La conscription dans le département des Basses-Alpes pendant le Premier Empire (1802-1814)
UNIVERSITE PAUL VALERY – MONTPELLIER III
ARTS ET LETTRES, LANGUES ET SCIENCES HUMAINES ET SOCIALES
UFR III
MASTER D'HISTOIRE MILITAIRE, DEFENSE ET POLITIQUES DE SECURITE
LA CONSCRIPTION DANS LE DEPARTEMENT DES
BASSES-ALPES SOUS LE PREMIER EMPIRE (1802-1814)
Recrutement, contrôle, démographie.
AUTEUR : Emeline GENY
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La conscription dans le département des Basses-Alpes pendant le Premier Empire (1802-1814)
La Révolution Française remet en cause toutes les structures de la société française. Comme
le reste, l'armée n'allait pas échapper à ce phénomène. L'Assemblée constituante n'avait conservé
que l'armée régulière, dont le Corps législatif devait tous les ans voter le chiffre sur la proposition
du roi. Mais comment recruter l'armée dorénavant? On conservait encore, dans les campagnes
principalement, le souvenir d'une milice détestée. Lorsque s'ouvrent les états généraux, la plupart
des députés du Tiers sont favorables à une « régénération de l'armée » par la conscription. On
développe alors le thème qui court dans les rues : pour empêcher que l'armée ne soit l'outil d'une
dictature, il faut qu'elle soit nationale. C'était le début du principe de service militaire obligatoire,
réformé par Dubois-Crancé, et la genèse du citoyen-soldat.
La question de la conscription est restée jusqu'en 2002 au coeur d'un profond débat de
société en France. Alors qu'un nouveau pays se forme, dès les lendemains de la Révolution
Française, cette institution cinde la France en deux, avec d'un côté les Jacobins et de l'autre les
partisans de la Contre-Révolution. Au milieu de cet imbroglio politique, le problème du recrutement
de l'armée, en tant qu'instrument du pouvoir, se pose. Passionnée par l'histoire du Premier Empire et
par l'organisation militaire de notre pays, j'ai trouvé particulièrement intéressant d'essayer de
comprendre comment la conscription s'était mise en place, et comment elle s'était appliquée, à
l'échelle nationale d'abord, à l'échelle locale ensuite.
Etant moi-même originaire du département des Alpes-de-Haute-Provence, naguère connu
sous le nom de Basses-Alpes, j'ai une attirance naturelle pour l'histoire de cette région. Mes deux
intérêts, pour le Premier Empire d'une part, pour les Basses-Alpes d'autre part, m'ont donc
logiquement conduite à m'intéresser à l'histoire bas-alpine à l'époque impériale. Département très
rural et agricole à l'époque, les Basses-Alpes ont été vues, aux suites de la Révolution, comme l'un
des bastions du royalisme persistant, face à la vague révolutionnaire. En effet, sa situation
géographique rendait aisés les réseaux de socialisation entre élites d'Ancien Régime, réfugiés au
Piémont, et notables locaux. Au-delà d'une question banale d'organisation militaire et du
recrutement de l'armée, c'est donc un véritable problème de société que pose l'application de la loi
Jourdan-Delbrel dans ce département.
Pour comprendre toutes les subtilités de cette loi et tous les enjeux qu'elle suppose, il
convient donc d'expliquer, dans un premier temps, ses principes, son fonctionnement, les valeurs sur
lesquelles elle repose. Ensuite, j'essaierai de montrer, à partir de sources militaires, préfectorales,
littéraires, ... comment s'est appliqué le principe de conscription dans le département des Basses-
Alpes.
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La conscription dans le département des Basses-Alpes pendant le Premier Empire (1802-1814)
Etat de la recherche sur la conscription
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La conscription dans le département des Basses-Alpes pendant le Premier Empire (1802-1814)
Depuis vingt-cinq à trente ans, l'histoire militaire a profondément changé. Trois générations
d'historiens y ont contribué. L'histoire de la bataille est devenue l'histoire de celui qui participe à la
bataille, la narration du combat s'est élargie à l'histoire politique, sociale, culturelle voire
anthropologique des combattants. La bataille et la guerre ne sont d'ailleurs que les temps forts d'une
histoire devenue totale, l'entre-deux conflits compte tout autant que le conflit en lui-même. Ce
faisant, cette nouvelle histoire militaire a prouvé qu'elle pouvait parfaitement se faire histoire à long
terme et qu'ainsi elle était partie prenante de l'histoire politique et économique, de l'histoire des
sociétés et des cultures, de l'histoire des mentalités et des sensibilités. En me temps qu'elle se
faisait histoire de l'individu, futur ou éventuel combattant, elle se fit histoire collective, non plus
seulement celle des élites qui savent traduire leur expérience en mots, mais, grâce aux nouvelles
démarches entreprises par les historiens, celle des « gens d'en bas ».
