Editorial Rédaction des certificats médicaux en médecine du travail : Savoir raison garder… Paul FRIMAT, professeur de médecine du travail, praticien hospitalier, université Lille 2 / CHRU Lille Sophie FANTONI, professeur de médecine du travail, praticien hospitalier, docteur en Droit, université Lille 2 / CHRU Lille Plusieurs médecins du travail sont actuellement poursuivis au Conseil de l’Ordre des médecins sur leurs pratiques professionnelles, plus particulièrement à l’occasion de la rédaction de certificats médicaux jugés « de complaisance » constatant les liens entre l’organisation du travail et ses effets sur la santé… Des cas similaires sont survenus en région Nord – Pas-de-Calais et les plaintes ont pu se régler favorablement lorsque le rôle du médecin du travail et les différentes procédures de ses missions ont été explicités auprès des instances ordinales. Ceci, en différenciant bien le contentieux de type ordinal (la rédaction du certificat médical par exemple), du contentieux de l’Inspection du travail (aptitude, inaptitude). Il est évident qu’établir un éventuel lien entre une exposition professionnelle et le travail appartient pleinement au rôle du médecin du travail. Cela doit être défendu et protégé et en ce sens, les mouvements de soutien actuels sont compréhensibles. Pour autant, le certificat médical ne peut excéder le périmètre qui lui est dévolu, à savoir constater ou interpréter les faits d’ordre strictement médical… Il est peut être ainsi bon de revenir sur un certain nombre de notions et notamment sur les règles déontologiques de rédaction de tels certificats pour mieux cerner ce qui ressort d’un tel document ou, au-delà, d’autres outils utilisables par le médecin du travail pour pleinement exercer ses missions. En effet, il est utile de se souvenir que de nouvelles opportunités d’action sont offertes aux médecins du travail grâce au nouvel article L4624-3 du Code du travail pour signaler des dangers pour la santé des salariés au-delà des considérations purement médicales auxquelles les certificats médicaux doivent se cantonner. L’indépendance des médecins du travail doit être protégée mais chacun d’entre nous à l’obligation de respecter les règles déontologiques. istnf.fr Paul Frimat, Sophie Fantoni, Lille 2 / CHRU Lille 27 mai 2013 1 La rédaction des certificats médicaux fait partie intégrante de l'exercice médical (code de déontologie article 76 et R4127-76 du CSP) et nécessite une démarche très rigoureuse. L’établissement par le médecin de certificats ou d’attestations consiste à constater ou à interpréter des faits d’ordre médical. Il s’agit d’attestation écrite de constations positives ou négatives touchant la santé du sujet examiné, pouvant avoir une influence sur les intérêts publics de ce sujet. La rédaction d’un certificat demande attention et rigueur car il constitue un mode de preuve qui entre dans la catégorie juridique des témoignages écrits. Il fait foi jusqu’à la preuve contraire. Le médecin établit des certificats ou attestations conformément aux constatations médicales qu'il est en mesure de faire et ne doit délivrer aucun rapport tendancieux ou certificat abusif (code de déontologie article 28), ni céder à des demandes abusives (code de déontologie article 50). La production de tout certificat médical engage la responsabilité disciplinaire, pénale, voir civile du médecin. Aussi, la rédaction d’un certificat médical doit-elle s’entourer de règles précises. Le certificat médical doit ainsi avoir un objet médical. Le médecin doit être compétent par rapport au contenu du certificat, il reste juge de l’opportunité de la délivrance certificat (il n’encourt pas de sanction dans le cas du refus de délivrance d’un certificat non obligatoire). Par ailleurs, Les faits allégués sont rapportés sous la forme de « … me déclare … » et les faits constatés médicaux réellement constatés. Le CNOM a rédigé un rapport sur les règles d’établissement des certificats médicaux et donne sur son site les 10 conseils POUR LA DELIVRANCE D’UN CERTIFICAT MEDICAL (Rapport BOISSIN et ROUGEMENT au Conseil national de l’Ordre des médecins d’octobre 2006) : 1. S’informer de l’usage du certificat demandé ; 2. Ne rédiger le certificat qu’après examen de la personne ; 3. Décrire de façon précise et objective les éléments constatés, sans omission dénaturant les faits ni révélation excessive ; 4. Transcrire, si elles apparaissent nécessaires à la compréhension du certificat, les doléances du patient entre guillemets et sous la forme conditionnelle ; 5. S’interdire d’établir toute relation de cause à effet entre les troubles constatés et décrits et l’origine que le patient leur impute ; 6. Limiter les propos à ce qui concerne le patient et lui seul ; 7. Dater le certificat du jour de sa rédaction même si l’examen médical a été pratiqué quelques jours plus tôt ; antidater ou post-dater un certificat constitue une faute ; 8. Apposer sa signature ; 9. Remettre le certificat au patient lui-même et en main propre ; en faire mention sur le certificat ; 10. Garder un double du certificat. Il est évident qu’en suivant ces règles le médecin du travail est en mesure de mener à bien l’entièreté de ses missions, y compris en mettant en lien un état de santé avec une exposition professionnelle, dès lors que son certificat médical n’excède pas les limites de son rôle et en limitant ses propos à ce qui concerne le patient et lui seul. Si en effet, le Code du travail prévoit dans son article L 4624-3 que lorsque le médecin du travail constate la présence d'un risque pour la santé des travailleurs, il propose par un écrit motivé et circonstancié des mesures visant à la préserver, cet écrit doit se distinguer des certificats médicaux délivrés aux salariés. Il n’a pas non plus, dans ses certificats médicaux, à se prononcer sur istnf.fr Paul Frimat, Sophie Fantoni, Lille 2 / CHRU Lille 27 mai 2013 2 l’éventuelle mise en danger d’autrui dont un employeur aurait pu se rendre coupable, ni sur la légitimité d’un droit de retrait, ni encore sur l’obligation de sécurité de résultat concernant la santé des salariés à laquelle l’employeur aurait éventuellement failli, ceci excédant la stricte interprétation des faits d’ordre médical circonscrivant ses certificats médicaux. Cependant, face à la complexité des missions du médecin du travail, la spécificité du rôle du médecin du travail doit être mieux comprise par les instances déontologiques lorsqu’ils apprécient les certificats médicaux des médecins du travail à qui on a trop souvent reproché un silence coupable et qui aujourd’hui sont accusés de certificats de complaisance lorsqu’ils dénoncent des dysfonctionnements managériaux ou des expositions professionnelles non maitrisées et dangereuses pour la santé des salariés. Il ne faut d’ailleurs pas sous estimer la préférence compréhensible de certains employeurs à atteindre le médecin du travail dans sa pratique auprès des Instances Ordinales plutôt qu’auprès de l’Inspection du travail… Le Conseil de l’Ordre a ainsi un double rôle de vigilance à avoir, celui de ne pas encourager des employeurs à multiplier ce genre de pression et celui de veiller aux pratiques déontologiques des médecins. S’il est vrai que les règles rappelées ci-dessus doivent être scrupuleusement respectées, il semble important de bien appréhender la profession de médecin du travail pour se prononcer sur l’aspect déontologique de leurs certificats médicaux. Il n’en reste pas moins que la loi de juillet 2011 a conforté le rôle du médecin du travail. Il a ainsi d’autres outils que le certificat médical remis au salarié pour mener à bien ses missions de prévention, de préconisations et de conseil auprès des employeurs et des salariés. Le certificat médical ne doit pas servir de support à sa mission de conseil. istnf.fr Paul Frimat, Sophie Fantoni, Lille 2 / CHRU Lille 27 mai 2013 3