bastien cosson

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Une fois je pense
une fois je peins.
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Discussion enregistrée le lundi 21 mars 2016, éditée par Bastien Cosson
Bastien Cosson - Même s’il faut refaire mille mauvaises peintures pour faire une bonne peinture, si
t’arrives à faire une fois un truc fort comme Morandi...
Benoit Maire - Oui mais tu peux pas faire une fois un Morandi. Morandi il en a fait plein toute sa vie,
c’est pour ça que c’est Morandi. Quand tu fais des peintures, tu fais forcément plusieurs bonnes peintures
souvent. Tu peux pas faire que des mauvaises peintures et puis une fois une bonne peinture. T’en fais des
bonnes, des moins bonnes… Après quelqu’un qui en fait que des mauvaises c’est pas mal aussi. S’il en fait
jamais de bonne, elles sont peut-être toutes bonnes.
BC - Mais c’est pas à lui de décider ça. Ce qu’il doit décider c’est de continuer. Continuer ou arrêter. C’est
aux autres de dire si elles sont bonnes ou non.
(…)
BC - En fait j’aime pas les peintres qui ont un rapport difficile avec leur peinture.
BM - Ça c’est vrai.
BC - J’aime bien les artistes qui ont un rapport difficile avec leur condition…
BM - Leur condition existentielle alors ?
BC - Oui leur statut. J’aime pas que la peinture résolve, qu’elle soit thérapeutique…
BM - C’est la vie qui est difficile, et la peinture c’est facile.
BC - C’est exactement ça.
BM - J’avais une copine qui m’avait dit ça quand je faisais de la philosophie. Les gens trouvent ça dur
la philosophie, et elle elle trouvait ça très facile. Parce qu’en fait c’est carré; tu commences un livre, il
explique des trucs, tu suis ce qu’il dit et ça tient tout seul. Par contre la vie c’est pas du tout comme la
philosophie. Y a plein d’éléments que tu sais pas, que tu peux pas prendre en compte… dont tu n’as pas
connaissance. C’est dur de faire des jugements, de prendre des décisions, d’agir correctement. Alors
que beaucoup de gens trouvent la vie assez simple et la philosophie difficile. Elle disait exactement le
contraire et j’ai bien compris, j’étais d’accord avec elle.
BC - La philo tu sais qu’il y a quelqu’un qui chapeaute tout ça, t’as un penseur, tu sais que ça se tient.
BM - Non pas forcément, tu dois vérifier que ça se tient.
BC - Oui, tu dois vérifier, mais quand tu lis Kant, ça a déjà été approuvé, tu sais que ça se tient. Tu peux le
remettre en question mais en vrai tu le remets pas question…
BM - Ben si en fait, tout le temps. Tu le fais tout le temps… Bon d’accord la première fois que tu le lis,
mais après tu l’utilises pour autre chose. Tu le déformes…
...Moi j’aime vraiment Gauguin. Et Munch encore plus.
BC - Elsa elle veut qu’on parte à Tahiti. Et moi j’étais comme ça… ça m’intéresse pas. Et en fait j’ai pensé à
ça et ça me donne envie d’y aller. Par contre Munch je peux pas.
BM - T’aimes pas Munch?
BC - Non. Ça me résiste. Je trouve que c’est trop décoratif.
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BM - Ah non Gauguin et Munch… Gaugin est plus décoratif que Munch.
BC - Ah pardon je connais pas Munch. J’avais Klimt en tête. Munch je connais pas.
BM - Munch c’est comme Gauguin.
BC - Où tu peux en voir?
BM - Je sais pas… c’est les mêmes couleurs.
BC - Gauguin je commence. J’aimais pas, je commence à aimer.
BM - J’aime bien aussi Camille Corot. J’en ai vu récemment. Et même… l’Angélus là… le peintre des
paysans… Meunier, Seunier…
BC - Je peux trouver très beau Modigliani.
BM - Moi un petit peu les couleurs mais pas trop les formes. Le jeu des complémentaires mais c’est tout.
Je le trouve pas très fort.
BC - C’est ce qu’on reproche à Modigliani…
BM - C’est assez plat… C’est pas ce que j’aime. J’aime quand y a de la profondeur dans la peinture, quand
ça va très profond. Et Modigliani ça va pas très profond dans la texture même de la peinture. À part le
jeu des complémentaires, j’aime bien les couleurs. Il a pas du peindre assez longtemps, il aurait fallu le
voir après.
BC - Il a pas fait de sculptures?
