La conscription dans le département des Basses-Alpes pendant le Premier Empire (1802-1814) UNIVERSITE PAUL VALERY – MONTPELLIER III ARTS ET LETTRES, LANGUES ET SCIENCES HUMAINES ET SOCIALES UFR III MASTER D'HISTOIRE MILITAIRE, DEFENSE ET POLITIQUES DE SECURITE LA CONSCRIPTION DANS LE DEPARTEMENT DES BASSES-ALPES SOUS LE PREMIER EMPIRE (1802-1814) Recrutement, contrôle, démographie. AUTEUR : Emeline GENY This work is licensed under the Creative Commons Attribution - Pas d’Utilisation Commerciale - Pas de Modification 3.0 non transposé License. To view a copy of this license, visit http://creativecommons.org/licenses/by-nc-nd/3.0/ or send a letter to Creative Commons, 444 Castro Street, Suite 900, Mountain View, California, 94041, USA. 1 La conscription dans le département des Basses-Alpes pendant le Premier Empire (1802-1814) La Révolution Française remet en cause toutes les structures de la société française. Comme le reste, l'armée n'allait pas échapper à ce phénomène. L'Assemblée constituante n'avait conservé que l'armée régulière, dont le Corps législatif devait tous les ans voter le chiffre sur la proposition du roi. Mais comment recruter l'armée dorénavant? On conservait encore, dans les campagnes principalement, le souvenir d'une milice détestée. Lorsque s'ouvrent les états généraux, la plupart des députés du Tiers sont favorables à une « régénération de l'armée » par la conscription. On développe alors le thème qui court dans les rues : pour empêcher que l'armée ne soit l'outil d'une dictature, il faut qu'elle soit nationale. C'était le début du principe de service militaire obligatoire, réformé par Dubois-Crancé, et la genèse du citoyen-soldat. La question de la conscription est restée jusqu'en 2002 au coeur d'un profond débat de société en France. Alors qu'un nouveau pays se forme, dès les lendemains de la Révolution Française, cette institution cinde la France en deux, avec d'un côté les Jacobins et de l'autre les partisans de la Contre-Révolution. Au milieu de cet imbroglio politique, le problème du recrutement de l'armée, en tant qu'instrument du pouvoir, se pose. Passionnée par l'histoire du Premier Empire et par l'organisation militaire de notre pays, j'ai trouvé particulièrement intéressant d'essayer de comprendre comment la conscription s'était mise en place, et comment elle s'était appliquée, à l'échelle nationale d'abord, à l'échelle locale ensuite. Etant moi-même originaire du département des Alpes-de-Haute-Provence, naguère connu sous le nom de Basses-Alpes, j'ai une attirance naturelle pour l'histoire de cette région. Mes deux intérêts, pour le Premier Empire d'une part, pour les Basses-Alpes d'autre part, m'ont donc logiquement conduite à m'intéresser à l'histoire bas-alpine à l'époque impériale. Département très rural et agricole à l'époque, les Basses-Alpes ont été vues, aux suites de la Révolution, comme l'un des bastions du royalisme persistant, face à la vague révolutionnaire. En effet, sa situation géographique rendait aisés les réseaux de socialisation entre élites d'Ancien Régime, réfugiés au Piémont, et notables locaux. Au-delà d'une question banale d'organisation militaire et du recrutement de l'armée, c'est donc un véritable problème de société que pose l'application de la loi Jourdan-Delbrel dans ce département. Pour comprendre toutes les subtilités de cette loi et tous les enjeux qu'elle suppose, il convient donc d'expliquer, dans un premier temps, ses principes, son fonctionnement, les valeurs sur lesquelles elle repose. Ensuite, j'essaierai de montrer, à partir de sources militaires, préfectorales, littéraires, ... comment s'est appliqué le principe de conscription dans le département des BassesAlpes. 