les contraintes a l`initiative privee et les moyens de les faire lever

LES CONTRAINTES A L’INITIATIVE PRIVEE ET LES MOYENS
DE LES FAIRE LEVER
PAR
Professeur Moustapha KASSE
Directeur du C R E A
Université de Dakar (Sénégal)
La réflexion sur les fonctions de l’initiative privée dans la développement
économique et social notamment des pays africains est d’une nécessité impérieuse.
Elle revêt une très grande importance au moins pour trois raisons tenant :
D’abord de l’absence ou à l’extrême rareté des recherches et analyses sur
l’entreprise privée et son apport dans le processus de transformation et
d’organisation du système des forces productives. Depuis les travaux de
J.SHUMPERTER annonçant « le crépuscule de la fonction d’entrepreneur » par
suite de son écrasement par l’entreprise géante1 les réflexions se sont faites rares
de même que les informations quantitatives et qualitatives sur l’initiative privée,
les bases de son fonctionnement et ses indices dans le processus de
transformation.
Ensuite au recul de l’Etat des « hauteurs dominantes » des économies
nationales. En effet, le fonctionnement de l’économie socialiste avait imposé la
socialisation des instruments de production et de travail et avait conféré à l’Etat
les fonctions de principal architecte de la construction économique, -le secteur
publique était le principal instrument du fonctionnement de l’économie. Dans
ce contexte, l’initiative privée était admise comme un mal nécessaire, elle était
tout simplement tolérée. En d’autres termes les bases d’extensions d’un
capitalisme sont sous surveillance très stricte. Les pays africains venant
d’accéder à l’indépendance ont observé dans leur système productif une
absence de capitalistes nationaux de capacité d’entreprise. Face à cette
situation, certains Etats conscient du rôle moteur d’une classe d’entrepreneurs,
donc d’une élite audacieuse, ont fait la création de cette classe un objectif
prioritaire alors qu’a l’opposé, d’autres Etats, plus nombreux ont cru devoir faire
l’économie d’une étape capitaliste et ont alors investi l’Etat de fonctions
économiques exorbitantes dans le développement économique et social.
Cependant, depuis quelques années s’est amorcer d’une part, au niveau des pays
socialistes un vaste mouvement de remise en question du paternalisme étatique
qui prend conscience des avantages que présente l’initiative privé2 et d’autre
part, dans les pays africains, une tendance dominante à l’encouragement à la
création d’un secteur privé dynamique et la promotion de l’esprit d’entreprise et
d’innovation. Tout se passe comme si les socialistes découvrent, certains
théoriquement3, d’autres à l’épreuve du pouvoir les méfaits d’une étatisation
1 Sur ce point Joseph SHUMPETER observe que «l’initiative capitaliste, de par ses réussites mes,
tend à automatiser les progrès, nous conclurons qu’elle tend à se rendre elle-même superflue…L’unité
industrielle géante parfaitement bureaucratisée n’élimine pas seulement, expropriant leurs
possesseurs, les firmes de taille petite ou moyenne, mais enfin de compte, elle élimine également
l’entrepreneur exproprie la bourgeoisie. In capitalisme, Socialisme et Démocratie », Paris 1951, p.232.
2 Depuis 1965, beaucoup d’économistes des pays socialistes en reconnaissant l’inefficacité de
l’organisation économique centralisée ont proposé des reformes allant dans le sens d’une plus grande
libéralisation et à l’introduction d’éléments de l’économie marchande comme le marché, le profit,
l’intérêt, la rentabilité strictement économique. On peut citer les travaux de E. LIBERMANN : plan,
bénéfice et prime, de V. NEMCHINIV : question de planification ; de V .TRAPEZNIKOV : pour une
gestion souple, du tchécoslovaque ; de OTASIK : la troisième.
