 1. Vérifier que u induit une application linéaire v : M/J·M −→ N/J·N. 2. On suppose que v est surjective. Calculer im(u) + J·N et en déduire que u est surjective. Exo 15. Soit A un anneau commutatif. On se propose de retrouver le fait que toutes les bases d’un A-module libre de type fini ont même cardinal. Soit M un A-module, et soit f ∈ EndA (M ). 1. Vérifier que l’on munit M d’une structure de A[X]-module sur M en posant P ·x = P (f )(x) pour tout P ∈ A[X], et tout x ∈ M. 2. On suppose que M est de type fini et que f est surjective. Montrer que A[X]X·M = M et en déduire que f est bijective. 3. Conclure. 4. En déduire aussi le résultat suivant : si M est un A-module libre de rang n, et si (x1 , . . . , xn ) est une famille génératrice de M , alors c’est une base de M . Localisation Si S est une partie multiplicative de A, on suppose implicitement que 0 ∈ / S. Exo 16. Soit A un anneau commutatif, soit S une partie multiplicative et soit M un A-module. Vérifier que S −1 A est un anneau et que S −1 M est un S −1 A-module. Exo 17. Soit S une partie multiplicative d’un anneau A. Montrer que l’on a (S −1 A)× = { Exo 18. a | a ∈ A, (a) ∩ S 6= ∅, s ∈ S}. s Soit S une partie multiplicative d’un anneau A. 1. Montrer que si A est noethérien, resp. intègre, resp. principal, il en est de même de l’anneau S −1 A. 2. Soit A un anneau factoriel. a) Si π ∈ A est irréductible et (π) ∩ S = ∅, montrer que de S −1 A. π est un élément premier 1 a ∈ S −1 A non nul est le produit d’un élément inversible et s π d’éléments de la forme , où π ∈ A est irréductible et (π) ∩ S = ∅. 1 c) En déduire soigneusement que les éléments irréductibles de S −1 A sont à assoπ ciation près les éléments de la forme , où π ∈ A est irréductible et (π) ∩ S = ∅, et 1 que S −1 A est factoriel. b) Montrer que tout Exo 19. Soit A un anneau, et soit M un A-module. Si Z est une partie de A, on note Z·M le sous-module de M engendré par les éléments de la forme z·x avec z ∈ Z et x ∈ M. Si I et J sont deux idéaux de A, on note IJ l’idéal de A engendré par les produits xy, x ∈ I, y ∈ J. On suppose que A est commutatif. Pour toute partie multiplicative S, montrer les égalités S −1 (I·M ) = S −1 I·S −1 M et S −1 (IJ) = (S −1 I)(S −1 J). 147 148 LOCALISATION Exo 20. Soit S une partie multiplicative d’un anneau A. Un localisé de A en S est un couple (A0 , ι), où A0 est un anneau commutatif et ι : A −→ A0 est un morphisme d’anneaux tel que ι(S) ⊂ A0× vérifiant la propriété universelle suivante : pour tout anneau B et tout morphisme d’anneaux f : A −→ B tel que f (S) ⊂ B × , il existe un unique morphisme d’anneaux f 0 : A0 −→ B tel que le diagramme A /B > f ι ∃! f 0 A0 commute, c’est-à-dire tel que f = f 0 ◦ ι. On dit que deux localisés (A01 , ι1 ) et (A02 , ι2 ) sont isomorphes s’il existe un isomor∼ phisme d’anneaux u : A01 −→ A02 tel que le diagramme A ι2 ~ A02 / A01 ι1 u commute, c’est-à-dire tel que ι2 = u ◦ ι1 . On le note (A01 , ι1 ) ' (A02 , ι2 ). 1. Montrer que si (A01 , ι1 ) et (A02 , ι2 ) sont deux localisés de A en S, alors il existe un unique isomorphisme de localisés ∼ u : (A01 , ι1 ) −→ (A02 , ι2 ). 2. Montrer que le couple (S −1 A, ιS,A ) est un localisé de A en S au sens précédent. Exo 21. Soit A un anneau commutatif intègre. 1. Montrer que pour tout idéal premier p, le morphisme A −→ KA induit un morphisme d’anneaux injectif Ap −→ KA . 2. On identifie A et Ap avec leurs images dans KA . Montrer que l’on a \ Ap = A. p Exo 22. Soit S une partie multiplicative d’ un anneau A. Soit M un A-module. Enfin, soit (Mi )i∈I une famille de A-modules. 1. Montrer que S −1 a i∈I Mi ' a i∈I S −1 Mi . LOCALISATION 2. Montrer que si M = M 149 Mi , montrer que S −1 Mi s’identifie naturellement à un i∈I sous-module de S −1 M pour tout i ∈ I, et que l’on a alors M S −1 M = S −1 Mi . i∈I 3. Donner une nouvelle démonstration du fait que le localisé d’un module projectif est projectif. Exo 23. Soit S une partie multiplicative d’un anneau A, et soit M un A-module. On dit que x ∈ M est un élément de S-torsion s’il existe s ∈ S tel que s·x = 0. L’ensemble des éléments de S-torsion de M sera noté TorS (M ). On dit que M est un module de S-torsion si M = TorS (M ) et que M est sans S-torsion si TorS (M ) = 0. 