Quel avenir pour l`ectogenèse et la transplantation d`utérus ?

Journal Identification = MTE Article Identification = 0451 Date: March 15, 2013 Time: 6:40 pm
Mini-revue
mt Médecine de la Reproduction, Gynécologie Endocrinologie 2013 ; 15 (1) : 39-47
Quel avenir pour l’ectogenèse
et la transplantation d’utérus ?
Future of artificial womb and uterine graft
Jean-Claude Challier
UMRS 938,
UPMC,
Site St Antoine,
Cellules souches fœtales,
27 rue de Chaligny,
75012 Paris,
France
<jean-claude.challier@wanadoo.fr>
Résumé. Ectogenèse et transplantation d’utérus sont deux sujets d’actualité. Le premier resur-
git périodiquement, le second fait l’objet d’une annonce préoccupante. Pour l’utérus artificiel,
deux alternatives sont possibles : la superfusion d’embryon en coculture avec des cellules
endométriales ou la perfusion des vaisseaux ombilicaux du fœtus au moyen d’une circula-
tion extracorporelle. Jusqu’ici aucune de ces techniques n’a donné de résultats satisfaisants
chez l’animal et le passage à l’homme n’a rien d’évident. La physiologie utéro-placentaire
nous enseigne que certaines fonctions, échanges, adaptation et protection, sont difficilement
remplac¸ables et celle du fœtus montre que ses organes ont chacun un rythme particulier de
croissance qu’il faut respecter. Les unités de soins intensifs des prématurés arrivent à pallier
l’absence d’utérus et de placenta à partir de 24 semaines d’aménorrhée (SA), pas avant. La créa-
tion d’un utérus artificiel que ce soit par coculture ou par perfusion se révèle très complexe sur
le plan matériel et nécessiterait un personnel hautement qualifié. La transplantation d’utérus
a progressé dans ses aspects chirurgicaux grâce à l’expérimentation animale. La restauration
des cycles utérins a été obtenue lors d’une transplantation autologue ou syngénique, de ges-
tations après transplantation syngénique, mais rarement après transplantation allogénique.
Dans cette dernière, le traitement immunosuppressif n’est pas sans danger pour la gestation
et les nouveau-nés. D’autre part, lorsque des gestations sont obtenues chez l’animal, on est
peu renseigné sur l’état de santé du nouveau-né et son suivi postnatal. L’objectif de la greffe
d’utérus étant de permettre une grossesse à des femmes infertiles, la greffe annoncée en 2012
par une équipe suédoise paraît prématurée. Les avis et les recommandations formulés pour
ces chirurgies innovantes devront être respectés.
Mots clés : utérus, artificiel, ectogenèse, transplantation
Abstract. Ectogenesis and uterus transplantation are two hot topics. The first reappears perio-
dically, the second is the subject of an announcement. For the artificial uterus, two alternatives
are possible : superfusion of embryo coculture with endometrial cells or perfusion of the
umbilical vessels using an extracorporeal circulation. So far none of these techniques has
given satisfactory results in animals and transition to man is nothing obvious. Uteroplacental
physiology teaches us that certain functions, exchange, adaptation and protection, are difficult
to replace, that of the fetus shows that his organs have each a particular rate of growth that
must be respected. In intensive care units, most of prematures survive in the absence of uterus
and placenta from 24 SA, not before. The creation of artificial wombs whether by coculture or
perfusion requires very complex material and highly skilled personnel. Uterus transplantation
has progressed in its surgical aspects through animal testing. The restoration of uterine cycles
was obtained during autologous or syngeneic transplantation. After syngeneic transplanta-
tion, pregnancies were obtained but rarely after allogeneic transplantation. In the allogeneic
one, the immuno-suppressif treatment is not safe for pregnant women and newborns. When
pregnancies were obtained, data about the health of the newborn and its postpartum deve-
lopment were scarce. The objective of the uterus transplant is to allow a pregnancy to infertile
women, the graft announced in 2012 by a Swedish team seems premature. The opinions and
recommendations for these innovative surgeries must be respected.
Key words: uterus, artificial, ectogenesis, transplantation
L’ ectogenèse existe naturellement
chez plusieurs espèces animales.
