Prof.
Christian BROHET, UCL
Président de la Fédération
Belge des Centres de
Réadaptation Cardiaque
Président du Comité
Scientifique de la Ligue
Cardiologique Belge
Introduction
Avant les années 60, l’infarctus du
myocarde était une maladie grave,
souvent mortelle. Pour les survivants,
l’infarctus était synonyme de repos
obligatoire au lit pendant plusieurs
semaines et d’un arrêt généralement
définitif des activités professionnel-
les.
Ensuite, à cette période de cardiolo-
gie impuissante et contemplative a
succédé une époque enthousiaste de
mobilisation précoce, dès l’hospitali-
sation, et de ré-entraînement phy-
sique à l’effort dans des « Centres de
Réadaptation Cardiaque », par une
équipe composée essentiellement de
kinésithérapeutes spécialisés, sous la
supervision de cardiologues. Le but
était d’augmenter la capacité phy-
sique qui était diminuée, autant par
l’immobilisation due à l’incident coro-
narien, que par l’amputation d’une
partie de la force contractile du mus-
cle cardiaque.
La réadaptation cardiaque s’est en-
suite adressée à d’autres types de
malades cardiaques : les opérés de
pontage coronarien, de remplace-
ment valvulaire, après angioplastie
coronarienne, dans l’insuffisance car-
diaque, avant et après transplanta-
tion cardiaque, après mise en place
d’un défibrillateur interne…
Parallèlement, les équipes de réadap-
tation se sont étoffées par l’insertion
d’assistants sociaux, de psycholo-
gues, de nutritionnistes. L’objectif
était de constituer de véritables équi-
pes pluridisciplinaires aptes à offrir au
patient une aide, non seulement
dans les aspects physiques et médi-
caux de sa maladie, mais également
dans ses aspects psychosociaux et
dans la lutte contre les facteurs de
risque cardio-vasculaire. C’est pour-
quoi, à l’heure actuelle, les concepts
de « réadaptation cardiaque » et de
« prévention cardio-vasculaire » sont
étroitement liés.
En 1996, reconnaissant l’utilité et la
spécificité de la réadaptation car-
diaque, l’INAMI a conclu une conven-
tion avec quelques centres « agréés »,
leur accordant un remboursement
préférentiel pour un maximum de 45
séances de réadaptation devant être
réalisées par une équipe pluridiscipli-
naire, dans les six mois après l’inci-
dent cardiaque.
Tout récemment, certaines des indi-
cations de réadaptation cardiaque
ont été remises en cause par le Minis-
tère de la Santé publique, essentielle-
ment pour des raisons budgétaires.
La Fédération Belge des Centres de
Réadaptation Cardiaque est actuelle-
ment en négociation avec le Ministè-
re et l’INAMI afin de revoir et d’ac-
tualiser les critères médicaux autori-
sant la réadaptation cardiaque.
Objectifs de la
réadaptation cardiaque
Lorsque la réadaptation cardiaque a
vu le jour, la première définition de
l’OMS énonçait que « La réadapta-
tion cardiaque comprend l’ensemble
des moyens médicaux, physiques,
psychologiques et sociaux qui per-
mettront au malade cardiaque de ré-
intégrer aussi vite que possible et par
ses propres moyens une place aussi
normale que possible dans la so-
ciété ».
A cette époque, il s’agissait en fait
principalement de remettre au travail
des patients souvent assez jeunes,
victimes d’un infarctus du myocarde,
habituellement considérés comme
définitivement écartés du marché du
travail à une période de plein emploi.
Dans un rapport sur l’état de la mé-
decine de réadaptation fonctionnelle
en Belgique publié en octobre 2004,
le Professeur Serge Degré, président
du groupe de travail pour la réadap-
tation cardiaque, définissait les ob-
jectifs de la façon suivante :
«La
réadaptation cardiaque nécessite
une bonne évaluation des perturba-
tions physiques, psychologiques et
sociales de façon à prévenir autant
que faire se peut la survenue de han-
dicaps tout en s’assurant que le ma-
lade coopère de façon adéquate aux
mesures de prévention secondaire.
