médecine

publicité
MÉDECINE
Faut-il avoir peur de
la menace
bioterroriste?
U
n dangereux virus, qui pourrait arriver dans
les mains de terroristes, est au centre de la troisième
saison de la série «24h chrono», prochainement sur
les écrans de la TSR. Mais le péril biologique n’est
pas pure fiction, et les experts le prennent très au
sérieux.
N
TSR
Kiefer Sutherland joue Jack Bauer,
le héros de «24 H chrono»
ouvelle saison, nouvelle menace.
Après avoir sauvé la Californie du
péril nucléaire, l’agent de la cellule antiterroriste Jack Bauer sera prochainement confronté à un nouveau défi : empêcher un dangereux virus d’origine
ukrainienne de se répandre sur Los Angeles. Cette fois, c’est le bioterrorisme qui
plane sur les nouveaux épisodes de la
série culte américaine, «24h chrono», qui
seront diffusés sur la TSR à partir du
mois de mars.
Fiction ou réalité ?
Une hypothèse de pure fiction? Pas
si sûr. Comme si elle faisait écho au scénario catastrophe du feuilleton télévisé
américain, l’Association médicale britannique (BMA) manifeste, elle aussi,
une vive inquiétude face à la menace bactériologique. «Agissons maintenant con-
→ p. 52
50
ALLEZ
SAVOIR
! / N°31 FÉVRIER 2005
www.photos.com
ALLEZ
SAVOIR
! / N°31 FÉVRIER 2005
51
Faut-il avoir peur de la menace bioterroriste?
MÉDECINE
→ tre les armes biologiques avant qu’il ne
soit trop tard»: tel est, en substance, le
cri d’alarme qu’elle a lancé dans un récent
rapport.
L’association estime en effet que les
virus, bactéries ou autres germes dangereux sont plus faciles à développer,
plus difficiles à contrôler et plus à même
de tomber entre les mains de terroristes
que les armes chimiques ou nucléaires.
Et la BMA de mettre sérieusement en
doute les capacités de la communauté
internationale à faire face à de telles
attaques.
Certes, le bioterrorisme n’est pas la
guerre biologique. Cette dernière reste
du ressort des Etats, seuls capables de
fabriquer, conserver et disséminer à
grande échelle des armes biologiques
proprement dites. Car cela nécessite des
infrastructures lourdes et des équipements (missiles, bombes, avions) dont les
terroristes ne disposent – en général –
pas. Même si des groupes organisés peuvent être aidés plus ou moins discrètement par un Etat, leurs moyens de frappe
sont limités.
Discours apocalyptiques et
propos rassurants
Faut-il craindre la menace bioterroriste? Entre les discours apocalyptiques des uns et les propos rassurants
des autres, il est difficile de prendre
l’exacte mesure du danger. Comme toujours, «la vérité se situe probablement
entre les deux points de vue», souligne
Riccardo Wittek, professeur de biologie à l’UNIL. En fait, précise le directeur du groupe de recherche de virologie moléculaire, les appréciations
varient d’un pays à l’autre.
«Les Etats-Unis et la Grande-Bretagne, qui se sentent particulièrement
visés par les terroristes, prennent les
choses très au sérieux.» Au point que,
craignant une attaque au virus de la
variole, les autorités américaines ont
envisagé de vacciner toute la population
du pays avant de renoncer, quand elles
ont réalisé que les vaccins n’étaient pas
sans danger. Mais elles n’ont pas baissé
la garde pour autant, installant notam-
ment dans de nombreux lieux des filtres
à air permettant de repérer toute particule suspecte.
Aucune arme n’est «parfaite»
«C’est aller trop loin», estime le biologiste lausannois, qui ne sous-estime pas
pour autant la menace. Car les microorganismes dont les bioterroristes peuvent
disposer – «les mêmes que ceux qui sont
employés pour la guerre biologique» –
ne manquent pas (voir tableau). Tous
sont potentiellement dangereux, à des
degrés divers. Tous ont, pour leurs «utilisateurs», leurs atouts et leurs limites.
Les bactéries, comme le charbon, ont
l’avantage de pouvoir être disséminées
sous forme de spores, des éléments très
résistants et qui peuvent rester longtemps
à l’état dormant, en attendant des conditions favorables pour redevenir actifs.
«D’un autre coté, remarque Riccardo
Wittek, la forme pulmonaire de maladie
du charbon n’est pas contagieuse et
seules les personnes qui ont inhalé des
spores d’anthrax en souffrent.» Au con-
L’expérience de l’anthrax
Le charbon – l’anthrax en anglais –
en offre un bon exemple. Pour en faire
une arme véritable, il faut non seulement
obtenir une souche virulente de la bactérie, mais aussi créer un aérosol efficace,
ce qui demande de traiter chimiquement
les spores et de les encapsuler dans des
particules capables de pénétrer profondément dans les voies respiratoires des
«ennemis». Un tel travail exige donc des
microbiologistes de haut niveau, et des
laboratoires bien équipés.