Les premiers stades embryonnaires
se déroulent dans le conduit génital
maternel. Dans l’embryon, le vitellus
contient tous les ingrédients néces-
saires à son développement jusqu’à
la ponte. Le rôle de l’oviducte se
limite à l’enrober de ses sécré-
tions. L’ectogenèse est partielle. L’œuf
humain, dépourvu de vitellus, est
moins autonome. Une relation plus
étroite, plus longue le lie à l’utérus. La
vascularisation utéro-ovarienne peut
acheminer des nutriments en quan-
tité suffisante au fœtus ou élimi-
ner ses métabolites. Ces échanges
sont réglés par le placenta, formé
doi:10.1684/mte.2013.0451
médecine thérapeutique
Médecine
de la Reproduction
Gynécologie
Endocrinologie
Tirés à part : J.-C. Challier
39
Pour citer cet article : Challier JC. Quel avenir pour l’ectogenèse et la transplantation d’utérus ? mt Médecine de la Reproduction, Gynécologie Endocrinologie
2013 ; 15 (1) : 39-47 doi:10.1684/mte.2013.0451
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Mini-revue
majoritairement de tissus embryonnaires, qui les adapte
aux besoins nutritionnels. Dès l’implantation, l’utérus et
le placenta constituent une unité anatomiquement et
fonctionnellement indissociable. L’utérus ne redevien-
dra autonome que lors des contractions myométriales de
l’accouchement. L’ectogenèse humaine suppose que l’on
remplace le placenta, l’utérus et la mère pendant près de
neuf mois par un utérus artificiel (UA).
Des livres récents [5, 15] ont été consacrés à l’UA et de
nombreux articles de presse (Guardian) [30] ou des vidéos
(Arte) [26, 27, 31] ont fait écho aux questions éthiques,
philosophiques, sociétales ou juridiques qu’il soulèverait.
En envisageant d’emblée les incidences d’une ecto-
genèse humaine fondée sur des communications aux
congrès sans questionner l’état de nos connaissances sur
le placenta, l’utérus et la physiologie embryonnaire et
fœtale, en n’interrogeant pas les biotechnologiques sus-
ceptibles d’assurer une circulation extracorporelle (CEC)
adaptée à la gestation, la question de sa faisabilité n’a
pas été prise en compte. Assurément, les progrès des
technologies biomédicales et de la chirurgie réparatrice
suscitent des nombreux espoirs et ouvrent de nouveaux
challenges en médecine. Néanmoins, dans quelle mesure
ces progrès permettraient-ils de réaliser le développement
complet d’un embryon humain depuis la fécondation in
vivo ou in vitro jusqu’à sa maturité à 39-40 SA (semaines
d’aménorrhée) en dehors de l’organisme maternel ?
Au vu de ces progrès, la transplantation d’utérus (TU)
est aujourd’hui envisagée sous un nouveau jour. Une pre-
mière tentative en 2000 en Arabie Saoudite [16] s’était
terminée par un rejet. Depuis, lors de TU autologues pra-
tiquées chez les singes, le protocole opératoire a été affiné
au niveau de la chirurgie vasculaire, de la cryopréser-
vation des tissus et de la fixation de l’utérus greffé. De
plus, des gestations ont été obtenues lors de TU entre
animaux syngéniques (souris, rat) ou allogéniques (rat, bre-
bis). L’objectif de la TU serait d’offrir une grossesse à des
femmes présentant des malformations utérines congéni-
tales ou ayant eu des pathologies les rendant infertiles.
La seule alternative serait l’adoption ou la gestation de
substitution qui n’est pas autorisée dans certains pays,
notamment en France. A l’heure où l’équipe de Gotheborg
en Suède se prépare à pratiquer de nouvelles TU chez la
femme, comme l’a annoncé en 2011 le journal Le Point
[3], que faut-il en penser ? Ces tentatives paraissent-elles
prématurées ou suffisamment validées ?