Nous avons analysé ce bat dans notre thèse complémentaire : la problématique de la transition vers
le socialisme (faculté des sciences juridiques et politiques de Dakar 1976) et dans un ouvrage sous
presse « du développement au socialisme
3 Il faut dire que V. I. LENINE soulignait inlassablement dans beaucoup d’écrits que certaines
innovations techniques et organisationnelles dans certains secteurs ne pouvaient être réalisées que
grâce à l’initiative privée créatrice. A titre d’exemple, il note « apprendre à travailler, voilà la tâche que
excessive et les vertus de l’initiative individuelle. Dans cette optique, les
positions actuelles des socialistes chinois sont caractéristiques, le « Quotidien
du Peuple »observe que si « certains ne comprennent pas le rôle d’une telle
activité (l’entreprise individuelle), c’est parce qu’ils ne sont pas libérés de la
conception figée du socialisme. A leurs yeux, le socialisme ne peut être que la
propriété publique. Ils ne comprennent pas que dans la société socialiste,
l’économie et le commerce d’Etat ne peuvent tout faire ». En d’autres termes, le
socialisme ne se confond plus à l’étatisation et de même, l’initiative privée
l’innovation et l’imagination participent au développement.
Cette tendance à un certain libéralisme est mondiale et on peut trouver des
éléments théoriques et pratiques le confirmant. Il est admis presque partout que la la
question fondamentale n’est pas que le plan ou le marché domine l’économie.
Paraphrasant M. ROCARD, l’Etat doit faire ce que le marché ne peut assurer4. Le
retour des débats, controverses et réflexions du discours libéral dans toutes les
familles idéologiques et dans lequel les protagonistes n’ont pas les mêmes
motivations, l’abandon progressif du radicalisme économique qui postulait
l’incapacité des méthodes libérales à transformer les forces productives et les bases de
la société, la dénonciation de secteurs publiques omnipotents et économiquement
inefficient dans la construction économique des nations en voie de développement5,
tous ces éléments rendent nécessaires des réflexions cohérentes et ordonnées sur les
perspectives de l’initiative privée, les avantages qu’elle offre et l’analyse des
mécanismes et moyens de sa promotion.
Enfin, si la preuve est faite que l’entreprise privée dynamique est un
instrument du développement économique et social, qui peut jouer des
fonctions de force motrice, la recherche des contraintes qui bloquent
réellement son émergence s’avère nécessaire de même que celle concernant
les voies et moyens de son développement.
Ces trois raisons établissent largement que la réflexion sur l’initiative privée est à
faire. Commençons donc par préciser la notion même d’entrepreneurs et les notions
qui lui sont généralement attachées.
le pouvoir des soviets doit poser aux peuples dans toute son ampleur. Le dernier mot du capitalisme
sous ce rapport, le système TAYLOR, allie de même que tous les progrès du capitalisme la cruauté
raffinée de l’exploitation aux conquêtes scientifiques les plus précieuses… »In « Les tâches immédiates
du pouvoir des Soviets » (œuvres choisies, vol.27).
De même, dans le « Rapport sur le programme du Parti » (œuvres choisies, vol.29) il note « Nous
souffrons de ce que le capitalisme était suffisamment développé en Russie. L’Allemagne traverse cette
phase….son appareil bureaucratique a été à rude école, on lui fait suer sang et eau mais on lui fait faire
un travail sérieux au lieu d’user le rond de cuir comme c’est le cas dans nos administration ».
4 M.ROCARD dans le « Nouvel Observateur » n°2228 reconnait cette « monstrueuse pagaille »
sémantique et idéologique, personne ne sait plus de quoi il parle. IL poursuit, en précisant que « nous
dirigeons nos plus grossières fautes économiques : la confusion entre la fonction administrative e la
fonction de production ; la confusion aussi entre l’entreprise et le patron qu’entretenait le vieux mythe
du trésor caché ».la gauche corrige ses erreurs forcément l’Etat ne doit pas se charger de tout produire
même au nom du socialisme. L e débat est bien lancé dans cette direction en France depuis
l’avènement des socialistes au pouvoir et l’amorce du recul de l’Etat accompagné de recherche de « la
solution libérale ».