BM - Si des têtes, y en a une au LAM assez belle.
BC - Profondeur tu parles d’épaisseur?
BM - Non, non… Eugène Leroi il en a fait des pas mal… T’aimes pas ça?
BC - Moi j’aime pas la profondeur en épaisseur.
BM - Moi j’aime bien. La profondeur je parle aussi des techniques comme le sfumato, pour avoir une
profondeur dans le ciel. Avec des glacis superposés et tout ça. Moi j’aime quand y a beaucoup de matière,
de profondeur, des endroits où y en a pas, des endroits où y en a. J’aime pas les peintures trop plates.
BC - Alors que moi quand je vois ça j’ai l’impression que le mec a perdu son propos. J’ai l’impression qu’il
s’est égaré.
BM - Parce qu’il a passé trop de temps à faire son truc?
BC - Parce qu’il a passé trop de temps, quelque chose s’est évaporé.
BM - C’est le contraire, plus tu passes tu temps, moins ça s’évapore. Plus tu passes du temps, plus ton truc
est précis. Toi c’est un truc de samouraï quoi, toi c’est le geste. La peinture… Gutai !
BC - C’est très “pensée orientale”. Je me suis jamais intéressé à tout ça mais tout m’y ramène tout le temps.
Cette idée de tenir l’essence d’une pensée, si tu passes trop de temps dessus tu vas te donner des raisons,
alors certes tu vas le préciser mais tu vas aussi élaborer des idées qui étaient pas là à la base et tu ne sais
pas si elles viennent pas en quelque sorte déplacer des choses, déplacer ta pensée.
BM - Tu penses peut-être plus à toi qu’à la peinture. Parce qu’en fait, quand tu fais la peinture, tu penses à
ton geste, donc en fait la peinture c’est la trace du geste. Moi je pense pas ça moi je pense que la peinture
c’est un objet en soi qui existe de lui-même et qui est complètement séparé de son créateur. Juste tu fais la
peinture et la peinture existe. T’es un moyen pour elle d’exister. T’es pas l’en-soi de la peinture. C’est pour
ça que Picasso disait “La peinture est plus forte que moi”, ou un truc comme ça.
BC - Picasso il a tout dit. Ceci dit tout ça est faux, non c’est pas faux mais… Il est quand même hyper
présent dans son oeuvre. Lui, son personnage. Mais en même temps il a créé des choses qui sont très très
fortes. J’essaie de penser comme toi ma peinture. Mais moi quand je vois une toile blanche j’ai pas envie
de peindre dessus. Pendant quelques heures j’ai envie de la laisser être une toile, être une peinture.
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BM - Une toile ou une peinture?
BC - Non une peinture.
BM - C’est déjà une peinture pour toi ? Ben oui, c’est ça le problème, moi je pense pas ça du tout. Je pense
que c’est une toile.
BC - Moi je suis déjà fasciné. Pour moi une toile et une peinture c’est la même chose. Quand je vois
une peinture je pense à tout, à son châssis, à sa hauteur d’accrochage, je pense à quel sens ça a de les
montrer…
BM - C’est normal de penser à tout ça, mais ça fait que des toiles préparées, juste des toiles tendues sur
des châssis, des toiles comme ça y en a plein, c’est pas des peintures, ou alors elles seraient toutes la
même. Une peinture est unique, pas une toile.
BC - En fait la je pense à ma toile dans mon atelier sur mon mur, que j’ai accrochée, prête à peindre. Elle
m’attend, je la regarde et je me dis “c’est bon, je t’ai suffisamment regardée, tu es déjà une peinture”. C’est
vraiment comme ça.
BM - Moi je crois pas ça du tout. Je crois que c’est qu’une fois que j’ai commencé à peindre, une fois que
j’ai fini que c’est une peinture, mais pas avant. Moi je la regarde beaucoup, mais au fur et à mesure que je
la fais. Je la regarde pas tellement avant.
(…)
BC - Tu vois moi mes peintures elles sont quasiment tout le temps en série.
BM - Ouais, c’est bizarre ça non?
BC - Je crois qu’elles s’aident entre elles…
BM - T’as combien de séries?
BC - J’en ai une qui s’appelle Seules les anguilles savent se perdre, des peintures faites avec des anguilles.
BM - C’est vrai?
