ÉDITORIAL Les troubles psychiatriques nuisent à la santé Psychiatric disorders are harmful to health “ E n une dizaine d’années, la santé des personnes souffrant de troubles psychiatrique est devenue une préoccupation majeure. En effet, les patients, de même que leurs familles et les soignants, ont été alertés par leurs prises de poids parfois spectaculaires en l’espace de quelques mois, et par l’apparition d’un diabète de type 2 avant qu’ils n’atteignent l’âge de 40 ans. Partout dans le monde, des études ont été menées pour mesurer l’ampleur de ce phénomène. Elles ont toutes révélé que les personnes souffrant de troubles psychiatriques graves (y compris le trouble bipolaire) étaient 2 fois plus susceptibles de présenter un syndrome métabolique que la population générale, la prévalence allant de 35 à 55 % de ces patients selon les régions. Pierre Thomas Professeur de psychiatrie, université de Lille ; pôle de psychiatrie, médecine légale et médecine en milieu pénitentiaire, CHRU de Lille. Si le syndrome métabolique n’est pas une maladie en soi, il constitue un risque significativement accru de maladie cardiovasculaire (CV) précoce et de réduction de l’espérance de vie pouvant atteindre 25 années. S’agit-il d’un phénomène nouveau ? Il est vrai que dès la mise sur le marché des antipsychotiques atypiques, la prise de poids des patients auxquels ils étaient prescrits a été un constat universel, à tel point que, pour certains, l’obésité était devenue un élément de stigmatisation des patients en psychiatrie. Les premiers responsables désignés ont été les antipsychotiques atypiques. Certaines molécules font davantage grossir que d’autres, c’est évident, mais le problème semble plus complexe. En effet, avant l’introduction des antipsychotiques atypiques, la prévalence des maladies CV était déjà élevée et l’espérance de vie déjà plus faible chez les patients psychiatriques que dans la population générale. Plusieurs études naturalistiques montrent que la prise de poids et l’apparition du syndrome métabolique sont observées chez les patients dès le début du trouble psychiatrique, qu’il s’agisse de psychose, de trouble bipolaire ou bien de dépression, et bien souvent quel que soit le traitement psychotrope. Il semble donc que la plupart des maladies psychiatriques favorisent l’apparition du syndrome métabolique, avec comme conséquence la détérioration de la santé et la réduction de l’espérance de vie. À titre d’exemple, une enquête réalisée par la Fédération de recherche en santé mentale du Nord-Pas-de-Calais sur une population de plus de 5 000 patients hospitalisés a révélé que 3 à 6 ans après une hospitalisation en psychiatrie, 11 % des patients étaient décédés. Il s’agissait majoritairement de décès d’origine naturelle, qui concernaient essentiellement les hommes et les femmes âgés de 35 à 55 ans (1). Attirer l’attention sur la santé des patients souffrant de troubles psychiatriques est l’un des points forts du rapport des Centers for Disease Control And Prevention (CDC) publié en septembre 2011 (2). Au-delà de la prévalence frappante des troubles psychiatriques aux États-Unis (25 % des Américains présentent une maladie mentale), ce rapport indique que, dans les pays développés, les maladies mentales provoquent plus d’invalidité que toute autre maladie, y compris le cancer et les maladies CV. Ce triste record s’explique par les comorbidités. En effet, tous les troubles psychiatriques d’évolution chronique ou épisodique (y compris les troubles anxieux) sont associés à la survenue accrue de maladies chroniques comme les maladies CV, le diabète, l’obésité, l’asthme, l’épilepsie, les addictions et le cancer. 8 | La Lettre du Pharmacologue ̐ Vol. 26 - n° 1 - janvier-février-mars 2012 ÉDITORIAL De plus, la maladie mentale est un obstacle à l’utilisation de l’offre en soins médicaux, en raison des troubles eux-mêmes, mais aussi des attitudes médicales et de la stigmatisation. Plusieurs expériences ont montré qu’une approche intégrée associant le traitement des maladies mentales à celui des maladies chroniques pouvait améliorer le pronostic des 2 affections. 1. Charrel CL et al. État de santé des patients souffrant de maladie mentale dans le Nord. F2RSM 2011, www.santementale5962.com 2. CDC. Mental Illness Surveillance Among Adults in the United States. MMWR 2011;60(Suppl). http://www. cdc.gov/mmwr/preview/ mmwrhtml/su6003a1.htm?s_ cid=su6003a1_w Si les déterminants de la santé des patients souffrant de troubles psychiatriques sont aussi complexes qu’intriqués, de nombreux progrès peuvent être réalisés afin de prévenir des complications évitables. Cela implique de redéfinir le rôle des soignants prenant en charge des patients en difficulté pour entretenir leur santé, de reconsidérer nos pratiques dans le maniement des psychotropes et de promouvoir la recherche sur les raisons pour lesquelles les psychotropes, de même que les troubles psychiatriques, perturbent le métabolisme. Le dossier consacré au lien entre antipsychotiques et syndrome métabolique contribuera à mieux comprendre la réalité épidémiologique du phénomène, la susceptibilité liée à la maladie mentale elle-même et les mécanismes en jeu. ” Conflit d’intérêts. L’auteur déclare avoir un conflit d’intérêts avec AstraZeneca, BMS Otsuka, Euthérapie, Janssen, Lilly, Lundbeck. Annoncez-vous ! Les annonces professionnelles : un service fait pour vous ! ^ une deuxième insertion gratuite pour les abonnés ^ des tarifs dégressifs pour les collectivités ^ des annonces professionnelles gratuites pour les étudiants Contactez Valérie Glatin au 01 46 67 62 77 ou faites parvenir votre annonce par mail à [email protected] La Lettre du Pharmacologue ̐ Vol. 26 - n° 1 - janvier-février-mars 2012 | 9