placèrent, pour mieux entendre, près de l'autel de la Victoire. Ils étaient en habit
de paix et sans armes : et au contraire tous les sénateurs étaient armés, parce
que dans la situation des choses, dans le mouvement général qui agitait la ville
et tout l'état, ils craignaient à chaque instant quelque danger subit et imprévu,
contre lequel il leur paraissait sage de se précautionner. Gallicanus personnage
consulaire, et Mécénas ancien préteur, caractères vifs et impétueux, ayant
aperçu les soldats dont je parle, en prirent ombrage : et par une violence aussi
téméraire qu'injuste, il les attaquent avec leurs poignards qu'ils tirent de dessous
leurs robes, et les renversent morts au pied de l'autel de la Victoire. Les autres
prétoriens, effrayés de la mort de leurs camarades, et n'ayant point leurs armes
pour se défendre, prennent le parti de fuir vers leur camp. Gallicanus sort du
palais, son poignard ensanglanté à la main : il crie qu'il vient de tuer deux
espions de Maxime ; il accuse tous les prétoriens d'être dans les mêmes
sentiments, et il exhorte le peuple à les poursuivre. Ses exhortations ne furent
que trop écoutées ; et les prétoriens poursuivis par une multitude immense, ne
trouvèrent de sûreté que dans leur camp. Ils s'y enfermèrent et se mirent en
défense.
La témérité forcenée de Gallicanus ne s'en tient pas là. Il échauffe de plus en
plus la populace, et l'engage à attaquer le camp. Pour cela il lui fournit des
armes, en faisant ouvrir des arsenaux : un grand nombre s'armèrent de tout ce
qu'ils trouvèrent sous leur main : les gladiateurs que l'on tenait rassemblés, et
que l'on formait en diverses écoles, se joignirent au peuple ; et Gallicanus à la
tête de cette troupe confuse et tumultueuse, vint livrer l'assaut au camp des
prétoriens.
Ceux-ci, bien armés et dressés à tous les exercices militaires, n'eurent pas de
peine à rendre inutile une pareille attaque. Enfin le peuple se lassa, et sur le soir
chacun songea à se retirer chez soi. Les prétoriens voyant leurs adversaires qui
tournaient le dos et marchaient négligemment comme s'ils n'avaient rien eu à P
craindre, sortent sur eux, en font un grand carnage, et rentrent ensuite dans leur
camp, dont ils avaient eu soin de ne pas s'écarter beaucoup.
De ce moment il se forma une guerre civile dans Rome. Le sénat prit parti pour
le peuple, et ordonna des levées de troupes. Les prétoriens de leur côté,
quoiqu'en petit nombre vis-à-vis d'une multitude infinie, se défendirent avec tout
l'avantage que leur donnaient leur expérience dans la guerre et une place bien
fortifiée : et jamais le peuple ne put réussir à faire brèche à leur camp.
Il me paraît étonnant que dans uni mouvement si terrible, il ne soit fait aucune
mention ni du préfet de la ville, ni du préfet des cohortes prétoriennes. Peut-être
devons-nous nous en prendre à la négligence des historiens. Balbin lui-même ne
fait pas ici tin beau personnage. Renfermé dans son palais, il publiait des édits
pour exhorter le peuple à la paix ; il promettait amnistie aux soldats qui ne
semblent pourtant pas avoir été les plus coupables, et aucun des deux partis ne
l'écoutait : leur fureur réciproque s'allumait par les obstacles.
Les généraux du peuple s'avisèrent d'un expédient pour vaincre l'obstination des
prétoriens, et ils coupèrent les canaux qui portaient l'eau dans leur camp. Les
prétoriens au désespoir font une sortie ; il se livre un combat qui fut longtemps
disputé, mais dans lequel le peuple enfin succomba et prit la fuite. Les
vainqueurs le poursuivent l'épée dans les reins, et entrent dans la ville : mais là
ils se virent assaillis d'une grêle de pierres et de tuiles, qu'on leur lançait de
dessus les toits des maisons. Ils ne balancèrent pas à y mettre le feu. L'incendie