Lettre bimensuelle n° 61 (16-30 juin 2011) Le but de SIDABLOG est d’exposer, par le biais de lettres d’informations bimensuelles accessibles à tous, le contenu d’articles scientifiques récemment publiés dans les plus importantes revues internationales. Détecter l’infection précoce pour combattre la maladie La phase qui suit la contamination par le VIH est l’infection précoce ou aiguë 1. Le virus se réplique alors efficacement et la charge virale est au plus haut un mois après l’infection, puis décroit lorsque la réponse immunitaire se met en place. Au cours de cette phase, le risque de contagion est maximal alors que les tests de dépistage usuels ne permettent pas de révéler la présence du virus. On se demande aujourd’hui comment on pourrait agir sur cette première phase pour améliorer le traitement du patient et réduire le risque de transmission. La plupart du temps, le virus rentre dans l’organisme par voies sexuelles. Il doit tout d’abord traverser la barrière des muqueuses. Le virus est ensuite au contact des cellules dendritiques qui le transportent alors vers les régions où elles transmettent l’infection aux lymphocytes T CD4+ (LT CD4+). Ces cellules infectées participent finalement à sa dissémination en rejoignant les tissus lymphoïdes intestinaux avant que le VIH n’apparait partout dans le sang2. Suite à l’infection, la réponse immunitaire va progressivement se mettre en place. D’abord la réponse immunitaire innée : Elle se traduit par une expression assez forte de différents types de cytokines, interférons, interleukines, de l’activation des LTCD4+ et des cellules NK qui tuent les cellules infectées. Il s’ensuit une réponse immunitaire adaptative, avec une production d’anticorps reconnaissant l’enveloppe virale. Cependant ces anticorps ne sont pas encore neutralisants et ne le deviennent qu’au bout de 3 mois. En revanche, la réponse cytotoxique CD8+ se manifeste quelques jours avant que la charge virale ait atteint son maximum. Elle permet de ralentir l’infection. La multiplication virale est alors contrôlée, la quantité de virus chute, et un équilibre est maintenu entre le système immunitaire et le virus. C’est la phase chronique de l’infection. Toutefois, pendant la phase aiguë de l’infection, Les symptômes ne sont pas assez spécifiques pour l’établissement d’un diagnostic3. Le virus ne pas être détecté dans le plasma pendant 7 à 21 jours. On parle de « phase d’ellipse ». A partir d’une à 5 copies du génome viral par ml de plasma, on peut détecter le virus par des méthodes d’amplification alors qu’à partir de 50 copies, on le détecte par les méthodes conventionnelles de mesure de la charge virale. On parvient maintenant, grâce à des tests de diagnostic de quatrième génération, à réduire encore de quelques jours la phase d’ellipse pendant laquelle les tests de séropositivité ne pouvaient pas être pratiqués. Puisque c’est au cours de cette phase d’infection aiguë que les risques de contamination sont les plus importants4, il est nécessaire de développer des stratégies de prévention avant ou juste après la transmission. On pourrait fournir des antiviraux à des personnes à risque avant ou immédiatement après l’exposition au virus. En effet, des récentes études ont montré qu’un gel à base de tenofovir réduit la transmission de 39% chez les femmes5. De même, la prise orale journalière de tenofovir et emtricitabine la réduit de 44%6. Les travaux en cours et de nouvelles combinaisons de médicaments devraient améliorer l’efficacité des traitements préventifs. 1 Appelée également primo-infection. Il est important de noter que de manière étonnante généralement un seul des virus transmis est responsable de l’infection. 3 Les symptômes de la phase aiguë sont peu spécifiques sous forme d’un syndrome pseudogrippal, ou mononucléosique. 4 Les risques de transmission par des personnes en phases aiguë de l’infection sont 10 fois supérieurs à ceux des autres patients. 5 Voir lettre SIDABLOG n° 42. 6 Voir lettre SIDABLOG n° 47. 