L’utérus artificiel
Techniques de procréation assistée et utérus
artificiel
La Fécondation in vitro et le transfert d’embryon
(FIVETE) sont aujourd’hui bien rodés bien que leur pour-
centage de réussite n’atteigne pas celui des grossesses
naturelles. L’embryon est pris en charge dans l’utérus
au moment de son implantation. Les mécanismes de
l’implantation sont encore mal connus et non maîtrisés
[23]. Entre l’implantation et l’accouchement, le dévelop-
pement de l’embryon dépend entièrement de la dyade
utérus-placenta au plan homéostatique, nutritif, hormonal
et immunitaire. En cas de prématurité, la prise en charge
du nouveau-né en centre de réanimation néonatale à par-
tir de 24 SA pourra prendre le relais des conditions de
vie intra-utérine. Les risques encourus sont nombreux :
respiratoires, gastro-intestinaux, métaboliques, psycho-
moteurs, cognitifs ou sensoriels plus ou moins graves selon
le degré de prématurité [38, 47]. En dec¸à de 24 SA, la
mortalité est de 100 %. Il n’y pas aujourd’hui d’autres
alternatives à l’utéro-placenta naturel entre l’implantation
et 24 SA. Le recours à l’utéro-placenta artificiel pourrait
donc être envisagé au minimum entre 3 SA et 24 SA soit
147 jours ou au maximum entre 3 SA et 39 SA soit 252
jours.
La gestation extracorporelle chez l’animal
De 1987 à 1998, Yoshinori Kuwabara et son équipe
à l’Université de Tokyo ont publié leurs travaux sur le
maintien en survie de fœtus de chèvre dans un utérus
artificiel [21, 22, 42-46]. Ce dernier était constitué d’un
incubateur contenant un liquide thermostaté mimant le
liquide amniotique et d’une CEC comprenant un oxygéna-
teur, reliée aux vaisseaux ombilicaux du fœtus (figure 1).
L’effluent sanguin veineux était remis en circulation après
oxygénation. Le rythme cardiaque fœtal, la pression san-
guine, l’électro-encéphalogramme et les mouvements du
fœtus étaient enregistrés. Les premiers fœtus ont été gar-
dés dans des conditions physiologiques stables pendant
165 heures. En améliorant le cathétérisme et en ajou-
tant un dialyseur, la survie atteignit en moyenne 146
heures. La consommation en oxygène du fœtus était de 6,4
mL/min/kg proche de la valeur normale sous un apport
en oxygène d’au moins 10 mL/min/kg. En supprimant les
mouvements du fœtus et sa déglutition avec du bromure
de pancuronium, deux fœtus de 120 et 128 jours (j) sur-
vécurent 494 et 543 heures approchant le terme à 150 j.
A la sortie de l’incubateur, des chevreaux furent placés
en ventilation assistée et ils vécurent environ 1 semaine.
Différents paramètres comme le débit de perfusion, la tem-
pérature d’incubation, l’effet de l’hypercapnie et l’origine
des mouvements respiratoires du fœtus furent aussi testés.
Les travaux de Hung-Ching Liu de l’université Cornell
à New York présentés lors d’un congrès en 2002 sont sou-
vent cités à propos de l’UA. Ces travaux ont concerné
principalement l’implantation d’embryons sur des tapis
de cellules endométriales autologues prélevées en milieu
de phase lutéale [25]. Les embryons étaient de meilleure
qualité que ceux cultivés sur des milieux conventionnels.
Rien n’a été publié à ma connaissance sur la croissance
40 mt Médecine de la Reproduction, Gynécologie Endocrinologie, vol. 15, n1, janvier-février-mars 2013
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Portable articifial placenta
Heparin
and
nutrients
Thermostatic
heater
Amniotic fluid
bath
Infusion
pump
Spiral
membrane
lung
Reservoir
bag Roller pump
Battery power
supply
Figure 1. Placenta artificiel mobile pour la brebis avec les diffé-
rents modules de survie (bac de liquide amniotique thermostatique,
pompe de perfusion sanguine et circuit d’oxygénation). D’après :
«Zapol WM, Kolobow T, Pierce Jevurek GG, Bowman RL. Artifi-
cialplacenta : two days of total extrauterine support of the isolated
premature lamb fetus. Science 1969 ; 166 (905) : 617-8. Reproduit
avec l’autorisation de l’American Association for the Advancement
of Science (AAAS).
d’embryons de souris pendant 17 jours dans un utérus arti-
ficiel constitué d’une culture tridimensionnelle de cellules
endométriales superfusées par un milieu enrichi en hor-
mones dont parle cet auteur dans la vidéo de Arte [27]
et évoquée sur le site Mondeo publishing [28]. H.C. Liu y
déclare que l’embryon était vivant mais anormal et qu’elle
n’a pas souhaité continuer ses travaux. Aucune autopsie
des embryons n’a été rapportée.