Mais on peut aussi, comme l’ont fait
des bioterroristes en automne 2001, se
procurer de simples souches de charbon et les mettre sous pli, afin d’expédier des lettres piégées à des hommes
politiques et des journalistes américains. L’attaque a tué cinq personnes,
mais elle a surtout provoqué une belle
panique aux Etats-Unis où son impact
psychologique a largement dépassé les
dégâts qu’elle a commis.
52
© N. Chuard
Riccardo Wittek,
professeur de biologie à l’UNIL
ALLEZ
SAVOIR
! / N°31 FÉVRIER 2005
▲
La menace bioterroriste, vue par le caricaturiste du Figaro
traire, les virus, comme celui de la variole, ne survivent que peu de temps à
l’air libre, mais ils peuvent se transmettre
facilement de personne à personne et
provoquer des épidémies.
Un bon technicien peut
se débrouiller
Reste, pour les terroristes, à se procurer ces agents pathogènes. La tâche
n’est pas aisée, mais elle n’a a priori rien
d’impossible pour un groupe bien organisé. Le charbon, par exemple, «existe
toujours dans certaines régions de
l’Afrique où il affecte des animaux
domestiques», explique le professeur de
l’UNIL. La bactérie est donc – si l’on ose
dire – disponible, à condition que l’on
puisse l’isoler. Cela demande certes quelques compétences en biologie, mais «ne
requière pas un matériel très sophistiqué
et un bon technicien pourrait se débrouiller».
Quant au virus de la variole, il n’en
existe plus au monde que deux dépôts
placés sous haute protection, l’un à
Atlanta aux Etats-Unis, l’autre à Koltsovo en Russie. Il n’y aurait donc rien à
redouter sur ce front. Mais les experts
ne sont pas totalement rassurés pour
autant, car nul ne sait si les importants
stocks de virus que l’Union soviétique
possédait au temps de la guerre froide
ont bien été totalement détruits (lire
notre encadré en page 58).
Le génie génétique bricole
les virus
Mais il y a plus inquiétant encore
dans l’affaire. Comme si la dangerosité
naturelle de ces différents microorganismes ne suffisait pas, voilà qu’intervient le génie génétique qui peut
accroître leur pouvoir. Cette technique
a d’ailleurs déjà fait son entrée sur la
scène de l’armement biologique. Notamment en URSS, à en croire l’ex-directeur adjoint du complexe de guerre biologique soviétique Biopreparat.
D’après les révélations de Ken Alibek – qui ont été validées – de 1973 à
la chute de l’Union soviétique, les
chercheurs ont produit des bactéries
(charbon, peste, tularémie) résistantes
à plusieurs antibiotiques. Ils ont
encore manipulé la peste et le virus de
la variole. D’autres pays – Etats-Unis,
Irak, Afrique du sud notamment –
auraient aussi mené des recherches de
ce genre.
→
ALLEZ
SAVOIR
! / N°31 FÉVRIER 2005
53
Faut-il avoir peur de la menace bioterroriste?
MÉDECINE
TSR
Dans la fiction (24 H chrono), les chasseurs de virus d'origine terroriste
ressemblent à ça
54
ALLEZ
SAVOIR
! / N°31 FÉVRIER 2005
DR
▲
Et dans la vraie vie, voilà le professeur de l'UNIL Riccardo Wittek, à l'œuvre avec deux collègues,
dans un laboratoire russe
→L’expérience australienne
Quant aux scientifiques australiens,
c’est par inadvertance qu’ils ont fait la
preuve des possibilités offertes en la
matière par le génie génétique. Soucieux
de se débarrasser des souris qui, chez
eux, constituent une véritable peste, ils
ont voulu créer un vaccin contraceptif
pour ces rongeurs. A cette fin, ils ont
manipulé le virus de la variole murine,
produisant sans le vouloir un virus beaucoup plus virulent que le microbe commun: il tuait même les souris vaccinées
contre lui. «Cette expérience a montré
que l’on pouvait bricoler un virus de la
variole résistant à la vaccination», commente Riccardo Wittek.
Là encore, un groupe terroriste ne
saurait exploiter les ressources du génie
génétique pour concevoir et produire des
agents dotés de capacités renforcées.
Mais le vol et le trafic ne peuvent être
totalement exclus.
La Suisse est assez bien
préparée
Face à ce genre de menace, la Suisse
est-elle bien préparée? «Assez bien»,
répond Riccardo Wittek. Il constate que
le système de surveillance des épidémies
est efficace et, qu’en cas d’attaque par la
variole, «nous avons suffisamment de
vaccins» et «assez d’antibiotiques» pour
traiter les personnes qui seraient touchées par de l’anthrax.