1. Montrer que l’ensemble TorS (M ) est un sous-module de S-torsion de M , et que le module M/TorS (M ) est sans S-torsion ; 2. Montrer que l’on a S −1 M = 0 si, et seulement si, M est un module de S-torsion. 3. Montrer que l’on a un isomorphisme de S −1 A-modules S −1 M ' S −1 M/TorS (M ) . 4. Montrer l’application ιS,M : M −→ S −1 M est injective si, et seulement si, M est sans S-torsion. Exo 24. S ⊂ T. Soit A un anneau, et soient S, T deux parties multiplicatives telles que 1. Soit f : M −→ N une application A-linéaire. Montrer que si fS : S −1 M −→ S −1 N est injective/surjective/bijective, il en est de même de fT : T −1 M −→ T −1 N. 2. Soit M un A-module. Montrer que ιS,A (T )−1 (S −1 M ) possède une structure naturelle de T −1 A-module, et que l’on a un isomorphisme de T −1 A-modules ιS,A (T )−1 (S −1 M ) ' T −1 M. Exo 25. Soit A = Z et soit S = A \ {0} ; on a donc S −1 A = Q. 1. Soit d ≥ 2 un entier, et soit M =N = a Z/dn Z. n≥1 Pour tout n ≥ 1 et tout x ∈ Z, on note [x]n la classe de x modulo dn . a. Montrer que M est un module de Z-torsion, et en déduire que S −1 M = 0. b. En considérant IdM 1 , montrer que S −1 EndZ (M ) est non nul. c. En déduire que l’application canonique Θ est nulle, donc surjective, mais pas injective. 150 LOCALISATION 2. Soit M = N = Z[X], et soit m ≥ 2 un entier. a. Vérifier que S −1 M = Q[X]. Soit gm : Q[X] −→ Q[X] P 7−→ P X · m b. Montrer que gm ∈ / im (Θ), et donc que Θ n’est pas surjective. c. Montrer que Θ est injective. a 3. Soit M = N = Z[X] × Z/dn Z. Montrer que Θ n’est ni injective, ni surjective. n≥1 Exo 26. Soit B un anneau commutatif, soit A un sous-anneau de B, et soit S une partie multiplicative de B. On reprend les définitions de l’exercice 8. On note (Ω1B/A , δ) le A-module différentiel universel sur B. 1. Montrer que S −1 A est un sous-anneau de A, et que S −1 (δ) est une A-dérivation de S −1 Ω1B/A sur S −1 B. 2. On note (Ω1S −1 B/S −1 A , d) le S −1 A-module différentiel universel sur S −1 B. Montrer que l’on a un isomorphisme de A-modules différentiels (Ω1S −1 B/S −1 A , d) ' S −1 Ω1B/A , S −1 (δ) . Exo 27. Soient M et N deux sous-modules d’un même A-module. Montrer que les propriétés suivantes sont équivalentes : (1) on a M = N ; (2) on a Mp = Np pour tout idéal premier p ; (3) on a Mm = Nm pour tout idéal maximal m. Indication : on pourra appliquer le lemme de délocalisation aux modules (M + N )/M et (M + N )/N . √ √ Exo 28. Soit A = Z[i 5], et soit m = (2, 1 + i 5). On se propose de retrouver le fait que m est projectif (non libre). 1. Justifier que A est noethérien, et en déduire que m est de présentation finie. 2. Montrer que m est un idéal maximal. On pourra par exemple utiliser l’isomorphisme d’anneaux Z[X]/(X 2 + 5) ' A. 3. Soit m0 un idéal maximal de A. Montrer que si m 6⊂ m0 , alors mm0 = Am0 . √ 1+i 5 4. Montrer que mm est engendré par . 1 LOCALISATION 151 5. En déduire que m est projectif. Exo 29. Soit A = Z[X], soit p un nombre premier, et soit f ∈ A un polynôme unitaire dont la réduction f modulo p est irréductible dans Fp [X]. Enfin, soit m = (p, f ). 1. Montrer que l’application linéaire ϕ: A2 −→ m (P, Q) 7−→ pP + f Q. est surjective, de noyau A·(f, −p). En déduire que m est de présentation finie, donc de type fini. 2. En considérant le morphisme d’anneaux ρ : Z[X] −→ Fp [X]/(f ) P 7−→ P + (f ), montrer que m est un idéal maximal de A. 3. Montrer par l’absurde que mm n’est pas un idéal principal de Am . 4. En remarquant que Am est intègre, en déduire que m est un A-module de présentation finie qui n’est pas projectif. Exo 30. Soit A un anneau intègre, et soit KA le corps des fractions de A. Soit P un A-module projectif de type fini. On pose KA P = P(0) . 1. Montrer que pour tout idéal premier p, on a rgp (P ) = dimKA (KA P ). En particulier, P est de rang constant. e1 en Indication : Justifier l’existence d’éléments e1 , . . . , en ∈ P tels que ( , · · · , ) 1 1 en e1 soit une Ap -base de Pp . Montrer alors que ( , · · · , ) est une KA -base de KA P. 1 1 2. En déduire que pour tout idéal maximal m, on a dimA/m (P/m·P ) = dimKA (KA P ). 