De la physiologie utéro-placentaire
chez la femme, à l’utérus artificiel
Plusieurs étapes de la grossesse pourraient s’avérer
limitantes en cas de développement ex vivo. Le premier
contact entre le trophoblaste de l’embryon et l’épithélium
utérin a lieu 6 j. après la fécondation. L’implantation
est une étape clé durant laquelle beaucoup de gros-
sesses échouent. La pénétration de l’embryon dans le tissu
conjonctif utérin est complèteà9j.Àsasurface s’est
développée une couronne de villosités qui engendrera
le placenta. Une circulation embryo-placentaire s’établit
entre 5-7 SA (le cœur fœtal bat à 22 j). Les espaces lacu-
naires placentaires ne s’ouvriront au sang maternel qu’à
8-12 SA [13]. Une question importante est de déterminer
quand les vaisseaux ombilicaux pourront être cathétérisés
pour créer une CEC.
Le trophoblaste envahit l’endomètre et le tiers externe
du myomètre en 2 phases migratoires. Certaines cellules
de l’endomètre freinent cette progression, d’autres cel-
lules la facilitent ou l’orientent vers les vaisseaux pour
l’adaptation de la vascularisation utérine. Ces phases
pourraient-elles se réaliser sur des cultures de cellules
endométriales, sans autres cellules maternelles comme les
«uterine Natural Killer »(uNK) qui jouent un rôle crucial
dans la régulation de l’implantation et dans l’angiogenèse
utérine [23]. Par ailleurs, on a mis en évidence le rôle
du placenta dans l’amplification des cellules souches
hématopoïétiques avant leur migration vers le foie [41].
Sans cette contribution placentaire, l’hématopoïèse fœtale
serait-elle complète ?
Dès l’implantation, le trophoblaste inonde la mère
d’hormones (hCG, hPL, œstradiol et progestérone, GnRH,
CRH, etc.). Le placenta prend le relais du corps jaune
pour la production d’œstrogènes au cours du 3e mois de
grossesse. Une coopération métabolique entre le fœtus
et le placenta s’exerce dans la production d’œstrogènes
de ce dernier : l’œstradiol est produit à partir du sulfate
de DéHydroépiAndrostérone (DHA) fœtal et maternel,
l’œstriol est produit à partir du S-DHA du fœtus ou encore
de la progestérone produite à partir du cholestérol des LDL
maternelles. L’œstradiol et la progestérone sont en partie
libérés dans le sang fœtal. Sans placenta, les hormones ne
seront plus déversées dans la circulation fœtale. Quelles
en seraient les conséquences ? Pourrait-on suppléer à cer-
taines d’entre elles en les ajoutant au milieu de culture ou
de perfusion ?
Une protection d’ordre mécanique et thermique (le
fœtus est à 38C) s’exerce par le liquide amniotique.
L’évolution du volume du liquide amniotique, de sa
composition et de sa vitesse de renouvellement est
complexe. Le poumon fœtal sécrète dès 17 semaines
(sem.) un liquide particulier qui est dégluti ou évacué dans
la cavité amniotique. Des échanges transamniotiques de
solutés mais aussi de chaleur quantitativement plus faible
que les échanges transplacentaires s’effectuent en paral-
lèle. Les systèmes de régulation de la température devront
être performants en cas d’incubation ex vivo. La question
du renouvellement et de l’ajustement de la composition
du liquide amniotique reste entière.
Les organes de l’embryon se forment au cours de la
gastrulation, de la neurulation et de l’organogenèse du
tube digestif, des poumons, des reins, des gonades, etc. À
12 semaines, les grands patrons d’organogenèse sont réa-
lisés mais ensuite la vitesse de développement de chaque
organe est différente. Par exemple, le cerveau croît en rai-
son de la multiplication des neurones jusqu’à 16 sem.,
cette croissance s’accélère à 20 sem. en raison de la myé-
linisation des fibres nerveuses, de l’augmentation de taille
des neurones et des connexions dendritiques, de la multi-
plication des cellules gliales [47] et elle se poursuit en
période postnatale. La différenciation de l’appareil res-
piratoire, commencée dès 5 sem., s’effectue par étapes
successives et les saccules ne deviennent alvéoles qu’à
partir de 36 sem. au moment où le surfactant commence
mt Médecine de la Reproduction, Gynécologie Endocrinologie, vol. 15, n1, janvier-février-mars 2013 41
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à s’accumuler [38, 47]. L’alvéolisation se poursuit jusqu’à
l’âge de 2 ans. Chaque étape du développement requiert
par conséquent un environnement hormonal et nutrition-
nel approprié.
