8 | La Lettre du Pharmacologue ̐ Vol. 26 - n° 1 - janvier-février-mars 2012
ÉDITORIAL
Les troubles psychiatriques nuisent
à la santé
Psychiatric disorders are harmful to health
“
Pierre omas
Professeur de psychiatrie,
université de Lille ;
pôle de psychiatrie, médecine
légale et médecine
en milieu pénitentiaire,
CHRU de Lille.
En une dizaine d’années, la santé des personnes souffrant de troubles psychiatrique
est devenue une préoccupation majeure. En effet, les patients, de même
que leurs familles et les soignants, ont été alertés par leurs prises de poids parfois
spectaculaires en l’espace de quelques mois, et par l’apparition d’un diabète de type2
avant qu’ils n’atteignent l’âge de40ans. Partout dans le monde, des études ont été menées
pour mesurer l’ampleur de ce phénomène. Elles ont toutes révélé que les personnes
souffrant de troubles psychiatriques graves (y compris le trouble bipolaire)
étaient 2fois plus susceptibles de présenter un syndrome métabolique que la population
générale, la prévalence allant de 35 à 55 % de ces patients selon les régions.
Si le syndrome métabolique n’est pas une maladie en soi, il constitue un risque
significativement accru de maladie cardiovasculaire (CV) précoce et de réduction
de l’espérance de vie pouvant atteindre 25 années.
S’agit-il d’un phénomène nouveau ? Il est vrai que dès la mise sur le marché
des antipsychotiques atypiques, la prise de poids des patients auxquels ils étaient prescrits
a été un constat universel, à tel point que, pour certains, l’obésité était devenue un élément
de stigmatisation des patients en psychiatrie.
Les premiers responsables désignés ont été les antipsychotiques atypiques. Certaines
molécules font davantage grossir que d’autres, c’est évident, mais le problème semble plus
complexe. En effet, avant l’introduction des antipsychotiques atypiques, la prévalence
des maladies CV était déjà élevée et l’espérance de vie déjà plus faible chez les patients
psychiatriques que dans la population générale. Plusieurs études naturalistiques montrent
que la prise de poids et l’apparition du syndrome métabolique sont observées chez
lespatients dès le début du trouble psychiatrique, qu’il s’agisse de psychose, de trouble
bipolaire ou bien de dépression, et bien souvent quel que soit le traitement psychotrope.
Il semble donc que la plupart des maladies psychiatriques favorisent l’apparition
du syndrome métabolique, avec comme conséquence la détérioration de la santé et
laréduction de l’espérance de vie. À titre d’exemple, une enquête réalisée par la Fédération
de recherche en santé mentale du Nord-Pas-de-Calais sur une population de plus
de 5 000 patients hospitalisés a révélé que 3 à 6 ans après une hospitalisation
en psychiatrie, 11 % des patients étaient décédés. Il s’agissait majoritairement de décès
d’origine naturelle, qui concernaient essentiellement les hommes et les femmes
âgés de 35 à 55ans (1).
Attirer l’attention sur la santé des patients souffrant de troubles psychiatriques est
l’un des points forts du rapport des Centers for Disease Control And Prevention
(CDC) publié en septembre 2011(2). Au-delà de la prévalence frappante des troubles
psychiatriques aux États-Unis (25 % des Américains présentent une maladie
mentale), ce rapport indique que, dans les pays développés, les maladies mentales
provoquent plus d’invalidité que toute autre maladie, y compris le cancer et les maladies CV.
Ce triste record s’explique par les comorbidités. En effet, tous les troubles psychiatriques
d’évolution chronique ou épisodique (y compris les troubles anxieux) sont associés
àlasurvenue accrue de maladies chroniques comme les maladies CV, le diabète, l’obésité,
l’asthme, l’épilepsie, les addictions et le cancer.