LES FEUILLETS DU GEMMSOR L’exclusion segmentaire Branchet Marie-Charlotte Ergothérapeute, Centre de la Main Toulon Résumé : L e syndrome d’exclusion segmentaire est un sujet très peu traité dans la littérature scientifique. Ce syndrome peu connu est souvent diagnostiqué tardivement. Pourtant la sous-utilisation prolongée d’un membre peut avoir des conséquences graves sur la vie de nos patients. Qu’est-ce que l’exclusion segmentaire ? Comment la diagnostiquer et l’éviter ? Mots Clés : Exclusion segmentaire ; Sous-utilisation ; Prévention ; Prise en charge précoce Etiologie INTRODUCTION L’exclusion segmentaire est un syndrome très peu abordé dans la littérature de la rééducation de la main. En effet, malgré les progrès de la chirurgie et de la rééducation, elle demeure présente et son diagnostic est encore souvent tardif. Pourtant la sous-utilisation prolongée d’un membre a des répercussions considérables sur la vie quotidienne de nos patients. La cause de son déclenchement est variable. Celui-ci survient suite à une phase initiale d’immobilisation ou à une sous-utilisation antalgique. Cette diminution de l’usage du membre est généralement consécutive d’un traumatisme opéré ou non, d’une infection ou d’une chirurgie programmée. Au centre de la main de Toulon, nous côtoyons régulièrement ce phénomène où les personnes délaissent progressivement de façon consciente ou inconsciente, une partie de leur corps. Leur rééducation peut être longue et fastidieuse, tant pour le patient que pour le thérapeute. De surcroit, la récupération n’est pas toujours optimale, et souvent l’impact sur la vie sociale et professionnelle de ces personnes est non négligeable. La rééducation classique n’ayant pas toujours le succès escompté, il est important pour nous, rééducateurs de la main, d’agir en amont pour prévenir l’apparition de l’exclusion segmentaire qui touche un grand nombre de patients. Diagnostic Le diagnostic du syndrome d’exclusion segmentaire est souvent tardif car mal connu. Il peut être fait par l’observation clinique du patient sur demande de gestes automatiques de la vie quotidienne. Ici, la notion de temps est essentielle pour affirmer le diagnostic. En effet, lors d’un traumatisme, aussi infime soit-il, nous mettons en action des mécanismes de protection du membre traumatisé. Ce n’est que lorsque cette exclusion dure dans le temps, qu’elle devient pathologique. Caractéristiques cliniques L’EXCLUSION SEGMENTAIRE Les caractéristiques cliniques sont nombreuses et dépendent de chaque individu. Néanmoins certains signes et symptômes permettent de mettre en évidence ce syndrome d’exclusion segmentaire. • Anosognosie relative du patient : le patient ne se rend pas compte de son exclusion. Il la remarque en y prêtant attention ou alors sur sollicitation d’une autre personne. Au centre de la main, il nous est déjà arrivé de voir une patiente ayant oublié de mettre du vernis sur son index, ou alors une autre ayant oublié de se ronger l’ongle. Définition Le syndrome d’exclusion segmentaire se caractérise par la nonutilisation ou la sous-utilisation d’une partie d’un membre, généralement d’un doigt, sans lésion du système nerveux central. C’est un trouble du comportement moteur qui se montre réversible soit par la sollicitation d’un tiers, soit par une attention soutenue de la personne atteinte sur sa partie exclue. Ce syndrome est caractérisé par un certain nombre de signes cliniques que nous verrons ci-après, qui permettent de le mettre en évidence. Il est immanquablement déclenché par une cause primaire quelconque et avec le temps pourra se voir associé à des troubles secondaires. 