Ce processus doit être précoce, conti-
nu et entretenu.
La réadaptation cardiaque combine
donc, sous la direction du cardiolo-
gue- réadaptateur- prescripteur l’en-
traînement physique, le suivi psycho-
logique et social et la modification
des facteurs de risque dans le but d’a-
méliorer la capacité physique et men-
tale et de diminuer le handicap social.
Le but ultime de la réadaptation car-
diaque est donc de restaurer et main-
tenir une fonction physique, sociale
et professionnelle optimale.
La lutte contre la sédentarité, le
contrôle de l’hypertension artérielle,
du diabète et des dyslipidémies, l’ar-
rêt du tabagisme réduisent la morta-
3
LA READAPTATION
CARDIAQUE
lité cardiovasculaire, améliorent la
capacité fonctionnelle, diminuent l’is-
chémie myocardique, retardent et
parfois renversent l’évolution de l’a-
thérosclérose coronarienne et donc
réduisent le risque de survenue de
nouveaux événements aigus ».
Dans la définition actuelle, on insiste
davantage sur la prévention secon-
daire, la réinsertion sociale et la quali-
té de vie que sur les aspects pure-
ment professionnels. En effet, les
maladies cardiaques atteignent des
sujets plus âgés, des personnes retrai-
tées ou en pré-pension, et dans le
contexte économique actuel, le re-
tour au travail est plus aléatoire
qu’auparavant.
Comment se déroule
un programme de
réadaptation cardiaque ?
L’exemple est celui du programme tel
qu’appliqué au Centre de réadapta-
tion cardiaque des Cliniques Saint-
Luc à Bruxelles.
Ce programme comporte deux éta-
pes principales : la phase hospitalière
et la phase ambulatoire.
A. Phase hospitalière
Après un infarctus ou après chirurgie
cardiaque, les premiers contacts avec
le malade et sa famille se nouent pen-
dant le bref séjour dans l’Unité de
Soins intensifs. Selon l’état du ma-
lade, une mobilisation passive au lit
peut déjà être réalisée. L’assistant so-
cial et le psychologue rencontrent le
malade et sa famille, aident à régler
certains problèmes immédiats (mu-
tuelle, employeur etc.) et apportent
un soutien nécessaire dans ces mo-
ments difficiles.
Après 24 heures ou quelques jours, le
malade est transféré dans l’Unité
d’Hospitalisation pour une durée de
séjour qui, avec les progrès médicaux,
devient de plus en plus courte (3 à 8
jours après un infarctus non compli-
qué, 8 à 10 jours après chirurgie). La
mobilisation précoce par le kinésithé-
rapeute se poursuit progressivement
selon un schéma adapté à chaque si-
tuation : exercices au bord du lit, le-
ver, marche, escaliers, bicyclette ergo-
métrique. Après chirurgie, la kinési-
thérapie respiratoire est appliquée :
aérosols, ventilation assistée, oxygé-
nothérapie, stimulation respiratoire.
Les paramètres surveillés sont la fré-
quence cardiaque, la pression artériel-
le, la saturation en oxygène et les si-
gnes cliniques (essoufflement ? dou-
leur thoracique ?). L’assistant social
et le psychologue sont à la disposition
du malade pour régler les problèmes
administratifs, poursuivre le soutien
psychologique et l’informer sur les
possibilités de la réadaptation car-
diaque. La diététicienne rencontre le
malade et son conjoint pour régler les
problèmes de déséquilibre alimentai-
re. La sensibilisation au rôle joué par
les facteurs de risque se fait par dis-
cussion individuelle et la remise de
fascicules explicatifs. A la fin du sé-
jour, le malade a l’occasion de visiter
le Centre de réadaptation où se dé-
roulera la phase ambulatoire. Il y re-
çoit une brochure expliquant les mo-
dalités de fonctionnement, les buts de
la réadaptation cardiaque, le rôle de
chaque membre de l’équipe pluridisci-
plinaire, des informations pratiques
(tenue, horaire, coûts, moyens de lo-
comotion, numéros de téléphone) et
un rendez-vous est pris pour une
consultation pluridisciplinaire de dé-
but de réadaptation.
