Le Courrier de la Transplantation - Vol. XIII - n° 3 - juillet-août-septembre 2013 81
La sénescence réplicative représente un stade normal
terminal de la différenciation des T mémoires. Son
accentuation a comme conséquence une augmentation
du risque d’inflammation chronique et d’auto-immunité.
L’inflammation chronique est une des caracté-
ristiques du système immunitaire du sujet âgé
Les cellules mémoires, épuisées, sénescentes, s’accu-
mulent dans les organes et les tissus, où elles synthé-
tisent des cytokines pro-inflammatoires. L’élimination de
ces cellules sénescentes chez la souris retarde les modi-
fications phénotypiques des tissus où elles résident.
Une autre cause d’inflammation liée à l’âge réside dans
la diminution de l’immunocompétence, qui, associée à
une atteinte des barrières cutanéo-muqueuses, favorise
une modification du microbiote, avec présence de patho-
gènes agressifs et translocation microbienne intestinale.
Auto-immunité
Les manifestations d’auto-immunité surviennent quand
des lymphocytes B et T auto-réactifs ayant échappé à
la sélection thymique en raison de leur faible affinité
deviennent capables de s’activer et de proliférer en
présence de ces auto-antigènes. Elles sont fréquentes
chez le sujet âgé (apparition d’anticorps antinucléaires,
polyarthrite rhumatoïde, thyroïdite, etc).
La prolifération homéostatique n’est pas liée au
hasard et elle est sujette à une pression de sélection
périphérique qui induit des effets cumulatifs avec
l’âge. La reconnaissance périphérique de complexes
HLA/peptides du self induit des signaux nécessaires
à la survie des lymphocytes T naïfs. Chez la souris,
dans des modèles de lymphopénie, la prolifération
homéostatique accélérée est associée à une sélection
de lymphocytes T auto-réactifs et à une contraction
du répertoire. Il en est de même chez l’homme. Les
cytokines homéostatiques nécessaires à la lympho-
prolifération augmentent le risque d’auto-immunité
en réduisant le seuil de réponse des lymphocytes aux
antigènes de faible affinité et en induisant la différen-
ciation de lymphocytes T mémoires autoréactifs.
Le rôle du CMV
Le CMV est un herpesvirus non éliminé lors de l’infection
aiguë. Sa persistance dans l’organisme est à l’origine
d’une infection latente avec des réactivations itératives
conduisant à des stimulations répétées du système
immunitaire. Ces réponses immunitaires répétées vis-
à-vis des épitropes du CMV entraînent progressive-
ment une inflation de T mémoires spécifiques du CMV,
qui occupent une part de plus en plus importante de
notre répertoire. Il a pu être mis en évidence que, chez
certains individus, cette part pouvait atteindre 50 %
du répertoire, aux dépens de la réponse immunitaire
contre tous les autres antigènes.
L’infection chronique à CMV entraîne l’accumulation
dans l’organisme de lymphocytes T mémoires terminaux
épuisés CD28–, en particulier CD8, tout à fait similaires à
ceux observés lors de l’immunosénescence. Il existe donc
indubitablement une synergie entre CMV et âge pour
entraîner une baisse de l’immunocompétence, et on peut
considérer que l’infection chronique à CMV accélère le
vieillissement du système immunitaire. Ainsi, les anoma-
lies de vieillissement prématuré observées chez l’enfant
thymectomisé sont moins prononcées chez celui qui n’est
pas infecté par le CMV, et les anomalies détectées chez
l’homme âgé sont moins sévères en cas d’absence de cette
infection, ce qui remet en lumière l’intérêt d’une vaccina-
tion anti-CMV. En effet, cette inflation de cellules mémoires
avec l’âge n’est pas une caractéristique de toutes les infec-
tions chroniques. Ce n’est pas le cas d’autres herpesvirus
comme VZV ou EBV, dont les réponses diminuent avec
l’âge. Il est possible que l’expansion de répertoire anti-CMV
soit en partie responsable de la perte de contrôle de la
réponse immunitaire contre ces virus. La variabilité de la
réponse chronique anti-CMV observée chez les différents
individus pose aussi d’intéressantes questions actuelle-
ment non résolues, comme, par exemple, le rôle de l’âge
au moment de la primo-infection.