1 L’exclusion segmentaire LES FEUILLETS DU GEMMSOR • Troubles cutanés et trophiques : Le membre exclu peut présenter des modifications de la température (plutôt froid), de la coloration (cyanosé avec une augmentation du temps de recoloration cutanée), des troubles de la sudation, une disparition des plis de flexion, une atrophie de la pulpe ou encore une dystrophie unguéale. • Troubles sensitifs : Les patients souffrants du syndrome d’exclusion segmentaire présentent très souvent une hypoesthésie (légère à sévère) voire une hyperesthésie du segment. Il est difficile pour ceux-ci de décrire avec précision leurs sensations (bizarres, cartonneux, décharges électriques, brûlures…). Parfois, malgré un bilan sensitif normal, ces patients se plaignent d’une altération de leur sensibilité cutanée. • Troubles articulaires : Selon le traumatisme initial, les amplitudes articulaires peuvent être tout à fait normales au départ, puis au fur et à mesure que le membre est non-utilisé, elles peuvent se réduire jusqu’à l’enraidissement total. • Troubles musculaires : Même constat : on observe avec une sous-utilisation du membre, une diminution de la force musculaire pouvant aboutir à une amyotrophie. • Trouble de la commande motrice : Ces patients présentent une difficulté à effectuer un geste sur ordre. La commande du mouvement volontaire nécessite une concentration démesurée pour faire bouger le membre. Parfois ces patients n’activent pas les bons muscles, ne savent plus réaliser le mouvement ou ne s’en sentent pas capable. Figure 1: L’index est le seul doigt non rongé • Troubles de la posture : Ces patients montrent une modification de la position de repos et une compensation de la fonction déficiente. Si l’exclusion concerne le membre supérieur, le bras est le long du corps, le ballant à la marche n’est plus présent, et la main lésée est guidée et soutenue par la main saine. En cas d’exclusion digitale, le ou les doigts sont maintenus en extension (surtout pour le pouce, l’index et le majeur) ou inversement en flexion ou abduction (généralement plus pour l’annulaire et l’auriculaire). On retrouve alors des préhensions bidigitales pouce/ majeur ou pouce/annulaire à la place de la pince pouce/index ou des préhensions interdigitales dans le cas d’exclusion du pouce. • Trouble du schéma corporel : L’image corporelle des patients atteints d’exclusion segmentaire est modifiée. Avec le temps, ils présentent des difficultés à définir la position de leur membre exclu dans l’espace. • Situations de handicap : Le membre exclu peut représenter une gêne dans la vie quotidienne du patient. En effet, ils se cognent, s’accrochent, ont des difficultés à réaliser certaines habitudes de vie. Il n’est pas rare d’entendre des patients demandant à être amputé de leur membre exclu tellement celui-ci est gênant. DIAGNOSTIC DIFFÉRENTIEL Il est essentiel de ne pas confondre le syndrome d’exclusion segmentaire avec d’autres phénomènes cités ci-après, nos bilans successifs pourront aider le médecin dans ce travail : - Une simulation du patient recherchant alors des contreparties financières, un arrêt de travail de plus longue durée ou l’attention de ses proches. - Une conversion hystérique - Une négligence motrice d’origine neurologique centrale - Une dystonie du musicien ou de l’écrivain - Un syndrome douloureux régional complexe Figure 2: Exclusion de l’index 2 L’exclusion segmentaire LES FEUILLETS DU GEMMSOR MÉCANISMES EVOLUTION ET COMPLICATIONS La neuroplasticité cérébrale est la capacité du cerveau à se remodeler en fonction des activités que nous réalisons. Divers travaux (9,12) ont déjà démontré dans le cas d’amputations ou de surentrainement dans une activité (apprentissage du braille, musicien professionnel ou sportif de haut niveau) qu’il existe des modifications des aires cérébrales. Comme le montre l’homonculus de Penfield, dans le cerveau la main prend une place très importante. C’est pourquoi les aires se modifient lors d’exclusions segmentaires. L’étude de J.M André (1) a démontré que sur 37 patients, 21 avaient des séquelles. En effet, ils présentaient des troubles sensitifs résiduels, une détérioration de la qualité du mouvement volontaire, une lenteur d’exécution ou une certaine maladresse. Dans cette étude, la durée de l’exclusion va de quelques semaines à plusieurs années (jusqu’à 4 ans). L’évolution