Reste que la gestion d’une crise éventuelle relève des cantons et «de leurs différentes polices», ce qui pourrait «compliquer la tâche». Mais il ne faut pas se
ALLEZ
SAVOIR
! / N°31 FÉVRIER 2005
leurrer. «En cas de problème bioterroriste à grande échelle, tous les systèmes
au monde seraient dépassés.»
Pour l’instant, on n’en est pas là, et
Riccardo Wittek juge «paranoïaque»
l’attitude de Washington en la matière.
D’autant, regrette-t-il, «que l’argent investi par les Etats-Unis dans la lutte
contre le bioterrorisme va manquer ailleurs», notamment dans le combat contre
les maladies infectieuses, véritable fléau
dans les pays en développement.
Pendre au sérieux la menace bioterroriste, oui, conclut en substance le professeur de l’UNIL, mais inutile pour
autant de transformer l’inquiétude en
psychose.
Elisabeth Gordon
55
Faut-il avoir peur de la menace bioterroriste?
MÉDECINE
Huit agents biologiques dangereux
CHARBON (ANTHRAX)
BOTULISME
CHOLÉRA
EBOLA
L’agent pathogène est constitué
par la toxine produite par la bactérie Clostridium botulinum. Il
reste intact pendant des
semaines dans l’eau ou la nourriture, mais il est détruit à haute
température.
Le Vibrio cholerae est une bactérie produisant une toxine dangereuse, qui est très stable dans
l’eau.
Extrêmement virulent, le virus
d’Ebola sévit notamment dans les
forêts africaines. Transmis par
des animaux dont on ignore la
nature, il provoque régulièrement
des épidémies chez les grands
singes et les antilopes notamment. Ces derniers peuvent à leur
tour contaminer les êtres humains
par contact direct.
On peut contracter le choléra
après avoir consommé de l’eau ou
de la nourriture contaminées.
Après une incubation de un à trois
jours, cette infection de l’intestin grêle se traduit par des diarrhées fulgurantes, des vomissements et une déshydratation
générale. La maladie est contagieuse, mais elle n’est pas mortelle à condition que l’on puisse
réhydrater le malade par voie
orale ou intraveineuse, et lui
administrer des antibiotiques. En
outre, il existe désormais un vaccin contre le choléra.
La maladie d’Ebola, très contagieuse, se déclare après environ
une semaine d’incubation. Elle se
traduit par des symptômes grippaux, puis par des fièvres hémorragiques qui, selon la nature de
la souche virale, sont mortelles
dans 70 ou 90% des cas. Des
médicaments et des vaccins sont
en cours d’étude et certains
paraissent prometteurs, mais il
n’existe actuellement aucun traitement contre cette maladie.
Le choléra étant très répandu
dans le monde - il est notamment
endémique dans les zones tropicales humides de l’Afrique et de
l’Asie - il est facile de se procurer la bactérie. Celle-ci se cultive
aisément. Mais il est plus difficile de l’utiliser dans les pays où
l’eau est contrôlée.
La secte japonaise Aum a tenté
d’obtenir des virus d’Ebola. Mais
il est très difficile de se procurer
ces microorganismes et de les
conserver; leur manipulation est
en outre très dangereuse.
L’AGENT
La bactérie Bacillus anthracis vit
dans le sol sous forme de spores
qui, après avoir pénétré dans un
organisme animal (mouton et
cheval notamment) ou humain,
libèrent des bacilles toxiques.
Protégés par une coque rigide,
ces spores sont extrêmement
stables : ils résistent aux rayons
ultraviolets, à la chaleur et aux
désinfectants usuels.
EFFETS SUR L’ÊTRE HUMAIN
Une personne infectée après
avoir inhalé des spores développe
la maladie du charbon pulmonaire, aussi appelée «maladie des
trieurs de laine». Après une incubation de deux à quatre jours, le
malade présente d’abord des
symptômes ressemblant à ceux
d’une forte grippe puis il souffre
d’oppression respiratoire et de
grosseurs sombres sur la poitrine
et le cou. La maladie n’est pas
contagieuse, mais sa mortalité
est très élevée.
La contamination peut se faire par
le biais de nourriture contaminée
- ce qui est rare - ou par inhalation de toxines cristallisées. Elle
conduit au botulisme, maladie qui
se manifeste par une vision
brouillée, des difficultés à avaler,
une faiblesse puis une paralysie
musculaire. La maladie n’est pas
contagieuse mais l’ingestion de
quelques nanogrammes de
toxines suffisent à provoquer la
mort. Elle peut être traitée par des
antitoxines mais, faute de tests,
il est difficile d’identifier le botulisme à temps.