3. Soit K un corps, soit A = K[X, Y, Z] et soit P = A3 /A·(X, Y, Z). Le A-module P est-il projectif ? Indication. On pourra considérer l’idéal maximal m = (X, Y, Z). Exo 31. Si M est un A-module, on note M ∗ = HomA (M, A). 1. Montrer que si M est libre de rang r, alors M ∗ est libre de rang r. 152 LOCALISATION 2. Soit P un A-module projectif de type fini. Montrer que P ∗ est un A-module projectif de type fini. Montrer que si P est de rang constant, alors P ∗ est de rang constant, et que l’on a rg(P ∗ ) = rg(P ). 3. Soit M un A-module. Pour tout x ∈ P , on note χ(x) l’application définie par χ(x)(ϕ) = ϕ(x) pour tout ϕ ∈ M ∗ . a) Montrer que pour tout x ∈ M, χ(x) ∈ M ∗∗ , et que χ : M −→ M ∗∗ est linéaire. b) Montrer que pour tout A-module projectif de type fini, χ : P −→ P ∗∗ est un isomorphisme de A-modules. c) Soient P, Q deux A-modules projectifs de type fini. Montrer que P ' Q si, et seulement si, P ∗ ' Q∗ . Produit tensoriel Exo 32. Soient n, m ≥ 1 deux entiers, et soit d leur pgcd. Montrer que l’on a un isomorphisme de Z-modules Z/nZ ⊗Z Z/mZ ' Z/dZ. Exo 33. Soient S une partie multiplicative de A et M1 , . . . , Mn des A-modules. Montrer que l’on a un isomorphisme canonique de S −1 A-modules S −1 (M1 ⊗A · · · ⊗A Mn ) ' S −1 M1 ⊗S −1 A · · · ⊗S −1 A S −1 Mn . Indication : on pourra se ramener au cas n = 2, et utiliser les propriétés d’associativité du produit tensoriel et de l’extension des scalaires. Exo 34. Soit A un anneau commutatif. Soient M1 , . . . , Mn , M, N des A-modules. On note M ∗ = HomA (M, A). On suppose connus les résultats de l’exercice 31. 1. Montrer qu’il existe une unique application A-linéaire ϕ : M ∗ ⊗A N −→ HomA (M, N ) telle que ϕ(f ⊗ y)(x) = f (x)·y, ∗ pour tout f ∈ M , tout x ∈ M et tout y ∈ N . 2. Montrer qu’il existe une unique application A-linéaire ψ : M1∗ ⊗A · · · ⊗A Mn∗ −→ (M1 ⊗A · · · ⊗A Mn )∗ telle que ψ(f1 ⊗ · · · ⊗ fn )(x1 ⊗ · · · ⊗ xn ) = f1 (x1 ) · · · fn (xn ), pour tout fi ∈ Mi∗ , et tout xi ∈ Mi . 3. Montrer que si les modules M1 , . . . , Mn , M et N sont projectifs de type fini et de rang constant, ϕ et ψ sont des isomorphismes. Indication : se ramener au cas de modules libres. Exo 35. Soient P et Q des A-modules. 153 154 PRODUIT TENSORIEL 1. Montrer qu’il existe une unique application linéaire χ : P ∗ ⊗A P −→ A telle que χ(f ⊗ x) = f (x) pour tout f ∈ P ∗ , et tout x ∈ P. 2. On suppose que P est projectif de type fini et de rang 1. Montrer que χ est un isomorphisme de A-modules. 3. Montrer que si P et Q sont projectifs de type fini, alors P ⊗A Q est projectif de type fini. Montrer aussi que si P et Q sont de rang constant, il en est de même de P ⊗A Q. 4. On note Pic(A) l’ensemble des classes d’isomorphismes de A-modules projectifs de type fini et de rang 1. Montrer que le produit tensoriel induit sur Pic(A) une structure de groupe abélien, dont on précisera le neutre. Ce groupe s’appelle le groupe de Picard de A. 5. Quel est le groupe de Picard d’un anneau principal ? Exo 36. On reprend les notations de l’exercice 8, dont on supposera connus les résultats. Soit B un anneau commutatif, et soit A un sous-anneau de B. 1. Vérifier que la loi produit B × B −→ B induit une application A-linéaire µ : B ⊗A B −→ B. 2. Soit I = ker(µ). On note I 2 l’idéal de B engendré par les éléments xy, avec x, y ∈ I. Montrer que, pour tout b ∈ B, on a 1 ⊗ b − b ⊗ 1 ∈ I, et que l’application δ : B −→ I/I 2 b 7−→ 1 ⊗ b − b ⊗ 1 est une A-dérivation de I/I 2 sur B. ∼ 3. Montrer qu’il existe un unique isomorphisme u : Ω1B/A −→ I/I 2 de B-modules tel que u(db) = 1 ⊗ b − b ⊗ 1 pour tout b ∈ B. Exo 37. Soient M1 , M2 , M3 et M des A-modules. 