!puis à la profanation d’un mort (“Braver les moins vaillants autour du corps d’Hector”) : ici, le caractère sacré de
!la mort donne une dimension sacrilège aux outrages.
!Il y a ainsi progression dans l’affront, jusqu’à un degré déshonorant pour les nouveaux vainqueurs.
3) Un effet de chute, au dernier vers
Le sonnet s’achève par une “licence poétique”. “Et osent les vaincus // les vainqueurs dédaigner” : au lieu d’une
proposition qui énoncerait simplement “Les vaincus osent dédaigner les vainqueurs.”, on a une double inversion :
! ! - du sujet et du verbe (“osent les vaincus”)
! ! - de l’infinitif et du COD ((“les vainqueurs dédaigner”)
qui fait se télescoper en un raccourci saisissant les deux mots “vaincus/vainqueurs” qui sont les mots-thèmes du
poème : le rapprochement condense ainsi toute l’opposition sur laquelle repose le poème.
TRANSITION :
Mais l’aspect maîtrisé de l’art de Du Bellay ne s’arrête pas là. Le caractère contraint et organisé des idées se fait jour aussi dans les
oppositions méthodiques, quasi systématiques, qui courent tout au long du poème.
B) Des oppositions tranchées
Comme dans une fable ou un conte, les oppositions sont simples, manichéennes, pour être efficaces. Pas de nuances,
le contraste est total entre gloire et lâcheté, entre passé et présent
1) Valorisation du géant déchu
- Glorieuse solitude de celui qui se retrouve un contre tous : qu’il soit torrent enjambé par un “on” à sens
collectif (LES gens), qu’il soit lion tourmenté par “LES couards animaux”, ou qu’il soit Hector bafoué par LES
Grecs les moins vaillants”, le géant déchu se retrouve seul, ce qui souligne par contraste la lâcheté des
nouveaux vainqueurs
- Rappel de l’ancienne puissance du géant déchu Insistance sur la violence de l’ancien vainqueur, qui rasait
tout sur son passage, sans état d’âme : sa “fuite” était “hautaine”, c’est dire qu’il ne daignait pas se
retourner sur les dégâts qu’il causait, ses victimes sont nommément désignées : le laboureur et le berger,
c’est-à-dire tous ceux qui vivaient dans les campagnes...
- Le caractère systématique des destructions est évoqué par la répétition du mot “espoir”. Que ce soit chez
tel corps de métier ou chez tel autre, le même désespoir suit le passage du torrent. Du Bellay ne cache pas le
côté brutal de la conquête romaine, mais il ne s’en indigne pas, comme s’il était fasciné par ce déferlement de
puissance
- Un déchaînement de violence suggéré par l’étalement de la proposition relative sur 3 vers (v. 2-3-4), comme si
elle débordait de son cadre (un vers seul ne saurait la contenir), évoquant par là la puissance du fleuve que
rien ne peut endiguer. Le rythme sui-même accompagne ce mouvement de débordement progressif : la
régularité rythmique des trois premiers vers (3/3 // 3/3) figure cette puissance qui déborde et que rien ne peut
entraver.
2) De leur côté, les anciens vaincus sont dévalorisés :
- ils se comportent de manière indigne. Il est si facile d'outrager un “gisant”, de provoquer celui “qui ne se peut
venger”, de faire preuve d’une audace “vaine”, ou encore de braver...un “corps” mort
3) Les préférences de Du Bellay sont claires.
- La symétrie des expressions “soulait1 être roi” et “soulaient accompagner” met en valeur la notion d’habitude
(l’un était habitué à régner, les autres étaient habitués à servir), comme si le statut de vaincu relevait d’une
habitude, comme si leur destin d’esclaves était fixé de toute éternité. De plus, une cruelle ironie apparaît dans
le verbe “accompagner”, des hommes ravalés au rang d’esclaves ne pouvant en aucune manière être
“compagnons” de leurs vainqueurs ; le destin assigne à chacun sa place... Et DuBellay ici, quoique
descendant d’anciens vaincus, est clairement du côté des anciens vainqueurs.
- rythme du 11° vers, qui avance à petits pas de deux syllabes (“Ainsi // ceux qui // jadis //soulaient, // ...)
comme si l’accablement de la défaite les obligeait à s’arrêter à chaque pas, avant de finir le vers avec le
terrible “à tête basse”, marquant le déshonneur.
- L’opposition passé-présent est soulignée par la rime : ceux qui montrent aujourd’hui leur audace (v.13) avaient
hier tête basse, de même que ceux dont le “rôle” était d’accompagner les vainqueurs osent aujourd’hui les
dédaigner.
- Un poème travaillé, rhétorique, et pourtant juste et émouvant, de par le caractère vivant des tableaux qu’il donne à voir.
- Le thème des ruines apparaît pour la première fois dans notre littérature. Dans d’autres sonnets, Du Bellay verra dans
ces ruines une source de pittoresque (charme, originalité et beauté des anciens monuments). Mais ici, il essaie plutôt
d’amener le lecteur, à travers l’évocation de tant de puissance disparue, à méditer sur la fragilité des choses humaines.
1 souler = avoir l’habitude de (cf l’anglais “to use to”)