FACILITÉ D’ACCÈS ET DE DISSÉMINATION
Il est relativement aisé de se procurer la bactérie: quelque 1500
laboratoires dans le monde en
possèdent une ou plusieurs
souches. Le charbon est facile à
cultiver, mais plus difficile à
conditionner, surtout sous sa
forme lyophilisée qui permet une
dispersion massive.
56
On peut se procurer aisément la
bactérie dans le sol ou la nourriture avariée. La toxine est facile
à produire en grandes quantités,
mais difficile à utiliser à des fins
militaires.
ALLEZ
SAVOIR
! / N°31 FÉVRIER 2005
PESTE
SALMONELLE
TULARÉMIE
VARIOLE
La bactérie Yersinia pestis peut
subsister longtemps, mais elle est
détruite par la chaleur, les rayons
ultraviolets et les désinfectants.
L’entérobactérie Salmonella
enterica typhimurium est un
microbe instable qui se trouve
dans la nourriture avariée.
La bactérie Francisella tularensis
peut survivre pendant des mois
dans les cadavres d’animaux en
décomposition. Elle résiste au
froid mais elle peut être détruite
par la chaleur et par des désinfectants.
Le virus Variola major est très
stable, et il peut se propager à
toutes saisons et sous tous les climats.
La peste pulmonaire est habituellement transmise du rat à
l’être humain par l’intermédiaire
de piqûres de puces. L’URSS a
toutefois fabriqué des aérosols à
partir de ces bactéries. Après des
premiers symptômes comparables à ceux de la grippe, la
maladie provoque des pneumonies. Très contagieuse, la peste
pulmonaire peut être traitée à
l’aide d’antibiotiques, à condition
d’administrer ces derniers très
tôt. Si tel n’est pas le cas, la mortalité est élevée.
Contractée par ingestion de nourriture contaminée, la salmonellose se traduit par des diarrhées
et des nausées soudaines, des
prostrations et de la fièvre. La
maladie n’est pas contagieuse et
elle est très rarement mortelle; la
plupart du temps, elle se guérit
spontanément.
La tularémie s’attrape par inhalation ou ingestion de nourriture
ou d’eau contaminées, mais
aussi par contact avec un animal
infecté. Il suffit d’une centaine de
germes pour contracter cette
maladie, peu contagieuse, qui
provoque divers symptômes: frissons, nausées, migraine et fièvres
pendant deux ou quatre
semaines. On dispose cependant
d’antibiotiques très efficaces
contre la tularémie, qui, si elle
n’est pas traitée, est mortelle
dans environ 30% des cas.
La contamination peut se faire par
inhalation d’aérosols ou par
contact avec les secrétions d’un
malade. La variole provoque des
éruptions de lésions rouges qui se
transforment en pustule. On ne
connaît pas exactement sa contagiosité; on estime qu’un malade
infecté pourrait contaminer entre
trois à vingt personnes. Il existe
un vaccin très efficace contre la
variole, mais il présente des
effets secondaires.
Il est avéré que la peste a été utilisée par les Tatars lors du siège
de Kaffa en 1346 et par les Japonais en Chine dans les années
1930-40. Aujourd’hui, il semble
très difficile d’obtenir un stock de
souches virulentes, mais lorsque
l’on en possède un, la bactérie est
facile à cultiver. Cependant, sa
dissémination n’est pas aisée.
Il est très facile de se procurer des
salmonelles et de les utiliser. Ces
entérobactéries
ont
été
employées en tant qu’armes biologiques par les Etats-Unis avant
1970 et par l’Afrique du Sud. Elles
ont aussi déjà servi dans le cadre
d’une action bioterroriste: en
1984, la secte américaine du
temple de Waco a mis des
germes dans les salades et dans
les sauces servies par plusieurs
restaurants de l’Oregon.
Selon certaines sources, les
Russes ont employé la bactérie
contre les Allemands avant la
bataille de Stalingrad, durant la
Seconde Guerre mondiale. Il est
cependant difficile d’acquérir
une souche virulente de la bactérie, qu’il est moyennement
facile d’utiliser.
En 1763, les Britanniques ont utilisé des couvertures contaminées
avec du virus de la variole pour
décimer les Indiens d’Amérique.
Aujourd’hui, il est extrêmement
difficile de se procurer le microorganisme. Depuis que la maladie
a été éradiquée, seuls deux laboratoires - en Russie et aux EtatsUnis - conservent des stocks de
virus. Mais nul ne sait si la grande
quantité de virus dont l’Union
soviétique disposait il y a quelques années a bien été détruite
en totalité.
E.Go.
ALLEZ
SAVOIR
! / N°31 FÉVRIER 2005
57
Téléchargement