ALLEZ SAVOIR! / N°31 FÉVRIER 200550
MÉDECINE
Faut-il avoir peur de
la menace
bioterroriste?
Un dangereux virus, qui pourrait arriver dans
les mains de terroristes, est au centre de la troisième
saison de la série «24h chrono», prochainement sur
les écrans de la TSR. Mais le péril biologique n’est
pas pure fiction, et les experts le prennent très au
sérieux.
N
ouvelle saison, nouvelle menace.
Après avoir sauvé la Californie du
péril nucléaire, l’agent de la cellule anti-
terroriste Jack Bauer sera prochaine-
ment confronté à un nouveau défi: empê-
cher un dangereux virus d’origine
ukrainienne de se répandre sur Los An-
geles. Cette fois, c’est le bioterrorisme qui
plane sur les nouveaux épisodes de la
série culte américaine, «24h chrono», qui
seront diffusés sur la TSR à partir du
mois de mars.
Fiction ou réalité ?
Une hypothèse de pure fiction? Pas
si sûr. Comme si elle faisait écho au scé-
nario catastrophe du feuilleton télévisé
américain, l’Association médicale bri-
tannique (BMA) manifeste, elle aussi,
une vive inquiétude face à la menace bac-
tériologique. «Agissons maintenant con-
p. 52
Kiefer Sutherland joue Jack Bauer,
le héros de «24 H chrono»
TSR
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ALLEZ SAVOIR! / N°31 FÉVRIER 200552
MÉDECINE
Faut-il avoir peur de la menace bioterroriste?
tre les armes biologiques avant qu’il ne
soit trop tard»: tel est, en substance, le
cri d’alarme qu’elle a lancé dans un récent
rapport.
L’association estime en effet que les
virus, bactéries ou autres germes dan-
gereux sont plus faciles à développer,
plus difficiles à contrôler et plus à même
de tomber entre les mains de terroristes
que les armes chimiques ou nucléaires.
Et la BMA de mettre sérieusement en
doute les capacités de la communauté
internationale à faire face à de telles
attaques.
Certes, le bioterrorisme n’est pas la
guerre biologique. Cette dernière reste
du ressort des Etats, seuls capables de
fabriquer, conserver et disséminer à
grande échelle des armes biologiques
proprement dites. Car cela nécessite des
infrastructures lourdes et des équipe-
ments (missiles, bombes, avions) dont les
terroristes ne disposent – en général –
pas. Même si des groupes organisés peu-
vent être aidés plus ou moins discrète-
ment par un Etat, leurs moyens de frappe
sont limités.
L’expérience de l’anthrax
Le charbon – l’anthrax en anglais –
en offre un bon exemple. Pour en faire
une arme véritable, il faut non seulement
obtenir une souche virulente de la bac-
térie, mais aussi créer un aérosol efficace,
ce qui demande de traiter chimiquement
les spores et de les encapsuler dans des
particules capables de pénétrer profon-
dément dans les voies respiratoires des
«ennemis». Un tel travail exige donc des
microbiologistes de haut niveau, et des
laboratoires bien équipés.
Mais on peut aussi, comme l’ont fait
des bioterroristes en automne 2001, se
procurer de simples souches de char-
bon et les mettre sous pli, afin d’expé-
dier des lettres piégées à des hommes
politiques et des journalistes améri-
cains. L’attaque a tué cinq personnes,
mais elle a surtout provoqué une belle
panique aux Etats-Unis où son impact
psychologique a largement dépassé les
dégâts qu’elle a commis.
Discours apocalyptiques et
propos rassurants
Faut-il craindre la menace bioter-
roriste? Entre les discours apocalyp-
tiques des uns et les propos rassurants
des autres, il est difficile de prendre
l’exacte mesure du danger. Comme tou-
jours, «la vérité se situe probablement
entre les deux points de vue», souligne
Riccardo Wittek, professeur de biolo-
gie à l’UNIL. En fait, précise le direc-
teur du groupe de recherche de viro-
logie moléculaire, les appréciations
varient d’un pays à l’autre.
