Pourquoi avez-vous choisi
de commencer vos études à
Namur ?
En 1972, lorsque je fi nissais mes
humanités dans un collège de la
banlieue anversoise, il y avait encore
une tradition : pour des Belges néer-
landophones, entamer leurs études
en français, en particulier pour ce qui
est du droit, était monnaie courante.
J’ai suivi le conseil d’un oncle qui
fut bâtonnier de l’Ordre des avocats
d’Anvers et qui lui-même « avait fait
Namur ». Je suis donc arrivé à Namur
et je ne l’ai pas regretté. Et deux de
nos six fi lles y ont également, entre-
temps, fait leur candidature en droit.
Comment cet intérêt pour
le droit européen a-t-il surgi en
vous ?
Cet intérêt s’est révélé à Namur,
en candidatures, puis a mûri à Leu-
ven. Notre professeur des principes
et des sources du droit n’était autre
qu’Etienne Cerexhe. Il était déjà une
autorité académique en matière de
droit européen et, grâce à lui, j’ai pris
conscience pour la première fois que
le phénomène juridique ne se can-
tonnait plus entièrement à l’intérieur
d’un ordre (national) fermé et que
chaque branche du droit est nour-
rie de sources multiples, originaires
d’ordres juridiques différents.
Est-ce qu’un autre profes-
seur vous a marqué ?
Oui, bien sûr, le Père Maon. Il
avait une passion inoubliable pour
transmettre ses connaissances, ses
valeurs, ses vues. C’était beau-
coup plus que le droit, c’était en
fait de l’humanisme pur qu’il
transmettait !
Vous passez par Harvard
avant de revenir à Leuven pour
entamer une thèse. Est-ce que
le sujet de celle-ci est le fruit de
votre passage dans cette uni-
versité prestigieuse ?
Oui, car j’ai étudié, dans le cadre
de ma thèse doctorale, la jurispru-
dence en matière de droit constitu-
tionnel américain, donc celle de la
Cour suprême des États-Unis. Et je
l’ai comparée à la jurisprudence de
la Cour européenne pour voir si ces
deux ordres juridiques utilisaient
des mécanismes comparables pour
rencontrer leurs fi nalités propres.
Or, c’est déjà ce sujet qui me pas-
sionnait lors de mon master en droit
et sciences politiques à Harvard.
J’ai défendu ma thèse en néerlan-
dais en 1982 puis je l’ai retravaillée
en français pour publier le livre Le
juge et la constitution, aux États-
Unis et en Europe. L’ouvrage a
obtenu une reconnaissance inter-
nationale qui n’aurait pas été pos-
sible en néerlandais.
Par ailleurs, le master à Harvard
m’a permis d’acquérir une compré-
hension du système fédéral améri-
cain qui est toujours restée ma clé
de lecture du système de l’Union
européenne.
Préférez-vous la théorie ou la
pratique du droit ?
Même si j’ai une souche acadé-
mique, parce que c’est comme cela
que j’ai entamé ma carrière, je dois
franchement admettre que je suis
le plus heureux des hommes en
tant que praticien du droit. Après
la thèse, j’ai eu l’opportunité de
devenir assez vite référendaire (col-
laborateur le plus proche d’un juge)
à la Cour de justice de l’Union euro-
péenne. J’étais référendaire du juge
belge de l’époque : René Joliet, lui-
même professeur de droit européen
à Liège. C’est avec lui que j’ai appris
les rouages et la rigueur du métier.
Ces années d’écolage m’ont indiqué
que j’avais quand même la fi bre du
patricien. Bien que jeune professeur
de retour à Leuven, je me suis tout
de suite inscrit au Barreau et
j’ai plaidé plusieurs affaires en
tant qu’avocat.
Le droit, c’est un peu
comme la musique : « on
ne peut pas être profes-
seur de musique sans
jouer de l’instrument ».
De plus, comme le droit
européen est jeune et
toujours en formation, le
pratiquer et le faire évo-
luer sont deux choses
qui, pour moi, n’en
font qu’une.
Que diriez-vous à de jeunes
universitaires sensibles à
la construction européenne
aujourd’hui ?