2 La conscription dans le département des Basses-Alpes pendant le Premier Empire (1802-1814) Etat de la recherche sur la conscription 3 La conscription dans le département des Basses-Alpes pendant le Premier Empire (1802-1814) Depuis vingt-cinq à trente ans, l'histoire militaire a profondément changé. Trois générations d'historiens y ont contribué. L'histoire de la bataille est devenue l'histoire de celui qui participe à la bataille, la narration du combat s'est élargie à l'histoire politique, sociale, culturelle voire anthropologique des combattants. La bataille et la guerre ne sont d'ailleurs que les temps forts d'une histoire devenue totale, où l'entre-deux conflits compte tout autant que le conflit en lui-même. Ce faisant, cette nouvelle histoire militaire a prouvé qu'elle pouvait parfaitement se faire histoire à long terme et qu'ainsi elle était partie prenante de l'histoire politique et économique, de l'histoire des sociétés et des cultures, de l'histoire des mentalités et des sensibilités. En même temps qu'elle se faisait histoire de l'individu, futur ou éventuel combattant, elle se fit histoire collective, non plus seulement celle des élites qui savent traduire leur expérience en mots, mais, grâce aux nouvelles démarches entreprises par les historiens, celle des « gens d'en bas ». Il serait présomptueux et même contraire à la vérité d'affirmer que les historiens de la Révolution et de l'Empire ont le monopole de ce renouveau. En même temps qu'il fut le fruit d'une interdisciplinarité avec les autres sciences humaines, il bénéficia de l'avancée conjointe des recherches menées sur plusieurs périodes, notamment sur la période moderne et sur celle, plus contemporaine, des guerres du XX° siècle. Mais il serait tout aussi contraire à la vérité de passer sous silence que l'historiographie de la Révolution et de l'Empire fut un pivot de cette transformation. Nulle époque, en outre, ne se prêtait mieux à ce type de questionnement que celle de la Révolution et de l'Empire. Elle inaugura un nouveau type de guerre, préfiguration des guerres de masse contemporaines qui jetèrent des nations entières sur le champ de bataille. Elle vit l'émergence, en France, puis dans les pays qui se mirent à son école, d'un nouveau type d'armée et d'un nouveau type de soldats pour lesquels le temps qu'ils passaient sous les drapeaux n'était pas ou n'était plus celui que l'on consacre à un métier. Ils rendirent inévitables de nouveaux rapports entre armée et société : nouveaux rapports en termes idéologiques et symboliques avec, à l'arrière plan d'un débat qui ne cessa plus, l'alternative entre une armée reflet d'une société nouvelle ou une armée modèle d'une société qu'elle devrait générer; l'alternative entre la militarisation de la société et la démocratisation de l'armée. De nouveaux rapports en termes sociologiques aussi avec le choix entre un service militaire qui serait un devoir citoyen, le devoir de tous les citoyens, et l'impôt du sang, donnant une acuité nouvelle au problème de la place du soldat et de l'ancien soldat dans la société. C'est l'armée miroir d'une société révolutionnaire puis révolutionnée qui fut au coeur des préoccupations de Jean-Paul Bertaud1. Nouveaux objets, nouvelles méthodes : par l'étude des 1. Jean-Paul BERTAUD, La Révolution armée. Les soldats-citoyens et la Révolution française, Paris, Laffont, 1979. 4 La conscription dans le département des Basses-Alpes pendant le Premier Empire (1802-1814) sources militaires, dont la pertinence n'avait pas échappé aux modernistes comme André Corvisier 2 (1964), Jean-Paul Bertaud fit une histoire quantitative (1979), qui permit de reprendre de façon concrète le débat politique et idéologique sur la nature de cette armée nouvelle, mais aussi sur ses rapports avec l'Ancien Régime. Parallèlement se développait une école anglo-saxonne soit, comme dans le cas de Sam Scott3 (1978) ou d'Alan Forrest4 (1988), qu'elle ait placé ce nouveau type d'armées au centre de son analyse, soit, comme pour Isser Woloch 5 (1994), qu'elle ait intégré ce questionnement dans une histoire plus large de la période. Jean-Paul Bertaud étudiait les hommes arrivés sous les drapeaux, d'autres historiens les ont étudiés avant qu'ils ne partent, dans leur milieu d'origine qui peut d'ailleurs les inciter à rejoindre les drapeaux comme aussi à être insoumis. C'est ainsi qu'émergea une nouvelle histoire. Nouvelle histoire car les historiens n'arrivaient pas en terrain vierge ni pour les bataillons de volontaires de la Révolution, ni surtout pour la conscription proprement dite, étudiée par Gustave Vallée6 en 1937. Mais ils profitaient, Annie Crépin pour la Seine-et-Marne, Louis Bergès7 pour le Sud-Ouest, ou, dans la troisième génération, Kôbô Seigan pour la Seine-Inférieure et Bruno Ciotti8 pour le Puy-de-Dôme, du déplacement de perspective qui s'était opéré à propos de l'armée de la Révolution. Ils étudiaient une institution, certes, et aucun d'eux ne méprisa les acquis de l'histoire institutionnelle ; d'une