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Pour citer cet article :
Wang Mingming, George Morgan,
" Le renversement du Ciel ",
Alliage, n°45-46 - Décembre 2000, ,
mis en ligne le 03 septembre 2012.
URL : http://revel.unice.fr/alliage/index.html?id=3841
Voir l'article en ligne
Le renversement du Ciel
De l’Empire devenu une nation, et de la pertinence de la
compréhension réciproque pour la Chine
Wang Mingming
fr
65-80
George Morgan
Lorsque le grand oiseau, Peng, verra la Terre d’en haut
comme nous autres voyons le ciel de par en dessous,
il cessera de s’élever et commencera à voler vers le sud.
Zhuang ZI
Il existe un phénomène que nous appelons désormais « l’anthropologie réciproque ».
Notre définition commune de ce phénomène est telle que celui-ci fait partie d’un projet plus
large de restructuration de l’espace entre la culture des autres et la « nôtre » la « nôtre»
désignant ici la possibilité pour des Européens ou pour des Chinois ou d’autres de faire
allusion à leur tour à « nos » contreparties alternatives respectives. En tant que composantes
humaines dans cette nouvelle entreprise intellectuelle, nous employons le terme
« anthropologie réciproque » (appellation qui n’existe que depuis une dizaine d’années) pour
signifier une vision du monde et une pratique alternatives, consistant principalement à
reconnaître la signification ontologique de la conjonction des systèmes de culture et des
échanges entre eux, ainsi qu’à respecter les efforts visant à créer une « disposition
réciproque » ou « co-présence » parmi les différentes cultures humaines (le Pichon, 1995).
Cette forme d’anthropologie met l’accent sur le concept de la « réciprocité », à savoir la
réciprocité entre différentes façons de percevoir le monde. Mais peut-on prétendre qu’il s’agit
là d’une quête novatrice de la connaissance et des relations interculturelles ?
Pendant presque tout le XXe siècle, les anthropologues ont cherché à percevoir le soi « à
travers l’autre ». À partir de leurs observations, les anthropologues, considérant « les
contrastes culturels comme un moyen de connaissance » (Sahlins, 2000), ont cherché à
explorer les diverses pistes culturelles afin de réfléchir sur leur propre « connaissance locale »
(Geertz, 1983 ; voir aussi Wolker, 1993). Parmi ces anthropologues structurels, nous pourrions
citer des auteurs exemplaires tels que Lévi-Strauss, qui a fondé ses théories sur la « théorie de
l’alliance » et sur la notion de contraires complémentaires, tout en soulignant le schéma
inconscient qui sous-tend la communication trans-culturelle dans « l’esprit primitif ».
D’autres anthropologues parlent de mystiques hostiles au marché (Sahlins, 1972), de tribus et
de castes opposées à l’individualisme (Dumont, 1986), d’États d’opérette opposés à « l’État
substantiel » (Geertz, 1980), et de bien d’autres antagonismes complémentaires en tant que
dimensions de notre co-présence réflexive. Plus près de nous, les anthropologues post-
coloniaux ou réflexifs ont cherché à réinterpréter les récits des anthropologues qui sont partis
de chez eux, en Europe, afin de « classer l’humanité non-européenne de telle manière que
leur interprétation soit en accord avec le mythe européen du triomphe du progrès » (Asad,
1990). Ces chercheurs, quoique parfois en désaccord avec les approches structuralistes et
interprétatives antérieures, sont en train de produire des études intéressantes qui se
rapprochent aussi de la « disposition réciproque ».