BC - Je trempe des anguilles dans de la peinture, je les mets sur la toile, elles se débattent, et au bout
d’un moment elles étouffent donc elles s’arrêtent; et là je les enlève, je l’ai fait trois fois. Une fois je les ai
laissées dans mon coffre de voiture, elles sont mortes, on était partis à une fête du parti communiste et je
les ai oubliées. L’autre fois je les ai nettoyées tout de suite et je les ai relâchées dans l’eau devant le FRAC
parce que je les faisais là. Et la troisième je les ai nettoyées, je les ai mangées avec mon père. Mais c’était
pas super je les ai mal digérées.
BM - Ça doit faire mal…
BC - C’était devenu trop cynique. Je le fais avec beaucoup de respect pour elles… Ça doit être horrible de
mourir étouffé par l’acrylique.
BM - Tu les fais à l’acrylique?
BC - Oui l’huile pour celles là c’était trop cruel. Je les ai mangées et je trouvais ça monstrueux.
Après y a La peinture comme posture. C’est une série de douze toiles, c’est des tissus qui sont tendus.
J’avais chiné un livre, Pour la révolution de la peinture française au XXème siècle, avec de superbes
reproductions couleurs collées.
BM - Ah oui les reproductions elles étaient collées et tu pouvais les enlever?
BC - Oui, c’est beau. Donc je l’achète en me disant “Ah c’est super, c’est beau”. Je le feuillette et je me
rends compte que c’est horrible, que ça avait été écrit par le ministre de la culture du gouvernement sous
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Pétain, hyper réac’. Ça s’arrêtait en 1940. Il mettait à mal tous les peintres que j’aimais bien. Il montait que
de la peinture classique en disant “voilà, ça c’est beau…” et c’est exactement l’inverse de ce que je pense de
la peinture, Je me suis jamais intéressé à la peinture classique.
BM - C’est quoi la peinture classique?
BC - Tout ce qui est avant 1850.
BM - Ah tu t’intéresses pas à ça?
BC - En fait je sais pas comment la regarder.
BM - Moi je trouve ça magnifique.
BC - Evidemment moi aussi, tout le monde trouve ça magnifique. Ce qui est sûr c’est que je la regarde
pas... comme la peinture italienne….
BM - C’est presque ce que je préfère…
BC - Je me suis pas encore rendu suffisamment disponible pour ça…. comme j’ai jamais vu un film de
Truffaut par exemple.
BM - C’est dingue, t’en as peut-être vu un sans le savoir…
BC - Comme j’ai vu des Caravage sans les regarder. D’ailleurs un jour j’étais allé décrocher une pièce chez
Gagosian pour des collectionneurs ils avaient un Caravage dans leur salon.
BM - Comment tu savais que c’était un Caravage? Y en a plein qui ressemblent à Caravage.
BC - Oui t’as raison je me suis dit ça sans savoir. Je préfère penser ça. Et puis ils étaient très très très
riches…
Tu vois j’ai jamais goûté de tomate avant mes 18 ans, parce que je ne m’en suis pas préoccupé. Tout le
monde me disait - “ tu vas voir c’est excellent, une tomate avec un peu de gros sel… du basilic… “
BM - Mais les tomates sont plus trop bonnes maintenant, j’aimerais bien en manger des meilleures.
BC - Quand ce sera lété… C’est des choses je sais que ça se fera, et ça me rassure de savoir que je pourrai
découvrir un nouveau sublime. J’ai pas dépassé encore le sublime… en fait je me suffis des choses.
Quand je pense à Twombly… j’ai pas encore compris toute sa peinture. Et je crois pas être disponible,
avoir suffisamment d’attention…
BM - Oui mais tu peux pas regarder Twombly sans la peinture italienne du 15eme siècle. Tu vois pas
vraiment Twombly.
BC - Peut-être…
BM - Tu vois autre chose que Twombly.
BC - Comme j’ai toujours apprécié les pizzas sans aimer les tomates…
BM - Et pourtant y a des tomates dans les pizzas.
BC - Oui je pense pas que ce soit très malin.
BM - C’est ça le truc. En fait tu connais la peinture du 15e et tu l’aimes bien, mais tu l’aimes dans
Twombly et peut-être pas en vrai.
BC - Comme la tomate dans la pizza. J’en suis pas fier, je sais que je fonctionne comme ça. Et j’ai pas
envie de le solutionner pour l’instant. C’est un truc qui pour l’instant me fait vraiment aimer la pizza
et le jour ou je découvre la tomate je me dis “ah putain t’es trop con de te persuader”. Parce que je me
persuade des choses.
... suite de la discussion en page 11
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PEINTURES
27 Mai- 09 Juillet 2016
VASISTAS
BASTIEN COSSON
(…)
BC - La troisième série c’est celle là, La Migration des gnous. Encre de Chine sur acrylique.