façon générale, la nouvelle histoire militaire n'a pas procédé par suppression mais par élargissement. Mais la conscription fut beaucoup plus qu'une institution, ce qui amena à écrire une histoire de la citoyenneté et aussi de la formation de l'unité nationale dans une France plurielle et diverse. Cela incita les historiens à donner à leurs travaux une dimension comparative, limitée à l'Etat-Nation, c'est-à-dire à la France des cent-trente départements. L'histoire de la conscription a permis aussi la découverte de nouveaux terrains dans la mesure où la plupart des historiens se sont heurtés à la contradiction entre les opinions et les comportements. En effet, dans un certain nombre de départements, pas nécessairement antipatriotes, l'histoire de l'institution se confond avec l'histoire de l'insoumission et de la désertion. Cette acculturation, parfois difficile, des Français à l'Etat-Nation fait l'objet des travaux menés par Jean-Noël Luc et centrés sur la gendarmerie. L'obéissance aux appels d'hommes, instrument de 2. André CORVISIER, L'armée française de la fin du XVII° siècle au ministère de Choiseul. Le soldat, Paris, PUF, 1964, 2 tomes. 3. Sam SCOTT, The Response of the Royal Army to the French Revolution, Oxford, Oxford University Press, 1978. 4. Alan FORREST, Déserteurs et insoumis sous la Révolution et l'Empire, Paris, Perrin, 1988. 5. Isser WOLOCH, The New Regime. Transformation of the French Civic Order, 1789-1820, London, Norton, 1994. 6. Gustave VALLEE, La conscription dans le département de la Charente, 1798-1807, Centre d'Etudes de la Révolution Française, Paris, Sirey, 1937. 7. Louis BERGES, Résister à la conscription: 1798-1814. Le cas des départements aquitains, Paris, CTHS, 2002. 8. Bruno CIOTTI, Du volontaire au conscrit, les levées d'hommes dans le Puy-de-Dôme pendant la Révolution Française, Clermont-Ferrand, Presses Universitaires Blaise Pascal, 2001. 5 La conscription dans le département des Basses-Alpes pendant le Premier Empire (1802-1814) l'Etat-Nation, fut en effet parfois imposée par la force publique, comme l'étudient Bernard Gainot et Franck Vandeweghe. L'écart entre les représentations officielles, les discours des élites et ce qu'éprouvent les masses (et même les élites quand elles sont confrontées à la réalité du devoir militaire et surtout à celle du combat) montre la nécessité de faire à la fois une histoire des idées et des idéologies et une histoire de mentalités et de sensibilités. C'est ce qu'a démontré Alan Forrest 9 dans un livre de 2002, où, à propos des grognards et des poilus, il dit que, lorsqu'on a perçu dans sa chair les mots « mourir pour la patrie », on peut être patriote, mais d'un patriotisme qui ne peut plus être abstrait. C'est ce qu'évoquent aussi, mais pour une période qui s'étend de l'Ancien Régime à l'Empire, Bruno Ciotti, Olivier Paradis, Didier Michel et Vincent Cuvilliers. Cette tension qui se manifeste aussi dans le conflit entre la liberté personnelle de l'individu et le droit politique du citoyen, Thomas Hippler l'analyse sous un autre angle puisque c'est à partir d'un double point de vue, philosophique et historique, qu'il démontre que cette contradiction est un paradoxe fondateur de toutes les institutions contemporaines qui font du sujet un citoyen, mais que le service obligatoire la manifeste plus que tout autre. En même temps, il donne à son analyse une dimension comparatiste en confrontant l'inauguration de l'obligation militaire en France et en Prusse et son refus par l'Angleterre qui la juge précisément incompatible avec la liberté individuelle et avec toute la tradition de l'Habeas Corpus. On est ainsi renvoyé à un autre débat entre civilisation et barbarie : la figure du citoyensoldat et même du conscrit censé combattre pour une cause qu'il comprend, à défaut d'être parti volontairement pour elle, correspond à un idéal des Lumières. En même temps, les penseurs militaires de la fin du XVIII° siècle en étaient en partie conscients, ils sont les agents « jusqu'au boutistes » des guerres totales. Aussi, pour d'autres penseurs et hommes politiques, la transformation d'un civil en soldat, ne fût-ce qu'une partie de sa vie et pas nécessairement sur le champ de bataille, est au contraire signe d'une régression archaïque et le comble de la barbarie. Ce débat n'est pas abstrait; il domine les rapports entre les civils et les soldats que Nathalie Alzas et Nicolas Cadet vont évoquer : la coupure ou un risque de coupure entre la société et l'armée nationale et citoyenne peut apparaître aussi bien qu'avec une armée professionnelle. Par ailleurs, les traumatismes que vécurent les soldats sur les champs de bataille et autour d'eux, mieux connus pour leurs successeurs du XX° siècle, laissèrent des séquelles. On est là dans une histoire anthropologique appelée à de féconds développements. Il faut tout de même rappeler que John 9. Alan FORREST, Napoleon's Men. The soldiers of the Revolution and Empire, London and New-York, Hambledon and London, 2002. 