1. Montrer que pour toute partie multiplicative S de A, le A-module S −1 A est plat. 2. Montrer que pour tout A-module plat M , et toute partie multiplicative S, le S −1 A-module S −1 M est plat. 3. Montrer que les propriétés suivantes sont équivalentes : (i) le A-module M est plat ; (ii) le Ap -module Mp est plat pour tout idéal premier p ; (iii) le Am -module Mm est plat pour tout idéal maximal m. PRODUIT TENSORIEL 155 Exo 38. Soient M1 , . . . , Mn des A-modules. Montrer que l’on a a1 ⊗· · ·⊗an = 0 si, et seulement si, on a ϕ(a1 , . . . , an ) = 0 pour tout A-module N et toute application n-linéaire ϕ ∈ Multn (M1 , . . . , Mn ; N ). Exo 39. On considère R comme un Z-module. 1. Soit y ∈ R \ Q. Montrer qu’il existe ϕ ∈ HomZ (R, Q) telle que ϕ(1) = 0 et ϕ(y) = 1. 2. Soit x ∈ R× et y ∈ R. Montrer que l’on a x ⊗ y = 0 ∈ R ⊗Z R/Z ⇐⇒ y ∈ Q. 3. Soit (xi )i∈I une famille Q-libre de R, et soit V le sous-espace de R engendré par cette famille. Montrer que si 1 ∈ / V , alors (1 ⊗ xi )i∈I est une famille R-libre de R ⊗Z R/Z. Exo 40. Soit ρ : A −→ B un morphisme d’anneaux commutatifs, et soient M, N des A-modules. 1. Montrer qu’il existe un isomorphisme canonique de B-modules (M ⊗A N ) ⊗A B ' (M ⊗A B) ⊗B (N ⊗A B). 2. Montrer que si P est un A-module projectif de type fini, P ⊗A B est un B-module projectif de type fini. Exo 41. Soit A anneau. On note Proj(A) l’ensemble des A-modules projectifs de type fini. On munit E = Proj(A) × Proj(A) de la relation ∼ suivante. On dit que (P, Q) ∼ (P 0 , Q0 ) s’il existe N ∈ Proj(A) tel que P × Q0 × N ' P 0 × Q × N. 1. Montrer que ∼ est une relation d’équivalence. On note K0 (A) l’ensemble quotient correspondant. 2. Montrer les lois E × E −→ E ((P, Q), (P 0 , Q0 )) 7−→ (P × P 0 , Q × Q0 ) et E × E −→ E ((P, Q), (P 0 , Q0 )) 7−→ (P ⊗A P 0 × Q ⊗A Q0 , P ⊗A Q0 × Q ⊗A P 0 ) induisent deux lois sur K0 (A) qui en font un anneau commutatif. On précisera les éléments neutres, et l’opposé d’un élément de K0 (A). 3. On note [P ] la classe d’équivalence de (P, 0). Montrer que tout élément de K0 (A) s’écrit sous la forme [P ] − [Q]. 156 PRODUIT TENSORIEL 4. Montrer que l’on a [M ] = [N ] ⇐⇒ il existe n ≥ 0 tel que M × An ' N × An . 5. Soit hA : Z −→ K0 (A) l’unique morphisme d’anneaux tel que hA (1) = [A]. a. Montrer que hA : Z −→ K0 (A) est injectif. b. Montrer que le morphisme hA est surjectif si, et seulement si, pour tout A-module M projectif de type fini, il existe deux entiers r, s ≥ 0 tels que M × Ar ' As . 6. Montrer que si A est principal, on a un isomorphisme d’anneaux K0 (A) ' Z. 7. Montrer que tout morphisme d’anneaux f : A −→ B induit un morphisme d’anneaux K0 (f ) : K0 (A) −→ K0 (B). 8. En considérant un morphisme d’anneaux A −→ k, où k est un corps commutatif, montrer que Z est un facteur direct de K0 (A). 9. Montrer que K0 (IdA ) = IdK0 (A) , et que si g : B −→ C est un autre morphisme d’anneaux, alors K0 (g ◦ f ) = K0 (g) ◦ K0 (f ). 9. Soient A et B deux anneaux. Montrer que l’on a un isomorphisme d’anneaux K0 (A × B) ' K0 (A) × K0 (B). Extensions entières d’anneaux Exo 42. Si K est un sous-corps de C, on note OK le sous-anneau des éléments de K qui sont entiers sur Z. 1. Montrer que OQ = Z. 2. Montrer que OC n’est pas un corps, mais que OC n’a pas d’éléments irréductibles. 3. Montrer que OC n’est pas noethérien. 4. Montrer que OK est intégralement clos. 5. Montrer que tout idéal premier non nul de OK est maximal. On pourra d’abord démontrer que si p est un idéal premier non nul de OK , alors p ∩ Z est un idéal premier non nul de Z. 6. Soit d ∈ Z un entier sans facteurs carrés, et soit √ √ K = Q( d) = {a + b d | a, b, ∈ Z}. √ √ Montrer OK = Z[ d] si d 6≡ 1 [4] et que OK = Z[ 1+2 d ] si d ≡ 1 [4] Exo 43. Soit K/Q une extension de degré n. Le but de cet exercice est de montrer que OK est un Z-module libre de rang n (i.e. isomorphe à Zn ) 1. Si x ∈ K, on note TrK/Q (x) la trace de la multiplication à gauche par x dans K. Montrer que la forme bilinéaire symétrique b : K × K −→ Q (x, y) 7−→ TrK/Q (xy) est non dégénérée. Indication : quelle est la trace de 1 ? 2. Si x ∈ K, montrer que µ`x = µx,Q . En déduire qu’il existe un entier m ≥ 1 tel que χ`x = µm x,Q , puis que TrK/Q (x) ∈ Z si x ∈ OK . 3. Montrer que si x ∈ K, il existe λ ∈ Z non nul tel que λx ∈ OK . 