B. Phase
ambulatoire
Une consultation pluridisciplinaire est
organisée de façon hebdomadaire.
Cette consultation a lieu une à deux
semaines après la sortie d’une hospi-
talisation pour infarctus, de trois à
quatre semaines après une interven-
tion chirurgicale. Le malade rencon-
tre individuellement chaque membre
de l’équipe dans chacune des discipli-
nes. L
’assistant social et le psycholo-
gue sont de nouveau à la disposition
du malade pour relever les problèmes
psychologiques (difficulté d’accepter
le problème de santé, dépression, an-
xiété etc.) et régler les problèmes ad-
ministratifs (travail, études, mutuel-
les etc.). Psychologues et nutrition-
nistes donnent des conseils
concernant la prise en charge des fac-
teurs de risque et l’amélioration du
style de vie (tabac, alimentation,
exercices physiques). Le cardiologue,
qui est le responsable médical et le di-
recteur du centre de réadaptation ,
examine le malade, établit le niveau
de risque et le déficit fonctionnel,
supervise le programme de ré-entraî-
nement physique, vérifie l’adéquation
du traitement médicamenteux, insis-
te sur la prise en charge des facteurs
de risque. Une épreuve d’effort sur
cyclo-ergomètre avec mesure de la
consommation maximale d’oxygène
est réalisée en début de réadaptation
et un rapport médical est envoyé aux
médecins traitants (généraliste et
cardiologue). A la fin des 45 séances,
une nouvelle ergospirométrie est ré-
alisée, une dernière consultation a
lieu et, de nouveau les résultats sont
envoyés aux médecins traitants.
4
Les kinésithérapeutes jouent un rôle
essentiel dans l’application du pro-
gramme d’ entraînement physique
qui constitue l’élément principal de la
réadaptation cardiaque.
Le kinésithérapeute construit un pro-
gramme d’activités individuel, basé
sur les capacités du malade, tenant
compte d’autres handicaps éven-
tuels, en fonction des résultats com-
muniqués par le cardiologue, notam-
ment de l’ergospirométrie. La
convention INAMI autorise actuelle-
ment un maximum de 45 séances ad-
ministrées dans les 6 mois après l’in-
cident cardiaque à raison de 3 à 5
séances hebdomadaires. Ces 45
séances sont réparties sur 2 niveaux.
Le premier niveau est une mise en
condition pendant une vingtaine de
séances d’une durée de une heure
chacune. Le second niveau dont les
séances durent également une heure
amène le malade à se connaître dans
l’effort et à gérer lui-même l’intensité
de celui-ci. Chaque séance comporte
des exercices de gymnastique d’as-
souplissement et de renforcement gé-
néral, ainsi que l’utilisation de divers
engins : bicyclette ergométrique, avi-
ron, tapis roulant, matériel de fitness.
Pendant les quelques premiers jours
du premier niveau, les malades sont
placés sous surveillance continue de
l’électrocardiogramme par télémé-
trie, ensuite sous surveillance par car-
dio-fréquencemètre, ce qui permet
d’établir un profil d’entraînement et
de mieux adapter le programme d’ef-
fort aux capacités du sujet.
Durant toute la durée de la réadapta-
tion cardiaque, toute l’équipe pluri-
disciplinaire du centre est au service
du malade pour répondre aux ques-
tions éventuelles du malade et de son
conjoint. Chaque membre de l’équipe
dans son domaine respectif intervient
pour assurer une prise en charge opti-
male des facteurs de risque et assurer
une bonne qualité de vie.
Quels peuvent être
les bénéfices de la
réadaptation cardiaque ?