Conclusion
La connaissance des anomalies du système immunitaire
a bien sûr des conséquences évidentes en transplan-
tation dans la mesure où les patients âgés de plus de
60 ans occupent une place de plus en plus grande sur
les listes d’attente. D’autre part, l’augmentation de la
durée de vie des patients transplantés induit un nombre
de plus en plus important de patients du troisième et
du quatrième âge, porteurs d’un greffon.
Les conséquences sur le système immunitaire de ces
patients âgés de l’utilisation d’anticorps déplétant la
population T et de traitements immunosuppresseurs
prolongés n’ont pas encore été suffisamment étudiées,
d’autant que les infections virales, en particulier à CMV,
vont souvent moduler et accélérer l’immunosénescence.
Il faut néanmoins interpréter avec prudence les données
de la littérature concernant l’immunosénescence, car
beaucoup de ces résultats sont tirés de modèles murins
(dont on connaît les différences, ne serait-ce que dans
la durée de vie !). Chez l’homme, peu d’études longi-
tudinales étudiant les mêmes sujets à différents âges
de la vie ont été menées.
■
1. Cantisan S, Torre-cisneros J, Lara
R et al. Impact of cytomegalovirus
on early immunosenescence of
CD8+ T lymphocytes after solid
organ transplantation. J Gerontol
A Biol Sci Med Sci 2013;68(1):1-5.
2. Derhovanessian E, Solana R, Larbi
A, Pawelec G. Immunity, ageing and
cancer. Immun Ageing 2008;5(9):11.
3. Dunn-Walters DK, Ademokum
AA. B cell repertoire and ageing. Curr
Opin Immunol 2010;22(4):514-20.
4.
Geiger H, De Haan G, Florian C.
The ageing hematopoietic stem cell
compartment. Not Rev Immunol
2013;13(5):376-89.
5. Goronzy JJ, Li G, Yang Z,
Weyand CM. The Janus head of
T Cell aging-auto-immunity and
immunodeficiency. Front Immunol
2013;4:131.
6. Heinbokel T, Elkhal A, Liu G et
al. Immunosenescence and organ
transplantation. Transplant Rev
2013;27(3):65-75.
7. Le Saux S, Weyand CM,
Goronzy JJ. Mechanism of immu-
nosenescence: lessons from models
of accelerated immune aging. Ann N
Y Acad Sci 2012;1247:69-82.
8. Moss P. The emerging role of
cytomegalovirus in driving immune
senescence: a novel therapeutic
opportunity for improving health
in the elderly. Curr Opin Immunol
2010;22(4):529-34.
9. Nikolich-Zugich J. Ageing and
life-long maintenance of T-cell
subsets in the face of latent persis-
tant infections. Nat Rev Immunol
2008:8(7):512-22.
10.
Sauce D, Appay V. Altered thy-
mic activity in early life: how does
it affects the immune system in
young adults? Curr Opin Immunol
2011:23(4):543-8.
11. Su DM, Aw D, Palmer DB.
Immunosenescence: a product
of the environnement? Curr Opin
Immunol 2013 Jun 25 [Epub ahead
of print].
12. Ventevogel MS, Sempowski BD.
Thymic rejunevation and aging. Curr
Opin Immunol 2013;25:1-7.
13.
Wong C, Goldstein DR. Impact
of aging on antigen presentation
cell function of dendritic cells. Curr
Opin Immunol 2013 Jun 24 [Epub
ahead of print].
Références
bibliographiques
Yvon Lebranchu déclare ne
pas avoir de liens d’intérêts.
Immunité du sujet âgé