4. En déduire l’existence d’une Q-base e1 , . . . , en de K formée d’éléments de OK . Soit e∗1 , . . . , e∗n ∈ K la base duale par rapport à b. Montrer que l’on a OK ⊂ Ze∗1 ⊕ . . . ⊕ Ze∗n . 157 158 EXTENSIONS ENTIÈRES D’ANNEAUX 5. En déduire OK est un Z-module libre de rang n. Exo 44. Soit K/Q une extension finie de degré n, et soient σ1 , . . . , σn les n plongements de K/Q. Si x1 , . . . , xn ∈ K, on pose 2 DK/Q (x1 , . . . , xn ) = det σj (xi ) 1≤i,j≤n . 1. Montrer que l’on a DK/Q (x1 , . . . , xn ) = det TrK/Q (xi xj ) 1≤i,j≤n . En déduire que DK/Q (x1 , . . . , xn ) ∈ Q× pour toute Q-base (x1 , . . . , xn ) de K. 2. Soit α ∈ C un élément algébrique de degré n, soit K = Q(α), et soit f = µα,Q . Montrer que l’on a n(n−1) DK/Q (1, α, . . . , αn−1 ) = (−1) 2 NK/Q f 0 (α) . 3. Soit f un polynôme unitaire irréductible de Q[X], et soit α ∈ C une racine de f . Montrer que DQ(α)/Q (1, α, . . . , αn−1 ) est indépendant du choix de α. On le note disc(f ). 4. Calculer disc(f ) lorsque f = X 2 + aX + b et f = X 3 + pX + q. y1 5. Soient x1 , y1 . . . , xn , yn ∈ K. On suppose qu’il existe P ∈ Mn (Q) tel que ... = yn x1 P ... . Montrer que xn DK/Q (y1 , . . . , yn ) = det(P )2 DK/Q (x1 , . . . , xn ). 6. Soit ω1 , . . . , ωn une Z-base de OK . Montrer que DK/Q (ω1 , . . . , ωn ) est un entier non nul, et qu’il ne dépend pas du choix de la base ω1 , . . . , ωn . Cet entier est noté dK , et est appelé le discriminant de K/Q. 7. Soient x1 , . . . , xn ∈ OK . Montrer qu’il existe m ≥ 0 tel que DK/Q (x1 , . . . , xn ) = m2 dK , et que DK/Q (x1 , . . . , xn ) = dK si, et seulement si, x1 , . . . , xn est une Z-base de OK . √ 8. Calculer dK lorsque K = Q( d). Exo 45. Soit K/Q une extension finie. En séparant les permutations en deux classes à gauche modulo An dans l’expression du déterminant, démontrer que l’on a dK ≡ 0 ou 1 [4]. EXTENSIONS ENTIÈRES D’ANNEAUX 159 Exo 46. Soit K/Q une extension finie, et soit α ∈ OK tel que K = Q(α). Soit f = Irr(α, Q). 1. En utilisant le théorème de la base adaptée, montrer que OK : Z[α] est fini et que 2 disc(f ) = OK : Z[α] dK . 2. En déduire que OK = Z[α] dans chacun des cas suivants : a. disc(f ) est sans facteur carré b. disc(f ) = 4m, où m est sans facteur carré et m 6≡ 1 mod 4. Exo 47. Soit K = Q(α), où α ∈ C est une racine du polynôme f de Z[X] donné par f (X) = X 3 − X 2 − 2X − 8. 1. Montrer que f est irréductible sur Q. α2 + α . Montrer que β 3 − 3β 2 − 10β − 8 = 0, et en déduire que β est 2. Soit β = 2 entier sur Z. 3. Vérifier que DK/Q (1, α, β) = −503. 4. En déduire que la famille (1, α, β) est une Z-base de OK . 5. Montrer que DK/Q (1, θ, θ2 ) est pair pour tout θ ∈ OK . En déduire que OK 6= Z[θ] pour tout θ ∈ OK . Indication : écrire θ = a + bα + cβ, a, b, c ∈ Z, et calculer DK/Q (1, θ, θ2 ) modulo 2 en fonction a, b et c. Exo 48. Soit K/Q une extension de degré n, et soit α ∈ OK tel que K = Q(α). Soit f = Irr(α, Q). On suppose que f est un polynôme d’Eisenstein en un nombre premier p. Autrement dit, f = X n + pmn−1 X n−1 + · · · + pm1 X + pm0 , avec mi ∈ Z et p - m0 . On veut montrer que p - OK : Z[α] . On suppose que p | OK : Z[α] . 1. Justifier l’existence de β ∈ OK tel que β ∈ / Z[α] et pβ ∈ Z[α]. 2. En déduire qu’il existe γ ∈ OK , γ ∈ / Z[α] tel que pγ = αr (a0 + a1 α + · · · + an−r−1 αn−r−1 ), pour un certain entier 0 ≤ r ≤ n − 1, et des entiers ai ∈ Z, avec p - a0 . 3. En remarquant que αn ∈ pOK , en déduire que a0 αn−1 ∈ pOK . 4. En calculant la norme, aboutir à une contradiction. 5. On suppose que pour tout p premier tel que p2 | disc(f ), le polynôme f est un polynôme d’Eisenstein en p. Montrer que OK = Z[α]. 160 EXTENSIONS ENTIÈRES D’ANNEAUX √ 6. Soit K = Q( 3 2). Déterminer OK . 7. Soit p un nombre premier, et soit K = Q(ζp ). Calculer disc(φp ). En considérant ζp − 1, montrer que OK = Z[ζp ]. Exo 49. Soit K un corps. 