Préface de Michel Bitbol
Ce livre offre plus et mieux qu’une « interprétation » supplémentaire
de la mécanique quantique. Il conduit une enquête précise, documentée,
éclairante, sur ce qui se tient sous le niveau des interprétations, sur ce
qu’aucun interprète des théories quantiques ne devrait ignorer au sujet de
leur maniement et de leur mission première, sous peine de s’égarer dans
des spéculations débridées. En même temps, Manuel Bächtold montre
que la simple tentative d’aller au-delà de sa proto-interprétation, la simple
interrogation sur ce à quoi devrait ressembler le monde pour être
correctement représenté par la mécanique quantique, suffit à faire surgir,
sous une forme ou une autre, les paradoxes bien connus de cette théorie.
Dès lors, la proto-interprétation pragmatiste s’impose face aux
interprétations comme la seule stratégie qui ne soit pas génératrice de
difficultés conceptuelles, mais qui au contraire les évite d’emblée, par
construction, au lieu d’avoir à les résoudre après coup. Elle devient elle-
même une forme d’interprétation concurrente des autres, tout en prenant
le pas sur chacune d’entre elles comme son soubassement inévitable.
Les théories quantiques attendent depuis longtemps ce genre de
clarification. Elles ont atteint un degré d’efficacité, mais aussi de
cohérence et de systématicité, rarement égalé dans l’histoire de la
physique. Par-delà leurs applications technologiques, qui témoignent
quotidiennement de leur fécondité et de leur base croissante d’attestation,
elles interviennent dans l’architecture de quasiment tous les programmes
actuels de généralisation et d’unification des théories physiques. Leurs
règles d’utilisation, guidées par un formalisme algébrique élégant,
atteignent une rigueur normative que même les théories classiques
pourraient leur envier. Et pourtant, on le sait, et on ne cesse de s’en
plaindre depuis leur création, leur signification reste controversée. Cette
signification reste écartelée entre la lecture purement épistémologique des
créateurs de l’esprit de Copenhague (Bohr et Heisenberg), et les
nombreuses propositions de lecture ontologique qui n’ont pas manqué
dans l’histoire, de l’invocation de prédicats régis par des logiques non-
classique à la croyance en une pluralité de mondes, en passant par les
théories à variables cachées. Le premier type de lecture a l’avantage
d’être à la fois immédiatement efficace, économique pour la pensée, et
capable de désamorcer les paradoxes à la source. Le second type de
lecture, pour sa part, a l’avantage d’offrir des images auxiliaires qui
orientent les recherches, de satisfaire à des exigences de la pensée qui ne