dans son Hydrostatical Discourse (1672), le second dans son Lampas (1677), l’un et l’autre en s’efforçant de montrer que
la détermination mécanique des phénomènes concernés suffit bel et bien à leur explication. Dans sa réponse, Boyle
invite More à plus de circonspection dans l’usage qu’il fait du nom de Descartes, et dans l’énoncé des intentions qu’il
lui prête!: Descartes, y explique-t-il, était sincère dans son affirmation de l’existence de Dieu et de l’esprit. Bien que
Boyle lui-même ne veuille pas se dire de sa secte, il entend affirmer son respect pour le grand homme.
La discussion de Descartes qu’on trouve dans la Disquisition about the Final Causes, écrite quelques années plus
tard, peut être comprise comme un retour réflexif sur le débat de 1671. Boyle, sans céder à la caricature de More,
tente pour son propre compte de rendre raison des réticences religieuses que peut soulever l’œuvre cartésienne, et du
même coup d’expliquer sinon justifier les distorsions dont elle a pu faire l’objet. Descartes, à avoir trop voulu mettre
à distance l’anthropocentrisme naïf qui s’attache aux discours sur les fins de Dieu et sur sa providence dans le
gouvernement du monde, est passé à côté du thème physico-théologique, aux yeux de Boyle l’un des principaux
instruments pour ramener les hommes à la religion, et l’une des principales légitimations de l’activité du naturaliste.
Descartes a récusé l’accès privilégié à Dieu que nous donne la contemplation des œuvres naturelles, au bénéfice
exclusif de l’accès interieur, celui que donne l’idée d’un être infini et parfait, découverte au terme de quelque
conversion intérieure et méditative. Si Descartes, en conséquence, ne peut être décrit comme un athée, sa
philosophie, orientée vers un monde intérieur, est sous-tendue par une théologie de la puissance de Dieu, elle ne
s’adresse pas assez au monde des œuvres, extérieur et sensible, et du coup ne rend pas suffisamment justice à la
sagesse et à l’intelligence de son Créateur.
Historiquement, ce texte présente l’intérêt d’expliciter et d’exposer de manière articulée un certain nombre
de positions sur les relations du physique et du théologique qui sont appelées à une postérité remarquable dans le
discours anglais sur la science.!L’étude des œuvres particulières de Dieu et de leur structure finale constitue une
forme de culte que l’on rend à l’intelligence organisatrice du monde!; elle est supérieure dans sa capacité de
restitution des véritables attributs de Dieu à la simple considération de la contingence du monde, ou à celle de l’idée
innée que nous pourrions avoir de l’être parfait. Dieu est présent au monde matériel, non seulement parce qu’il en
soutient l’être continuellement, mais parce qu’il est également susceptible d’en renouveler les forces périodiquement
en communiquant une nouvelle quantité de mouvement à la matière. Ce fait, aux yeux de Boyle ne peut contredire
l’immutabilité divine, car celle-ci ne requiert pas la concentration de l’acte moteur dans le seul instant initial de la
création. Enfin, si la détermination des phénomènes par les causes efficientes suffit à leur explication physique, il n’y
a pas lieu pour autant d’affirmer une complète autonomie du discours physique à l’égard de celui de la «!raison
commune!» ou de la métaphysique, et partant à l’égard des considérations finales qu’ils véhiculent – l’œuvre physique
de Descartes elle-même offre d’ailleurs l’exemple de la nécessaire conjugaison de ces discours. On peut estimer que
chacun des thèmes esquissé ici aura une postérité importante!en Angleterre, et notamment chez Newton et les
newtoniens ou chez les naturalistes du tournant du siècle, tels John Ray ou Nehemiah Grew, dont l’œuvre est toute
vibrante de physico-théologie.
La Disquisition fut écrite en 1677, probablement à la demande d’Oldenburg, le secrétaire de la Royal Society,
juste avant sa mort. Comme il le fit pour nombre de ses écrits, Boyle publia ce traité tardivement, en 1688. Il en avait
entretemps modifié certains passages, notamment sur les conseils de Hooke. Nous donnons ici une traduction
française de la plus grande partie de la section I consacrée à Descartes. Nous y avons adjoint une traduction des
remarques que Hooke avait rédigées, à l’intention de Boyle, sur la version primitive du texte. Cette page manuscrite a
été récemment découverte dans les papiers de Boyle, attribuée à Hooke, et retranscrite par Edward B. Davis en
appendice à son article «!Parcere Nominibus!: Boyle, Hooke and the rhetorical Interpretation of Descartes!», in
Michael Hunter, Robert Boyle Reconsidered, Cambridge, Cambridge University Press, 1994. Nous n’en donnons ici que la
partie relative au traitement de Descartes par Boyle, et nous avons tâché, à la suite de Davis, d’indiquer dans le texte
de Boyle les lieux probables auxquels les notes de Hooke renvoient en insérant les appels (c), (d), etc. Le principal
intérêt de ces remarques réside dans le fait que Hooke, fin lecteur de Descartes, pointe avec justesse le côté
partiellement factice de l’adversité cartésienne, telle que Boyle la représente à ses lecteurs. Il retourne ainsi le conseil
que Boyle lui-même adressait à More quelques années plus tôt!: «!parcere nominibus!» - la charité, sinon à la justice,
requiert dans la polémique philosophique un usage parcimonieux des noms propres.
Boyle!: A Disquisition about the Final Causes of Natural Things
Section I (extrait!: Birch, vol. V, p. 396-402)
[…] C’est un principe connu de la philosophie cartésienne qu’il y a toujours à tout moment la même
quantité de mouvement dans le monde!: de cette assertion on donne pour motif qu’il n’y a pas de raison que Dieu,
qui est immuable, ait dû au commencement des choses, lorsqu’Il a d’abord mis la matière en mouvement, lui donner
une quantité de mouvement telle qu’il eût été nécessaire après coup de l’augmenter ou de la diminuer. Mais je ne vois
pas comment ceux qui emploient cette manière d’argumenter par la négative n’en viennent pas (au moins de manière
implicite) à juger des fins que Dieu s’est proposé dans [la production] des choses naturelles. Car sans la supposition
qu’ils savent quelles fins Dieu s’est proposé en mettant la matière en mouvement, il leur sera difficile de montrer que