1. Soit L/K une extension de corps. On suppose que L est une K-algèbre de type fini. Montrer que [L : K] est fini. 2. Soit n ≥ 0 un entier, et soit un idéal maximal de K[X1 , . . . , Xn ]. Montrer que le corps K[X1 , . . . , Xn ]/m est une extension de degré fini de K. 3. On suppose que K est algébriquement clos. Montrer que tout idéal maximal de K[X1 , . . . , Xn ] est de la forme mx = (X1 − x1 , . . . , Xn − xn ), x = (x1 , . . . , xn ) ∈ K n . Indication : Si m est un idéal maximal, justifier que K[X1 , . . . , Xn ]/m ' K, et considérer les images a1 , . . . , an des classes de X1 , . . . , Xn par cet isomorphisme. 4. On suppose que K est algébriquement clos. Soient P1 , . . . , Pr ∈ K[X1 , . . . , Xn ]. En utilisant la question précédente, montrer que le système Pi (x1 , . . . , xn ) = 0, i ∈ J1, rK n’a aucune solution dans K n si, et seulement si, (P1 , . . . , Pr ) = K[X1 , . . . , Xn ]. Dimension de Krull Exo 50. Montrer qu’un espace topologique séparé est irréductible si, et seulement si, il est réduit à un point. Exo 51. Donner l’exemple d’un espace topologique connexe non irréductible. Exo 52. Soit A un anneau commutatif. Le but de cet exercice est de démontrer que Spec(A) est connexe si, et seulement si, A n’a pas d’idempotents non triviaux. 1. On suppose que A a au moins un idempotent non trivial e. En considérant les idéaux a1 = (e) et a2 = (1 − e), montrer que Spec(A) n’est pas connexe. 2. On suppose que A n’est pas connexe. Soient V (a1 ) et V (a2 ) deux fermés non vides disjoints de réunion Spec(A). √ a. Montrez que a1 , a2 sont distincts de A, comaximaux, et que a1 a2 = Nil(A). b. Soient x1 ∈ a1 , x2 ∈ a2 tels que x1 +x2 = 1. Justifier l’existence d’un entier m ≥ 1 m 2m tel que xm , montrer qu’il existe y1 ∈ a1 , y2 ∈ a2 1 x2 = 0. En considérant (x1 + x2 ) tels que y1 + y2 = 1 et y1 y2 = 0. En déduire alors que y1 est un idempotent non trivial de A. Exo 53. Montrer que Spec(A) est quasi-compact (i.e. de tout recouvrement ouvert, on peut extraire un sous-recouvrement fini). Exo 54. Soit A un anneau. Si s ∈ A \ {0}, et si M est un A-module, on rappelle que Ms dénote la localisation de M par rapport à S = {sm | m ≥ 0}. Pour tout A-module projectif P , on considère l’application rP : Spec(A) −→ N p 7−→ rgp (P ). On suppose que P est de type fini. On se propose de montrer que rP est continue (où N est muni de la topologie discrète). On suppose connu les résultats de l’exercice 24. 161 162 DIMENSION DE KRULL 1. Soit p ∈ Spec(A). Justifier l’existence de s ∈ / p tel que Ps ' Ans , pour un entier n ≥ 0. 2. En déduire que pour tout q ∈ Spec(A) ne contenant pas s, on a Pq ' Anq , puis que rP est continue. 3. Montrer que si Spec(A) est connexe, tout module projectif de type fini est de rang constant. Exo 55. Calculer la dimension de A = K[X, Y, Z]/(X 2 − Y Z 2 , Y 3 − Z 4 ). Indication : On pourra considérer le morphisme évident K[Z] −→ A. Exo 56. Soit K un corps. Déterminer les composantes irréductibles de Spec(A), et calculer la dimension de A dans les cas suivants : a. A = K[X, Y ]/(Y 2 − X 3 ) b. A = K[X, Y ]/(XY ) c. A = K[X, Y, Z]/(X 2 − Y 4 Z, XZ − X). Exo 57. Soit P ∈ K[X1 , . . . , Xn ] non constant. On écrit P = π1m1 · · · πsms , avec mi ≥ 1 et π1 , . . . , πs sont irréductibles non associés deux à deux. p 1. Montrer que (P ) = (π1 · · · πs ). 2. Montrer que les composantes irréductibles de Spec(K[X1 , . . . , Xn ]/(P ) sont V (π1 ), . . . , V (πs ). Exo 58. Soit (un )n≥0 une suite d’entiers strictement croissante, avec u0 = 1. Soit B = K[X1 , X2 , . . .], où K est un corps. Pour tout n ≥ 0, posons pn = (Xun +1 , . . . , Xun+1 ). Soit S = B \ [ pn , et soit A = S −1 B. n≥0 On se propose de montrer que A est noethérien, et que dim(A) = +∞ lorsque la suite (un )n≥0 est bien choisie. 1. Pour tout n ≥ 0, soit mn = S −1 pn . Le but de cette question est de démontrer que les idéaux mn sont exactement les idéaux maximaux de A. a) Montrer que pour tous i 6= j, on a mi 6⊂ mj . [ b) Soit a un idéal non nul de B contenu dans pn . On suppose que a 6⊂ pn pour n≥0 tout n ≥ 0. En appliquant le lemme d’évitement, montrer que [ a⊂ pi pour tout n ≥ 1, i>n DIMENSION DE KRULL 163 puis en déduire une contradiction. c) Conclure. 2. Vérifier que tout élément non nul de B est contenu dans un nombre fini de pi . En déduire que tout idéal I de A est contenu dans un nombre fini d’idéaux maximaux. 