5 Nous avons analysé cette faillite du secteur public et parapublique dans notre ouvrage « l’Etat et le
secteur public ». Il faut dire que les recherches ont notamment fait défaut sur la question de la place
des secteurs publics dans le développement, sur leur essor et les enjeux socio-économiques qui
s’attachent à leur création et à leur démantèlement.
Au sens schumpetérien du terme, l’entrepreneur se définit par sa fonction de
combinaisons nouvelles de facteurs de production, c'est-à-dire l’innovation en vue
d’atteindre un profit maximum. Cette innovation permanente est en dernière analyse
la justification sociale de l’entrepreneur. Selon J. SHUMPETER l’entrepreneur doit
réformer ou révolutionner la routine de production en exploitant une innovation ou,
plus généralement une possibilité technique6.En effet, cette innovation introduit une
perturbation discontinue sur l’état stationnaire et produit le développement. On
observera d’ailleurs que cette vision avait déjà était formulée par K. MARX quand il
notait que « la bourgeoisie ne peut exister sans révolutionner les instruments de
productions »7Dans le même sens SHUMPETER sent que l’entrepreneur ne conserve
sa qualité que pendant le temps qu’il consacre à « réaliser de nouvelles
combinaisons » et il la prend dès qu’il a fini de bâtir son entreprise et s’attèle à la
gérer. Etre entrepreneur n’est donc ni une profession, ni en règle générale, une
situation durable8.
Cependant, les économies contemporaines ont totalement infirmé ces analyses de J.
SHUMPETER. Si l’on a observé une nette séparation les formes de propriété de
l’entreprise et sa gestion, on peut également constater que, de nos jours, la gestion
elle-même incombe de plus en plus à des équipes spécialisées de techniciens et de
managers9. En effet, une telle situation procède du fait que la somme des
connaissances scientifiques, techniques, administratives, juridiques et économiques
qu’exige la gestion des entreprises modernes excède très largement les aptitudes d’un
chef traditionnel d’industrie. En somme, ce qu’il faut retenir des analyses
schumpétériennes de l’entrepreneur c’est qu’il est un agent capable de saisir toutes
les opportunités d’investissement qui apparaissent, toutes les situations de pénurie
dans différents secteurs et de prendre des initiatives pour en tirer le maximum de
profit. Il s’agit en clair d’une élite dynamique et désireuse de s’enrichir licitement en
prenant des risques calculés et en faisant preuve d’un esprit novateur.
De tels entrepreneurs existent-ils dans les pays sous développés d’Afrique de
L’’ouest ? Une bourgeoisie nationale capable de jouer un rôle considérable dans le
développement peut-elle émerger ? Sinon quelles sont les contraintes et facteurs de
blocages ?
Tout en écartant, après les travaux de H.WALLECH et Hans SINGER10, toute idée de
transposition de la théorie de l’entrepreneur et du développement de J.
SHUMPETER, de même tout en reconnaissant que l’histoire de l’Europe occidentale,
dans laquelle l’entreprise capitaliste a jouer un rôle moteur dans le décollage, ne
saurait se répéter ; cela d’autant que les caractéristiques socio-économiques des pays
sous développés d’aujourd’hui sont trop éloignées de celles de l’Europe des 18e et 19e
siècles, il importe, néanmoins, de reconnaitre que le développement compris comme
une suite de transformations du système des forces productives nécessite une
initiative privée créatrice et capable d’exploiter toutes les occasions d’investissement
productifs
Ce cadre méthodologique posé, nous limiterons notre champ d’étude en deux points
6 Joseph SHUMPERTER : The theory of Economic Development
7 Karl MARX et F. ENGELS : Le manifeste du parti Communiste Edit. Sociales.
8 Une telle conception est à approcher de celle de J. K. GALBRAITH qui désigne ces managers par le
terme « technostructure »
9
10H. SINGER: Obstacles to economic development. Social research; spring 1953 pp. 19-31
1/.Les contraintes a l’initiative privée en référence à l’Afrique de l’Ouest ; il s’agit
d’analyser les différents obstacles qui bloquent l’émergence d’une classe
d’entrepreneurs dynamiques.