Les échanges gazeux et nutritionnels augmentent avec
les besoins fœtaux ce qui nécessite l’adaptation de
la circulation par le remodelage des vaisseaux utéro-
placentaires et l’élargissement des vaisseaux ombilicaux.
En début de grossesse, les vaisseaux ombilicaux sont
de petite taille, fragiles, leur cathétérisme est délicat et
les débits sanguins ombilicaux sont faibles. À terme ces
derniers atteignent 300 mL/min. Pour l’utérus, c’est 500
mL/min qui doivent atteindre le placenta. Fragilité des vais-
seaux et changement des débits circulatoires sont deux
difficultés à considérer.
Les besoins quantitatifs de l’embryon estimés d’après
sa composition corporelle à 10 sem. et à 30 sem. sont
très importants : le contenu en eau passe de9à1600g,
en protéines de 0,63 à 188 g, en lipides de 0,05 à
80 g, en calcium de 0,02 à 14,7 g, en phosphore de
0,02 à 8,3 g respectivement [49]. Qualitativement, le
placenta maintient entre le fœtus et la mère des gra-
dients de concentrations positifs notamment pour certains
acides aminés et le calcium [12] qui favorisent la syn-
thèse protéique et la formation des os. Sans ces gradients
obtiendrait-on une synthèse protéique et une ossifica-
tion normales ? De plus, le transfert d’immunoglobulines
en fin de grossesse assure aussi une première immu-
nité passive au nouveau-né. Sans apport transplacentaire
d’immunoglobulines, comment suppléer au risque infec-
tieux postnatal ?
Le transport placentaire d’oxygène est optimisé pour
fournir un maximum de ce gaz au fœtus et met en œuvre
un mécanisme très sophistiqué impliquant des hémoglo-
bines embryonnaire ou fœtale d’affinité différente pour
l’oxygène. Leur concentration, le pH et la pCO2 du sang
favorisent également sa captation par le fœtus. Ce dernier
consomme environ 8 mL/min/kg soit une production de
chaleur3à4W/kg de tissus qui est éliminée à 85 %
via le placenta [4, 38]. Le fœtus humain possède dès
26 sem. de la graisse brune mais en faible quantité et
le «switch »permettant la production de chaleur est
inhibé par la production d’inhibiteurs placentaires de la
thermorégulation. De ce fait, la consommation d’oxygène
et la température de l’embryon réglées in utero par les
échanges placentaires devraient être particulièrement sur-
veillées dans l’UA.
Avant l’accouchement, des signaux placentaires et
fœtaux assurent la reprise de la contractilité utérine et
l’accouchement. En l’absence du placenta, à quels signaux
se fier et quels critères justifieraient la “naissance artifi-
cielle” par extraction de l’UA ?
Malgré les progrès de la prise en charge spécifique des
prématurés de nombreuses interrogations subsistent pour
les grands prématurés autour de 24 SA. L’UA permettrait
de franchir cette barrière de 24 SA à condition que l’on ait
surmonté les difficultés que nous avons soulevées.
Créer un utérus artificiel
La gestation humaine dans un utérus perfusé durant 52
heures a été tentée avec une implantation et une invasion
trophoblastique [9]. Ce projet a été abandonné en rai-
son de «l’opposition des politiques »[10]. En cocultivant
les embryons et des cellules endométriales autologues
jusqu’au stade du blastocyste, on peut améliorer les
chances d’implantation en FIVETE. La réimplantation
in vitro des blastocystes n’est pas d’actualité, toutefois
l’intérêt des cellules endométriales pour l’UA s’en trouve
relancé.
