Objet d’étude :
Ecriture poétique et quête du
sens, du Moyen Âge à nos jours
la pléiade et la codification
du sonnet
Texte
DU BELLAY “Comme on passe en été...”
Les Antiquités de Rome (1558)
I) Introduction
En 1553, le roi de France
Henri II est en guerre contre
Charles Quint (souverain en
Espagne, en Italie, en
Autriche, aux Pays-Bas et
en Bourgogne...).
C’est que l’année
précédente, Henri II a
annexé Metz, Toul et Verdun, 3 villes de
Lorraine qui appartenaient au Saint Empire
Romain germanique (et donc à son
héritier : Charles de Habsbourg, connu
sous le nom de Charles Quint).
Pour soutenir cette guerre contre Charles
Quint, le roi de France envoie le cardinal
Jean Du Bellay négocier avec le pape Jules
II en vue d’obtenir de l’argent (pour lever de
nouvelles troupes).
Le cardinal à cette occasion emmène son
cousin à Rome : notre poète réalisait
ainsi son rêve d’humaniste...
A Rome, Du Bellay écrira un recueil de 32 sonnets, Les Antiquités de Rome, où
il philosophe sur la grandeur et la décadence des empires. Dans notre sonnet, il
s’indigne de voir les Français, les Espagnols, les Autrichiens — les vaincus
d’autrefois — convoiter l’Italie. Et cette indignation sera soutenue par une
puissante rhétorique.
II) Lecture
III) Plan
Parce qu’une des premières revendications des poètes de la Pléiade était la clarté (c'est pourquoi, entre autres raisons,
ils préconisaient l’emploi du français), notre sonnet va présenter une rhétorique rigoureuse qui se traduit par une
structure forte et des contrastes nets. Tels sont donc les deux aspects du poème que nous allons maintenant
examiner.
IV) Explication
A) Un sonnet fortement structuré
C’est toute l’organisation du sonnet qui vient appuyer l’indignation de Du Bellay. En effet, celui-ci cultive plusieurs effets :
1) Un effet d’attente
Tout le sonnet repose sur une suite de comparaisons ((“Comme on passe en été...”, “Comme on voit les couards...”, “Et
comme devant Troie...”) qui, toutes trois, évoquent l’idée d’une puissance déchue, d’un ennemi autrefois redoutable et
devenu inoffensif, ainsi que l’idée de revanche des vaincus, sans que l’on sache où l’auteur veut en venir. Et ce n’est
qu’après le développement de chacun des comparants que survient enfin le comparé: c’est Rome, l’ennemi redoutable
devenu inoffensif, et les maîtres d’aujourd’hui — Français, Espagnols, Autrichiens — sont en fait les anciens vaincus..
Du Bellay crée ainsi une sorte de suspense qui nous tient en haleine jusqu’à la révélation de la clé de l’énigme.
2) Un effet de gradation
Il existe une savante hiérarchie entre les trois comparants qu’utilise Du Bellay.
- On passe de l’élément naturel (le torrent) à l’animal (le lion), puis à l’homme (Hector) : il y a ainsi progression
dans la hiérarchie des êtres, en même temps que l’on se rapproche de plus en plus du sujet véritable du
poème
- On passe du simple franchissement d’un territoire naguère inaccessible (“on passe en été le torrent sans
danger”) à la blessure,une blessure double puisqu’elle est à la fois
- physique (“on voit les couards animaux [...] ensanglanter leurs dents”)
- et morale (“outrager // Le courageux lion”)
En 1553, le roi Henri II vient d’acquérir les trois
évêchés de Metz, Toul et Verdun. La France
s’étend peu à peu.
Les territoires des Habsbourg (d’Autriche
et d’Espagne) encerclent la France.
!puis à la profanation d’un mort (“Braver les moins vaillants autour du corps d’Hector”) : ici, le caractère sacré de
!la mort donne une dimension sacrilège aux outrages.
!Il y a ainsi progression dans l’affront, jusqu’à un degré déshonorant pour les nouveaux vainqueurs.
3) Un effet de chute, au dernier vers
Le sonnet s’achève par une “licence poétique”. “Et osent les vaincus // les vainqueurs dédaigner” : au lieu d’une
proposition qui énoncerait simplement “Les vaincus osent dédaigner les vainqueurs.”, on a une double inversion :
! ! - du sujet et du verbe (“osent les vaincus”)
! ! - de l’infinitif et du COD ((“les vainqueurs dédaigner”)
qui fait se télescoper en un raccourci saisissant les deux mots “vaincus/vainqueurs” qui sont les mots-thèmes du
poème : le rapprochement condense ainsi toute l’opposition sur laquelle repose le poème.