3. Montrer que pour tout n ≥ 1, Amn est canoniquement isomorphe à Bpn . En déduire que Amn est noethérien. 4. Soit I un idéal de A non nul, et soit E l’ensemble des idéaux maximaux de A contenant I. Pour tout m ∈ E, on choisit une famille d’éléments de I dont les images A engendrent Im . Soit J l’idéal de A engendré par la réunion de ces familles. Montrer que I = J. En déduire que A est noethérien. 5. Montrer que dim(A) = sup(un+1 −un ). En déduire un exemple d’anneau noethérien n≥0 de dimension infinie. Exo 59. On appelle anneau de Dedekind un anneau nothérien, intègre, intégralement clos, de dimension 1. 1. Soit K/Q une extension de degré n. En utilisant le résultat de l’exercice 43, montrer que l’anneau OK des éléments de K entiers sur Z est un anneau de Dedekind. 2. Soit A un anneau de Dedekind local. On se propose de démontrer que A est principal. On rappelle qu’un anneau A est principal si, et seulement si, il est noethérien, intègre, et tout idéal maximal est principal. Il suffit donc de démontrer que l’unique idéal maximal m de A est principal. On peut toujours supposer que m 6= (0), i.e. que A n’est pas un corps. a) Montrer que dans un anneau noethérien, tout idéal non nul contient un produit non vide d’idéaux premiers non nuls. Indication : Dans le cas contraire, considérer un élément maximal parmi l’ensemble des idéaux non nuls ne vérifiant pas la propriété, et montrer que c’est un idéal propre non premier. b) En déduire que tout idéal non nul contient une puissance non triviale de m. c) Soit a ∈ m \ {0}. En utilisant b), justifier l’existence d’un entier n ≥ 1, et d’un élément b ∈ A \ (a) tel que bm ⊂ mn ⊂ (a). b ∈ KA . Justifier que λ·m est un idéal de A. a e) On suppose que λ·m 6= A. Justifier que λ·m ⊂ m, et que m possède une structure de A[λ]-module de type fini, et d’annulateur trivial. En déduire alors que λ ∈ A, puis une contradiction. d) Soit λ = f) Montrer que m est principal. Modules stablement libres Exo 60. Soit A = Z/6Z. Montrer que P = {0, 3} est projectif, mais non stablement libre. Exo 61. Soit A un anneau noethérien de dimension 1. On se propose de montrer que tout A-module stablement libre est libre. 1. Justifier qu’un A-module stablement libre de rang nul est nul. 2. Soit P un A-module stablement libre de rang ≥ 2. Montrer que P est libre. 3. Soit P un A-module stablement libre de rang 1. Montrer que P × A ' A2 , et conclure. a0 Exo 62. Soit a = ... ∈ An+1 . On suppose qu’il existe m ∈ J0, nK tel que an a0 a0 = ... ∈ Um+1 (A) et a0 ∼ e1 . Montrer que a possède les mêmes propriétés. am Exo 63. Soit A un anneau, et soit n ≥ 1. 1. Montrer que l’on a In 0 , 0 −In 0 −In In 0 ∈ E2n (A). 2. Soient P, Q ∈ GLn (A). Montrer qu’il existe U ∈ E2n (A) telle que P 0 PQ 0 =U . 0 Q 0 In 3. Soient a1 , . . . , an ∈ A× . Montrer qu’il existe U ∈ En (A) telle que a1 .. =U . an 165 a1 · · · an In−1 . 166 MODULES STABLEMENT LIBRES Le but des exercices suivants est de démontrer le théorème n! de Suslin : a0 soit A un anneau commutatif, soit a = ... ∈ Un+1 (A), et soient r0 , . . . , rn ≥ 0 an ar00 des entiers positifs tels que n! | r0 · · · rn . Alors, ... peut se compléter une arnn matrice inversible de GLn+1 (A). Remarquons que si un des ri est nul, le théorème est évident. On peut donc supposer que tous les ri sont non nuls. Exo 64. 2 a Soit M = b c −c + 2aq −p − qr ∈ M3 (A). q2 −b − 2ar r2 p − qr 1. Calculer det(M ). 2. En déduire le théorème n! lorsque n = 2. a0 Soit a = ... ∈ Un+1 (A). Exo 65. an a0 1. Soit A = A/(an ). Justifier que a = ... ∈ Un (A). an−1 2. On suppose que a se complète en une matrice de P ∈ GLn (A). a) Justifier l’existence de matrices P, Q, R, S de Mn (A) telles que P Q = In + an R, QP = In + an S. P R Q −S P Calculer le produit et en déduire que M = an In Q −an In P an In GL2n (A). × R b) Soit d = det(P ). Montrer que an ∈ R . En utilisant l’exercice 63 et la surjectivité de l’application En (A) −→ En (A/(d)), montrer qu’il existe des matrices D, N ∈ Mn (A) telles que n an 0 ∆= = an D + dN. 0 