est dépendante de la conscience du trouble, qui est une notion primordiale. Si le patient en prend conscience, le pronostic de récupération sera meilleur car il s’auto-corrigera. Dans le cas contraire, la récupération sera beaucoup plus longue et fastidieuse voire impossible. Certaines complications peuvent survenir, allongeant encore l’évolution de la pathologie : • Un syndrome douloureux régional complexe : pouvant être monodigitale ou alors concerner une partie voire la totalité du membre supérieur. • Un syndrome dépressif : la personne peut avoir des difficultés à gérer cette pathologie, inconnue du grand public. En plus de cette prise en charge interminable, de la gestion de la douleur, du sentiment de dépendance, on assiste parfois à une incompréhension des autres et parfois même des professionnels de santé. En outre, il peut survenir des modifications importantes des rôles sociaux et de la famille, affectant profondément la personne. Figure 3: Homonculus sensitif et moteur de Penfield Depuis quelques années, le syndrome d’exclusion segmentaire fait l’objet de plusieurs études (1, 4, 6,10) qui ont amené les hypothèses suivantes : • Le syndrome de désafférentiation : le segment exclu est appauvri en afférences sensitives qu’elles soient extéroceptives ou proprioceptives. De ce fait, il y a une diminution de la sensibilité, une négligence dans l’utilisation du membre résultant de la perte de l’automatisme des gestes. • Un retard à la reprise professionnelle : Selon l’étude de J.M André, la durée moyenne d’arrêt de travail est de 9 mois. Durant ces temps longs, les patients rencontrent souvent des problèmes financiers (dus aux retards de remboursement ou à la diminution de leurs indemnités) et se lassent d’être au domicile. Lors de la reprise, les personnes sont confrontées à cette notion de handicap invisible pouvant mener à une mauvaise ambiance au travail, un licenciement ou à une démission. • Le syndrome de dysafférentation : le traumatisme initial engendre une souffrance au niveau tissulaire et par conséquence une modification des récepteurs. Les messages sensitifs remontant vers le cerveau se retrouvent transformés et ne sont plus adéquats. Ceci entraine des troubles du schéma moteur et des troubles du schéma corporel. • Des risques d’accident secondaire : Le membre exclu est le siège d’accrochages, de coups, et parfois même avec la perte de la sensibilité de protection, de risques accrus aux brûlures ou d’accidents en tout genre. • La douleur : qu’elle soit présente lors du traumatisme, ou par la suite, celle-ci s’inscrit dans la cartographie cérébrale. Le patient la mémorise et prévoit que l’utilisation du membre va être douloureuse. Cette anticipation de la douleur amène le patient à se surprotéger de façon consciente ou inconsciente et peut mener à une certaine kinésiophobie. En effet, il n’est pas rare de voir des patients porter un gant ou une bande pour se protéger. • La demande d’amputation de la part du patient : elle peut paraître excessive et démesurée mais elle est pourtant réelle dans cette pathologie. La non acceptation ou la gêne du segment exclu peut amener le patient à ce recours extrême. En somme, l’immobilisation, qu’elle soit imposée par la pathologie initiale, ou due à la douleur ressentie par le patient, va engendrer une diminution des afférences sensitives. Celle-ci va entraîner une réorganisation des aires corticales et dans ce cas-ci, une diminution voire une disparition des aires motrices et sensorielles du segment exclu. Cette mise hors circuit du segment entraîne à la fois une réorganisation cérébrale mais également des troubles physiques (articulaires, musculaires, sensitifs…). C’est un véritable cercle vicieux composé de phénomènes qui s’autoentretiennent. • Un trouble de l’attention : le syndrome d’exclusion segmentaire peut être assimilé à un trouble attentionnel d’origine périphérique. L’appauvrissement des informations sensitives ainsi que la perturbation du traitement de celles-ci, vont troubler la fonction motrice. 