TRANSITION :
Mais l’aspect maîtrisé de l’art de Du Bellay ne s’arrête pas là. Le caractère contraint et organisé des idées se fait jour aussi dans les
oppositions méthodiques, quasi systématiques, qui courent tout au long du poème.
B) Des oppositions tranchées
Comme dans une fable ou un conte, les oppositions sont simples, manichéennes, pour être efficaces. Pas de nuances,
le contraste est total entre gloire et lâcheté, entre passé et présent
1) Valorisation du géant déchu
- Glorieuse solitude de celui qui se retrouve un contre tous : qu’il soit torrent enjambé par un “on” à sens
collectif (LES gens), qu’il soit lion tourmenté par “LES couards animaux”, ou qu’il soit Hector bafoué par LES
Grecs les moins vaillants”, le géant déchu se retrouve seul, ce qui souligne par contraste la lâcheté des
nouveaux vainqueurs
- Rappel de l’ancienne puissance du géant déchu Insistance sur la violence de l’ancien vainqueur, qui rasait
tout sur son passage, sans état d’âme : sa “fuite” était “hautaine”, c’est dire qu’il ne daignait pas se
retourner sur les dégâts qu’il causait, ses victimes sont nommément désignées : le laboureur et le berger,
c’est-à-dire tous ceux qui vivaient dans les campagnes...
- Le caractère systématique des destructions est évoqué par la répétition du mot “espoir”. Que ce soit chez
tel corps de métier ou chez tel autre, le même désespoir suit le passage du torrent. Du Bellay ne cache pas le
côté brutal de la conquête romaine, mais il ne s’en indigne pas, comme s’il était fasciné par ce déferlement de
puissance
- Un déchaînement de violence suggéré par l’étalement de la proposition relative sur 3 vers (v. 2-3-4), comme si
elle débordait de son cadre (un vers seul ne saurait la contenir), évoquant par là la puissance du fleuve que
rien ne peut endiguer. Le rythme sui-même accompagne ce mouvement de débordement progressif : la
régularité rythmique des trois premiers vers (3/3 // 3/3) figure cette puissance qui déborde et que rien ne peut
entraver.
2) De leur côté, les anciens vaincus sont dévalorisés :
- ils se comportent de manière indigne. Il est si facile d'outrager un “gisant”, de provoquer celui “qui ne se peut
venger”, de faire preuve d’une audace “vaine”, ou encore de braver...un “corps” mort
3) Les préférences de Du Bellay sont claires.
- La symétrie des expressions “soulait1 être roi” et “soulaient accompagner” met en valeur la notion d’habitude
(l’un était habitué à régner, les autres étaient habitués à servir), comme si le statut de vaincu relevait d’une
habitude, comme si leur destin d’esclaves était fixé de toute éternité. De plus, une cruelle ironie apparaît dans
le verbe “accompagner”, des hommes ravalés au rang d’esclaves ne pouvant en aucune manière être
“compagnons” de leurs vainqueurs ; le destin assigne à chacun sa place... Et DuBellay ici, quoique
descendant d’anciens vaincus, est clairement du côté des anciens vainqueurs.
- rythme du 11° vers, qui avance à petits pas de deux syllabes (“Ainsi // ceux qui // jadis //soulaient, // ...)
comme si l’accablement de la défaite les obligeait à s’arrêter à chaque pas, avant de finir le vers avec le
terrible “à tête basse”, marquant le déshonneur.
- L’opposition passé-présent est soulignée par la rime : ceux qui montrent aujourd’hui leur audace (v.13) avaient
hier tête basse, de même que ceux dont le “rôle” était d’accompagner les vainqueurs osent aujourd’hui les
dédaigner.
V) Conclusion
- Un poème travaillé, rhétorique, et pourtant juste et émouvant, de par le caractère vivant des tableaux qu’il donne à voir.
- Le thème des ruines apparaît pour la première fois dans notre littérature. Dans d’autres sonnets, Du Bellay verra dans
ces ruines une source de pittoresque (charme, originalité et beauté des anciens monuments). Mais ici, il essaie plutôt
d’amener le lecteur, à travers l’évocation de tant de puissance disparue, à méditer sur la fragilité des choses humaines.
1 souler = avoir l’habitude de (cf l’anglais “to use to”)
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