In−1 In 0 c) Calculer le produit M et en déduire qu’il existe une matrice N (com(P ))t D inversible M 0 de la forme P R 0 M = . ∆ ∗ ∈ MODULES STABLEMENT LIBRES 167 d) En faisant apparaı̂tre des 0 dans les colonnes C2 , . . . , Cn , puis en développant le a0 .. déterminant, montrer que . se complète en une matrice de GLn+1 (A). an−1 ann a0 a1 a0 2 2. En déduire que, pour tout a = ... ∈ Un+1 (A), le vecteur unimodulaire a2 .. . an ann se complète en une matrice de GLn+1 (A). Exo 66. a0 Soit a = ... ∈ Un+1 (A). Soit r ≥ 1 et soient i, j ∈ J0, nK , i 6= j. On an se propose de montrer que a0 a0 .. .. . . r r a ∼ aj . i . . .. .. an an Pour simplifier les notations, on suppose que i = 0 et j = 1. ar0 a1 + a0 X a2 1. Soit f = ∈ A[X]n . Vérifier que f est unimodulaire. .. . an 2. On veut montrer que f ∼ f (0). a) On suppose que A est un anneau local, d’idéal maximal m. i) Montrer que l’on peut supposer que a0 , a2 , . . . , an ∈ m, et que dans ce cas, a1 ∈ A× . ar0 ii) Montrer alors que est unimodulaire, et en déduire que f se complète a1 + a0 X en une matrice de GLn+1 (A[X]). iii) En déduire que f ∼ e1 ∼ f (0). b) Conclure. 168 MODULES STABLEMENT LIBRES ar0 ar0 a1 a1 − a0 3. En déduire que a2 ∼ a2 . .. .. . . an an 4. En appliquant 3. à un vecteur unimodulaire bien choisi, montrer que r a1 ar1 a1 − a0 −a0 a2 a2 . ∼ .. .. . . an an 5. Conclure. Exo 67. En utilisant les exercices précédents, montrer le théorème n! de Suslin. Exo 68. On donne ici quelques applications du théorème n! de Suslin. 1. Soit B un anneau, et soit k ≥ 1 un entier tel que k·1B ∈ B × . Montrer que pour tout élément u ∈ 1 + Nil(B), il existe b ∈ B × tel que u = bk . a0 .. × 2. Soit n ≥ 1 un entier tel que n!·1A ∈ A , et soit a = . ∈ Un+1 (A). On an suppose que a0 − 1 est nilpotent modulo (a1 , . . . , an ). Montrer que a se complète en une matrice de GLn+1 (A). a0 + b0 X .. 3. Soit f = ∈ Un+1 (A[X]). On veut montrer que f se complète en . an + bn X une matrice de GLn+1 (A[X]) si, et seulement si, f (0) se complète en une matrice de GLn+1 (A). Le sens direct étant clair, on suppose que f (0) se complète en une matrice de GLn+1 (A). 1 + b0 X b1 X a) Montrer que l’on peut supposer que f = ∈ Un+1 (A[X]). .. . bn X b) Montrer que b0 est nilpotent modulo (b1 , . . . , bn ). Indication. Dans le cas contraire, montrer qu’il existe un idéal premier p contenant b1 , . . . , bn , mais ne contenant pas b0 . Soit K le corps des fractions de A/p. Considérer MODULES STABLEMENT LIBRES alors l’image de f par le morphisme A[X] −→ K −1 P 7−→ P (−b0 ) . c) Conclure en remarquant que Xb0 est nilpotent modulo b1 A[X] + · · · bn A[X]. 169 Index élément de torsion, 10 lemme du serpent, 141 anneau de Dedekind, 163 intégralement clos, 92 intégralement fermé, 91 local, 25 localisation, 36 noethérien, 21 annulateur, 8 application n-linéaire, 63 application linéaire, 10 noyau, image, 11 automorphisme, 11 module définition, 7 de présentation finie, 51 de type fini, 10 différentiel, 143 universel, 143 libre, 13 localisation, 36, 37 noethérien, 21 plat, 77 projectif, 26 quotient, 12 simple, 141 stablement libre, 117 morphisme entier, 93 base, 13 clôture intégrale, 92 combinaison linéaire, 9 composante irréductible, 99 partie multiplicative, 33 produit direct, 8 produit tensoriel de modules, 64 dérivation A-dérivation, 143 définition, 142 degré de transcendance, 114 dimension de Krull d’un anneau, 111 d’un espace topologique, 110 discriminant, 158 radical, 104 rang d’un module libre, 15 d’un module projectif, 60 S-torsion, 149 scindage, 19 section, 19 somme directe externe, 8 interne, 10 sous-module définition, 9 de torsion, 10 engendré par une partie, 9 spectre, 103 suite exacte courte, 15 définition, 15 scindable, 19 élément entier, 89 endomorphisme, 11 espace topologique irréductible, 99 noethérien, 101 famille génératrice, 10 famille libre,liée, 12 fermeture intégrale, 91 groupe linéaire, 11 lemme de délocalisation, 47 lemme de Nakayama, 25 lemme des cinq, 142 tenseur élémentaire, 65 171 172 topologie de Zariski, 103 vecteur unimodulaire, 119 Index