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L’école de Constance en général a mis la dialectique de question/ réponse6 au
cœur de tout processus de réception, parce que le texte peut contenir en
puissance des réponses à des questions qui seront posées plusieurs générations
plus tard. Par exemple : Le style indirect libre qu’avait adopté Flaubert dans
son roman « Madame Bovary »avait présenté une vision nouvelle de la morale.
Flaubert a mis entre parenthèse, à la manière de Husserl, les jugements de
valeur unilatéraux et consommés qu imposait auparavant le romancier-
narrateur directement au personnages du roman. Dorénavant, quel tribunal
aurait le droit d’incriminer madame Bovary ? Les critères sociaux en vogue,
ainsi que la morale régnante et la sensibilité religieuse n’ont pas ce droit, pour
raison de ‘non compétence’, pour emprunter le jargon de mise dans le langage
juridique. Une forme artistique nouvelle a permis au lecteur de s’éloigner de
ses propres évidences morales habituelles, ce qui a permis de traiter une
question à laquelle la morale régnante apportait des réponses a priori toutes
faites. Présenter une forme stylistique nouvelle ou une forme esthétique inédite
permet de décevoir l’horizon d’attente conventionnel et affronte le lecteur avec
des questions que la morale fondée sur la pression religieuse ou sociale ne peut
plus convenablement traiter. De l’aveu de Jauss, Brecht n’était pas le premier à
avoir opposé ouvertement la morale à la littérature. Schiller, à la suite des
Lumières, a annoncé que les lois du théâtre débutent là où les lois de la société
n’ont plus de validité.
Jauss n’a pourtant pas abandonné la troisième étape de la Catharsis dans sa
théorie esthétique. Ce qu’il critique ce sont les mœurs. Ceux-ci ne sont pas en
cours parce qu’ils renferment une prétendue valeur propre. Au contraire, les
mœurs n’ont de valeur que parce qu’elles sont en cours. On pourrait par
conséquent explorer de nouvelles pistes de la morale en adoptant de nouvelles
formes de narration. C’est ce qu’on retrouve dans la forme romanesque. Celle-
ci renferme en puissance un potentiel qui ne se déploie qu’au fur des
générations. On retrouve dans l’écriture esthétique une résistance aux
conceptions morales dualistes ou manichéennes qui apprécient toute chose
selon la balance du bien et du mal, de la lumière et de l’obscurité, d’une
manière brutale et radicale en accord avec la morale dictée. L’écriture littéraire
est ouverte sur les variations infinies des mœurs, comme elle est ouverte sur la
compréhension de l’étrange, sur le droit à la différence et sur le droit à une
auto-compréhension. Cette écriture permet par le biais de l’imaginaire de ne
pas baisser les bras devant les institutions de l’interprétation qui imposent des
contraintes arbitraires la compréhension de soi et des autres. Le sens moral
n’est pas assujetti à des règles bien déterminées. Même s’il en existaient, il y a
une différence de catégorie entre comprendre une règle et suivre une règle, être
convaincue d’une règle morale et la suivre. Autrement, on aurait pu déduire le
6 Jauss a critiqué dans le chapitre de la ‚question- réponse“ dans son « Literaturgeschichte als
Herausforderung der Literaturtheorie » l’idée maîtresse du classicisme que Gadamer avait défendu dans
son livre « Vérité et méthode » Traduction J. Grondin, et al. 1996. On ce qui concerne le classicisme on
n’est pas obligé de connaître les questions auxquelles il constitue une réponse, parce qu’il semble
s’adresser à toutes les époques, comme si ses lecteurs étaient ses lecteurs premiers.
© Azelarabe lahkim Bennani, 2005. Toute reproduction par quelque procédé que ce
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