3 L’exclusion segmentaire LES FEUILLETS DU GEMMSOR ETUDE DE CAS DU CENTRE DE LA MAIN DE TOULON Les patients sélectionnés sont des patients pris en charge au centre de la Main de Toulon entre 2012 et 2015. Ils présentent tous un syndrome d’exclusion peu importe le traumatisme initial, l’âge ou le sexe… N° SEXE AGE TOPOGRAPHIE DE L’EXCLUSION TRAUMATISME INITIAL DURÉE DU TRAITEMENT (MOIS) 1 F 34 D2/D3 PLAIES PAR MORSURE D’ANIMAL FACES DORSALES ET PALMAIRE P3 23 2 F 61 D2 PLAIE PAR MIXER : SECTION BIFOCALE DU TENDON EXTENSEUR 6 3 F 37 D2 PLAIE PAR COUTEAU FACE PALMAIRE P3 1 4 F 53 D1 PANARIS PULPAIRE 3 5 F 50 D2 TRANCHEUSE À JAMBON : SECTION DU TENDON EXTENSEUR 10 6 F 44 D2 PLAIE PAR COUTEAU FACE DORSALE IPP 11 7 F 40 D3 AMPUTATION P3 SUITE À UN ACCIDENT DE LA VOIE PUBLIQUE 3 8 F 33 D2 CORPS ÉTRANGER PAR MACHINE À COUDRE PULPE 6 9 F 40 MAIN ET POIGNET ECRASEMENT : AMPUTATION DISTALE P3 D2 3 10 F 40 D2 ÉCRASEMENT : FRACTURE OUVERTE P3 3 11 F 59 D1 DOIGT À RESSAUT 6 12 F 50 D2 AMPUTATION P3 PAR TRANCHEUSE À JAMBON 10 13 M 22 D2 FRACTURE P3 3 14 F 53 D1 DOIGT À RESSAUT 4 15 M 46 D2 ECRASEMENT : SECTION DU TENDON EXTENSEUR FACE DORSALE DE LA MP 34 16 M 33 MAIN ET POIGNET FRACTURE SCAPHOÏDE ET DISJONCTION SEMI-LUNAIRE/PYRAMIDAL OSTÉOSYNTHÈSE PAR BROCHES 7 17 F 45 D4 ECRASEMENT : SECTION DU NERF COLLATÉRAL RADIAL À LA FACE PALMAIRE DE L’IPD 3 18 F 56 D2 SECTION DE 50% DU TENDON EXTENSEUR IPP PAR COUTEAU 4 L’échantillon est composé de 18 patients adultes dont 3 hommes et 15 femmes. Ces patients sont âgés de 22 ans à 61 ans. Leur durée moyenne de rééducation est de 7,7 mois, avec des extrêmes de 1 à 34 mois. Si nous comparons nos chiffres à l’étude de J.M André (1), une différence est mise en évidence : le nombre de femme est très important 83% contre 40%. Par contre, nous remarquons des similitudes : l’âge moyen est très proche (44 ans pour le centre de Toulon et 43 ans pour l’étude d’André) et la topographie de l’exclusion est semblable (le doigt le plus souvent exclu est l’index). EXCLUSION MAIN I II III IV V PLUSIEURS NOMBRE 2 3 10 1 1 0 DII & DIII : 1 4 L’exclusion segmentaire LES FEUILLETS DU GEMMSOR exclu lors de sa vie quotidienne plusieurs fois dans la journée. PRÉVENIR ET TRAITER LE SYNDROME D’EXCLUSION SEGMENTAIRE La rééducation sensitive : La présence de troubles sensitifs sans lésion de nerf périphérique doit être un signal d’alarme pour le thérapeute. Ce phénomène démontre qu’il y a probablement de mauvaises transmissions entre la main et l’encéphale et donc une sous-utilisation du membre. Le travail proprioceptif et sensitif sera essentiel. Les thérapies de « désensitization », de « toucheà-tout », d’auto-massages, de tapotements, de vibration, ou de pressions sont autant d’outils que nous pouvons utiliser. Il est important que la personne prenne le temps de décrire ses sensations, de les comparer avec l’autre membre, de regarder, de toucher voire même d’écouter son membre exclu. Ce travail permettra la réappropriation par la personne de son segment. La rééducation en traumatologie de la main ou du membre supérieur, se doit d’être précoce et doit éviter les complications telles que le syndrome d’exclusion segmentaire. La prévention et le traitement de ce syndrome doivent être faits à tous les stades de la prise en charge du patient, car une fois installé, la rééducation sera lente et difficile autant pour le patient que pour le thérapeute. Le diagnostic précoce : Tous les intervenants de la prise en charge doivent y être sensibilisé et le repérer. - Au niveau médical : Lors de la prise en charge du traumatisme initial, il faudra si possible, privilégier un traitement fonctionnel et expliquer au patient les consignes d’utilisation de son membre lésé. - Au niveau des soins : Les pansements protègent le membre et le cachent de la vue du patient qui peut minimiser ou au contraire extrapoler l’ampleur de son traumatisme. Il se doit d’être le plus fin possible, n’immobilisant que ce qui est