apte à être utilisé par les chrétiens, puisqu'il pouvait désigner celui qui ne pratiquait pas le
culte impérial. Paganus est l'habitant d'un pagus, c'est-à-dire d'un territoire placé dans des
limites bien déterminées, un village, un district, et même une région. Le paganus est donc un
autochtone et se distingue du colonus, vétéran de l'armée romaine établi sur des terres qui lui
ont été assignées et qui rend, par conséquent, un culte aux divinités romaines selon les rites
officiels. Le paganus, par contre, se contente d'honorer les divinités du pagus. Pour
Tertullien, auteur ancien, le chrétien est le soldat du Christ, celui qui a prêté serment de
fidélité lors du baptême, celui qui est intégré dans la véritable cité de Dieu. Le païen devient
alors son contraire : celui qui est alienus à tout ce que le christianisme représente de sacré
pour ceux qui y adhèrent. Ainsi, lorsque le christianisme devient religion officielle de
l'Empire, l'Empereur peut désigner pagani tous les non-chrétiens. Ainsi, Tertullien écrit Ad
natione et non ad paganus.
D’une manière générale, pour certains historiens antiquisants
, il faut se garder de traduire
anachroniquement les mots genos, ethnos, phylon en grec, gens et natio en latin, par le terme
français de race ou d’ethnie mais plutôt par le terme de peuple. Le vocable peuple a surtout
une signification politique, puisqu’il désigne l’ensemble des citoyens soumis aux même lois
mais il ne possède pas de sens ethnique
.
Qu’en est-il alors de l’ethnie ?
CONTEXTE ET AMBIGUÏTE CONCEPTUELLE DE L’ETHNIE
En français, le mot ethnie n’apparaît et rentre dans l'usage de la langue française qu’au
tournant du XIXe siècle
. L'apparition de ce mot, à une époque où l'Europe est dominée par
le phénomène colonial, va influer sur son utilisation et lui donner un sens historique. A cette
époque, le vocable ethnie est souvent un euphémisme pour dire race sans prononcer ce mot.
A cette époque, les définitions du terme ethnie sont assez peu nombreuses et tournent toutes
autour de quelques grandes caractéristiques. Dans l'Essai sur l'inégalité des races humaines,
Joseph-Arthur de Gobineau utilise l'adjectif ethnie de manière ambiguë. Nous observons
justement que chez lui le terme semble, d'un côté, fonctionner comme synonyme de race,
nation ou civilisation ; et de l'autre, se référer au résultat du mélange des races, c'est-à-dire à
une hybridation fatale qui, dans la vision du diplomate français, est destinée à provoquer le
déclin de l'humanité et la fin de l'histoire
.
La même ambiguïté se retrouve chez Georges Vacher de Lapouge, théoricien du racisme, qui
est le premier à introduire dans la langue française le terme et la notion d'ethnie. Dans Les
sélections sociales, il emploie ethnies pour désigner certaines parties de population
racialement homogènes, qui entrent en contact avec d'autres races et cohabitent avec elles
dans la longue durée, finissant de ce fait par en assimiler la langue et la culture. Il tente de
rendre compte de « la séparation de populations racialement homogènes dont les différentes
divisions connaissent des changements divers, entrent en contact avec d'autres races et
finissent, par la cohabitation prolongée avec celles-ci, à leur ressembler davantage, du fait de
la mixité linguistique et culturelle, qu'à la partie initiale dont elles se sont séparées
».
Pierre Salmon, SALMON Pierre : 1984 : Racisme ou refus de la différence dans le monde gréco-
romain, in Dialogues d’histoire ancienne, n°10, p. 75-91
Paul Ansart, ibid.
Annamaria RIVERA, Ethnie-Ethnicité, in L’imbroglio ethnique en 14 mots clés, sous la direction de
René GALISSOT, Mondher KILANI, Annamaria RIVERA, Lausanne, 2000, p. 97-115
Joseph-Arthur de GOBINEAU, Essai sur l’inégalité des races, 1854
Georges Vacher DE LAPOUGE, Les sélections sociales,1896