Il serait présomptueux et même contraire à la vérité d'affirmer que les historiens de la
Révolution et de l'Empire ont le monopole de ce renouveau. En me temps qu'il fut le fruit d'une
interdisciplinarité avec les autres sciences humaines, il bénéficia de l'avancée conjointe des
recherches menées sur plusieurs périodes, notamment sur la période moderne et sur celle, plus
contemporaine, des guerres du XX° siècle. Mais il serait tout aussi contraire à la vérité de passer
sous silence que l'historiographie de la Révolution et de l'Empire fut un pivot de cette
transformation. Nulle époque, en outre, ne se prêtait mieux à ce type de questionnement que celle
de la Révolution et de l'Empire. Elle inaugura un nouveau type de guerre, préfiguration des guerres
de masse contemporaines qui jetèrent des nations entières sur le champ de bataille. Elle vit
l'émergence, en France, puis dans les pays qui se mirent à son école, d'un nouveau type d'armée et
d'un nouveau type de soldats pour lesquels le temps qu'ils passaient sous les drapeaux n'était pas ou
n'était plus celui que l'on consacre à un métier. Ils rendirent inévitables de nouveaux rapports entre
armée et société : nouveaux rapports en termes idéologiques et symboliques avec, à l'arrière plan
d'un débat qui ne cessa plus, l'alternative entre une armée reflet d'une société nouvelle ou une armée
modèle d'une société qu'elle devrait générer; l'alternative entre la militarisation de la société et la
démocratisation de l'armée. De nouveaux rapports en termes sociologiques aussi avec le choix entre
un service militaire qui serait un devoir citoyen, le devoir de tous les citoyens, et l'impôt du sang,
donnant une acuité nouvelle au problème de la place du soldat et de l'ancien soldat dans la société.
C'est l'armée miroir d'une société révolutionnaire puis révolutionnée qui fut au coeur des
préoccupations de Jean-Paul Bertaud1. Nouveaux objets, nouvelles méthodes : par l'étude des
1. Jean-Paul BERTAUD, La Révolution armée. Les soldats-citoyens et la Révolution française, Paris, Laffont, 1979.
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sources militaires, dont la pertinence n'avait pas échappé aux modernistes comme André Corvisier2
(1964), Jean-Paul Bertaud fit une histoire quantitative (1979), qui permit de reprendre de façon
concrète le débat politique et idéologique sur la nature de cette armée nouvelle, mais aussi sur ses
rapports avec l'Ancien Régime. Parallèlement se développait une école anglo-saxonne soit, comme
dans le cas de Sam Scott3 (1978) ou d'Alan Forrest4 (1988), qu'elle ait placé ce nouveau type
d'armées au centre de son analyse, soit, comme pour Isser Woloch5 (1994), qu'elle ait intégré ce
questionnement dans une histoire plus large de la période. Jean-Paul Bertaud étudiait les hommes
arrivés sous les drapeaux, d'autres historiens les ont étudiés avant qu'ils ne partent, dans leur milieu
d'origine qui peut d'ailleurs les inciter à rejoindre les drapeaux comme aussi à être insoumis. C'est
ainsi qu'émergea une nouvelle histoire. Nouvelle histoire car les historiens n'arrivaient pas en terrain
vierge ni pour les bataillons de volontaires de la Révolution, ni surtout pour la conscription
proprement dite, étudiée par Gustave Vallée6 en 1937. Mais ils profitaient, Annie Crépin pour la
Seine-et-Marne, Louis Bergès7 pour le Sud-Ouest, ou, dans la troisième génération, Kôbô Seigan
pour la Seine-Inférieure et Bruno Ciotti8 pour le Puy-de-Dôme, du déplacement de perspective qui
s'était opéré à propos de l'armée de la Révolution. Ils étudiaient une institution, certes, et aucun
d'eux ne méprisa les acquis de l'histoire institutionnelle ; d'une façon générale, la nouvelle histoire
militaire n'a pas procédé par suppression mais par élargissement. Mais la conscription fut beaucoup
plus qu'une institution, ce qui amena à écrire une histoire de la citoyenneté et aussi de la formation
de l'unité nationale dans une France plurielle et diverse. Cela incita les historiens à donner à leurs
travaux une dimension comparative, limitée à l'Etat-Nation, c'est-à-dire à la France des cent-trente
départements.
L'histoire de la conscription a permis aussi la découverte de nouveaux terrains dans la
mesure la plupart des historiens se sont heurtés à la contradiction entre les opinions et les
comportements. En effet, dans un certain nombre de départements, pas nécessairement anti-
patriotes, l'histoire de l'institution se confond avec l'histoire de l'insoumission et de la désertion.
Cette acculturation, parfois difficile, des Français à l'Etat-Nation fait l'objet des travaux menés par
Jean-Noël Luc et centrés sur la gendarmerie. L'obéissance aux appels d'hommes, instrument de
2. André CORVISIER, L'armée française de la fin du XVII° siècle au ministère de Choiseul. Le soldat, Paris, PUF,
1964, 2 tomes.
3. Sam SCOTT, The Response of the Royal Army to the French Revolution, Oxford, Oxford University Press, 1978.
4. Alan FORREST, Déserteurs et insoumis sous la Révolution et l'Empire, Paris, Perrin, 1988.
5. Isser WOLOCH, The New Regime. Transformation of the French Civic Order, 1789-1820, London, Norton, 1994.
6. Gustave VALLEE, La conscription dans le département de la Charente, 1798-1807, Centre d'Etudes de la Révolution
Française, Paris, Sirey, 1937.
7. Louis BERGES, Résister à la conscription: 1798-1814. Le cas des départements aquitains, Paris, CTHS, 2002.
8. Bruno CIOTTI, Du volontaire au conscrit, les levées d'hommes dans le Puy-de-Dôme pendant la Révolution
Française, Clermont-Ferrand, Presses Universitaires Blaise Pascal, 2001.
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