Des modèles d’implantation in vitro ont été développés
qui mettent en contact des lignées cellulaires ou des frag-
ments de trophoblaste avec des lignées d’endomètre ; ils
sont destinés à l’étude des mécanismes de l’implantation
[23]. Par analogie, un dispositif de coculture de cellules
endométriales autologues suffisamment épais pour un
accrochage profond du trophoblaste, superfusé dans une
chambre à un ou deux compartiments par un milieu nutri-
tif additionné de facteurs de croissance et d’hormones,
comparable à celui de H.C. Liu, paraît correspondre à
la période embryonnaire ; le mélange des cellules uté-
rines et trophoblastiques pourrait constituer un équivalent
de placenta. Si des néo-vaisseaux utérins s’y formaient,
leur perfusion pourrait être tentée afin d’irriguer la cocul-
ture. Cependant, on ne possède pas de cultures de cellules
endométriales reproduisant l’organisation tridimension-
nelle normale de ce tissu, capables d’entrer en réceptivité
afin de permettre l’implantation et d’opérer une angio-
genèse vasculaire. Dans la mesure où cette circulation
maternelle ne pourrait être reconstituée, la seule alterna-
tive consisterait alors dans le cathétérisme des vaisseaux
ombilicaux. Il rendrait possible la mise en route d’une CEC
thermostatée, dotée au moins d’une pompe, d’un régula-
teur de débit, d’un oxygénateur, d’un dialyseur et avec des
points de prélèvement ou d’injection et de mesure de la
pression hydrostatique.
En unité de soins intensifs, la CEC est employée pour
oxygéner le sang des nouveau-nés en détresse respira-
toire sévère. Brièvement, elle comprend une pompe et un
oxygénateur, un échangeur de chaleur, un contrôleur de
pression sanguine et nécessite l’administration d’héparine.
Dans le cas de l’UA, un dialyseur devrait compléter cette
configuration à moins d’utiliser un échangeur qui assure
à la fois l’échange des gaz et des nutriments. On pourrait
y adjoindre un second dialyseur pour épurer le liquide
amniotique afin d’éviter son renouvellement manuel. Le
remplissage et le volume des circuits de perfusion, le
régime de l’oxygénateur, la réglage de la température,
l’adaptation du débit de perfusion et de la composition
du milieu de perfusion pour subvenir aux besoins
42 mt Médecine de la Reproduction, Gynécologie Endocrinologie, vol. 15, n1, janvier-février-mars 2013
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métaboliques et épurer le sang seraient autant de para-
mètres à surveiller. C’est donc un matériel complexe,
coûteux, une surveillance constante et un personnel bien
formé qu’il faudrait mettre en action de fac¸on continue
pendant plusieurs semaines. Il s’y ajouterait le contrôle du
développement embryonnaire par l’évaluation des para-
mètres biochimiques du sang du fœtus, de sa croissance
pondérale et de la maturation de ses organes. On pense au
minimum à des prélèvements sanguins (pH, pO2, pCO2,
hématocrite), à l’échographie, au monitoring du rythme
cardiaque et à l’EEG. Enfin, quand et sur quels critères
extraire un fœtus viable et normal : poids, maturité pulmo-
naire, retournement du fœtus, taux d’ACTH ou de cortisol,
seuls ou combinés ?
Plusieurs avancées ont vu le jour ces dernières années
pour réanimer ou maintenir en vie certains grands pré-
maturés (ventilation gazeuse par oscillations à haute
fréquence, administration de NO ou de surfactant exo-
gène), qui ont fait leur preuve. D’autres, ventilation liquide
avec des fluorocarbones [14], CEC sans pompe circula-
toire en sont encore au stade expérimental [40]. Mais
d’une part, les techniques actuellement employées dans
les unités de soins intensifs ne permettent pas la survie
des prématurés avant 24 SA, d’autre part, leur emploi
après cette date barrière reste source de mortalité et de
morbidité à court terme qui peuvent toucher le cerveau
(lésions hémorragiques intraventriculaires, parenchyma-
teuses ou ischémiques), le cœur (canal artériel persistant),
les poumons (maladie des membranes hyalines), le tube
digestif (entérocolites ulcéronécrosantes). Les équipes
obstétricales et les néonatologistes s’interrogent à juste
titre sur les limites à donner à certaines techniques de
survie et aux traitements médicamenteux qui les accom-
pagnent, sources d’une souffrance pour le prématuré et
leur famille. La survie des nouveau-nés aux limites de la
viabilité expose à des séquelles à plus long terme : déficit
neurosensoriel, dysplasie broncho-pulmonaire, retard de
croissance, etc. Les équipes soignantes ont pris en compte
le rapprochement mère-enfant par l’emploi de la méthode
Kangourou qui les associe plus intimement et améliore la
gestion du stress de chacun.