6 La conscription dans le département des Basses-Alpes pendant le Premier Empire (1802-1814) Keegan, pionnier de l'histoire-bataille renaissante, a déjà consacré une partie de son ouvrage 10 à Waterloo, en 1993. Ces séquelles participèrent incontestablement à la « brutalisation » des sociétés dont parle, pour le XX° siècle, George Mosse 11, à la limite de l'anthropologie et de l'histoire des sensibilités. Or, dans les premiers chapitres de son livre, en 1999, il repère dans les guerres de la Révolution et de l'Empire les formes de cette « brutalisation ». On peut donc comprendre la méfiance des civils et de la société qui eut du mal – et pas seulement en 1814-1815 – à réintégrer les anciens combattants. Même si une politique sociale étudiée par Isser Woloch en 1979 se mit en place, elle eut des limites : encore plus cruelle fut son absence comme l'ont montré les travaux de Nathalie Petiteau 12, en 2003. La société ne leur consentit pas une place à la mesure de l'influence politique qu'ils étaient censés avoir ou la leur donna chichement. A travers l'exemple de l'Eure, Angelo Celeri étudie le destin de ces anciens combattants, du moins de ceux qui survécurent assez longtemps pour être médaillés de SainteHélène. Dans les universités et les centres de recherches, un travail considérable a abouti à la rédaction de monographies régionales et départementales. Tour à tour, Jean-Pierre Jessenne et Hervé Leuwers pour le Nord et le Nord-Ouest, Jean-Paul Rothiot pour l'Est et Jacques Bernet pour la Picardie et la Champagne font le bilan des recherches les plus récentes. 10. John KEEGAN, Anatomie de la bataille, Paris, Robert Laffont, 1993. 11. George L. MOSSE, De la Grande Guerre aux totalitarismes: la brutalisation des sociétés européennes, Paris, 1999. 12. Nathalie PETITEAU, Lendemains d'Empire, Les soldats de Napoléon dans la France du XIX° siècle, Paris, La Boutique de l'Histoire, 2003. 7 La conscription dans le département des Basses-Alpes pendant le Premier Empire (1802-1814) CONCLUSION 8 La conscription dans le département des Basses-Alpes pendant le Premier Empire (1802-1814) Sur l'ensemble des classes de 1802 à 1814, en totalisant toutes les manières possibles de se soustraire au devoir militaire : insoumission, substitution ou remplacement, et le mariage des conscrits, on voit que la conscription a été jugée trop lourde par les Français. Cela ne veut pas dire pour autant qu'elle ait été excessive. Le nombre de conscrits n'apparaît pas comme abusif, du moins jusqu'en 1811. Les chiffres de quelques départements sont là pour en apporter la preuve : 3,72% de la population du Maine-et-Loire est touchée par la conscription, 3,15% de la population en Côted'Or (11 000 conscrits pour 350 000 habitants), 3,80% dans les Côtes-du-Nord (19 000 conscrits pour 500 000 habitants), 3% pour Paris, 4,61% pour les Basses-Alpes. Dans les esprits de la fin du XVIII° siècle et du début du XIX°, la conscription rappelle avec dégoût les milices de l'Ancien Régime et leur racolage abusif. La France de cette époque est essentiellement paysanne et attachée à la terre, source de richesse pour la majorité de la population. Lui enlever des bras, c'est immédiatement l'affaiblir et l'appauvrir, d'où un rejet bien compréhensible de la conscription. Il faut ajouter à cela que l'on enlève des bras mais aussi des vies; il faudra à notre pays plus d'un siècle pour assimiler ce concept et cette obligation qui en découle. Il convient donc, sous le Premier Empire, de relativiser le phénomène de la conscription, qui apparaît comme majeur et insoutenable, en comparaison avec les souvenirs d'autrefois. Les exigences ignorées de la conscription sous l'Ancien Régime deviennent une charge irritante