nécessaire. A ce stade, il est important de repérer les patients à risque, c’est-à-dire, les personnes montrant des signes de non-acceptation, qui présentent un comportement excessif lors de la mise à nu de la plaie, ou qui ne veulent pas regarder leur propre partie du corps. - Au niveau des rééducateurs : Il faudra être vigilant au comportement et à la posture du patient. En effet, l’observation de ses automatismes en le mettant en situation écologique permet de déceler le moindre trouble du schéma corporel ou trouble attentionnel. L’appareillage : en règle générale il tend à libérer les articulations non concernées par le traumatisme et si possible, à laisser au maximum les pulpes libres. Les consignes concernant le port d’orthèse sont primordiales pour expliquer au patient comment vivre avec et comment utiliser ce qui lui reste de disponible. De même, il faudra lutter contre le port excessif et non justifié de l’orthèse. La syndactylisation du doigt exclu avec un doigt sain peut être une solution pour l’accompagner lors de la mobilisation active. De même, la thérapie de la contrainte induite peut fonctionner. (Nous pouvons par exemple, pour une exclusion de l’index avec compensation par le majeur, « aveugler » la pulpe du majeur avec un bandage afin d’obliger le patient à ne plus compenser.) Cependant, ces techniques n’ont pas une réussite systématique. Au contraire, on constate de nombreux échecs avec des exclusions qui s’étendent aux autres doigts sains. La prise de conscience du trouble : Une fois décelé, il faudra dans un premier temps que le patient se rende compte de l’exclusion de son membre. C’est la condition sinequanone pour optimiser l’efficacité du traitement. Pour ce faire, on pourra filmer ou photographier le patient en situation réelle d’exclusion pour faciliter sa prise de conscience. La technique de description sans feed-back visuel des membres sains puis lésés décrite par McCabe en 2011, pourra être employée pour que le patient cible son attention sur ses perceptions. De même, l’implication des proches de la personne afin de lui faire remarquer, pourra ici aussi être employée. Enfin, la confirmation du diagnostic d’exclusion segmentaire par le corps médical pourra avoir un plus grand impact sur le patient. L’éducation thérapeutique du patient (8,15): elle est primordiale tout au long ce traitement pour obtenir une adhésion maximale et une participation active du patient. Celle-ci tend à transmettre à un individu, une information, un savoir-faire et/ou une compréhension. L’équipe soignante « a un rôle d’enseignement permanent du patient, afin de le rassurer et de lui faire comprendre les buts de cette rééducation»(14). La compréhension du patient de l’ensemble de sa prise en charge permet une modification comportementale adéquate, en dehors du cadre hospitalier. A ce sujet, Dr Levame (11) nous dit que « le temps réel consacré à la rééducation est souvent bref et le patient se trouve pendant le reste du temps abandonné, ce qui freine les progrès ». C’est pourquoi la rééducation à domicile peut être bénéfique, mais nécessite un comportement de santé formé, en l’absence de contrôle thérapeutique. En effet, le traitement du syndrome d’exclusion segmentaire ne peut pas être traité exclusivement par le biais des séances de rééducation. Il doit se poursuivre au quotidien, par des exercices à réaliser au domicile. Pour cela, tout type de support d’éducation thérapeutique du patient peut être intéressant, que ce soit une vidéo, un livret, une brochure ou encore un site internet. Comme vu ci-dessus, il est nécessaire autant que possible, d’inciter l’entourage à être également actif dans la prise en charge. Ainsi on encouragera les parents, conjoint ou autres, à être attentif à la sous-utilisation du membre. La rééducation « classique » : la kinésithérapie, la physiothérapie et l’ergothérapie doivent être réalisées en parallèle. Les objectifs de cette rééducation concernent le traitement de la douleur, de l’inflammation, le