La loi Leonetti de 2005 a donné un cadre juridique aux
pratiques de limitations des soins et d’obstination dérai-
sonnable. Cette loi s’appliquerait-elle à l’embryon ou au
fœtus incubé dans un UA ?
La transplantation d’utérus
La greffe d’utérus (TU) présente un intérêt pour les
patientes jeunes et infertiles ayant été hystérectomisées
suite à des hémorragies de la délivrance, des cancers
cervicaux, des adhérences, des léiomyomes ou celles pré-
sentant des anomalies mullériennes congénitales (absence
d’utérus dans le syndrome Mayer-Rokitansky-Kuster ou
malformations utérines avec des ovaires fonctionnels),
désireuses d’avoir des enfants. On peut considérer que
c’est une greffe de confort comparée aux greffes de moelle
osseuse, de rein ou de foie. Mais cette opération per-
mettrait d’éviter le recours aux mères porteuses qui n’est
autorisé que dans quelques pays, et pas en France.
Données actuelles
sur la transplantation d’utérus
Transplantations autologues
Des TU ont été réalisées dans de nombreuses espèces
animales : chèvre, chien, lapine, rate, souris, truie [8]. Des
TU autologues ont été expérimentées récemment chez le
macaque Cynomolgus [32], sans les ovaires, et le Babouin
[19], d’anatomie utérine proche de l’humain, avec les
ovaires et les trompes, avec plus ou moins de réussite :
3 décès sur 4 essais après 3 mois post-opératoires chez
Cynomolgus et 66 % à 100 % de succès selon la technique
de transplantation chez le Babouin. La suture de l’utérus
au vagin ne présente pas de difficultés. Des menstrua-
tions régulières ont été observées dans 6 des 10 femelles
Babouin greffées et accouplées pendant au moins 5 cycles
sans entrer en gestation du fait d’un blocage tubaire. La
TU sans les ovaires et les trompes éviterait cet écueil.
L’expérience des chirurgiens de transplantation dans la
suture des vaisseaux est déterminante pour la réussite des
TU. Les auto-transplantations réalisées chez les singes ont
montré quels vaisseaux dominants devaient être suturés
(iliaques internes), soit unilatéralement ou bilatéralement,
quel type de suture «end to end »ou «end to side »devait
être privilégié, le rôle des vaisseaux ovariens, l’importance
de la fixation de l’utérus chez la receveuse, la nécessité
d’un soutien par transfusion sanguine lors les longues opé-
rations chirurgicales (entre 12 à 17 heures), la perfusion
à froid des vaisseaux pour éviter l’ischémie et faciliter la
reperfusion.
Transplantations syngéniques
La TU ayant pour objectif l’établissement d’une gros-
sesse, les cas chez l’animal où une gestation a été obtenue
méritent une attention particulière. La gestation a été
observée chez la souris après TU syngénique en position
hétérotopique [35-37]. Les utérus prélevés ont été conser-
vés 24 à 48 h à froid avant d’être greffés sur des receveuses
qui sont devenues gestantes après transfert d’embryons (5
sur 6) et ont mis bas à 25 souriceaux dont 20 ont survécus
jusqu’à 8 semaines (7 ont eu une croissance qui paraissait
normale).
Dans une série de TU syngéniques en position orthop-
tique sur 19 rattes [48], une ratte a délivré deux ratons
dont la croissance sur 2 mois était comparable à celle
des contrôles. Deux autres ont absorbé leurs petits. La
greffe était effectuée entre le segment supérieur et la
base de la corne utérine, modifiant peu les attaches. Les
vaisseaux iliaques de la donneuse et de la receveuse ont
mt Médecine de la Reproduction, Gynécologie Endocrinologie, vol. 15, n1, janvier-février-mars 2013 43
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