Tunisie tribune

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Tunisie tribune
Publié le samedi 14 janvier 2012 07:55
Ezzeddine Ben Hamida* écrit – Une lettre
ouverte au ministre de l’Education nationale pour le sensibiliser à la
nécessité d’enseigner la sociologie aux élèves du Secondaire.
Monsieur le Ministre,
Devant la montée outrancière, exorbitante et abusive des dérives de
certains groupes extrémistes et fanatiques à l’égard du sacro-saint, à
savoir nos universités et lycées dont les valeurs sont absolues et,
par conséquent, sont dignes d’un respect sans faille, il convient de
se poser ces questions fondamentales :
1/ Comment faire pour lutter contre ses dérives d’une frange minime
aux idées nauséabondes ?
2/ Comment lutter contre l’intégrisme et le fondamentalisme ?
3/ Comment préserver les acquis des femmes ?
4/ Comment doter le pays d’une jeunesse rationnelle, curieuse et
tolérante ?
Monsieur le Ministre, l’enseignement de la sociologie, parmi d’autres
matières, dès le Secondaire pourrait représenter un véritable et
incontestable rempart contre le fondamentalisme et l’intégrisme. En
effet, l’enseignement de la sociologie dès le Secondaire pourrait
aider nos jeunes à mieux appréhender les mutations socioculturelles et
plus largement socioéconomiques et politiques dans notre pays.
Avant de rentrer dans le vif du sujet, il convient de rappeler que
notre société est en pleine mutation. Les transformations économiques
– le développement outrancier du secteur touristique qui a, comme
corollaire, une déculturation réelle –, urbanistiques, culturelles –
singulièrement la question de l’émancipation de la femme dont on ne
peut que se féliciter – et politiques – plus récemment la question
désormais fondamentale de la dignité – se sont traduites par un
véritable changement social et démocratique comme en témoignent les
élections du 23 octobre.
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Publié le samedi 14 janvier 2012 07:55
L’idée sous-jacente serait donc celle de la rationalisation de la
pensée de nos jeunes (élèves) citoyens. L’enseignement de la
Sociologie aurait pour objectif central d’ouvrir la culture des
lycéens sur un ordre de réalités et de réflexions que leurs études
antérieures (histoire-géographie, éducation islamique et civique,
etc.) ne leur ont permis d’aborder que de façon sommaire. Il viserait
donc à les mettre en mesure de mieux comprendre la société dans
laquelle ils vivent pour mieux appréhender les évolutions d’ordre
sociétal plutôt que de s’enfermer dans des raisonnements archaïques
dont la grille d’analyse n’est plus adaptée à notre époque.
Monsieur le Ministre, la sociologie, à l’image des autres sciences
sociales, s’est constituée à partir du refus d’expliquer les
phénomènes sociaux à l’aide d’une cause extérieure à la société. Alors
que la biologie ou la psychologie rendent parfois compte du social par
des phénomènes génétiques ou psychiques, la sociologie se singularise
par sa volonté d’expliquer le social par le social, la recherche de
l’objectivité et l’utilisation du principe de causalité.
En clair, la sociologie a pour ambition de rendre visibles et
compréhensibles des phénomènes sociaux qui ne sont pas immédiatement
apparents. Les sociologues contemporains ont ainsi montré que la
réussite scolaire dépendait du milieu social des élèves alors que tout
le monde était, auparavant, persuadé qu’elle dépendait uniquement – et
simplement – de leur mérite individuel. En réalité, les deux
coexistent.
Le mariage, autre thème qui pourrait être enseigné à nos élèves pour
leur montrer que le «maktoub» est fortement dicté par des
considérations d’ordre sociologique, qui sont au moins au nombre de
trois :
- la première est simplement probabiliste : le choix d’un semblable
provient du fait que les individus sont placés dans des contextes
(école, usine, quartier, etc.) où la probabilité est forte de
rencontrer quelqu’un dont l’identité sociale est voisine de la sienne
;
- une deuxième ligne d’interprétation psychoculturelle : la similitude
des goûts, des habitudes, qui sont d’ailleurs nourries et
conditionnées par des éducations voisines ;
- la troisième ligne est économique : l’homogamie sociale serait le
résultat d’une stratégie rationnelle des acteurs cherchant, par le
biais du mariage, à conserver ou augmenter leurs capitaux matériels.
On pourrait également envisager l’analyse du processus de
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Publié le samedi 14 janvier 2012 07:55
«moyennisation» de la société tunisienne depuis l’indépendance et
s’interroger sur les dangers qui pèsent aujourd’hui sur ce processus.
Autre thème crucial auquel il faut sensibiliser nos citoyens, dès leur
jeune âge, à savoir l’analyse des inégalités entre homme et femme.
L’exemple des inégalités des salaires à compétence égale illustre,
hélas, la subjectivité de certaines explications qui ne sont que le
produit d’une culture dominante pleine de présupposés et de préjugés.
Ou encore, on peut s’interroger légitimement sur le rôle de notre
école républicaine et gratuite dans la mobilité sociale (ascension et
descension sociale par rapport à la position des parents). Autrement
dit, la réussite sociale en Tunisie est-elle déterminée par l’origine
sociale ? Une telle interrogation permettra à nos jeunes de
s’interroger réellement sur leurs conditions pour mieux préserver
leurs chances de réussite en mettant de leurs côtés tous les atouts
nécessaires à leur succès plutôt que de sombrer dans le fatalisme et
le désespoir.
Beaucoup d’autres thèmes (histoire du syndicalisme tunisien et des
différents mouvements sociaux, la montée des inégalités en Tunisie
inter et intra catégories socioprofessionnelles, etc.) pourraient être
ainsi suggérés à nos jeunes élèves.
L’enseignement de la sociologie, enrichi sur certains thèmes par des
analyses économiques, va permettre aux élèves d’acquérir des
connaissances de base qui sont souvent en rupture avec leurs
connaissances spontanées (culture familiale). Ils apprendront les
méthodes des enquêtes, la recherche des informations et la
construction des données.
En clair, l’étude de l’environnement socioéconomique et sociopolitique
doit aboutir à l’acquisition de savoirs structurants et de
savoir-faire qui sont les conditions sine qua none pour comprendre
d’une manière rationnelle la société dans laquelle ils vivent. Ainsi,
on arrivera sans doute à mettre en déroute, sagement, le fanatisme,
l’intégrisme et l’intolérance.
D’ailleurs, l’enseignement de la sociologie ne fera que renforcer leur
foi. Une foi qui deviendra rationnelle et par conséquent inébranlable.
Veuillez agréer, monsieur le Ministre, mes salutations les plus
distinguées.
* Professeur de sciences économiques et sociales.
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