1
Pour une réévaluation de l’anthropologie
Cependant, ce constat ne nous amène pas à renoncer à nos efforts. Dans la foulée des
traditions anthropologiques moderne et post-moderne, l’anthropologie réciproque exige
certaines formes de réciprocité qui ne sont exprimées que de façon implicite chez les
anthropologues antérieurs. On a suggéré que nous devrions lier nos recherches à la notion
bakhtinienne de « l’imagination dialogique », ainsi qu’à un chronotope ou à une « perception
particulière du temps, en relation avec l’espace, qui se développe dans les scénarios humains
et qui lui attribue un caractère particulier » (Fernandez, 1995). S’inspirant peut-être peu ou
prou de la « prestation totale » de Marcel Mauss, une autre proposition avance que nous
devrions réaliser un principe découlant d’un postulat qui « présuppose une approche
engageant deux sujets ou deux cultures dans un processus égal de connaissance réciproque »
(le Pichon, 1995). Les deux propositions soulignent le fait qu’une nouvelle forme de
connaissance, telle qu’elle est proposée, n’est concevable que si nous l’abordons comme une
pratique alternative impliquant une réévaluation de la formation disciplinaire de
l’anthropologie. Mais comment distinguer cette réévaluation des réévaluations structuraliste,
interprétative et post-coloniale ?
La base de la réponse peut sembler quelque peu contradictoire. Dans le domaine
culturologique, l’anthropologie réciproque peut être considérée comme apparentée aux
approches interprétatives des récits ethnographiques, et surtout à l’anthropologie
interprétative du point de vue des autres (ou des indigènes) (ex. Geertz, 1973). Néanmoins,
cette recherche intellectuelle ainsi définie englobe aussi la possibilité de relations
transculturelles. Elle s’intègre dans la protestation intellectuelle contre la division du monde
en « l’Occident et puis le reste » (« the West and the rest »). Ainsi, devons-nous admettre que
nos efforts nous confrontent à une situation ambivalente. D’un côté, l’anthropologie
réciproque telle que nous l’avons définie encourage les anthropologues à estimer que les
différences culturelles des autres par rapport à « nous » constituent un système de valeurs et
de connaissance tout à fait distinct. De l’autre, le sujet lui-même est tellement lié à la
réfutation de cette division anthropologique moderne du monde et de « l’identité
temporelle » (« coevalness of time », voir Fabian, 1983) anthropologique qui en découle
qu’elle s’oriente vers une critique de la pratique de « l’altérité » (« othering ») dans
l’anthropologie moderne. Le problème-clé qui doit retenir ici notre attention est de savoir
comment l’anthropologie réciproque peut assurer la continuité intellectuelle et ontologique au
sein du contradictoire.
La notion enthousiasmante de correspondance développée par le Pichon selon laquelle
« l’observation et l’analyse de l’un correspondent à l’observation et l’analyse de l’autre » (le
Pichon, 1995) apporte une solution partielle au problème. Par-delà ce concept de la
correspondance, il propose également que nous cherchions comment les différentes cultures
se voient les unes les autres dans leurs contextes historiques. À la suite de cette proposition, il
me semble que, pour créer le type de correspondance désiré, nous devons d’abord éviter la
réduction traditionnelle de l’anthropologie réciproque à une vocation euro-centrique. Je veux
dire par que nous avons besoin de communication multilatérale au lieu de la tentative
habituelle de la part de la « culture occidentale » de réaliser ses propres identités et d’acquérir
des connaissances à son propre sujet (tentative qui aboutit souvent à des distinctions
réflexives) tout en instituant les échanges souhaités à égalité entre culture occidentale et
cultures non-occidentales. À mes yeux, l’un des problèmes avec le mode de pensée latéral
singulier c’est que « l’égalité des échanges » a souvent été traitée comme une critique
unilatérale des défauts inhérents au traitement eurocentrique hiérarchique de l’Autre, c’est-à-
dire l’Autre en tant qu’objet d’une « haute culture » scientifique et miroir inversé
2
du « progrès » et de l’expansion occidentale (Wallerstein, 1997 ; voir l’argument dans Sahlins,
2000).
Dépasser la poétique de l’innocence
C’est un fait que l’anthropologie occidentale traditionnelle, qui respecte « les nobles
sauvages », par sincérité ou par politesse, a souvent fini par ouvrir la voie à l’impérialisme.