sous l'Empire. Le département des Basses-Alpes est un bon exemple de l'application de la conscription à l'échelle locale. Il se situe à mi-chemin entre les départements pro-révolutionnaires de l'est et les départements rebelles de l'Ouest. Compromis entre royalisme et révolution, il n'en garde pas moins ses spécificités et son caractère propre. La réaction à la conscription y a été particulière, car l'environnement et la situation géographique du département le prêtaient bien au jeu de l'insoumission. Celle-ci n'y a pas été très bien accueillie, dans ce département largement rural et agricole. La conscription était à ce point détestée de tous dans les années 1813-1815, que l'une des premières décisions de Louis XVIII, à son arrivée au pouvoir, fut de la supprimer. Pendant trois ans, l'armée française ne recourut qu'aux engagements volontaires. Quand Napoléon remontera brièvement sur le trône lors des Cent-Jours, il n'osera pas rétablir la conscription ; son pouvoir se révélant encore beaucoup trop fragile, il se limitera à faire un appel pressant aux anciens soldats. La Restauration maintiendra l'ancien système en place et ne recrutera plus son armée que par les engagements volontaires ; il faut dire que les puissances coalisées imposent alors à la France une armée limitée à 150 000 hommes. La vieille loi Jourdan-Delbrel fait néanmoins sa réapparition trois ans plus tars, sous une autre forme ; le ministre de l'époque prendra soin de ne plus parler de loi sur 9 La conscription dans le département des Basses-Alpes pendant le Premier Empire (1802-1814) la conscription, mais sur le recrutement de l'armée. Subtile distinction linguistique! La loi Gouvion Saint-Cyr, du 10 mars 18181, vient remédier à l'insuffisance des engagements. Les conscrits sont désignés par un tirage au sort parmi les jeunes gens de 20 ans. Un conseil de révision est chargé de « revoir » les opérations et arrête la liste définitive des conscrits. Les soutiens de famille, les membres des professions libérales et les « bons numéros » sont exemptés. Le remplacement, qui est un contrat de droit privé passé entre le remplaçant et le remplacé, est autorisé. La durée du service est de 6 ans dans l'infanterie et de 8 ans dans les autres armes. A quoi s'ajoutent 6 années de « vétérance » ; c'est la loi Suchet, du 9 juin 1824, qui supprimera la vétérance et portera la durée du service à 8 ans dans toutes les armes. La loi Gouvion Saint-Cyr, avec des modifications de détail, restera la base du recrutement jusqu'en 1872. 15. Cette loi a fait l'objet de violentes controverses ; on trouve 23 discours publiés dans leur intégralité dans les Discours prononcés à la Chambre des Députés, dans la session de 1817, sur la loi de recrutement, ainsi qu'un commentaire sur le mode d'avancement réglé par la loi de recrutement du 10 mars 1818. 10 La conscription dans le département des Basses-Alpes pendant le Premier Empire (1802-1814) Gravure d'un conscrit bas-alpin en train de signer le registre de conscription 11 La conscription dans le département des Basses-Alpes pendant le Premier Empire (1802-1814) Proclamation du général Championnet au peuple Bas-Alpin Egalité Liberté PROCLAMATION Au Quartier Général, à Grenoble, le 2 Thermidor, an VII de la République françaife. CHAMPIONNET, GENERAL EN CHEF DE L'ARMEE DES ALPES, Aux Citoyens du Département des Basses-Alpes. Citoyens, La patrie eft retombée dans les dangers qui en 1792 menacerent fon indépendance & fa liberté. Nous ne devons qu'au courage des braves qui la défendent, fi déjà elle n'a pas péri après avoir été livrée fans prefque aucun moyen de défenfe, à la coalition nouvelle qui a juré fa ruine. Mais il faut vous le dire avec franchife, les forces de l'ennemi s'accroiffent tous les jours par des renforts immenfes, les nôtres s'affaibliffent par des pertes. Nos armées foutiennent encore une lutte auffi inégale avec une gloire qui ne f'eft jamais démentie; mais fi vous n'arrivez au plutôt à leur fecours, leur courage ne pourra plus balancer les malheureufes deftinées de la patrie, attaquée par des forces fi fupérieures. Citoyens, vous connaiffez la caufe des revers qui ont arrêté le cours de nos victoires, elle eft toute entière dans l'ineptie d'un gouvernement qui ne fçut ni négocier la paix ni préparer la guerre; il n'a montré des talens que dans l'art de tromper & de confolider la