La première question posée concerne
généralement le bénéfice sur le plan
de l’amélioration de la santé cardio-
vasculaire, plus précisément : la
mortalité et le taux de récidives sont-
ils réduits après réadaptation car-
diaque ?
Il n’a jamais été facile de répondre
clairement à cette question. Premiè-
rement, le nombre de malades inclus
dans des études où l’on comparait
deux groupes, l’un bénéficiant de ré-
adaptation, l’autre pas, n’était géné-
ralement pas suffisant pour démon-
trer des différences statistiquement
significatives. On eut alors recours au
regroupement de plusieurs études
dans ce qu’on appelle une «méta-
analyse», ce qui permit de montrer
une différence significative avec une
réduction de 20 à 24% de la mortali-
té totale et de 25% de la mortalité
par récidive d’infarctus dans le grou-
pe de patients réadaptés. Deuxième-
ment, on peut se demander si la ré-
adaptation est encore vraiment né-
cessaire à une époque où l’on dispose
de moyens puissants pour soigner les
malades coronariens : thrombolyse,
angioplastie, stents, chirurgie, médi-
caments efficaces… La réponse est
positive depuis que l’on dispose des
résultats d’une étude récente ayant
montré des réductions significatives
de la mortalité totale (-20%) et de la
mortalité cardiaque (-26%), tandis
que des tendances favorables sont
également présentes en ce qui
concerne la diminution des récidives
d’infarctus (-21%), du nombre d’opé-
rations chirurgicales (-13%) et du
nombre d’angioplasties (-19%). Au
total, le financement des centres de
réadaptation pourrait donc consti-
tuer un gain net pour notre sécurité
sociale, ce qui est souvent difficile à
faire admettre par nos décideurs poli-
tiques !
Cependant, c’est sans conteste sur le
plan de la meilleure qualité de vie que
la réadaptation cardiaque sort vrai-
ment gagnante. Parmi ses effets béné-
fiques, on trouve un accroissement de
la capacité physique ( de +11 à +36%),
et dès lors une plus grande aisance
dans les activités journalières, une
bonne gestion à l’effort, la connaissan-
ce de ses limites et une confiance en
soi accrue. La réintégration familiale,
sociale et professionnelle est facilitée.
La prise en charge des facteurs de
risque est mieux comprise et mieux
appliquée, ce qui conduit à un style de
vie beaucoup plus sain. Certains ma-
lades sont tellement satisfaits et
convaincus des bienfaits que leur a
procuré la réadaptation qu’ils conti-
nuent volontairement un programme
d’activités physiques dans des « coro-
nary clubs » ou autres centres de fit-
ness, tandis que bicyclettes et chaus-
sures de marche reprennent définitive-
ment du service !
Conclusion
La réadaptation cardiaque telle qu’elle
est menée actuellement dans des cen-
tres agréés suivant les règles de la
convention, au moyen d’équipes pluri-
disciplinaires, induit toute une série
d’effets favorables pour les malades
cardiaques et leurs familles. Cepen-
dant on estime que 15 à 30% seule-
ment des patients qui n’ont pas de
contre-indication médicale suivent un
programme de réadaptation en Bel-
gique ! Cela tient à un manque d’inté-
rêt de la part de certains cardiologues,
à un manque d’information des pa-
tients, à une mauvaise répartition
géographique des centres de réadap-
tation, mais aussi à l’absence d’adé-
quation entre la législation qui définit
les programmes de soins en cardiolo-
gie et celle des conventions de réadap-
tation cardiaque de l’INAMI. Or, l’heu-
re est plutôt à la restriction, avec sup-
pression de certaines des indications
donnant droit à la réadaptation, dans
l’espoir fallacieux d’économies dans le
secteur des soins de santé…Cela
n’empêchera pas les responsables de
nos centres de réadaptation cardiaque
de poursuivre, avec les moyens du
bord, leurs activités pour continuer à
offrir à leurs malades cardiaques l’as-
surance d’une vie plus longue si possi-
ble, et certainement plus agréable !
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