2/.Les actions et mesures qui aboutissent à la levée totale ou partielle des contraintes
de tous ordres et permettent l’avènement d’un secteur privé dynamique.
I- LES CONTAINTES A L’INITIATIVE PRIVEE NATIONALE
La plupart des Etats ouest africains ont depuis leur accession à l’indépendance optée
pour une stratégie d’économie mixte se fondant sur une répartition publique et privée
des activités économiques. L’Etat étant le principal architecte de la construction
économique, le secteur publique occupe les hauteurs dominantes du système
productif, les secteurs clés de la vie économique. Le secteur privé n’est pas toujours
accepté comme un secteur moteur, il est toléré par suite de sa cessité mais il est
souvent sous surveillance. Cela fait dire à Med. BRAHIMI que le secteur
publique………Cependant choyé ou mépris é, craint ou ignoré, sa situation procède
d’une espèce de « clandestinité légalisé »11. Ce secteur privé est essentiellement
étranger et concerne souvent des activités productives que les nationalistes ont
épargné : activités industrielles, commerciales, bancaires et tertiaires supérieures.
C’est cette situation qui fait écrire a Samir AMIN que « les tendances nouvelles au
développement du capitalisme d’Etat, communes a l’ensemble du Tiers monde,
trouvent sans doute leur origine dans la place dominante occupée par le capital
étranger et la faiblesse de la bourgeoisie nationale urbaine qui est la contrepartie »12
Ainsi, on s’est trouver pour la plupart des Etats d’Afrique de l’Ouest devant un secteur
public hypertrophié et un secteur privé étranger respirant toujours a pleins poumons.
L’initiative privée nationale coincée entre ces deux géants de la vie économique est
reléguée vers les activités informelles13 et marginales, le commerce de détail et le
transport.
Tirant des leçons de ce constat, certains auteurs n’ont pas hésité à affirmer que cette
situation procède d’une incapacité des africains à être des hommes d’affaires, des
chefs d’entreprise qui par leur dynamisme, leur compétence et leur goût du risque
peuvent être d’un apport décisif dans la construction économique et la gestion du
développement. Dans cette ligne de pensée, John C. WILDE tirant le portrait de
l’homme d’affaires africain observait que :
11 Med BRAHIMI : Une lecture du discours politique et juridique sur le secteur privé-revue Algérienne
n°3 sept. 1983
12 Samir AMIN : Le développement du capitalisme en Afrique. Revue l’Homme et la société n°6,
octobre 1967Ce secteur informelle et de la petite production marchande par essence hétérogène
procède de la bipolarisation de la vie économique et des excroissances commence à être enfin
sérieusement étudié pour en évaluer l’importance, la dynamique et les enjeux. Il faut alors se réjouir
des premières réflexions sous la direction de P. HUGON et consignées dans le numéro 82 de la revue
du Tiers Monde intitulé « Secteurs informel et petite production marchande dans les villes du Tiers
Monde ».
13 1967Ce secteur informelle et de la petite production marchande par essence hétérogène procède de
la bipolarisation de la vie économique et des excroissances commence à être enfin sérieusement étudié
pour en évaluer l’importance, la dynamique et les enjeux. Il faut alors se réjouir des premières
réflexions sous la direction de P. HUGON et consignées dans le numéro 82 de la revue du Tiers Monde
intitulé « Secteurs informel et petite production marchande dans les villes du Tiers Monde ».
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