2 Infection précoce ou aigüe Anticorps anti-VIHenv LTCD8+ anti-VIH Anticorps anti-VIHp24 Charge virale 4 à 8 semaines Comme ces traitements doivent être pris régulièrement par des personnes exposées, il est également nécessaire de développer des stratégies d’accompagnement. Tel est le cas par exemple avec ces tests de quatrième génération permettant une détection précoce et ainsi une prise en charge plus rapide du patient. Il faut également assurer une forte prévention des réseaux sexuels existant souvent autour de patients dans le but de diminuer la progression de l’infection auprès des populations à risque. Et enfin, il est nécessaire de repérer ceux qui viennent d’être infectés de sorte qu’ils puissent accéder au plus vite aux traitements adéquats. Les événements se produisant au moment de l’infection aiguë sont déterminants pour le devenir du patient et la prolifération du virus. Il est donc essentiel de poursuivre les recherches afin de détecter au plus vite les nouveaux cas infectés. Cà serait une manière de réduire enfin le nombre de personnes infectées dans le monde. Acute HIV-1 Infection. Cohen MS, Shaw GM, McMichael AJ, Haynes BF. N Engl J Med. 2011 May 19;364(20):1943-54. De nouveaux vecteurs viraux pourraient contrôler l’infection Un des obstacles à la conception d’un vaccin est de maintenir une réponse immunitaire anti-VIH efficace au niveau des muqueuses. Elles constituent les barrières naturelles par lesquelles le VIH pénètre dans l’organisme lors d’une contamination par voie sexuelle7. Cependant, c’est durant les premiers jours de l’infection et avant la dissémination dans l’organisme que le virus semble le plus vulnérable. Mais les vaccins actuels sont inefficaces parce qu’ils n’agissent pas assez longtemps au niveau des muqueuses. Des chercheurs proposent aujourd’hui un vaccin capable d’opérer dans les muqueuses, c’est-à-dire sur des sites de réplication virale précoce. Les vaccins actuels, fondés sur des vecteurs non persistants, permettent une activation des cellules T effectrices. Celles-ci se transformeront en lymphocytes mémoires effecteurs puis en absence de stimulation en lymphocytes centraux mémoires. Ces derniers ont une durée de vie extrêmement longue et sont localisés dans les tissus lymphoïdes. Ils réagiront plus efficacement contre l’élément pathogène grâce à la stimulation vaccinale. Néanmoins, dans le cas du VIH cette réponse n’est pas assez forte, ni localisée au niveau des muqueuses pour protéger l’organisme. Une des solutions serait de maintenir le pool de lymphocytes mémoires effecteurs qui eux sont localisés dans les tissus périphériques, pour empêcher qu’ils ne se transforment en lymphocytes centraux mémoires. 7 Voir lettre SIDABLOG 25. Pour cela, Scott Hansen et ses collaborateurs ont développé chez le macaque des vaccins capables d’activer et de maintenir indéfiniment des cellules T effectrices mémoires différenciées situées dans des sites de réplication précoce. Ces vaccins sont fondés sur des vecteurs de rhésus cytomégalovirus (RhCMV) qui expriment des protéines du VIS8, l’équivalent du VIH chez le singe. Les chercheurs les ont testés sur des macaques qui ont été ensuite infectés par le VIS. Ils ont montré que les animaux vaccinés puis infectés9 établissent une réponse des lymphocytes T CD8+ et T CD4+ forte et persistante permettant alors le contrôle du VIS. Ils ont en effet suivi différents groupes infectés et vaccinés. Sur les macaques non vaccinés presque tous ont développé une forte infection après 3 mois. Il en est de même pour les animaux traités avec un vaccin standard. En revanche, 13 des 24 animaux traités avec le vecteur RhCMV ont contrôlé l’infection. 12 de ces 13 animaux ont montré un affaiblissement constant de la charge virale quelques semaines après l’infection, et cela pendant une année10. De plus, on n’observe aucune déplétion de lymphocytes T CD4+ mémoires, indiquant que la maladie n’évolue pas. Aucune production d’anticorps spécifiques de VIS n’est observée ainsi qu’aucune réponse cellulaire T mémoire. Ceci signifie que peu de cellules de ces macaques sont réellement infectées. Lymphocytes T naïfs Vaccin standard Tissus lymphoïdes Vaccin « RhCMV » Très peu nombreux Lymphocytes T effecteurs Tissus périphériques Très nombreux Lymphocytes T effecteurs mémoires Tissus périphériques Nombreux Contrôle de l’infection Lymphocytes T mémoires centrale Tissus lymphoïdes Peu nombreux 8 Le virus de l’immunodéficience simienne. Infectés par voie intrarectale, 59 semaines après la vaccination, par la souche extrêmement pathogène VIS mac239. 10 Cependant, on observe occasionnellement des rebonds de la charge virale. 9 Ces données indiquent que les vecteurs fondés sur RhCMV permettent un niveau de protection virale au niveau des muqueuses, avant même que l’infection ne se soit généralisée. Ainsi, ces vecteurs « persistants » pourraient significativement contribuer à l’élaboration de vaccins efficaces contre le VIH. Profound early control of highly pathogenic SIV by an effector memory T-cell vaccine. Hansen SG, Ford JC, Lewis MS, Ventura AB, Hughes CM, Coyne-Johnson L, Whizin N, Oswald K, Shoemaker R, Swanson T, Legasse AW, Chiuchiolo MJ, Parks CL, Axthelm MK, Nelson JA, Jarvis MA, Piatak M Jr, Lifson JD, Picker LJ. Nature. 2011 May 26;473(7348):523-7.