Je leur dirais : « continuez à
croire en la plus-value de l’Europe,
ne la prenez pas pour évidente ». Je
m’explique : s’il y a des facilités pour
voyager, étudier, pour profiter de
l’harmonisation des marchés et des
vertus d’une monnaie unique, s’il y
a une place pour l’Europe dans un
monde qui se globalise, etc., il ne faut
pas oublier que tout cela a été acquis
au prix de grands efforts et grâce à
des esprits visionnaires qui ont opéré
au lendemain de la seconde guerre
mondiale. Ne gaspillons pas le crédit
qui a été constitué par ces personnes
car il est garant d’un avenir paisible,
relativement prospère, où la solida-
rité et la compréhension mutuelle
veulent dire quelque chose. Soyons
attentifs car tout cela est plus vulné-
rable que l’on ne le pense…
Et aussi ceci : « c’est à vous de
continuer et d’actualiser ces valeurs
européennes ». Pour les pères fonda-
teurs des années ’50, la réconcilia-
tion franco-allemande et le retour
à la prospérité économique étaient
les deux priorités. La jeune géné-
ration doit poursuivre le travail en
intégrant l’Europe toute entière, et
en particulier celle de l’Est, qui a
perdu 40 ans dans un régime dont
elle s’est libérée seule (pendant la
guerre froide, l’Europe occidentale
ne l’a pas vraiment aidée). Nous
devons avoir le courage de partager
nos richesses avec ces peuples qui
comptent sur l’UE pour consolider
la démocratie, lutter contre la cor-
ruption, renforcer un État de droit et
un système économique corrigé par
des critères sociaux et écologiques.
Si cette extension se fait convena-
blement, tout le territoire européen
sera un grand espace démocratique,
pluraliste et juridique sûr.
Voilà, à mon avis, l’idéal que les
plus jeunes devraient poursuivre.
Propos recueillis par
Charles Angelroth
PARCOURS D’ANCIEN
KOEN LENAERTS,
juge à la Cour de justice de l’UE
Koen Lenaerts (candidat en droit, promotion de 1974) est professeur de droit
européen à la K.U.Leuven et juge à la Cour de justice de l’Union européenne.
Regards croisés entre la Belgique, l’Europe et l’Amérique : un homme curieux
des droits des autres.
Le master à Harvard m’a permis d’acquérir
une compréhension du système fédéral
américain qui est toujours restée ma clé de
lecture du système de l’Union européenne
L’anecdote
Des anecdotes de mon parcours à Namur, il y en a, car j’étais encore très jeune
(17 ans) et je quittais le foyer familial pour la première fois… Et puis, au début,
j’avais quelques diffi cultés en français, mais après quelques mois, je parlais de
toutes sortes de choses – dont certaines déjà très « belgo-belges » à l’époque –
avec mes nouveaux amis qui m’appelaient amicalement « notre Flamand ». Mais
je me souviens surtout du déménagement vers le Rempar t de la Vierge, en janvier
1973, depuis la rue Hernotte où la Faculté de droit avait des locaux provisoires
(la Faculté n’a été créée qu’en 1967, avec la réforme de l’ancien programme de
doctorat en droit ; avant cela, le droit faisait plus ou moins partie de la Faculté de
philosophie et lettres). Cet évènement correspond à ma première grande guin-
daille. C’est un beau souvenir !
.
et des sources du droit n’était autre
qu’Etienne Cerexhe. Il était déjà une
autorité académique en matière de
droit européen et, grâce à lui, j’ai pris
conscience pour la première fois que
le phénomène juridique ne se can-
tonnait plus entièrement à l’intérieur
d’un ordre (national) fermé et que
chaque branche du droit est nour-
rie de sources multiples, originaires
d’ordres juridiques différents.
Est-ce qu’un autre pro
seur vous a marqué ?
Oui, bien sûr, le Père Maon. Il
avait une passion inoubliable pour
transmettre ses connaissances, ses
valeurs, ses vues. C’était beau-
coup plus que le droit, c’était en
fait de l’humanisme pur qu’il
transmettait!
.
obtenu une reconnaissance inter-
nationale qui n’aurait pas été pos-
sible en néerlandais.
.
Ces années d’écolage m’ont indiqué
que j’avais quand même la fi bre du
patricien. Bien que jeune professeur
de retour à Leuven, je me suis tout
de suite inscrit au Barreau et
j’ai plaidé plusieurs affaires en
tant qu’avocat.
Le droit, c’est un peu
mme la musique : « on
ne peut pas être profes-
seur de musique sans
jouer de l’instrument ».
De plus, comme le droit
ropéen est jeune et
toujours en formation, le
pratiquer et le faire évo-
luer sont deux choses
qui, pour moi, n’en
font qu’une.
TRIMESTRIEL N°80 JUIN 2011 9
CONNEXION
Échos de nos anciens
PRIMÉ PAR
« LE GÉNÉRALISTE »
Le docteur Raphaël Papart (can-
didat en médecine, 2004) a
reçu le Prix du magazine « Le
Généraliste », pour son travail de fi n
d’études concernant l’abord de la
sexualité des adolescents en méde-
cine générale. Cette distinction salue
la qualité et l’originalité du travail, mais
aussi son applicabilité sur le terrain.