BM - T’as que quatre séries de peintures? C’est pas beaucoup...
BC - Oui mais qui comptent une douzaine de peintures chacune.
BM - T’as que ça comme peinture?
BC - Non j’en ai d’autres ! Je peins depuis ma première année aux Beaux arts.
BM - Tu gardes pas tes peintures?
BC - Depuis 2006-2009 j’ai beaucoup peint, après j’ai tout jeté. Puis j’ai fait 2009-2012 à Paris, j’ai pas
peint une seule peinture. Et après j’ai peins chez moi. Mais je repassais par dessus parce que j’avais pas de
place.
BM - En 2006 t’avais quel âge? 18 ans? T’as commencé à peindre à 18 ans?
BC - Avant ça je faisais du graff. 18 ans, là où je peignais avec l’amour, c’est la où j’ai embrassé l’art de
Raushenberg, de Schwitters, et je me disais “c’est ça que je veux être, c’est ça que je veux, faire de l’art…
fort comme ça”. Et après je me suis remis à peindre mais doucement parce que j’avais pas d’expo. Donc
j’étais obligé de calmer le truc. Là Montpellier c’est la première vraie opportunité de montrer ma et mes
peintures. Avant ça elles n’ont jamais été montrées. Peinture comme posture c’était une résidence, y avait
pas d’expo au bout… Seules les anguilles savent se perdre je l’ai montré à ART-O-RAMA. Et sinon… j’ai
montré que des petites peintures de-ci de-là dans des collectives, mais ça m’intéresse pas.
Toi t’as peint combien de peintures?
BM - Sans mentir je dirais entre 1200 et 2000. En 2015 j’en ai fait peut-être 60, en 2016 peut-être 30, en
2012 j’en ai fait 8 mais entre 96 et 2004 j’en ai fait un peu plus de mille. Et il m’en reste encore.
BC - Moi j’en ai peins en tout 200. Et il m’en reste 40.
BM - Des dessins j’en ai fait même plus, en fait peintures sur papier, j’en ai peut-être fait…
BC - Moi non, aucun. Si je faisais une peinture tous les trois jours à partir de maintenant, je pourrais
faire dans ma vie autant de peintures que Picasso.
BM - Ça dépend à quel âge tu meurs.
BC - J’avais calculé un âge moyen, 70, 75…
BM - Ça fait combien de peintures ?
BC - 100 par an si je vis encore 50 ans : 5000
BM - Je pense que c’est plus.
BC - Ça ça correspond aux peintures qu’il y a sur le marché. Des poteries il y en a encore plus.
BM - Il faisait peut être 5 heures par jour en moyenne.
BC - Moi le problème c’est que je peins pas sans contexte particulier, si la peinture n’est pas montrée dans
l’élan de sa conception...
BM - C’est pour ça que tu fais plus de l’art contemporain que de la peinture. Tu fais d’avantage de la
peinture d’art contemporain que de la peinture classique.
BC - Clairement. Ce truc d’atelier ça m’intéresse pas trop. Si, en même temps, si…
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Annexes
Première de couverture : Vacances en Toscane avec Anouchka, Elsa et Maxime
Quatrième de couverture : Vue du vernissage Stone Wash de Bertrand Dezoteux © 2015 - Nobuyoshi Takagi
Pages centrales : Affiche de l’exposition
Pages 3 - 6 - 7 - 10 : L’Atelier Brancusi, Centre Pompidou, Paris.
© 2016 - Galerie Palette Terre & Bastien Cosson
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(Préface) Autoportrait / Hélène et Wolfgang Beltracchi, Faussaires de génie. © 2015 - L’Arche Éditeur
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(Quatrième de couverture) Autoportrait / Hélène et Wolfgang Beltracchi, Faussaires de génie. © 2015 - L’Arche Éditeur
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(Quatrième de couverture) Monsieur Teste, Paul Valery. © 1978 - Gallimard L’imaginaire
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(Extrait) La Migration des Gnous, Benoit Caudoux. © 2004 - Édition Léo Scheer
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J’adresse un merci tout particulier à Elsa Oliarj-Ines
à Maxime Baron, Hélène et Wolfgang Beltracchi, Patxi Bergé,
Camille Blatrix, Constantin Brancusi, Clément Caignart,
Benoit Caudoux, Arnaud Dezoteux, Jean Paul Guarino,
Benoit Maire, Nobuyoshi Takagi, Paul Valery
amitiés
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