«Les Etats-Unis et la Grande-Bre-
tagne, qui se sentent particulièrement
visés par les terroristes, prennent les
choses très au sérieux.» Au point que,
craignant une attaque au virus de la
variole, les autorités américaines ont
envisagé de vacciner toute la population
du pays avant de renoncer, quand elles
ont réalisé que les vaccins n’étaient pas
sans danger. Mais elles n’ont pas baissé
la garde pour autant, installant notam-
ment dans de nombreux lieux des filtres
à air permettant de repérer toute parti-
cule suspecte.
Aucune arme n’est «parfaite»
«C’est aller trop loin», estime le bio-
logiste lausannois, qui ne sous-estime pas
pour autant la menace. Car les microor-
ganismes dont les bioterroristes peuvent
disposer – «les mêmes que ceux qui sont
employés pour la guerre biologique» –
ne manquent pas (voir tableau). Tous
sont potentiellement dangereux, à des
degrés divers. Tous ont, pour leurs «uti-
lisateurs», leurs atouts et leurs limites.
Les bactéries, comme le charbon, ont
l’avantage de pouvoir être disséminées
sous forme de spores, des éléments très
résistants et qui peuvent rester longtemps
à l’état dormant, en attendant des condi-
tions favorables pour redevenir actifs.
«D’un autre coté, remarque Riccardo
Wittek, la forme pulmonaire de maladie
du charbon n’est pas contagieuse et
seules les personnes qui ont inhalé des
spores d’anthrax en souffrent.» Au con-
© N. Chuard
Riccardo Wittek,
professeur de biologie à l’UNIL
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traire, les virus, comme celui de la va-
riole, ne survivent que peu de temps à
l’air libre, mais ils peuvent se transmettre
facilement de personne à personne et
provoquer des épidémies.
Un bon technicien peut
se débrouiller
Reste, pour les terroristes, à se pro-
curer ces agents pathogènes. La tâche
n’est pas aisée, mais elle n’a a priori rien
d’impossible pour un groupe bien orga-
nisé. Le charbon, par exemple, «existe
toujours dans certaines régions de
l’Afrique où il affecte des animaux
domestiques», explique le professeur de
l’UNIL. La bactérie est donc – si l’on ose
dire – disponible, à condition que l’on
puisse l’isoler. Cela demande certes quel-
ques compétences en biologie, mais «ne
requière pas un matériel très sophistiqué
et un bon technicien pourrait se dé-
brouiller».
Quant au virus de la variole, il n’en
existe plus au monde que deux dépôts
placés sous haute protection, l’un à
Atlanta aux Etats-Unis, l’autre à Kolt-
sovo en Russie. Il n’y aurait donc rien à
redouter sur ce front. Mais les experts
ne sont pas totalement rassurés pour
autant, car nul ne sait si les importants
stocks de virus que l’Union soviétique
possédait au temps de la guerre froide
ont bien été totalement détruits (lire
notre encadré en page 58).
Le génie génétique bricole
les virus
Mais il y a plus inquiétant encore
dans l’affaire. Comme si la dangerosité
naturelle de ces différents microorga-
nismes ne suffisait pas, voilà qu’inter-
vient le génie génétique qui peut
accroître leur pouvoir. Cette technique
a d’ailleurs déjà fait son entrée sur la
scène de l’armement biologique. Notam-
ment en URSS, à en croire l’ex-direc-
teur adjoint du complexe de guerre bio-
logique soviétique Biopreparat.
D’après les révélations de Ken Ali-
bek – qui ont été validées – de 1973 à
la chute de l’Union soviétique, les
chercheurs ont produit des bactéries
(charbon, peste, tularémie) résistantes
à plusieurs antibiotiques. Ils ont
encore manipulé la peste et le virus de
la variole. D’autres pays – Etats-Unis,
Irak, Afrique du sud notamment –
auraient aussi mené des recherches de
ce genre.
La menace bioterroriste, vue par le caricaturiste du Figaro
ALLEZ SAVOIR! / N°31 FÉVRIER 200554
MÉDECINE
Faut-il avoir peur de la menace bioterroriste?
Dans la fiction (24 H chrono), les chasseurs de virus d'origine terroriste
ressemblent à ça
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