Ainsi, dans le contexte de réciprocité qui est le nôtre, faut-il reconnaître les contributions des
anthropologues post-coloniaux à la critique discursive du discours anthropologique. Toutefois,
dans le domaine de l’épistémologie comme dans celui de l’ontologie, ce que l’anthropologie
réciproque cherche à promouvoir n’est qu’une simple remise en question de la « cosmologie
native » de l’Occident. Pour nous, elle constitue une réévaluation plus effective, qui cherche à
esquisser une nouvelle approche quelque peu semblable à celle de « l’université emmurée »,
selon laquelle le savoir universel y compris le déterminisme du pouvoir et l’économie
politique marxiste propose un système culturel de signification tout aussi ethnocentrique
(Sahlins, 1996). Ceci constitue l’expression historique et transculturelle d’un « langage méta-
scientifique parfait », de même qu’un retour à l’ordre sémiotique du langage abusivement
interprété comme autant de « symboles aveugles » (Eco, 1995). Ceci implique que la
compréhension réciproque doit permettre des échanges plus larges, des échanges entre « cette
cosmologie-ci » et les autres modes « là-bas » de connaître et de représenter le monde aux
hommes, modes qui, pour moi, comprennent l’échange entre « vos » problèmes occidentaux
et « nos » problèmes non-occidentaux. Qui plus est, la finali des échanges a été définie de
façon très différente par rapport aux perspectives critiques de la modernité coloniale (et du
siècle des Lumières). Nous cherchons à redécouvrir un domaine linguistique et sémiotique
parmi nous-mêmes, et entre nous-mêmes et les autres. Nous sommes fort désireux de
comprendre les points d’incompréhension mutuelle qui nuisent à notre co-présence
transculturelle et à l’existence paisible de différentes cultures dans un « monde en voie de
mondialisation » (Eco, 2000). En un mot, il n’est pas dans notre intention d’apporter de
simples rectifications politiques aux politiques euro-centrées fondées sur le socio-économique
et sur la dynamique du pouvoir, celle, par exemple du fameux « système mondial moderne ».
Il a été postulé que « l’harmonie au sein de différences » (ge er bu tong), pour employer
des termes chinois qui ont l’avantage d’être plus frappants, représente le thème central de
notre symphonie (Yue et Le Pichon, 2000 ; Fei, 2000). Pourtant, les polyphonies constituées
des réflexions réciproques sur les incompréhensions devant être tissées dans la symphonie de
la compréhension sont à rechercher avec encore plus d’urgence que ce thème futurologique.
Les polyphonies impliquent une approche non-occidentale. Car les théories de la post-
modernité ont apporté à beaucoup d’intellectuels non-occidentaux l’espoir d’un renouveau
culturel, y compris celui du vieux concept chinois de tong ou « unité ». Maintenant que les
pièges présents dans les sciences humaines au cours de l’expansion occidentale se sont
effectivement avérés, nos collègues non-occidentaux commencent à émerger de leur
pessimisme à l’égard de leurs propres cultures. En Chine, un appel a été lancé en faveur de
« l’auto-conscience de la culture » (wenhua zijue) correspondant à l’anthropologie auto-
réflexive du monde occidental, notamment lors d’un congrès sur le dialogue transculturel à
Beijing, où étaient présents certains Occidentaux (par exemple, Fei, 1998). Les événements de
cette dernière décennie ont prouvé la justesse d’une description des critiques de
l’impérialisme comme débouchant sur un discours rédempteur de la quête d’identité de notre
empire-devenu-nation. L’une des tâches de Transcultura est ainsi de comprendre le processus
de transmission dans les mondes post-modernes, et de comprendre la transmission en tant que
traduction d’un mode auto-réflexif de production culturelle en auto-confirmation d’un
renouveau culturel.
3
Il se peut que la transmission transculturelle de la connaissance s’opère par des cycles sans
fin.1 Mais pour nous, la réfutation post-coloniale du discours et son destin dans des
« situations coloniales », devenues autant de « situations nationales », confirment un point
important. Ce ne sont pas seulement les Européens, les Américains, et les Japonais (pour les
Coréens et les Chinois) qui n’ont pas réussi à comprendre les autres. Ce sont aussi ceux qui,
pendant les quelque derniers siècles, se sont manifestés en tant que sujets de l’historicité
coloniale. Des terrains de mésentente, aussi bien que d’entente, existent chez diverses tribus et
civilisations souvent exclues de notre travail critique, du simple fait que notre réflexion
critique ne couvre souvent que le discours des groupements soi-disant « puissants ». Mais, ce
faisant, n’a-t-on pas oublié que des exemples d’incompréhension se trouvent également chez
des « peuples indigènes »l’exception peut-être des Chinois dont la société était tenue pour
être « complexe ») considérés comme des « enfants innocents » par les anthropologues
traditionnels ?