recouvrement de la mobilité et de la sensibilité et le travail fonctionnel. La reprogrammation neuro-motrice : Le syndrome d’exclusion segmentaire nécessite une rééducation spécifique. Les techniques de réafférentation s’attachent à rechercher l’automatisation du geste en utilisant de façon répétée le membre exclu sous toutes ses formes, avec autant que possible l’auto-correction du patient. Ici, l’utilisation des différents canaux sensoriels sera nécessaire tels que le rappel oral du thérapeute et le travail avec feed-back visuel. Prise en charge psychologique : Selon les types de traumatisme et de personnalité, une psychothérapie précoce peut améliorer la prise en charge. Elle permettra d’aider le patient à gérer ses angoisses liées à l’accident, au contexte socioprofessionnel et à la prise en charge. Nous avons par exemple traité deux patientes ayant une exclusion de l’index qui avaient totalement récupéré la motricité et la sensibilité du doigt. Néanmoins, l’une s’étant coupé avec une trancheuse à jambon, le remettait systématiquement en extension lorsqu’elle entendait n’importe quel bruit de machine. L’autre Les nouveaux concepts de rééducation : Les techniques de contrainte induite, d’imagerie motrice, de thérapie par miroir sont des éléments à mettre en place précocement. La rééducation attentionnelle : Le traitement des troubles attentionnels passe par des techniques de biofeed-back, un travail de l’attention sélective du membre exclu puis d’attention divisée. Ici les aides externes (tels que les rappels sur le téléphone) peuvent être utilisées pour que le patient prête attention à son membre 5 L’exclusion segmentaire LES FEUILLETS DU GEMMSOR s’étant mixé le doigt dans sa cuisine, repositionnait son index en extension dès qu’elle rentrait dans cette pièce. Ce qui prouve bien l’importance de cette psychothérapie. Il est important de garder à l’esprit que chaque individu est unique et possède son propre fonctionnement. En effet, les patients n’auront pas la même perception ni la même attitude face à un même traumatisme. D’une part, ils se remémorent sans cesse l’accident, questionnés par les urgentistes, les anesthésistes, les infirmiers, les thérapeutes, les autres patients et par leur entourage. D’autre part, ils deviennent partiellement ou totalement dépendant des autres et notamment des soignants. Chacun a besoin d’un certain temps pour accepter son traumatisme, se détacher de sa vie antérieure (pour assumer ce changement brutal de situation de personne en bonne santé à personne en situation de handicap) et pour ainsi pouvoir s’investir dans sa nouvelle vie. Là où certains auront une propension à accepter plus facilement ce changement de situation, d’autres auront besoin de plus de temps ou d’aides extérieures. En traumatologie de la main et du membre supérieur, la sous-utilisation du membre lésé est courante que ce soit dû aux douleurs, à l’immobilisation, ou à la présence d’un pansement ou d’une orthèse. Lorsqu’elle perdure, le syndrome d’exclusion segmentaire est une complication que nous devons déceler et prendre en considération. En effet, la récupération ne se fait pas toujours sans séquelles, et peut avoir des conséquences non négligeables sur la vie de nos patients. La neuroplasticité cérébrale, jouant en la défaveur du membre exclu, va modifier la cartographie cérébrale et le faire disparaitre. C’est pourquoi, à tous les stades de la prise en charge, nous devons prévenir l’exclusion segmentaire. Pour cela, le traitement doit être adapté à la personne et nécessite sa participation active. Toutes les techniques de rééducation sont envisageables et seront différentes selon les personnalités. Il est primordial d’utiliser et d’intégrer le plus tôt possible un membre lésé afin de ne pas l’oublier. CONCLUSION BIBLIOGRAPHIE 1 - ANDRE J.M « Le syndrome d’exclusion segmentaire de la main et des doigts: comportement de négligence d’origine périphérique ». 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