RAHIA n° 25 – Regards croisés sur le Togo
Les enjeux du débat franco-allemand dans l’entre-deux guerres (1919-1939)
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Introduction
« Depuis vingt ans, ici, [au Togo] les gens ont vus trois drapeaux : le drapeau allemand,
le drapeau anglais, le drapeau français. Ils se demandent quel sera le quatrième. »
Robert Paul-Marie de Guise, Commissaire de la République au Togo (1932-1934)1
Si on cherche le Togo sur une carte de l’Afrique, ce tout petit pays tend à disparaitre
face à ses grands voisins ouest-africains. L’étroite bande située entre le Ghana et le
Bénin n’égale même pas la taille de deux fois la Bretagne et elle est ainsi la plus petite
colonie en Afrique. (cf. Annexe 1, Document 1) Néanmoins, le Togo se trouva au cœur
de l’ère des Empires et représenta l’un des principaux épisodes dans le théâtre des
rivalités impérialistes. Les Togolais ont vécu, il est vrai, sous l’administration des trois
premières puissances impérialistes à l’époque, qui possédèrent des plus grands empires
coloniaux du monde. Ils ont vu l’établissement de vastes plantations et des missions
religieuses par des Allemands à partir de 1884, au début de l’ère impérialiste. Ils ont
vécu les atrocités de la Grande Guerre et la conquête franco-britannique du pays. Ils
ont vu le partage du pays par l’établissement arbitraire de la frontière. Ils ont vu
l’intégration d’une partie du Togo dans la Gold-Coast anglaise avec laquelle ils avaient
fait tout le chemin jusqu’au Ghana indépendant. Ils ont vu « l’association » avec les
Français, la « mise en valeur » de leur pays et la Grande Crise économique des années
trente. Mais ils ont aussi connu de grands connaisseurs et amis de l’Afrique, comme
l’africaniste Diedrich Westermann ou l’ethnologue Leo Frobenuius, qui intégrèrent leurs
multiples expériences sur le territoire togolais dans leurs études sur l’Afrique. Mais
pendant toute la période coloniale ils ont conservé un caractère particulièrement
togolais et la conscience précoce de former un « peuple Togolais ». Ainsi il n’est pas
surprenant qu’ils soient parmi les premiers à revendiquer l’indépendance et à secouer
le joug colonialiste. On pourrait dire que le Togo reflète en miniature l’histoire du
continent africain, une histoire dans laquelle les analystes actuels de l’Afrique moderne
trouvent des responsables pour la situation difficile du continent aujourd’hui. Ainsi, le
Togo a vécu intensivement la phase la plus douloureuse du continent : la période de la
colonisation par les Européens.
On peut se demander pourquoi les regards des puissances impérialistes se dirigèrent
vers le Togo, ce petit territoire relativement pauvre et sans ressources économiques
importantes. Le fait, que le gouvernement allemand ait déclaré le Togo
« Musterkolonie » (colonie modèle), parce qu’elle était la seule colonie à être
économiquement rentable avant la guerre, masque sa faiblesse économique par
rapport au marché mondial. La « Musterkolonie » fut plutôt une création de la
propagande coloniale pour mettre en scène l’œuvre colonisatrice de l’Allemagne. Les
rivaux impérialistes comprirent bien la faible « valeur » réelle du Togo, mais il
continuèrent quand même à se concurrencer sur le plan territorial.
L’idée de la « Musterkolonie » montre bien que l’intérêt ne fut pas la colonie en soi. Ce
terme fut créé pour se mettre en scène face aux rivaux, alors qu’on visait la
1 Cf. MARTET, J., Les Bâtisseurs de Royaumes, Paris, Ed. Albin Michel, 1934, p. 140.