À mon avis, la mission de l’anthropologie réciproque ne doit pas se limiter à la récitation
d’une poétique de l’innocence. Plus complexe, elle doit appeler notre attention sur la mise au
point d’un ensemble de mesures qui nous permettront de déceler nos sujets
d’incompréhension réciproque pour pouvoir, on l’espère, les éviter. Afin de fournir un cadre
historique, je me suis tourné vers l’histoire de divers aspects de la civilisation chinoise, dont
les schémas cosmologiques de la Chine antique et l’anthropologie en tant que discipline
nous percevons des difficultés semblables à ceux qui apparaissent dans les études européennes
modernes.2 Cette étude couvre plus de deux mille ans, de l’époque classique à l’ère
contemporaine. Ce champ de vision étendu sera une approche utile du « point de vue des
autochtones » à l’égard des autres, même si un domaine aussi vaste pose des problèmes en
raison même de son importance.
L’empire devenu nation
Plus précisément, on peut décrire les univers de la cosmologie chinoise en termes de
transformation historique d’un « empire devenu nation ». Il s’agit, en un mot, de la
transformation de la vision cosmique de « Tout ce qui est sous le Ciel » (tianxia) à l’époque
de l’Empire, en une série de récits de la rédemption produits par la nation pendant le XXe
siècle (pour des exemples antérieurs, voir aussi Duara, 1995). Jusqu’ici, dans les sciences
1. Considérez, par exemple, le sort réservé à Wallerstein et à Said aussi bien qu’à Malinowski en Asie
orientale. Or, Wallerstein soutient que toutes les sciences sociales en Occident étaient occidento-centriques et
contenaient par conséquent toute sorte de pièges épistémologiques et idéologiques. L’espoir pour l’avenir, tel que
certains de mes collègues chinois ont interprété les prévisions de Wallerstein, était entre les mains des
« Orientaux ». Également pertinent par rapport à ce que mes collègues avaient tiré de Wallerstein, l’orientalisme
de Said a été publié en chinois en 1999. Beaucoup de comptes-rendus ont été publiés dans les journaux et dans
les périodiques savants. Actuellement, l’orientalisme de Said est perçu comme une forme de « Dongfang Zhuyi »
ou « « Orientisme » Easternism »), qui renvoie non pas aux discours occidentaux sur les Orientaux mais à
une vision du monde à la fois post-occidentale et oriento-centrique. Ceux qui n’ont pas lu son livre ont vu dans le
titre de l’ouvrage un signe positif d’une nouvelle vision alternative du monde, ce qui suggère que l’orientalisme
désormais signifie, comme me l’a dit un ami pendant la phase post-coloniale, que « c’est désormais le tour des
chercheurs en Orient ». Tout cela me fait penser à ce qu’a dit une fois Mao Zedong : « les vents de l’Orient l’ont
emporté sur les rafales de l’Occident ». Néanmoins, cette notion me rappelle un grand moment dans l’histoire de
l’anthropologie chinoise. Lorsque l’éminent anthropologue chinois, Fei Xiaotong, a publié son premier livre en
anglais, intitulé « La vie paysanne en Chine » (1939), son mentor, Bronislaw Malinowski, qu’il appelait son
« oncle », a écrit une préface il chantait ses louanges pour avoir ouvert un nouveau domaine qui allait
permettre aux Orientaux de se prendre eux-mêmes comme sujet d’étude. Or, toutes ces visions post-impérialistes
du monde, une fois de plus avec leurs commentaires écrits en des langues étrangères au sujet des sciences
sociales, semblent oublier le fait qu’une forme d’encouragement occidental pour l’orientisme existait naguère à
Londres.
2. Voir la version anglaise complète de cet article : Wang Mingming, The Turn of Heaven : Empire to nation
and the Relevanceof Reciprocal Understanding in China, Conférence de Bologne, 6-7 novembre 2000.
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