tyrannie. Il a dégouté toutes les paffions généreufes qui avaient fi fouvent fauvé la République, par la confiance prefque exclufive qu'il a accordée aux hommes qui n'avaient joui que de celles des rois, il a éteint toutes les formes de dévouement par la prépondérance qu'il a donnée à la corruption & à l'intrigue dans la diftribution de tous les emplois: dans l'efpace de deux ans, il a laiffé dévorer par les vils adulateurs, le prix de nos conquêtes, & celui de tous vos facrifices; il a livré à fes innombrables efpions la fubfiftance du foldat, le falaire de nos fonctionnaires, & le gage des créanciers de l'Etat. Leurs mains facrilèges ont dévoré comme une proie les tréfors précieux de tous nos arfenaux, & l'abondance de tous nos magafins, elles ont préparé notre ruine par le pillage de toutes nos reffources anciennes, & par l'épuifement anticipé de vos nouveaux facrifices. C'eft pour réuffir dans ce déteftable projet que la terreur a été mife fur toutes les langues, & la penfée même enchaînée par une oppreffion jusqu'ici inconnue. Citoyens, gloire foit rendue au Corps législatif, qui a fi courageufement terminé le cours de tant de malheurs; ils feront réparés par la fageffe du nouveau Directoire, & vengés par la juftice nationale, qui doit en vérifier les caufes & en punir les auteurs; mais combien ne faut-il pas de temps pour remédier par degrés à cette dévaluation générale qui a fignalé le règne des dilapidateurs. Français, le remède à tant de maux n'eft que dans vous; la patrie ne peut être efficacement fecourue que par les efforts de votre zèle, ni fauvée que par votre courage. L'ennemi eft à vos portes, le temps des difcuffions eft paffé, celui d'agir eft venu. Attendrezvous que les nombreufes armées ayent entièrement franchi la ligne des fortereffes qui défendent les 12 La conscription dans le département des Basses-Alpes pendant le Premier Empire (1802-1814) frontières du midi? Attendrez-vous que les puiffants renforts, que le nord vomit de toutes fes contrées, viennent ajouter un nouveau poids à la balance de fes forces déjà fi fupérieures? Quel eft celui d'entre vous qui fe trompe fur les projets de la coalition nouvelle? Les rois qui vous attaquent vous font une guerre d'extermination; ils ont réfolu de s'affranchir pour jamais des craintes douloureufes que leur ont donné vos victoire, par la deftruction même de la liberté, & le courage de tous les partifans. Républicains, armez-vous, que l'ennemi qui s'avance trouve à leur porte ceux que la loi appelle aux frontières, & il y trouvera fon tombeau; que celui que l'Anglais folde dans l'intérieur pour fomenter la guerre civile, vous trouve tous fous les armes, & l'Anglais fera confondu; que tous oublient les injuftices & les dégouts dont un Gouvernement infenfé a payé le prix de leur dévouement & de leur zèle; que toutes les diffenfions ceffent, elles n'ont été fomentées que par des perfides, & pour régner fur nous par la divifion; que toutes craintes d'une terreur nouvelle & de grands changements politiques difparaiffent; elles n'ont été imaginées que pour paralifer le courage & rompre la réunion de la force nationale. Français, ce n'eft plus fous les aufpices d'un Gouvernement trompeur que vous allez combattre; ce n'eft plus au profit des factions entretenues pour nous divifer, que nous allons repandre notre fang, c'eft pour la patrie qui nous appelle; qui de nous ferait affez ingrat pour réfifter à la voix? Où eft le lâche qui veut furvivre à la gloire du nom Français & à la liberté de fon pays? Où eft l'efclave qui confent à courber fa tête fous le joug aviliffant des fauvages avides de fang & de pillage, que la coalition a armés contre nous? Où eft l'infenfé qui ne veut pas éviter l'invafion de fes propriétés par les facrifices qui sont néceffaires pour la défendre? Où eft le dénaturé qui veut livrer, fans défenfe, l'honneur de fa famille à la brutalité d'un barbare étranger. S'il exiftait encore parmi nous des monftres auffi déteftables, qu'ils foient punis comme des ennemis publics. Républicains, les généraux que le Gouvernement envoie fur vos frontières, pour le falut commun, fe rendent à leur pofte; ils font réfolus d'y périr plutôt que d'en permettre l'invafion; leur devoir eft de connaître tous nos befoins; le vôtre eft de venir à leurs fecours; fecondez leurs efforts & la République eft fauvée. CHAMPIONNET. 13